D'autant que ce ne serait pas très dur de garder le cap! Il suffisait d'aller dans la direction de la falaise saupoudrée de neige nettement visible au loin! Certes, il fallait être prudent dans la région, surtout avec les récentes chutes de neige! Pas que les bonhommes de neige qu'ils pouvaient faire avec soient très dangereux - ça pouvait même être joli, avec une petite guirlande en guise d'écharpe - mais même si les hautes altitudes pouvaient en apparence sembler moins vivantes que les plus basses, ce n'était qu'une impression, et au contraire les conditions plus rudes faisaient que des animaux d'autant plus dangereux pouvaient y rôder!
Le druide était si concentré sur son objectif, la queue s'agitant doucement, signe de concentration, alors qu'il se remémorait la carte de la région pour déterminer rapidement le meilleur itinéraire, si possible sans avoir à la sortir, qu'il ne réalisa pas immédiatement ce qu'il se passait derrière lui. Surtout qu'Aube se précipitant pour un câlin n'était pas quelque chose d'anormal et il n'était même pas visé! Le vent soufflant vers lui l'empêcha également de sentir les phéromones qui auraient du l'alarmer, et ce furent les avertissements mentaux de Talja et Zemir, et un aboiement de Yami, qui finirent par le faire se retourner.
Puis vint l'odeur du sang.
D'instinct, même alors qu'il n'était pas celui qui était attaqué, le druide eu un réflexe de recul en ouvrant à demi les ailes pour paraître impressionnant, instinct de survie issue de son côté kaetsu, en voyant la scène devant lui. Aube menaçant Val d'une arme blanche, mais surtout la sorte de dragon sortie de nulle part qui se trouvait à ses côtés, et dont l'attitude et la couleur semblèrent changer au fur et à mesure des prises de conscience de la jeune fille qui finit par revenir à elle, se faire pardonner comme elle put avant de s'enfuir. Le dragon, lui, s'évapora et Val s'écroula à terre.
Niraen serait sans doute resté ébahit devant le spectacle, tant du revirement de comportement d'Aube bien plus intense et grave que tous les précédents que l'apparition de cette étrange créature - un pouvoir, sans doute, mais difficile de dire s'il s'agissait de celui d'Aube ou de Val, sans doute Aube vu la surprise sur les traits de Val à sa vue - mais voir le jeune homme tomber le ramena à la réalité. Ce n'était pas le moment de réfléchir. Utilisant son accélération de kaetsu, le dresseur bondit aux côtés de Valravn pour ralentir sa chute, l'allongeant doucement tout en essayant de déterminer ce qui avait causé son évanouissement.
Pas sa blessure, en tout cas. Elle était un peu profonde, mais pas grave, fort heureusement! Par contre, le choc de l'attaque imprévue pouvaient tout à fait expliquer sa perte de connaissance... Ou l'utilisation d'un pouvoir, mais Niraen était toujours dans son idée que le dragon venait d'Aube, alors il n'y pensait pas plus que ça.
Le druide redressa la tête, regardant Yami qui faisait les cents pas à côté de lui, visiblement désireux d'aider sans savoir quoi faire.
- Va chercher Aube. Gentiment.
Après tout, la priorité, c'était Val, blessé, mais elle non plus ne devait pas aller très bien vu sa réaction et sa fuite! Certes, il pourrait aller la chercher plus tard, mais... Il n'aimait pas trop l'idée de la laisser seule longtemps. Yami était un chien pisteur, il était tout indiqué pour ça, et Niraen lui faisait confiance pour ne pas s'approcher si Aube était toujours dangereuse, et aboyer en cas de soucis. Certes, d'habitude ils procédaient différemment quand il pistait, mais le suiky avait assez l'habitude à la maison qu'on lui demande d'aller chercher tel ou tel membre de la famille pour comprendre l'ordre donné.
Ainsi, le druide put se concentrer pleinement sur son patient, Zemir étant resté à bonne distance et Talja s'était réfugiée sur le dos du rapidodo. Fort heureusement, ayant refait son stock de poudre de phume en dentelle, il avait aussi refait l'onguent permettant d'arrêter l'hémorragie. Il en étala généreusement sur la plaie du jeune garçon après l'avoir désinfectée, murmurant des paroles rassurantes au corbeau volant au-dessus d'eux ce faisait. Jetant un coup d’œil aux mots tracés par Valravn sur le sol, Niraen agita une oreille, intrigué, et traça des formes et formulations druidiques faisant appel aux éléments et à la nature autour du jeune garçon. En temps normal, il n'utilisait pas trop ce genre de techniques, mais le lieu s'y prêtait, et il était probable que son patient y était réceptif, alors autant essayer... En espérant que ça suffise à l'aider à se remettre et se réveiller rapidement!
Yami venait de me rejoindre, restant à bonne distance, humant l'air, me lançant de petit aboiement sourd. Une partie de moi était heureuse de le voir tandis que l'autre voulait rester seule.
Qu'est-ce que tu fais là ? C'est Niraen qui t'envoie ?
Voyant que ma crise de folie était passée, il se rapprochât légèrement inclinant la tête comme pour me signifier qu'il ne comprenait pas.
Tu sais ce que Niraen va faire ? Il va sûrement me dénoncer aux gardes, il doit me prendre pour une folle maintenant.
En entendant le nom de son maître, il ne fit quelques pas dans la direction d'où il était arrivé avant de revenir vers moi alors que mes pleurs redoublèrent. Ayant déjà connu mes crises de larmes, il se rapprocha davantage, me donnant un petit coup de museau comme pour m'inciter à me lever.
Je ne peux pas venir avec toi, ils vont m'enfermer en prison ou pire sur l'archipel, mais tu sais, je ne suis pas folle. Je vais retourner vivre seule dans la forêt, je ne ferais plus de mal à personne comme ça. T'en dis quoi toi ?
Il ponctua ma question d'un petit jappement comme pour signifier son désaccord, tandis que je le caressais tristement.
Tu sais que je ne peux pas retourner voir ton maître maintenant, il doit m'en vouloir. Tu n'as pas à t'inquiéter, j'ai vécu plusieurs saisons toute seule dans la forêt. Je suis sûr que je pourrais y vivre et il n'y aurait personne pour me faire du mal.
Il recula d'un bond méfiant quand je décidais enfin de me lever et poussa une série aboiement bien plus sonore alors que je m'éloignais dans la forêt. J'aurais bien voulu courir, mais l'épaisseur de la neige était telle qu'il m'était déjà difficile d'avancer, je constatais à quel point c'était plus simple de marcher dans les pas du druide.
Valravn Wraith, répétant un enseignement du Vieux Frère a écrit:Efface le présent s’il est insupportable ! Efface le présent ! Tout n’est que rêves !
Valravn émergea, rapidement somme toute, était-ce dû à l'intervention de Niraen ? Pour contrôler qu’il était bien en état de bouger, il écarta les bras et les jambes dans la neige, imitant une étoile… Puis se remit péniblement debout, s’aidant de son bâton pour se relever.
A son tour, de la pointe du bâton, il traça une espèce de dessin qu'il effaça tout de suite.
il se mordit à nouveau les lèvres mais ne se reprit pas, il fallait absolument qu’il vouvoie les gens de façon naturelle ! Ce n’était pas une question, juste une information.
- Elle est partie ? Il faut la retrouver !
Il regarda autour de lui, il lui semblait l’avoir senti s’enfuir, épouvantée…
Il montra la direction déjà mentionnée, la falaise…
- La cabane doit être à mi-distance, on la retrouve et on y va ? Je ne pourrais pas marcher longtemps, le dragon a pris mes forces…
Il n’expliqua rien… Tant pis si Niraen restait la bouche semi ouverte sans dire un mot.
En tout cas, c'était son point de vue de chien. Plus loin, Niraen faisait son possible pour soigner Valravn, et surtout faire en sorte qu'il se réveille rapidement afin de partir à la suite de la jeune fille. Il se doutait qu'elle ne reviendrait pas d'elle-même, mais au moins Yami était sûrement avec elle, ça aiderait pour la retrouver. Et il ne pouvait pas laisser le jeune garçon là, inconscient dans la neige...
Il était toujours un peu frileux d'utiliser des formules de druide. C'était une forme de magie à ses yeux - même si c'était dans la langue commune - et selon les croyances druidiques, mais ce n'était pas automatique, ça ne fonctionnait pas tout seul, il fallait aussi y mettre un peu du sien, et l'effet était rarement impressionnant. Alors parfois, les gens croyaient que c'était pour décorer, le prenaient pour un charlatant, même alors qu'il avait aussi utilisé une potion ou une pommade qui elle marchait très bien! Depuis, il évitait d'en faire usage devant des gens quand ce n'était pas nécessaire.
Heureusement, cela sembla fonctionner! Valravn revint en quelques minutes à lui, l'air surpris par les écrits au sol. Niraen le laissa reprendre doucement ses esprits, regardant son état par lui même sans avoir forcément besoin de demander directement d'un "ça va" direct. Son regard est rapidement happé par les signes tracés, un peu maladroits, mais reconnaissables, et même porteurs de sens.
Alors... Le dragon venait de lui, et pas d'Aube?! En tout cas, ce texte tracé, sa question... Il semblerait bien que Niraen se soit trompé. Pourquoi Valravn se mord la lèvre, ça, il l'ignore, mais il est curieux de savoir comment il connaît ça, et pourquoi il appelle ça la langue des dragons.
Il est cependant coupé avant même d'avoir pu ouvrir la bouche pour confirmer ou poser une question, Valravn venant de remarquer la disparition d'Aube. Heureusement, il ne semblait pas avoir de réticence à l'idée de la retrouver ou même de la revoir, comprenant lui aussi l'urgence. Il confirme être la source du dragon, et l'hybride prend ça en compte sans poser plus de questions. Il pourra demander des détails plus tard, il s'agit sûrement de son pouvoir. Encore que, c'est personnel, Val n'est pas obligé de répondre, mais ça l'intrigue...
Mais pour l'heure, ils ont d'autres priorités!
- Allons trouvons la vite. Yami est avec elle, avec un peu de chance elle n'est pas allée très loin.
En tout cas il l'espérait! Le duo se hâta dans la direction prise par Aube en partant, Niraen menant la marche à un rythme rapide, repérant les traces de pas de la jeune fille et du suiky qui l'avait suivie, utilisant tous ses sens pour estimer combien d'avance ils avaient et, quand il commença à entendre Yami aboyer comme pour dire "elle est là!", il commença à appeler le nom d'Aube.
- Aube! Tu nous entends? C'est moi et Val! Reviens! Ça va aller, ne t'inquiète pas, il va bien!
Le druide jeta un coup d’œil vers son compagnon de route, l'incitant s'il pouvait à parler aussi, pour qu'elle ne pense pas qu'il mentait, qu'elle comprenne qu'il allait bien et ne lui en voulait pas... Il semblait réellement inquiet, pas même rancunier, en tout cas pour l'instant.
Les deux continuaient à marcher tout en appelant, suivant les aboiements de Yami et les traces de pas, doucement, le regard de Niraen cherchant Aube du regard. Il avait pensé à s'envoler au début, et à dire à Val d'attendre, mais il était sûrement important pour elle de le voir. Et puis, si elle s'enfuyait, elle aurait pu très mal prendre de voir une grande forme arriver depuis les airs...
Et derrière, le rapidodo et la catosor suivaient sans trop comprendre ce qui se passait, intrigués, surveillant leurs arrières au cas où des bestioles soient attirées par leurs cris.
Par moment, Yami répondait druide en aboyant, je lui en voulais d'indiquer où j'étais surtout que je lui avais rien demandé, mais je ne pouvais pas me résoudre à lui faire du mal, mais jamais je ne pourrais blesser un animal. J'entendais des bruits de pas, crissant dans la neige cristalline et poudreuse, se rapprocher inlassablement.
Je ne voulais pas qu'il me trouve, je ne voulais qu'il appelle la garde, je ne voulais pas me faire emprisonner, je ne voulais pas me faire interner sur l'île et je ne voulais pas qu'il me voie comme ça. J'avais les yeux rougis à force de pleurer, j' étais toute décoiffée ce qui rendait visibles mes cicatrices que je m'efforçais de cacher en faisant tomber mes cheveux d'un côté de mon visage, me laissant un sentiment de vulnérabilité supplémentaire.
Comme pour me protéger une dernière fois, j'enfouissais mon visage derrière mes mains, me recroquevillant contre le tronc. Yami venait de se relever, voyant son maître approcher, alors que je me m'étais à sangloter:
Je ne suis pas folle, je veux pas aller sur l'ile.
Quelque chose lui soufflait qu’il n'aurait pas du la toucher, et il l’avait fait souvent ce jour-là même si aucun de ses gestes n’était malintentionné, à moins qu’elle n’ait eu une autre raison ? ou tout simplement pas de raison du tout mais juste… Il envoya ses cheveux en arrière, de ce geste devenu un tic et resserra la cape autour de ses épaules.
En apercevant Aube, recroquevillée sur elle-même dans la neige, le corps secoué par des sanglots retenus et cette phrase murmurée en boucle
- Je ne suis pas folle, je ne veux pas aller sur l'ile
Il eut une vision brutale d’un passé qu’il pensait enfoui :
Au sud-est de l’Arbre sacré, dans une forêt différente de celle-ci, un petit garçon coure à vive allure … Dire qu’il coure, c’est presque inexact, s’il était doté d’ailes il aurait décollé… Il ne prend garde à rien, ni aux ronces, ni aux branches basses, ni aux trous dans la terre qui lui font perdre l’équilibre, ni à la nuit qui va tomber et aux animaux qu’on entend plus ou moins loin… Il a déjà perdu une chaussure sans s’arrêter pour la ramasser, ses vêtements sont déchirés, aux genoux pour le pantalon, aux coudes et à l’épaule pour la veste… Dans le ciel, un corbeau paraît le suivre en croassant et sa « voix » donne à l’enfant la force de continuer ! Tombé une fois de plus, il panique en sentant son manteau retenu par des ronces et le retire en hâte, le laissant accroché aux broussailles. Désormais vêtu d’une simple chemise qui ne tarde pas à être aussi délabrée que le reste, il dit adieu à la seconde chaussure au détour d’un fossé, ayant l’impression d’être poursuivi par une meute et rampant pour en sortir après une chute, encore une... Quand une main énergique et ferme le ramasse alors qu’il est une fois de plus à terre, son hurlement fait résonner la forêt tout entière, il tente de mordre, donne des coups de pieds, se débat au point de mettre en pièce les pauvres guenilles qui lui restent sur le corps… La voix du vieux Frère est si calme, si douce, ses gestes à la fois apaisants et sécurisants. Valravn, le petit Valravn du passé se met à pleurer, à genoux sur le sol détrempé, les bras passés autour des épaules et la tête enfouie dans le creux du ventre…
La fille assise par terre lui rappelle cet enfant. Essayant d’être aussi calme que le Frère ce soir-là, il approche tout en restant à une distance raisonnable et lui jette sa cape sur les épaules, prenant soin que seul le tissu la touche.
- Il ne faut pas rester là, viens… La nuit va tomber bientôt, elle est brusque dans ces contrées. La forêt va se peupler de créatures pas toutes fiables… La cabane n’est pas si loin, on peut y aller et ensuite on ira tous chercher les nids pour Niraen… Enveloppe-toi bien, il fait froid.
Ceci-dit, il tend la main pour l’aider à se relever, lui-même parcouru par un long frisson… Une cape en tissu anti-climat ce n’est pas du luxe… Il se morigène intérieurement, l’ayant acquise il y a très peu de temps il s’en est bien passé des années ! il ne va pas céder au luxe et au confort !
Attendant la main d’Aube dans la sienne il regarde le druide qui observe, prêt à prendre la relève pour la ramener si lui échoue.
Balayant la scène du regard, il sourit en voyant les familiers qui ont suivi, confiants, et se sent… bien avec tout ce monde.
Ils finirent par trouver la personne qu'ils cherchaient et, sur le côté des mains, le druide repéra des traces de cicatrice qu'il avait déjà repéré au travers des cheveux, sans jamais trop se questionner à ce sujet. Si elles étaient cachées, c'était sûrement pour une bonne raison, alors il n'avait pas chercher à analyser ce qui les avait provoquées, ni osé poser de questions dessus. Mais en y repensait, la réaction violente d'Aube n'y était peut-être pas étrangère... Était-ce lié à un traumatisme? Mais qu'est-ce qui avait justifié sa réponse au juste?
Val essaya en premier de la convaincre de revenir, pendant que Niraen se triturait les méninges, à essayer de se rappeler l'élément déclencheur. Mais il leur tournait alors le dos, il avait bien entendu Val reculer un peu, se casser la figure... Embrasser la main d'Aube? Sursauter? Il ignorait si c'était le contact des lèvres, le mouvement brusque, ou encore autre chose qui avait déclenché pareille réaction. Il n'était même pas sûr de ses souvenirs, ayant alors les oreilles tournées en arrière par réflexe plus que par réel intérêt, concentré sur ses nids. Il aurait peut-être du faire d'avantage attention... Quoique s'interposer n'aurait pas forcément été une bien meilleure idée!
Le druide hoche la tête aux paroles du jeune homme. Lui même essaye de chasser la tension et l'appréhension. Son instinct kaetsu lui hurle de se méfier d'Aube, de ne pas approcher. Mais elle a les attitudes d'une personne acculée. S'il est sur ses gardes, elle le sentira. Il ne faut pas. Au pire, il fait confiance à ses réflexes, mais vu son attitude actuelle, à moins d'un gros impair, il doute qu'elle les attaque à nouveau. Pour autant, il ignore ce qui a put déclencher une telle réaction. Alors, doucement, il s'approche, temps la main, offre un sourire rassurant.
- Il a raison. La nuit commence déjà à tomber! Tu auras tout le temps de t'excuser auprès de Valravn quand on sera à l'abri.
Et se sera peut-être aussi l'occasion de demander ce qui s'était passé, pourquoi elle l'avait attaqué comme ça! En espérant qu'au moins elle s'en souvienne...
La luminosité, qui avait déjà commencé à baisser à leur entrée dans la forêt pour chercher Aube, continuait à chuter drastiquement. Cela devenait dangereux de traîner, et Niraen n'avait pas amené de quoi loger deux personnes en plus de lui dans sa tente, qui n'était de toute façon pas assez grande! Le reste se passa de façon assez automatique, Niraen ramenant le groupe hors de la forêt, vers la falaise, et les laissant en compagnie de ses familiers pour monter la garde pendant que lui s'envolait pour essayer de repérer la fameuse cabane. S'ils pouvaient directement aller dans la bonne direction sans risquer de se tromper, se serait quand même l'idéal...
En vol, Niraen ne put s'empêcher de remarquer une forme dans le nid. Un œuf unique, alors que le nid ne semblait plus occupé depuis peu... Curieux et inquiet, il s'approcha, posa la main sur l’œuf.
Il y avait de la vie là dedans. Il s'agissait sûrement d'un œuf de familier, mais il avait moins l'habitude de reconnaître les œufs de ribec... Dans le doute, il prit quand même l’œuf, le rangeant délicatement dans la besace jouxtant le sac sans fond qu'il portait en bandoulière.
Bien lui en prit, car c'est se rapprocher de la falaise qui lui permit de repérer l'arbre surplombant la fameuse cabane. D'un sourire, l'hybride retourna au sol en informer ses compagnons, puis il les guida, utilisant sa nyctalopie à bon escient jusqu'à enfin trouver le fameux abri tant cherché! Le temps ensuite de faire un feu pour chasser le froid, et il était déjà bien minuit passé! Niraen n'avait toujours pas eu le temps de se poser pour manger, occupé à chercher comment faire entrer le grand rapidodo dans la cabane, clairement pas assez haute de plafond pour l'accueillir, et réticent à l'idée de le laisser dehors alors qu'eux tous, Yami et Talja comprit, étaient à l'intérieur.
Commençant déjà à décharger les affaires sur le dos du volatile, ce fut ce dernier qui finit par l'inciter à prendre une pause, le poussant doucement du bec en direction du feu. L'hybride hocha la tête, caressant le cou de l'animal avant de rejoindre les autres autour du feu, sortant de quoi grignoter et le proposant aux autres.
- Tenez, si vous avez faim. Je n'ai amené que pour moi, mais on devrait avoir de quoi se sustenter au moins pour ce soir!
Même lui, il commençait à sentir la fatigue, sentant soudain ses jambes lourdes maintenant qu'il se reposait enfin après une longue journée de marche et d'émotions. Mais avant de parler des évènements du jour, il voulait voir dans quel état étaient ses compagnons de voyage... Et il brûlait de regarder de plus près l’œuf qui attendait dans sa besace. Mais pas tout de suite... Bientôt.
Le temps que l'on arrive à la falaise, la nuit c'était déjà bien installé. J'avais bien essayé de me repeigner grossièrement avec mes doigts afin de cacher à nouveau mes cicatrices, mais j'avais l'impression d'avoir plus attiré leurs regards sur celles-ci qu'autre chose. Fatiguée par toutes ces émotions, c'est à peine si je remarquais l'envol du druide.
Niraen afférait à démarrer un feu, ranger ses sacs, s'occuper de ses animaux, avant de venir s'asseoir près de la cheminée et nous proposer de quoi grignoter. Le désespoir d'avoir perdu leurs confiances et la fatigue m'avait coupé l'appétit. Je grignotais donc tristement un morceau de pain du bout des dents.
Ayant peur de leurs réactions, je ne leurs avais pas adressé un mot depuis. Harassée par tous ces événements, le sommeil me gagna bien vite, aussi, je me roulais en boule sous la cape, me servant des genoux du druide comme oreillers. Suçant une mèche de cheveux, les yeux larmoyants, je m'endormis rapidement
Voyant Niraen s’afférer et le rapidodo rester dehors faute de pouvoir franchir la porte, il traversa la grotte végétale et disparut dans une sorte de petite faille taillée dans la roche tout au fond, il ressortit quelques mètres plus loin, en contrebas et fit signe au druide de venir avec sa monture : une cavité haute de plafond elle, mais assez exigüe avait toujours servi d’écurie aux visiteurs du vieux Frère, lorsqu’ils venaient accompagnés d’une monture.
Il resta un moment en suspens… « les » visiteurs… en fait, un seul venait de façon régulière, un homme dont il n’avait jamais su le nom ni vu le visage en entier, dissimulé sous une ample capuche de chasuble… Un homme dont les visites avaient pour conséquence de l’envoyer récolter des baies, pêcher des poissons rares ou chercher des fagots, pour que les deux adultes aient un moment d’intimité.
Il marqua un arrêt, il avait totalement oublié ces épisodes, peu nombreux en fait…
Il prit sa part des vivres distribués, et voyant Aube grignoter puis s’effondrer sur l’un des lits à même le matelas poussiéreux, emmitouflée dans sa cape, il alla suspendre son lièvre toujours gelé dans le passage qui menait à la grotte-écurie. Il le ferait cuire pour le lendemain, ça leur ferait un bon repas avant de repartir.
Il prit conscience tout à coup que le nid avait été trouvé, la cabane ralliée, leur groupe allait probablement se dissoudre… Il n’avait pas vu le druide s’envoler, lui qui rêvait de voir ce pouvoir, trop occupé à surveiller la fille et à veiller sur elle. Tous les deux, ils retourneraient en ville, vaquer à leurs occupations, tandis que lui entamerait sa retraite, et la quête qu’il s’était assignée.
Se levant, il alla fouiller dans un petit coffret et sortit un peigne en bois orné qu’il posa à portée de la main d’Aube dont il avait remarqué les efforts pour se recoiffer et cacher son visage abîmé… Puis traversa la pièce et ouvrit légèrement la porte. Il se faufila, le ciel était clair, les étoiles le paraient de mille petits feux, la lune était voilée par la brume, le froid mordant… La nuit était bien avancée, passé minuit probablement…
Aussi fatigué qu’il puisse être, il ne saurait pas dormir. Malgré les péripéties du voyage, ses deux compagnons lui manqueraient. Il leva les yeux pour apercevoir le corbeau puis haussa les épaules en souriant, les corbeaux dorment la nuit…
Il se retourna et rentra, tournant une étrange clef dans la serrure… Il n’aurait plus à chercher la cabane comme ça, la clef lui avait été présentée comme magique, permettant de revenir à la porte à laquelle on la liait… Il sourit de nouveau, se morigénant intérieurement d’avoir cru de telles foutaises, mais ça valait la peine d’essayer non ? Après tout, la magie était partout, peut-être était-ce vrai.
A l’intérieur, Aube allongée la tête sur les jambes de Niraen dormait, respirant doucement, apparemment calmée. L’hybride,lui, regardait droit devant lui. S’il paraissait pensif, il ne dormait pas non plus.
Valravn s’assit au sol, le dos contre le deuxième châlit inoccupé. Il ne regardait rien ni personne en particulier, mais ses yeux pâles étaient grands ouverts. Son attitude indiquait qu’il se sentait en confiance, serein. Etait-ce dû à l’endroit, à la nuit, ou au groupe ?
Toujours est-il qu’il faisait face à Aube allongée et à Niraen, assis sur l’autre lit, les jambes emprisonnées par la tête de la jeune fille. Le présent avait une fois de plus gommé le passé, les événements récents, aussi fournis et rocambolesques qu’ils aient été, avaient déjà disparu dans un brouillard de souvenirs épars. Il était immobile, comme hors du temps, à la fois ouvert et inaccessible, un paradoxe qui en fait le résumait parfaitement.
Il faut dire que le solstice d'hiver approchait à grand pas. Une fête importante pour les druides comme pour les habitants d'Aryon en général, mais nulle question ici de préparatifs, ça voulait surtout dire qu'il faisait nuit de plus en plus tôt! Et avec la nuit venaient nombre de bestioles peu amicales...
L'hybride fut rassuré de voir que Zemir aurait un coin où dormir, un peu à l'abri. Il serait un peu à l'écart, mais c'était toujours ça! Le rapidodo était plutôt placide, et volontiers sociable comme solitaire. Il semblait un peu boudeur à l'idée d'être à l'écart, mais il cessa rapidement d'y penser, se calant aussi confortablement que possible pour la nuit.
Plus qu'à finir de s'occuper du feu! Les affaires étaient posées dans un coin, le nécessaire de la soirée déjà sorti. Ils étaient en train de grignoter, mais avant que Niraen n'ai le temps de se tourner vers Aube pour lui demander si ça allait mieux, et avisant selon sa réponse d'éventuelles précisions sur ce qui était arrivé plus tôt, elle s'était déjà endormie, la tête sur ses genoux.
Ah... Ça allait être pratique ça tiens!
Enfin... Il pouvait bien attendre un peu... Il était fatigué, mais il était trop intrigué par l’œuf qu'il venait de récupérer. Initialement, il voulait observer ces animaux très rares, et on ne lui avait pas fait de demande particulière en ce sens... Pour autant, était-ce une bonne raison de le garder? Il y avait déjà Yami, bien sûr, mais aussi Talja et Zemir! Est-ce que ça ne commençait pas à faire un peu beaucoup?
Mais en même temps... Il ne pouvait pas nier que l'idée lui plaisait. Si Lucy avait mit cet œuf sur sa route, c'était sûrement comme pour le rapidodo : ce n'était pas un hasard! Mais quel non pourrait-il lui donner alors?
Et pourquoi pas... Likva?
Crac!
Le druide se figea. Il déplaça doucement Aube, l'installant pour la nuit et la couvrant avant de sortir avec mille précautions l’œuf de sa coquille, pour voir une fente dessus alors qu'il ne le tenait pas dans se mains à ce moment là.
- ... Likva? Chuchota-t-il pour ne pas réveiller Aube.
Nouveau crac plus marqué, et un bec, puis une tête finirent par apparaître de la coquille, suivit par des plumes et un pelage duveteux. De petits yeux se fichèrent dans ceux de Niraen, regard emprunt de curiosité et de confiance.
- Papa? Manger?
Niraen resta bouche bée. Il savait que certains familiers pouvaient parler, bien sûr! Mais... Dès la naissance? Et... "Papa"?!
Là, quelque part à l'intérieur de sa cage thoracique, son cœur avait fondu.
- Je... Oui, je, attends... Tiens!
Il lui proposa un bout de viande séchée que le nouveau né goba avec avidité avant de le fixer, tête penchée.
- Encore? Likva toujours faim!
Niraen essaya deux trois autres choses, pour commencer dès maintenant à varier un peu, les ribec n'étant pas carnivores stricts. Cherchant des idées du regard pour éviter de finir le peu qu'il restait, il finit par voir le lapin trouvé par Valravn. Cherchant du regard l'approbation du jeune homme, il se hâta d'aller le chercher pour le préparer comme il pouvait, malgré qu'il n'ai pas encore fini de dégeler.
Du coin de l’œil, il surveillait Yami et Talja qui faisaient connaissance avec le petit ribec... Qui insistait également mentalement pour communiquer sa faim.
Ok, donc il parlait verbalement ET mentalement.
Talja semblait un peu jalouse, se mettant à réclamer à son tour... Sauf qu'il avait nourrit ses familiers avant lui-même, aussi Niraen lui fit les gros yeux, avant de nourrir Likva avec de petits bouts, ordonnant aux deux autres de ne pas chiper. Pour Yami, ça ne posait pas trop de soucis, pour Talja déjà un peu plus, donc ça ne lui ferait pas de mal! Et à la fin, ayant été assez sages, il leur donna un petit bout chacun. Il restait encore plus de la moitié du lapin, aussi le mit-il de côté entouré de feuilles pour le lendemain après que Valravn se soit servit dessus, histoire d'éviter qu'il ne carbonise au-dessus du feu. Tout paraissait prêt pour dormir, alors il commença à s'installer... Et le suiky, catosor et ribec s'endormirent presque aussitôt sur lui, chacun à un endroit différent, rendant le duvet du druide presque superflu. Bon bah...
Il n'avait pas trop osé parler avec Valravn, prit par Likva et ne voulant pas réveiller Aube, alors il se contenta d'un dernier salut si jamais il était encore réveillé avant de s'endormir.
Bonne nuit Likva, Talja, Zemir, Yami, et bien sûr Valravn et Aube.
Nuit papa! Répondit Likva pour les autres.
Un sourire attendri aux lèvres, l'hybride ne tarda pas à s'endormir, fatigué par la journée, mais de la bonne fatigue de celui qui s'est donné les moyens d'accomplir ses objectifs, et qui a réussit...
Doucement, je relevais la tête, observant mes deux compagnons endormis. Je me levais délicatement et à petit pas de Loupain, je me glissais aussi silencieuse qu'une souris en dehors de la cabane suivis de près par Yami qui voulait sûrement veiller sur moi. Il avait encore neigé dans la nuit et une épaisse couche de neige recouvrait le sol.
Assise sur un banc devant la fenêtre, j'en profitais pour sortir ma brosse afin d'arranger ma coiffure et cacher à nouveau mes cicatrices. Un coup d'œil à l'intérieur me permit de voir que le druide et Valvarn semblaient encore endormis. Yami, allongé à mes pieds, me surveillait du coin de l'œil. Les yeux fermés, j'écoutais avec bonheur les chants matinaux des oiseaux s'estompant progressivement.
Sous l'œil intrigué de Yami, je m'évertuais pour faire trois boules de différentes tailles avant de les empiler. Deux écorces de bois taillés en guise d'oreille, une longue branche de sapin que j'élaguais légèrement, me permis de faire la queue deux petites branches mortes pour représenter les bois, je plaçais deux châtaignes pour représenter les yeux et je finis par représenter les ailes avec deux autre branche particulièrement bien fournis.
Une fois ma tâche accomplit, je reculais admirant fièrement mon œuvre, réalisant par la même occasion à quel point il faisait froid. Avisant un tas de bois posé contre un des murs extérieurs de la cabane, j’entrepris de prendre une grosse bûche et quelque petit branchage, toute joyeuse, je rentrais les bras chargés et entrepris de faire redémarrer le feu.
Il respira longuement, elle était revenue, et indemne. Il regarda le peigne qu’elle avait laissé un peu plus loin sans le prendre et se redressa, écartant le sommeil d’un coup de volonté.
- Tu peux le prendre… Je crois qu’il était à ma mère, enfin à ce qu’on m’a dit.
Il réalisa qu’il avait continué à penser sans la saluer ni préciser de quoi il parlait, aussi bredouilla-t-il un « bonjour » embarrassé et montra-t-il l’objet.
- Il fait froid dehors pour une fille de la ville, tu aurais dû la garder -il montra sa grande cape en boule sur le lit- avant de l’avoir je ne me rendais pas compte que c’est si important d’avoir chaud.
Il sourit et ses yeux comme à chaque fois qu’il se laissait aller à exprimer une émotion brillèrent, lançant un éclat de ce curieux jaune-vert qui était leur couleur. Dans ces moments-là, son visage ingrat reflétait la pureté et la jeunesse de son âme, le montrant à découvert, incapable d’une cruauté ou d’un acte mauvais.
Il se leva et entrouvrit la porte à son tour, son sourire s’élargit en voyant la sculpture de neige mais il n’ajouta rien. Refermant pour ne pas laisser entrer trop de froid, il laissa son regard traîner sur le druide à demi disparu sous sa nombreuse famille…
- Tu as vu ? l’œuf n’en est plus un… -il montra la coquille brisée restée au sol, et la petite boule de poils plumeux accrochée à Niraen- il va lui falloir une tente plus grande s’il continue à adopter…
Ramassant le peigne toujours sur le lit il le présenta à Aube, les deux mains ouvertes, en « offrande » et s’inclina légèrement.
- Ça me ferait plaisir que tu le gardes… Il n’a aucune valeur, enfin marchande, mais c’est une des rares choses que je possède et tu m’as aidé, sans rien demander…
Il avait totalement occulté l’épisode du couteau sur la gorge et les remontrances de la soigneuse quand il refusait d’obéir à ses injonctions thérapeutiques… Ne restait dans sa mémoire que ce fait : elle l’avait aidé, sans se faire payer, sans y être obligée, sans le juger…
- S’il te plait ? On va dire que c’est pour fêter le solstice d’hiver ? Je crois qu’on offre des présents non ?
Il attendit, restant à distance, le cadeau dans les mains. Tournant la tête vers l’hybride qui sommeillait toujours sous sa couche de familiers, il se demanda s’il l’aiderait à trouver un tout petit feupagnol…
Au dehors, le corbeau perché sur le grand arbre blanc lança un croassement tonitruant, annonçant le lever du soleil et signifiant que c’en était fini de rêvasser…
Papa? Manger?
Ah oui, c'est vrai... Niraen caressa distraitement la tête de Likva avec un sourire. Tu peux attendre encore un peu? On est bien ici non? Hein Talja? La catosor se contenta d'un petit miaulement, signe qu'elle continuerait volontiers à dormir encore un peu plus. Forcément, elle était plus âgée, elle avait donc besoin de manger moins souvent.
L'hybride entendait vaguement Aube s'affairer dehors. Se réveillant petit à petit, il se rappela d'hier, mais elle ne semblait pas s'éloigner, alors... Juste construire un bonhomme de neige? Il avait rêvé l'incident d'hier? Non, clairement pas... Enfin, si ça allait mieux, c'était l'essentiel!
Non loin, Valravn était également réveillé, et se leva d'ailleurs plus vite que le druide! Au début, il essaya tant bien que mal de ne pas écouter sa conversation avec Aube, mais il était bien réveillé maintenant, et son ouïe étant ce qu'elle était... Essayer de se distraire en s'assurant par télépathie que ses familiers, dont Zemir, allaient bien fini par ne plus suffire, surtout quand le mot "œuf" fut mentionné.
Talja ne manifestait aucune envie de se lever, naturellement, et le ribec aurait sans doute fait de même si son estomac n'en avait pas décidé autrement. Il observa les deux humains, curieux, avant de tapoter la joue du dresseur.
- Papa? Faim?
- Oui, pardon, j'arrive...
Niraen était du genre lève tôt d'habitude, mais ils s'étaient couchés plus tard que prévu, après une longue journée riche en émotions... Disons qu'il n'était jamais contre traîner un peu au lit, surtout qu'ils étaient dans un abri un peu plus sûr que prévu! Enfin! L'hybride se leva doucement, saluant les deux autres et sortant une minute respirer l'air frais et pour avoir la place d'étirer ses ailes avant de rentrer s'occuper du petit déjeuné pour ses familiers, saluant également Yami au passage qui venait lui dire bonjour.
- Bien dormi vous deux? Au fait Valravn, pourquoi tu gardes encore l'atèle et les bandages? Tu n'en as plus besoin non?
D'ici, il pouvait deviner qu'il semblait remis. Un petit coup d’œil de plus près ne serait sans doute pas de trop pour s'en assurer, mais vu sa simple démarche et l'odeur de cicatrisation, ça devrait aller. Et ce n'était pas la seule chose dont il souhaitait parler... Bon, autant éviter de reparler de l'incident d'hier pour l'instant, il ne voulait pas risquer de mettre une mauvaise ambiance dès le matin, et tant pis pour sa curiosité - et le fait que savoir ce qui pouvait déclencher de tels comportements serait mieux pour leur sécurité à tous, aussi - mais il y avait un autre point qu'il voulait aborder.
- Si ce n'est pas indiscret, qu'est-ce que vous allez faire à présent? Je comptais rester un peu dans les environs pour observer, mais avec Likva, se serait sans doute mieux de rentrer rapidement.
Déjà pour des questions de nourriture, mais aussi et surtout parce qu'il n'avait pas particulièrement ce qu'il faut et qu'il était un peu inquiet. Certes, c'était son milieu naturel, et il n'était pas tout seul pour surveiller les environs, mais quand même... Être en vadrouille n'était pas l'idéal pour s'occuper des premiers jours de vie d'un ribec blanc, même si se serait sûrement une riche expérience pour lui!
Val pris le peigne en bois que j'avais remarqué le matin, il me le présentât comme un cadeau pour l'avoir aidé. Devant mon hésitation à le prendre, il insista en me le tendant. C'est avec un grand sourire et les yeux pétillants que je me jetais à son cou que trop heureuse que l'on m'offre un cadeau, dans mon élan de bonheur, j'allais même jusqu'à déposer un rapide baisé sur sa joue, ce qui eu pour effet de le faire devenir aussi rouge qu'une tomate.
Couleur, qui moi aussi me montât aux joues quand je sentis le regard du druide posé sur nous dans mon dos et qu'il se mit à parler alors que je le croyais encore endormi. Pour cacher ma gêne, je me baissasse vers la cheminée, soufflant sur les braises afin que les branchages se mettent à brûler, laissant le druide s'occuper du bandage de Val. Le feu reprenant doucement, j'entrepris d'écarter quelques braises afin de faire griller mes châtaignes et de rajouter une bûche de bois dans l'âtre avant de m'asseoir devant.
Comment ça que faire à présent ?
Ils comptaient partir, ils allaient me laisser seule, pour me punir ? Je me concentrais sur mes châtaignes qui devaient maintenant être cuite afin de calmer une crise de larmes menaçant de me submerger. Je me retournais les yeux embués, regardant Niraen d'un air contrit, tout en décortiquant tristement une châtaigne grillée.
Tu t'en vas déjà?
Empourpré, il ne savait trop comment se comporter et paraissait soudain gauche et emprunté. Son sourire était resté sur ses lèvres mais semblait figé dans le marbre. Voyant Aube rougir aussi, il se retourna et croisa le regard de Niraen, stoïque.
Il espérait que le druide, tout à ses compagnons animaux, n’avait rien vu mais doutait quand même fortement. La joie d’Aube -si elle lui faisait plaisir à lui aussi- n’était pas spécialement discrète, et malgré son attitude réservée, leur compagnon avait probablement tout saisi.
Pendant qu’elle s’affairait, trouvant tout à coup le feu particulièrement captivant, et les châtaignes irrésistibles, lui-même bredouilla en réponse à la question de l’hybride :
Je vais rester ici quelques temps, j’ai à faire. Ensuite, j’essaierais de trouver un feupagnol, j’aimerais bien un compagnon plus…
Il chercha ses mots, le corbeau le suivait depuis son enfance, ils communiquaient ensemble grâce à la bague que Valravn avait reçue dernièrement, mais même avant ils arrivaient à se comprendre par la force de l’habitude… Mais c’était un corbeau sauvage, pas du tout le soigne-âme qu’il avait cru trouver quand il était enfant, il lui arrivait de s’envoler pendant des jours, parfois à des moments où le garçon aurait eu terriblement besoin de compagnie…
Enfin je voudrais ne plus être complétement seul… Un feupagnol, c’est petit, débrouillard, ça ne mange pas beaucoup… Même moi je dois pouvoir lui fournir ce qu’il lui faudra.
Il se retourna vers Aube, tout à coup paniquée par le départ possible de Niraen.
Vous pouvez rester un peu si vous voulez, on trouve encore assez facilement à manger à cette saison. Par-contre, plus on avance dans l’hiver et plus le retour en ville sera dur, la neige n’oublie pas de tomber ni le gel de tout glacer et de faire disparaître les repères. Les brumes vont bientôt tout envahir, le bruit sera étouffé et déporté, et les prédateurs auront faim.
Il énonçait des vérités, en aucune façon il ne voulait les épouvanter ni les forcer à fuir, juste, cette contrée était son seul chez lui, les hivers, il en avait passé plusieurs, ce qu’il avait décrit, il l’avait vu et vécu.
Si vous restez vous êtes les bienvenus, si vous partez je peux vous accompagner un peu, jusqu’à la limite de la forêt de plaine.
Il les regarda l’un après l’autre, et laissa ses yeux pâles traîner sur la catosor, le chien, le nouvel arrivé.
Si tu veux aller voir ton rapidodo tu peux passer par l’intérieur -Il montra la faille à peine visible dans la roche, il réfléchit et hésitant ajouta- Il y a des passages qui mènent l’un pas loin de l’arbre sacré et l’autre, à ce qu’il paraît, près de la forteresse, mais celui-là je ne l’ai jamais emprunté. Le vieux Frère m’avait dit de ne jamais en parler… Mais il n’est plus là. En fait, il n’y a plus que moi…
Parler lui avait permis de chasser son trouble, et c’est souriant et calme qu’il attendit leurs réponses.
Penchant la tête sur le côté, l'hybride sourit devant le souhait de Valravn de trouver un feupagnol. Aussi intelligents que soient les corbeaux, ils gardaient une certaine indépendance, encore plus dans le type de relation qu'il avait deviné entre lui et le jeune garçon, alors il pouvait comprendre un tel souhait.
- C'est sur que parmi les familiers, il fait parti de ceux qui mangent le moins! Mais certains peuvent aussi trouver ou chasser leur nourriture eux-même si on leur en laisse l'opportunité.
En ville c'est souvent un peu plus difficile, et la préoccupation des gens d'être capable de subvenir aux besoins de leur animal en devient plus pertinente, mais pour des gens vivant dans la nature ou à proximité, il n'est pas rare que leurs familiers trouvent d'eux-même une partie de leur nourriture! Enfin, le druide agita les oreilles, amusé.
- Ça ne devrait pas être très dur d'en trouver dans le coin en tout cas! Quoique les tanières peuvent être assez difficiles à trouver, ce sont de petites bêtes après tout.
Et il fallait bien sûr pouvoir distinguer leur tanière de celle d'autres créatures, de même que savoir reconnaître leurs œufs - qui étaient donc forcément des œufs de familiers puisque les spécimens sauvages ne naissaient pas ainsi - mais c'était assez simple à distinguer, il suffisait après tout de vérifier la présence de traces de brûlure ou non!
En revanche, ce qu'il n'avait pas anticipé, c'était la réaction d'Aube à son potentiel départ, alors qu'il commençait à nourrir ses familiers, assit non loin d'elle. La voir les larmes aux yeux lui fit agiter une oreille, gêné. Mais avant qu'il n'ai pu expliquer ne pas vouloir s'imposer, Valravn lui devança, ôtant une de ses raisons pour rentrer rapidement, ce qui le fit s'arrêter et réfléchir quelques instants.
- Hé bien, si ça ne gêne pas, je peux rester quelques jours de plus! J'aimerais observer la faune des environs avant de rentrer. Et toi Aube? Je suppose que tu veux rester aussi si tu étais déçue à l'idée que je parte?
Se redressant pour apercevoir la faille, qu'il avait déjà remarquée à cause des bruits et courants d'air, il hocha malgré tout la tête, ne réalisant vraiment que maintenant que l'odeur de Zemir venait de là - il se doutait bien qu'il n'était pas loin après tout donc il n'y avait pas réfléchit plus que cela avant - et il se leva pour aller rapidement le voir, le ramenant devant la maison pour qu'il puisse aller explorer un peu si ça lui chantait, lui demandant juste de rester à portée de télépathie avant de retourner auprès des autres terminé de nourrir un Likva affamé qui ne cessait de répéter "Faim! Faim!", se tournant même vers Val et Aube dans l'espoir qu'un des deux le nourrisse pendant le peu de temps où Niraen avait été absent.
- Merci pour la visite! Et le raccourci jusqu'à la forteresse pourrait m'intéresser, je n'ai jamais eu l'occasion d'y rester très longtemps, à mon grand regret...
Il faut dire que ce n'était pas l'endroit où l'on faisait le plus souvent appel à lui, ils devaient avoir leurs propres spécialistes, et la zone au-delà de la frontière était difficile d'accès. Il avait beau la savoir très dangereuse, il avait malgré tout très envie d'y aller pour y observer la faune locale... En espérant en revenir en un seul morceau!
Devinant également à sa formulation que le vieux frère dont parlait Val devait être décédé, le sourire de Niraen s'atténua un peu, mais leur hôte ne semblait pas en faire trop de cas alors il ne releva pas, préférant finir de s'occuper de Likva histoire de pouvoir enfin passer à Talja, qui miaulait de temps en temps par jalousie même après que l'hybride lui ai expliqué pourquoi le ribec passait en premier, et enfin il pourrait s'occuper de son propre estomac!
Hé bien, une fois tout ceci fait, ils auraient tout intérêt à aller chercher à manger, vu leur nombre et le nombre de bestioles présentes avec eux, leurs réserves n'allaient pas faire très long feu sinon, et il n'aurait plus rien pour le trajet du retour! Et rien que ça, ça justifiait sans doute de rester encore un peu... Mais pas trop, le pauvre Zemir risquait de finir par souffrir du froid sinon!
Dehors, le druide était parti sortir Zemir, le rapidodo. Rassasiée, réchauffée, je le rejoignis et profitais qu'il soit occupé avec son familier pour lui lancer une boule-de-neige. Mon projectile atteignant son but, je m'écartais rapidement en riant pour aller me cacher derrière mon bonhomme. J'en préparais même une seconde derrière mon abri improvisé.
Il se lassât bien vite du jeu afin de retourner auprès de likva qui cherchait de la nourriture dans les moindre recoin de la cabane. Dans notre abri régnait désormais une douce chaleur dégagée par le feu. N'ayant pas remarqué que j'avais fermé la porte au nez de Yumi, il fut presque aussi heureux de me revoir que Niraen.
Je retrouvais ma place près de la cheminée, caressant le chien allongé à mes pieds. Ce n'est pas que je serais déçue de le voir partir, mais plus que sa présence me rassurais d'autant plus que ses familiers me rappelaient ma jeunesse dans la forêt. Innocente, ne comprenant pas complètement le sens de sa question, je lui répondis enthousiaste
Rester ici ? Avec vous deux ? Oh oui !
Il en avait tellement vu des gens qui "vous aideront de bon cœur", lorsque tu es encore dans leur angle de vision, et qui t’oublient dés qu’ils ont tourné les talons…
Quant à Aube… Franchement, elle le déconcertait. Il ne voulait pas s’avouer qu’elle l’intéressait… Mais il y avait en elle tant de contradictions, tant de mystères, d’abord ces sautes d’humeur… Bien qu’ayant presque totalement occulté l’épisode, il passa la main sur son cou et l’onguent caché par un pansement de fortune… Qu’est-ce que cette fille cachait ? Elle était loin de n’être que la soigneuse autoritaire du dispensaire… D’ailleurs, depuis combien de temps en était-elle partie pour le suivre ? Valravn était incapable de mesurer le temps, un jour succédait à un autre, les saisons passaient, les années aussi probablement, mais quelle importance ?
Livka semblait mort de faim, Valravn pouvait comprendre ça, il se leva doucement et alla dépendre de son crochet suspendu au plafond le restant du lièvre -presque rien- qu’il avait conservé. Sortant sa dague, il en coupa de fines lamelles pendant qu’Aube dehors bombardait Niraen de boules de neige à en croire le bruit et ses rires. Le petit bec avide saisit et engloutit la nourriture, se moquant bien que la proie soit cuite et de qui distribuait la nourriture. Valravn regarda à faire des portions plus petites, le petit ribec manquant s’étouffer en avalant goulument. Il se dit que Niraen devrait aussi lui apprendre à ne rien prendre de la main d’un étranger.
Il sourit de nouveau, la tranquillité des montagnes, la chaleur de la cabane, dehors des bruits d’humains heureux… Il se retrouva un instant dans un passé impossible à situer.
Dans son souvenir brumeux, le vieux Frère tentait de faire entendre raison à un nouvel arrivant désireux de célébrer un office pour Lucy.
« Ici Lucy n’est pas chez elle, elle ne peut rien contre les forces de la montagne… Faites mon ami, mais ne vous étonnez pas qu’elle n’entende pas vos prières, ce sont les esprits qui couvrent votre voix… »
Comme l’homme ne comprenait pas, le Frère éclata de rire et balaya ses paroles d’un geste, pas la peine de s’appesantir semblait-il dire, le dieu qu’on honore n’a pas d’importance du moment qu’on croie et place la foi en lui…
Sorti de ses rêveries par un coup de bec impérieux, il donna à Livka la lanière de viande suivante et faillit laisser un bout de doigt avec !
Eh ! Espèce de goinfre ! Fais attention !
Niraen et Aube entraient, l’une avec des yeux pétillants, l’autre quelque peu mouillé… Livka le laissa choir illico, se précipitant sur son « père ».
Valravn avala la dernière lanière de viande, le lièvre n’étant plus qu’une carcasse d’os raclée au point de paraître polie par le temps.
Il regarda les arrivants sans un mot, non pas par manque d’intérêt mais parce qu’il ne ressentait pas le besoin de parler. Comme Aube, il se rapprocha du feu et profita de la chaleur, bercé par le bruit du bois qui claquait dans la cheminée.
Quel que soit l’avenir dont ils décideraient, les deux autres étaient les bienvenus comme il l’avait déjà dit. Lui, s’enfoncerait dans les brumes dès leur départ, pour trouver la réponse qu’il était venu chercher.
Secouant la tête, le druide se retourna, un grand sourire revanchard sur les lèvres, et mit un point d'honneur à éviter toutes les boules de neige suivantes. On pouvait l'avoir une fois, rarement deux à ce petit jeu!
Les appels mentaux des deux estomacs sur patte restés à l'intérieur eurent cependant vite fait d'écourter la séance, et le druide rentra à l'intérieur s'occuper d'eux... Tout ça pour constater que Likva avait déjà réussi à amadouer Valravn pendant sa courte absence, faisant lever les yeux au ciel au druide.
Bah. Comme ça au moins c'était fait! Niraen pouvait désormais s'occuper de la catosor avant d'enfin pouvoir grignoter les restes de ses réserves de nourriture, Likva sur ses épaules et Talja sur ses genoux, avant de proposer aux autres d'aller chercher du bois et de la nourriture. Et qui sait, il réussirait peut-être à faire quelques observations intéressantes et trouvailles de plantes locales au passage!
Il gardait aussi dans un coin de sa tête de parler à Aube de l'incident de la veille, même si elle semblait être passée à autre chose tout comme Valravn... Entre ça et les nombreux animaux les entourant, ce petit séjour en montagne risquait d'être mouvementé!