Violette ne savait pas vraiment où cette vieille harpie en était, mais ce qu’elle savait, c’était qu’elle n’avait aucune envie de reprendre l’entreprise familiale, aucune envie de continuer à apprendre les inepties qui n’arrivaient de tout de façon pas à rentrer dans sa tête. Alors c’était un petit matin de la saison fraîche qu’elle s’était éclipsée du domicile familial sans mal à l’aide de son pouvoir, aux aurores.
Ce n’était à la base qu’un simple coup de tête, et elle s’était assez vite retrouvée à errer dans des rues très peu familières de la capitale qu’elle avait au final assez peu connues dans son isolation. Elle n’avait aucune idée d’où elle était censée aller, et n’avait pas le moindre cristal sur elle, ni le moindre équipement. Uniquement une robe - seuls vêtements qu’elle avait à cette époque - et quelques barrettes et rubans pour ses cheveux. Stupide qu’elle était, elle avait oublié de prendre avec elle le moindre objet de valeur puisqu’ils ne lui avaient jamais vraiment appartenus de tout de façon. Ne serait-ce pas une sorte de vol que de revendre ce qui était plus à sa mère qu’à elle-même?
…
Deux jours plus tard, la nuit approchait dans les alentours de la capitale. Sa robe autrefois immaculée faisait maintenant plutôt pâle figure après ce tour dans les bois. Elle avait trouvé plusieurs plantes, mais ne savait pas si elles étaient comestibles ou non. Pourtant elle avait faim. Tellement faim, et tellement froid aussi. Les nuits étaient tellement fraîches lorsque le domestique n’était pas là pour raviver le feu de cheminée dès que nécessaire…
Elle en avait déjà passé une dehors et avait eu l’impression qu’elle allait mourir. Là, à l’orée d’une forêt bordant la capitale, elle se disait que ses chances étaient de plus en plus minces aussi. Elle avait tellement faim, aucun marchand ne faisait dans la charité, surtout en voyant sa robe, la prenant pour une folle ou une arnaqueuse particulièrement peu douée. Elle avait aussi soigneusement évité la garde qui n’aurait pas hésité à la renvoyer chez elle une fois sa disparition avérée…
Un gros bol de chamallows au coin d’un feu, et une immense tasse de chocolat chaud pour la réchauffer. C’était ce dont elle rêvait en grelottant sous une vieille souche, alors que la neige menaçait de tomber à tout moment. Devait-elle rentrer? Le pouvait-elle seulement encore? La correction qu’elle allait sûrement recevoir serait alors tellement grande qu’elle préférait encore souffrir la martyre que d’oser remettre les pieds dans ce maudit manoir. Devait-elle voler de quoi subvenir à ses besoins? Était-ce là la seule solution? Même en tant qu’aventurière, elle n’avait aucune chance d’y être acceptée. Elle ne savait ni soigner, ni se battre, ni rien apporter d’utile du tout à ces gens, à vrai dire…
Le bruissement des feuilles mortes la tira de ses pensées, elle releva la tête, à moitié paniquée, encore dissimulée de cette personne en train d’approcher. Les pas semblaient réguliers, humains, il lui semblait, même si elle n’en était pas sûre du tout. Mais après tout, elle n’avait plus grand chose à y perdre, et peut-être que ce voyageur pourrait la renseigner sur les différentes plantes et baies qu’elle avait déniché. Étaient-ils comestibles ou non?
« B.. Bonsoir? Il y a quelqu’un? » bredouilla-t-elle d’une voix hésitante tout en essayant de jeter un petit coup d'œil timide sur le côté de la souche. Dans le même temps, son ombre venait de détaler à toute allure à travers les sous-bois : Si cette personne lui voulait du mal, elle pourrait toujours prendre le parti de s’enfuir à toute vitesse. Même si elle n’était elle-même plus vraiment certaine d’être capable de cette prouesse dans son état. A moitié couverte de boue, tremblante et affamée, elle n’irait sûrement pas bien loin...
Cela faisait déjà une lune qu’elle trainait à la Capitale et son besoin de changement l’avait reprise il y a un peu plus d’une semaine. Sans trop pouvoir se l’expliquer, la jeune femme avait ressentie le besoin de passer un peu de temps en forêt. Même si elle aimait tout particulièrement l’ambiance animée de la Capitale elle avait aussi à cœur de passer du temps en pleine nature, jugeant que c’était un bon entraînement.
Lilith s’était donc installée dans les bois proches de la capitale. Puisqu’elle se connaissait bien et savait qu’elle aurait sûrement envie de bouger un peu dans ces bois plutôt que de rester toujours au même endroit, elle avait profité d’une grotte dont elle avait tué l’ours y résidant. Ainsi elle avait un abri simple, ne lui ayant demandé quasiment aucun travail -bien qu’elle ait un peu aménagé les lieux- et qu’elle pourrait quitter aisément si l’envie s’en faisait sentir.
La nuit allait bientôt tomber et il était temps pour l’aventurière de se trouver un repas. Elle avait repéré, plus tôt dans la journée, dans porc-becue dans les alentours. Si elle en attrapait un elle aurait de quoi se nourrir pour plusieurs jours. Et l’avantage de porc-becue était qu’ils n’avaient pas besoin d’être cuisinés, ce qui était un plus pour Lilith dont les talents de cuisinière était à revoir. Trouver et se faire à manger était une chose, cuisiner de manière à donner du goût aux plats en était une autre. Son choix était donc fait : elle allait chasser un de ces porc-becue et s’en nourrir pour les repas à venir.
Vête d’une fine tunique noire, moulante, par-dessus laquelle reposait son armure métallique et armée d’une bardiche, elle suivait les traces de pas dans la terre et tâchait de repérer une odeur de feu ou de fumée trahissant la présence proche des porc-becue. La piste l’avait bien menée à son futur repas mais, alors qu’elle avait enfin la bête en visuel, elle entendit une voix appeler. Une voix aigüe, assez faible, qu’elle identifia comme celle d’une jeune fille. Lilith se retourna vers l’origine du son et découvrit en s’approchant un peu une adolescente couverte de boue et tremblotante recroquevillée derrière une souche imposante. Elle rejoignit la gamine en vitesse et posa sa main sur bouche pour lui demander de se taire en lui désignant le porc-becue assoupie à une dizaine de mètres de là, derrière les feuillages.
- Tais toi, tu vas réveiller mon repas. Voix basse mais ton ferme, Lilith tentait de bien faire comprendre l’instruction. - Ne bouges pas et ne fais pas de bruit, j’en ai pour un instant.
L’aventurière libéra alors la bouche de l’adolescente et contourna pour prendre le porc-becue à revers en tâchant de rester discrète. Une fois à côté de lui elle leva son arme et l’abattit un coup sec et précis sur la gorge de l’animal pour l’abattre en une fois fois. A ce qu’on disait les porc-becue était meilleur lorsqu’ils n’étaient pas stressés, il fallait donc les battre d’un seul et unique coup. Et elle n’avait de toute façon aucune raison de faire souffrir cette bête. Une fois l’animal abattu, Lilith fit signe à la gamine de la rejoindre.
- Sors de ta cachette petite, t’as l’air de rien avoir avalé depuis des jours et y a bien assez de viande pour deux là-dessus. Je campe un peu plus loin, viens donc manger un morceau. T’en profiteras pour me dire ce que tu fais toute seule dans cette forêt.
Cette adolescente ne semblait pas vraiment là de son plein gré ; elle n’avait ni l’allure d’une garde ni d’une aventurière ni de qui que ce soit susceptible de venir seule en forêt pour une quelconque raison. Non elle plutôt les airs d’une jeune fille complètement perdue et affamée. Le bon sens dictait à Lilith de s’inquiéter un minimum de son état et de lui offrir un repas.
En attendant que la jeune fille se décide, elle sortit de son sac des cordages pour attacher la bête et la ramener jusqu’à son petit campement.
Le hasard, le destin ou Lucy elle-même - peu importait vraiment dans l’esprit de Violette tant les trois semblaient intimement liés - avait néanmoins mis sur sa route une femme, encore assez jeune, même si déjà bien en dehors de l’adolescence. Peut-être un peu stricte et surtout occupée dans ce coin perdu. En l’ayant vu approcher de la sorte elle avait hésité un instant à utiliser son pouvoir pour s’enfuir… Mais avait fini par se raviser malgré la petite lueur effrayée qui avait traversé le regard de la petite noble.
Son regard suivit alors celle qu’elle venait de voir, disparaître derrière la végétation jusqu’à entendre un bruit de lame tranchant quelque chose, ce qui, d’ailleurs, ne la rassura pas vraiment. Néanmoins, l’odeur qui arriva ensuite assez rapidement jusqu’à elle était - elle - bien plus rassurante. Et vu à quel point elle avait faim, elle passa outre sa méfiance et s’avança tranquillement pendant que l’aventurière s’affairait à traîner sa proie.
Violette n’avait toujours pas son ombre, ayant encore un peu de mal à faire vraiment confiance à cette personne. En tout cas, elle ne comptait clairement pas tout lui racontait, à tous les coups elle risquait de profiter pour la ramener chez elle - ou du moins essayer - et éventuellement toucher une récompense de la part de sa mère. Une récompense certainement assez alléchante pour que n’importe quel mercenaire la considère au minimum rapidement. Après tout, il suffisait juste de ramener une adolescente sans défense à sa maison… Et elle la connaissait assez bien pour savoir quels moyens elle utiliserait pour la retrouver.
C’est donc dans un premier temps sans un mot qu’elle s’était avancée, clairement méfiante. Pouvait-elle vraiment lui faire confiance? Mais elle devait tout de même lui donner des explications. Et son ventre désespérément vide était plus que tenté par le gros tas de viande cuite qui venait d’être chassé.
« C..C’est un porc-becue? » demanda-t-elle tout de même, n’étant elle-même pas vraiment certaine de ce qu’était cette créature. Comme beaucoup de choses, elle en avait entendu parler mais n’en avait jamais vu en vrai, et c’était le premier animal sauvage non urbain qu’elle voyait de sa vie. Enfin, mort, dans ce cas, sa présence vivante lui avait complètement échappée alors qu’elle était recroquevillée sous sa souche.
Alors qu’elles approchaient du camp, une Violette toujours sans ombre, clairement hésitante et apeurée, finit par se décider après plusieurs secondes de sa réponse.
« J’étais dans un convoi vers le Village Perché et … Et je me suis enfui quand on a été attaqués par des bandits, puis je me suis perdue! » déclara-t-elle alors de façon pas très convaincante, même si jouer la jeune femme paniquée n’était clairement pas un souci vu son état d’esprit en ce moment. Finalement, c’était le meilleur mensonge qu’elle avait réussi à trouver même si elle ignorait sûrement que des bandits si proches de la capitale était une chose plus que rare. Tout cela était une sorte de plan très mal ficelé pour éventuellement se faire amener au Village Perché. Loin de la capitale. C’était la priorité.
Néanmoins, ce n’était pas certain que son mensonge ne tienne bien longtemps. Elle avait certes l’air d’être complètement perdue en forêt, mais face à quelqu’un qui semblait s’y connaître, dans sa tenue noire et son armure… Elle n’était pas certaine de réussir à tenir ces apparences bien longtemps. Même si l’apparence de la jeune femme tromblotante de froid, affamée et assoifée, c’était là trois critères où elle avait tout bon.
Sur ces mots, Lilith ouvrit la marche menant à son campement tandis que le silence -seulement perturbé par les bruits des animaux environnants et du sol sous leurs pieds- reprit ses droits. Entre l’armure et le porc-becue à trainer derrière elle, Lilith n’avait même pas besoin de beaucoup ralentir la cadence pour s’adapter au rythme de celle l’accompagnant. Elle marchait d’un air serein et restait en alerte vis-à-vis des alentours. Nul doute que le tas de viande qu’elle transportait derrière elle attiserait la convoitise de quelques animaux sauvages s’ils passaient à proximité. Alors elle se tenait prête à repousser les charognard potentiels désireux de lui voler son repas. Mais à défaut d’animaux sauvages affamés, Lilith remarqua autre chose. Un détail intriguant sur la jeune fille l’accompagnant. Celle-ci semblait ne pas avoir d’ombre. L’aventurière s’était d’abord dit qu’elle n’avait simplement pas vu d’ombre car elle devait être mêlée à celle des nombreux arbres les surplombant. Mais à l’approche du camp elles passèrent pendant quelques mètres par une zone un peu plus dégagée et Lilith constata une nouvelle fois cette absence d’ombre. Étrange. s’était-elle simplement dit, gardant cela pour elle pour le moment. - Le Village Perché hein ? C’est à environ une semaine de marche d’ici. Tu sais ce qui est arrivé au reste de ton convoi ? Lilith avait un peu de mal à voir comment cette jeune fille qui paraissait totalement sans défense au premier coup d’œil avait pu échapper aux bandits mais elle avait bien l’air d’être complètement perdue en tout cas. Et puis ce genre de fuite n’était pas totalement impossible non plus. Si son convoi était un convoi marchand, les brigands en avaient sûrement plus après les richesses transportées que les personnes voyageant avec. Certains détails ne collaient pas. Le manque de gros bras pour se défendre des bandits ou même la simple présence de tels bandits dans une zone si proche de la Capitale. Mais puisque l’adolescente avait bien la tête de l’emploi, Lilith décida de lui accorder le bénéfice du doute en attendant d’en savoir plus. Même si elle avait l'intuition qu'elle lui cachait quelque chose.
Les deux femmes arrivèrent dans une petite clairière traversée par un ruisseau et où se trouvait l’entrée de la grotte dont Lilith avait fait son campement. - Ah, on est arrivées ma belle. Tu m’en diras plus sur cette histoire de bandits pendant qu’on mange. Je peux sûrement vous aider. Elle traina le porc-becue sur quelques mètres encore pour l’amener à côté du tas de cendres entouré de pierres, zone où elle allumait ses feux de camp, juste devant l’entrée de la grotte. Une petite palissade de bois avait été dressée pour protéger l’entrée de la grotte -et donc le feu également- du vent et de la neige. Dans la grotte se trouvaient quelques armes et affaires entreposées mais le gros des affaires de l’aventurière résidait dans son sac sans fond qu’elle gardait sur elle lorsqu’elle sortait. Maintenant qu’elle était rentrée avec son repas et une invitée surprise, elle déposa son sac sans fond et sa bardiche avec le reste des affaires. - Si tu sais faire un feu, il y a du bois et de quoi l’allumer là-bas. Tu peux lancer le feu de camp pendant que j’enlève mon armure. Sinon je le ferai moi-même après.
Sur ces mots, Lilith commença à se dévêtir de son armure qu’elle entreposa près du reste de son attirail martial pour se retrouver qu’avec sa tunique noire sur elle, poussant un soupir de soulagement au passage.
La jeune femme ne se fit pas prier à cette dague tendue avec un gros morceau de viande sur celle-ci. Une façon pour le moins barbare de manger, de ce qu’on lui avait enseigné, mais ce n’était pas comme si elle avait fugué pour faire perdurer la bienséance. Et elle avait de tout de façon bien trop faim pour refuser une telle offre. Laissant échapper un timide petit « Merci » elle ne tarda pas à attaquer ce cadeau. Autant dire que le bout de viande ne fit pas bien long feu et qu’elle faillit même se blesser avec la lame quelques fois dans la précipitation. Le bout de viande était brut, loin de la sauce et des herbes aromatiques qui allaient avec ce qu’elle avait l’habitude de déguster. Mais d’un autre côté, c’était un des meilleurs qu’elle avait jamais mangé. Peut-être parce-qu’elle était affamée, justement.
Elle se rappelait bien de ses repas gênants, il y a encore quelques jours de cela, ces repas où elle ne disait pas un mot, se tenant droite alors que les domestiques ramenaient les plats décidés par sa mère. Dans la quantité qu’elle décidait également, chacune de ses assiettes étant pesée avant de lui être servie et le moindre rab lui étant interdit. Peu importait si elle en voulait plus ou non, il fallait absolument qu’elle garde la ligne aux yeux de sa mère. D’aussi loin qu’elle se souvenait, ses repas avaient toujours été ainsi. Chaque écart de conduite sanctionné, l’étiquette de table lui avait été inculquée dès son plus jeune âge. Elle n’avait jamais eu à se plaindre de la qualité de la nourriture, certainement digne des meilleurs restaurants de la capitale, mais tout ce qui entourait ses repas avait été ennuyant comme jamais pour la fille énergique qu’était Violette. Bien entendu c’était très loin d’être le seul problème et la seule raison de sa fuite, mais c’était celle qui lui revenait à l’esprit alors qu’elle terminait de dévorer ce bout de viande qui lui avait été si gentiment offert.
Sur la route, la grande lui demanda d’ailleurs si elle savait ce qui était arrivé au convoi… Le fait qu’elle y prêtait de l’intérêt n’augurait rien de bon et elle se contenta d’hocher négativement de la tête de gauche à droite. Elles ne tardèrent pas à arriver au camp de l’aventurière, que Violette balaya du regard comme une gamine qui venait de voir une créature féérique pour la première fois de sa vie. Rapidement, elle se sentait plus en confiance, tant par les actes de la brune que par le fait qu’elle avait vraiment tout d’une aventurière, une profession qu’elle admirait. La grotte semblait particulièrement bien choisie, avec de l’eau douce juste à côté et une vue assez dégagée sur les alentours. La jeune noble alla rapidement s’accroupir près du cours d’eau pour en ramener quelques gorgées à ses lèvres pour également étancher sa soif.
Elle lui proposa ensuite d’aller allumer le feu pendant qu’elle retirait son armure, profitant un peu de ce répit pour enlever son armure. Violette qui n’avait pas envie de passer pour la grande inutile qu’elle était en ce moment se dirigea donc vers le lieu indiqué, et se retrouva bien évidemment complètement démunie. Rien que sa façon de disposer les bûches était pour le moins catastrophique, sans parler de son utilisation du petit bois. Elle n’avait même pas encore l’occasion d’essayer d’allumer le dit feu que réussir aurait été un exploit.
Elle se retourna un peu gênée vers l’aventurière, se rendant bien compte que son feu de camp ne ressemblait à rien.
« Je… Mes excuses, je ne sais pas comment… Mais j’apprécierai d’apprendre comment allumer un feu! » déclara-t-elle alors un peu hésitante. Après tout savoir faire un feu était la base de tout voyage dans des contrées sauvages, elle le savait déjà. Elle ne voulait juste pas se faire jeter de l’endroit parce-qu’il n’y connaissait strictement rien. Ni spécialement abuser de sa confiance sur la base d’un mensonge. Mais elle ne pouvait décemment pas lui avouer la vérité : La prime de la ramener à sa mère serait certainement très alléchante, sûrement au prix des meilleures quêtes. Et elle n’avait pas envie de se faire ramener toute ficelée à sa maison pour y recevoir la plus grande correction de sa vie.
Son regard s’était d’ailleurs reporté vers l’aventurière dans sa tenue noire, ainsi que vers ses cornes. La jeune femme n’avait jamais vraiment côtoyé d’hybrides ou des personnes du genre, et même si elle n’avait aucun à-priori sur eux, elle ne savait pas s’ils agissaient différement ou non.
« Vous avez l’air bien équipée et plutôt douée dans l’art de l’aventure. Vous… Faites ça depuis longtemps? » demanda-t-elle alors tout en écartant soigneusement de ses réponses la moindre référence aux bandits qu’elle avait inventés comme excuse. Elle était rapidement retombée dans ses travers initiaux, vers ce qu’elle savait faire, ce langage soutenu dont elle ne voulait pas. Même si ses premières phrases avaient été crues et simples, celles-ci étaient bien trop étrangement élaborées, flatteuses, sonnaient même peut-être un peu fausses dans leur ton mais pas dans leur contenu. Elle pensait vraiment ce qu’elle disait, après tout, même si elle appliquait les méthodes qu’on lui avait enseignées. Des méthodes d’intrigue, de négoce, et de flatteries.
Clairement, quelque chose n’allait pas avec elle. Elle était perdue, incohérente et illogique dans son comportement, principalement parce-qu’on ne lui avait jamais vraiment appris à être normale, à être elle-même. Et dans une telle situation, sous le stress et la peur, elle se retrouvait confuse. Même avec son pouvoir qui lui offrait un échappatoire facile, elle n’avait pas envie de se retrouver avec une chasseuse aussi formidable aux trousses...
- C’est pas grave, je vais te montrer. Mais on va commencer par reprendre à zéro.
Lilith commença donc à défaire le tas de bois pour reprendre à zéro et en profiter pour expliquer à l’adolescente comme faire lorsqu’elle se fit questionner. L’hybride ne put s’empêcher de rire une nouvelle fois face au langage élaboré de l’adolescente. Une façon de parler à la fois si familière et pourtant bien derrière elle pour Lilith. Elle releva la tête vers elle et arqua un sourcil interrogateur.
- Dis-moi gamine tu parles toujours comme un bouquin comme ça ? Tu devrais passer moins de temps à apprendre les règles de bienséance et un peu plus ce qui sert vraiment. M’enfin, j’imagine qu’on t’as pas demandé ton avis… conclut-elle sur un ton un peu trop sérieux. - Et pour répondre à ta question ça fais cinq ans que je suis dans la Guilde. Tandis qu’elle retirait les derniers morceaux de bois, les triant vaguement par épaisseur sur le côté elle continuait la conversation. - Tu survivras jamais seule en pleine forêt si tu sais même pas faire un feu gamine alors j’imagine qu’on va devoir rester ensemble jusqu’à ce qu’on retrouve les autres qui étaient avec toi quand vous vous êtes faits attaquer. Du coup il serait temps que je me présente : tu peux m’appeler Lilith. Oh et épargne moi les "madame", "dame" ou autre courbette du genre d’accord ?
Après tout Lilith n’avait quitté la noblesse pour continuer de subir ce monde d’hypocrite dont elle ne voyait que le mal. Elle gardait néanmoins un ton et un visage amical à l’égard de l’adolescente. Vu son cruel manque de connaissance de base en forêt et sa façon de parler, il était clair qu’elle venait d’une famille aisée. Mais elle n’y pouvait rien, Lilith ne pouvait le lui reprocher.
- Bon, observe bien pour le feu. Tu dois commencer par les bois les plus qui s’embraseront plus facilement et ensuite avoir du bois de plus en plus épais. Tu dois aussi penser qu’il ne faut pas tout mettre d’un coup sinon tu vas étouffer le feu et il ne prendrait jamais, tu dois laisser l’air passer pour avoir un beau feu. Et un dernier conseil : essaye de former une sorte de "tipi" avec les bois. Les flammes s’étendent principalement en hauteur alors ça se consumerait mieux si les branches sont plus proches de la verticale que de l’horizontale. Tu peux mettre les premières brindilles à plat en revanches, c’est le bois que tu mettras ensuite qui devrait prendre cette forme de"tipi".
Tout en donnant ses explications elle construisit rapidement ce à quoi devait ressembler le feu au début puis lorsqu’il avait pris pour s’assurer que ces explications soient claires. Elle défit ensuite son travail et pris le briquet le morceau silex destiné à l’allumage.
- Pour allumer le feu tu sers de ça, en frottant le silex contre le briquet tu vas créer des étincelles. Et ces étincelles tu vas te débrouiller pour qu’elles partent sur ton premier combustible. C’est ce qui va vraiment démarrer ton feu, tu dois le mettre avant même les premières brindilles. On peut utiliser plusieurs choses pour ça mais je n’ai que des copeaux de bois là. Elle redéposa le morceau de silex et le briquet à côté du tas de bois et de copeaux. - Montre-moi que je t’ai pas expliquée tout ça pour rien en allumant ce feu. Rien de mieux que la pratique pour apprendre.
Elle laissa alors l’adolescente se débrouiller un peu avec le feu, la corrigea tout de même sur les points importants si elle le devait. Il n’y avait pas besoin qu’elles retiennent les moindres détails des diverses façons d’allumer un feu mais Lilith voulait s’assurer qu’elle ait au moins les bases, jugeant que savoir allumer un feu faisait partie des essentiels.
Le feu enfin allumé Lilith ressorti deux dagues et lança une de manière à ce qu’elle se plante près de la gamine, en évitant évidemment de la toucher. Si Lilith avait plutôt d’humeur amicale et prompte à la détente jusque là elle reprit un ton plus sérieux pour la question suivante. - Raté ! J’aurai du toucher ton ombre mais bizarrement elle n’est pas là. Son regard était fixé sur celui de l’adolescente. - Au fait, les brigands sont assez rare dans cette zone de la forêt. On en croise vraiment qu’en s’enfonçant plus loin. Si tu venais du village perché pour aller à la capitale ton histoire se tiendrait mais là quelque chose cloche. Y a un ou deux trucs que tu me dis pas gamine, j’en suis convaincue. Mais t’as vraiment l’air paumée et démunie dans cette forêt. Tu peux manger et dormir ici cette nuit, prend la dague pour te servir sur le porc-becue. Mais si tu veux que je t’aide va falloir m’en dire un peu plus sur ce que tu fais vraiment ici et en me servant une histoire un peu plus cohérente.
L’hybride s’adoucit, consciente qu’elle venait de mettre la pression à la gamine, et même si c’était son objectif pour lui forcer un peu la main elle ne voulait pas la terroriser non plus. Elle se découpa un premier morceau de viande, montrant l’exemple, et mangea tranquillement en attendant que son invitée parle d’elle-même.
Bien entendu, ses manières l’avaient bien rapidement trahies, bien trop adaptées à une vie dans la noblesse et au milieu des soirées mondaines. Et au final la brune put en tirer des conclusions pour le moins exactes auxquelles Violette n’osa pas vraiment répondre, de peur de trahir la situation actuelle… Même si à ce rythme la vérité ne tarderait sûrement pas à éclater. Ce qu’elle savait, c’était qu’elle n’avait pas à faire à une débutante en face d’elle, et qu’elle était même disposée à l’aider à retrouver ce convoi qui n’existait pas.
« Enchan… hum… Moi c’est Violette… » bafouilla-t-elle maladroitement, ayant clairement fait un effort pour réprimer les réflexes qu’on lui avait insufflés et bourrés dans le crâne pendant ces longues années. Des réflexes dont elle comptait bien d’ailleurs se défaire, même si dans l’immédiat ils lui jouaient des tours. Néanmoins, suite à ces remarques sérieuses qui avaient eu pour mérite de la mettre plutôt mal à l’aise, la jeune noble trouva assez rapidement un échappatoire, se laissant captiver en mettant ses inquiétudes de côté par une leçon improvisée, mais tout de même très importante.
L’aventurière eut donc l’occasion de découvrir la Violette la plus studieuse qui n’avait jamais foulé cette terre, et, l’espace d’un instant, ce n’était plus une adolescente perdue en forêt mais une petite boule de curiosité. Même si ses questions étaient bien évidemment naïves et inexpérimentées, son enthousiasme et sa logique lui permettaient parfois de faire quelques déductions justes. Déductions qui n’étaient que le produit de sa pensée et de sa réflexion et aucunement le reflet de ses expériences, bien évidemment. Au final, à ses yeux, rien que d’allumer un feu était déjà beaucoup plus intéressant que tout ce qu’on avait pu tenter de lui mettre dans le crâne.
Au moment de passer à la pratique, elle n’hésita pas, débutant la construction de son premier feu. Bien évidemment, quand elle avait envie d’assimiler l’information et ne lui donner pas une envie irrépressible de somnoler, elle s’en souvenait d’un suite bien mieux et la mise en place du bois se passa quasiment sans encombre même si elle n’était pas des plus adroites. La base était peut-être brouillonne mais elle avait les points importants, malgré les quelques petites corrections et la petite difficulté pour faire un petit tipi digne de ce nom.
Au moment d’utiliser le silex et le briquet, elle eut un peu plus de mal, surtout avec le froid hivernal qui n’aidait pas le feu à prendre. Ses mouvements étaient loin d’être assez secs et vifs pour permettre à la flamme de se lancer, outre le fait que c’était un outil qu’elle n’avait jamais eu en mains. Même ses domestiques allumaient les feux avec des allume-feu magiques produisant une petite flammèche. Et cette méthode bien trop artisanale était pour le moins difficile. Elle insista néanmoins et avec quelques conseils, un peu d’aide, et sans s’être faite un peu mal aux mains en même temps, le feu finit enfin par se lancer, ce qui lui laissa échapper un soupir de soulagement alors qu’elle commençait à sentir la chaleur du feu de camp la réchauffer.
Néanmoins la réalité la rattrapa rapidement, un reflet de lumière sur une lame à son coin de l’oeil l’effraya, et alors qu’elle se protégeait d’une très mauvaise manière, elle manqua de peu d’activer son pouvoir et de s’enfuir alors que la dague s’était plantée à ses pieds, dans cette ombre qui ne dansait pas avec les flammes naissante comme elle le devrait.
Bien évidemment, elle avait fini par trouver des failles dans son histoire, des choses qui clochaient, qui n’allaient pas. Elle lui offrait tout de même gentiment le gîte et le couvert pour la nuit, même si Violette ne savait pas si c’était un piège ou non… L’offre était plus que tentante. Et l’offre de l’aider l’était encore plus même si ce que Violette avait en tête n’était pas forcément la même chose que l’aventurière…
Elle se baissa, ramassa lentement la dague, observant rapidement l’arme, le fil de la lame, même si elle n’y connaissait rien. Elle venait de lui donner un moyen de se défendre en plus d’un moyen d’aller couper son repas, mais d’un autre côté, la jeune noble ne devait pas sembler bien dangereuse à ses yeux, donc ce n’était pas si étonnant. Mais Lilith ne semblait être vraiment méchante, même si elle ne savait pas vraiment non plus jusqu’où elle irait pour toucher une éventuelle récompense. Devait-elle vraiment tout lui avouer? L’hésitation pouvait se lire sur le visage de Violette qui était loin d’être efficace verbalement vu la situation et son état de fatigue actuel. Elle braqua son regard sombre vers celui de l’aventurière, osant vraiment pour la première fois soutenir son regard avec autant d’assurance. Était-elle partie pour fuir indéfiniment et se terrer dans un trou? Certainement pas.
« Mon ombre n’est juste pas là par précaution. Je ne vous connais pas après tout… » déclara-t-elle dans un premier temps, même si sa dernière phrase sonnait peut-être un peu faux. La méfiance qu’on lui avait inculquée envers les inconnus n’était déjà plus vraiment de mise pour la bavarde qu’elle était. Dans ses actes et ses mots, c’était bien plus la peur de se faire ramener à la capitale qui parlait que son véritable désir. Mais là encore, une aventurière serait-elle vraiment là à trembler dans son coin? Elle prit une grande inspiration. La chaleur d’un feu et la viande qu’elle avait déjà dévorée avant l’avaient un petit peu requinquée, en plus du feu qu’elle avait allumé mais qui avait eu comme effet de la rassurer dans la piste de son rêve.
« Je ne veux pas retourner à la capitale. » déclara-t-elle simplement et brièvement, laissant un petit moment les pièces du puzzles se mettre en place pour Lilith. Elle ne voulait pas trop en dire mais Violette elle-même réalisait assez vite que cette simple phrase voulait dire beaucoup plus qu’elle n’aurait bien voulu dévoiler. De tout de façon, si elle voulait continuer à parler à l’aventurière, elle n’avait d’autre choix que de lui servir la vérité, ou un mensonge crédible. Et elle n’était actuellement capable de lui en offrir qu’un des deux.
Relevant sa dague dans une garde aussi pathétique qu’inutile même si elle se voulait purement défensive, elle affichait sa détermination alors que son cœur battait à cent à l’heure. Son regard était déterminé, même si son bras tremblait, ce n’était pas des menaces, bien loin de là, mais elle montrait juste qu’elle était prête à se battre pour sa liberté.
« Est-ce-que vous comptez m’y ramener contre mon gré pour une poignée de cristaux? » demanda-t-elle alors, le regard toujours rivé vers le sien. Elle savait pertinemment qu’elle n’avait aucune chance face à elle, mais peut-être qu’en fuyant grâce à son ombre elle pourrait assez efficacement brouiller sa piste et se rendre introuvable. Même si une fuite en pleine forêt risquait fortement de la ramener une nouvelle fois vers une mort certaine… La liberté ou la mort, un adage désespéré, mais qui reflétait bien sa détermination enfouie au fond d’elle. Et puisque les mensonges n’avaient pas fonctionné, elle essayait à son tour de tester l’aventurière. De quoi était-elle faite? Tenterait-elle de toucher la prime, ou non?
- J’vais t’apprendre un deuxième truc aujourd’hui gamine : quand on se méfie d’une inconnue on ne la suit pas dans la forêt et on n’accepte encore moins la nourriture qu’elle vous offre. T’as eu de la chance de tomber sur moi.
Effectivement elle avait eu de la chance car même si Violette disait se méfier elle était loin d’avoir été assez prudente. Quelqu’un de moins bien intentionné que Lilith aurait sûrement pu faire ce qu’il voulait de la gamine. Lilith restait cependant toujours aussi curieuse vis-à-vis de cette ombre manquante. Depuis qu’elle était devenue aventurière elle avait développée un véritable attrait pour les différentes formes que pouvait prendre la magie, qu’elle vienne des créatures qu’elle croisait en mission ou simplement des autres habitants du royaume. Ce qu’en disait Violette laissait supposer un pouvoir défensif mais ça ne suffisait pas à satisfaire la curiosité de Lilith. Elle garda cependant ses interrogations pour elle pour le moment.
Violette avoua ne pas vouloir retourner à la capitale. Une phrase simple mais qui en disait long. Lilith commençait à mieux comprendre la situation et les points sur lesquels l’adolescente lui avait menti. Elle ne pouvait évidemment pas deviner tous les détails avec si peu mais les grandes lignes prenaient formes dans son esprit.
Violette releva alors la dague que Lilith lui avait lancée dans une garde bien peu convaincante qui aurait pu faire sourire l’aventurière une fois de plus. Pourtant elle garda le silence un instant, jaugeant l’adolescente en face d’elle qui -malgré une position plus qu’approximative et des bras tremblants- affichait un regard déterminé en demandant à l’aventurière ce qu’elle comptait faire. Il ne fallut pas bien longtemps à Lilith pour se décider : les cristaux ne l’intéressaient pas. Elle n’aurait pas changé de vie si c’était le cas.
- Baisse ta garde gamine ; les cristaux ne m’intéressent pas. Si c’était le cas je serais pas dans la forêt à chasser le porc-becue et à t’expliquer comment faire un feu mais plutôt en train de participer à un bal mondain mortellement ennuyeux, vêtue d’une belle robe plutôt que d’une armure, le tout en étant mariée à un riche noble que je n’aurai pas choisie. D’ailleurs même si les cristaux m’intéressaient tu n’aurais aucune chance face à moi avec une garde aussi médiocre.
Lilith était quasiment sûre que Violette venait de la noblesse ou au moins d’une famille proche des mœurs de la noblesse alors elle avait volontairement laissé entendre qu’elle venait d’une famille de noble elle aussi pour gagner sa confiance. Si ses suppositions étaient bonnes alors elle et l’adolescente avaient pas mal de point commun, ce qui la poussait à vouloir l’aider.
L’hybride se découpa un nouveau morceau de viande puis reporta son regard vers celui de Violette.
- Le choix t’appartient maintenant. Sois-tu me fais confiance et tu restes ici soit tu fuis de peur que je te ramène de force à la capitale. Réfléchis bien, il n’y a pas que des aventurières patientes dans la forêt.
Brigands, créatures dangereuses ou même le simple fait de devoir survivre. Il y avait beaucoup de choses qui lui poseraient problème si elle décidait de fuir mais c’était à elle de faire son choix.
Même si la leçon suivante était de ne pas suivre aussi bêtement une inconnue dont on se méfie, avait-elle réellement eu le choix? Elle était perdue, affamée et tremblait de froid il y a encore quelques instants. Et même si la peur de se faire ramener au manoir familial la hantait, au fond, elle avait envie de connaître cette femme, d’entendre ses histoires, ses aventures… Une personne différente de toutes celles qu’elle avait pu rencontrer jusqu’ici dans sa vie millimétrée et chronométrée par sa mère.
« Avais-je vraiment le choix, alors que vous êtes sûrement la seule personne à des kilomètres à la ronde? » répondit-elle alors, même si elle n’était peut-être pas si loin de la Capitale que ça, puisqu’elle ne savait pas où elle était. Violette savait juste qu’elle avait beaucoup marché, même si c’était peut-être en rond. En tout cas, elle était en quelque sorte la seule solution qui s’était présentée à elle.
Néanmoins, les paroles de l’aventurière touchèrent juste, puisque la vie qu’elle décrivait était en quelque sorte celle qu’elle fuyait. La petite se prit même à rêver d’un futur où elle serait aussi forte que celle qui l’avait sauvée de sa propre incompétence. Violette baissa légèrement sa lame. Lui faire confiance? Elle était prête à le faire, et, sans l’inquiétude tenace de se faire ramener à son ancienne vie, ce serait certainement déjà chose faite.
Néanmoins la description de la brune avait été pour le moins efficace et Violette baissa complètement sa lame. Lilith ne semblait pas mal intentionnée, semblait honnête dans son désintérêt pour les cristaux. La jeune noble finit alors par baisser complètement sa lame, prendre une grande inspiration, qui se conclut par un grand soupir. Elle ferma les yeux une petite seconde, tentant de rassembler ses esprits une fois de plus. Les mots qu’elle avait prononcés continuaient de la hanter, un aperçu d’une vie qu’elle avait fuit et voulait fuir plus que quoi que ce soit d’autre en ce monde.
« Je veux pas y retourner. Je veux pas... » répéta-t-elle une fois de plus d’une voix qui commençait à se briser, baissant les yeux, bougeant légèrement la tête de gauche à droite. Sa vision commençait à s’embuer, ses yeux humide reflétant les flammes qui dansaient près d’elle. Pleurer… Elle ne voulait pas. Serait-elle seulement un jour une aventurière digne si elle pleurait pour si peu?
Elle releva les yeux dans un effort certain vers Lilith, retenant ses larmes avec toute la force de sa volonté même si c’était évident qu’elle était sur le point de craquer. La silhouette de l’aventurière devenait même indistincte, mais Violette savait ce qu’elle voulait.
« Je veux devenir comme toi. » déclara-t-elle simplement, tout en venant de la tutoyer pour la première fois. Une phrase qui venait bien plus de son cœur, de sa véritable volonté de que la couche d’artifices dont elle avait été recouverte au fil des ans. Du faux uniquement présent pour la rendre conforme à un monde qu’elle détestait, un monde de paraître et de fausses politesses. Un monde dont elle ne voulait pas.
- Devenir comme moi hein ? Je suis loin d’être un exemple tu sais… Elle marqua une pause, laissant retomber sa tête en arrière et son regard se perdre dans le vide, en direction du ciel. Devenir comme elle… Voilà bien quelque chose à quelle Lilith ne s’attendait pas. Elle était plutôt du genre solitaire et n’avait pas spécialement l’habitude d’être prise pour modèle. De toute façon elle ne se considérait clairement pas elle-même comme un exemple à suivre, elle se contentait de vivre sa vie au jour le jour et certains pourraient aisément la qualifier de dépravée. Elle doutait sérieusement d’être un bon exemple pour une gamine.
Perdue dans ses pensées, Lilith finit par se dire qu’a défaut d’être irréprochable elle pouvait au moins transmettre le bon dans sa façon de vivre et apprendre ce qu’elle savait à Violette. Elle lui apprendrait l’essentiel puis la jeune noble n’aurait qu’à aller s’inscrire à la guilde comme elle l’avait elle-même fait quelques années auparavant.
Elle resta encore un instant, le dos et la tête penchés vers l’arrière, puis se redressa et passa ses mains derrière sa nuque pour défaire l’attache de la petite chaîne qu’elle avait autour du cou. Elle tira la chaine et sa plaque d’aventurière qui y était accrochée et la lança à Violette. - Tu les connais les Crabantill petite ? Nos armoiries ressemblent à un corbeau. Si je me suis pas trompée t’es d’une famille noble toi aussi alors je veux t’aider en t’apprenant ce que je sais. Puisqu’un aventurier doit savoir se battre ma plaque te servira de test : si tu réussis à me la raccrocher autour du cou alors que je suis éveillée je considérerais que tu peux te défendre seule et que t’as plus besoin de moi. Le temps que tu réussisses à me battre et me rendre ma plaque j’aurais eu le temps de t’apprendre les autres choses utiles en quêtes. Si tu perds ma plaque en revanche je te ramène en ville et il ne faudra pas bien longtemps pour que la garde te retrouve et te ramène chez toi.
Elle ne savait pas trop d’où mais l’idée lui était venue naturellement pour tester les capacités de la future aventurière. Enfin a vrai dire c’était aussi la seule idée qu’elle avait eue. Car autant elle voyait de quelles compétences on avait besoin en quête, autant elle n’avait jamais appris à transmettre lesdites compétences à quelqu’un. Et elle avait, elle, tout appris sur le tas. Encore une fois Lilith se dit que Violette aurait pu tomber sur meilleure personne à prendre en exemple mais on ne pouvait de toute façon pas revenir en arrière maintenant.
Elle croqua dans un nouveau morceau de viande tandis que son esprit passait à un autre problème : de ce qu’elle en disait il y avait des cristaux a la clef si on ramenait Violette chez elle. Ce qui voulait dire qu’elle était ou allait être recherchée. Or le petit campement de Lilith était encore assez proche de la capitale.
- Mmh, tâche de de prendre des forces en mangeant et dormant ce soir. De ce que j’ai compris on te recherche c’est ça ? On est assez proche de la capitale ici ce qui veut dire qu’ils pourraient pousser les recherches jusque-là. On devra peut-être bouger demain.
Elle connaissait encore assez peu l’aventurière à cornes, ni vraiment ses qualités, ni ses tares, mais à ses yeux elle aurait pu être sortie tout droit d’un livre fantastique. Une héroïne en chair et en os - ou tout du moins une guide. Pour quelqu’un d’aussi peu doué que la noble qu’elle était - ou plutôt qu’elle avait été - les compétences qu’elle lui avait montrées étaient épatantes.
Violette l’observait, alors qu’elle semblait pensive. Comme si elle réfléchissait elle-même à ses propres tares, ou plutôt à ce qu’elle était.
« Vous… T...Tu as l’air d’être un bon exemple pourtant! » bredouilla-t-elle même si, en réalité, elle n’en savait rien. Elle avait l’air forte, indépendante, douée, pas foncièrement méchante même si une pointe de doute subsistait dans l’esprit de Violette. Elle qui avait été éduquée pour parcourir un monde commercial sans pitié, ce genre d’astuces de réussir à faussement gagner la confiance d’un ennemi ne lui étaient pas inconnues. Mais si elle avait quitté ce monde, ce n’était sûrement pas pour en continuer les manigances.
Violette, un peu surprise, réceptionna la plaque de son aînée, manquant déjà de peu de la faire tomber au sol. La détaillant avec des yeux encore un peu humide, elle ne put s’empêcher de ressentir une bien drôle émotion en la détaillant. C’était la première qu’elle voyait d’aussi près. Elle failli même en louper le discours de Lilith, mais elle avait globalement compris ce qu’elle voulait d’elle. Réussir à raccrocher le badge alors qu’elle était éveillée… La battre?
Violette resta un petit peu silencieuse, elle pourrait essayer tout de suite, à sa manière. Mais d’un autre côté, si Lilith considérait alors qu’elle était assez forte, elle ne lui apprendrait rien. Alors ne ferait-elle pas mieux de garder son badge le plus longtemps possible?
« Je connais v...ta famille, oui. Violette Lehnsherr, c’est mon nom.» répondit-elle alors, même si elle ne se rappelait pas exactement le domaine des Crabantill, la noblesse n’était pas un domaine si immense que cela et les familles avaient tendance à se connaître, surtout lorsqu’elles exerçaient une influence suffisante. Il y avait des chances qu’elle ait déjà entendu parler des Lehnsherr aussi, même si les deux n’étaient pas spécialement proches l’une de l’autre…
Au premier conseil de l’aventurière, Violette acquiesça. Elle était clairement loin d’être au top de sa forme, et décida dans un premier temps de se rassoir. Elle était d’accord avec tout ce qu’elle venait de lui dire. Mieux valait ne pas rester bien proche de la Capitale...
« Je… dois vraiment réussir à te battre? » demanda-t-elle, pas encore parfaitement à l’aise, un peu trop hors de son élément même si elle semblait de mieux en mieux s’acclimater à cette situation. Si Lilith était fiable, elle avait peut-être trouvé sa porte de sortie du monde des nobles, et un magnifique tremplin vers la vie d’aventurière!
« Je veux dire, il n’y a pas forcément que le côté martial, dans ton épreuve, il y a aussi d’autres moyens, non? » demanda-t-elle alors, assise en tailleur, son regard s’étant à nouveau porté sur le badge de la guilde qui n’avait pas quitté les mains de Violette. Est-ce-que si elle arrivait à la tromper… Et pouvait profiter d’un effet de surprise…?
L’ombre de Violette était revenue, alors qu’elle disait ces mots, tandis qu’elle jouait avec l’attache de la plaque. La noble savait un peu près comment fonctionnait son pouvoir, même si il ne lui était d’aucune utilité dans sa vie de tous les jours, elle avait toujours jugé qu’il serait pratique pour une vie d’aventure, et avait un peu travaillé son utilisation dans sa chambre. Elle avait déjà imaginé plusieurs façons de s’en servir, en théorie, même si le passage à la pratique ne serait certainement pas aussi simple que cela.
A vrai dire, elle avait même choisi un endroit où son ombre projetée par les flammes n’était pas la plus visible, même si les flammes dansantes rendaient la tâche de la rendre invisible difficile. Son ombre s’était détachée, disparaissant dans les sous-bois, effectuant une petite boucle afin de s’approcher dans le dos de Lilith. Elle ne savait pas si son petit manège avait été aperçu ou non, mais, d’un coup, Violette disparu de sa position dans de petits filaments d’ombre qui se dissipèrent comme si elle n’avait été qu’un mirage.
Où était-elle exactement? Fatiguée, désorientée, elle était censée être derrière Lilith, sa plaque toujours en main, attache fermée. L’ailée se rendrait compte très vite de son petit manège, alors elle jeta dans un petit lancer sa plaque vers l’avant, dans la direction générale de la silhouette en face d’elle. Le lancer était peu précis, et destabilisa l’équilibre de Violette qui était déjà désorientée.
La plaque et sa petite chaînette avaient à peine touché les cornes de l’aventurière sans aucun risque de se glisser autour de son cou. Violette, elle, était retombée à terre sans mal, sauf pour ses vêtements qui n’étaient vraiment plus dignes de la demoiselle qu’elle avait été. Son attaque avait été un échec, et elle avait gâché un potentiel précieux effet de surprise. Mais le message était clair : Même si le défi venait tout juste d’être posé, Lilith aurait peut-être besoin de se méfier un peu plus qu’elle n’aurait pu le penser au premier abord.
Violette reporta sa main à la plaque qui avait glissé à côté d’elle, restant quelques secondes par terre, laissant échapper un petit rire amusé. L’expérience avait été amusante.
Son plan aurait-il fonctionné qu’elle aurait de tout de façon été très déçue. Donc elle était, somme toute, plutôt heureuse.
Un sentiment qui lui avait manqué pendant de bien longues années.
Croquant une nouvelle fois dans son morceau de porc-becue piqué au bout de sa dague Lilith écoutait la nouvelle question de la future aventurière, se demandant si elle avait compris ce que l’hybride attendait vraiment d’elle ou au contraire pas du tout. Si elle lui avait fixé comme objectif de lui rendre sa plaque plus que de la battre en duel c’était bien parce que la méthode l’importait peu tant que le résultat était le même.
- Exact. Une victoire est une victoire, peu m’importe la façon dont tu t’y prends. Moi je suis du genre fonceuse mais à toi de trouver ton style et de l’imposer tant qu’il te permet d’atteindre tes objectifs.
Lilith eut à peine le temps de finir sa phrase que Violette disparue sous ses yeux. L’aventurière n’avait pas du tout repéré le petit manège que manigançait celle qu’elle venait de prendre sous son aile pendant qu’elle parlait mais, par pure réflexe, fit immédiatement volte-face en la voyant disparaître de son champ de vision. Elle s’attendait à ce que Violette réapparaisse derrière elle et elle eut raison. Elle était bien là, dans son dos, lançant la plaque d’aventurière de Lilith dans la direction de cette dernière. Mais son lancer fut maladroit et vint simplement ricocher sur l’une de ses cornes pour aller atterrir non loin de la gamine qui venait de s’effondrer au sol. Un large sourire se dessina sur les lèvres de la brune desquelles s’échappèrent ensuite un petit rire, amusée d’avoir faillit se faire avoir par faute d’avoir un peu trop sous-estimée la jeune noble. Elle se laissa retomber elle aussi dos contre terre.
- On dirait que tu as déjà ton propre style finalement. Pas mal ton pouvoir en tout cas, mais risqué. S’il t’épuise à ce point quand tu t’en sers il faut que tu sois sûr que ton action sera décisive en situation réelle, sinon ça pourrait bien être la mort assurée. Enfin, tu auras l’occasion de t’entraîner sur moi.
Lilith se redressa finalement et tâcha de finir son repas puis ramena une gourde d’eau de ses affaires, elle but quelques gorgées puis la tendit à Violette. - T’as soif ? Il nous faudra de l’eau pour demain, tu peux prendre de quoi en récupérer au ruisseau dans la grotte avec mes affaires et la mettre sur le feu. Ça évite les impuretés. J’vais vérifier les alentours pendant ce temps-là.
Sur ces mots l’aventurière se détacha du sol de quelques battements d’ailes s’écarta du camp pour aller faire une petite ronde aux alentours. Elle voulait s’assurer qu’aucun monstre dangereux, groupe de bandits ou d’hommes à la recherche de la petite Lehnsherr ne rôdait dans le coin pour que la nuit soit tranquille.
Après tout, remporter un tel challenge par surprise était peut-être un peu trop facile et indigne. Surtout que le remporter voulait aussi dire qu’elle ne pourrait plus profiter de ses leçons. Finalement, Violette n’avait clairement aucun intérêt à essayer en permanence de lui mettre la plaque autour du cou. Mais plutôt de prendre son temps pour profiter de ses leçons et quand elle sera prête, de réussir la mission qu’elle venait de lui demander.
« Oh, ce n’est pas un pouvoir forcément très fatiguant… » déclara-t-elle en échangeant à nouveau de place avec son ombre, qui était restée assise près du feu comme si rien ne s’était passé. Cela serait assez honnête de prévenir la brune à quoi s’attendre après ce premier avertissement. Elle n’était pas vraiment tombée par manque de force, à vrai dire.
« … C’est surtout que c’est… assez bizarre comme sensation, j’ai surtout perdu mon équilibre, en fait... » déclara-t-elle, un souci qui n’était pas vraiment présent lorsque son ombre était initialement assise. Ombre qui dansait maintenant derrière elle tout à fait normalement à la lueur des flammes. Après tout, la jeune femme avait déjà tenté d’utiliser son pouvoir souvent en étant petite, puisqu’il était tout de même assez pratique. Et en avait vite découvert les limites et le fait qu’il la rendait complètement malade lorsque surutilisé. L’échange avait à chaque fois cet effet de lui retourner l’estomac et son mental tout entier et lui donnait une sorte de mal de mer étrange.
Elle accepta la gourde d’eau tendue, n’étant effectivement pas contre une petite rasade d’eau entre deux morceaux de porc-becue. Ce genre de repas était d’une qualité assez médiocre par rapport à ce qu’elle avait l’habitude de manger, mais il avait une saveur toute particulière pour autant. Partagé en forêt, alors qu’elle avait faim comme jamais, il avait clairement ce petit goût d’aventure qu’elle avait cherché. L’aventurière la chargea alors d’aller chercher un peu d’eau en lui donnant des consignes, avant de partir patrouiller…
… Sans vraiment laisser le temps de lui demander quel genre d'affaires elle était censée utiliser.
Mais elle ne voulait pas la décevoir pour autant, alors, en plus de la gourde, elle se mit à la recherche d’un récipient ou de quoi que ce soit d’utilisable pour faire bouillir de l’eau. Alors elle se mit à fouiller dans le sac de l’aventurière même si elle se sentait un peu mal de se retrouver ainsi à découvrir les affaires personnelles de cette dame. C’est avec le rouge aux joues qu’elle alla se diriger vers le ruisseau indiqué avec ce qu’elle avait pu trouver et la gourde vide. Autant en faire trop que pas assez, après tout… Ils pourraient toujours jeter l’eau après non?
Elle se replaça ensuite près du camp et du feu, mis une casserole à bouillir sur le feu, se reprit un petit peu de porc-becue, tout en regardant autour d’elle. Où est-ce-que Lilith était passée? N’était-elle pas en train de prévenir des gens pour la capturer? Non… Ce ne serait pas son genre… Elle ne pensait pas que la brune la trahirait. Même si sa mère lui avait toujours dit de se méfier de tout le monde, Violette, elle, n'avait pas cru en cette leçon. Et elle avait envie de faire confiance à la brune. Même si après avoir découvert toutes ses affaires, elle avait un peu honte de la regarder en face.
Néanmoins, elle finit bien par revenir.
« E..Euh.. P..pour la nuit t...tu as une couverture en plus? Ou quelque chose du genre? » demanda-t-elle alors, tant les nuits à la belle étoile en hiver devaient se passer en général avec un minimum d’équipement. Elle avait déjà cru mourir la nuit dernière, à vrai dire. Et elle n’était pas prête à revivre l’expérience. Il fallait dire que maintenant que le froid, la faim et la soif étaient partis, seul la fatigue subsistait réellement… Et à voir la jeune noble bailler, cela ne faisait aucun doute qu’un petit somme serait sûrement bienvenu.
- Rien aux alentours, on devraient être tranquille cette nuit normalement. annonça-t-elle en posant le pied au sol pour rassurer la jeune fille. Mais bizarrement cette dernière avait les joues plus rouges que lorsque Lilith l’avait quittée pour faire sa ronde. Le feu peut-être ? Toujours était-il qu’elle s’inquiétait du stock de couvertures à disposition. L’aventurière ne put s’empêcher de sourire, les premières nuits et même les premiers jours de manière plus générale allaient être bien dure pour la jeune noble. - J’en ai qu’une mais elle est assez grande pour deux si on se sert un minimum. De toute façon vu le froid qu’il fait mieux vaut dormir à deux et serrée que séparément, crois moi. Le rouge sembla prendre un peu plus possession du visage de l’aventurière en devenir à cette annonce. - Tout va bien ? T’es toute rouge depuis que je suis revenue. Soudainement l’hybride se rappela qu’elle avait demandée à l’adolescente de fouiller dans ses affaires et ce qu’elle avait pu y trouver. - Je crois que j’ai compris en fait… C’est pas ces affaires là qu’il fallait fouiller. Elle éclata de rire devant la tête que tirait Violette et écarta l’eau du feu.
- Fais pas cette tête-là, je sais que y a des sujets tabou dans certaines familles noble mais t’es plus chez les nobles justement. Oh et passe-moi la gourde maintenant, je vais la remplir avec l’eau que tu viens de faire bouillir et on va pouvoir aller se coucher. Tu dois être crevée vu comme tu bailles.
Elle réceptionna la gourde, la remplit et remit un peu de bois sur le feu puis se dirigea vers la couverture à l’entrée de la grotte. Le feu était assez proche pour les réchauffer et la grotte permettait de s’abriter de la neige et du vent tandis qu’une paillasse les séparait du sol. Elle retira sa tunique, ne gardant que ses sous-vêtements sur elle et s’installa sous la couverture, allongée sur le côté, les ailes repliées dans le dos.
- Un conseil : dormir trop habillée, surtout quand on est deux, est une fausse bonne idée. La chaleur produite par le corps est étonnement efficace et même si tes vêtements peuvent paraître secs ils accumule de l'humidité. J’imagine que t’es pas très à l’aise mais c’est ça ou mourir de froid. Et pour le feu je m’occuperai de l’alimenter dans la nuit mais su te réveilles à un moment et que tu vois qu’il faut rajouter du bois, n’hésites pas.
Visiblement, le fait qu’elle soit gênée n’échappa pas à Lilith. En même temps, Violette ne s’en cachait pas vraiment cette fois. Même si sa mère lui avait appris pendant de longues années à être impassible, la jeune femme était maintenant bien plus dans une phase où elle laissait ses sentiments réprimés s’exprimer plutôt que l’inverse.
« Euh… Oui… Ça va bien... »
Toujours un peu gênée, son regard l’évitait un peu. Elle ne semblait pas très gênée, elle, contrairement à Violette. Il fallait dire que c’était un domaine qui lui échappait beaucoup et les codes de bienséances et les automatismes qui allaient avec étaient encore bien ancrés en elle. Autant dire que le fait de devoir partager une couverture restait gênant. Même si repasser une nuit sans en extérieur était hors de question pour elle.
« Oui et bien… Je ne savais pas où fouiller! »
Elle essaya de se défendre un peu comme elle pouvait, après tout, de tout de façon ce n’était pas grand chose face à la suite. Mais d’un autre côté, elle manquait énormément de sommeil et rien que de pouvoir être hydratée et rassasiée rappelait à sa mémoire ce dernier état de fait : Elle avait besoin de dormir.
Elle ne pouvait pas vraiment cacher le fait qu’elle était assez fatiguée - sa dernière nuit n’ayant pas vraiment permis de se reposer. Le principe même de dormir à la belle étoile était très difficile pour elle. Perdre aussi brusquement en confort de vie était difficile, elle n’allait pas dire le contraire.
Violette continua d’observer son aînée gérer l’eau et préparer rapidement la suite du camp. Son dernier conseil n’était pas vraiment des plus rassurants, et, à vrai dire, Violette trouvait ça bizarre. En plein hiver, cela ne ferait pas tant de mal que ça que de garder quelques vêtements non? Enfin, elle s’y connaissait aussi mieux qu’elle, d’un autre côté.
« Je… Pense que j’aurais assez vite besoin de quelques affaires, en tout cas. De quoi me changer et me débrouiller, déjà… »
Une remarque qui avait du sens, puisque sa robe pas du tout faite pour ce genre de promenades champêtre était sale et légèrement déchirée à divers endroits. Même si ça ne faisait que deux jours et une nuit qu’elle était dehors, elle n’avait pas vraiment été très regardante sur sa tenue. Et dans tous les cas, elle avait besoin de changes, et d’affaires. Sauf, que, bien évidemment, elle n’avait pas de cristaux.
Dans tous les cas, ce serait certainement une quête pour demain, il était bien trop tard. Et, rien que le fait de retourner en ville était assez risqué. Et si on la reconnaissait? Qu’allait-elle faire alors?
C’est avec ces craintes qu’elle alla se glisser sous la couette. Le confort était sommaire, mais au moins elle n’avait pas si froid, surtout avec le feu tout proche.
« Euh… Bonne nuit… »
Elle souhaita tout de même cela, même si elle n’avait plus grand chose à ajouter. Quant à la nuit, le manque de sommeil l’aida tout de même à en trouver un peu mais le mélange de gêne, et le confort sommaire, couchée, sur le côté, ne l’aida pas à récupérer énormément. Elle alla même remettre parfois un peu de bois dans le feu quand les flammes commençaient à se faire basses. Une tâche à son niveau, pas bien difficile tant que des flammes subistaient.
Elle essayait de ne pas trop bouger, mais changea tout de même timidement de position quelques fois pour tenter de trouver un meilleur sommeil, sans grand succès. Mais elle supposait qu’avec le temps, c’était une habitude qui allait commencer à venir.
En attendant, elle laissa l’aventurière se lever à son rythme, même si Violette, elle, était déjà assez clairement réveillée dès l’arrivée des premiers rayons du soleil. Et au final, elle ne croyait toujours pas tant que cela que cette rencontre était bien réelle.
Avec ses ailes le trajet serait assez rapide pour l’hybride, bien plus que si elle devait emmener l’apprentie aventurière avec elle. Et comme elle l’avait dit emmener Violette en ville c’était prendre le risque qu’elle soit reconnue et ramenée de force chez elle. Lilith irait donc seule et confierait quelque chose à faire à l’adolescente en attendant son retour.
- Bonne nuit.
Sans plus de cérémonie, l’aventurière ferma les yeux et tâcha de trouver le sommeil. Un état de sommeil partiel visant tant à se reposer qu’à rester attentive à un potentiel danger nocturne. Même si les deux femmes étaient encore proches de la capitale le risque zéro n’existait pas et il valait mieux être prête à tout pour ne pas se faire surprendre. Violette aussi n’allait surement avoir qu’un sommeil partiel, mais pas volontairement en ce qui la concernait. Si Lilith était maintenant habituée au confort sommaire de ce genre de campement, la jeune fille ayant quittée le cocon familial quelques jours plus tôt à peine risquait d’avoir besoin de temps pour s’y acclimater. Malgré tout Lilith devait bien admettre qu’elle était pleine de bonne volonté et délaissa même la chaleur offerte par la couverture pour aller raviver le feu lorsque ce n’était pas Lilith elle-même qui s’en occupait.
Finalement la nuit se passa sans accroc et les premiers rayons de soleil matinaux vinrent chatouiller les deux femmes endormies. Lilith, d’ordinaire plutôt encline aux grasses matinées, fit l’effort de se lever plus tôt cette fois ci en voyant Violette déjà levée. Elle se voyait mal traîner au lit devant la gamine qui l’avait prise pour model. Et elle se surprenait elle-même a vouloir ainsi faire bonne impression devant quelqu’un qu’elle ne connaissait au final que depuis la veille, elle qui était d’ordinaire plutôt solitaire. La brune sortit donc de sous la couverture et, puisqu’elle comptait se rendre en ville, décida d’enfiler une longue robe blanche. Elle remettrait son armure a son retour.
- La nuit n’a pas été simple j’imagine ? T’as mal choisie ta saison pour fuguer.
Finissant de s’habiller et de se débarbouiller avec un peu d’eau elle énonça ses plans pour la journée.
- J’vais devoir faire un petit passage par la capitale pour t’acheter deux ou trois trucs à te mettre vu que tu vas rester avec moi pendant quelques temps. Quand je reviendrai on lèvera le camp. Si ta famille est déterminée à te retrouver, ce dont je ne doute pas, ils pousseront les recherches jusqu’ici. Heureusement je connais un coin parfait pour nous, plus loin dans la forêt.
Ne voulant pas perdre plus de temps, Lilith passa une dague a sa ceinture et s’envola, fonçant au plus vite en direction de la capitale pour un brin de shoping.
- A dans quelques heures.
Alors oui, la nuit n’avait pas été simple et alors que les premiers rayons du soleil éclairaient maintenant la scène, elle s’était finalement rhabillée, près du feu qu’elle continuait de raviver de temps en temps.
« Je… n’ai pas trop réfléchis, je dois avouer. J’ai eu seize ans il y a peu et… Je savais que je pouvais m’inscrire à la guilde donc j’ai voulu tenter ma chance. »
Elle reconnaissait son erreur, et après ce qu’elle avait traversé, elle aurait été bien stupide de ne pas le faire. A la première occasion de rejoindre son rêve, elle avait tenté de la saisir, même si attendre la saison douce aurait clairement été une meilleure idée. Lilith la rejoignit rapidement, même si ce n’était que temporaire. Ses mots suivants étaient tout de même inquiétants. Pousser les recherches jusqu'ici…
Elle leva la main, laissa échapper un petit bruit comme hésitante à lui dire de rester, mais elle était déjà trop loin, envolée droit vers ce qu’elle imaginait comme étant la capitale. La laissant à nouveau toute seule même si c’était avec ses affaires les plus encombrantes.
Ils pousseront les recherches jusqu’ici…
En essayant d’entretenir le feu, le bois qu’elle avait pu y mettre n’était peut-être pas des plus parfait, et le panache de fumée qui s’échappait du feu de camp était un véritable signal porté à l’ensemble du monde civilisé autour d’elle. Nul doute que si un groupe de recherche se mettait à écumer la forêt à ce moment, ce serait vers là qu’ils iraient investiguer en premier. Mais que devait-elle faire? Ne risquait-elle pas de perdre l’aventurière si elle changeait de position? Si elle lui laissait un indice à l’ancien camp, il pourrait aussi être utilisé par ses poursuivants…
Quelques heures, avait-elle dit.
Violette ne tarda pas à tout de même regrouper ses affaires, avant d’envoyer son ombre un peu plus loin. Elle ne savait pas réellement où, et, à vrai dire, c’était le meilleur moyen de se perdre une nouvelle fois. Mais cela lui offrait toujours un échappatoire.
Violette tourna la tête nerveusement de chaque côté, chaque petit bruit de la forêt inconnu - pourtant parfaitement naturel - mettait ses sens en éveil. Et si elle se faisait attaquer par une bête? Ou trouver par une patrouille de recherche? Elle ne savait pas vraiment, mais, même si elle pourrait peut-être leur échapper avec son pouvoir un certain moment, elle serait juste de retour au point de départ...
Au loin, des bruits d’homme et des aboiements de chiens se firent entendre, ce qui constituait d’ailleurs ses pires craintes. Devait-elle fuir? Se cacher? Attendre et espérer être retrouvée par Lilith? Le mieux à faire était peut-être d’attendre qu’ils passent? De les leurrer loin avec son ombre, laisser le temps tel quel comme un camp d’aventurier classique.
En espérant que ces types ne dérobent rien en passant.
Mais au pire, Violette ne doutait pas que Lilith irait sûrement récupérer ses biens. Ces affaires n’étaient, après tout, clairement pas celles de Violette, pas vraiment à sa taille. Sur un aspect principalement.
Cela faisait déjà un certain temps que Lilith était partie, et elle ne savait pas vraiment quand elle allait revenir, et, alors que les bruits se rapprochaient, Violette disparu du camp dans un petit voile d’ombres, alors que son ombre allait se cacher dans un coin sans lumière où elle serait invisible.
Le temps qu’ils inspectent le camp et avec l’avance qu’avait déjà son ombre, Violette partait gagnante. Maintenant, restait à réussir à estimer combien de temps ils allaient y rester. Elle se voyait mal réapparaître derrière un arbre avec tous ses poursuivants prêts à tenter de la capturer… Si ils ne la voyaient pas du tout, cela lui évitera bien des problèmes. A elle, comme à l’aventurière. Pour peu que cette dernière ne décide pas de la vendre elle…
Même si l’éventualité avait un peu quitté l’esprit de Violette, alors qu’elle était seule, dans la forêt, traquée, cette éventualité se rappela à son esprit, celle d'être trahie. Mais elle n’était plus la même. Elle serra la plaque d’aventurière de la brune dans sa main. Elle avait toujours peur, mais ce n’était pas une peur qui la paralysait. Bien au contraire. Sur la base de sa volonté, elle pouvait maintenant construire avec ses hantises. Et elle ne se voyait pas continuer de décevoir Lilith indéfiniment.
Arrivant a proximité d’une petite boutique de vêtements, Lilith commença à redescendre en direction du sol puis entra dans l’échoppe. Rapidement elle fit le tour de ce qui était en vente et choisit quelques vêtements pour l’adolescente. Heureusement avec sa petite en forêt du moment l’aventurière ne dépensait pas tout en chambre d’auberges et en litres de bières, elle avait donc de quoi payer ça.
Sans perdre plus de temps elle mit les vêtements dans un sac, quitta l’échoppe et s’envola une nouvelle fois pour retourner au camp. Mais sur le trajet du retour, a l’approche du camp, la brune ne put que remarquer ce qu’elle aurait préféré ne pas voir. Elle n’était plus qu’à quelques dizaines de mètres du camp elle voyait clairement plusieurs silhouettes sur ledit camp. Il y avait fort a parié qu’ils s’agissent d’hommes à la recherche de Violette. Et pour ne rien arranger ils étaient accompagnés par des chiens, ce qui pouvait vite devenir un problème assez gênant. Certains des hommes s’étaient écartés pour fouiller les alentours tandis que d’autres étaient entrés dans le camp et fouillaient les affaires de Lilith laissées là.
L’hybride commença par s’écarter du camp pour cacher le sac d’affaires qu’elle avait achetée puis s’approcha silencieusement des hommes fouillant ses affaires. N’aimant trop qu’on fouille dans ce qui lui appartient elle en saisit un a l’arrière du crâne et le repoussa de toutes ses forces contre la paroi de la grotte. - Les bonnes manières vous connaissez ? On ne fouille pas dans les affaires des autres, encore moins celles privées d’une femme. Esquivant la riposte de l’autre fouilleur, elle l’envoya rapidement valser également. - Qu’est-ce que vous voulez et qui vous a autorisés à fouiller mes affaires ? Elle récupéra sa bardiche appuyée contre la roche et amena la lame contre la gorge d’un des deux hommes qu’elle avait envoyée à terre. - Un conseil : répondez vite avant que je ne m’énerve sérieusement.
Il aurait sûrement été plus sage de ne pas venir du tout sur le camp et de chercher à retrouver Violette avant eux puisqu’elle leur avait de toute évidence échappée pour le moment. Mais l’hybride n’avait pas pu s’empêcher de leur donner une correction. Et même si le remue-ménage qu’elle venait de faire attirait le reste du groupe, elle était parfaitement confiante.
- Hé là du calme, on cherche une gamine en fugue. Une noble incapable d’aller bien loin seule dans cette forêt. Vous ne l’auriez pas aidée par hasard ? Faut nous dire où elle est parce que sa famille s’inquiète. Vous comprenez ?
- Puisque vous vous êtes amusés à fouiller mes affaires vous devriez avoir votre réponse non ? Je crois pas avoir des affaires de gamine, et je n’ai vu personne a part vous. Si vous voulez bien dégagez maintenant, je vous en serai reconnaissante.
Ils n’avaient pas l’air très convaincu mais ils finirent par quitter les lieux. Ils allaient sûrement retenter leur chance plus tard, mais puisque Lilith et Violette comptaient lever le camp ce jour là ce ne devrait pas être un problème. L’aventurière attendit que les hommes venus fouiner soient assez aller loin pour aller récupérer les affaires qu’elle avait cachée et partir à la recherche de Violette qui devait être quelque part dans les alentours. Profitant de la hauteur conférée par ses ailes elle pu la retrouver assez vite.
- J’ai pu les écarter du camp pour un moment mais on fera mieux de bouger rapidement au cas où ils décident de revenir.
De retour sur le camp, Lilith rassembla en vitesse ses affaires mises en désordre par les fouineurs et donna à Violette ses nouvelles affaires pour se préparer à partir. - Tiens, ça devrait t’aller. Tu peux te changer le temps que je finisses de récupérer mes affaires.
Cela devrait l’éloigner de ses poursuivants assez longtemps sans trop de mal. Poursuivants qu’elle n’entendait plus, ce qui était pour le moins positif. Elle recommença alors à errer dans la forêt, sans trop savoir où aller, comme hier, naviguant entre les arbres, les racines, et la végétation de l’endroit. Combien de temps attendre? Violette n’en savait rien.
Elle ne fut heureusement pas trop inquiétée, et, en échangeant à nouveau de place avec son ombre, elle se trouva à l’abri, camouflée par une végétation assez dense. Au loin, quelques bruits d’altercation, rien de vraiment audible, mais la preuve qu’ils étaient toujours là. Alors elle resta cachée, tout en essayant de refreiner la nausée qui s’était emparée d’elle après sa transposition.
Heureusement pour elle, les bruits finirent par s’éloigner, et, voyant une paire d’ailes noires dans le ciel plutôt reconnaissables, elle quitta sa cachette. Sans vraiment savoir si c’était une bonne idée ou non, mais elle le découvrirait assez vite.
Elle laissa échapper un petit soupir de soulagement aux premiers mots de l’aventurière, hochant la tête tout en prenant ce présent qui n’était clairement pas de refus.
« M...Merci. »
Elle avait bredouillé, un peu pâlotte et pas forcément en super forme, puisqu’elle avait un petit peu abusé de son pouvoir. Elle s’exécuta néanmoins rapidement, du moins autant qu’elle le pouvait, dans le couvert de la grotte, avant d’en ressortir avec sa nouvelle tenue. Sa robe toute abîmée, elle ne savait plus trop quoi en faire, et sa valeur avait de tout de façon été réduite à celle d’un chiffon.
Elle passa bien quelques secondes à observer sa tenue, à faire de grands mouvements comme pour en faire jouer le tissu, en tester sa souplesse et sa résistance sans pour autant forcer pour ne pas l'abîmer. Bien différent de ce qu’elle avait l'habitude de porter, le tissu était un peu plus brut et rugueux, mais aussi plus souple et lui laissant une bien plus grande liberté de mouvements.
« N...Ne traînons pas trop, ils pourraient revenir! »
Pas de temps à perdre, une fois encore. Elle ne serait sûrement rassurée qu’une fois bien loin de l’éventuelle zone de recherche. Elle n’avait aucune idée d’où Lilith souhaitait l’emmener, mais l’adolescente lui faisait maintenant confiance. Peu importait la direction qu’elle prendrait, ce serait certainement une des meilleures. Ou bien si ce n’était pas le cas, une des plus instructives.
Elle se sentait endettée, et savait bien que les premiers jours elle risquait de lui coûter bien plus d’argent que l’inverse. Ce genre de principe ne lui étaient pas inconnus. Et il allait falloir qu’elle se rendre utile pour repayer Lilith de tout ce qu’elle pourrait lui offrir. Notamment ces vêtements, un équipement de base, et les repas… Cela, elle pouvait s’en rappeler.
Mais son enseignement n’avait, lui, pas vraiment de prix.
Il était inestimable.
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