L'étoile polaire

Avec Nora Eos

L'Étoile Polaire

Ain L. Sunrick

Le départ s'annonça pour le moins paisible. Tel un voile à demi-opaque, la neige tombait de ses drapés blancs-gris officiant à maquiller le ciel sinon bien bleu, garant d'une journée lumineuse et propice à la suite de leur ascension. Nora jeta un dernier coup d'œil au chalet principal de la halte du montagnard, là où au travers d'une fenêtre, deux têtes blondes les regardaient partir vers l'horizon. Nicola et Mia, dont seul le plus jeune sautillait en faisant de grands gestes, les saluaient dans un concert de vœux de bonne route uniquement audibles depuis la proximité de la réception. L'aventurier esquissa alors un sourire et avant de tourner sur le sentier pour reprendre l'expédition, en s'enfonçant dans la forêt de sapin, fit un signe de la main en guise d'adieu aux bambins. Ils devaient en voir passer, des aventuriers et si ce lieu ne marquait pas forcément tous les esprits, celui du brun le fut pour sûr. Peut-être ferait-il un détour, à l'occasion, pour retrouver l'ambiance atypique de ce coin isolé.

Quelques foulées des destriers au travers du maigre bois et finalement, les crêtes escarpées des sommets enneigés firent face au duo, ne dessinant alors sur les cols qu'un sentier certes assez large pour longer à deux bêtes sans avoir à faire la file, mais incitant malgré tout à la prudence. La chute, dépendant de la progression, pouvait alors varier en termes de hauteur mais aucune ne serait assez inquiétante pour limiter l'allure de leur ascension, ainsi Nora talonna sa monture pour passer de la marche au trot léger à l'approche de la première montée. En quelques heures, ils arriveraient sur un plateau légèrement boisé, là où ils pourraient peut-être prendre le temps de chasser si les ressources s'avéraient à manquer.

Et il s'avéra que ce ne fut pas le cas. Ain, prévoyante comme toujours, avait anticipé et proposa au chasseur un peu de viande séchée. Son ton semblait toujours légèrement distant, pour autant le jeune homme n'en fit montre aucune et accepta modestement le repas improvisé. Elle tira alors la part du brun de sa sacoche et au moment de l'attraper, la monture de l'aventurier fit un mouvement inhabituel, faisant partiellement perdre équilibre à son cavalier qui effleura les doigts de son amie en récupérant le don gracieux. Surprit, Nora planta son regard dans les iris de sa partenaire, comme pour s'excuser de la manœuvre maladroite et s'il voulait s'exprimer verbalement, seul une exclamation surprise s'échappa de sa gorge. Griis, la monture de l'aventurière se cambra dans un sursaut et envoya sa maîtresse en arrière. Tiré par le poignet, Nora tomba également de sa monture et vit le talus enneigé lui tendre les bras. Il enserra alors Ain contre lui dans un réflexe incontrôlé pour s'agripper à sa seule prise, mais aussi pour protéger sa tête d'un mauvais choc. La terre tourna sur elle-même, échangeant à maintes reprise sa place avec le ciel dans une avalanche de poudreuse qui escamota le binôme légèrement en contrebas du sentier. Lorsque la sensation de chute s'arrêta, Nora sentit le poids de son amie. Contrairement à la veille, elle se trouvait au-dessus, cette fois-ci. L'air gênée et les joues rougies, elle s'exécuta en excuses, ce qui eut le don d'afficher un sourire attendrit aux lèvres du chasseur. Il redressa alors le buste à 45 degrés et prit appuis sur son coude gauche pour se stabiliser à presque hauteur de la brune, elle encore ancrée au bas de son corps. Ils n'avaient échangé presque aucun mot jusque-là, aussi que devrait-il dire à cet instant précis ? Il allait bien, plus de peur que de mal et de loin, car son bras gauche déjà blessé supportait sans trop de peine une partie de son poids. Elle aussi, semblait ne pas être blessée, ainsi le plus grave était déjà passé.

Alors lentement, il contracta ses muscles abdominaux pour réduire la distance entre elle et lui et une fois stable, la prit dans ses bras. Aucun mot ne voulut sortir de sa bouche. Égoïste, il ne désirait qu'une chose – profiter de cette occasion pour sentir son contact une nouvelle fois. Il aurait bien mit ce geste sur la volonté de la rassurer mais intimement, savait que les raisons étaient bien différentes. Au-delà des petits soins qu'il est normal d'apporter à ses proches, il avait un besoin éreintant de la savoir saine et sereine auprès de lui, sentir son souffle, sa peau contre la sienne et que son bien-être soit au rendez-vous. Il savoura alors l'étreinte sans rien dire, une poignée de secondes qu'il aurait aimé laisser durer plusieurs heures, avant de s'éloigner un peu et de lui offrir un sourire timide.

- "Ain ..." Ain ... "... je ..." j'ai quelque chose à t'avouer "... je vais bien ..." ton bien-être m'importe bien plus "... ne t'en fais pas." ... Je ne veux pas te perdre "Nous devrions reprendre la route ..." restons ainsi pour toujours "... le temps nous est compté avant qu'il ne fasse nuit." Je veux rester avec toi jusqu'à la fin.

Troublé entre la voix tirée de ses cordes vocales et la voix de son cœur, Nora se mit à rougir légèrement et détourna le regard. Il avait beaucoup à dire et pourtant, aucun mot ne trouvait sa place, dans un discours se voulant rassurant. Ain semblait troublée et ce n'était probablement pas l'occasion d'en ajouter une couche, plutôt, il laissa une de ses main filer sur le genou de la demoiselle en guise de consolation, à défaut de pouvoir lui exprimer sa véritable pensée.

L'étoile polaire

Avec Nora Eos

L'Étoile Polaire

Ain L. Sunrick

Un regard, un soufflé coupé, une brise légère plus tard, Nora reprit ses esprits. Le contact avec son amie épandait une chaleur diffuse le faisant frissonner, partant du contact de leurs jambes et bassin pour monter jusqu'à ses joues qui s'empourprèrent un peu plus. L'aventurier resta ainsi le temps qu'elle se redresse, se faisant de nouveau mordre par le froid lorsqu'il dut se résoudre à la laisser partir. Il accepta alors l'aide qu'elle lui proposait et une fois redressé, face à elle, dut se faire violence pour ne pas la tirer dans ses bras et reprendre l'étreinte qu'ils avaient abandonnés à l'instant. Le brun esquissa un sourire discret, la tête pleine de questions sur moults et divers sujets, tous gravitant autour de son amie. Entre inquiétude et incertitude, il ne savait plus trop où il et ils en étaient, l'ambigüité avait clos toute explication de ce que son cœur avait ressenti, le privant aussi de se dévoiler pleinement à la demoiselle qui semblait aussi perdue que lui, par moment. Les deux se remirent en selle et reprirent la route sans, de nouveau, discuter de ce qu'il s'était passé à l'instant autant que de ce qu'ils avaient fait la veille. Un silence pesant qui tourmenta l'anxiété du jeune homme pour qui bien heureusement, restait Nocturne à ronronner contre ses jambes, confortablement installée devant la selle pour ne pas avoir à marcher.

Dans les heures qui suivirent, ils virent au loin les remparts de Forteresse se dresser fièrement au milieu de la roche brut des montagnes, éminente cité au pavé gris sombre et aux tours surplombant la cour en son enceinte pour y nicher une ville bien plus tranquille que le grand port, mais jouissant d'une réputation au moins aussi bonne et à raison. Le commerce s'y étant installé tournait autour des ressources naturelles présentes à dire, ce que l'on trouve sous terre et si Nora n'y connaissait pas grand-chose à l'économie, lui-même pouvait déduire que la population ici ne manquait de rien grâce à ses différentes attractions. Les nombreux bijoux sertis des pierres précieuses récoltées à flanc de montagne, son air atypique, sa neige quasiment omniprésente et surtout, les sources chaudes faisant un tabac dans le pays entier, tirant même les plus fervents du Culte de Lucy à profiter d'un éventuel pèlerinage pour faire un crochet par les bains bouillants aux vertus multiples. Tant de bonnes raisons de se prêter à l'ascension des chemins rocailleux pour, qui sait, ne serait-ce qu'un brin de tourisme ou une halte bien méritée après plusieurs mois de loyaux services sans congé ? Cette deuxième raison amena le duo à se présenter à une écurie où Ain prit d'elle-même les devants, probablement connaissait-elle son interlocuteur.

Un jeune homme, bien plus jeune encore que celui duquel il garderait provisoirement la bête, s'adressa à la demoiselle en des termes bien posés, l'affublant même d'un surnom qui fit froncer les sourcils au brun. Allons, ce n'était là qu'un enfant, pour autant cela aurait suffi à perturber l'aventurier qui passa bien assez rapidement outre, sitôt Ain le tira de ses pensées.

- "Une auberge ? Hum ..."

Il en connaissait bien une, mais n'en conservait pas un souvenir éloquent de confort. Il faut aussi dire qu'avant d'y crécher, il avait passé une journée pour le moins mouvementée et s'y était échoué à moitié ivre après quelques coups échangés dans une taverne non-loin. Aussi, s'il pouvait éviter le quartier en général, il s'en porterait mieux, ne voulant pas raviver ce genre de souvenirs alors qu'ils, lui et Ain, allaient finalement pouvoir entamer ce qui ressemblait à s'y méprendre à un rendez-vous. Mais à ce stade-là de leur relation, il y avait-il vraiment méprise ? Aussi un peu au hasard, le garçon chercha dans la direction opposée à ce coin de la ville et aperçut du coin de l'œil une enseigne qui lui donna une idée.

- "Il y en a bien une que j'aimerais essayer, si ça t'intéresse, bien évidemment."

Il allait sans dire qu'il avançait à l'aveugle, mais son intuition avait accroché le regard du brun sur un bâtiment en particulier, se démarquant légèrement du reste. Ainsi Nora prit les devants et face aux larges piliers de marbre plantés à l'entrée, il eut une étincelle dans le regard. Cette auberge aux apparences plutôt séduisantes, dont le nom s'évérait être "l'Étoile Polaire", se démarquait des autres bâtiments par ses briques blanches plutôt que grises, ses grandes fenêtres donnant sur un hall d'accueil aux couleurs chaleureuses et son tarif spécial : "Chambre d'auberge et bain privé". Il n'en fallut pas plus au jeune homme qui après avoir obtenu l'accord de son amie, franchit le pas d'entrée et fut accueillit par une demoiselle en kimono derrière son comptoir, gratifiant les futurs clients d'un sourire distingué.

- "Bien le bonsoir, messieurs dames. Je vous souhaite la bienvenue à l'Étoile Polaire."

Elle inclina le buste, bras le long du corps pour saluer ses interlocuteurs. Par mimétisme, Nora lui rendit la pareille.

- "Bonsoir. Nous aimerions réserver une chambre avec un accès aux sources, pour ce soir."
- "Bien sûr. Cet établissement possède trois grands bains publics, dont un mixte, ainsi qu'une option pour bénéficier d'un bain privé dans votre chambre-même, pour mieux profiter de l'intimité. Il va sans dire que les bains en plein air sont insonorisés et isolé, de sorte que rien ne puisse troubler votre confort."

Après une courte hésitation, Nora observa le tableau des tarifs et bien que les prix ne soient pas abordables pour toutes les bourses, il avait assez économisé ces quelques mois pour se permettre ce genre de dépense. Et puis, l'occasion était spéciale et il n'était pas venu seul, alors autant se permettre le grand luxe après ces quelques jours de bataille et de trajet.

- "Je vous prendrais une chambre avec des bains privés, dans ce cas." Il se tourna vers Ain. "Je t'invite, interdiction de refuser."

L'hôtesse acquiesça et pendant que Nora sortit la somme demandée de sa bourse après un petit sourire taquin à l'attention de sa partenaire, la réceptionniste prépara deux paniers ainsi qu'une clé et indiqua au brun la direction à suivre pour trouver la chambre.

- "Votre formule inclus le repas et le petit déjeuner. Ils vous seront livrés sous quinze minutes, pour ce faire, il suffit d'activer le cristal sur la table de chevet à l'entrée de la chambre, il enverra un signal aux cuisines qui prépareront votre commande. Messieurs dame, en vous souhaitant une agréable soirée."

Une nouvelle révérence et Nora attrapa un des deux paniers contenant un lot de serviettes propres ainsi qu'un peignoir encore chaud, porteur d'une odeur légère de fleurs de saison douce. De son autre main il récupéra la clé et prit un pas d'avance avant de s'assurer que tout soit en ordre pour son amie. Sur son visage se lisait une certaine impatience, discrète malgré tout, il avait aussi une mine légèrement songeuse.

L'étoile polaire

Avec Nora Eos

L'Étoile Polaire

Ain L. Sunrick

A de ça quelques foulées à peine, le hall d'entrée laissa place aux longs corridors de sol vernis, modestement éclairés par des cristaux de lumière suspendus à intervalles réguliers au-dessus de leurs têtes. Après avoir dépassé les deux premières chambres à gauche et négocié le tournant dans le couloir de droite comme indiqué par l'hôtesse, Nora se trouva bien assez tôt face à la porte incrustée du numéro 18, en chiffre de métal plaqué. La clé entra sans difficulté dans la serrure et tourna souplement, en deux tours de poignet, l'accès était libéré. La pièce était exposée.

Fines fresques au mur et cocon duveteux en apparence, le sol était composé d'un genre de paille soigneusement tressée, duquel aucune tige dissidente ne menaçait de venir chatouiller un pied nu trop insouciant. Équipée d'une table basse posé sur un tapis blanc immaculé – sur celle-ci trônait une corbeille de fruits – la chambre dévoilait des couleurs à mi-chaleureuse, mi-tamisée qui appela alors à un sentiment de bien-être assez spontané, comme inconscient, mais médité par des esprits savants pour créer une ambiance de détente. Ci-et-là, il y avait des branches de gui soigneusement disposées, notamment au-dessus des entrées pour y décorer leurs invités avec un contraste net entre les tiges et feuilles vertes, couplées avec les baies blanches. Et si Nora était à ce moment inconscient des croyances tournant autour d'une marque d'affection sous les grelots de saison fraiche, Ain l'eut bien vite instruit par un acte qui fit s'emballer son cœur.

La brune s'était approchée et sur la pointe des pieds, avait posé un baiser sur les lèvres du garçon. Le rouge lui monta aux joues et son visage resta muet, à l'exception de ses yeux qui s'écarquillèrent légèrement. En guise de remerciement et pour lui porter chance, donc ? Il resta figé sans lâcher la demoiselle du regard, surprit de cette initiative et sans trouver de mot, il l'observa s'éloigner vers la porte du fond, menant supposément à la chambre. Droit, à l'entrée de la pièce, il n'avait pas bougé, porta ses doigts pour effleurer ses lèvres et se remémorer de cette douce attention. Même en fermant les yeux, il ne put reproduire l'exquise sensation et son rythme cardiaque ne faisait que s'accélérer à y penser. Que pouvait-il faire à présent, sinon rêver de retrouver ce contact, un peu plus, plus longtemps, plus sensuellement encore ? Ses joues s'empourprèrent d'autant plus que les souvenirs de la veille firent un énième retour dans le flot de ses pensées. Était-il seulement capable de vraiment oublier ? Comme une flamme, vacillante, éphémère, à l'image de sa propre détermination, nombre de fois manquait-elle de se faire balayer, mais chaque fois elle se redressait. Ce soir, elle était différente. Incandescence le consumant de l'intérieur, comme une passion dévorante lui intimant d'aller chercher ce que son cœur désir, il accumula alors contre l'orage d'angoisse une force suffisante pour percer au travers de ses présages gris, assez de courage pour affronter la foudre, assez de chaleur pour ne pas succomber face à l'averse. Nora prit une grande inspiration et bloqua l'air dans ses poumons, quelques secondes à peine. Il expira. Encore une fois, inspira et s'imagina qu'à l'instant où son abdomen serait vide d'oxygène, sa tête serait vide de crainte. Il se dirigea ensuite sur les traces de son amie et se glissa dans la chambre, fermant soigneusement la porte derrière lui avant de se tourner vers elle.

D'une main, il ôta son sac de ses épaules, de l'autre, le lacet fermant sa cape. L'équipement déposé au sol et l'aventurier face à la demoiselle capta son regard, il ne le lâcha pas un seul instant. Il savait ce qu'il avait à dire, ce qu'il voulait dire. Il savait quel mot il voulait employer, également, à quel rythme, comment progresser face à elle et s'emparer de ses lèvres. C'est tout comme il l'avait fait avant, seulement lucide et face au fait accompli sans aucun artifice, aucune aide, aucune débauche, seulement lui face à ses sentiments. Il ouvrit la bouche et ... aucun son n'en sortit.

Il se mordit la lèvre. Pourquoi diable celui lui arrivait-il maintenant ? Lui qui avait attendu cet instant précis, rien ne lui venait, après plusieurs lunes à la connaître, à la découvrir un peu plus chaque jour, il était muet. Que pouvait-il arriver ? Beaucoup de choses à vrai dire, si le chasseur était pourtant sûr de lui sur le terrain lorsque sa vie était en danger, la danse de l'amour lui semblait bien plus complexe à appréhender, tout comme si un seul faux pas le mènerait immédiatement dans les tréfonds des limbes. Pourtant, une voix résonna en lui, celle qu'il avait déjà entendu lorsqu'il la serrait dans ses bras, après leur affrontement dans la forêt. "Tu peux le faire, Nora. Tu en es capable." Il avait déjà trop perdu, trop vu, trop pleuré. L'heure n'était pas déjà aux regrets mais à l'initiative et si le regard d'Ain devait peser sur lui, aussi ne serait-il qu'un encouragement supplémentaire pour y parvenir. Il ne la perdrait pas en se dévoilant, il la perdrait en fuyant, tout comme il l'avait déjà fait un soir, proche du Village Perché après la naissance de son familier. Il ne le souhaitait en rien et peut-être ce soir-là, était-ce sa chance de lui parler à cœur ouvert.

- "Ain, je ... j'ai quelque chose à t'avouer. Ton bien-être est essentiel à mes yeux, nos moments passés à deux me sont précieux. Il m'est arrivé, ces derniers jours, d'éprouver de la peur, celle de te perdre ... après ce qu'il s'est passé pendant notre quête, lorsque nous nous sommes affrontés, lorsque nos corps se sont unis également ..."

Il approcha d'un pas pour se trouver un peu plus à son niveau. Son regard ancré dans le sien, il avait déjà dit une partie de ce qu'il souhaitait évoquer, maintenant restait encore le plus important.

- "Je ... j'ai l'impression de manquer de mots, pourtant j'ai tant à te dire. Je ..."

Il détourna le regard. Ces mots là étaient compliqué à exprimer, comme si tout son corps lui criait qu'il courrait à sa perte s'il les prononçait. Pourtant il s'accrocha encore un peu plus, il arqua le haut de son corps pour approcher des lèvres d'Ain et y posa un doux baiser, tendre et emplit d'un amour inexprimable par de simples mots, aussi il tenta de les traduire du mieux qu'il put.

- "... Je t'aime, Ain."

Il plongea une deuxième fois avec autant de tendresse, posant de nouveau ses lèvres contre les siennes. Si le chaste baiser de la demoiselle lui avait porté chance, ainsi la remercierait-il. Il n'est nul échange sans son juste équivalent et Nora n'était pas homme à s'endetter, tenant au-dessus de leurs têtes la même branche de gui ayant été témoin de leur premier baiser.

L'étoile polaire

Avec Nora Eos

L'Étoile Polaire

Ain L. Sunrick

Ce deuxième baiser fut un peu plus long que le premier. Les mains du chasseur se mirent à trembler, son cœur ne tenant plus la cadence avait fini par influer sur la maîtrise de son propre corps. Ce contact doux et chaud fut la seule chose sur laquelle il arriva à se concentrer, affrontant les symptômes de l'anxiété par des vagues de frisson parcourant la totalité de son épiderme. Jamais il n'avait autant ressenti au travers d'un baiser, par aucune occasion n'avait-il même vécu d'émotion aussi forte, positivement. Lorsqu'il se sépara de ses lèvres, Nora chercha son regard et ne trouva que la mine songeuse de son amie. Elle était toujours aussi troublée, peut-être plus encore et une pointe d'appréhension fit son apparition. Était-il de nouveau allé trop loin, trop vite ? Il se fit violence pour ne pas se laisser assaillir par ces tristes idées et plutôt que cela, se redressa légèrement pour laisser de l'espace à la demoiselle. Finalement, elle leva un regard incertain et s'exprima avec ce qui semblait être de l'hésitation, aux yeux de l'aventurier.

- "Je ... ne veux pas aimer. Je ne veux pas aimer pour perdre ensuite ..."

Tout comme si ces mots étaient empreints d'une peine immense, Nora put relater à sa propre expérience. Chacun avait perdu un parent, un proche, avaient certainement constaté la mort d'autrui et s'étaient créés un cocon de protection, un fort imprenable autour de leurs propres sentiments pour se préserver du monde et de sa cruauté. Si Nora, lui, désirait plus que tout quitter cette cité de pierre et préserver l'espoir de revoir son père un jour, Ain n'avait pas forcément eu cette chance. Le regard du brun perdit en éclat alors qu'il sombrait dans un état d'empathie et de compassion, forcé face à ses propres craintes. "Tant que je vis, il n'y aura plus de sacrifice", sa propre promesse et son espoir, sa volonté de venir en aide à son prochain se retrouvait estropiée par l'éventualité qu'un jour, il n'aurait pas la force d'assumer ce genre d'engagement. Que dire à Ain si elle devait un jour le trouver sur son lit de mort ? Comment soutenir son regard si elle lui accordait sa confiance et lui, la trahissait ?

- "Je pense que ... je t'aime aussi ... je ne veux pas te perdre et j'ai peur de me retrouver à nouveau seule ..."

Cette peur légitime était commune à ce duo. Deux orphelins ayant survécu, par misère ou bonté, la limite entre l'un et l'autre est infime lorsque l'existence nous rappelle que l'on pourrait se lever un jour en ayant perdu quelqu'un, encore plus en affrontant les dangers parfois inconnus d'Aryon. La voix tremblante de Ain et la fin de son discours émurent l'aventurier, resté sans mot alors que sa partenaire agrippa sa chemise en sanglotant. Le poids des responsabilités était parfois immense, parfois aussi manquions-nous d'expérience pour celles-ci, à défaut de pouvoir les accepter, nous fuyons, nous terrions derrière des remparts imperméables au soleil comme à l'orage. Cet engagement n'était pas une simple question de réciprocité, mais aussi de volonté et de détermination. Une croix qu'il portera probablement jusqu'à la fin de ses jours, mais également une raison de plus de s'accrocher. Sa vie ne se résumait alors qu'à trouver son père, pour Nora qui ne voyait là qu'un carburant pour donner du sens à son existence. Il n'avait que peu d'attaches et souvent, se disait que s'il mourrait en mission, il ne ferait que grossir le rang des aventuriers décédés sur le terrain sans réelle répercussion. Conscient de cet impact-là, il ne pouvait laisser pour point final une vaine promesse, aussi en son for intérieur, il décida de changer les choses. Se saisissant d'une masse, il asséna un premier coup, cinglant, dans ses propres défenses.

- "Ain ..."

Ce ne fut pas suffisant. Brandissant de nouveau son arme, il frappa encore plus fort et le tremblement se répercuta jusque dans le bout de ses doigts, qu'il posa sur la joue de la demoiselle.

- "Je ... Je ne veux pas te perdre, moi non plus ..."

Cette structure de pierre qu'il avait passé cinq ans à dresser, le protégeant de ses propres émotions et de sa propre peur de souffrir, il la battit en faisant résonner au travers de sa gorge un écho d'ultime espoir.

- "Je veux pouvoir rester à tes côtés, veiller sur toi et te protéger ..."

Il leva le marteau au ciel et brisa la dernière pierre. Là où se trouvait autrefois sa seule défense contre la cruauté du destin, la peur de perdre, l'angoisse de vivre en voyant ses proches mourir, ne restait alors que poussière et lui, seul au milieu des décombres. Il lâcha son arme et lorsque le vent balaya les restes de feu son édifice superficiel, il posa alors une première pierre, maîtresse et ultime départ d'une volonté grandissante. Il ne mourrait pas. Puisse la voute céleste gronder, le sol l'engloutir, il planterait ses ongles dans la terre pour ramper, jusqu'à se les briser. Lorsqu'il n'aurait plus d'ongles, il gratterait la chair jusqu'aux os et continuerait et même sans ceux-ci, il mordrait le terrain pour se tracter. Il ne vivrait plus pour une quête, il se battra pour vivre et ce faisant, parviendra à surpasser chaque obstacle se dressant sur sa route. Une flamme nouvelle brilla dans le regard du brun qui fléchit les jambes et posa un genou au sol, finalement il enlaça Ain, à mi-chemin entre la douceur et une force résolue, il comptait lui faire sentir la moindre palpitation de son cœur en ultime garant. "Je suis en vie, Ain. Et je le resterais."

- "Je ne t'abandonnerais jamais. Je vais vivre, Ain ... Je veux vivre. Avec toi."

Il parla tout doucement, proche de son oreille et une fois tût, colla sa joue à la sienne en resserrant un peu plus l'étreinte. Ses yeux s'embuèrent d'une émotion indescriptible, entre la plénitude et l'empathie et au travers de sa vision floutée, seules les lumières des sapins décorés à l'extérieur transparaissaient. Plus rien au monde n'importait, sinon elle et seulement elle.

- "On y arrivera ... ensemble."

L'étoile polaire

Avec Nora Eos

L'Étoile Polaire

Ain L. Sunrick

Nora ferma les yeux. Il n'y avait plus rien dans la pièce, sinon ces deux âmes s'étreignant l'une l'autre. A chaque souffle, le brun caressa son dos, à chaque hoquet de Ain, il passait une main dans ses cheveux. Sans lui glisser un mot, il laissa le silence faire sa propre conversation, ponctué par le sanglot de sa précieuse amie. Ainsi ils restèrent le temps qu'il fallut à la demoiselle pour retrouver une respiration régulière, aussi longtemps que nécessaire et même un peu plus, lorsque celle-ci enlaça le cou de l'aventurier. Naturellement, ses mains glissèrent alors autour de ses côtes qu'il enlaça avant autant de tendresse, transmettant en continu sa chaleur imprégnée des émotions positive qu'il accordait à cette femme si spéciale à ses yeux. Soufflant contre son cou, il laissa alors courir ses doigts le long de sa colonne vertébrale et finalement, elle leva vers lui un regard embué par son chagrin. Elle le remercia et s'excusa, Nora lui offrit un sourire chaleureux et tourna la tête de gauche à droite.

- "Ne t'en inquiètes pas. Je suis là pour toi ..."

Bien qu'il l'ait déjà vu ainsi, c'était pour le moins rare de voir Ain dans de pareils états, aussi le chasseur avait une certaine idée de ce qu'elle pouvait ressentir. Sans rouvrir la bouche, il colla brièvement son front contre le sien en fermant les yeux, une marque d'affection muette qui en disait plus que de longs discours. Pleurer avait ses vertus et ils formaient, pour le coup, un duo bien vertueux lorsque Nora essuya discrètement ses yeux à son tour. Un vécu torturé pour chacun et un tel bonheur ce soir, au point où il semblerait presque illégitime d'en profiter, pourtant si Lucy les avait laissé arriver jusque-là, jamais l'éphèbe ne se serait permit de cracher sur un cadeau de la déesse. Encore moins avec sa foi grandissante, car persuadé qu'elle lui était déjà venue en aide, il s'assurait d'en respecter le moindre signe et Ain en faisait partie. Son deuxième nom en était d'ailleurs une avance supplémentaire, car malgré les conditions désastreuses les ayant réunis, sans cette malédiction, jamais il n'aurait pu la retrouver ici ce soir, jamais dans les mêmes conditions, jamais avec ce lien puissant les unissant. Une belle guirlande d'aléas se chevauchant les uns les autres avait donné naissance à cet instance unique, précieux, un souvenir que l'aventurier chérirait longtemps.

Sur ces pensées positives, Nora écouta la proposition de Ain et lui offrit un nouveau sourire réciproque en acquiesçant. Il serait bête de ne pas profiter de ces sources chaudes et le contraste de température entre l'extérieur et l'eau laissèrent un jeune homme rêveur, comblé de hâte et saupoudré d'un soupçon d'excitation. Il y avait un tas d'activité agréable à faire par temps pareil. Un château, une bataille, voir même un bonhomme de neige, quoiqu'il en avait déjà fait un avec Mia et Nicola, à la Halte du Montagnard. Alors pour varier les plaisirs, l'aventurier fut le premier à se redresser en rompant l'étreinte, laissant ultimement glisser ses doigts le long des bras de la jeune femme.

- "Je vais partir devant. Tu me rejoins ?"

Une question dont la réponse semblait pourtant évidente, il souhaitait par la même occasion lui glisser qu'elle pouvait s'accorder un petit moment de solitude si elle le désirait. Parfois, on réfléchit mieux seul que dans une pièce avec quelqu'un d'autre et pour cette même raison, Nora quitta la pièce pour se changer dans l'entrée, récupérant dans le panier offert par l'accueil une serviette qu'il enroula autour de ses hanches avant de se rendre dehors. En ouvrant la porte, un léger courant d'air tira un miaulement mécontent à Nocturne et le brun offrit à son familier un regard désolé, puis finalement assuma un peu moins fièrement le pavé glacé sous ses pieds. Bien heureusement, la température du sol était bien plus agréable à mesure qu'il approchait du bassin et avisant le matériel pour se nettoyer avant d'entrer dans le bain, il délaya un peu plus l'instant de réconfort pour la bonne cause. Il retira sa serviette et s'assura alors de retirer toute potentielle crasse de son épiderme, grinçant légèrement à chaque courant d'air, aussi faible soit-il, avant de rejoindre le bassin couleur jade. Un long soupire de bonheur quitta ses lèvres lorsqu'il s'y glissa et les yeux clos, tête contre le rebord du bain, il s'enfonça jusqu'à la moitié du torse en savourant la sensation brûlante. Niveau confort et qualité du service, cet établissement était incroyable, quoiqu'il restait encore à juger le repas qu'ils serviraient, mais n'étant pas très exigeant de nature, Nora se contenta d'apprécier l'instant présent, l'appétit saurait attendre.

L'étoile polaire

Avec Nora Eos

L'Étoile Polaire

Ain L. Sunrick

Le bruit d'une baie vitrée coulissant dans ses rails, suivit de l'écho de pas nus sur le pavé firent entrouvrir un œil au brun. Il ne faisait aucun doute sur la personne présente avec lui, car d'une manière assez occulte, l'aventurier pu visualiser la démarche de son amie sans même la regarder, la manière dont la plante de ses pieds épousait sans fébrilité quelconque le sol gelé, à quel moment se levait le talon et se posaient les orteils. Cette démarche, il l'avait déjà entendu et à l'instant, assimilée à Ain qui allait le rejoindre. Elle entreprit un brin de toilette et se rinça avant d'entrer dans le bain et sans pudeur inutile, se glissa non loin de Nora, le tout sans un mot. Respectueux de ce silence d'or, nul ne pipa mot, pas tant que l'onde faisait encore écho, pas tant que l'eau de sa douche n'avait pas terminé de s'écouler au travers de la grille de l'avaloir. Tout autour d'eux, seul le bruit lointain de l'animation en ville leur parvenait, éphémère, comme un concert vague porté dans les hauteurs sans réel but ni raison. A quel point l'homme est petit, à quel point en a-t-il conscience au quotidien ? Travaille le jour, danse le soir, dors la nuit, si certains semblaient ne jamais se soucier de soucis aussi triviaux, chacun se l'est au moins demandé une fois et ce soir fut le tour de Nora, lorsqu'il ouvrit les yeux sur le ciel ponctué d'un millier de lumières. Que représentait-il dans la vaste étendue de sable, lui, simple grain perdu parmi tant d'autre ? Et pourquoi ce grain-là, libre un jour de se laisser porter par le vent, décide de s'accrocher à la terre, à ses proches, à ce à quoi il tient ? Tout disparait un jour et l'homme, petit qu'il est, n'a pas la force de rattraper le vent lorsqu'il souffle la brise de trop. A quoi rime une quête, l'amour, un objectif, une passion ? N'est-ce donc là que pour nous divertir et nous faire oublier que nous sommes mortels ? Pourtant il y a encore bien des choses mystérieuses à découvrir. Le cœur a des desseins parfois obscurs et si aucun sens n'y fait en imaginant le désert qu'est censé représenter le monde, en occultant les tristes constats, il ne reste au contraire que des choses que l'on aime. Alors on s'accroche et affronte le vent, que veut dire une vie dans un sablier géant ? Quand sera-t-il renversé et toute les vies, chamboulées ? Aucune importance, il n'était pas de son devoir d'y penser, lui était là pour des raisons qu'il connaissait, alors il comptait bien tout donner au jour le jour. Chaque instant comptait et celui-là plus que tant d'autres. Les bras et jambes écartés, la tête balancée en arrière, Nora resta un instant de plus dans sa position de l'étoile à faire de l'ordre dans sa tête avant de reprendre pied avec le monde réel.

Il se décala un tout petit peu sur sa gauche et en sentant la peau de Ain, passa un bras derrière ses épaules pour l'enlacer affectueusement. Rien n'était plus précieux que ce moment et il souhaitait s'assurer qu'elle en profite au moins autant que lui.

- "Le ciel est magnifique, ce soir." avait-il dit, pensif.

Il rompit le silence, lui-même rompu par les élans philosophiques. Sa contemplation l'avait perdu une première fois mais cette fois-ci, il resta lucide. Suffisamment longtemps pour voir un des astres perchés tracer un trait blanc à l'horizon. Avec un grand sourire aux lèvres, Nora le pointa de sa main libre en retenant une pointe d'excitation.

- "Tu as vu ? Une étoile filante ! Vite, fais un vœu !"

Et aussitôt, Nora baissa la tête en réfléchissant. Que pourrait-il souhaiter, alors qu'il était parfaitement comblé à cet instant même ? Il se tourmenta un instant l'esprit et laissa passer plusieurs idées avant de redresser la tête, résolu. Formulant son vœu silencieusement, il arbora un grand sourire satisfait une fois terminé.

- "Qu'as-tu souhaité, Ain ?" s'amusa-t-il sur un ton joueur.

Bien sûr, certains avaient pour coutume de ne rien dire d'un souhait avant qu'il s'exauce, s'il devait s'exaucer bien évidemment. Mais piqué par la curiosité, Nora ne put s'empêcher de demander. Après tout, qui ne tente rien n'a rien !

L'étoile polaire

Avec Nora Eos

L'Étoile Polaire

Ain L. Sunrick

Le souhait de la jeune femme fut tout aussi surprenant que touchant, pourtant également compréhensible. Nora lui lança un regard légèrement dubitatif, le sourire au coin des lèvres, l'air d'attendre une suite, pourtant Ain s'arrêta là. Sa volonté était précise, déterminée, aussi bien plus noble qu'elle ne le laissait paraître. L'on s'attendrait d'une personne comme elle à ce qu'elle tranche dans le vif, mette les pieds dans le plat et ne regarde jamais par-dessus son épaule pour y laisser les démons du passé. Plutôt que cela, une personnalité nouvelle se révélait depuis quelques temps, plus précisément depuis ce jour dans la forêt ...

Les images affluaient à une vitesse phénoménale, l'aventurier vit des éclats percer les ténèbres de sa psyché, similaires à ceux produits par le choc des épées entrechoquées. Sa première danse avec Ain était de sang, de sueur, mais pas de chair. Elle était lourde, pesante, comme si ses mouvements étaient guidés par un marionnettiste pianotant ses conspirations dans l'air, juste au-dessus de leurs têtes. Avait-il ressenti cette impression de lourdeur, à cet instant ? Tout était flou, l'homme face à lui n'était autre qu'une illusion l'ayant projeté au-devant d'un terrible destin, il s'en fallut de peu pour qu'aucun d'entre eux ne soit grièvement blessé. Un bal de lames déviées brisant les cairns de pierre ayant remplacé la forêt aura manqué de priver l'un ou l'autre de son partenaire, une atroce pensée à n'en pas douter.

Mais à l'instant présent, la paix avait fait son grand retour. Instinctivement, Nora observa les cicatrices de son bras. Grâce à la potion de Ain et les soins prolongés, il n'avait là que des blessures fermées, longues estafilades sur le reste du corps qui viendraient grossir sa collection de stigmates obtenues en exerçant son métier. Son regard tomba alors sur Ain, en plongée, il eut un visuel parfait sur sa clavicule et son épiderme parfaite, partiellement brisée par les mêmes marques dont certaines causées par l'homme l'étreignant. Ils s'étaient déjà excusés l'un l'autre, aucune rancœur ne subsistait à l'égard de son partenaire et pourtant, Nora se faisait encore la guerre à lui-même. Qu'aurait-il fait si un coup avait porté à l'abdomen ? Comment aurait-il réagi face au déclin d'une personne chère ? Un nouveau souvenir, d'autant plus douloureux, prit le relais sur le flot constant de pensées.

Une mémoire qui avait chamboulé sa vie, la deuxième pour être exact. Alors qu'il revenait d'un long voyage en solitaire, âgé d'à peine 16 ans. Les membres du village le regardaient comme s'il était un phénomène de foire, chuchotant à l'oreille d'un voisin avant de se faire imposer le silence par celui-ci, de peur que Nora intercepte la conversation. Le prêtre du village, attiré par le soudain silence, comprit aussitôt en croisant la mine déconfite de l'adolescent, quoiqu'encore insouciant de ce qui l'attendait à quelques mètres plus loin. Il le ménagea, glana quelques informations au passage. Lorsqu'il apprit que la quête de la petite tête brune avait été infructueuse, il avait dévié le regard en enserrant ses épaules dans ses grandes mains d'adulte. Il prit alors ses mains dans les siennes en posant un genou au sol et lui demanda en échappant au contrôle de ses émotions.

- "Il faut que tu sois fort. Tu es un grand garçon, pas vrai ? Tu es si courageux, alors je t'en supplie, prends ma main et accompagnes moi un instant."

Troublé, il ne sut quoi faire sinon mettre sa confiance entre les mains du missionnaire de Lucy, il l'accompagna alors là où se trouvait sa maison, il n'en restait que des cendres. Ce jour-là, Nora perdit connaissance au milieu des décombres et ne se réveilla que quelques jours plus tard, laissant en lui une marque indélébile, un concentré de haine, de culpabilité, de peur et de regrets.

Tiré de ses pensées par la voix de Ain, Nora acquiesça lorsqu'elle annonça son départ. Lui resterait quelques secondes de plus, histoire de faire de l'ordre dans sa tête avant de rentrer.

- "Je te rejoins dans un instant."

Et bientôt, il se retrouva seul à l'extérieur. Un coup d'œil vers le ciel lui laissa l'occasion d'apercevoir une étoile anormalement brillante, comme si elle cherchait à attirer son attention. Lorsqu'il rêvait de ses parents, c'était souvent le cas avant qu'elles ne se mettent à tomber du ciel, mais rien de tout cela n'arriva.

- "Je vais bien, maman. Je vais vivre."

Il adressa une prière muette à sa défunte mère et quitta le bain, se séchant prestement pour éviter d'attraper froid et rejoint Ain à l'intérieur. Il n'avait rien répondu, lorsqu'elle avait formulé son souhait, aussi il n'était pas trop tard pour ce faire. Il dépassa les familiers confortablement lovés les uns contre les autres, à l'exception de Vif ayant fait son nid dans un alcôve du mur opposé à la cheminée. Lorsqu'il fut à hauteur de son amie terminant tout juste d'alimenter le feu, il attira son attention et prit une de ses mains entre les siennes.

- "Mon souhait ... mon souhait était que l'on ait la force de surmonter chaque épreuve, toi et moi. Je ne mourrais pas, je vais vivre, aussi longtemps qu'il me sera donné de vivre."

Il fit un pas dans sa direction et posa la main de la demoiselle sur son torse, sa dextre partit caresser la joue de son amie.

- "C'est une promesse. Même au sol, je me relèverais. Quoi qu'il arrive, je survivrais ..."

Il marqua une légère pause et la flamme naissante dans son regard perdit de sa fougue pour redevenir aussi calme que les flammèches crépitantes dans la cheminée.

- "Il va sans dire, j'attends la même chose de toi. T'as pas intérêt à mourir, si tu ne veux pas que je vienne te chercher dans l'autre monde !"

Son exclamation fut ponctuée d'un petit rire, laissant entendre une pointe humoristique dans sa déclaration. Il ne voulait pas s'imaginer la perdre, alors qu'il avait finalement réussi à être sincère avec elle. La sénestre maintenant la main de l'aventurière contre sa poitrine enserra légèrement les doigts de son amante, Nora la gratifia d'un grand sourire et envouté par ses charmes, se pencha tout doucement pour aller chercher ses lèvres.

A mi-chemin, il fut arrêté par un gargouillement venant de son ventre, le faisant s'arrêter net dans sa démarche, puis se redresser avec moitié moins de consistance.

- "Eh ... ahah ... je crois qu'on a dépassé l'heure du repas ..."

Maladroitement, il se déroba sur le côté pour approcher de l'entrée et d'une pression habile, activa le cristal chargé d'envoyer un signal aux cuisines. Il ne restait donc qu'à attendre.

L'étoile polaire

Avec Nora Eos

L'Étoile Polaire

Ain L. Sunrick

L'appel aux cuisines émit un son cristallin, notifiant l'aventurier qu'il avait correctement utilisé l'appareil magique et que leur repas arriverait sous peu. Assez de temps pour ... discuter ? Se rhabiller et se préparer à manger ? Car minuit passé avait fait gronder son estomac ... Ain ne fut pas de cet avis-là, car sitôt retourné et après quelques pas seulement, elle assaillit le chasseur d'un baiser langoureux lui faisant presque perdre tant l'équilibre que pied avec la réalité. Les joues rouges et le cœur accélérant subitement, il ne fallut qu'une demi-seconde de non-hésitation au brun pour lui rendre avec autant de fougue ce baiser brûlant. Ses mains se positionnèrent autour des hanches de la demoiselle pour rendre son étreinte et pu déduire à la sensation pressée contre son torse que cette créature séduisante n'avait plus rien pour la vêtir.

Alors soucieux de son bien-être, il l'habilla, d'un millier de caresses, de doigts glissants dans le creux de sa colonne vertébrale et d'empoigne sur ses hanches. Bientôt plus avare encore de son contact, il fit tomber sa dextre dans son bas-dos pour choyer toute ses formes, la sénestre, elle, cherchant une sensation jumelle plus haut sur l'anatomie de sa compagne. La chaleur monta dans tout le corps du brun et répondant à un appel muet, ses sens s'aiguisèrent pour ressentir au travers de ses moindres gestes une émulsion grandissante. Dans le moindre souffle coupé, il y trouvait une passion renouvelée, devenant lentement esclave du goût sucré de ses lèvres. Sa serviette tomba également, authentique et fier devant son amante, Nora ne s'en cacha nullement, pressant même un peu plus leurs bassins en communiquant sans mot un désir puissant, pur, sans pudeur. Une pointe le tira un bref instant de cette délicieuse entrevue et rompant provisoirement le baiser, la voix de la raison qui semblait aussi avoir éveillé sa partenaire prononça le nom de l'éphèbe en rougissant. Car nulle autre raison qu'Ain importait à cet instant précis.

- "Ain ..."

Il reprit pied avec la réalité. Le temps semblait s'être arrêté pendant le baiser et pourtant, nul ne savait dans combien de temps ils seraient dérangés, lorsque le repas leur sera servi. Aussi, il dû reprendre en sérieux et consistance pour ne pas céder au désir, aussi ravissante soit son amie. Exactement ! Les joyeuses convivialités pouvaient très bien attendre un peu plus longtemps ! Voilà ce qu'il allait lui dire et puis, ils avaient bien toute la soirée pour penser à faire ça ! Sage et raisonnable, fidèle à lui-même, Nora annonça.

- "J'ai envie de toi, Ain."

Bien joué l'expert. Il replongea aussitôt sur ses lèvres et reprit là où ils s'étaient arrêtés. Au diable le repas, il se sentait très bien de vivre d'amour et d'eau chaude, là tout de suite. Son étreinte se fit un peu plus puissante, redoublant d'ardeur alors qu'il jetait au vent toute bonne morale pour s'abandonner à la passion. Entre deux baisers, le jeune homme alla chuchoter à son oreille de son amante.

- "Viens."

Il glissa une main dans la sienne et la tira avec jusqu'à la chambre, qui resta ouverte aussi longtemps eut-il fallut pour que deux adultes s'y engouffrent. Le baiser pu reprendre aussitôt l'intimité retrouvée et bien moins timide, l'aventurier prit les devants en accompagnant sa partenaire jusque sur le matelas confortable, là où ils pourraient retrouver la douceur et la chaleur d'un acte que l'on ne nomme pas. Vivant comme il ne l'avait jamais été, c'était aussi une première pour le jeune homme qui jusqu'alors, n'avait quasiment eu que des expériences atypiques dans ce domaine-là. Sous l'emprise d'un poison, soit-il d'alcool ou d'aphrodisiaque, jamais ses gestes avaient été aussi assumés que ce soir et bien plus à l'aise alors, ce fut de tout cœur qu'il voulut faire danser sa partenaire.

L'étoile polaire

Avec Nora Eos

L'Étoile Polaire

Ain L. Sunrick

Là où meurent les fleurs, pousse la vie à la saison douce. Lorsque la phéromone embaume les esprits, ainsi nait quelque chose de fantastique, indescriptible par de simples mots. La gestuelle est parfaite, la lune accompagne la valse des deux aventuriers, là où la veille jouait encore quelques faux pas, ce soir fut une toute autre expérience. Ain donna le rythme, Nora le suivit, puis inversement, il inculqua son propre tempo, prenant la hanche et la main de son amie. Jamais n'avait-il dansé ainsi, un ballet d'amour et d'exclamation, de répits de courtes durée repris par la fougue enivrante, du chant porté par la nuit tombante et des respirations saccadées. Si l'homme était souvent épris de son propre contrôle, y vouant fidélité suprême, ce soir fut la première entorse à cette règle absolue, laissant aller et venir les émotions pour offrir une expérience inoubliable à ce fantastique duo qu'ils formaient, Ain et lui-même.

Il y eut un son dans la pièce voisine, distraction tirant partiellement le brun de son monde de plaisir. Mécontent, il se redressa et supputa les chances qu'il rompt ce contrat de chair avec son amante. Nulles. Il se pressa contre la poitrine de son amie et embrassa son cou comme pour s'accaparer sa pleine attention. Rien ni personne n'arrêterait cet instant précieux, là où la tendresse se mourrait provisoirement pour déchaîner les passions, aucun besoin n'arriverait à surpasser celui de poursuivre la parade. Au profit de fougue se tut-il en vocabulaire pour ne laisser échapper que des grognements, entrecoupés par les marques qu'il posait dans le cou de la jeune femme, aucun mot doux ne trouvait sa place dans cette valse où seul les actes comptaient. Il n'avait en rien tarit d'appétit et prit lentement l'ascendant, fit virevolter sa partenaire pour avoir le plein contrôle de ce concert d'art, exposant sa véritable nature au grand jour dans une explosion de sensation à en donner le vertige. Il enserra sa muse, avançant, reculant, un pas en arrière puis en avant, pour la suite du ballet il positionna ses mains sur ses hanches et entama la deuxième ouverture où les artistes donneraient libre cours à leur expression.

Cette première partie de la nuit et premier solstice de la saison froide à deux fut riche en émotion et si la mort avait partiellement saisi l'aventurier, il n'avait pas renoncé à la côtoyer d'encore plus près, mais la trêve sonnée provisoirement l'ayant laissé haletant lui donna une occasion de reposer ses muscles jusqu'à la reprise des festivités. Étendu aux côtés de son amante, il avait préservé un contact intime pour ne jamais décoller leurs peaux, ne mêlant cette fois-ci pas le sang, mais la sueur. Il s'approcha pour embrasser sans retenue son amie et n'ayant tarit de caresses, dû se faire violence pour ne pas relancer tout de suite les hostilités.

- "Il me semble que quelqu'un a frappé ... Je vais aller voir, tu peux rester là."

Il se redressa en assumant une certaine rigidité musculaire dans les abdos, le bassin et les cuisses, mais rien d'assez affolant pour compromettre quoi que ce soit de ses projets pour le reste de la nuit. Il chercha du regard de quoi se vêtir, mais ayant transpiré, il ne se vit pas enfiler quoi que ce soit au risque de le salir plus que prévu. Ainsi une idée lui vint en tête.

- "Memoria."

Une pâle lueur bleutée entoura son corps et sa tenue d'aventurier l'habilla sur commande. Jamais il n'avait essayé d'employer son don ainsi. Aussi il n'avait que 60 secondes au maximum avant que les effets ne s'estompent, alors il quitta la pièce non pas sans accorder un sourire à sa bien-aimée. Dans le salon, le jeune homme évita soigneusement les familiers lovés proches de la cheminée, dont les têtes se relevèrent pour le fixer le temps de son trajet. Arrivé à la porte d'entrée, Nora gardait soigneusement le compte des secondes restantes avant de se retrouver nu comme un ver, passa sa tête par l'entrebâillement de la porte d'entrée et vit un chariot posté juste à côté de celle-ci. Accueillant sur ses étages plusieurs assiettes gardées sous cloche, il était accompagné d'une note soigneusement pliée sur le plateau supérieur. Nora l'attrapa et sans surprise, sentit la manifestation d'Anima Memoria. Nul besoin de l'utiliser cependant, plutôt que ça, il la déplia et profita de ses 30 dernières secondes pour lire en vitesse le message.


"Chers clients,

Nous avons été dans l'incapacité de vous trouver à l'heure de vous porter le repas, nous avons donc pris la liberté de vous le laisser sous cloche, sur un plateau à l'entrée de votre chambre. Disposez du mobilier à votre aise, une femme de ménage passera vous en débarrasser plus tard dans la soirée ou au petit matin.

En vous souhaitant un bon appétit et un excellent séjour parmi nous.







Nora hocha la tête et satisfait, tira le chariot à l'intérieur, puis referma derrière lui. Sur l'étage le plus bas se trouvait le plus grand plat, après l'avoir découvert, l'aventurier se réjouit d'y trouver une portion pour les familiers, à dire des pièces de venaison crues pour Nocturne, des blancs de volailles pour Miel et un assortiment de graines et baies pour Vif. Il n'attendit pas plus longtemps pour disposer à chacun une assiette et tira le chariot jusqu'à la chambre pour y retrouver Ain, le souvenir des vêtements disparut peu après son entrée, le timing avait été parfait.
Sans pudeur superficielle, Nora prit même un instant pour dévorer du regard les courbes gracieuses de son amie, ses muscles tracés et sa silhouette bien plus féminine que ne laisse l'imaginer ses habits amples. Il prit alors place à ses côtés et avec un sourire charmeur, s'approcha de son oreille.

- "Tu devrais reprendre des forces ..."

Il posa un baiser sur ses lèvres en se redressant et laissa filer une main sur sa cuisse avec un regard en coin, implicite des idées traversant son esprit à l'instant présent.

L'étoile polaire

Avec Nora Eos

L'Étoile Polaire

Ain L. Sunrick

Ain s'installa sur le lit et Nora se décala sur la gauche pour lui laisser de l'espace. Le brun s'était gardé la surprise de ce qu'ils auraient dans l'assiette, alors quand la jeune femme lui demanda le contenu des plateaux, il lui répondit d'un haussement d'épaules, ils devraient le découvrir ensemble. Ainsi le premier élément inspecté fut la bouteille de vin gardée dans un seau et si le chasseur ne s'intéressait pas à ce genre de boisson pour la consommation directe, une idée lui vint en tête assez rapidement.

- "Non merci. Mais on peux la mettre de côté, un vin aussi couteux ne pourra que faire des miracles dans un plat de viande."

L'esprit pratique avait parlé et si aucun des deux n'en consommait, il y aurait toujours une manière de trouver une utilisation à cette bouteille. Ensuite vinrent l'ouverture des cloches de taille moyenne, gardant la grande pour la fin. Chacun de leur côté, les aventuriers dévoilèrent les contenus pour constater qu'ils étaient les mêmes à chaque extrémité du chariot. Une purée de légumes, à l'odeur, on y décelait déjà la patate douce et du céleri à n'en pas douter, si l'on en juge par les demi-lunes vertes finement coupées saupoudrée sur le dessus du plat. A côté, une pièce généreuse de viande finement braisée et sublimée par des grains de sel entier ainsi que quelques baies. La composition lui faisait alors penser à la partie dorsale située derrière les pates avant d'un gibier, une entrecôte et plus précisément, la noix, partie la plus tendre. Quant à l'animal duquel elles avaient été tiré ... il aurait pu parier sur du cerf, abondant dans les régions boisées alentours. Ainsi il reposa la cloche pour préserver la chaleur, conscient de la vitesse à laquelle ce genre de viande refroidit à l'air libre et examina la dernière avec Ain. Des pâtisseries glacées, pour autant elles ne relevaient plus du domaine du chasseur qui n'en avait mangé que très rarement dans sa vie. Ainsi, pour lui, ce n'était là que deux petits pains saupoudrés de sucre, avec ce qui semblait être une couche de chocolat et divers cubes de confiseries dont il ne saurait définir la provenance exacte. Il laissa donc le soin à Ain de refermer cette cloche là et acquiesça à sa proposition. Il serait effectivement dommage de salir les draps et de ne pas plus profiter des bains, ainsi il hocha la tête et se redressa. Partio Memoria étant en pleine recharge, il ne pourrait échapper à se rhabiller, alors plutôt que ses affaires d'aventurier, il trouva deux peignoirs et en offrit un à Ain.

- "Allons dans le salon, oui."

Il poussa alors le chariot jusqu'à la pièce à vivre et disposa les assiettes et couverts sur la table en y invitant sa partenaire. Nocturne avait déjà bien entamé son repas et plus proprement qu'il ne l'aurait espéré, tirant avec ses crocs sur le bout de viande en le maintenant avec ses griffes de l'autre patte, tout en poussant de petits grognements en mastiquant sa pitance. Malgré ceux-ci, elle semblait plutôt contente à en juger par ses oreilles dressées et ses vibrisses ondulant souplement autour de sa petite truffe brune, alors Nora ne s'en inquiéta pas plus que ça. Arrivé à table, Nora s'assit en face de la demoiselle et fit partir un de ses pied nu en direction de ceux de la demoiselle pour retrouver son contact, lorsqu'il eut son attention, il lui souhaita avec un sourire chaleureux et une voix posée.

- "Bon appétit, Ain."

Ainsi il attrapa ses couverts et examina son assiette, par où commencer, alors que tout semblait appétissant ? Disons, par la viande avant qu'elle ne soit trop froide. Il coupa sans difficulté dans le muscle et le porta à sa bouche, transporté par une sauce aux champignons juste assez relevée pour transformer le goût puissant du gibier en douce symphonie champêtre.