Le trousseau de clefs enchantées de Zahria tinte, quand elle le glisse dans son cryptex. Une pour son coffre au pôle espionnage. Une pour son coffre dans son bureau à la Volière. Une pour le cadenas du Savoir des Anciens. On est jamais trop prudent, quand on est maître-espion. On est jamais trop prudent, quand on est sur le point de trahir. Elle descend lentement l'escalier de la Volière, profitant des odeurs maintenant si communes, comme si c'était la dernière fois. Comme un condamné à mort, elle caresse le bois de la main courante, effleurant ses moindres défauts, évite avec l'aisance de celle qui a l'habitude cette marche qui grince, parcourt le couloir qui la mène vers la porte.
Elle a déjà glissé la lettre sous la chambre de Luz, lui disant en substance de ne pas s'inquiéter. Si elle ne l'avait pas fait, sa flamboyante amie remuerait certainement terre et mer pour la retrouver. Déjà que les espions vont rapidement s'y mettre, si elle peut lui éviter ce tracas, comme quand elle a disparu dans le Calyce, ce sera déjà ça. Et puis, d'ici peu, Höls va débarquer, lui poser des questions. Trahir la confiance de ses amis, c'est certainement ce qu'il y a de pire. Mais elle n'a pas le choix.
Traversant le salon, Zahria passe le doigt sur une tâche sur la table. Certainement un vestige de sa soirée d'anniversaire un peu trop alcoolisée, la semaine dernière. Ses amis étaient tous réunis, dans ce qui ressemblait un peu trop pour elle à un dernier repas. Mais ils ne le savaient pas, et elle a gardé la face. Il était hors de question de leur mettre le moindre doute. Luz a pris son air inquiet pour de la fatigue, Calixte pour de la tristesse. Il sait que trop bien que son coeur n'arrive pas à guérir, mais il est loin de savoir quels doutes l'assaillent depuis leur assignation, il y a quelques lunes déjà.
Hershell Nilsen. C'est le nom de cet homme, rencontré pendant cette fameuse soirée. Le Parleur de l'Amarante, ce conseil qui dirige la Cabale. Son père biologique. La seule et unique raison pour laquelle elle est encore en vie, malgré toutes les occasions qu'ont pu avoir les Cabaleux de se débarrasser d'elle. La raison aussi, de cette trahison.
Elle a lutté, pendant deux saisons complètes, contre les multiples tentatives de son père de rentrer à nouveau en contact avec elle, de la convaincre de le rejoindre. Affronté encore et encore les membres de la guilde noire, sans jamais en démordre. Mais le doute s'est installé, insidieux, et plus elle s'enfermait dans son travail, plus elle comprenait qu'il n'y avait pas d'autre solution, que de lâcher prise, et sauter dans le vide.
La porte de la Volière se referme derrière Zahria, alors qu'elle quitte cette vie. Ses familiers la suivent de loin, les ordres sont clairs, pour l'instant: ne pas se faire remarquer, disparaître. Et pour cela, son père lui a dit de retrouver de suivre la piste de l'Incandescent, et de retrouver le Lotus Noir. Ce dernier saura la mènera jusqu'au Parle-D'Or, la faire changer de vie.
Traversant les quartiers pauvres, elle se remémore son enfance, les bagarres de gosses, ce moment où elle aurait pu, comme Vrenn, vriller et devenir un de ces sales marmots qui tournent mal, mais qu'elle a eu la chance de se voir offrir un autre chemin. Elle avait toutes les prédispositions, pourtant. Elle se souvient de ce Solstice d'hiver, où elle a fait jouer sa bande à "Noyons Joël". Le pauvre Joël n'a plus jamais voulu prendre un bain, après ça.
L'Incandescent. Cette drogue récente sur le marché. Elle a lu les rapports, elle sait ce qu'il y a à savoir, à son sujet. Elle sait qu'on en trouve encore, malgré les descentes de la garde. Le Lotus Noir est-il un établissement, une personne, un chemin ? Un seul moyen de le savoir: chercher à se procurer la drogue. Ce n'est pas compliqué, de poser les bonnes questions aux bonnes personnes, discrètement, quand on a l'expérience de Zahria. La métisse arrive donc rapidement devant une porte, où on lui indique qu'elle pourra trouver ce qu'elle cherche. Mais est-elle seulement prête, pour ce qu'elle cherche véritablement ?
Parle d'or, Parle d'or, quel genre de belle phrases allait encore-tu sortir ? Qui la vipère allait elle devoir faire taire ? Quel genre de personne avait offensé la voix du marcheur ?
Des questions que Valeera se posait quand elle fut convoquée par Nilsen.
Comme à son habitude, la vipère débarqua dans la pièce comme un chat curieux, ses grands yeux jaunes fixant l'endroit. Et comme à chaque fois, elle fut déçue de trouver un homme tout à faire ordinaire qui l'attendait. Si ce genre de jeux était des plus courants dans l'institution, ils en étaient presque laçant à force.
-Nilsen... Une bien drôle de lettre m'est parvenue chez moi, et j'ai cru comprendre, surement à tort que tu voulais que je recrute quelqu'un ?
-Tu as bien compris ma chère, la Cabale à besoin de sang neuf
-Et depuis quand recrutons nous sur demande ?
-Depuis que je te l'ai demandé, tout naturellement.
Un sourcil levé, la jeune femme se demanda ce que pouvait bien signifier ce genre de mascarade. Elle était Forge-Savoir, et son cercle n'était pas le plus propice au recrutement. Bien au contraire, on n'attirait l'attention de la moisson que par son efficacité, les échanges de bon procédés et les complots au détour d'un couloir étaient bon pour le Verbe.
-Tu sais que ça ne marche pas comme ça n'est-ce pas ?
-Et bien disons qu'un petit service de ta part pourrait te rapporter sur plus ou moins long terme, je sais ce que tu cherche... Et mes avis que je pourrais t'aider à l'obtenir, un service contre un service
-Tch... Très bien... Dit moi donc qui je dois recruter ?
-Tu le saura bien assez vite, j'ai donné quelques information à notre nouvelle amie commune, elle suivra ta piste, jusqu'à venir te trouver, j'ai cru comprendre que tu voyais toujours tes clients en personne ?
-Hum... Très bien, je recruterais ta protégée, mais n'oublie pas que tu me dois un service.
-Bien sur, ma chère, je n'oublie jamais rien
-Tu as plus qu'intérêt
Et voilà plusieurs jours que Valeera attendait, et ce fut quand elle avait presque oubliée toute cette histoire qu'une de ses sonnette vint la trouver. Une cliente pour le Lotus Noir.
Au moins cela lui indiquait quel genre d'identité elle devait adopter aujourd'hui. Son justaucorps se changea pour se vêtir de l'apparence de la riche comtesse habituelle. Comme à son habitude, le risque se devait d'être minimisé, et il était facile de se faire oublier une fois le costume retiré.
Ses pas la conduisirent au lieu de rendez vous, ou elle pénétra par la porte arrière, découvrant une pièce quasiment vide, chichement décorée par un unique tableau dont le cadre montrait un cristal rougeoyant.
Le décor faisait faux, même pour quelqu'un de peu habitué, le luxe apparent était au mieux un verni qui se grattait facilement et alors que la vipère s'asseyait sur le fauteuil, elle sentit le rembourrage de mauvaise qualité s'enfoncer exagérément.
Un dernier coup de peigne magique pour faire passer ses cheveux d'un court blanc à un long rouge tissé savamment en une unique natte, l'imposteur croisa les jambes avant de s'éclaircir la voix, faisant signe à son laquais du jour d'aller ouvrir la porte
Posant les mains sur les accoudoirs en se fendant d'un air blasé. Qui allait donc être la fameuse recrue de Parle d'Or...
-Entre, et assied toi.
Dit elle avec son accent noble le plus hautain, se fendant d'un sourire cruel en détaillant ce qui lui arrivait devant les yeux. Dans un coin, un scribe c'était recroquevillé sur un carnet, prêt à écouter et retranscrire la courte entrevue au conseil
-Alors... tu viens pour l'incandescent n'est ce pas ?
Un décor plein de fausse richesse, jusqu'à la démesure... Voilà qui collait bien à cette entrevue
- Apparence de Valeera:
Tout ça sonne faux. Le décor, les odeurs, son costume, sa mise en scène. Rien ne paraît réaliste, c'est flagrant. Presque comme si cette exagération était voulue. Il ne faut même pas être un espion pour s'en rendre compte. Il y a vraiment peu de gens avec qui ça doit marcher. Elle le sait, certainement. Faut-il jouer le jeu, alors ? J'ai trois noms, trois codes pour débloquer la situation. Les deux premiers sont ceux qui m'ont mené jusque là : "Suis la piste de l'Incandescent, pour retrouver le Lotus Noir." Je suis face au Lotus Noir, ou en son sein, je n'ai toujours pas déterminé si c'était une personne ou un lieu. Mais je suis certaine d'être au bon endroit, avec la bonne personne. "Il te mènera jusqu'au Parle-D'Or." Là, je ne sais plus de quoi on parle. Mais c'est peut-être cette dernière information qui va changer la donne.
Je la scrute, je n'arrive pas à lire son regard. Mon sceau magique s'agite, mais pas mon talisman. J'ai pourtant une drôle d'impression, en la voyant. Quelque chose que je n'avais pas vécu depuis que je suis immunisée contre le pouvoir de Vrenn. Comme si son existence m'échappait, qu'il suffisait que je détourne le regard pour qu'elle soit une autre. Sa prestance mystérieuse est certainement à l'origine de ce phénomène, mais je ne peux m'empêcher de me poser tout un tas de questions. Je fronce les sourcils quand je lui réponds enfin, après avoir jeté un regard au scribe dans un coin de la pièce.
« J'ai suivi la piste de l'Incandescent, pour retrouver le Lotus Noir, qui doit me mener au Parle-D'Or. »
Suffisamment cryptique pour que moi-même je n'y comprenne rien. J'espère par contre que ça fait raisonner quelque chose chez elle, cette phrase pleines de noms de code. Parce que sinon, je risque de devoir tout recommencer, et dire au revoir à ma vie une deuxième fois, ça risque de finir de me briser le coeur...
Je me sens comme un gloot pris au piège par un grognours, et je déteste cette sensation. Son regard me transperce et me met à nu, je me doute qu'elle me jauge, je n'ai pas l'habitude. Depuis que je suis maître-espion, c'est à moi qu'appartient le droit de jeter ce regard énigmatique sur les gens, celui que me réservait auparavant le Vieux quand il voulait me voir ramper comme un glooby. Il n'y a encore qu'Höls, la reine ou Haru pour me mettre mal à l'aise comme ça. Tous ces gens que je ne reverrai pas avant longtemps, et dans des conditions bien différentes. J'espère qu'ils me pardonneront. J'espère qu'ils comprendront que je n'avais pas le choix, pour protéger ma famille et le peuple.
Dehors, un Lumios, un Drarbuste et un Skur nocturne doivent être patiemment en train de m'attendre. Je me demande où tout ceci va me mener, si c'est un traquenard, si je vais devoir me défoncer pour aller au bout. D'ailleurs, le Parle-d'Or, ne serait-ce pas une drogue ? Du genre de celles qui vous font avouer vos pires secrets, comme une potion de vérité ? Est-ce que mon père m'envoie ici pour savoir si mes intentions sont louables, si je suis sincère en voulant le rejoindre ?
Heureusement pour moi, elles le sont, je le suis. On a peut-être pas la même définition, avec mon père, ceci dit. J'esquisse enfin un sourire. Je sais pourquoi je suis là. J'irai jusqu'au bout.