Où elle devait se rendre d’ailleurs ? En voyant la foule qui s’amassait devant elle comme des mouches sur un cadavre, l’envie de rebrousser chemin et repartir se terrer à la trésorerie fut si puissante qu’elle arrêta sa marche. Elle écarta le revers de son manteau pour observer le petit objet qu’elle tenait dans la main, un de ces nœuds favoris. À force d’être porté aussi régulièrement, il avait finit par se découdre et tomber en lambeau. C’était juste pour ça qu’elle avait quitté sa tour d’ivoire, pour un foutu nœud. L’espace d’un instant Queen ne put que sourire devant sa propre obstination. Elle rangea le morceau de tissu dans l’une des poches intérieurs avant de poser une main sur sa hanche. De toute façon maintenant qu’elle était là, il valait mieux aller jusqu’au bout des choses. Elle avait laissé le contrôle de la trésorerie à l’un de ses -attardés- d’assistants et était presque convaincue qu’elle les retrouveraient l’un comme l’autre sens dessus dessous. Ce qui lui permettrait en outre, de passer ses nerfs sur le petit assistant.
- Bien. Allons-y gaiement. Grogna-t-elle tout en se décidant enfin à fendre la foule, distribuant des regards assassins comme on distribuerait des flyers.
Rapidement elle se retrouva au centre de la place commerçante, là où les plébéiens s’évertuaient à vendre leur camelote et autres objets dénués autant de qualité que d’intérêt. Certains tentèrent d’approcher la blonde mais le regard de cette dernière les dissuada bien vite de poursuivre et quand bien même ils auraient poursuivi, Queen avait les mots pour faire fuir ce genre de créature. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à trouver la perle rare à qui elle daignerait confier son précieux apparat. Du moins c’est ce qu’elle croyait.
Par un après-midi ensoleillé elle avait croisé le pauvre garçon à la lisière de la forêt, l'air dépité. Grand et maigre, il semblait niais et fragile, presque malade avec son teint pâle et ses cheveux d'un blond très clair. Il tournait en rond autour d'un rocher, se prenant tantôt la tête entre les mains, tantôt faisant de grands gestes vifs en criant des injures à la chaîne sans jamais reprendre son souffle. Kaïri s'était approchée de lui et le jeune marchand lui avait expliqué qu'il venait de se faire voler une de ses précieuses marchandises alors qu'il était sur le point de la livrer dans un village voisin. S'agissant d'un objet rare, son client avait déjà payé la moitié du prix et le pauvre Markus se ferait battre à mort s'il ne livrait pas son client. Prise de compassion pour le garçon, elle lui proposa alors son aide pour retrouver le petit groupe de voleurs. Il ne lui fallut que quelques heures pour remonter la piste jusqu'aux trois malfrats qui avaient établit leur campement pour la nuit plus haut dans la forêt. Afin d'éviter toute confrontation inutile, Kaïri avait attendu qu'ils s'endorment pour récupérer le précieux butin avant de s'enfuir silencieusement dans les ombres de la nuit. A l'aube elle avait rejoint Markus qu'elle décida d'accompagner jusqu'au village. A leur arrivée, le jeune marchand la remercia mille fois et lui donna même la moitié des cristaux qu'il avait déjà gagné avant la livraison.
C'est à ce moment là que Kaïri compris qu'elle pouvait utiliser ses compétences aux services des autres en l'échange de quoi pouvoir vivre et manger. Depuis lors, elle avait parcouru le royaume échangeant ses services contres des cristaux. Au fil du temps, elle fût engagée par des nobles pour retrouver des objets ou par des paysans pour traquer une bête ou une créature qui s'attaquait au bétail. Elle fût même engagée pour retrouver des voleurs, des bandits et autres hors la loi qui semaient la pagaille dans certains petits villages reculés. Elle voyagea d'un bout à l'autre du royaume et bien qu'elle passa non loin de la capitale plusieurs fois, elle ne s'y était jamais arrêtée. Au fond d'elle, elle craignait d'apprendre que sa famille y avait emménager, car cela avait longtemps fait parti de leurs projets.
Mais la curiosité et l'envie de découvrir la capitale eurent raison d'elle. Après tout, elle avait beaucoup changé depuis son départ et il était peu probable que quelqu'un de sa famille ou de la noblesse ne la reconnaisse. De plus, elle avait fait le tour des villages et souhaitait un peu de nouveauté. Secrètement, elle espérait qu'en découvrant de nouveaux lieux et en rencontrant de nouvelles personnes elle pourrait vivre "l'aventure de sa vie". Bien qu'elle adorer pister des objets, des personnes ou des créatures, elle sentait l'envie de connaître quelque chose de plus fort, de plus grand et de plus palpitant. C'était donc ainsi qu'elle avait prit la direction de la capitale, les yeux pleins de rêves et la tête plein d'espoir. Après quelques jours à prendre ses repères discrètement, elle se décida enfin à se rendre sur la place commerçante pour se présenter aux marchands et trouver de nouveaux clients, et peut-être le contrat dont elle rêvait temps.
La place était très animée se jour là. Les passants allaient et venaient d'un pas pressé pour certains et d'un pas léger pour d'autres. Les commerçants des boutiques se donnaient tous bien du mal pour attirer l'attention des clients : décorations et babioles aux couleurs vives, animations presque théâtrale pour certains et grands discours prometteurs sur des produits "uniques" et "incroyablement révolutionnaires" pour d'autres. Face à tant d'animation, Kaïri se laissa d'abord emporter par le rythme de la foule, amusée, émerveillée et effrayée à la fois par tant d'agitation. Cela n'avait rien à voir avec les petits villages calmes et paisibles qu'elle avait visité jusque là. Après un moment elle se décida à s'approcher des commerçants, se présentant et proposant ses services à ceux qui avaient un peu de temps à lui accorder. Malheureusement, les airs de grandes villes rendaient les marchands nerveux et la plupart n'avaient pas de temps à perdre à discuter "dans le vent".
- Vous m'faites perdre mon temps ma p'tite dame ! Et l'temps c'est d'l'argent ! Aller, ouste !
Kaïri ne se découragea pas et continua à faire le tour de la place. Ses réserves de cristaux étaient bientôt à sec et il devenait impératif de trouver un contrat pour espérer pouvoir rester dans la capitale. Elle essaya alors d'attirer l'attention de quelques passants en jouant le tout pour le tout, comme les autres commerçants. Elle trouva dans un coin de la place une pierre suffisamment stable contre un mur pour pouvoir monter dessus et ainsi être un peu plus en hauteur afin d'être bien visible. Ainsi bien placée elle s'adressa aux passants d'une voie forte et confiante :
- Mesdames, Messieurs ! VOUS avez besoin de quelque chose, nous avons tous besoin de quelque chose ! Mais il y a des choses qu'on ne peut obtenir ou faire par soi-même, et qu'on ne peut pas non plus demander à n'importe qui ! Je suis donc LA personne qu'il vous faut ! On vous a dérobé quelque chose que vous souhaitez récupéré ? Vous souhaitez connaître la nouvelle recette miracle de votre concurrent ? Ou alors, peut-être que vous avez simplement besoin de confier une mission qui demande une totale discrétion ?
Elle promena son regard sur les quelques passants qui s'étaient arrêtés pour l'écouter. Non loin du groupe, elle aperçut alors une jeune femme à la chevelure blonde, le regard fermé et les yeux jetant des éclaires aux personnes qui la regardait. Elle avait l'air pressée et surtout agacée. Sans savoir pourquoi Kaïri l'interpella :
- Vous ! Oui, VOUS ! Vous m'avez tout l'air d'être en quête de quelque chose. Je suis certaine que mes services pourraient vous être forts utiles !
Vivement, elle bifurqua sur la droite et bouscula un homme pour qui elle n’eut pas l’ombre d’un regard. De retour au centre de tout cet enchevêtrement de stand, une ombre passa furtivement au coin de son regard. Pas assez furtivement pour qu’elle ne la remarqua pas d’ailleurs. Ses iris indigo n’étaient pas du genre à laisser échapper quelques détails que ce fut, aussi tourna-t-elle la tête pour apercevoir une petite masse tenter de sortir des rangs. Intriguée elle stoppa sa recherche. Une demoiselle pas plus âgée qu’elle et dont la crinière noire était l’exact opposé de la sienne était en train de se percher sur une pierre près d’un mur. Ce petit manège dura un temps avant que cette illustre inconnue ne se mette à brailler comme un âne, brisant par la même occasion tout l’intérêt qu’elle avait éveillé chez la noble. Sourcils froncés, lèvres pincées, elle enfonça de nouveau la tête dans le col de sa veste s’apprêtant à poursuivre la petite mission qu’elle s’était imposée.
Queen savait qu’elle n’avait jamais été dans les petits papiers de Lucy et elle devait dire que cela lui était tout simplement égal. Mais par tous les saints de l’autre monde, elle ne savait pas que la divine la détestât autant ! Elle n’avait même pas relevé la tête, elle s’était simplement figée comme si le temps s’était arrêté. Avait-elle bien entendu ? Non. Il devait y avoir erreur sur la personne. La majorité des gens évitaient Queen comme la peste, soit parce qu’ils la connaissaient, soit parce qu’il suffisait d’un simple coup d’œil pour savoir qu’elle n’était et ne serait jamais n’importe qui. Pourtant cette demoiselle aux allures d’Hommes des cavernes venait de s’adresser à elle comme elle se serait adresser à n’importe lequel de ces plébéiens en culotte courte.
- Un service ? Murmura-t-elle les dents serrées, plus pour elle-même que pour la jeune femme. Comment une créature aussi dénuée de grâce et de bonnes manières aurait un tant soit peu pue lui être utile ? Elle avait beau chercher, elle ne voyait pas. Pourtant son regard glacial était maintenant entrain de toiser cette nouvelle venue passant de ses yeux verts émeraudes à ses taches de rousseur. La passant au crible comme un détecteur. - Quel genre de services une prolo dans ton genre pourrait bien me rendre ? Finit-elle par demander. Ce qui aurait pu être pris par de la curiosité n’en était pas réellement. A vrai dire Queen avait régulièrement besoin de beaucoup de services et pas forcément légaux, ce qui l’amenait donc à s’entourer de diverses personnalités. Peut-être qu’à défaut de trouver le couturier parfait, elle avait trouvé le pigeon parfait. Dressée de toute sa hauteur, elle observait, un rictus barrant son visage, la jeune femme qui lui faisait face.
- Quel genre de services une prolo dans ton genre pourrait bien me rendre ?
Le ton et la forme de la réponse allait tout à fait avec l'allure du personnage ; froid, distant, hautain. Kaïri avait déjà eut à faire à des personnes de ce genre. De celles qui pensent que personne n'est assez bien pour eux. Le genre de personne qui se mêle rarement à la foule et "au bas peuple" à moins d'avoir une très bonne raison ou pas le choix du tout. La jeune aventurière la toisa du regard en esquissant un léger sourire. Elle se redressa pour se tenir bien droite et d'une voix toujours assurée et confiante elle répondit du tac au tac :
- Et bien le genre de service qu'une personne condescendante ne peut confier à n'importe qui.
Kaïri balaya la foule du regard, descendit de son perchoir et fit quelques pas vers l'inconnue en gardant une distance respectueuse. Déjà que Kaïri avait comprit son haut-le-coeur pour la populace, autant ne pas en rajouter de trop car c'était le moyen pour la jeune aventurière d'avoir un contrat et des cristaux. Et au vu de l'allure de la fille aux cheveux blonds, des cristaux elle devait bien en avoir assez pour la payer.
Les quelques passants qui s'étaient arrêtés pour écouter Kaïri retournèrent vaquer à leurs occupations et elle en profita pour ajouter, à l'attention de la fille aux cheveux blonds :
- Je devine à votre regard et votre allure que nous n'êtes pas ici par plaisir. Elle accompagna le geste à la parole et ajouta : A vous voir jeter des éclaires aux passants au moindre regard, il n'est pas difficile de comprendre que vous mépriser les autres. Il me semble donc évident que vous avez besoin de quelque chose. Kaïri croisa les bras l'air convainquant et poursuivit : il est facile d'en déduire que si vous aviez pu confier cette tâche à quelqu'un vous l'auriez sans doute fait. Hors, vous êtes ici et votre démarche pressée en dit long sur votre envie de quitter cette place animée aussi vite que possible.
Kaïri recula d'un pas et lança un regard bref à son interlocutrice. Puis, d'un geste du bras elle fit mine de montrer les différents commerçants de la place.
- Si vous aviez pu vous adresser à n'importe qui sur cette place, ce serait sûrement déjà fait. Mais... je pense que, peu importe de quoi il s'agit, le service dont vous avez besoin doit avoir... une certaine valeur à vos yeux.
Kaïri avait à nouveau croisé les bras. Elle avait pu observer l'allure, la posture et le regard de la fille aux cheveux blonds. Kaïri était quasi certaine d'avoir visé juste. A force d'observer les gens, elle avait réussi à comprendre certaines choses sur leur état et intention.
- Bien bien. Tu sembles avoir des yeux est être capable d’observer. C’est déjà un bon début dans la vie… Elle se pencha légèrement vers l’avant réduisant l’écart entre elle et la jeune femme. - Effectivement je n’aime pas les gens, je n’aime pas être ici. Toute cette ambiance et ces personnes m’exècrent au plus haut point, toi y compris. Queen se redressa et se mit à marcher doucement, de sa démarche féline, autour de la nouvelle venue. - Je n’apprécie pas que l’on essaie de se jouer de moi sous prétexte que je semble avoir des cristaux. Oh bien sur, j’en ai mais si tu crois que je ne vois pas a minima ce que tu essaies de faire je serais bien sotte moi aussi. Néanmoins, je dois reconnaître ta détermination. Après tout cette demoiselle pouvait peut-être occuper les quelques heures de libre qu’elle avait devant-elle. Elle avait une repartie banale, un caractère qui semblait être terriblement obstiné et Queen ne lui trouvait rien d’intéressant mais peut-être qu’en allant chercher un peu plus profondément elle trouverait quelques choses. Après avoir cessé sa ronde, elle se remit face à elle.
- Quel genre de service proposes-tu exactement ? Jusqu’où serais-tu prête à aller pour recevoir ta paie ?
Cette question anodine n’en était pas une, Queen voulait savoir jusqu’à quel point cette idiote était prête à aller pour gagner son pain. Savoir si elle pourrait un jour lui être utile ou si elle serait de ceux qui se contentent d’aller faire les courses pour la grand-mère du coin. Au bout de quelques secondes, elle ouvrit sa veste et fouilla dans la poche intérieure. Le petit apparat qu’elle y avait rangé était toujours là et bien entendu toujours aussi abîmé. Si son vis-à-vis n’était pas capable d’aller aussi loin qu’elle l’espérait, elle lui confierait simplement cet objet et irait se prendre un verre dans une taverne non loin d’ici. Elle la paierait une bouchée de pain et prierait pour ne plus jamais la croiser. Mais si au contraire, elle la surprenait, tout ceci promettait de l’intéresser plus sérieusement.
- Même si j'ai parfaitement conscience que vous ne me considérez pas plus importante qu'un insecte, n'insultez pas mon intelligence en pensant que je puisse doutez de la votre. Loin de moi l'idée que vous n'aillez pas compris mes attentes. Kaïri eut un petit rire discret. Le contraire aurait d'ailleurs été étonnant... voir décevant.
Kaïri regarda la foule un bref instant.
- Vous avez besoin de quelque chose et possédez des cristaux. J'ai besoin de cristaux et j'ai toutes les compétences qu'il vous faut. Faisons-donc affaires. Ma limite ? Je n'en ai pas vraiment. Ah si ! Je ne tue pas... Néanmoins...
Kaïri passa près de la jeune femme en murmurant sur un ton ironiquement innocent, un sourire discret au coin des lèvres.
- Pas de mes mains... Elle finit par s'éloigner de la foule en s'engouffrant dans une petite rue annexe, invitant la jeune femme à la suivre pour parler plus tranquillement.
Même s'il était vrai que Kaïri n'avait jamais tué de ses mains, en réalité elle n'était plus aussi innoncente qu'elle aimait le faire croire. Lors de ses différents voyages elle va dû faire des choses, dont certes elle n'était pas fière, mais qui lui avait value d'apprendre bien des choses, de développer un réseau bien particulier et surtout qui lui avait rapporté beaucoup de cristaux ! Mais elle se refusa d'y repenser pour l'instant.
- Je vois que tu as des capacités pour te sortir d’affaire. Dit-elle simplement en prenant l’apparat qui se trouvait dans sa veste. - Néanmoins jusque-là tu ne m’apportes rien que je n’ai pas déjà. Elle lui jeta un regard glacial, perçant, de ceux qui ne donne pas envie de se frotter à elle, délaissant ensuite l’idiote pour aller caresser du bout des doigts le tissu dans la paume de sa main. Il semblait avoir vécu plus d’années encore que sa propriétaire et les couleurs rouge vif et blanc qu’il arborait autrefois était maintenant délavé. - Pourtant, quelque chose me dit que tu pourrais m’être utile dans un futur pas si lointain. Un sourire malicieux naquit aux coins de ses lèvres et elle tendit, paume ouverte, le petit objet à la jeune femme. - Si tu trouves le meilleur couturier pour le réparer et lui redonner sa jeunesse d’antan, je te paierais et surtout je garderais ton nom au chaud dans un coin de ma tête pour des missions qui rapportent leur pesant de cristaux. Qu’en dis-tu ?
A vrai dire les plans de Queen avaient changés. Oh certes, elle comptait s’épargner le fait de trouver un couturier mais après une réflexion rapide cette petite pourrait sûrement lui être utile à l’avenir et elle comptait bien la garder sous le coude en cas de nécessité. Pourquoi ne pas donner son nom à certains de ses associés aussi mais ça, la blonde le garderait pour elle, elle n’avait pas envie de voir cette sotte esquisser un semblant de sourire sincère. Sans crier gare elle tourna les talons.
- Je te donne rendez-vous ici même dans deux heures grand maximum. Si tu n’es pas là en temps et en heures, je considérerais que cette rencontre n’a jamais eut lieu. Son sourire se fit carnassier. - Et je ferais en sorte que tu ne puisses jamais en parler de quelque manière que ce soit. À plus tard.
Kaïri se mit à réfléchir. Un brillant couturier, ho oui, elle en connaissait un. Un très bon. Mais à deux jour de la capitale donc il était inutile de compter là-dessus. Elle haussa les épaules, tant pis, elle ferait sans. Elle récupéra le noeud un instant et, à l'abri des regards, pris le temps de l'observer de tous côtés. Les coutures, même si elles n'étaient plus à leur gloire d'antan, laissaient deviner la délicatesse et le savoir-faire avec lequel elles avaient été cousues. La matière du tissu aussi reflétait le travail soigné qui avait dû être fourni par le passé. Elle rangea le noeud et quitta la ruelle.
A nouveau dans la rue animée, elle leva les yeux vers le ciel pour observer la position du soleil.
*Deux heures*
Elle n'avait donc pas de temps à perdre mais il était tout autant inutile de courir en tous sens sans savoir où allez ni à qui s'adresser. Elle balaya la rue puis la place commerçante d'un regard vif, comme lorsqu'elle analysait sa zone de chasse. Elle avait fait le tour et n'avait vu aucun commerce de couture. Elle décida de s'adresser à un marchand de poterie non loin d'elle qui ne sût l'orienta chez un petit commerçant au bout d'une rue annexe qui vendait des tapis et des tissus mais en doutant que ce dernier ne sache coudre.
Arrivée devant le petit commerce, Kaïri su immédiatement qu'elle ne trouverait pas la personne qui lui fallait. Les tapis étaient entassés devant l'entrée du commerce de manière si désinvolte et désorganisée qu'elle ne saurait confier une couture si délicate à une personne travaillant de la sorte. Néanmoins, le ou la propriétaire aurait peut-être des informations sur un bon couturier. Elle entra donc et se sentie soudain très à l'étroit. S'était comme si la pièce s'écroulait sur elle tant il y avait de tapis entassé partout autour d'elle. Le moindre faux pas, elle en était sûre, elle se retrouvera ensevelit par une masse de tapis et mourrait étouffée ! Elle prit donc grand soin de ne toucher à rien jusqu'à ce qu'elle arrive au comptoir. Là, le propriétaire, un homme si petit que Kaïri se demandait bien comment il réussissait à empiler autant de tapis, l'accueilli tout sourire.
- Aaaah ! Bien le bonjour ma chère demoiselle. Vous venez chercher un tapis qui tape à l'oeil n'est-ce pas ? Non, non ! Ne dites rien ! Ne diiiites riiien ! C'est pour donner du caractère à votre hall d'entrée ! N'est-ce pas ?!
- Et bien... c'est à dire que... pas tout à fait. En réalité, je suis à la recherche d'un couturier qui...
- Un couturier ?! coupa le propriétaire en posant une main sur son front dégarni, est-ce que j'ai l'air d'un couturier ?! Allez, du vent ! du vent ! ne me faite pas perdre mon temps !
- S'il vous plait, j'ai juste besoin qu'on me renseigne.
- Je ne suis pas un guichet d'information non plus ! Non mais !
Le propriétaire marmonna rageusement dans sa barbe en tournant les talons. Furieuse d'être traitée ainsi Kaïri se pinça les lèvres pour ne pas s'emporter sur les mots mais ne put s'empêcher de taper du poing sur le comptoir ce qui fit sursauter le vieil homme grincheux.
- Vous n'avez pas de temps à perdre, moi non plus ! Si vous m'aidez, je vous aiderai en échange. Sa voix se radoucie et elle se pencha un peu sur le comptoir, je suis sûre qu'on homme aussi occupé que vous aurait sûrement besoin d'une assistante parfois. Je suis certaine que je peux vous être utile en l'échange de quelques renseignements.
Le vieil homme parut convaincu. Il indiqua alors un couturier à Kaïri. Très bon couturier selon lui, mais aussi très occupé. En échange, Kaïri devrait revenir le lendemain pour l'aider à livrer une commande. Soit, rien de bien sorcier. Elle se hâta dans les rues, suivant les indications du marchand de tapis pour enfin arriver devant cette minuscule boutique à la porte décorée de carreaux vitrés. La porte lui semblait si étroite qu'elle se demandait comment elle allait pouvoir entrer.
A l'intérieur, tout était petit ; le comptoir, les étagères, les quelques tableaux sur les murs. Néanmoins, tout était parfaitement bien rangé, soigné et propre. C'était plutôt signe. Seul problème, il n'y avait personne. Elle vit une petite clochette sur le comptoir. Elle la prit et la secoua doucement. Kaïri dû patienter quelques minutes jusqu'à entendre des bruits de pas en provenance de l'arrière-boutique. Le couturier apparût alors, dans l'encadrement de la porte arrière. Un homme d'âge mur, grand et fin. Elégant, il avait l'air très sérieux sous ses lunettes en forme de demi-lune. La moustache parfaitement bien taillée, la barbe parfaitement bien rasée, il s'approcha d'un pas lent et assuré tout en dévisageant Kaïri de la tête au pied.
- Bonjour, demoiselle. Que puis-je pour vous ?
Même sa voix était douce et élégante. C'était le genre de voix qui vous donnait l'impression d'être important même pour un moins que rien. Kaïri, se sentant plus confiante pris délicatement le noeud dans le creux de sa main et le déposa sur le comptoir.
- J'ai ici un noeud d'une très grande valeur, qui est un peu... usé par le temps. J'aimerais lui rendre sa jeunesse d'antan.
Le couturier ajusta ses lunettes sur son nez et prit très le noeud du bout des doigts pour l'observer de plus près. Il marmonna quelques mots pour lui-même puis reposa l'objet.
- Oui, très joli tissu. Rouge vif, et blanc même si cela ne se remarque plus vraiment. Couture très fine et délicate. Oui. Et bien je pense pouvoir faire le nécessaire pour 100 cristaux. Si cela vous convient, payez d'abord et revenez la semaine prochaine.
C'était là que tout allait se jouer. Kaïri devait rapidement trouver la faille et l'argument qui lui permettrait d'obtenir ce qu'elle voulait sans verser le moindre sous et dans l'heure et demie qui lui restait.
- Dis-moi, petit, est-ce que tu ne chercheras pas à te faire quelques cristaux ?
L’enfant sursauta et fit volte-face, les yeux éberlués. Mué, il observait la blonde qui sans attendre de réponse plongea la main dans sa poche et en sortie quelques cristaux qu’elle fit doucement tinter tout en attendant de voir sa réaction. Comme elle s’y attendait il finit par acquiescer. En même temps son air pauvre et sale n’avait pas échappé à la jeune femme et c’était d’ailleurs précisément pour ça que c’était cet enfant qu’elle avait décidé d’aborder.
- Je te donnerais trente cristaux… Elle rangea rapidement ces derniers dans sa poche, un sourire malicieux au visage. - Si tu suis cette jeune femme et me préviens lorsqu’elle entre chez un couturier. C’est d’accord ? Dit-elle tout en désignant la crinière noire qui s’était arrêtée un peu plus loin. L’enfant hésita à nouveau et elle dut secouer doucement sa poche pour lui rappeler ce qu’il attendait. Bien qu’elle soit dotée d’un caractère on ne peut plus fourbe, Queen avait toujours eu une ligne de conduite à laquelle elle avait plus ou moins répondu. Elle ne trompait pas les enfants. Pas qu’elle ne le veuille pas mais elle n’y trouvait là aucun réel intérêt, au contraire. Il était donc rare de la voir manipuler ces petites créatures braillardes. Le moucheron finit alors par se laisser totalement convaincre et disparut dans la foule sous le regard amusée de la blonde.
Les minutes suivantes s’écoulèrent beaucoup trop vite à son goût, elle avait tout juste eu le temps de goûter l’un des thés importés d’au-delà de la frontière où le microbe était déjà revenue se coller à ses chaussures espérant recevoir sa récompense le plus vite possible.
- Par Lucy, tu es pire qu’une sangsue. Conduit moi d’abord à elle. Grogna-t-elle tout en avalant la dernière gorgée du liquide exquis qui lui restait. Il ne leur fallut pas très longtemps pour la retrouver. Derrière le verre de la porte d’entrée Queen pouvait observer le magasin à son aise et ainsi juger s’il lui semblait ou non à la hauteur. Dans le même temps elle tendit les cristaux au morveux qui s’en empara et disparut aussi vite qu’il était venu, probablement par peur que la jeune femme ne revienne sur sa décision. La jeune Milan attendit un moment avant d’ouvrir la porte à son tour venant ensuite se placer dans le dos de la brune, écoutant les derniers mots du couturier.
- Une semaine ? J’ose espérer que c’est une blague de mauvais goût. Je n’ai pas une semaine devant moi.
Si elle avait une semaine devant elle mais non, elle n’avait pas envie d’attendre une semaine et elle n’attendrait pas d’ailleurs. Sans laisser le temps à l’artisan de répondre elle se tourna vers la brune.
- Tu as été plus rapide que je ne l’aurais imaginé. Tu n’es donc pas qu’une incapable, bonne surprise. Une nouvelle fois elle plongea la main dans sa poche en sortie une bourse qu’elle posa sur la caisse du couturier. - Cent cinquante cristaux et ce nœud est réparé d’ici demain.
Adossée au comptoir, elle faisait maintenant face à la blonde. Son esprit vif s'était déjà mis en action et elle se hâta de répliquer, ignorant totalement le couturier.
- Nous avons conclu un marché. Et il me reste plus de la moitié du temps pour respecter ma part. Vous, vous n'avez donc rien à faire ici.
Elle se tourna à demi et s'empara de la bourse d'un geste sûr et rapide et la remis dans les mains de sa propriétaire sans lui laisser le choix. Elle la fixa avec intensité une brève seconde et s'adressa finalement au couturier qui était devenu spectateur de la scène. Il n'avait pas bronché et semblait en fait, plutôt ennuyé par toute cette soudaine agitation.
- Bien, vous êtes apparemment débordé et seul. Je vous propose un échange. Remettez ce noeud à neuf dans l'heure et en échange je ferai toutes vos corvées et livraisons pour la semaine, ce qui vous fera gagnez un temps précieux sur vos commandes. Croyez-moi qu'au rythme où je travaille, vous y gagnerez bien plus que 100 cristaux. Je pourrais aussi venter vos mérites sur la commande de cette dame. Kaïri désigna la jeune femme blonde d'un geste de la tête. Elle se pencha sur le comptoir et murmura ; il s'agit d'une personnalité importante. Si vous pouvez satisfaire sa demande, je puis vous assurez que votre réputation ira bien plus loin que l'angle de la rue.
A la lueur dans les yeux du couturier, Kaïri su qu'elle avait visé juste ; l'ambition et le besoin de reconnaissance. En échangeant un regard avec lui, elle vit dans ses yeux qu'il se projetait bien loin déjà ; le début d'une réputation reconnue auprès de la noblesse ! Bon, il y avait certes peu de chance que cela aboutisse mais Kaïri n'en avait que faire. Son objectif à elle était de remplir sa part du marché. Le couturier, après une minute perdu dans ses pensées, un petit sourire naissant au coin des lèvres, acquiesça et s'empara du noeud et pris la direction de l'arrière-boutique. Il fit également signe à Kaïri de le suivre pour qu'elle puisse assumer son nouveau rôle "d'assistante".
Assez fière d'elle tout de même, elle jeta un regard en arrière à l'attention de son employeur.
- Et bien, à tout à l'heure !
Elle tourna les talons et suivi le couturier.
Alors qu’elle disparaissait à la suite du couturier qui semblait, lui, plutôt ravi par l’échange final. La blonde tourna les également les talons dans un mouvement gracieux et quitta la boutique. Une heure trente, c’est le temps qu’il lui restait à tirer. En y réfléchissant elle aurait mieux fait de lui donner un temps beaucoup plus court. La gueuse aurait certainement eu moins de temps pour l’ouvrir et plus pour faire ce qui lui était demandé. Le pas rapide, énergique, preuve de son fort agacement, elle fendit la foule. Qu’allait-elle faire ici ? Entourée de la plèbe dont la présence commençait sérieusement à lui donner un mal de crâne épouvantable.
La jeune femme finit par retourner auprès du vendeur de thé qu’elle avait repéré un peu plus tôt. Bien vite les liquides lui laissèrent un goût âpre. Son humeur massacrante prenait le dessus sur ses sens et elle savait quand l’instant rien d'autre qu’un bon verre ne pouvait lui faire du bien. Aussi décida-t-elle d’essayer quelques-uns des vendeurs de vins et autres nectars du coin. Oh elle se doutait bien qu’elle ne tomberait jamais sur des fournisseurs aussi bons que ceux du palais, mais à l’heure actuelle, elle ne voyait pas ce qu’elle pouvait faire de plus. Sans attendre elle se dirigea donc vers le premier marchant qui lui tapa dans l’œil, puis un second et ceux jusqu’à ce que le temps imparti soit presque entièrement écoulé.
Lorsqu’elle regagna la ruelle, elle était déjà un peu plus détendue. Loin d’être saoul -bien entendu-, elle vint s’adosser au mur en attendant que l’autre idiote daigne montrer le bout de son nez. Elle avait hâte de pouvoir retourner au palais, vraiment hâte. Le temps qu’elle avait passé avec le bas peuple lui avait semblé durer une éternité et elle était quitte de leur présence pour au moins deux mois. C’est donc en silence, le visage à demi caché par la pénombre de l’endroit, qu’elle attendit.
Puis enfin, après une bonne heure, le couturier releva la tête, la mine fière et satisfaite.
- Et voilà, c'est terminé.
Dignement, il déposa le noeud avec délicatesse dans une petite boite, comme s'il rangeait un bijoux d'une valeur inestimable. Kaïri étudia scrupuleusement le résultat pour s'assurer de la bonne qualité du travail. Le noeud avait retrouvé les couleurs qu'il abordait autrefois et le travail des coutures était parfaitement bien exécuté. Il fallait à présent espérer que cela convienne à la blonde. Aussi parfait le travail soit-il, Kaïri la pensait tout à fait capable de le nier simplement par plaisir ou pour démontrer ouvertement son agacement. En effet, au dernier regard qu'elle lui avait jeté, Kaïri avait bien compris que son audace n'avait pas plus. Néanmoins, le résultat était là, et son contrat était respecté selon les termes de départ.
La jeune aventurière remercia cent fois le couturier et rangea avec un soin tout particulier la boite où se trouvait le noeud. D'un pas rapide et assuré, elle remonta les rues jusqu'à la ruelle. La blonde était déjà là. Elle semblait moins nerveuse que tout à l'heure et en s'approchant, Kaïri pu sentir une légère odeur d'alcool dans l'air. Elle sourit intérieurement mais ne fit aucun commentaire.
- Comme promis, en temps et en heures.
Kaïri lui tendit délicatement la jolie boîte contenant le précieux de la jeune femme. Mais cette dernière n'eut pas le temps de réagir car elles entendirent de petits ricanements derrières elles. Le genre de petits rires qui permettent d'identifier immédiatement des personnes mal intentionnées. D'un geste vif, Kaïri rangea la boite dans sa sacoche. Ce n'était vraiment pas le moment de perdre ou d'abîmer le noeud.
Elle se retourna d'un bon, prête à sortir son arc et attraper une flèche. Face à elle et à la blonde, trois hommes. A leur carrure, on devinait plutôt deux hommes d'âges mur et un dernier assez jeune. Leur visage camouflé par leur capuche, ils s'avançaient d'un pas trop assuré avec une attitude des plus arrogantes. Sans avoir besoin de jeter un oeil à la jeune blonde, elle se doutait déjà de son agacement profond. Les trois hommes qui se définissaient apparemment comme des "bandits" continuaient de s'approcher. Celui du milieu, toujours en ricanant, exigeait d'elles leurs cristaux et valeurs.
- Allez mesdames, donnez-nous ce que vous avez gentiment et il ne vous arrivera rien.
Sérieusement ? Pourquoi fallait-il toujours que ce genre de choses tombe sur elle ? Ça ne pouvait pas arriver à un autre crétin du coin ? Non. Il fallait que ce soit elle. À contre cœur, Queen se décolla du mur et posa un regard des plus désabusés sur les trois bouffons qui semblaient en plus se prendre au sérieux. Au même moment elle lâcha un soupir bruyant et ses épaules s’affaissèrent sur elles-mêmes. Cette journée lui sembla d’un coup terriblement longue, longue et irritante au possible. En plus de se coltiner une pseudo chasseuse de primes qui avait plus tendance à chasser les pelotes de laine que des primes, elle se voyait maintenant affublée trois plaisantins en culotte courte et aux dents si jaunes que l’envie d’aller leur brosser lui traversa l’esprit. Non, décidément, ce n’était pas une bonne journée pour la jeune Milan et à ce rythme elle se demandait ce que l’on lui avait reversé pour le reste. Pour couronner voilà qu’ils se mettaient à exiger d’elles leurs cristaux et autres objets de valeur. Tout ceci n’eut pour seuls effets que déprimer encore plus la blonde qui se retint de leur rétorquer qu’attaquer la petite brune à ses côtés ne leur servirait absolument à rien. Non, elle n’allait pas leur dire. Pour l’unique et bonne raison que c’était l’occasion de voir les talents -et tant qu’à faire le pouvoir- de la sauvageonne. Aussi, elle se contenta d’arborer un sourire railleur dont elle seule avait le secret.
- Allons allons. Vous vous en prendriez à deux jeunes femmes sans défense ? En voilà une chose bien mal élevée ! Pour toute personne qui avait un tant soit peu fréquenté Queen, il était aisé de constater qu’elle s’amusait. Elle s’amusait comme un chat à qui l’on aurait offert un groupe de souris. Son regard azurite glissa sur son employée du jour. - Je prends celui-là, occupes-toi des deux autres. Si tu en es capable. Et dans un petit rire elle la délaissa derrière elle pour s’avancer en direction des trois hommes. Celui du milieu. Oui, c’est avec celui-là qu’elle s’amuserait aujourd’hui.
- Grosse et affreuse créature faisandée… Tu apprendras vite, qu’ici s’en prendre à une Milan… Est une regrettable erreur. Et sans attendre elle laissa son amertume prendre le dessus, ses ressentiments s’exacerber. Des picotements familiers se mirent à irradier au bout de ses doigts. Oh oui, elle était prête à lui mettre la tannée de sa vie.
Elle se redressa de toute sa hauteur, jaugeant ses adversaires avec intensité. Ignorant le duo "le chef des bandits VS la blonde" les deux hommes s'avancèrent vers Kaïri. Celle-ci se déplaça lentement pour se décoller du mur, levant posément la main gauche vers son arc sans quitter des yeux ces cibles. Son regard passant furtivement de l’un à l’autre, observant le moindre geste, anticipant la moindre attaque. Elle ne pouvait pas voir leur visage sous leur capuche et le bandeau derrière lequel ils se cachaient mais elle put très vite sentir leur odeur de transpiration mélangée à un désagréable parfum de poisson périmé. Kaïri ne put s’empêcher de froncer du nez et des sourcils, l’odeur était vraiment infecte. Elle se concentra. Celui de droite, le plus vieux des deux hommes, sorti habilement des dagues qu’il fit rouler sur ses paumes, une façon de montrer à Kaïri qu’il maîtrisait son art. Le plus jeune tenta de faire une pirouette semblable avec la hache qu’il avait dans la main mais, novice et maladroit, celle-ci tomba au sol. L’archère sourit voyant le jeune bandit se précipiter sur sa hache, se confondant d’excuse auprès de son aîné. Secouant la tête d’agacement, ce dernier s’avança d’un pas rapide vers Kaïri.
Arc en main, Kaïri n’avait pas encore prit de flèche. Elle préférait commencer par utiliser les branches de son arc comme une arme de corps à corps. Sculpté dans l’écorce d’un solide chêne, son arc ne risquait pas de s’abîmer contre de petites dagues émoussées. Le plus jeune des hommes resta en retrait pour l’instant, laissant son aîné faire une démonstration de combat. Les pieds bien à plat sur le sol, Kaïri avait un appuis solide et para la première attaque en levant son arc sans trop d’effort. L’adversaire revint à la charge en tentant un coup pied, Kaïri se baissa pour esquiver. Il n’était pas très rapide et l’aventurière parvint à esquiver ses attaques sans trop de mal. Parfois en pivotant sur le côté, parfois en utilisant son arc pour se défendre. L’homme commençait à respirer plus fort, signe qu’il commençait à fatiguer de s’agiter en tous sens sans résultat. Kaïri profita d’une seconde de relâchement pour le frapper violemment au visage avec la branche de son arc. Elle roula sur le côté, se redressant en esquivant habilement la dague qui s’abattait sur elle et frappa le bandit sur le flanc ce qui le fit basculer sur le côté. Le jeune sembla paniquer en voyant son acolyte tomber au sol et, voulant soutenir son partenaire, il se jeta sur Kaïri hurlant à plein poumon, la hache levée bien haute au-dessus de sa tête. Kaïri recula d’un pas rapide. Si son arc pouvait résister à de petites dagues, ce n’était pas le cas face à une hache. Elle se jeta sur le côté, roula et pivota pour lui faire face. Dans un manque d’attention, elle ne vit pas le second bandit se redresser derrière elle. Elle étouffa un petit cri lorsqu’elle senti la pointe d’une dague déchirer sa peau dans son omoplate. Rapide et agile, elle se retourna brusquement, bloquant la prochaine attaque avec son avant-bras et, d’un coup de pied bien placé, elle envoya l’adversaire valser contre le mur. Elle fit rouler son épaule comme pour essayer de faire fuir la douleur.
Il était temps d’en finir et le corps à corps, même si elle se débrouillait bien face à des amateurs, n’était pas son point fort. Les muscles tendus, elle attrapa une flèche du bout des doigts en banda son arc. Le temps sembla soudain ralentir autour d’elle, les couleurs semblaient plus ternes et les bruits plus sourd comme venant de loin. Concentrée, elle ne faisait plus qu’un avec son arc et sa flèche. La corde tirée, elle avait déjà défini son premier tir et les deux suivants. Ses yeux, habituellement vert émeraude avaient virés couleur de l’or. Lâchant la corde, la flèche siffla l’air. Elle n’avait pas encore atteint sa cible que Kaïri avait sorti une autre flèche. La première vint se planter avec force dans l’épaule droite du bandit. La seconde flèche fut lancée immédiatement après pour se planter dans l’épaule gauche, plaquant l’adversaire contre le mur de bois. Ainsi accroché contre le mur, il ne pouvait plus s’enfuir. Dans cet espèce d’état de transe Kaïri pivota tout en prenant une troisième flèche en main. Son geste était gracieux et assuré. Elle leva son arc, prit la corde entre ses doigts et tira. Avec vitesse, la flèche s’écrasa sur le manche de la hache du novice. Surpris celui-ci lâcha son arme. La jeune aventurière avança d’un pas, déjà une autre flèche en main. Apeuré et déconcerté, l’apprenti hors-la-loi leva les mains en signe qu’il se rendait. Le menaçant toujours de son arme, Kaïri jeta un œil vers la blonde pour voir ce qu’il en était de son côté.
L’avantage du pouvoir de Queen c’est qu’il était dans la majorité des cas utilisables à distance, ce qui fort heureusement lui permettait de ne pas avoir à se salir les mains la plupart du temps voire même de passer inaperçue lorsqu’elle y mettait du sien. Toujours en avançant, elle laissa son pouvoir agir, la sève ondulant sur le sol comme serpent en direction des semelles de l’homme avant même qu’il ne s’en rende compte. De sa main libre elle forma de petites billes ambrées. Il lui aurait été aisé de mettre l’homme qui lui faisait face hors d’état de nuire sans même avoir à le regarder mais elle voulait s’amuser ne serait-ce qu’un tout petit peu.
Dans un rictus elle envoya donc une première bille éclater pile entre les yeux du cloporte grassouillet qui vraisemblablement n’apprécia pas. D’abord injurieux il ne mit pas longtemps avant de se ruer sur la jeune femme qui, ayant prévu le coup, avait rappelé la sève pour en faire une plaque solide d’ambre à hauteur de son visage. Quand il s’y heurta de plein fouet, elle fut d’ailleurs incapable d’étouffer un rire bruyant. Rire qui cessa bien vide lorsque l’homme éclata ladite plaque avec facilité. Ses plaques n’étaient certes pas incassables mais fort heureusement, elle était douée pour les former rapidement pourvu qu’elles ne soient pas trop épaisses. Cela lui permit donc d’éviter de justesse les autres coups de son opposant. Juste assez longtemps pour se mettre hors de son atteinte. En fait il lui fallait un petit laps de temps pour pouvoir envoyer son nectar jusqu’à lui et l’y emprisonner comme l’insecte qu’il était. Alors qu’elle allait enfin en finir, jugeant que prendre des risques était complètement inutile. Son regard fut attiré par la sauvageonne. Son premier adversaire cloué au mur, le second les mains en l’air alors qu’elle le tenait en joue. Queen haussa un sourcil. Soit cette petite était définitivement très douée avec un arc soit il y avait baleine sous gravillon. Toujours est-il que le temps n’était actuellement pas son meilleur ami et qu’elle ne pouvait se permettre de regarder à gauche et à droite des heures durant.
- Bien. Finissons-en, nous aurons tout le loisir de discuter après ça. Les mains de la blonde se mirent alors à s’agiter gracieusement et bien vite elle ressembla à un soleil d’où émanait des rayons gluants. Son visage concentré ne laissa pas place à une quelconque émotion et peu à peu les faisceaux mielleux se mirent à bouger au rythme de ses longs doigts pâles. - Tu devrais aller chercher un garde. Je ne compte pas avoir des problèmes à cause de moucherons dans leur genre. À peine eut-elle prononcé ces derniers mots que la sève déferla sur eux comme une mer colérique, les plaquant un à un contre le mur le plus proche, engluant partiellement leur corps de façon à ce qu’ils ne puissent s’enfuir. - La prochaine fois, vous choisirez mieux vos cibles.
Docile, Kaïri hocha de la tête pour indiquer qu’elle avait compris. Baissant son arme, elle observa la manière à laquelle la jeune femme plaquait les bandits contre le mur en manipulant gracieusement le liquide brillant. La jeune aventurière s’avança pour sortir de la petite rue mais elle s’arrêta brusquement, pensant au petit paquet dans son sac de peau. Elle glissa une main dans son sac pour le récupérer et se retourna.
-Voici pour vous.
Elle tendit le petit paquet et attendit son paiement en retour. Lorsque ce fut chose faites, elle plongea un instant son regard dans celui de la femme. L’instant d’après elle lui tourna le dos pour quitter la rue et aller à la recherche d’un garde.
La blonde l’avait totalement oublié. Si bien que lorsque la brune le lui tendit, elle la regarda l’air suspicieux, se demandant ce qu’elle voulait encore. Du moins jusqu’à ce qu’elle comprenne que ce n’était nul autre que son petit apparat. Si elle avait pu, elle aurait sans doute vérifié la qualité du travail mais ce n’était clairement pas le moment et de toute façon, elle eut suffisamment de difficulté à lui donner ses cristaux sans que son pouvoir ne s’affaiblisse.
- Queen Milan. Tu as un pouvoir bien utile donc comme dis, je te ferais signe en cas de nécessité. Reste dans les parages. Plus qu’une demande, c’était un ordre qu’elle lui intimait là. Elle ne lui avait pas demandé son nom et elle s’en fichait bien. La jeune femme ne serait sans doute pas bien compliquée à retrouver. De plus, son travail avait semblé être de qualité et la demoiselle investie, elle ne comptait pas oublier son existence tout de suite.
Le temps d’attente ne fut heureusement pas très long et une petite poignée de garde finirent par débarquer dans la ruelle. Bien volontiers la trésorière leur laissa sur les bras les trois gueux, non sans leur avoir au préalable expliqué la situation. À son tour, elle quitta alors la ruelle, s’arrêtant ensuite sur la place pour découvrir son nouveau nœud. Un sourire malicieux étira ses traits. Il était parfait, même elle n’aurait pu faire mieux. Ainsi, elle le glissa dans la poche intérieure de sa longue veste noire, avant d’y plonger ses mains et quitta l’endroit sans un regard en arrière.