Qu'est-ce qui lui était passé par la tête ? Astrid se le demandait encore. Une simple pulsion ? Sa propre faiblesse ? Non, c'était la faute à Lucy ou un tout autre être si elle avait cédé à la tentation. Quelqu'un, quelque chose, lui avait forcé la main et c'était la seule et unique raison pour laquelle elle était désormais en possession d'un énième familier. Oui, ça ne pouvait être que ça !
Toutefois, elle savait que cette excuse n'aurait aucun effet sur les autres. Qui irait la croire après tout ? Aussi, à la vitesse du son, la femme à tout faire se mit à réfléchir à mille et une excuses pour se sortir de cette situation, à comment se débrouiller avec un animal en plus et à calculer les coûts financier supplémentaires qu'engendrait Rawr. Peut-être qu'en faisant ça et ça, en réduisant ceci et cela…Elle allait peut-être devoir faire une croix sur ses plans d'aller boire et se contenter de sa chope magique et de ce qui restait chez elle pour un petit moment.
Hmmm…
Ce fut Dahlia qui la sortie de ses pensées sombres et néfastes (car oui, boire à la maison n'était clairement pas la même chose que de boire du bon alcool dehors) pour lui proposer de permettre aux familiers tout nouvellement acquis de s'exercer un peu. Et à bien regarder le Rarwük qui trépignait d'impatience et plein d'énergie à dépenser, c'était en effet nécessaire.

-Ouais, trèèèès riche idée. Contrairement à moi qui me retrouve pauvre maintenant, haha. Puis ça me laissera le temps de trouver une excuse aussi d'avoir dépensé de les cristaux pour un autre familier…

Petit soupir exaspéré et les voilà en direction des plaines où les montures pourraient pleinement profiter d'un terrain de jeu sans obstacle et sans peur de rentrer dans un quelconque passant.
À la question de la garde sur son expérience concernant des familiers adultes, la femme à tout faire se gratta le mention en fouillant dans sa mémoire avec un air perplexe.

-Hmm, dans cette vie non, j'ai eu mes familiers dans des œufs. Edmond quant à lui a en effet eu à adopter des familiers adultes, comme un Majine par exemple. Héhé, il avait une sacrée crinière et un petit côté orgueilleux le bougre. Mais j'avais des dresseurs pour m'aider donc eeeh….Ayant remarqué l’anxiété dans la voix de son amie, la citoyenne lui tapota le dos : Bah, ça devrait le faire, j'suis là haha !

Justement, sa simple présence était la plupart du temps sujet d''inquiétude et loin d'être rassurante. Toutefois, au cours de sa longue vie et avant de mourir des griffes d'un Fenrir, le commandant de la garde avait toujours eu des familiers à ses côtés. Parfois dans des œufs, parfois des adultes par nécessité, remplaçant les précédents, morts de vieillesse avant leur maître, leur durée de vie étant bien différente. Que ce soit pour monter ce majestueux Majine dont elle se souvenait encore avec affection, combattre aux côtés d'un Smilodon rapide et féroce qui était mort avec honneur, Edmond les avait tous profondément aimé, même si leur but premier avait été d'abord de combler l'absence de pouvoir du soldat bien trop pragmatique.

Contrairement à la garde qui avait acheté tout un équipement pour son Skur ainsi que des parchemins – quelqu'un avait de toute évidence des cristaux en plus et un revenu stable, pfff – Astrid elle s'était contentée de...rien. Autant par manque de moyen que parce que le propriétaire du refuge avait prévenu la blanche que les rarwük ne supportaient pas les selles en plus d'être des montures peu agréables à monter. À côté, le nouveau familier de Dahlia ne vivait essentiellement que la nuit.

-Hmmm, j'ai quand même l'impression qu'on se fait un peu arnaquer dans l'histoire avec tous les handicaps qu'ils ont. Dit-elle en plissant les yeux et en se grattant la tête. Meh. La méthode pour approcher un familier dépend du type mais aussi de son passé et de son lien avec son précédent maître. Enfin, c'est ce qu'on m'a dit.

Tout en parlant, elle avait lentement approché sa main de la tête de Rawr et fut, sans aucune surprise, accueillie par un grognement des plus agressifs à son égard. Encore un peu plus, et il n'aurait pas été étonnant qu'elle se fasse mordre et qu'elle y perde une main. La prudence était donc de mise. Avec un sourire en coin, elle fouilla dans son sac et déposa à même le sol un bout de viande qu'elle avait acheté sur le chemin avant de reculer tout doucement.

-Que ce soit pour apprivoiser un homme, une femme, ou un familier, la nourriture est toujours une bonne méthode et une bonne première étape héhé. Vas-y Rawr, fais toi plaiz mon grand, j'ai acheté ça rieeennn que pour toi !

Quittant des yeux un instant l'animal qui hésitait encore à s'approcher de son encas, la femme à tout faire se tourna vers Dahlia en haussant un sourcil.

-Je t'ai jamais parlé de Zilith? C'est ma nouvelle colocataire depuis quelques lunes déjà. Une collègue et une bonne amie. Elle tapa dans ses mains avec un grand sourire ravi lorsqu'une idée lui traversa soudainement l'esprit, ce qui eut pour effet de faire sursauter le rarwük qui fit un bond en arrière, déployant toute l'agilité dont il était capable avec la nourriture entre les crocs. Ah merde. Eeeeuh, il faudrait que je te la présente un de ces jours ! Elle est hyper sympa. Une noble un peu timide qui a récemment quitté le domaine familial et qui découvre petit à petit le monde extérieur. Avec une petite pointe de fierté dans la voix à peine dissimulée, elle continua : Et elle se débrouille bien ! Même si je lui rends pas la vie facile heh. J'suis carrément sûûre qu vous vous entendriez à merveille heh. Et ça lui ferait pas de mal d'avoir plus d'amies, aussi.

Était-il si étrange de voir Astrid bienveillante envers quelqu'un ? Certain vous dirait oui, d'autre non. Elle était toujours là pour aider ses proches et son instinct de grande-sœur – ou de grand-mère – jouait peut-être. Cela dit, comment ne pas aider et être inspirée par cette jeune noble ne connaissant rien du monde et voulant voler de ses propres ailes malgré les obstacles sur son chemin ?
Parlant de bienveillance, la farceuse fixa les pupilles améthystes de sa camarade et adopta un air de commère qui lui était si naturel :

-Et toi ? T'as mentionné le capitaine de la garde royale hier, Arthorias. C'est quoi ta relation avec ce coureur de jupon invétéré qui n'hésite pas à draguer toutes les nanas qu'il croise même si elles ne sont que des recrues ? Hmm?

Malgré ses lèvres étirées qui trahissaient une certaine jubilation à l'idée d'en savoir plus (les ragots, on aime), la citoyenne espérait que ce n'était pas ce qu'elle pensait. Le grand-père, ou plutôt la grand-mère qui était en elle n'était pas sûre de bien apprécier.
En attendant la réponse de Dahlia, la farceuse plaça un autre bout de viande par terre et resta cette fois à proximité tout en s'accroupissant pour ne pas sembler trop menaçante (si on pouvait vraiment trouver l'alcoolique qu'elle était menaçante d'une quelconque manière).
La confiance entre familier et maître arriverait peu à peu, pas à pas, et cela prendrait tout le temps qu'il faudrait, elle le savait bien.

En apprenant qu'Edmond avait été lié à plusieurs familiers adultes, dont un Majine – une créature connue pour être particulièrement altière et ardue à dompter, d'après les connaissances de Dahlia – et qu'il avait pu bénéficier du conseil de dresseurs professionnels l'ayant jadis entouré, Dahlia fut gagnée par un certain soulagement. Cela conférait un avantage certain à Astrid en matière d'éducation de familiers, dont elles allaient pouvoir présentement tirer parti. Dahlia esquissa ainsi un léger sourire – un peu forcé, tout de même, car elle peinait à se départir entièrement de ses craintes sous-jacentes d'être une piètre maîtresse - lorsque son grand-père vint lui tapoter le dos.

La difficulté résidait cependant dans le fait que chaque familier était unique, de par les attributs propres à son espèce dont il était investi, mais également de par son histoire et ses legs – ce que lui confirma d'ailleurs Astrid. Or, de celle de Skur, Dahlia n'en maîtrisait aucunement les contours. Elle savait uniquement que le précédent maître de Skirfir avait trépassé, le laissant seul et livré à lui-même. Mais elle était loin d'être au fait de tout ce qui avait pu lui arriver, notamment jusqu'à ce qu'il rejoigne ce refuge où ils s'étaient rencontrés. Peut-être parviendrait-elle à la déceler, peu à peu, à mesure qu'ils feraient connaissance…

Il y avait en tout cas une astuce qui marchait semblait-il à coup sûr, d'après Astrid : l'appât par la nourriture. Son aïeul lui en fit la démonstration en gratifiant son Rarwük d'un bout de viande, qu'elle avait déposé au sol avant de s'en écarter. Dahlia venait quant à elle de mettre la main sur la pomme que renfermait son flacon hermétique, et la considéra un instant. Devait-elle imiter Astrid, et l'offrir à Skirfir tout en conservant une certaine distance avec ce dernier, pour se prémunir de tout risque de se faire happer la main par celui-ci ?

Elle pesa le pour et le contre, et décida finalement de ne point s'encombrer d'un surcroît de méfiance. Elle tendit ainsi le bras vers son Skur, le fruit posé bien en évidence sur sa paume ouverte à plat, et attendit qu'il s'en approchât. Elle vit que Skirfir lorgnait sur celle-ci d'un oeil fort intéressé. Il ne tarderait certainement à venir la recueillir pour la manger… Il n'y avait qu'à s'armer de patience.

« Nos deux familiers possèdent en effet des handicaps assez notables… Mais ce serait dommage de s'arrêter à leurs inconvénients, n'est-ce pas ? Je suis sûre que tout le positif qu'ils nous apporteront surpassera de loin ces désagréments. »

Enfin, Dahlia l'espérait. Astrid lui dévoila alors le lien qui l'unissait à cette dénommée Zilith, et la garde prit le temps d'intégrer ces nouvelles informations. Une noble qui faisait ses premiers pas dans le monde extérieur, suite à son départ du domaine familial ? Dahlia lui souhaitait bien du courage… Car de son expérience, la vie pouvait être aussi magnifique que périlleuse. De par son vécu de garde, Dahlia savait en effet que le monde recelait de bien des dangers, en particulier pour les jeunes femmes. Mais si Zilith avait Astrid pour veiller sur elle, cela était déjà un point positif et rassurant.

« Oh et bien en effet, ça me ferait plaisir de la rencontrer. Si tu l'apprécies, je ne doute pas qu'il en sera de même pour moi. Et je pourrais lui donner quelques cours d'auto-défense, si elle le souhaite, ça pourra lui servir. » Dahlia se ferait un plaisir de l'aider à maîtriser quelques clefs au corps à corps, voire une arme, pour parer à toute éventualité. Par ailleurs, une question subsidiaire ne manqua de l'effleurer, lui ôtant un sourire en coin. Son coude fusa vers les côtes d'Astrid, alors qu'elle lui demandait : « Vous n'êtes qu'amies, alors ? Il n'y a pas eu de… rapprochement, avec cette cohabitation ensemble ? »

Dahlia n'allait pas se priver d'enquêter sur ce genre de sujet croustillant. Et il semblait que cela ait également inspiré la citoyenne, qui ne manqua de l'interroger sur sa relation avec le Capitaine de la Garde royale.

« Je sais qu'il n'est guère avisé de mélanger vie personnelle et professionnelle, mais… Parfois, il peut s'avérer ardu de respecter certaines règles. » Dahlia y ainsi avait dérogé, bien malgré elle… Entraînée par des sentiments sur lesquels elle n'avait aucune emprise. Car avait-on seulement le choix, au fond ? « Garde ces informations pour toi, en revanche je te prie, cela n'étant pas encore vraiment officiel... »

Un mouvement de Skirfir accrocha soudainement son attention. Le Skur venait en effet de la rejoindre, et attrapa la pomme qu'elle lui destinait – sa langue lui râpant légèrement la paume dans la manœuvre, mais sans la blesser d'aucune façon. Dahlia en profita alors pour tendre une main vers son chanfrein squelettique, et le caresser avec douceur, ce qui ne le fit pas broncher. Voyant que Skirfir semblait dans de bonnes dispositions, elle alla jusqu'à lui glisser le collier magique autour du cou, toujours en faisant montre d'une infinie délicatesse. Une fois celui-ci équipé, elle lui flatta alors l'encolure pour lui témoigner sa gratitude et son affection.

*Je suis ravie de t'avoir à mes côtés, Skirfir.* lui transmit-elle alors télépathiquement.

Elle n'osa activer l'équipement de sa monture d'emblée, et laissa dans un premier temps son Skur s'accoutumer de son nouveau collier et achever sa gourmandise. Une fois ceci fait, elle l'activa alors, ce qui déploya une selle et d'autres équipements subsidiaires sur ce dernier. Dahlia se tourna alors vers Astrid pour lui demander :

« J'aimerais bien essayer de le monter… Mais il est un peu haut, à vrai dire. Est-ce que tu pourrais m'aider à me hisser dessus ? »

« Tout le positif » que les familiers apporteraient hein ? Astrid allait surtout être dans le négatif au niveau de ses cristaux maintenant qu'elle avait Rawr. Et une voix sinistre lui murmurait à l'oreille qu'il serait loin d'être le dernier animal qu'elle adopterait, pour le meilleur ou pour le pire. Brrr, elle en avait froid dans le dos. Toutefois, elle était certaine de déjà adorer ce rarwük comme elle adorait ses familiers actuels. Elle devrait juste mieux se contrôler à l'avenir…
Sans surprise, une rencontre avec Zilith ne semblait pas déplaire à Dahlia qui alla même jusqu’à se proposer pour lui donner des cours d'auto-défense. Plus la noble rencontrerait de personnes et se créerait de lien, mieux c'était pour le jour où elle serait totalement indépendante et libre de vivre comme elle le souhaite. Le jour où elle finirait par suivre sa propre voie arriverait, tôt ou tard, et la citoyenne était là pour faire en sorte que cela se passe le mieux possible en attendant.
Mais la garde ne s'arrêta pas là et tenta d'en savoir plus sur la relation et la cohabitation de la blanche avec la rose, poussée par sa curiosité. Telle grand-mère (père?), telle petite-fille huh ?
Avec son sourire éternellement narquois, Astrid répondit sur le ton de la rigolade :

-Un rapprochement hein ? Haha. J'ai bien tenté de lui faire du rentre dedans, parce qu'elle est sacrément mignonne mine de rien, mais elle préfère les hommes donc ma foi, je n'ai pas plus insisté. Donc on est qu'amies oui ! Cela dit tu me connais assez pour savoir que vivre en collocation avec moi c'est pas facile. Je me montre collante et un peu envahissante, et j'ai même pris un bain avec elle par surprise heh.

Une femme sans gêne, bruyante, alcoolique, ignorant sciemment tout de l'espace privé des autres personnes. Cela créait parfois bien des soucis et des conflits, et la citoyenne se demandait encore comment sa collègue faisait pour la supporter et pourquoi elle n'avait pas encore quitté cette petite maison. Un vrai mystère.

-Oooooh, ce serait pas pour ça les cours d'auto-défense ? Pour qu'elle puisse se protéger de moi ? Haha, en effet, je pense qu'elle en aurait besoin.

Elle garda sous silence que des deux jeunes femmes, la première qui avait subtilisé un baiser à l'autre  ne fut étonnamment pas Astrid, mais Zilith. Un accident dont la concernée ne se souvenait même pas, malheureusement.

Le visage de la citoyenne se décomposa peu à peu en constant que ses précédentes craintes sur la relation entre Dahlia et Arthorias se confirmaient.
Non non non. Remuant la tête de droite à gauche à la vitesse du son pour se sortir ces idées du crane, elle tenta de se convaincre qu'elle avait sûrement mal entendu ou mal interprété. N'est-ce pas ?
Mais il semblait bien que non. Aussi, Astrid ouvrit grands les yeux et resta bouche bée, un petit pincement au cœur.
À la fois outrée, inquiète, et une folle envie de meurtre à l'encontre du capitaine de la garde, elle s'exclama avec indignité tout en faisant la courte échelle pour que son amie puisse monter sur Skirfir :

-C'est pas vraaai Dahlia ! Toi ? Avec ce...ce...Don Juan de pacotille de mes deux qui a trompé sa femme avec une recrue de la garde royale devant témoin, et qui ne cache même pas sa lubricité envers l'ex-ministre de la magie Ciel machin truc ? Et j'en passe et des meilleurs des histoires sur lui ! Ce mec est l'ennemi des femmes !

Il n'y avait pas moyen que la garde n'ait pas entendu parler de ces rumeurs circulant sur le capitaine ! Après, certes, des rumeurs restaient des rumeurs, mais il y avait toujours une part de vérité. Et, en tant qu'amie (et en tant que grand-mère), Astrid n'approuverait clairement pas cette relation entre sa camarade (et sa petite-file) et cet enfoiré !

-Je vais garder ça pour moi, mais tu devrais faire attention. L'avertit-elle en plissant les yeux, une pointe d'inquiétude dans la voix. Si j'apprends que ce jean-foutre joue avec toi, j'jure que je vais l'encu….

La blanche serra momentanément les dents, ne finissant pas sa phrase mélangeant à la fois registre archaïque, preuve de sa vie passée, et un registre plus jeune et vulgaire avec lequel elle avait grandi dans cette deuxième vie.
Dans sa tête, à vitesse du son, elle cherchait déjà un moyen de se débarrasser définitivement du corps du capitaine sans qu'on la soupçonne. Peut-être qu'elle pourrait convaincre Grimvor, Allys et Arban pour….
Sentant probablement la tension, la monture de Dahlia se mit à hennir, ce qui eut pour effet de tirer la chieuse de ses plans machiavéliques pour éviter d'être arrière grand-mère (père).
Dépitée par cette nouvelle, Astrid retourna aux côtés de Rawr qui avait goulûment avalé sa deuxième pièce de viande. Voyant qu'il ne réagissait pas alors qu'elle s'était rapprochée, la femme à tout faire lui tendit une main qu'il renifla et lécha après quelques secondes d'hésitation. Sans aucun mouvement brusque, lentement et avec une voix qui se voulait douce et rassurante, elle caressa avec affection son nouveau familier.

-C'est qui qui est le plus beau et que j'aime ? C'est toi qui est le plus beau Rawr ! Qu'il est mignon Rawr !

Prenant peu à peu confiance, Astrid tenta de lui caresser la tête mais des grognements l'en dissuada promptement.
Un animal fier qui ne se laisserait pas faire aussi facilement hein.

-Ok ok ok, je me calme. Dit-elle tout en levant les mains au ciel. Douuuucement.

Aux trépignements impatients du rarwük repu, elle comprit qu'il avait désormais besoin de se dégourdir les papattes pour digérer. Elle proposa donc à Dahlia :

-Hey, ça te dit une petite course avec Rawr et moi ? Sur...200 mètres ? Maintenant que le premier contact a été plus ou moins fait et tout haha. Et le perdant aura le droit à un gage.

Au mot « course », le rarwük se redressa et jeta un coup d’œil intrigué à ses adversaires.
Quant à la farceuse, son sourire en coin en disant long sur ce qu'elle prévoyait de faire.
Quoi donc ? Tricher bien sûr. Heh.

S'il y avait un pan de la seconde vie d'Astrid dont Dahlia n'avait pas idée, il s'agissait bien de celui de ses tribulations amoureuses. Un sujet qui, malgré son intérêt certain, n'avait que peu été abordé au cours de leurs précédentes discussions, bien qu'il ne fût pourtant pas sans éveiller la curiosité de la garde. Car, bien sûr, tout ce qui touchait aux affres de l'amour avait tendance à revêtir une dimension particulièrement passionnante. Et ce, d'autant plus quand l'une des deux parties se trouvait être aussi haute-en-couleur qu'Astrid, présumait Dahlia. Elle fut toutefois déçue d'apprendre que Zilith n'étant visiblement pas intéressée par la gente féminine, il n'y aurait pas de grande révélation de la part de la citoyenne à ce propos.

Lorsque cette dernière évoqua ensuite sa conception toute relative de la notion de vie privée, et son côté aussi pot-de-colle qu'un glooby, Dahlia ne put que se fendre d'une grimace, qui évolua rapidement en un sourire amusé. Cohabiter avec une telle personnalité ne devait, en effet, pas être de tout repos, comme l'avait fait entrevoir la citoyenne avec un exemple criant, et la tolérance de Zilith à son encontre semblait particulièrement remarquable pour qu'elle n'ait pas déjà entrepris de changer de colocation.

« Tous mes respects à Zilith, en effet, pour parvenir à te supporter… »

Toutefois, lorsque Dahlia reconsidéra le sujet l'once d'un instant, elle devait tout de même admettre qu'au-delà de son caractère fantasque, de son intarissable énergie et de ses nombreuses tares, Astrid restait tout de même une personne foncièrement gentille, et largement pourvue en humour. Il n'était donc pas totalement inconcevable d'apprécier sa compagnie… Bien que Dahlia se garda bien de le mentionner.

« Oui, d'ailleurs, je lui demanderai de t'adresser quelques taquets de ma part. » conclut-elle à la dernière remarque de la citoyenne, en ne plaisantant qu'à moitié, car son affection pour son ancienne amie n'éclipsait pas entièrement sa rancune encore tenace envers Edmond.

En découvrant son lien avec Arthorias, Astrid ne ménagea pas ses craintes à l'encontre du Capitaine, exprimant avec véhémence sa manifeste désapprobation du couple qu'ils formaient. Dahlia – qui venait tout juste de réussir à se hisser sur Skirfir grâce à l'aide de la citoyenne, tout en songeant qu'elle devrait assurément investir dans un tabouret à l'avenir – haussa simplement les épaules.  

« Baaah, je ne vais pas lui faire de procès au titre de ses actes passés, surtout qu'ils sont fondés en grande partie sur des rumeurs. »

Et si, certes, celles-ci étaient souvent tissées à partir de vérités, elles subissaient également, et surtout, un certain nombre de déformations au cours de leur propagation. Dahlia ne faisait donc pas grand cas de ces on-dit, minimisant leur teneur et préférant ne pas leur accorder de crédit outre mesure. D'autant plus qu'Arthorias lui avait déjà exprimé combien ses échecs passés le lestaient de culpabilité et de peine.

« Et puis… Tu es assez mal placée pour le critiquer, soit dit en passant, madame la batifoleuse qui ne sait aucunement résister aux jolies femmes. »

Il était en effet assez incongru de voir Astrid reprocher un comportement qu'elle adoptait elle-même envers la gente féminine, et ce sans la moindre vergogne, comme ses propos mentionnés à peine un peu plus tôt en attestaient. Et pourtant, elle n'avait pas toujours été ainsi. Dahlia, malgré sa haine pour Edmond, devait en effet concéder que ce dernier avait au moins eu la qualité d'avoir été un mari fidèle et aimant.

« Au fait, es-tu au courant… pour Haydée ? Que tu pourrais… la revoir ? »

Faisant suite à ses pensées, la question n'avait manqué de franchir ses lèvres. La citoyenne semblait s'être astreinte à rester éloignée de son ancienne vie et de sa précédente famille, de fait, Dahlia ne savait pas si elle était au fait que son ex-femme était également revenue sur Aryon, sous la forme intangible d'un fantôme. Elles avaient toutes les deux outrepassé la mort, à leur façon, ce qui laissait au couple la possibilité de se retrouver… Si telles étaient leurs volontés.

La course ensuite proposée par Astrid fit arquer un sourcil à Dahlia, qui plissa aussitôt les yeux d'un air fort suspicieux. La fossette dessinée par le sourire en coin de la citoyenne était en effet bien trop univoque.

« D'accord pour la course, mais avec Rawr… monté par toi. Connaissant ton pouvoir, je ne suis pas assez naïve pour me faire avoir, haha. »

Il aurait en effet été bien trop aisé pour Astrid de gagner en usant de sa vitesse supersonique. Laissant le temps à son amie de grimper à son tour sur son familier, Dahlia agrippa ses rênes avec confiance. Elle avait doté Skirfir d'une magie de déplacements rapides, lui conférant une célérité augmentée, ainsi que la capacité de réaliser une brève accélération en ligne droite sur une trentaine de mètres. Cela lui assurait donc une victoire presque certaine. Le visage orné d'un sourire déjà triomphant, elle se fit ainsi un plaisir de donner le signal dès qu'Astrid fut prête.  

Je compte sur toi, mon grand.

À peine Dahlia l'eut-elle talonné pour lui annoncer le départ, que Skirfir, visiblement plus qu'heureux de pouvoir galoper à bride abattue, s'élança avec entrain dans une cavalcade éperdue. Cependant, il débordait un peu trop d'enthousiasme, et Dahlia éprouva bien de la peine à maintenir son assise sur ce dernier, luttant pour ne pas perdre son équilibre et faire une chute malencontreuse. Et alors qu'ils approchaient de la ligne d'arrivée, et qu'elle s'apprêtait à activer la faculté d'accélération flash de son Skur… Ce dernier décida soudainement de bifurquer dans un hasardeux arc de cercle…

Aaaaah, non, pas par là, Skirfir ! Par ici, s'il te plaît ! L'encouragea-t-elle télépathiquement en tentant de redresser sa trajectoire en infléchissant ses rênes.

Hélas, elle venait déjà de perdre un temps précieux.

Astrid reçut la remarque de Dahlia comme un coup de couteau directement dans la poitrine et passa même dramatiquement sa main sur son torse en feignant une attaque qui lui serait fatale. Venant de toute autre personne elle s'en serait éperdument moquée et en aurait ri de bon cœur, mais étrangement, venant de ce qu'elle savait sa petite-fille, ça lui faisait un peu plus mal.

-Pfff ! Fit-elle en regardant ailleurs. C'est justement parce que je suis une coureuse de jupon aussi que je suis bien placée pour te mettre en garde contre un autre coureur de jupon qui ne pense qu'avec son entre-jambe! Entre-jambe que moi je n'ai plus hein. Eut-elle le besoin de préciser.

À la fois la grand-mère (père) voulant protéger sa petite-fille et amie d'un potentiel grossier personnage, et à la fois l'ex-commandant de la garde voyant les rumeurs que le capitaine se coltinait comme un échec de la réputation irréprochable qu'il aurait dû tenir publiquement, ternissant ainsi le nom des gardes royaux. Comme quoi, Edmond, ce vieil homme strict, n'avait pas tout à fait disparu au fond d'elle et tenait encore un peu à la garde royale.
Cela étant, ce n'était plus vraiment son problème et elle le savait bien, aussi n'allait-elle pas s'étendre sur le sujet, surtout que parler de réputation en présence de Dahlia n'était peut-être pas la chose la plus intelligente à faire puisque c'était cette même réputation du commandant royale légendaire qui l'avait privée de la liberté dont elle aurait dû jouir.
Puis, après le coup de poignard, ce fut un coup de poing directement dans la face que la citoyenne reçut à la mention de Haydée. Elle tressaillit à ce nom qu'elle n'avait plus entendu depuis des années   et sentit une profonde nostalgie l'envahir en se remémorant son visage. De la nostalgie, mais également de la tristesse.
Après un petit moment de silence, elle finit par répondre sans aucun sourire :

-Je sais. Mais je n'ai pas le droit de me montrer devant elle. La personne qu'elle a aimée et pleurée est morte et enterrée. Pour elle comme pour moi, il est préférable que nous ne nous revoyons jamais.

À tort ou à raison, elle avait l'intime conviction que leur rencontre serait néfaste et qu'elles en souffriraient toutes les deux. De son enfance jusqu'à maintenant, des nuits durant, elle avait longtemps imaginé revoir Haydée qui avait également échappé à la mort. Mais quelles auraient été les conséquences d'un tel acte sur elle et la famille Delancy ? Comment l'épouse d'Edmond réagirait en constatant qu'il n'y avait aucune trace de l'homme qu'elle avait connu en cette jeune femme aux mœurs plus que douteuses ? Dégoût, rejet…et Astrid en avait peur. Aussi, c'était également par lâcheté que la conclusion était toujours la même : Non, il était préférable d'éviter tout contact avec son ancienne famille...même s'il y avait eu un accident.  

-Ah bien sûr, je compte sur toi pour ne pas lui parler de moi, heh. Rajouta-t-elle en plaçant son index devant ses lèvres de nouveaux étirées, le tout accompagné d'un clin d’œil qui se voulait complice. Sinon je risque de me retrouver dans une nouvelle tombe bien plus vite que prévu heh.

Digne petite-fille d'un fin stratège militaire, ou juste une jeune fille ayant juste un cerveau fonctionnel, Dahlia ne se laissa pas berner par l'arnaque évidente que représentait la proposition de la citoyenne qui leva innocemment les yeux au ciel tout en sifflotant :

-Pffff, bien sûr que j'allais monter sur Rawr et que j'allais pas utiliser mon pouvoir pour faire les 200 mètres en moins d'une seconde, empochant ainsi une victoire tout à fait volée pour te donner ensuite un défi que j'ai déjà en tête. Pffff ! Pour qui tu me prends ? Une tricheuse et une arnaqueuse ? Pas du tout, haha ! Oh qu'il est beau le ciel nocturne !

Mais derrière cette confiance factice, Astrid fit tourner les turbines de son cerveau pour trouver une solution afin de se sortir de ce merdier et le résultat fut on ne peut plus clair : Sa défaite était quasiment assurée et le sourire triomphant de Dahlia témoignait de sa certitude, titillant l'esprit de compétition de la femme.

-Bon par contre deux secondes hein…

Car son premier grand obstacle était déjà de monter Rawr qui, à la tête qu'il faisait, n'était pas vraiment disposé à laisser la femme à tout faire sur son dos. Il grogna, faillit mordre la blanche une ou deux fois, et finalement, ce fut avec un équilibre précaire qu'elle réussit à monter sur le familier. Comme le propriétaire de la boutique l'avait annoncé, il n'était absolument pas confortable, encore moins sans une selle.
« Merde, comment je vais faire pour gagner ça sans me fracasser la gueule ? Non, comment je vais faire pour pas me fracasser la gueule tout court en fait ? »
Pas le temps de trouver de réponse car le top départ fut si instantané que la chieuse faillit bien se ramasser directement si elle ne s'était pas fermement accrochée à Rawr. Encore une fois, on ne lui avait pas menti en disant que cette bête était rapide à réagir et d'une rare puissance, car malgré le poids qu'elle se trimballait, le Rarwuk réussit à prendre la tête de la course dès le début….si ce n'est pour soudainement s'arrêter et sauter dans tous les sens dans l'unique but de faire tomber Astrid qui se tint à lui comme si sa vie en dépendait, tel un rodéo.
Cela ne dura que quelques secondes, mais des secondes cruciales qui permirent à Dahlia de la dépasser.

-Allez Rawr ! Tu vas pas perdre contre ce canasson ! Un peu de fierté ! Montre lui qui est le patron !
Il se remit à courir sans prévenir, talonnant de près Skirfir. Si seulement Astrid aurait pu courir par elle-même, ce match aurait été plié en une seconde et sa victoire assurée ! Cela dit, elle avait peut-être encore une chance…
Fixant les rênes de la garde, Astrid usa de sa télékinésie et tira légèrement dessus. Le résultat ne se fit pas attendre, car aussitôt, le Skur dévia de sa trajectoire au plus grand plaisir de la femme à tout faire qui se mit à ricaner. Elle avait encore ses chances !

-Bwahahahaha ! On se revoit à la ligne d'arrivée !

La parole de trop. Le karma réclama son dû.
Rawr interrompit de nouveau et soudainement sa course, envoyant ainsi la blanche valdinguer vers l'avant emportée par l'inertie sur quelques mètres avec un « YIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII », se mangeant donc misérablement, et encore une fois même si ce n'était pas vraiment sa faute, le sol.

-La terre a un goût différent dans les plaines. Dit-elle face contre...eh bien, terre.

Et même si Rawr était reparti sans se soucier de sa maîtresse et avait réussi à atteindre le but avant Dahlia et Skirfir, c'était malheureusement sans sa maîtresse qui, de ce fait, avait perdu.
Se retournant peu à peu sur le dos pour faire face aux étoiles qui parsemaient le ciel, révélant ainsi de nouvelles égratignures sur son visage et un nez en sang car la chute fut tout de même assez rude, elle souffla pour se débarrasser de mèches lui entravant sa vue :

-Pfff, je serais pas tombée si j'avais couru par moi-même...

À qui elle allait faire croire ça ?

Tandis qu'elle chevauchait Skirfir - à présent revenu sur sa trajectoire initiale, et comblant tant bien que mal le retard accumulé dû à son récent revirement, assez inexplicable et impromptu - Dahlia ne put s'empêcher d'égarer ses pensées sur ses derniers échanges avec son amie.

Différents sentiments s'entrechoquaient en elle. En premier lieu, elle nourrissait une certaine perplexité, quant à l'effet qu'avait eu sur Astrid sa sentence accusatrice sur ses mœurs dévoyées. En tout cas, la citoyenne ne réfutait aucunement sa propension à batifoler impunément, en causant peut-être quelques chagrins et déceptions au passage. Puis, en seconde place, Dahlia subissait les affres du doute, quant au fait qu'Arthorias fût lui aussi enclin aux mêmes inconstances amoureuses. Mais, à bien y réfléchir, leur relation, pourtant encore balbutiante, était loin de se limiter à une composante purement charnelle. Non, vraiment, Dahlia souhaitait lui faire confiance à ce sujet – à tort ou à raison, seul l'avenir saurait le confirmer ou l'infirmer.

Et, enfin, une tristesse voilée couvait au fond d'elle. De savoir qu'Astrid jugeait préférable de ne jamais revoir Haydée, car étant à présent bien trop éloignée du mari que son ancienne épouse avait chéri et choyé sa vie durant. Un choix que Dahlia respectait entièrement, mais cela l'attristait tout de même, d'apprendre que ses grands-parents étaient voués à ne jamais se retrouver, et ce malgré l'amour qu'ils s'étaient portés lors de leurs vies antérieures. Dahlia avait en tout cas promis à la citoyenne de ne rien dévoiler à sa grand-mère, conformément à sa volonté.

Secouant la tête, Dahlia se résolut à se recentrer sur la course, et eut la surprise de voir Rawr franchir la ligne d'arrivée avant son Skur et elle… Mais sans qu'Astrid ne se trouvât sur son dos. Une vive inquiétude s'empara alors de la garde, et elle fit aussitôt faire demi-tour à Skirfir, en balayant les plaines onduleuses des yeux. Son regard se posa finalement sur la silhouette de la citoyenne, allongée le parterre herbeux, et elle talonna sa monture afin de la rejoindre. Descendant d'un bond de son familier, elle se pencha au dessus de son amie tout en l'examinant d'une œillade inquiète.

« Tout va bien ? J'ai combien de doigts ? » lui demanda-t-elle en faisant passer trois de ses doigts devant ses yeux.

Dans une fatalité qui semblait somme toute immuable… Astrid était à nouveau tombée. Mais, contrairement à d'ordinaire, cela était arrivé lors d'une course menée à vive allure, ce qui n'était pas sans inquiéter Dahlia. Peut-être avait-il été un peu prématuré et inconséquent de monter leurs familiers si tôt après les avoir adopté, et Dahlia se sentait tout de même un peu responsable. Car si Skirfir demeurait relativement aisé à chevaucher, ressemblant aux chevaux dont elle était coutumière, Rawr avait un profil bien différent, et présentait des difficultés majeures en terme de monte, dont Astrid avait fait les frais.

Heureusement, il semblait y avoir eu plus de peur que de mal. Une fois la citoyenne remise d'aplomb, Dahlia put se concentrer sur le gage qu'elle devait à présent lui attribuer, grâce à son illustre victoire. Elle réfléchit un certain moment, et ses pensées revinrent immanquablement vers leur récente discussion au sujet d'Haydée.

« Tu as dit que tu ne souhaitais pas revoir Haydée, et je respecte entièrement ton choix… Mais que dis-tu de lui reparler, juste une fois ? »

Plongeant la main dans son sac sans fond, Dahlia en sortit rapidement une pastille synébrale, qu'elle plaça dans la paume d'Astrid.

« Voici ton gage : tu dois la contacter, et communiquer télépathiquement avec elle, à l'aide de cette pastille. Bien sûr, tu n'es pas obligée de lui dévoiler ton identité réelle, et tu es totalement libre de la teneur de votre discussion. L'effet de la pastille dure dix minutes, fais-en bon usage… Je vais faire un tour avec Skirfir, pendant ce temps. »

Sur ces paroles, Dahlia attrapa les rênes de son Skur avant de s'éloigner. Elle souhaitait en effet laisser une certaine intimité à la citoyenne, bien qu'elle ne pourrait dans tous les cas rien entendre de leur échange, car celui-ci serait purement mental. Par ailleurs, la garde n'avait aucun moyen de vérifier qu'Astrid contacterait bel et bien Haydée, mais elle comptait sur sa bonne foi. À vrai dire, elle espérait surtout que celle-ci verrait ce gage comme une opportunité de reparler à son ex-femme, plutôt que comme une contrainte.

Tout cela appartenait à Astrid, à présent. Dahlia décida d'amener son Skur jusqu'à une rivière qui serpentait, non loin de là, afin qu'il puisse se désaltérer après l'effort accompli. Alors qu'il s'abreuvait, elle tourna un instant le regard vers la citoyenne, dont elle ne percevait plus qu'une indistincte silhouette au loin, tout en se demandant comment cela se passait pour elle. Puis, en voulant reporter à nouveau son attention vers son familier, Dahlia resta figée une poignée de secondes, perdue dans les affres de l'étonnement. Skirfir avait disparu. Il s'était tout simplement… volatilisé.

Skirfir ? T'es passé où ? C'est pas drôle du tout !

Seul le silence lui répondit. Dahlia avait doté son Skur d'une magie d'invisibilité, et il semblait que ce dernier avait choisi de l'activer de son propre chef. Après s'être époumonée quelques instants – télépathiquement puis verbalement – elle finit par revenir vers Astrid, qui devait avoir achevé sa communication, haletante et la mine quelque peu paniquée.

« J'ai, heu… un petit problème. Je crois que j'ai… perdu Skirfir. Il a activé sa magie d'invisibilité, et s'est fait visiblement la malle. »

Se fracasser la gueule devenait une sale habitude. Non, en réalité, ça ne le devenait pas mais l'était déjà, et ce depuis son enfance. Même si, pour une raison étrange, cela lui arrivait de plus en plus ces temps-ci, et toujours à un moment assez...inopportun. Et c'était assez surprenant qu'elle ne se soit jamais cassée de dents ou le cou, heh. Par contre, perdre quelques neurones à force de se taper la tête contre le sol ça…C'était une autre affaire.
Par exemple….

-Guuuuh. Combien t'as de doigts ? Astrid hésita un instant, plissa les yeux, et répondit comme si c'était l'évidence même. 10, pourquoi cette question ? Elle réalisa, bêtement, le réel but de la demande et ouvrit grand la bouche. Oooooooooooooooh, 3, 3, j'en vois 3. Haha. À cause du choc tout ça tu sais, heh, et absolument pas parce que je suis débile….Et je peux aussi dire avec certitude que je suis tombée plus de fois ce mois-ci que t'as de doigts !

Ce qui n'était évidemment pas un exploit dont elle pouvait être fière. Elle se promit donc que quand l'occasion se présenterait, elle commanderait un objet magique contre les chutes et qu'elle ne céderait absolument pas pour des chaussures neuves...même si les siennes étaient assez usées mine de rien, mh….
Ni une ni deux, la citoyenne se releva avec aplomb et dépoussiéra ses vêtements, puis vérifia par la même occasion la présence d'os cassés ou de nouvelles bosses. Heureusement pour elle, il n'y avait que quelques égratignures physique, mais son ego quant à lui était par contre beaucoup plus meurtri. Elle aurait totalement pu gagner si elle n'était pas tombée ! Et elle aurait pu donner un gage à Dahlia ! Un gage signé Astrid Dalgaard et qui aurait été immensément drôle (pour elle) ! Pfff.
Malheureusement, la femme à tout faire découvrit rapidement qu'elle n'était pas la seule à avoir un sacré défi à donner.

-Noooon, Dahlia, t'oserais p….commença t-elle avec une voix tremblotante.

Si, elle avait osé. Un gage sale, fourbe, un réel coup bas qu'Astrid reçut comme un poing dans l'estomac. Pire, un véritable coup de poignard dans le dos ! L'arroseur arrosé. Elle qui s'était pensée être la seule capable d'une telle sournoiserie, voilà que la garde démontrait que, peut-être, cela coulait dans le sang des Delancy.
Dubitative, elle regarda sans y croire ce que Dahlia avait posé dans le creux de sa main.
Serrant les dents de rage, la blanche leva le bras et faillit bien jeter au loin la pastille donnée par la gagnante. Se rendait-elle compte de ce qu'elle demandait à la citoyenne, qui, pendant 25 ans, s'était abstenue de toquer à la porte de la femme d'Edmond pour tout lui avouer ? Qui s'était forcée à ne plus penser à elle alors que Haydée avait toujours une place dans ce nouveau cœur ?
Lentement, elle baissa la main et ses épaules s'affaissèrent en même temps qu'un long et profond soupir exaspéré. Un gage était un gage, et elle allait l'honorer.

-JE ME VENGERAI, TU VERRAS ! Hurla t-elle dans la direction de la garde qui s'était déjà éloignée.

Bon. Son cœur battait la chamade et elle ne savait absolument pas ce qu'elle allait dire ni comment Haydée allait réagir. La panique la gagnait peu à peu. D'ailleurs, est-ce que la pastille marchait sur les fantôme ? Aucune idée. Elle espérait au plus profond d'elle-même que non. Et que faire si elle dormait ? Il se faisait tard après tout haha. Mais, les fantômes dorment ? Puis, il se peut qu'elle refuse la communication… ?
Sachant pertinemment qu'elle ne faisait que repousser le moment fatidique, elle goba d'un coup la pastille et pensa à son ex-femme.

« Refuse, refuse, refuse, refuse….

-Bonsoir, à qui ai-je l'honneur de parler… ?

-Et merde.

-...Pardon ?

-Euh….., je voulais dire...euh penser….Et...et m….et mer….Esmeralda ! Voilà ! C'est mon nom ! Vous êtes bien madame Haydée Delancy…. ?

-C'est bien moi en effet, enchantée mademoiselle Esmeralda. Comment allez-vous ? »
Même si elle ne connaissait pas son interlocutrice, elle se montrait d'une telle politesse et d'une telle douceur !

« -Euh...oui, bien bien….et vous ?

-Je vais bien également. »

Et voilà. Astrid était maintenant à court d'idée. Qu'est-ce qu'elle pourrait dire d'autre, après avoir si mal commencé ?

« -Est-ce que….est-ce que…. »

Surveille ton langage. Parle avec tact Astrid, avec tact.

« -Est-ce que je pourrais parler avec un dénommé Tact s'il vous plaît ?

-Il n'y a pas de monsieur Tact ici, pas à ma connaissance du moins. »

Oui, elle paniquait. Totalement. Entendre la voix d'Haydée après tant d'années la mettait dans tous ses états et elle ne savait plus où se donner de la tête.

«-Aaah haha, oui, forcément, haha...Eeeeh, eeeeh….vous….vous….vous êtes abonnée au journal la Voix du Jour ? Il est vraiment s-u-p-e-r ! Généralissime ! Je crois. »

Ah. On pouvait à la fois entendre l’affolement dans la pensée de la femme à tout faire mais également le voir tant elle tournait en rond nerveusement en se roulant les pouces et en suant à grosses goûtes.

«-Oh, non, je ne le suis pas. Êtes vous sûre que vous allez bien jeune fille  ? Vous m'avez l'air…agitée…

-Oaf, boaf, oui, je vais bien ! C'est juste que...que…j'ai la joie et l'immense privilège de vous annoncer qu'il y a un concours si vous vous abonnée aujourd'hui !

-Oh ? Un concours ? C'est fort intéressant !  

-Ouiii, vous pouvez….gagner un voyage ! À la capitale ! »

Idiote. Demeurée. Elle vivait à la capitale!

«-Euh non, à…..à l'archipel !

-Oooh, il y a déjà des gens qui ont gagné ?

-Bien sûr bien sûr ! Des tas de gens. Par exemple…. »

Un nom, n'importe lequel, fictif s'il le faut.

«-Des gens comme….Herry Porter ? »

Si tôt le nom prononcé, Astrid s'auto-baffa. Un nom fictif, pas de fiction nom de Lucy !
Cet échange farfelu et sans quête ni tête dura bien 10 minutes. 10 longues minutes durant lesquelles la femme à tout faire balbutia une énormité après l'autre, tentant de vendre vainement par pastille synébrale un abonnement journal à, somme toute, une mémé qui jouait étrangement le jeu, par gentillesse sûrement.

« -Eh bien vous m'avez convaincue, Esmeralda.

-Haha, ouais, je savais que vous alliez refu...hein ? Pardon ?

-Vous m'avez tellement intriguée que je consens à m'abonner, haha.

-Oh wow, vraiment ? Euh...super… »

Génial. Maintenant elle se sentait mal d'avoir menti à Haydée et de l'avoir menée en bateau.

«-Attendez madame Delancy, j'ai quelque chose à vous avouer…Je….

-Oui ma chère ? »

Le tambour de guerre dans sa poitrine se fit plus fort encore. C'était le moment ou jamais de le lui dire, de le lui avouer, une dernière fois.

«-Je...il...Edmond vous a toujours aimé! »

Mais cet aveu, tout droit sorti des tréfonds de son âme, fut accueilli par le plus total des silences qui serra davantage le cœur de la jeune femme. Est-ce que Haydée était sous le choc ? Ne savait pas quoi répondre ? Ou est-ce que, de manière plus réaliste...

«-Allo ? Allo….. ? Allooooooooooo ? »

Les 10 minutes s'étaient écoulées. Et alors qu'Astrid se demandait si la noble avait entendu cette dernière phrase qui avait rendu son visage rouge pivoine, la voix de Dahlia la fit sursauter comme jamais et elle lâcha un petit cri aigu où se mélangeait à la fois surprise, effroi, et honte :

-Yiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! Depuis quand t'es là ?! T'as pas entendu hein ?! Ah bah nan t'as pas pu, c'est de la télépathie c'est vrai...haha….Quoi ? Bouche bée, elle n'en crut d'abord pas ses oreilles. Quelle idée de donner une magie d'invisibilité à un familier qu'on vient à peine d'adopter !

L'urgence de la situation et la mine paniquée de Dahlia réussit à calmer la blanche qui retrouva peu à peu son sang froid, mettant de côté la discussion qu'elle avait eu avec l'épouse du défunt commandant royal (si on pouvait appeler ça une discussion).

-Il peut pas être allé très loin...marmonna t-elle en balayant du regard les alentours.

La nuit étant tombée sur les plaines, il lui était donc difficile de voir très loin. Aussi elle sortit des lunettes de jour de son sac et les enfila.
D'ailleurs, elle réalisa soudainement quelque chose.

-Euh...t'aurais vu Rawr par hasard ?

Depuis qu'il avait passé la ligne d'arrivé jusqu'à maintenant, elle ne l'avait plus vu.
….
Merde merde merde. À peine adoptés ils fuyaient déjà ?! Quelle erreur de débutant de les avoir laissés seuls ! Et s'ils étaient en train de se battre ? Non pire….Et si Rawr était en train de dévorer Skirfir ? Ou inversement, qui sait si ce familier là n'était pas un carnivore et un prédateur placé au dessus d'un Rarwuk sur la chaîne alimentaire.  

-Si on voit l'un de nos familiers en train de bouffer l'autre, pas de rancœur hein ? Dit-elle sur le ton de la plaisanterie. Partons rapidement à leur recherche, l'invisibilité de ton canasson devrait pas durer très longtemps. Dans quelle direction tu étais partie ?

Toutes deux se dirigèrent donc vers la rivière où Dahlia avait vu son familier pour la dernière fois. Sans surprise, il n'était pas là et ne les avait pas sagement attendu. Mais à la place, ils trouvèrent Rawr non loin à côté d'un arbre, ce qui soulagea grandement sa maîtresse.

-Un familier sur deux, c'est déjà ça ! S'exclama l'alcoolique en s'approchant de lui. Putain mon vieux, t'as pas idée de t'éloigner aussi long….temps… ?

Astrid était soulagé, et de toute évidence, le Rawruk était en train de se soulager aussi. Instinctivement, elle se boucha le nez et continua comme si de rien n'était, déjà habituée à ce genre de scène avec ses trop nombreux familiers :

-Avec son odorat il va pouvoir nous aider à chas...euh retrouver Skirfir, heh. Pas vrai Rawr ? Et oui, je sais que je te fais chier, littéralement, haha.

Pour toute réponse, il se mit à bailler au plus grand désespoir de la citoyenne. Cette dernière sortit alors de son sac un autre morceau de viande et l'agita devant lui.

-Si tu nous aides t'auras de la viaaaannnnnnde !

Déjà rassasié par la portion de tout à l'heure, cette maigre récompense ne sembla pas l'intéresser le moins du monde. Il en faudrait plus pour le convaincre.

-Tu pourras...dormir sur le canapé pour ce soir ?

Les oreilles de Rawr s'agitèrent l'espace d'un instant. Astrid avait assurément capté son attention. Il ne restait plus qu'à pousser un peu plus….

-Mon lit super douillet en plus de la viande alors ?

Marché conclu. Le familier vint auprès d'elles et tourna autour de Dahlia dans le but de la renifler. Puis, une fois imprégnée de son odeur, il se mit en marche dans une direction qui, l'ex-garde l'espérait, les mèneraient vers le Skur. Quelque peu dépitée, la perdante de toute cette histoire dit :

-...bon eh bien ce sera la deuxième nuit sur un canapé pour moi j'imagine, eh…pas que je vais arriver à dormir ce soir je pense haha...

Petit regard accusateur et boudeur en direction de la coupable.
Fouillant dans son sac, elle y sortit une Longue-Vue "AigleFin" et la tendit à son amie en plus de ses lunettes de jour.

-Tiens, on le trouvera mieux comme ça aussi. Et en attendaaaaannnnt…

Parce que nuit était synonyme d'alcool (dans son dictionnaire du moins), elle ne se fit pas prier pour ressortir sa chope magique pleine de l'eau de la rivière transformée en bière. Après quelques gorgées bienvenues, elle poussa un petit soupir de soulagement :

-Pfwa, ça fait du bien de se désaltérer ! La télépathie, ça donne plus soif que je ne l'aurais pensé. T'en veux aussi ? Pour te détendre ? T'inquiète pas trop, on finira par le retrouver.

Le cri de saisissement d'Astrid, qui déchira la quiétude vespérale de sa sonorité particulièrement aigue, arracha également un soubresaut à Dahlia, qui sursauta en miroir à la stupeur de la citoyenne. Elle n'avait aucune idée de l'échange qu'avait pu tenir celle-ci, n'ayant pu l'ouïr – comme Astrid le réalisa bien vite, en reprenant contenance - mais présumait qu'il avait dû être particulièrement important et riche en révélations, pour que son amie panique de cette manière et craigne à ce point qu'elle l'ait entendue. Une curiosité déraisonnable s'insinua en elle suite à cette déduction, qu'elle allait bien avoir du mal à réfréner.

Plissant les yeux à la remarque d'Astrid sur son inconscience d'avoir octroyé ce don d'invisibilité à son familier tout nouvellement acquis, elle lâcha alors, de façon aussi spontanée et directe qu'un coup de poing décoché au creux du ventre :

« Quelle idée d'avoir affronté un fenrir, plutôt, ou encore d'avoir été commandant de la Garde… »

Une pique lancée tout à fait gratuitement, mais dont Dahlia n'avait pas pu se priver, mue par les griefs vivaces qu'elle couvait à l'encontre de son grand-père. Levant les yeux vers le ciel, qui avait à présent perdu ses teintes flamboyantes pour se parer d'un beau manteau bleu nuit piqueté d'étoiles, elle accueillit la remarque suivante de la citoyenne – qui portait, en l'occurrence, sur l'absence de son Rarwük également – avec une mine plus soucieuse. Si elles avaient toutes les deux perdu leurs nouveaux compagnons, elles étaient réellement fines.

« Non, pas vu. Je crois que si on ne les retrouve pas – ce que je n'espère sincèrement pas - on pourra nous décerner la médaille des plus mauvaises maîtresses... »

Sans attendre, elles se pressèrent en direction de la rivière précédemment rejointe par Dahlia et son Skur, où elles retrouvèrent heureusement Rawr, qui s'adonnait à une activité peu reluisante, mais tout à fait essentielle. S'ensuivit une négociation particulièrement âpre entre Astrid et son familier, pour le convaincre de les aider à retrouver Skirfir, ce qui détendit légèrement le faciès de Dahlia en un sourire amusé. La citoyenne savait incontestablement user de moyens de persuasion.

Suite à l'accord - assez rude - conclu, Rawr vint auprès d'elle s'imprégner de l'odeur qu'il allait devoir pister, et Dahlia hésita à lui caresser la tête en signe de reconnaissance, avant de se raviser. Il n'était que peu enclin à se laisser approcher par Astrid elle-même, aussi était-ce certainement un peu prématuré pour tenter tout contact à son encontre.

« Merci mais je dispose déjà de mes lunettes de jour. Je suis preneuse pour la longue-vue, en revanche. » répondit-elle à Astrid en se saisissant volontiers de l'objet magique, qu'elle se promit d'acquérir également plus tard.

En effet, la clarté opalescente dont les plaines étaient nimbées par l'éclat de la lune et des étoiles prodiguait un bien chiche éclairage. Alors qu'elle venait de s'équiper de sa monture de jour, qui augmenta considérablement de son champ de vision, Dahlia vit soudainement qu'Astrid lui tendait sa chope magique emplie de bière. Elle s'apprêtait à répondre à sa proposition par l'affirmative, quand la réminiscence de cette journée à la plage - durant laquelle Astrid l'avait employée - lui revint en mémoire, lui ôtant toute envie de boire. 

« Je crois que préfèrerai plutôt du chocolat chaud, en cette période. » Après une recherche dans son sac sans fond, Dahlia en sortit son mug magique, grâce auquel elle recueillit le généreux breuvage chocolaté à partir de l'eau de la rivière. « Tu en veux ? »

Après quelques gorgées réconfortantes, elles purent se mettre en route, suivant Rawr qui déployait l'étendue de son flair pour retrouver Skirfir. Tandis qu'elles marchaient à sa suite, le long des lopins et vergers, Dahlia en profita pour demander à la citoyenne :

« Alors heu, sinon, ça s'est bien passé, cet appel… ? »

Cette question, Dahlia savait qu'il n'était guère opportun de la poser. Après tout, elle avait bien vu la réaction d'Astrid lorsqu'elle lui avait octroyé ce gage – et elle n'avait pas oublié la promesse de vengeance scandée. Elle avait également aperçu le regard lourd de reproches de la citoyenne, quand celle-ci avait évoqué le fait qu'elle ne parviendrait probablement pas à dormir cette nuit. Et pourtant, Dahlia ne pouvait refréner ce désir d'en entrevoir plus, sur ce qui s'était déroulé un peu plus tôt entre Haydée et Astrid… sur ce qu'elle avait provoqué.

« Je comprendrais que tu m'en veuilles, mais sache que j'essayais seulement d'aider… »

Dahlia dut toutefois interrompre ses excuses, car Rawr vint leur signaler qu'il avait décelé quelque chose, sa queue battant frénétiquement l'air sous l'empressement. Il leur indiqua… une grange, qui se dressait non loin de là. Et un regard dans la longue-vue confirma à Dahlia les indications du Rarwük, car la lentille lui permit d'apercevoir au travers de l'une des fenêtres, fugacement, une bribe écailleuse de la silhouette de son familier.

« Manifestement, Skirfir s'est infiltré dans le garde-manger de cette ferme... »

Il fallait croire que son Skur était un familier (un peu trop) gourmand.

Encore une fois, Astrid n'eut rien à rétorquer à la pique douloureuse de sa petite fille à son égard qu'elle reçut comme un uppercut prête à la mettre mentalement K.O. Il n'y avait pas à dire, depuis que Dahlia avait appris la réelle identité de son amie, elle était bien plus mordante. Ce qui était...compréhensible. Elle ne l'avait pas encore pardonnée après tout. Cela dit, la garde avait bien raison. Quelle idée vraiment, d'avoir choisi de devenir commandant de la garde et d'avoir combattu un fenrir en sachant sa mort inévitable, à un jour de la retraite (pas vraiment).

-Pff, t'aurais fait la même chose que moi pour le fenrir. Grommela t-elle en faisant mine de bouder.

Se sacrifier pour ses amis, son roi, sa reine, et une gamine qu'Edmond avait considéré comme sa propre fille. Un acte des plus nobles, diraient certains. Une décision totalement stupide, pensait désormais Astrid. Mais une décision qu'elle referait probablement.
Par contre….être commandant, ça, ça avait été totalement con et quelque chose qu'elle ne referait jamais, quitte à jeter des connaissances sous les roues d'un carrosse. Par exemple, Arban. Ouep, désolée mon petit.

Voyant Dahlia refuser l'alcool, Astrid haussa un sourcil et fixa bêtement sa chope comme si elle renfermait en elle le plus grand secret de l'univers. Perplexe, elle en reprit une gorgée et constata que, comme d'habitude, bien que ce n'était pas la meilleure bière du monde, elle était loin d'être de la pisse de chat diluée.

-C'est pas SI dégueulasse que ça voyons !

Hmmm. Son regard perplexe se tourna de nouveau sur sa camarade qui disait préférer du chocolat chaud. Avec un sourire en coin et moqueur elle dit :

-Heh, je ne te savais pas si gourmande et enfantine.

Dixit celle qui, que ce soit dans son ancienne vie de papy sexagénaire ou celle-ci, avait toujours été fan de sucrerie et de chocolat et qui ne refuserait jamais ce genre de proposition. Mais elle avait beaucoup mieux en tête ! Une idée absolument fameuse et délicieuse (et farfelue), et qui bien entendu, ne mènerait pas du tout à une catastrophe comme elle en avait l'habitude.

-Tout ça me fait penser que j'ai entendu parler d'une bière au goût chocolat, c'est le bon moment pour tester ça !

Ni une ni deux, la chope de bière dans une main et le chocolat dans l'autre, elle but le tout en même temps et la réaction ne se fit pas attendre. Elle recracha par terre ce qu'elle avait avalé sur ses bottes et tira la langue de dégoût, avant de soudainement éclater de rire face à sa propre bêtise, s'en faisant mal au ventre.

-Hahahaha, ok, ok, note à moi-même, mélanger de la bière de moyenne qualité et du chocolat chaud, ça a bien un goût la merde en plus d'en avoir la couleur, bwaha ! Tu veux tenter l'expérience ptetre ? Héhé !

Le fou rire passé, sur le chemin, Dahlia eut la curiosité de demander comment s'était déroulé l'appel entre la femme à tout faire et Haydée. Plissant les yeux, la blanche ne répondit tout d'abord pas à la question. Elle était toujours outrée par la demande et en voulait encore un peu à la garde. Maiiiis, à sa place, elle aurait fait la même chose (en pire) et elle savait que ça avait été une tentative pour aider Edmond et son ex-femme.

-Une catastrophe. Finit-elle par dire après un long et profond soupir. Puis, prenant un air mélodramatique elle continua en levant les bras au ciel : Ooooh ! Je vais en faire des cauchemars et ça va me ronger pendant des jours ! Que dis-je, des semaines ! Voire des mois ! Je vais devoir noyer ma tristesse et mon désarroi dans l'alcool, la drogue, et les femmes ! Enfin, surtout l'alcool. J'espère que j'aurai de la compagnie à ce moment-là.

Elle s'arrêta, observa Dahlia un petit moment, puis se mit à ricaner :

-Bah. J'exagère juste un peu haha. Si tu croises Haydée et qu'elle te dit qu'elle s'est récemment abonnée à un journal, tu comprendras. Cela dit, je n'oublie pas que je me vengerai un jour. Prépare toi bien eh.

Fier chasseur, Rawr n'eut aucune difficulté à suivre à la trace Skirfir qui s'était retrouvé dans une grange pour se remplir la panse, la pomme que Dahlia lui avait donné n'étant apparemment clairement pas suffisante.

-Aussi gourmand que sa maîtresse on dirait eh ?

Contente de son familier, la femme à tout faire tenta de caresser le rarwuk qui s'était allongé sur le sol et eut la bonne surprise de voir qu'il se laissait faire.

-Ooooh, c'est un bon garçon ça, c'est un bon garçon, oui ! Bon, allons chercher ton familier !

Il ne suffisait plus qu'à discrètement récupérer le Skur sans se faire remarquer par le fermier et rentrer à la capitale, puis boire et bouffer dans une taverne ! Parce que mine de rien, les deux jeunes femmes n'avaient pas encore rempli leur propre estomac avec toute cette histoire de familiers.  
Totalement insouciante, pour ne pas changer, Astrid se dirigea donc vers la grange et aperçut en effet le Skur dévorer des graines de céréales.

-He beh, il ne devait pas manger à sa faim dans le refuge. C'est le fermier qui risque de faire une syncope demain en voya….

-Les mains en l'air et pas un geste !

Le karma, ou Lucy plutôt, toujours prête à frapper la citoyenne quand elle s'y attendait le moins! Car justement, le fermier dans son pyjama pointait sur les intrus un arc avec, bien entendu, une jolie flèche prête à trouver logement dans un corps.

-J'aurais dû fermer ma gueule, à chaque fois c'est pareil. Parfois, je me dis que je suis pas...une flèche. Haha.

Comme à son habitude, que ce soit avec une flèche dans sa direction ou un couteau sous la gorge, ça n’empêchait en aucun cas Astrid Dalgaard de faire ses blagues de merde.

Une bière au goût chocolat ? Dahlia avait à peine eu le temps d'apprendre l'existence d'une telle association – aussi improbable que douteuse, et dont l'idée avait dû éclore dans l'esprit d'une personne déjà bien ivre ; comment aurait-il pu en être autrement ? – qu'elle vit Astrid porter simultanément à ses lèvres les deux récipients contenant respectivement de la bière et du chocolat chaud, puis en avaler la teneur sans l'ombre d'une hésitation.

Le breuvage hybride rejaillit toutefois presque instantanément de la bouche de la citoyenne, et Dahlia eut bien du mal à contenir son rire également, qui alla jusqu'à faire poindre de petites larmes au coin de ses yeux.

« Et après, c'est moi qui suis gourmande et enfantine… ? »

Des qualificatifs qu'Astrid avait employé à son encontre précédemment, et que Dahlia n'avait pas très bien digéré… Bien qu'ils ne fussent, en effet, point sans renfermer une once de vérité concernant son appétence pour les douceurs et sucreries de toutes sortes.

« À moins que ce ne soit un signe de sénilité, dans ton cas. » poursuivit-elle, non sans un sourire revanchard. Rappeler son grand âge à son amie était bien trop tentant et amusant, d'autant plus avec les griefs qu'elle nourrissait à son égard. « En tout cas non merci, je te laisse l'apanage des expériences étranges. »

Toute trace de sourire s'estompa ensuite du faciès de Dahlia, lorsqu'Astrid revint sur son échange télépathique avec Haydée. Au terme de ses épanchements mélodramatiques – Astrid ne pouvant résolument s'affranchir de cette nature un peu théâtrale – la citoyenne la rassura toutefois sur celui-ci, avouant qu'elle avait versé dans l'exagération. Et lui rappelant ses desseins vindicatifs.

« Je dois donc craindre une vengeance ? Je serai curieuse de voir ça. »

Oui, Dahlia venait bel et bien de mettre Astrid au défi de se venger dignement, et Lucy savait qu'elle le regretterait ultérieurement, mais elle était alors loin de se douter de ce qui l'attendait. Elle demeurait en tout cas rassurée que l'échange entre ses grands-parents ressuscités se soit plutôt bien déroulé, et se promit intérieurement d'interroger Haydée, ultérieurement, concernant cet appel. Il fallait toujours recouper une information, après tout, et elle était fort curieuse de connaître son point de vue propre.

Ravie de voir que Rawr se laissait davantage câliner par sa maîtresse, Dahlia les suivit dans la grange où se trouvait son Skur. Elle n'était pas qu'un peu soulagée qu'ils soient parvenus à le retrouver, étant déjà liée à lui par une affection telle que toute perspective de le perdre lui poinçonnait le coeur. Aussi, elle ne pouvait que remercier Astrid et son Rarwük pour l'aide apportée. Alors que la citoyenne constatait l'appétit de Skirfir, elle fut interrompue par une voix étrangère qui givra les reins de Dahlia.

Le fermier. Visiblement alerté par les bruits, il avait rejoint la bâtisse, encore vêtu de son pyjama – un magnifique ensemble brodé de canards – et les tenait en joue avec son arc bandé.  

Dahlia le considéra un instant, ne sachant que faire. Astrid était douée d'une célérité augmentée, mais cela lui permettait-il de pouvoir jusqu'à éviter une flèche une fois celle-ci décochée ? Elle n'en était point certaine. En revanche, elle portait pour sa part une gemme, dénommée « Protège-arrière » montée sur une broche piquée sur le devant de sa chemise, qui avait la faculté de déployer un bouclier magique en cas de besoin, à même d'intercepter les projectiles. Elle se plaça ainsi, avec une lenteur calculée, devant la citoyenne. Son devoir restait de protéger autrui, et elle ne comptait pas perdre son grand-père une seconde fois, malgré tout son désamour pour lui.

« Il y a méprise... » commença-t-elle, avant d'être aussitôt interrompue par l'homme.

« Les mains en l'air, j'ai dit ! Je n'hésiterai pas à tirer. »

S'exécutant tant bien que mal, Dahlia perçut soudainement du coin de l'œil Skirfir, dont les prunelles s'étaient mises à luire plus intensément. Il n'appréciait guère, visiblement, que l'on menaçât ainsi sa maîtresse. Et il en était de même pour Rawr, dont les babines s'étaient retroussées sur des crocs laiteux et saillants, et dont la gorge vibrait d'un grondement peu amène.

N'attaque pas, s'il te plaît. On gère la situation. envoya-t-elle à Skirfir dans une tentative d'apaisement.

Le fermier, quant à lui, commençait à lancer des œillades inquiètes en direction des familiers, avant de revenir sur les deux jeunes femmes, en direction desquelles son arc était toujours pointé. Dahlia, les mains à présent levées, s'efforça de parler de sa voix la plus douce et sereine :

« Nous ne vous voulons aucun mal. Mon familier s'est introduit par accident dans votre ferme. Nous allons repartir aussitôt. »

« Et mes grains, vous savez ce que ça représente ? Vous croyez que je bosse pour du flanc ? »

« J'ai de quoi vous dédommager pour leur perte. »

Finalement, l'homme abaissa son arc et Dahlia piocha les cristaux nécessaires dans sa bourse afin qu'il oublie l'affaire. Elle se garda bien sûr de mentionner son appartenance à la Garde, peu désireuse que sa carrière professionnelle se retrouvât entachée par cet incident. Une fois sortis de la ferme, elle relâcha toute la tension accumulée dans un soupir, et posa une main sur l'encolure de Skirfir.

Tu m'auras fait une belle frayeur… Mais je sus contente de t'avoir retrouvé.

Le hennissement joyeux qui lui répondit lui indiqua que sa joie était partagée. Portant alors son regard vers Astrid, elle lui dit finalement :

« Je crois qu'on a eu notre dose d'émotions pour la journée… On rentre ? Un grand merci pour ton aide. »  La citoyenne avait tout de même sacrifié son lit pour la nuit pour que Rawr accepte de les aider, et Dahlia n'oubliait pas son geste. « On va dire que tu es… au un centième pardonné, grâce à ce service. »

Restait à savoir ce qu'elle lui demanderait, pour s'acquitter des 99 autres centièmes.