L’ombre du passé
Inaros
Ses mots trahissaient la peur qu’elle avait ressenti. L’espace d’un instant, il se demanda si Ivara avait bien fait de dégager sa sœur de l’Atelier et se rappela que la sculptrice n’était pas habituée à ce genre d’incident. Qu’aurait-il fait à sa place ? Il l’ignorait. Elle avait essayé de faire de son mieux et - bien que la situation le contrariait beaucoup - il ne pouvait pas revenir en arrière. Lui-même était interdit sur ses propres émotions et sentiments quant à la nouvelle que sa sœur le cherchait. Il s’était rappelé de ses promesses rompues que peu de temps auparavant, suite à un événement qui aurait pu devenir tragique, il commençait à peine à remonter la pente. Le mercenaire ferma le carnet d’un geste sec. Dans tous les cas, il devait réussir à en apprendre plus sur celle qui partageait le même sang que lui. Si elle le cherchait, il devait y avoir une raison à cela et Inaros préférait avoir un coup d’avance en sachant si cette raison était bonne ou mauvaise. Il avait un avantage : sa soeur ne pouvait pas se douter que son esprit était enfermé dans celui de la pauvre femme à laquelle elle avait eu affaire plus tôt dans la journée. Il espérait vraiment que la comédie d’Ivara avait fonctionné, mais elle lui avait avoué elle-même avoir bafouillé à de nombreuses reprises et qu’elle n’avait pas réussi à déceler dans le regard de l’autre cette petite lueur indiquant que son interlocutrice gobait ses mensonges. Il avait pourtant cru comprendre qu’Ivara était une bonne commerçante, qui avait l’art et la manière de convaincre les acheteurs. Elle devait être sacrément mal en point mentalement. Il commençait à prendre sérieusement conscience de la faiblesse mentale dans laquelle cette situation les avait plongés. Ils étaient en pleine saison froide, l’an 1001 n’était pas encore arrivé… De toute évidence, il n’était pas trop tard pour repartir sur des bases saines entre eux.
Pour l’heure, Inaros devait régler ce problème familial.
Comme à son habitude, il était vêtu d’une combinaison sombre qui empêchait quiconque de discerner ses attributs féminins - soigneusement bandés - et de son habituel masque qui recouvrait une partie de son visage. Il comptait sur sa capuche pour dissimuler le reste de son crâne, ses longs cheveux blonds étant retenus par une tresse qu’il essaya de rassembler en un “chignon”. C’était une coiffure qu’Ivara avait essayé de lui expliquer. Il ne maîtrisait pas encore tout à fait bien cet art. Dans son corps d’homme, il n’avait toujours eu besoin que d’un coup de peigne dans sa tignasse et tout était réglé. Il avait entendu parler d’un peigne magique qui se vendait ici et là. Il essaierait de s’en procurer un à l’occasion, des chances que ça lui soit bénéfique.
Discrètement, il s’échappa par l’arrière-boutique et s’enfonça dans le cœur de la nuit. À cet instant précis, il était incapable de détecter celle qui le suivait. De loin, elle ne pouvait qu’apercevoir la silhouette féminine d’Ivara qui avançait avec sûreté dans le dédale des ruelles de la Capitale. La silhouette emprunta plusieurs passages étroits, passant par-dessus certains murets pour se créer ses propres raccourcis. Une vingtaine de minutes plus tard, elle s’arrêta devant une enseigne qui paraissait banale. Il était trois heures du matin et du bruit s’échappait du lieu. C’était une taverne. Ils étaient dans les quartiers les plus malfamés de la Capitale.
Inaros connaissait bien cet endroit pour s’y être rendu à plusieurs reprises, alors même qu’il était encore “vivant”. Il y était retourné plusieurs fois, particulièrement lorsqu’il hésitait à reprendre ses contrats de mercenaire dans le corps d’Ivara. Pour ce gérant de taverne, Ivara n’existait pas : c’était bel et bien Inaros mais il ne le connaissait que sous ce nom-là. Il n’avait pas posé de questions au mercenaire sur son changement de voix et d’apparence. Il prenait les contrats et les réussissait, c’est tout ce qu’il demandait. Il fallait dire que sa taverne était l’un des lieux favoris des hommes et femmes à tout faire pour se retrouver ou qu’ils viennent simplement récupérer ce qu’ils voulaient. Ce n’était pas le lieu propice au rendez-vous galant et aux déjeuners familiaux. En somme, un repaire de criminels et de bandits en tout genre.
La silhouette toujours capuchonnée s’approcha du patron, Will, et prit place sur l’un des tabourets qui faisaient face au comptoir.
- Ah ! Ça f’sait longtemps que je t’avais pas vu traîner par ici. Un thé noir, comme d’habitude ?
- Non. J’n’ai pas vraiment l’temps. J’suis à la recherche d’infos et j’aurais b’soin d’connaître un d’tes contacts les plus sûrs pour les avoir.
- Hum… T’en aurais bien un qui...
- Il s’rait dispo’ dans l’heure ?
- J’peux pas t’le dire.
- Merde. T’peux pas m’aider avec du concret ?
- Désolé. Tout l’monde ici cherche à s’faire discret. Je peux pas t’en dire trop, ils sont mon fond d’commerce.
- Ok. T’en fais pas. J’vais m’démerder.
- Attends. J’t’aime bien, vas t’installer là-bas et j’le f’rais v’nir à toi. J’peux juste pas te dire quand il viendra.
- Merci Will, c’déjà mieux qu’rien. Fais moi c’thé.
Une fois son thé en main, Inaros se releva et bouscula quelqu’un sur son passage, lui faisant un bref signe de tête avant de poursuivre son chemin vers l’une des tables libres.
La pièce était remplie et le brouhaha ambiant ne le dérangeait pas. Il avait tout loisir de pouvoir observer ces gens et réfléchir davantage à la situation. Il savait qu’il devait agir rapidement pour ne pas se laisser surprendre. Si le pire se produisait, il serait quand même prêt. Ce ne serait pas le même choc que celui vécu par Ivara un peu plus tôt dans la journée.
Et l’attente avait été longue, très longue. Peut-être même trop, et elle aurait normalement déjà abandonné depuis bien longtemps si ce cas-là n’était pas si spécial. Néanmoins, l’aventurière ne manquait pas d’options et pour les filatures, elle avait mis en place un stratagème assez audacieux. C’était son ombre, en vue d’elle, qui surveillait les allées et venues. En retrait près d’un petit éclairage magique et complètement hors de vue, elle voyait juste un petit bout de son ombre. Ombre qui était censée lui faire un signe au moindre cas suspect.
Elle, elle lisait simplement un roman qu’elle était allée chercher en journée et, après chaque page, jetait un coup d'œil vers son ombre. Une discipline qu’elle avait tenu sans mal, même si elle avait commencé à douter du bien fondé de ses actions. Evidemment qu’Ivara n’allait rien faire de bien louche après cette journée… Peut-être devrait-elle retenter dans quelques jours?
C’était ce qu’elle avait pensé avant de relever les yeux une énième fois, et de voir le signe que son ombre discrète au sol avait fait. Un simple symbole de ses mains, sur le sol pavé. Quelque chose! Fermant son livre et le rangeant d’un coup, elle bondit sur ses jambes encore un peu endormies par cette longue attente. Son ombre ne perdit pas de temps et commença la filature, et, une fois ses affaires rassemblées, l’aventurière échangea de place avec celle-ci. Une silhouette encapuchonnée marchait loin devant elle. A peu près la taille de la marchande, une tenue et une démarche bien différente.
Ses suspicions s’étaient avérées plutôt exactes alors que la silhouette s’engagea dans une taverne qui ne pouvait être considérée que comme un coupe-gorge. Un repaire de bandits et de crapules en tout genre, elle n’avait même pas besoin d’y mettre les pieds pour en être persuadée. La souffleuse de verre avait bien des choses à cacher, elle n’en doutait plus du tout.
Violette laissa son ombre escalader un bâtiment proche, puis elle échangea à nouveau de position avec, s’asseyant brièvement sur le toit. Ressortant le dossier de la garde sur l’affaire de l’époque, elle s’empara d’un stylo et commença à coucher sur papier ses observations. Ivara, le lapsus, son comportement, le fait qu’elle sortait la nuit fréquenter des tavernes mal famées indignes de son métier pourtant assez bien payé. Assez pour rouvrir l’enquête, et au minimum attirer un petit paquet de problèmes sur la blonde.
Violette renvoya son ombre à quelques rues de là, dans un endroit mieux fréquenté, et alla cacher le dossier et ses notes dans un tonneau d’un particulier à l’extérieur. S’il le trouvait, peut-être irait-il le ramener à la garde. Ou peut-être pas, mais rien que le fait que l’option existe lui offrait une assurance. Tellement de précautions… Elle ne pouvait pas se permettre de laisser s’échapper un tel poisson. Elle voulait, et devait connaître la vérité. Alors chaque levier qu’elle pouvait obtenir pour faire pression, elle allait le prendre.
Une fois son stratagème mis en place, elle entra dans l’établissement après avoir caché la plupart de ses affaires, histoire de ne pas se voir débouler avec tout son matériel d’aventurière. Capuche de son manteau cachant à moitié son visage, elle essayait d’avoir l’air assez louche pour justement ne pas attirer l’attention. Approchant du comptoir, elle y commanda une bière de la façon la plus naturelle possible, ce qui n’était pas le plus simple vu que le tenancier voyait clairement qu’elle n’était pas une habituée.
Pour quelqu’un qui ne voulait pas éveiller de suspicions, c’était assez mal parti, mais elle n’insista pas, et ne demanda rien de peur de se trahir sur elle ou ses intentions. Après tout, elle n’était pas non plus de la garde. Tous les aventuriers n’étaient pas des agneaux non plus… En attendant sa boisson, un tour de regard de la pièce la fit apercevoir la personne qu’elle cherchait. Ivara, dans un coin, à une table, seule.
C’est donc chope en main qu’elle s’était approchée, pas spécialement de façon discrète. Elle posa sa boisson sur la table en face de la blonde dissimulée, puis s’installa en face sans un mot. Son visage restait encore majoritairement visible, notamment un léger sourire fier qu’elle peinait à dissimuler. Elle pouvait être fière d’elle : Elle avait coincé Ivara.
Du moins c’était ce qu’elle pensait.
De tout de façon, vu la journée qui venait de passer, Ivara allait sûrement réaliser qui cette personne était : Le manteau était le même, et son visage aussi. Elle n’avait aucune question à poser. Tout était dans son regard. Un regard fixé sur elle, sans qu’un mot ne soit prononcé.
L’ombre du passé
Inaros
Son thé à peine entamé, une silhouette gracieuse s’approcha de lui et posa son séant sur la chaise qui lui faisait face. Ça avait été rapide. Très rapide, peut-être même trop mais qui était-il pour juger de ça ?
Il regarda la brune qui venait de s’installer à sa table, en toute décontraction. Une bière à la main, elle le toisait sans même prendre la peine de se présenter. C’était ça, son informateur ? Le visage de la jeune femme était aussi à moitié dissimulé, il ne pouvait donc pas la détailler. Il discernait uniquement les yeux gris qui le fixaient. Mais il n’avait aucune raison d’être plus méfiant. Will lui avait dit que l’informateur allait s’asseoir à sa table et quelqu’un venait de s’asseoir à sa table. Trop loin pour voir qu’elle venait seulement d’entrer dans la taverne, Inaros ne pouvait pas deviner de qui il s’agissait réellement. Ses mains lui révélèrent qu’elle était jeune mais Inaros ne pouvait pas vraiment la critiquer là-dessus, il avait lui-même démarré le métier pas plus haut que trois pommes. Il prit la parole après un silence gênant.
- En v’là des manières. Même pas d’présentation. Il fronça les sourcils quelques secondes, soupirant avant de reprendre. C’donc toi, celle qui peut m’donner les infos qu’je veux ? J’espère qu’t’es à la hauteur d’ta réputation.
Il toisa l’inconnue une nouvelle fois. Les iris de l’inconnue scintillaient d’une étrange lueur. L’agacement ? La curiosité ? Le doute ? Il ne savait pas vraiment et préféra penser que son esprit lui jouait des tours. Il ressentait une étrange sensation de déjà-vu. Avait-il déjà eu affaire avec cette personne par le passé ? C’était possible. Il avait réalisé de nombreux contrats dans son ancienne vie et il reprenait sûrement cette voie dans l’actuelle.
- Si c’t’une question d’cristaux, pas d’souci. J’te paierai c’que tu voudras. J’ai vraiment b’soin d’cette info.
Inaros déplia ses doigts pour les poser à plat sur la table. Il y avait un petit on-ne-sait-quoi dans l’air, quelque chose qui commençait sérieusement à l’agacer et à le rendre mal à l’aise, précisément parce qu’il n’arrivait pas à deviner ce que c’était.
- T’veux qu’on fixe l’prix en premier ?
Les yeux d’Inaros lâchèrent quelques instants son interlocutrice pour rencontrer le regard du tenancier. Le signe de Will le mit dans l’embarras. Ce n’était pas la personne qu’il attendait. Bordel, qui était-ce alors ? Il reporta son attention sur la jeune femme en espérant que celle-ci s’ouvre davantage et prenne la parole. Il n’allait pas la confronter directement mais attendre de savoir si elle mentirait ou lui révélerait une part de vérité sur son identité et ses intentions.
L’une des mains du mercenaire se glissa vers sa ceinture, où il tâta le petit poignard qui y était toujours accroché. Ils étaient dans un lieu public, rempli d’individus peu recommandables et en tous genres, elle pouvait très bien choisir de l’étriper ici. Mais quel intérêt aurait-elle eu à faire ça ? Elle semblait attendre autre chose, un quelque chose qui ne venait pas.
Conservant le silence, Inaros attendit qu’elle prenne la parole à son tour. Moins il en dirait et mieux il se porterait.
Intriguée alors que pour elle rien de tout cela ne faisait sens, elle haussa un sourcil, tapotant légèrement d’un doigt sur la table en gardant son regard vers la blonde. Là où elle était confiante dans un premier temps elle comprit bien assez rapidement que l’aventurière n’était peut-être pas la bonne personne.
Peut-être pourrait-elle jouer sur ce quiproquo, mais elle devait agir vite et elle ne savait pas vraiment quoi dire de tout de façon. Ce genre de milieu n’était pas son fort et vu qu’elle ne savait absolument pas ce qu’il voulait elle ne pourrait certainement pas maintenir l’illusion bien longtemps. Elle n’avait rien à apprendre d’un tel échange - Rien de plus que sa présence dans ce trou à brigands n’indiquait pas déjà.
Mais outre le fait qu’elle ne l’avait pas reconnu, autre chose la perturbait. Une manière de parler différente, plus hachée, moins noble, un ton différent, même si la voix était la même. Une manière de préserver son anonymat pour une experte qui maîtrisait parfaitement sa voix et ses allocutions? Pour une menteuse théâtrale, Ivara l’avait déçue sauf si elle avait compté l’attirer dans ce piège tout du long?
Elle mit bien quelques courtes secondes de plus avant de réagir. D’abord en détachant discrètement son ombre et lui faire prendre un peu de distance, gardant, elle, ses mains bien visibles au-dessus de la table, jambes croisées comme si elle était là pour rester. Assurément, la réponse qu’elle attendait n’arriverait pas. C’était un peu comme si elle avait à faire à une personne différente. Mais elle reconnaissait sa voix, ses yeux, et un peu sa silhouette même si sa poitrine semblait avoir été bandée.
« Bien le bonsoir. Te voilà bien pressée. Ça faisait longtemps, non? » le salua-t-elle avant de lui faire une remarque pleine d’ironie. Cela datait de ce matin, après tout, où elle lui avait demandé de sortir de sa boutique. Peut-être que cela lui remettrait les idées en place? Ou bien y avait-il erreur de la personne de son côté aussi? Peut-être avait-elle juste raté sa filature? Mais tellement d’indices semblaient lui indiquer que c’était bel et bien la bonne personne. Quelqu’un de sa famille peut-être? Une de ses sœurs?
En tout cas, elle avait bien une apparence et un comportement bien différents en ce moment. Violette avait-elle vraiment à faire à Inaros en ce moment? Elle n’en savait rien mais rien que cette éventualité faisait battre son cœur de nervosité. Mais comment en être certaine? Trop d’inconnues, elle avait beaucoup moins l’avantage cette fois-ci que dans la boutique! Mais il ne fallait pas laisser le stress la gagner. C’était comme si son propre stratagème s’était retourné contre elle.
« Calme-toi, je ne te veux aucun mal. Et puis, ce serait malvenu avec tant de témoins que quoi que ce soit n’arrive, non? » ajouta-t-elle tout en s’adossant dans sa chaise tout en gardant son regard sombre vers celle qui lui faisait face. Elle en profita même pour prendre une petite gorgée de bière. Elle disait cela, mais malgré le calme apparent qu’elle affichait, ses doigts continuaient de tapoter silencieusement le bois de la table, largement inaudibles au milieu du brouhaha ambiant.
« Je ne suis sûrement pas la personne que tu attends, mais si c’est des informations que tu cherches, c’est mon cas également. On pourrait toujours s’arranger pour un échange en bonne et due forme? » tenta-t-elle alors en restant honnête, même si avec le recul sa formulation était approximative et pas très “professionnelle” pour peu que l’on puisse appeler ce genre d’activité un métier. Après, cela ne coutait rien de voir s’il était ouvert - ou non - aux négociations.
Après tout, maintenant qu’elle était prise la main dans le sac, même si elle essayait peut-être habilement de lui faire croire le contraire, Violette n’allait pas abandonner si facilement. Surtout pas si proche du but.
L’ombre du passé
Inaros
Il était prêt à dégainer à n’importe quel instant. Si elle décidait de lui sauter dessus, il riposterait. Ce ne serait pas la première, ni la dernière, bagarre qui éclaterait dans cette taverne. Il estimait pouvoir parer un coup et le rendre avant qu’on ne les sépare et qu’ils soient tous les deux jetés dehors. Pourtant, rien ne trahissait chez la jeune femme qu’elle comptait le frapper. Avec ses jambes croisées et son dos lascivement posé contre la chaise, elle n’était clairement pas en position d’attaque. Pour autant, le mercenaire ne relâcha pas son attention car, une chose était sûre : ce n’était pas la personne qu’il attendait. Une multitude d’idées traversèrent l’esprit du blond pour tenter de trouver une réponse plausible à son interrogation, qui était-elle ? La sensation de déjà-vu s’intensifiait, une idée se frayant sournoisement un chemin dans la tête d’Inaros. Mais il la refusait. Il ne pouvait pas, et ne voulait pas, croire, imaginer, que cette femme partageait son sang. Une simple coïncidence. Quelqu’un qui le tenait personnellement responsable de quelque chose, n’importe quoi. Ce ne devait être que ça, bien qu’elle ne soit pas du milieu, comme le trahissait son attitude et son parlé.
- C’est mal connaîtr’ c’t’endroit d’penser qu’il y aurait des témoins gênants. Ils s’raient tous ravis d’nous jeter dehors au premier signe de lutte.
Malgré tout, il relâcha la poignée de sa dague pour venir poser ses deux mains à plat sur la table. Il ne tenait pas à créer une émeute. Pas tout de suite.
- Définis-moi longtemps. J’ai la mémoire courte. J’oublie certains trucs.
Essaie donc d’me baratiner. Tu vas voir ce qu’il va t’en coûter. Parce que, s’il y avait bien une chose qu’Inaros désirait ardemment, c’était qu’elle lui prouve qu’il avait tort. Que ce n’était pas elle. Que c’était quelqu’un d’autre. Il voulait un signe, n’importe quoi. Il n’était également pas à l’abri que la jeune femme qui était venue voir Ivara un peu plus tôt dans la journée soit en réalité une menteuse. Peut-être que quelqu’un voulait lui faire suffisamment de mal pour l’atteindre de cette façon. Ce ne serait pas étonnant.
- J’vois pas quelles informations j’pourrais t’donner. Ni pourquoi j’devrais échanger avec toi. Désolée ma mignonne, mais j’pense que tu t’es même trompée d’table. Pourquoi tu irais pas t’installer ailleurs ?
Il la toisa, comme s’il la défiait de se lever et de partir. Il n’attendait peut-être que ça, en réalité. Qu’elle disparaisse de son champ de vision et de sa vie. Car si elle était bien ce qu’il pensait… Non !, pensa-t-il en fronçant brusquement les sourcils de colère. Tant qu’elle ne disait rien et qu’il ne pouvait pas le vérifier, alors ce ne pouvait pas être ça. C’était autre chose. Il y avait mille explications à cet enchaînement de situations plus grotesques les unes que les autres. Comment aurait-elle pu se rendre à l’atelier d’Ivara puis ensuite ici ? Elle aurait dû le prendre en filature pour cela. Et rester toute la journée devant la porte. M’dis pas que t’as fais ça. Bordel.
Il referma ses poings, ajoutant sur un ton ferme.
- Sinon, j’vais être obligé d’te virer moi-même de la chaise, et j’ai pas envie d’en arriver là…
Son offre ne prit d’ailleurs pas tant que ça. Une leçon à en tirer c’était bien que jouer avec les termes de l’endroit n’était pas spécialement pour elle. L’ancienne noble restait bien plus à l’aise dans les endroits mieux fréquentés que ce genre de trous à rats et à racailles. La preuve était qu’elle en venait déjà aux menaces. C’était si difficile que cela d’avoir une discussion civilisée?
La brune soupira encore, les menaces lui passaient au-dessus sans vraiment l’affecter. Elle ne comptait pas se battre de tout de façon et la fuite restait sa meilleure option dans le doute. Mais elle ne réfutait pas non plus l’idée de déposer une petite lettre anonyme à la caserne pour leur rendre quelques éléments qu’elle avait pu déceler dans son interview. Si cette discussion-là ne menait à rien, cela restait sa meilleure option. Ou du moins la moins risquée de toutes.
« Vraiment pas fantastique comme mémoire, si tu oublies déjà ce qui t’es arrivé la veille. » répondit-elle en levant un sourcil. Bien drôle d’amnésie, même si c’était peut-être un simple stratagème pour lui faire cracher quelques informations. Violette ne s’en était pas privée. Ces quelques mots voulaient, après tout, dire beaucoup. Cela ne voulait pas dire qu’elle ne se trompait pas de personne, par contre. Peut-être était-ce quelqu’un de la famille d’Ivara - d’où la voix proche et les quelques rares traits du visage visibles étonnamment similaires. Quelqu’un que la sculptrice abritait chez elle et couvrait au besoin. Dans tous les cas, Violette avait des éléments… Même si elle ne pouvait pas s’avancer sur énormément de choses.
Déjà, la personne en face d’elle ne se faisait pas appeler Ivara. Violette ne pensait pas non plus qu’il s'agissait d’Inaros, mais plutôt une de ses associées, à vrai dire. L’aventurière reporta ses lèvres jusqu’à sa choppe, prenant tout son temps pour être bien énervante face aux menaces, pour bien montrer qu’elle n’en avait que faire et aussi qu’elle ne comptait pas se battre.
« Vous voilà bien asociale, mademoiselle. J’en aurais espéré bien plus d’une commerçante de renom. » lâcha-t-elle alors tout en reposant sa bière sur le poids de la table dans un petit claquement sec qui fit légèrement remousser la boisson, qui n’était de tout de façon pas bien fameuse. Mais elle ne s’était pas vraiment attendu à mieux de tout de façon.
« Même si ça ne me dérange pas de continuer à jouer à ce petit jeu toute la soirée, j’ai aussi mieux à faire de mon côté. Alors Ivara, tu profites bien de ta nuit? » demanda-t-elle alors en se penchant légèrement en avant, les yeux rivés vers la blonde masquée. Si elle faisait erreur, elle le saurait bien assez vite - ce n’était pas comme si le ridicule lui faisait particulièrement peur. Mais avec ce genre d’affirmations frontales elle devrait au moins voir un semblant d’expression dans son regard.
« J’veux dire, un moment il serait temps de passer à table. Même si tu te fais sûrement pas appeler comme ça ici et qu’on est déjà à table, tu comprends l’idée. J’ai largement de quoi t’attirer un petit paquet de soucis alors si le chantage fonctionne mieux dans tes idéaux, on peut en arriver là. » déclara-t-elle ensuite d’un air un petit peu las. Pas vraiment son genre de méthode, mais ce genre de crapules ne parlait que le langage des menaces et celui des cristaux. Et elle n’avait qu’un seul des deux sur elle en ce moment.
L’ombre du passé
Inaros
Le choc fut brutal. Peut-être même trop, alors que l’éventualité de retrouver un membre de sa famille, un membre des Lehnsherr, n’avait émergé que quelques heures auparavant dans l’esprit du mercenaire. La réalité finissait par le rattraper. La course-poursuite avait duré des années et, même si l’homme avait décidé de son propre chef de ne plus la fuir, elle venait de le débusquer et de le percuter de plein fouet. Le doute n’était plus permis. Ce que l’inconnue venait de dire confirmait tous les soupçons d’Inaros... Et le tétanisait sur place. Ses membres refusaient de lui obéir, il était incapable de se lever ou de faire le moindre geste - peu importe lequel. Ses cordes vocales refusaient aussi de vibrer et de formuler le moindre son. Il était interdit, les yeux rivés sur le faciès d’un fantôme de son passé.
C’était bien ses traits. Il reconnaissait les couleurs, si caractéristiques, de ses iris et de sa chevelure. Il reconnaissait ce petit nez légèrement retroussé, les fossettes sur les joues ou encore la forme de ses yeux. En se concentrant bien, il était persuadé de réussir à coller la bouille enfantine qu’il avait gardé en mémoire sur ce visage adulte, à l’air bien plus grave et sérieux. Était-elle ainsi depuis qu’il était parti ? Depuis l’assassinat de leur mère, Kathemia ? Où était passée la petite fille souriante qui l’écoutait lire les histoires de princesses et de pirates ? En moins d’une seconde, le cœur du mercenaire se serra à ces souvenirs. Il n’en fallait pas plus pour déclencher sa colère, aussi abrupte paraîtrait-elle aux yeux de la supposée Violette qui le regardait avec un peu d’étonnement dans le regard. La pensée de devenir si faible face à ce spectre abattait le peu de barrière qu’il avait érigé pour se protéger. Il avait conscience qu’il serait prêt à tous les sacrifices pour celle qui partageait la même chair et le même sang que lui, mais il en devenait malade. Malade de honte, de colère et d’amertume.
Il déglutit avec peine, se réveillant de sa torpeur à cause de la douleur de ses ongles s’enfonçant dans ses paumes. Son poing s’abattit sur la table avec plus de force que ce qu’il aurait voulu et, au loin, le tavernier leva la tête pour savoir si tout allait bien. On essayait de le duper. Ce ne pouvait pas être sa sœur. Il ne comprenait pas pourquoi Violette aurait décidé de le chercher et de le trouver ici et maintenant, encore moins depuis qu’il n’avait plus de corps physique.Si quelqu’un le cherchait, c’est qu’il lui voulait forcément du mal. Que ce soit un déguisement, un sortilège ou une potion, il découvrirait la vérité. Faisant fi des provocations de son interlocutrice, sa mâchoire se contracta et macha une partie de ses mots.
- Comment oses-tu t’faire passer pour elle, sorcière ?!
Parce qu’il ne pouvait pas croire que ce soit vraiment Violette. Parce qu’il préférait qu’elle soit morte plutôt que d’affronter la vérité en face. Parce qu’il bouillonnait intérieurement de se savoir si faible face à elle.
- Mensonges ! Tu n’es qu’un mensonge ! S’exclama-t-il en tapant une nouvelle fois du poing sur la table.
Il commençait à trembler, ses muscles crispés le suppliant de bouger et d’agir, son esprit lui criant de s’éloigner pour ne pas devenir fou. De toute façon, il ne tenait plus en place. Il se leva et se contint de ne pas saisir le bras de l’usurpatrice pour l’entraîner avec lui dehors. À la place, il pointa son index vers elle et poursuivit sur un ton qui ne laissait pas de place à l’interprétation.
- J’veux pas abîmer l’mobilier d’Will alors tu vas v’nir avec moi dehors. Tout d’suite.
Il était furieux et attendit qu’elle se lève pour aller à l’extérieur. Il ne lui laissait pas le choix. L’homme ne ressentait même pas le froid ambiant. Ils étaient à l’arrière de la taverne, dans une ruelle peu - voire pas - fréquentée et, même si elle l’avait été, ça n’aurait sûrement pas été par des gardes ou des honnêtes gens. Encore moins à une heure si avancée de la nuit. Inaros toisa l’imposteur de haut en bas, persuadé que c’était une espionne qui avait réussi à le retrouver. Cette personne représentait un danger encore plus grand puisqu’elle avait impliqué Ivara dans cette affaire.
- Dis moi tout d’suite qui t’es et c’que tu m’veux. Une espionne, c’est ça ? Pour qui tu fais ça ?
Par réflexe, il avait attrapé sa dague, de métal et non de verre pour la pointer en direction de la jeune femme. Si sa réponse ne lui plaisait pas, nul doute qu’il passerait à l’acte. Violette, ou qui que ce soit, ne pouvait voir que les yeux d’Inaros et ils étaient voilés d’un mélange de mélancolie et de fureur.
Relevant ses bras au niveau de son torse dans un geste purement défensif, prête à activer son pouvoir d’une seconde à l’autre, elle n’en eut pas spécialement besoin. La blonde semblait plus occupée à s’énerver contre le mobilier sous le regard de l’ensemble de la taverne qui s’était braqué vers leur table. Violette avança une petite moue gênée, même si elle restait assez calme, elle n’avait pas spécialement envie de se faire voir par tous ces types peu recommandables.
Mais il y avait plus grave, dans ses cris et ses remarques, c’était comme si la brune avait une quelconque importance pour la personne en face d’elle. Comme si Violette avait une quelconque importance à ses yeux, comme si elle venait de bafouer une relique sacré ou n’importe quelle autre chose précieuse.
Elle commençait à croire que son interlocutrice était complètement folle.
En même temps, aller dehors pour ne pas péter le mobilier n’annonçait rien de bon. Mais autant en profiter pour élucider ce qu’il se passait en cette soirée. Elle se rendit donc dehors, non sans prendre un peu de distance assez rapidement, toujours assez suspicieuse. Était-ce un moyen d’activer un potentiel pouvoir? Elle restait vigilante.
Alors qu’elle dégaina sa dague et la tendit vers Violette, cette dernière plaça simplement sa main sur le pommeau de la sienne, sans dégainer. Une précaution nécessaire vu l’instabilité de celui qui lui faisait face. Elle soupira.
« Je sais pas ce qui te prends. Tu devrais déjà savoir ce que je veux et pourquoi je suis là. Tu devrais déjà savoir qui je suis. Mais tu n’en sais rien. Comme si tu étais quelqu’un d’autre. » répondit-elle d’un ton tendu, préférant ne pas laisser la situation escalader vers un conflit. Déjà, parce-qu’elle n’en apprendrait rien, et ensuite parce-que cela la forcerait à mettre ses menaces à exécution.
Mais c’était vrai que c’était étrange. Mais si elle s’était trompée de personne, pourquoi s’énervait-elle comme ça? Pourquoi y avait-il ces similarités étranges en même temps que ces différences étonnantes? Était-ce quelqu’un de la famille d’Ivara? Violette serra légèrement les dents, cet échange était en train de la rendre folle.
« J’enquête sur la mort de ma mère et de mon frère. Ça n'a pas changé, je suis venue pour connaître la vérité de ce qui s’est passé ce jour-là. Je suis venue lever les mensonges que tu as toi-même tissés autour de toute cette affaire. » répondit-elle alors que son ton avait fini par s’élever à son tour, sa main serrant fortement la poignée de son arme, plus par frustration que par réelle volonté de l’utiliser.
Mis à part l’ambiance de la taverne derrière Violette, tout était redevenu calme autour d’eux, et même s’ils allaient peut-être réveiller le voisinage, aucun n’était encore venu s’en plaindre. Enfin, aucun n’osait sûrement s’en plaindre. Elle se campa sur ses appuis, et riva son regard dans les yeux de la blonde qui arborait une expression qu’elle ne comprenait pas.
« Je ne sais pas pour qui tu me prends, je suis Violette, je l’ai toujours été, et ce que je sais c’est que t’es sûrement la seule personne qui sait ce qui s’est exactement passé ce jour-là. Alors je veux le savoir. Et je le saurai. Peu importe par quel moyen. » ajouta-t-elle alors, ne retenant plus particulièrement sa voix. Que ce soit maintenant, en lui claquant la gueule, ou en allant s’aider de la garde de la capitale pour lui laisser le temps de réfléchir derrière des barreaux, peu importait. Elle n’était pas arrivée jusqu’ici pour repartir sans de nouvelles réponses. Elle n’avait pas attendu une journée entière à s’emmerder pour se faire prendre pour une espionne ou elle ne savait pas qui d’autre.
« Alors dis-moi. Qu’est-ce-qu’il s’est passé? Comment sont-ils morts?! » ajouta-t-elle une fois de plus, perdant au final elle aussi petit à petit son sang froid voyant que ses tentatives ne menaient à rien, et que c’est seulement en lui rentrant en plein dedans que cela semblait faire avancer les choses. Est-ce-qu’elle allait devenir encore plus incohérente, ou bien Violette aurait-elle enfin une réponse?
L’ombre du passé
Inaros
La dague qui menaçait la brune retrouva rapidement son emplacement. Fébrile, la main tremblante, il la laissa pendre, mollement, le long de son corps. Il ne pouvait y croire. Ses pires soupçons se confirmaient. Ce maudit destin - ou qu’importe - venait lui rire au nez en lui mettant déjà sous les yeux ce qu’il cherchait depuis quelques heures. S’il avait imaginé des retrouvailles, il n’aurait jamais voulu qu’elles se déroulent de cette manière. Tout était si froid, impersonnel. Bien loin de la relation qu’ils avaient développée, étant enfants. L’insouciance s’était envolée, emportant au loin ce qu’ils avaient ressenti l’un pour l’autre. Il n’y avait plus que des remords et des regrets. Il était ce frère qui l’avait abandonnée, qui était parti en lui faisant une promesse qu’il n’avait jamais tenu. Elle s’était débrouillée seule pour sortir de ce cauchemar.
Mais elle disait venir pour comprendre ce qui s’était passé ce jour-là.
Boum. Boum. Son cœur se mit à battre la chamade. Il cognait si fort qu’il avait l’impression qu’il allait sortir de sa cage thoracique. Furieux, il sentait que sa paupière palpitait sous l’effet du stress et que sa lèvre inférieure était secouée par quelques tremblements incontrôlés. Les premiers mots eurent du mal à franchir la barrière de ses lippes.
Elle ne l’avait pas oublié.
- C’était une belle journée ensoleillée. Elle aurait dû être l’une des plus belles journées de sa vie, commença-t-il à expliquer, d’une voix bien plus faible. Il est entré par la fenêtre sans qu’elle ne s’y attende. Mais elle l’attendait. Elle savait que ça arriverait, elle ignorait juste quand…
Combien de temps Violette l’avait attendu ? Des jours, des semaines, des lunes… Des années ? Il serra son poing contre sa hanche. Sa promesse brisée avait un goût amer. La culpabilité commençait à le ronger. Il ne s’était même pas demandé pourquoi sa propre sœur n’avait pas été présente ce jour-là.
Son souffle s’accéléra, tout comme la cadence de ses mots. Il racontait les événements comme s’il les revivait. Ils étaient encore solidement ancrés dans sa mémoire. Il avait perdu son accent, avait sombré dans ses souvenirs.
- Tout s’est passé très rapidement. En un clin d'œil, la dague était contre sa gorge. Tu aurais vu son sourire, narquois. C’est comme si… Comme si elle avait gagné. Comme si elle m’avait piégé. Je l’ai compris trop tard. Beaucoup trop tard… La lame a glissé… Elle est tombée sur le sol. Morte.
Il ne s’était pas senti libéré pour autant et il venait enfin d’en comprendre la raison. Elle se tenait sous ses yeux et le regardait avec un mélange de peur et d’incompréhension. Lui, il la contemplait. Une part de son esprit regrettait de ne pas avoir assisté aux étapes-clés de sa vie. L’autre partie savait qu’il n’avait pas eu le choix. Il ne pouvait plus revenir sur ce qu’il avait fait. Il devait vivre et avancer avec ce poids sur sa conscience.
Toujours plongé dans ses souvenirs, il ne pouvait plus arrêter son flot de paroles.
- La dague est tombée sur le sol lorsque la sculptrice s’est levée pour essayer de me désarmer. Je sais pas à quoi elle pensait. Un coup de pied dans son ventre. Elle tombe. Je devais m’enfuir. Je devais… Je devais poursuivre et faire ce pour quoi j’étais venu. Je devais changer de vie. Je… Je voulais plus...
Sa bouche se paralysa durant quelques secondes et il se retrouva dans l’incapacité de parler. Une multitude d’émotions contradictoires se bataillait en lui. Il y avait toutes les émotions positives qu’il ressentait pour celle qui partageait la même chair que lui et toute la peur, la colère et la culpabilité qui le rongeaient. Il ne lui demandait même pas de comprendre, ni de lui pardonner. Pour la première fois de sa vie, il se retrouvait dans l’incapacité de savoir comment réagir. Il appréhendait la situation comme un contrat qu’il n’avait pas respecté, ce qui n’était jamais arrivé. Il savait qu’un employeur qui perdait sa confiance était impossible à rattraper. Mais il n’en attendait pas tant. Il n’était même plus certain qu’elle comprenne.
- Tous ses gardes ont débarqué. Maman avait prévu que je sois pris sur le fait et exilé si elle mourait.
Il esquissa un faux sourire, comme si la situation l’amusait soudainement. Ce n’était pas le cas. Il était totalement perdu. Il en avait trop dit. Elle savait que c’était lui. Elle ne pouvait que le savoir après tout ce qu’il venait de révéler. Son regard s’ancra dans le sien, à la recherche de ses sentiments et de ses émotions. Que ressentait-elle ? Que pensait-elle de lui ? Arrivait-elle à se figurer que son frère avait pris l’apparence d’une femme ? Il n’était même pas arrivé au bout de ses explications.
Il n’y arrivait plus. C’était trop compliqué. Ses maigres barrières défensives s’étaient effondrées les unes après les autres et il était là, tétanisé, incapable de bouger et de parler devant Violette. Son corps ne lui répondait plus. Il n’était même pas capable de reculer, de tomber ou de se jeter dans ses bras.
Voulait-il vraiment faire ça ?
Il n’attendait que sa sentence, quelle qu’elle soit.
Il s’imaginait mal essayer de rattraper les années perdues avec la seule famille qui lui restait, encore moins tenter de retrouver un semblant de foyer. Il ne pouvait pas non plus se permettre de la laisser sur le côté une seconde fois. C’était elle qui avait toutes les cartes en main face à un Inaros désoeuvré, désemparé, incapable de faire quoi que ce soit. Il n’y avait plus que ses fonctions vitales qui répondaient.
Elle n’intervint pas alors qu’elle parlait ou… plutôt il? Le récit n’était pas arrivé à son terme mais il l’avait appelé “maman”, c’était comme si elle avait maintenant la perspective de Nikolaos mais non plus celle d’Ivara. C’était impossible, même à moitié dissimulé derrière son masque, qu’elle ne réussisse à la tromper ainsi, tant sa voix vibrait. Il y avait quelque chose qui la prenait aux tripes, de différent de leur entrevue d’avant.
Un petit tremblement secoua la silhouette de Violette alors que le silence était retombé, sans qu’aucun des deux ne puisse réellement bouger. Elle avança vers lui, d’un pas, puis un autre. Si c’était vraiment lui, pourquoi ressemblait-il maintenant parfaitement à cette sculptrice? N’était-ce pas deux personnes différentes? Alors pourquoi auraient-ils le même corps? Pourquoi le nom d’Inaros avait-il échappé à la sculptrice? Elle peinait encore à remettre les pièces en place, mais elle savait que celui qui s’exprimait ici et qui avait failli à la confirmation de qui elle était… C’était Nikolaos.
Le mercenaire paralysé n’eut pas vraiment le temps de réagir alors que le poing fermé de l’aventurière s'abattit violemment sur sa joue. Elle avait frappé avec toute sa force, le propulsant au sol d’un unique coup de poing avant de reculer de quelques pas. Elle s’était faite mal à la main, gardant le poing serré. Peut-être aurait-elle pu se contenter d’une claque, mais ce n’était plus une petite fille noble, mais bien une aventurière. Pas habituée des batailles de taverne, en témoignaient ses phalanges douloureuses, mais avec un minimum de musculature pour ne pas que le coup soit pitoyable non plus.
« Qu’est-ce-que… Tu es devenu? » demanda-t-elle simplement à mi-voix, peinant à desserrer les dents ou son poing. Tant au niveau de ses activités et de son caractère que de son apparence.
« C’est toi cet Inaros? C’est forcément toi, je l’ai toujours su sans jamais en être certaine. Il n’y a que toi pour avoir choisi un nom pareil! » poursuivit-elle en haussant d’un ton, s’emportant à moitié et tant pis si les voisins l’entendaient. Elle se rappelait encore l’enfant joyeux qu’il avait été, et qui n’arrêtait de la bassiner avec son héros, avec cet Inaros. Elle se souvenait de cette promesse à moitié endormie qu’il lui avait faite sans que jamais elle ne se concrétise malgré l’espoir qu’elle avait représenté. Serait-elle partie d’elle-même plus jeune s’il ne la lui avait jamais faite? Peut-être. N’avait-il pas au final que fait rallonger sa peine auprès de sa mère? Ou plutôt de leur mère.
« Je devrais être heureuse, que tu sois en vie, si c’est bien toi... » ajouta-t-elle alors que sa voix se brisa à moitié, sa vision se floutant alors que des larmes naissaient au coin de son regard violet. Elle devrait l'être, mais elle ne l'était pas.
« Le héros dont tu me parlais en étant petit n’aurait jamais égorgé personne de sang froid! Même des personnes maléfiques! » hurla-t-elle à moitié alors que des larmes commençaient à couler sur ses joues. Elle devrait être heureuse d’avoir encore de la famille, mais elle ne ressentait que dégoût et déception pour ce qu’il était devenu. L’admiration qu’elle avait éprouvé pour son frère d’être parti si tôt et de jurer de la tirer de là, l’espoir et la joie de le savoir encore en vie dans une traque futile… Tout cela avait été piétiné par ses actes, et les activités du mercenaire Inaros qui n’avaient rien du héros espéré.
L’ombre du passé
Inaros
Le poing s’abattit sur sa joue et le fit reculer de quelques pas. Chancelant, il manqua de tomber à la renverse à cause de son apathie mais se ressaisit et se rattrapa in extremis. Il ne pouvait pas lui en vouloir, n’avait aucune envie de lui renvoyer son coup dans la figure. Lentement, il posa deux doigts sur sa joue, la frottant d’un geste peu assuré. Son cœur battait toujours aussi vite dans sa poitrine. Fébrile, il regarda Violette. Elle avait bien grandi, sa poigne s’était affirmée. Qu’était-elle devenue ? Que faisait-elle dans la vie ? Où étaient passés les rubans qui avaient eu l’habitude d’orner sa chevelure, enfant ?
Ils se tenaient à quelques mètres de distance, liés par les liens du sang mais se toisant comme deux inconnus. Au moins, elle avait eu le mérite de le réveiller en le sonnant un peu. Petit à petit, il reprenait ses esprits mais il ne pouvait pas esquiver les mots tranchants de la brune, qui l’atteignaient en plein cœur. Il fronça les sourcils en l’entendant hausser la voix, lui faisant signe de descendre les décibels et de se calmer. Il n’osait pas s’approcher, il était même incapable de la prendre dans ses bras tandis qu’elle pleurait à chaudes larmes devant lui. Il ne pouvait rien faire, juste expliquer. Du moins, essayer.
- Chut... T’veux qu’on s’fasse chasser d’ici avant qu’je puisse t’parler ? Il inspira profondément, reprenant de cette même voix un peu tremblante. C’bien moi. J’sais même pas par où commencer... Quel bordel.
Elle était bien la seule personne vivante qui aurait pu deviner son secret. Frottant, cette fois-ci, ses tempes, il essaya d’être le plus clair et concis sur ce qu’il était devenu. Il lui raconta le reste de cette affreuse journée, les détails de son plan, l’échec de sa fuite dans l’esprit d’un garde et sa fusion avec l’esprit d’une autre jeune femme, Ivara la sculptrice de verre. Il lui raconta la cohabitation, peu simple, et son mode de vie.
- Pense bien qu’j’avais pas l’choix. Inaros était peut-être un héros qui vivait pour la justice, mais la réalité d’un gamin d’dix ans dans la rue, seul… C’t’autre chose. Ç’n’a rien à voir. Tu peux crever sans qu’personne en sache rien. Une nouvelle fois, son regard s’était durci. T’es assez intelligente pour l’comprendre. Tout comme tu l’as assez été pour savoir qu’ça pouvait être moi. Tout comme t’es r’montée sur c’te piste pour trouver la vérité.
Finalement, il s’approcha de quelques pas pour se retrouver à hauteur de Violette.
- J’te d’mande pas d’le comprendre. J’ai fais c’qu’il fallait faire au bon moment. Sans la vie qu’je mène, j’serais déjà mort. Il soupira. Mais, j’t’avoue qu’avec ce coup-là, avec la fusion, j’ai merdé. J’ai mis en jeu la vie d’quelqu’un d’autre. J’lui ai gâché tout c’qu’elle avait. Un bref rire. C’bien l’un d’mes rares regrets. Avec ma promesse gâchée.
Les yeux ancrés dans ceux de sa demi-soeur, il attendit quelques instants que ses mots fassent leur chemin dans sa tête avant de reprendre.
- Pourquoi tu voulais m’retrouver ? Tu veux t’venger d’maman ? Tu veux m’dénoncer ?
Elle n’arrivait toujours pas à mettre du sens sur ce qu’il s’était réellement passé après son récit. Pourquoi ressemblait-il à cela? Ce n’était pas l'œuvre d’un simple elixir d’apparence, la personne à qui elle avait parlé plus tôt dans la journée n’était clairement pas son frère. Ils ne s’exprimaient pas pareil. Mais elle s’en fichait pas mal de se faire virer de l’endroit, la discussion pouvait continuer n’importe où, après tout.
Elle resta silencieuse alors qu’il lui répondait, parlant de “fusion”, de la vie de cette personne qu’il avait selon ses dires "gâchée". Elle avait du mal à réfléchir, du mal à interpréter ce qu’il voulait dire et entendre par là. C’était comme si sa réflexion ne fonctionnait plus, si plus rien ne fonctionnait, alors elle tremblota légèrement alors que son regard embué floutait encore plus ses traits déjà masqués. Sa promesse gâchée… Elle s’en rappelait très bien.
« Je suis pas comme maman. Je ne veux pas me venger, ni même te dénoncer. Je voulais juste… Mettre tout ça au clair. Savoir si je suis seule, la dernière à partager mon sang avec quelqu’un. Ou si par hasard tu étais encore en vie sans vraiment y avoir cru un jour mais… » elle s’interrompit dans sa phrase, un petit hoquet douloureux l’ayant interrompu alors que des larmes coulaient toujours. Elle bougea légèrement la tête, de droite à gauche, n’osant même pas y croire, refusant la pensée qui venait de traverser son esprit. Pourtant, elle se devait d’être honnête après lui, après tout ce temps.
« Mais tu n’es pas le frère que j’aurais aimé retrouver... » déclara-t-elle alors, se détestant elle-même pour les mots qui venaient de franchir ses lèvres. La brune serra les dents, tout son corps se tendit. Peu importait les regrets et son passé, elle faisait face à quelqu’un qui travaillait dans l’ombre, capable d’égorger de sang froid sa propre mère. Un genre de personne qu’elle détestait.
« Je… Je sais bien que tu as sûrement dû faire des choses difficiles pour survivre, je sais ce que c’est d’essayer de vivre sans savoir se débrouiller! » déclara-t-elle alors, parlant toujours assez fort et librement, d’une voix à moitié brisée. Elle-même n’était pas toute blanche et pure non plus dans ce qu’elle avait fait, même si elle savait que braver la loi devait se faire en toute discrétion… Violette décidait un peu elle-même du cadre légal qu’elle suivait, mais toujours dans le respect des autres. Jamais elle n’accepterait de l’argent pour faire du mal à quelqu’un d’autre ou dérober un objet de grande valeur sentimentale à quelqu’un.
« Peu importe ce que tu as dû faire par le passé pour survivre… Tu… Tu n’es pas obligé de continuer, si? » demanda-t-elle alors, même si ce n’était pas forcément facile quand on avait passé sa jeunesse à devoir effectuer des crimes pour survivre de changer par la suite, elle voulait y croire. Croire qu’il existait une possibilité de le “soigner”, de le ramener à la raison et vers les valeurs du petit garçon qu’il avait été à l’époque. Des valeurs qui feraient de lui un héros, le héros qu’elle avait vu en lui à l’époque.
« V...Viens à la Guilde! Avec moi! Et on trouvera de quoi remettre les choses dans l’ordre! Il doit bien exister une solution quelque part! » proposa-t-elle alors, sa situation et ses émotions ne s’étant pas arrangées. Elle lui tendait la main, prête à pardonner et à tirer un trait sur ce qu’il était devenu. Violette pensait qu’il pourrait devenir une personne meilleure, même si elle ne le connaissait plus vraiment, elle savait ce qu’il avait été à l’époque. Ou bien avait-elle finir par se persuader elle-même de mensonges? L’avait-elle complètement idéalisé? Elle ne savait pas, elle ne savait plus...
L’ombre du passé
Inaros
Il lui avait tout révélé. Elle savait tout. Inaros craignait sa réaction et, en cet instant, il se demanda si cette vie allait prendre fin. Cela aurait pu être le cas. Encore une fois, tous les mots de Violette le frappaient en plein cœur, comme si elle lui avait donné une dizaine de coups de poings supplémentaires. Il ne savait plus sur quel pied danser, passant du soulagement à la tristesse et une ribambelle d’autres émotions qu’il avait du mal à cerner. Il lui semblait n’avoir jamais vécu avant cet instant. Contre toute attente, retrouver sa sœur lui donnait aussi le sentiment de revivre pleinement.
Une ombre voila son regard lorsque Violette lui fit une telle proposition. Il ne pouvait pas. Pour tout un tas de raisons, il lui était impossible d’accepter. Pas dans l’immédiat. Pas avec Ivara. Pas dans ce corps. Mais il ne voulait pas non plus rompre le lien, très fragile, qui semblait encore les relier. Cette pensée suffisait à lui donner des hauts-le-cœur.
Son regard oscilla entre la main de Violette et ses deux grands yeux pourpres. Il inspira lentement, étant resté silencieux jusqu’à présent.
- La Guilde acceptera jamais un criminel dans ses rangs, Vio. « Pourtant si j’menais pas c’te vie, j’serais sûrement aventurier avec toi. On aurait bourlingué d’villages en villages, à pourfendre les monstres comme nos héros… »
Je… T’as aussi pu la rencontrer, Ivara, j’peux pas la laisser tomber. Lui faire fermer son commerce. T’as pu r’garder ses sculptures ? J’crois qu’elle a un don. « J’peux pas lui d’mander ce sacrifice, Vio. J’lui ai d’jà trop pris. »
Pourtant, j’en crève d’envie. J’aimerais pouvoir t’prendre la main maint’nant et t’dire que tout s’ra réglé…
Sans hésitation, et malgré ce qu’il disait, il attrapa sa main et la serra brièvement. Qui sait quand il pourrait rétablir un tel contact avec sa sœur. Ne venait-il pas aussi de l’appeler par son surnom ? Dans le fond, il comprenait pourquoi elle l’avait cherché.
- Merci. Pour c’que ça vaut. J’suis pas le frère qu’tu voulais r’trouver, mais j’suis quand même soulagé d’savoir que t’es en vie et qu’tu t’en sorte. « Pour c’que ça vaut… T’es d’jà bien chanceux qu’elle compte pas t’dénoncer. »
Il relâcha sa main. Inaros n’avait jamais été une mauvaise personne. C’était surtout ses choix qui l'avaient rendu tel quel. Cette vie de mercenaire avait laissé de profondes séquelles dans son esprit.
- J’suis… J’suis activement à la recherch’ d’un moyen de r’trouver un corps physique. J’sais pas combien d’temps ça prendra… Mais quand ça arrivera… Quand ça arrivera… Alors p’t’être que ce s’ra l’moment. Ouais, j’viendrai faire des quêtes avec toi. Mais tu comprends que là maint’nant, j’peux pas. « Je peux pas faire comme si de rien était ptite soeur…. J’ai l’impression de pas exister… Je veux me débarrasser de ça avant de pouvoir revivre. J’ai l’impression que je vais disparaître si je continue pas à faire c’que j’fais... »
S’il avait une faiblesse, c’était bien elle. S’en rendait-elle seulement compte ?
- En attendant… Libre à toi d’refuser d’me voir. J’comprendrai. J’t’en voudrai pas. J’crois bien t’avoir fait pire.
C’était tout ce qu’il pouvait lui offrir. Ni plus, ni moins. Avec quelqu’un comme elle pour le ramener dans le droit chemin, tout pouvait être possible. Mais pas dans les circonstances actuelles, il en était persuadé. Et cela lui déchirait le cœur de l’admettre, même s’il ne pouvait pas le dire.
Peut-être l’argument le plus recevable était celui d’Ivara. Il était bien vrai que ce moment-là pouvait bien avoir gâché sa vie, mais son frère parlait d’elle comme s’il la connaissait déjà assez bien. Ce qui n’était pas si étonnant que cela, si elle comprenait bien. Son passé et la Guilde, peu importait après tout, vu la qualité des investigations faites lorsqu’on la rejoignait…
Violette prit une grande inspiration, tentant de se calmer, toujours partagée entre la joie de l’avoir retrouvé et ce sentiment de trahison. Était-ce vraiment lui, dans ce corps étranger? Était-ce vraiment toujours lui après ce qu’il avait traversé? Elle le reconnaissait un petit peu dans ses mots et ses réactions face à elle, c’était difficile de le nier. Mais elle avait aussi ce sentiment que ce n’était pas toujours comme ça.
Ivara. Elle n’avait pas l’air vilaine en soi. Violette comprenait mieux sa réaction, tant dévoiler cette drôle de dualité risquait bien de l’envoyer derrière des barreaux. Mais d’un autre, était-elle vraiment tant attachée que ça à sa boutique? Certes, ce qu’elle faisait n’était pas vilain, mais était-ce vraiment le plus important? Tout cela pour décorer quelques demeures de nobles avec une petite sculpture hors de prix, c’était au final plus des cristaux jetés par la fenêtre qu’un achat vraiment utile.
« Et c’est en restant les fesses vissées dans une boutique de sculptures en verre que tu vas trouver un moyen d’inverser la chose? » demanda alors Violette, ses larmes s’étant taries alors qu’une certaine colère et jalousie s’emparait de son être. Des sentiments qu’elle n’avait pas vraiment l’habitude de ressentir… Ou qu’elle ne laissait que rarement prendre le dessus.
« On s’en fiche de ses petites sculptures de glooby en verre, elle aura tout le loisir de les faire une fois qu’elle sera de nouveau seule. Et de développer son petit commerce, de faire les choses comme elle l'entend, ça peut attendre de trouver une solution viable, non? Elle va pas en mourir si elle ne peut pas sculpter pendant quelques temps. » déclara-t-elle alors. Puisque la problème était cette cohabitation étrange, l’objectif serait simplement d’éradiquer le problème. Violette ne pensait pas que cette Ivara ne serait pas ravie de retrouver la pleine possession de ses moyens.
« En attendant, je ne connais pas beaucoup d’activités qui permettent de bien gagner sa vie tout en étant très mobile partout dans le Royaume, de rencontrer des tas de gens, et de mener des recherches… Je ne vois que la Guilde, en fait! Et on y signe pas à vie! » argumenta-t-elle alors, même si elle surestimait peut-être les bienfaits de la vie d’aventurier, ça ne pourrait certainement pas être pire que d’être confiné à une demi-journée de marche d’un magasin…
S’éloignant d’un pas, elle soupira. Cette quête attendra, ce n’était pas tant un souci. Elle avait bien attendu pendant 17 années, elle n’était plus vraiment à une ou deux près. Surtout que ce serait étrange de le faire avec une blonde qui avait l’esprit de son frère. Ce serait… un peu louche, en fait.
« Encore faudrait-il qu’elle coopère... » pensa-t-elle à voix haute. Peu importait si elle n’était pas une combattante, Violette non plus ne l’avait pas été et elle se débrouillait bien maintenant.
« J’suis sûre qu’une meilleure solution existe. Sure! » ajouta-t-elle en élevant encore sa voix d’un ton, braquant ses yeux rougis par les larmes vers lui, même si dans l’immédiat, elles ne coulaient plus.
L’ombre du passé
Inaros
La ténacité de Violette lui réchauffait le cœur, si c’était possible. Elle ne semblait pas lui tenir rigueur de ses actions passées. Il n’y avait pas la moindre trace de rancoeur dans les deux grands yeux violets, au blanc légèrement rougi, qui le dévisageaient avec insistance. Il s’en voulait presque de devoir lui servir ce refus et, elle avait beau avancer tous ces arguments, ce ne pouvait pas être aussi simple que ça. Le pauvre Inaros était encore dans une passe où il était persuadé que lui et la sculptrice pouvaient bien s’entendre. Ah! Si seulement le mercenaire avait eu le pouvoir de lire l’avenir dans les antennes des gloobies, et non pas celui de transformer le sable en verre, il aurait sans doute tenté l’expérience. Cette discussion n’avait tout simplement pas encore lieu au bon moment.
Les rides d’expression, du moins celles visibles par Violette, étaient toujours aussi marquées. C’est qu’il réfléchissait tout de même avec intérêt à cette proposition, n’étant pas sûr lui-même du coup qu’il était en train de préparer. Mais il avait déjà réunit tellement de moyens… Il captura son menton entre son pouce et son index, faisant légèrement claquer sa langue contre le plat de sa gencive. La proposition méritait plus qu’une pauvre réponse lancée là, à l’arrière d’une taverne miteuse pour bandits en tout genre.
- C’n’est pas aussi simple… riposta-t-il une nouvelle fois, voyant bien avec que cette réponse ne plaisait toujours pas à sa sœur.
Il fit quelques pas vers le petit muret qui délimitait sûrement l’une des habitations jouxtantes, y posant son séant dans un bref soupir.
- J’sais qu’ça peut paraître difficile à concevoir mais cette femme, j’ai… L’impression qu’j’lui dois que’que chose. Au moins ça. Même si elle est très en colère contre moi et qu’lui parler d’tout ça maint’nant va juste la terrifier.
Il croisa ses bras contre sa poitrine, son regard bleu toujours braqué sur Violette.
- Tu t’doutes bien qu’j’ai r’pris mes activités. Alors, oui, j’bouge pas beaucoup d’la Capitale mais les infos viennent à moi. Et… Elles pourraient aussi venir de toi.
Son regard se fit plus insistant. S’il ne pouvait pas accepter de partir à l’aventure avec elle, il pouvait par contre s’arranger pour qu’ils puissent toujours être en contact l’un avec l’autre. Il lui avait expliqué comment fonctionnait son nouveau mode de vie et tout le touintouin du un jour sur deux. En plus, elle avait déjà rencontré Ivara. Bien que la rencontre eut été mouvementée et que Violette puisse commencer à lui reprocher tout un tas de choses, Inaros restait persuadé qu’elles pouvaient se parler sans se crier dessus.
- Si t’veux m’aider, t’sais qu’on peut aussi commencer par là. J’te d’mande rien, tu m’dois rien, Vio. Encore une fois, il avait machinalement repris ce surnom. Moi, j’peux t’offrir un toit et d’quoi manger lors d’tes passages à la Capitale. J’peux aussi bien t’donner d’quoi vivre. J’ai entendu que’ques histoires sur l’Guilde… Paraît qu’c’pas toujours bien payé.
C’était sa façon à lui de se racheter, et non pas de vouloir reprendre un rôle à assurer. Ils étaient tous les deux adultes, désormais. À cette pensée, il se rendit compte qu’il ignorait l’âge de sa sœur.
- S’tu veux être mes oreilles et mes yeux hors des murs d’c’te ville… T’sais c’qu’il t’reste à faire.
Il leva alors sa main, pour lui montrer une étrange bague qu’il portait sur le majeur.
- J’ai ach’té c’te gadget… J’sais plus trop quand, bref, c’te truc là, il va m’permettre d’pouvoir entrer en contact avec toi quand j’veux… Avec l’aide d’petits rongeurs.
C’était sa bague de communication animale qui lui permettait d’entrer en contact avec les rats. Il s’en servait pour envoyer ses messages à travers tout le Royaume.
- Mais sache qu’je reste pas l’bras croisés dans c’te boutique à rien faire et, qu’même sans arpenter les routes, on peut avoir beaucoup d’choses quand on sait où chercher.
Il ne lui parlait pourtant pas encore de l’Ordre qu’il était en train de créer. Ils n’en étaient qu’à leurs prémices et il attendait de pouvoir tester leur solidité avant de commencer à en parler plus sérieusement autour de lui. En tant qu’aventurière, sa sœur était aussi toute bien trouvée pour pouvoir incorporer cet Ordre. Il lui en parlerait. Plus tard.
Il n’en existait aucune de simple, aucune de bonne, aucune qui n’allait pas poser de problèmes pour l’un ou pour l’autre. Nikolaos, Ivara, c’était deux personnes qui n’avaient rien à voir l’une avec l’autre et pourtant forcés de cohabiter. Mais, est-ce-qu’ils ne perdaient pas chacun la moitié de leur temps?
Elle avait encore du mal à se faire à cette idée, envisager que son frère déclaré mort - et qu’elle pensait mort - vivait encore dans un corps qui n’était pas le sien. Pourtant elle avait fini par en être persuadée, même sans l’avoir vu depuis des années, qu’il s’agissait bien de lui.
Même si sa proposition pouvait se tenir, elle sonnait un petit peu comme une offre d’emploi pas tout à fait légale. Était-ce parce-qu’elle savait aussi dans quel milieu il évoluait que ça sonnait comme cela à ses oreilles? Ou bien était-ce lui qui avait l’habitude de ce genre d’accords et qui reprenait certains termes qui sonnaient comme cela à ses oreilles? Ce n’était pas qu’elle ne voulait pas l’aider, c’était surtout qu’elle avait l’impression d’y perdre une partie de sa liberté.
« J’ai pas besoin de ta charité, ni d’un autre boulot. »
Une réponse peut-être un peu plus sèche qu’elle n’aurait aimé, mais l’aventurière était légèrement à fleur de peau en ce moment et le peu de subtilité qu’elle avait d’habitude n’était pas vraiment dans ses priorités pour le moment.
« Enfin, les quêtes payent bien. Très bien même si on est prêt à prendre quelques risques. Et je commence à savoir comment tout ça fonctionne... »
Elle se rattrapa un peu comme le pu. Ce n’était pas non plus qu’elle était opposée à l’idée de l’aider, bien au contraire. Mais ce ne serait de toute façon pas une tâche qu’elle ferait à temps plein. Son frère avait après tout quitté sa vie très jeune, il n’y avait même pas tant de liens entre eux si ce n’était ce drôle lien du sang qui était perdu. Bien que, pouvait-elle seulement encore parler de sang alors que celui qui coulait dans ses veines n’était même pas le sien?
« Pour autant, si je trouve un moyen pour toi d’être à nouveau entièrement toi, ou des pistes, je pourrais te les envoyer. Et je souhaite bien du courage à tes petits messagers pour me trouver à l’autre bout du Royaume. »
Il n’y avait pas vraiment de deal ici pour Violette, elle tenait trop à son indépendance pour se cantonner dans ce genre de contrats, même si très peu restrictifs. Elle ne s’embêtait pas avec ça. Elle n’avait pas absolument besoin de son hospitalité même si cela ne l’empêcherait pas d’en profiter un jour peut-être. Selon là où sa route la mènera.
La brune jeta un petit coup d'œil à la bague qu’elle avait. De même facture, les petits rongeurs elle avait appris à les connaître aussi. Même si elle ne pensait pas qu’il s'agissait des mêmes. En pleine capitale, c’était certainement des rats ou des souris. Assez différent des écureuils de Violette. Et elle s’amusa de la similarité de leur choix, ainsi que des différences que cela pouvait impliquer. L’un dissimulé dans les endroits sombres et urbains, l’autre sautant de branches en branches en forêt avec son stock de noisettes.
« Par contre je sais par où passer pour te contacter toi. »
Après tout, elle savait où était la boutique d’Ivara, son adresse, et pouvait envoyer un courrier sans mal jusque là bas si besoin. Elle n’avait peut-être pas de sceau ou de cire pour en faire quelque chose d’officiel, mais pourrait toujours passer y faire un tour lorsque son chemin l’emmènerait à proximité de l’endroit.
Camper sur ses positions n’était peut-être pas la meilleure chose à faire, et le principe même qu’il décide de continuer de s’engager dans cette direction l’attristait. Mais si elle voulait qu’il respecte sa liberté, elle ne pouvait pas décemment pas le forcer à renier la sienne pour la suivre. Même si elle avait les preuves et les moyens de pression nécessaires pour le faire.
« Je ne compte pas insister. Rappelle-toi juste que… un autre moyen existe. »
Elle avait détourné le regard à la fin de sa phrase, légèrement baissé la tête, alors qu’elle reculait d’un pas. Sans pouvoir faire plus, sans vouloir accepter une telle offre. Peut-être un peu effrayée de devoir s’arranger avec quelqu’un flirtant avec un milieu illégal qu’elle n’estimait pas. Et qu’elle estimait encore moins en pensant au fait qu’il avait transformé son grand frère en meurtrier. Combien d’autres avaient-ils péri de sa main? Le méritaient-ils tous? Violette avait déjà dû ôter la vie aussi, mais c’était surtout pour protéger la sienne et celle d’un innocent. Ce n’était pas pareil.
Ou peut-être que ce n’était pas si différent que ça…?
L’ombre du passé
Inaros
La réponse sèche et tranchée de Violette ne lui fit pas mal. Il ne pouvait pas lui en vouloir, pour toutes les raisons qu’il connaissait si bien. Cependant, il ne pouvait pas lui laisser une mauvaise impression de l’affaire qu’il montait. S’il pouvait au moins lui montrer qu’il n’était pas aussi trempé dans des affaires illégales que ça.
- C’quelque chose d’honnête. Un boulot qui t’irait tout aussi bien. T’es aventurière. J’en ai rencontré deux, dans l’lot, qui m’aident et qui sont très propres sur eux. Enfin, tout ça pour dire qu’j’te proposerai jamais un truc qui rentre en conflit avec tes idéaux.
Sa maladresse, habituelle depuis le début de cette conversation, était revenue au galop, pour lui faire comprendre qu’il essayait de faire attention à elle. Il préféra ne pas insister davantage, lui laisser le temps de digérer ces informations qui pourraient faire tourner la tête à n’importe qui. Il ne fallait pas qu’il oublie le plus important… Elle venait de retrouver un frère prétendument mort depuis des lunes et qui l’avait oubliée. Elle était bien-chanceuse d’être tombée sur lui dans cette période charnière où il culpabilisait sur ce qu’il faisait vivre à Ivara. Sans ça, la conversation aurait été toute autre.
Il voyait aussi qu’elle ne refusait pas complètement tout contact avec lui. Ni rencontre future. Elle parlait bien de le contacter, et il comprit vite qu’elle mentionnait la boutique d’Ivara.
- Utilise bien l’nom d’Ivara, surtout.
Un courrier intercepté était monnaie courante. Un courrier intercepté au nom d’Inaros le mercenaire faisait tâche. Et il n’était jamais trop précautionneux, encore plus en ce moment. Il était aussi très touché par le sous-texte. Dans cette sombre période, c’était bien l’une des rares personnes qui ne le laissait pas tomber.
Bien qu’ils campaient tous les deux sur leur position, il y avait ces souvenirs, lointains et précieux, qui motivaient peut-être leurs décisions respectives à ne pas rompre le contact. Pas maintenant, pas après ces retrouvailles atypiques. Pourraient-ils créer le même lien qu’ils avaient, étant enfants ? Plus le temps passait, et plus c’était le petit Nikolaos qui parlait à sa petite sœur.
- J’sais qu’autre chose existe. J’fais tout ça pour avoir y arriver et vivre une vie normale… T’revoir m’a rappelé pourquoi j’fais tout ça. conclut-il avec bienveillance et l’ombre d’un sourire.
« Ca sous-entends que tu pourrais proposer des travaux pour tous genres d’idéaux. A quoi bon travailler honnêtement si c’est pour servir l’intérêt de méthodes que je n’approuve pas derrière ça? »
Après, elle travaillait bien pour la Guilde, et, si elle n’approuvait pas du tout les méthodes administratives de Lou Trovnik, elle pouvait néanmoins parfaitement comprendre l’intérêt du pourcentage que prenait la Guilde sur ses travaux. Et au final, c’était des cristaux réinvestis pour rendre le Royaume plus sûr et ses gens plus heureux. Mais là c’était différent. Pouvait-elle vraiment travailler et rapporter des avantages à des gens usant parfois de méthodes un peu louches? Enfin, peut-être qu’elle se faisait bien trop un film dans sa tête pleine de rumeurs parfois complètement stupides sur le mercenaire Inaros. Mais chaque rumeur trouve, après tout, son fondement dans quelques grains de vérité épars. Elles n’émergent pas sans raisons.
« Enfin, je m’imagine peut-être des choses, et je lis peut-être trop entre les lignes... »
Elle ne s’attendait pas à avoir une réponse et une explication, même si ça ne changerait plus grand-chose puisqu’elle avait déjà largement assez d’éléments pour la garde. Sauf peut-être si certaines parties se mettraient à la dégoûter fortement. Mais elle avait encore un minimum de foi en lui pour penser que ce n’était pas devenu la dernière des raclures.
L’aventurière n’arrivait toujours pas vraiment à se détacher du fait que celui qu’elle avait pu connaître était mort. Enfin, qu’il avait changé. Mais c’était normal, après toutes ces années. Elle n’était qu’une gamine, et lui aussi. Elle-même avait changé sur bien des aspects aussi depuis qu’elle avait pris la route avec ses affaires. Mais d’un autre côté, elle se sentait bien de pouvoir reparler avec lui. Et elle était maintenant bien persuadée que ce soit lui.
« C’est bien, d’avoir pu se revoir. Même si je pense que ce sera jamais vraiment pareil, on s’est engagé sur des chemins trop différents, même s’ils se recroiseront peut-être. Enfin, peut-être quand tu seras redevenu toi-même. »
Était-ce seulement possible? Après tout elle n’avait jamais entendu parler de magie pareille donc la tâche sera certainement loin d’être aisée. Surtout si l’autre blonde s’obstinait à tenir sa boutique inutile pour petit nobliau en manque de décoration. Enfin, elle était peut-être un peu dure sur ce jugement, après tout. Ivara ne lui avait pas laissé la meilleure des impressions. Et c’était sûrement réciproque.
Elle n’avait même pas tant envie de parler de tout et de rien, il restait un certain inconfort, même si elle s’était ouverte avant et avait laissé tout transparaître, il y avait toujours cette tâche d’ombre qui l'insupportait. Ce petit détail qui ne collait pas et grippait tous les rouages de ces retrouvailles.
« J’irai bien finir ce verre, mais je suppose que tu avais un rendez-vous, ici, non? »
Haussant un sourcil en désignant la taverne un peu plus loin alors qu’au loin les gens entraient sans vraiment prêter attention à eux désormais. Là encore, elle était bien curieuse de savoir ce qu’il était venu y faire. Mais elle ne s’attendait pas vraiment à une réponse.
L’ombre du passé
Inaros
- I travaillent pas tous comme ça ! T’as pas l’air convaincue, c’pas grave. Si jamais, j’aurais toujours une place pour toi.
Et il décida qu’il était temps d’arrêter de parler de l’Ordre et d’essayer de la convaincre de quelque chose. Il allait finir par faire une bourde et trop en révéler. Tout comme elle ne pouvait pas le convaincre de tout plaquer et de devenir aventurier avec elle. Ils avaient tous les deux évolué dans des sphères différentes et ce n’étaient pas ces sujets-là qui allaient les rapprocher. Ils auraient même presque donné l’effet inverse. Mais, hé, qu’en auraient été ces retrouvailles si chacun avait accepté la proposition de l’autre les yeux fermés, le sourire aux lèvres et en laissant tomber tout ce qu’ils avaient déjà construits derrière eux ?
- J’te reconnais quand même bien là. Toujours à chercher la p’tite bête et à être aussi vive d’esprit. T’es un bon élément pour ces aventuriers. J’espère qu’i t’traitent bien !
Ah, il l’avait adoré, sa sœur. Et ses sentiments n’étaient jamais réellement partis. Comment avait-il fait pour se perdre autant ?
Lorsqu’elle lui proposa de prendre un verre, il ne put qu'acquiescer. Certes, il avait attendu quelqu’un, mais il préférait largement la compagnie de la brune que de l’inconnu.e. C’est alors que la porte arrière de la taverne s’ouvrit dans un grand fracas, pour laisser place à un colosse qui toisa Inaros d’un œil mauvais. Surpris, Inaros eut pour seul réflexe de se placer devant Violette, l’écartant d’un geste du bras pour qu’elle reste dans son dos et, surtout, dans l’obscurité de la ruelle. Des regards comme ça, il en avait vu des tas et ils ne présageaient souvent rien de bon.
- J’suis là d’puis 10 minutes pour tes foutues informations sur Violette Lehnsherr.
Inaros tiqua. Il n’avait pas révélé à Will sur qui il cherchait des informations. Ce type devait être sacrément doué.
- J’vois qu’elle est là. Mais tu m’as fais m’déplacer. Pour rien. Ça va faire gonfler l’prix…
- Fallait être plus rapide, rétorqua Inaros en sortant sa bourse de sa poche pour la balancer vers le mastodonte.
Ce dernier parut plutôt satisfait de ces cristaux, lança encore quelques répliques cinglantes auxquelles répondit à son tour le mercenaire, avant qu’il ne disparaisse enfin…
- Euh… J’vais plutôt t’raccompagner là où tu loges… dit-il après quelques secondes de silence, se tournant vers Violette en évaluant sa réaction.
Même si parfois c’était des véritables colosses qui venaient chercher quelques noises. Pas vraiment à elle-même, à vrai dire. Elle remarqua bien son frère tenter de la couvrir. La brune n’essaya même pas vraiment de se cacher dans le voile d’ombres de la nuit. Un sourcil légèrement haussé, peut-être que ce verre venait de tomber à l’eau. Mais ce joyeux luron avait le mérite de ne pas être des plus discrets, pour un informateur. Toujours était-il qu’elle n’en avait pas peur du tout, et laissait tranquillement les deux mener leur petite discussion.
D’un autre côté, cela voulait aussi dire que ce genre d’informations pouvaient se vendre. Elle était curieuse de savoir lesquelles exactement, d’ailleurs, car cela pourrait impliquer des failles dans les archives de la Guilde. Ou au minimum des éléments corrompus dans celle-ci. Même si ce n’était pas étonnant pour Violette de savoir que certains aventuriers trempaient dans des affaires louches, se retrouver face à une grosse piste restait intéressant. Même si elle avait déjà assez enquêté pour aujourd’hui. Elle attendit néanmoins qu’il se soit éloigné avant de l’ouvrir. Cela n’aurait dépendu que d’elle-même, elle n’aurait sûrement pas réussi à tenir sa langue. Mais cela mettait aussi son frère en danger si elle provoquait ce gros tas trop ouvertement.
« Être plus rapide? Le machin doit peser 200 kilos, tu lui en demande beaucoup. Et je te parle même pas de la galère pour passer la moindre porte qu’il doit avoir. Enfin, je note que t’as pas perdu de temps pour commencer tes recherches, en tout cas. »
Autant prendre ça avec légèreté, ça lui ressemblait déjà beaucoup plus, comme attitude. Et ça lui faisait aussi du bien de devoir quitter son mode sérieux maintenant qu’elle comprenait mieux cette affaire. Il n’y avait plus grand chose à perdre, ni à laisser filer. Elle pourrait le retrouver, enfin, lui ou sa colocataire, quand elle le désirait. Même si l’inverse n’était pas spécialement vrai. Néanmoins, est-ce-qu’il s’inquiétait vraiment pour elle? Ca avait un petit côté mignon, elle ne pouvait pas le nier. Son comportement laissa Violette échapper un petit rire cristallin qui alla se perdre dans les ruelles désertées de la Capitale.
« La prochaine fois, sélectionne une taverne mieux fréquentée. Y aura pas de sumotori pour se mettre entre nous et une bière. »
Même si ce type n’avait rien d’un sumotori, à vrai dire. Mais bon, c’était Violette, et sa langue était parfois un deuxième poignard lorsqu’elle était d’humeur assassine. S’étirant légèrement, et regardant rapidement autour d’elle pour essayer de capter un petit semblant de vie animale nocturne, elle termina son mouvement par un petit bâillement. C’était qu’elle commençait à fatiguer, avec cette journée bien remplie. Depuis ce matin qu’elle était sur sa trace… Ce qu’il ne fallait pas faire pour une réunion de famille. Dans un endroit pas du tout adapté, en plus.
« J’ai pas d’endroit pour la nuit, mais je vais me trouver ça comme une grande. Surtout que y a des gros qui semblent s’intéresser à moi. Vais bouger de la Capitale rapidement de tout de façon. Pas trop mon ambiance, passé le shopping. T’inquiètes pas, je pense être encore moins traquable que toi... A une prochaine! »
Un petit clin d'œil, un petit geste de la main - peut-être un poil froid pour de la famille, mais elle n’arrivait pas à se défaire de cette idée qu’il restait un peu un inconnu à ses yeux. Violette termina sa révérence par son tour de passe-passe habituel, où elle disparut dans un voile d’ombre pour réapparaître hors de la vue de Nikolaos. Ou bien Inaros. Peu importait, c’était son frère, dans un corps qui n’était pas le sien. Et c’était très bizarre. Mais ça restait lui, elle en était maintenant convaincue. Et elle porterait un poids de moins dans ses voyages à partir de maintenant.
A peine éclairé par de faibles cristaux publics, un écureuil était parti se réfugier entre les branches d’un arbre centenaire d’un jardin, alors qu’un rat retournait se glisser dans les ombres de la Capitale.