La plupart des patients que l'on recevait étaient des cas bénins, de simples pansements à changer, des pilules à prescrire ou dans le pire des cas une attelle à poser. Bien que cette routine pouvait à première vu sembler ennuyeuse, aider de pauvre gens dans le besoin me plaisait. Aussi, je n'avais aucune inquiétude sur ma capacité à gérer seul le dispensaire pendant ce laps de temps.
Il me restait trois jours avant que le responsable revienne et pour le moment, je n'avais rien à déplorer, de plus, j'avais même entendu une des infirmières que je serais titularisé officiellement à son retour. Bien que je ne voyais pas trop ce que ça changerait, j'étais heureuse qu'il voie en moi quelqu'un de capable.
J'avais profité de la journée très calme de la veille afin de faire un inventaire complet des différents produits, onguents et fourniture médicales qu'il restait dans le dispensaire, mais aujourd'hui à peine arrivée que c'était déjà l'effervescence ; une infirmière passa à côté de moi en courant, ses vêtements tachés de sang, sans même me regarder et j'avais tout juste posé ma veste qu'une autre vint me chercher pour m'emmener dans une pièce réservée aux patients les plus critiques.
La peur au ventre, j'allais voir le dit patient. L'homme était livide et avait une flèche plantée dans le ventre, bien que l'hémorragie se soit arrêtée, il avait dû perdre beaucoup de sang. C'était bien ma veine, de toutes les blessures celle au ventre était les pires, sans compter que jusqu'à maintenant, j'avais simplement assisté le responsable dans ce genre d'opération.
Mon appréhension passée, je mis rapidement au travail assisté par une des infirmières. J'avais juste à répéter des gestes que j'avais vus et revus des dizaines de fois, rien de compliqué. Inciser proprement, retirer la flèche en prenant garde à abîmer aucun organe, nettoyer la blessure et refermer la plaie. J'avais fini ma première opération chirurgicale et ce, sans accroc, il n'y avait plus qu'à attendre qu'il reprenne conscience pour prendre connaissance de son état, en attendant, je pouvais aller m'occuper des autres patients.
Moins d'une heure plus tard, une infirmière venait me voir pour m'annoncer la triste nouvelle, son pouls ne battait plus, l'homme venait de mourir. J'étais abattue malgré tous mes efforts, je n'avais pas réussi à sauver cet homme. Je ne pouvais l'accepter aussi, je me précipitais dans la salle et entrepris en vain d'effectuer un massage cardiaque. C'est une des infirmières qui du m'éloigner de force alors que de grosses larmes coulaient de mon visage.
Sous le choc, je m'enfuis en courant pour me réfugier dans l'arrière boutique que Dévon avait depuis aménagé en petite chambre pour moi. Ne comprenant pas pourquoi j'étais revenu aussi tôt et surtout en pleurant du dispensaire, il vint me consoler comme il put.
Je partis plus tôt le lendemain pour me rendre sur mon lieu de travail. Les deux infirmières de jour n'étaient pas encore arrivées, je retournais voir le mort. Je repris les ustensiles m'ayant servi la veille pour l'opération et commença à refaire à l'envers. Devant le cadavre, le ventre ouvert, le scalpel à la main, j'entendis la porte derrière moi s'ouvrir.
A trop vouloir cacher ses capacités, il avait fini par se taper tout le travail tout seul, mais là il commençait à craquer. C’était impossible de faire face à la demande tout seul. Il était donc allé en parler au frère supérieur qui, ne voulant pas perdre son meilleur thanatopracteur, lui proposa de s’occuper d’un défunt dans un dispensaire. Il lui promit que d’autres frères pourraient s’occuper des dépouilles au temple. Aord accepta de bonne grâce préférant prendre son temps avec un défunt, plutôt que préparer les morts à la chaîne comme il le faisait depuis des jours. Il détestait être pressé par le temps quand il pratiquait son art, c’était pour lui un manque de respect envers le défunt.
Il récupéra ses affaires, avant de s’élancer dans les rues de la capitale. Cela faisait un bien fout de pouvoir respirer de l’air frai à nouveau et non pas cet air vicié par la mort qui stagnait dans la morgue. Il eut presque envie de partir de cette maudite ville pour reprendre la route, puis il se souvint qu’il n’avait pas un rond et que c’était pour ça qu’il servait de larbin au frère supérieur. Cette simple idée le déprimait. C’est donc fatigué par le travail et déprimé de sa situation que le jeune frère arriva au dispensaire. S’il n’avait pas voué sa vie à Lucy, il serait peut-être devenu médecin. Cependant, la déesse l’avait guidé vers ne autre voie.
Il fut accueilli sans trop de cérémonie et il s’en contenterait. Les malades n’attendaient pas, les morts si. Il demanda simplement qu’on lui indique où il devait travailler et se rendit sur place dans la minute. Il ne voulait pas faire perdre plus de temps aux soignants qui avaient suffisamment de cas à traiter. La petite pièce se trouvait en retrait, plutôt normal vu ce qu’elle abritait. On lui avait expliqué que le malheureux était mort d’une flèche en plein ventre, espérons que la dépouille soit rattrapable.
La porte grinça quand Aord pénétra dans la pièce. Elle était plutôt vide, ce qui indiquait qu’ici les morts n’avaient pas tendance à s’accumuler. C’était assez révélateur du niveau des soins qu’on prodiguait ici. Son regard fut attiré par une jeune fille qui était penchée sur une table. Il se dirigea vers elle, cherchant à attirer son attention.
Bonjour, je suis le frère Svenn, je suis envoyé par le temple pour m’occuper de la dépouille de …
Il s’arrêta d’un coup quand il vit ce que la jeune fille était en train de faire. Elle s’activait au-dessus du cadavre, fouillant ses entrailles comme si elle cherchait à prédire l’avenir. Le visage d’Aord ne fendit d’une grimace de dégoût, non parce que la vue des entrailles lui donnait la nausée, mais parce qu’il trouvait les actes de la jeune fille infâme et irrespectueux. Son dégoût se mua soudainement en une colère noire. Il se rapprocha d’un pas déterminé et attrapa le bras de la jeune fille.
Mais qu’est-ce que vous faites ? Vous n’avez pas honte de profaner une dépouille de la sorte ? Qui vous a autorisé à faire ça ?
L’énervement faisait qu’il broyait littéralement le poignet de la jeune fille. S’il n’avait pas été aussi fatigué, peut-être aurait-il réagi autrement. Cependant, le trou béant dans l’abdomen du pauvre homme lui soulevait le cœur. Cela allait représenter un travail colossal que de le refermer et de le rendre le plus naturel possible maintenant que la jeune fille avait pratiqué une incision de cette taille et de cette profondeur. Beaucoup de travail en plus à cause de cette écervelée. Il darda son regard empreint de colère sur elle, attendant qu’elle explique son geste.
Pourquoi parlait-il de profaner la dépouille ? C'était juste un cadavre, je n'avais rien fait de mal. Je ne comprenais pas ses questions ni pourquoi il avait autant l'air en colère. Mon incompréhension ne dura guère un instant, une vive douleur émanant de mon poignet me fit reprendre mes esprits. Mon visage se décomposait petit à petit à mesure que je prenais conscience de la porté de mes actes.
J'avais raté une opération chirurgicale et voilà que l'on me surprenait en pleine faute professionnelle. Après ça, c'est sur le responsable allait revenir sur sa décision de me titulariser, pourquoi fallait-il que ça arrive maintenant, deux jours avant qu'il revienne. Il allait sûrement me prendre pour une incapable et une irresponsable, j'avais tout gâché en l'espace de quelques heures.
Comment j'avais pu faire quelque chose de pareil, je pensais que tout ça était loin derrière moi. Il avait raison rien ni personne m'autorisait à faire ça. Jamais Luz n'aurait accepté ça, j'étais vraiment une bonne à rien. L'étreinte de l'homme se faisait de plus en pus insupportable, mais j'étais trop accablée et désespérée pour m'en inquiéter. Contrite, je baissais mon regard alors qu'une première larme venait s'écraser sur le sol en même temps que le scalpel que j'avais en main.
C'est ma faute, je l'ai tué... Je n'ai pas réussi à le sauver, c'est ma faute.
La force de sa poigne perdit en intensité, à mesure qu’il réalisait à quel point il avait été agressif. La jeune fille se décomposait devant lui, les larmes suivant les autres. Il se sentait maintenant coupable de lui avoir infligé cela. Il ne lui pardonnait pas d’avoir pratiqué une autopsie sans autorisations, mais il voyait bien qu’il n’avait pas non plus le droit de l’agresser de la sorte. Il était frère de Lucy bon sang, pas capitaine de la garde ! Alors, il commença doucement à faire glisser ses mains dans le dos de la jeune fille, l’attirant dans une étreinte protectrice et rassurante. Il ne la forçait en rien et si elle essayait de se dégager il la laisserait faire. Il avait lâché son poignet, elle était libre de partir si elle ne voulait pas de son étreinte. Sa voix devint beaucoup plus calme à mesure qu’il parlait.
Là, là calme-toi. Je suis désolé de t’être sauté dessus comme ça. Je comprends que tu sois venu chercher des réponses, mais il faut que tu comprennes que bien que morte cette personne a le droit de faire son dernier voyage dans la dignité.
Il prit le temps d’accueillir une nouvelle crise de larmes si celle-ci venait. Si la jeune fille avait accepté son étreinte, il carrosserait le derrière de son crâne, cherchant à la calmer.
Je suis venu ici pour le préparer à ce voyage. Je dois le rendre le plus présentable pour que sa famille puisse lui dire adieu et garder une belle image de lui. Une entaille pareille sera très difficile à dissimuler maintenant. Tu comprends ?
Il plongea son regard brun dans celui de la jeune fille cherchant une trace d'assentiment dans ses yeux. Il ne voulait plus la brusquer, mais il voulait également bien lui faire comprendre qu’elle avait fauté et quand on commet une faute, il faut la réparer.
Tu ne dois pas t’en vouloir pour ne pas avoir pu le sauver. La vie que Lucy lui avait donnée touchait à sa fin. Tu as fait tout ce que tu pouvais et les autres médecins aussi. Il faut maintenant passer à autre chose.
Il s’écarta pour lui laisser un peu plus d’espace. Elle s’était éventuellement calmée à ce stade-là.
Je m’appelle Aord, frère de Lucy. Comme je te l’ai dit, je suis venu pour préparer le défunt avant son enterrement. Vu que tu m’as compliqué la tâche en pratiquant cette autopsie clandestine, je te pardonnerais si tu fais tout pour m’aider dans ma tâche. Puis-je compter sur toi ?
Il lui tendit sa main pour qu’elle puisse la serrer, attendant qu’elle accepte.
S’il me parlait, je ne l’entendais pas, mon esprit était ailleurs. Son étreinte avait réveillé en moi le souvenir du marchand qui s’imposât me faisant perdre la raison, perdue entre le passé et le présent, je n’arrivais plus à faire la distinction entre réalité et halucination. Pour moi, un homme tentait d’abuser de ma faiblesse, mais je n’étais plus la petite fille de l’époque je n’allais pas me laisser faire. Je serrais si fort mon couteau que mes doigts me faisait souffrir.
Je repris conscience au moment, je sentis mon couteau s’enfoncer dans un corps mou, stupéfaite, je réalisais que trop tard que je venais d’agresser un Frère de Lucy alors qu'il me tendais la main. Je reculais épouvantée, ne sachant pas trop que faire avant qu’affoler, je mette à parler de façon insensée faisant abstraction de ce qui pouvait se passer autour de moi pour me concentrer afin de ne pas reperdre la raison.
On va le soigner… oui c’est ça on va le soigner...on l’a pas tué...il va s’en sortir...ça ira. Il faut juste de quoi le soigner...
Je sortis de la pièce en courant, revenant tout aussi vite les bras chargés de pansement, bandage, onguent et autres médicaments, j’avais largement de quoi soigner une plaie béante. Toujours sous le choc, je déposais tout mon attirail sur une table proche.
Tu vas pas mourir hein ? Je vais te soigner.
Je reprenais doucement mes esprits en regardant la blessure que je venais de lui faire; Sa manche étais déchiré au dessus de son poignet laissant apparaitre de la chair rose vive et du sang coulais de sa main. Honteuse, je le regardais implorante, alors que les larmes me montaient aux yeux.
Tu vas pas appeler la garde dis ? Jveux pas allé en prison… Jveux pas allé au conservatoire…
Éclatante en sanglot, je me précipitais sur lui, mouillant sa chemise de mes larmes.
Ça ne va pas ?
Une question toute simple, posée sans animosité. Le frère s’inquiétait vraiment de son état. Après tout, sa réaction avait été violente et celle qui arrivait allait l’être encore plus. Le sourire bienveillant se transforma en une grimace de douleur quand le petit couteau taillada son poignet déchirant sa manche et ouvrant sa chair sur un 5 cm de longueur. Il recula précipitamment, prêt à recevoir une autre attaque de la jeune fille. Cette fois, il allait l’accueillir avec beaucoup moins de sympathie, il le jurait sur sa foi !
Putain la vache, mais tu veux quoi à la fin gamine ?!
Aucune attaque ne vint, la jeune fille parlait comme une folle et Aord n’arrivait pas à suivre ce qu’elle disait. Elle parlait de le tuer ou il avait rêvé ? Il n’eut pas le temps d’en apprendre plus car elle s’enfuit par la porte pour échapper à sa colère. Il aurait tout le temps de s’occuper de cette garce plus tard, il devait d’abord s’occuper de cette plaie. Il espérait qu’elle n’avait pas utilisé ce couteau pour dépecer le défunt, sinon il allait le rejoindre très rapidement. Il dégagea sa manche pour voir l’étendue des dégâts. Rien de bien grave, il pouvait toujours bouger ses doigts sans problème, mais cela faisait saigner sa plaie abondamment.
Son inspection fut interrompue par le retour de la gamine. Ah elle comptait assumer ses actes tout de même. Elle apportait un nécessaire de premier soins. Aord restait très méfiant maintenant, il ne la laisserait pas s’approcher trop près. Ses larmes de crocodile ne lui faisaient ni chaud ni froid maintenant. Il avait bien fait de la tenir à l’œil, car elle courut vers lui en simulant des pleurs de façon à s’accrocher à lui. Sûrement pour le planter une dernière fois. Elle fut accueillie par un magistral coup de poing qui allait sûrement la sonner étant donné qu’elle s’était précipitée dessus. Aord ne lui accorda aucune considération ni d’aide si elle essayait de se relever.
Essaye encore de me planter et je te jure que le prochain t’enverra rejoindre Lucy.
Son ton était catégorique et très agressif. Hors de question qu’elle s’approche de nouveau. Il se dirigea vers la boîte de fourniture pour y récupérer de quoi se soigner par lui-même. Il galéra pour le faire ne pouvant utiliser qu’une seule main, mais il parvint à faire un bandage possible. Si Aube essayait de s’approcher de lui, il lui ferait comprendre qu’un autre coup de poing l’attendait. Tandis qu’il se soignait à l’arrache, il lui jeta un regard mauvais.
Ah ouais et qu’est-ce qui m’empêcherait d’appeler la garde ? Tu te permets de profaner une dépouille sans autorisations ni raison valable et ensuite tu m’agresses au couteau alors que j’ai eu la décence de te laisser t’expliquer. Alors écoute moi bien gamine, je vais bander cette blessure et je vais ensuite me faire un plaisir d’aller chercher quelqu’un pour me débarrasser de toi.
Il a frappé Aube, pourquoi il a frappé Aube ?
Aube est gentille, Aube ne voulait pas lui faire mal. Pourquoi il a frappé Aube ?
Il a touché Aube, Aube n’aime pas qu’on la touche, il faut pas toucher Aube.
Aube est gentille, elle voulait juste le soigner.
Il doit pas aimer qu’on le touche aussi. Oui, c’est ça le monsieur est comme Aube, il n’aime pas qu’on le touche.
CHUI PAS UNE GAMINE !
Je me remis à pleurer sur ses mots, un de mes yeux me faisait mal et j’avais de plus en plus de mal à l’ouvrir. Ma tête aussi me fait souffrir, elle avait dû percuter le sol.Je me remis à pleurer sur ses mots, un de mes yeux me faisait mal et j’avais de plus en plus de mal à l’ouvrir. Luz m’avait pourtant dit que personne me ferait du mal tant que je resterais dans la capitale.
Aube veut pas aller en prison, Aube Malheureuse en prison
Aube ne pas aller au conservatoire, Aube est pas folle
CHUI PAS FOLLE !
Luz a dit que Aube était pas folle, Aube est gentille.
Aube veut juste aider les gens. Aube soigne les gens, les gens heureux, Aube heureuse.
Traumatisée par ses dires et son envie d’appeler, la garde, de grosses larmes coulais le long de mon visage trempant ma robe et s’écrasant sur le sol. Je repris mon petit couteau en main, tout en remontant ma manche, une récente cicatrice y était encore visible. Je posais mon couteau sur le bras, tressaillant sous son contact.
Aube veux pas être enfermée au conservatoire.
Aube préfère mourir qu’être enfermé. Oui Aube mourir, c’est mieux.
Il prêta un peu attention à ce qu’elle disait. C’était qui cette Aube ? D’après ce qu’il comprenait, ce devait être son nom. Elle parlait d’elle-même à la troisième personne ? il regarda sa main gauche se demandant s’il l’avait frappé un peu trop fort.
CHUI PAS UNE GAMINE !
Oh si ma petite tu en es une. Une sale gamine psychotique et plus tu le répéteras et plus tu auras l’air d’une enfant à mes yeux, pensa-t-il. Le fait qu’il l’ait traitée de gamine semblait lui tenir à cœur. Mademoiselle voulait jouer aux grandes personnes, mais ne pouvait s’empêcher d’enfreindre toutes les règles de la morale en disséquant des cadavres ? Bah voyons … en voilà un adulte équilibré !
CHUI PAS FOLLE !
Je suis sûre qu’il y a une aile spéciale au conservatoire pour les gens qui vous plantent un couteau dans le bras quand vous leur dites bonjour ! Ce n’est pas en répétant « Je ne suis pas folle, vous savez ! » que je vais te croire !
Aord restait circonspect face à cette avalanche de paroles sans queue ni tête. Il priait plus pour que personne ne déboule à ce moment-là qu’il ne prêtait attention à ses élucubrations. Il aurait peut-être dû puisque la jeune fille venait de sortir son couteau et de retrousser sa manche. Elle dévoila une longue cicatrice plutôt récente, révélant qu’elle n’en était pas à coup d’essai. Aord commença enfin à paniquer, elle n’allait pas se tailler veines devant lui quad même ? C’était sûr, il l’avait frappé trop fort. Il tenta d’attirer son attention en agitant les mains précipitamment devant lui.
WOOOWWW STOP ! Stop on arrête tout ! Ça va un peu trop vite là. Pose ce coûteux s’il te plaît, je suis sûr qu’on peut discuter hein. Pas besoin d’en arriver là, n’est-ce pas ? Il y a déjà bien assez de mon sang sur le sol.
Son sang … Aord réalisa enfin qu’il ne sentait plus vraiment sa main droite. Le flux de sang s’étant passablement tari, elle était tout engourdie et ses mouvements maladroits n’avaient rien arrangé. Il essaya de comprimer la plaie tant qu’il le put avec son autre main.
Écoute, on est parti du mauvais pied tous les deux. Je promets de ne plus te toucher si tu me promets en retour de ne pas te suicider au milieu de la morgue et que tu me jures de ne plus essayer de m’agresser avec ton couteau. On a un accord ? Dépêche-toi, parce que j’aurais bien besoin de ton aide en fait.
Il leva le bras pour montrer l’état de la coupure qui ferait sûrement frémir n’importe quel soignant. Il profita de cette distraction pour discrètement pousser un soupir dans son dos, en cachant son visage avec sa main. Son pouvoir s’accrocha au cadavre derrière lui refermant son ventre lentement. Aord allait laisser le mort-vivant allongé pour se préparer une défense en prévision d’une autre attaque de cette sauvage.
Luz ne voudrait pas qu'Aube se fasse du mal. Luz serait sûrement triste si Aube mourrait.
Du sang sur le sol ?
Avec mes mains ainsi libérées, je me tenais la joue qui me lançait. J’avais de plus en plus mal à la tête et mes oreilles sifflaient. Hagarde, je parcourus la piece des yeux à travers un brouillard de larmes, effectivement, il y avait du sang un peu partout même quelque éclaboussure sur les murs à cause de ses gestes maladroits. La femme de ménage allait sûrement râler en voyant ça.
Aube est pas méchante, Aube voulait pas faire de mal.
L’homme tenait son bras devant lui pour me montrer sa blessure. Je me relevais en pleurant de plus belle pour me jeter sur lui.
Aube ne voulait pas te faire du mal, Aube est gentille.
Après avoir épanché mes larmes, je m’écartais non sans avoir mouillé ses vêtements de mes pleurs. Ayant au passage repris un peu mes esprits, je m’écartais en séchant d’un revers de manche mes yeux. J’avais beau voir que d’un œil, je pouvais constater la gravité de la blessure si elle n’était pas traitée.
Aube est d’accord, je vais soigner.
Je pris son bras le coinçant sous mon aisselle pour éviter tout mouvement non voulu avant de nettoyer la plaie, enlevant délicatement les peluches puis appliquât un cataplase à base de phume en poudre, celui que Niraen m’avait montré, avant de bander son bras avec un bandage propre.
Appliquer ces quelques gestes basiques avait fini de me redonner possession de mes moyens. Une fois chose faite, je lui mis un antalgique dans la main avant d’en avaler un moi-même. Penaude, je relevais mon œil rougi par les larmes, lui lançant un regard suppliant.
Je ne veux pas aller en prison.
Elle courut vers lui pour le soigner. Cette fois, il ne la frappa pas et la laissa manipuler son bras sans faire d’histoire. En l’observant travailler, il remarqua qu’elle semblait savoir ce qu’elle faisait. Ses gestes étaient précis et calculés, preuve qu’elle avait de l’expérience. Elle travaillait bien ici, comme il l’avait supposé. Ce n’était peut-être pas qu’une petite fouineuse aux passions peu recommandables. Elle avait peut-être réellement essayé de sauver ce type, mais il ne comprenait pas pourquoi elle l’avait ouvert comme un animal d’abattoir.
Bon, je t’avoue que je suis épuisé et je n’ai vraiment pas envie d’appeler la garde aujourd’hui. Par contre, je voudrais que tu m’expliques en détail pourquoi je t’ai trouvé en train de profaner la dépouille de cet homme.
Il attendait qu’elle lui explique toute l’histoire. Il écouterait son histoire et ne ferait pas attention à sa manière étrange de parler d’elle-même. Tandis qu’elle lui répondait, il sentait que sa main était toujours engourdie. Il bougeait ses doigts avec difficulté et le bandage lui compressait l’avant-bras ne lui facilitant pas vraiment la tâche. Faire son travail allait être vraiment compliqué, voire impossible. Aord aimait le travail bien fait, c’était la moindre des choses quand on s’occupait des morts. Il ne pouvait pas leur manquer de respect en bâclant son travail. Une idée lui vint finalement à l’esprit. Puisque Aube ne voulait pas qu’il appelle la garde et que c’était elle qui l’avait mis dans cet état, elle allait devoir se faire pardonner.
Écoute Aube, on va faire un marché tous les deux. À cause de toi, je ne peux plus faire le travail pour lequel je suis venu et la famille de cet homme attend toujours sa dépouille pour les funérailles. Je ne peux donc pas revenir plus tard quand je serai guéri. Tu vas donc le faire à ma place sous mes directives. Si tu fais le travail correctement, je te promets de ne pas te dénoncer à la garde. Marché conclu ?
Les personnes tatillonnes diront qu’il s’agit là d’un odieux chantage, mais elle ne méritait pas mieux, pas après ce qu’elle avait fait. Il tourna la tête pour inspecter le corps allongé. Son ventre s’était refermé, ne laissant que des cicatrices luisantes à l’endroit où la peau était maintenue par son pouvoir. Aube allait sûrement remarquer cette couleur turquoise pas du tout naturelle. Espérons qu’elle ne pose pas de question.
Aller va nous chercher du fil, j’ai pas toute la journée.
Même si elle protestait il lui ferait bien comprendre qu’elle n’avait pas le choix.
Voulait-il vraiment tous les détails, devais-je lui dire que j’avais cédé à une ancienne fascination sans m’en rendre compte ou allait-il se contenter du fait que je voulais simplement comprendre la cause de sa mort et si j’avais malheureusement raté mon opération. Je ne savais pas quoi lui dire et je savais que je venais de commettre une faute. Je baissais la tête penaude.
Je l’avais soigné... Je voulais comprendre… Je pensais avoir tout bien fait. Pourquoi est-il mort ?
Je ne comprenais pas pourquoi l’opération avait échoué, j’avais bien fait attention de suivre pas à pas la méthode du responsable. J’avais même vérifié si je n’avais pas fait d’erreur avant de m’emporter durant l’autopsie. La perspective de ne pas être dénoncée à la garde et donc d’échapper à la prison et au conservatoire me rendit toute joyeuse, j’avais les yeux qui brillaient plein d’espoir.
C’est vrai ?
Je courus chercher le fil à l’autre bout du dispensaire passant devant les deux infirmières espérant qu'elles ne remarquent ni ne pose de question quant à l’hématome se formant sur mon visage. Il ne me fallu guère de temps pour revenir auprès du frère de Lucy.
L’incision que j’avais pratiquée avait disparu à la place se trouvait une cicatrice d'une couleur peu habituel, fraîchement refermée, avais-je rêvé de l’autopsie ? Même mes sutures pratiqués durant l’opération, avaient cicatrisé. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait, pourquoi me demander d’aller chercher de quoi recoudre si on avait plus besoin à moins qu’il ne l’est pas remarqué. Je lui lançais un regard ou se mêlais suspicion et interrogation. Si ce n’était pas lui ça ne pouvait qu'être moi, à moins que La Déesse existe réellement. Quoi qu’il en soit si ça pouvait m’être utile pour échapper à la prison, je n’allais pas m’en plaindre.
Je dois faire quoi ?
La prochaine fois demande la permission avant de pratiquer des autopsies, tu donneras moins de travail au thanatopracteur.
Elle partit enfin cherche le fil dont ils avaient besoin. Aord la laissa faire, s’appuyant contre le mur près de la fenêtre pour observer le cadavre. S’il restait le moindre indice de ce qui l’avait tué, son pouvoir l’avait certainement refermé pour l’instant. Le frère s’approcha pour apprécier la profondeur de l’entaille qui lui barrait le ventre. Recoudre tout ça n’allait pas être une mince affaire, surtout pour une débutante. Il regarda sa main bandée. Non, il n’allait pas pouvoir le faire lui-même aujourd’hui. Au pire, il la ferait sortir et laisserait le cadavre se recoudre tout seul. Il n’eut pas le temps d’évaluer s’il en était capable qu’Aube reviendrait de ses courses. Il pouvait admirer l’hématome qu’il lui avait fait sur le visage, ce n’était pas très joli à voir, mais il ne regrettait rien. Il attendit qu’elle sorte le matériel et qu’elle soit prête avant de commencer ses explications.
Bon, j’ai déjà rattaché la peau à l’aide de ma magie, mais quand elle se dissipera la plaie va se rouvrir. Profite que mon pouvoir maintient les deux bords pour suturer tout le long de la cicatrice lumineuse. N’hésite pas à serre, ce n’est pas un vivant, nous ne sommes pas là pour lui faire la plus petite des cicatrices. Le but c’est qu’il ne s’ouvre pas en deux quand on le présentera à sa famille.
Il lui jeta un regard en coin pour bien lui faire comprendre que c’était ça faute. Il la laissa faire la corrigeant au besoin. Il tenta quelquefois d’attraper l’aiguille instinctivement avec sa main droite, mais à chaque fois la douleur retenait son geste. Le frère finit par renoncer et par laisser la jeune fille travailler à sa place ; Il prit un tabouret pour s’asseoir tout en la regardant faire.
Il ne savait pas trop s’il pouvait lui parler, pendant qu’elle travaillait. Pouvait-elle faire les deux à la fois ? De toute façon, il n’avait vraiment pas envie de s’ennuyer à la regarder faire.
Tu travailles depuis longtemps ici ?
Une question banale pour meubler le silence. Aord écouta sa réponse sans marquer un grand intérêt. Elle termina enfin ce qu’il lui avait demandé, il fallait donc passer à l’étape suivante. Il lui désigna un grand bidon rempli de liquide qui traînait dans un coin de la morgue perché sur un meuble à roulettes.
Rapproche-moi ça tu veux.
Quand elle l’eut ramené, il lui indiqua deux tuyaux reliés à la citerne et lui expliqua à quel endroit elle devait planter leur embout en forme de pointe dans le corps du défunt. Puis, il lui désigna deux autres tuyaux qui n’étaient reliés à rien du tout.
Plante-les là où je vais te l’indiquer et laisse-les pendre au-dessus d’une bassine.
Il donnait ses directives sur un ton neutre, ne s’énervant même pas si elle se trompait. Il avait retrouvé son calme et la fatigue le gagnait peu à peu. Son bras le lançait quelque peu, mais il n’y prêta pas attention. Lorsque tous les branchements furent prêts, il lui demanda de s’écarter et le liquide commença à lentement être pompé à l’intérieur du corps, tandis que le sang s’échappait par les tuyaux d’évacuation. Pendant toute l’opération, Aord fixait le corps ne détachant son regard à aucun moment. Faire battre un cœur mort, ce n’était pas chose facile. Il prit cependant le temps de poser une autre question pour ne pas que la situation paraisse encore plus bizarre. Il ne voulait pas qu’elle lui pose des questions.
Tu as déjà entendu parler de l’Astre de l’Aube ? J’imagine que tout médecin qui se respecte rêverait de les rejoindre non ?
Oh, ça fait maintenant quatre ou cinq lunes que je suis arrivée dans la capitale.
Je ne comprenais pas comment un liquide pouvait être aspiré sans aucune pompe ni mécanisme à l’intérieur du corps, c’était la première fois que je voyais quelqu’un faire ça. J’étais fasciné par le liquide qui petit à petit remplaçait le sang.
L’astre de l’Aube, j’en avais jusque-là jamais entendu parler, je me demandais ce que ça pouvait être. Surement un ordre de médecin prestigieux et très prisé par les nobles vu comment il en parlait et qui devaient faire payer une fortune pour prodiguer des soins. Ce n’était pas du tout mon état d’esprit, l’accès aux soins devait être gratuit et le même pour tous et toutes.
Comment pouvait-il croire que j’étais attirée par l’argent moi qui travaillais comme bénévole dans un dispensaire où l’on administrait gratuitement les soins ne devant son bon fonctionnement qu'aux dons de la couronne de quelques âmes charitable. Moi qui pensais que les Frères de Lucy n’étaient pas cupides. Je lui jetais un regard méprisant, demandant tout de même curieuse.
Qu’est-ce donc L’astre de l’Aube ?
De toute façon, je n’étais guère intéressée, depuis hier, je me demandais si j’étais faite pour devenir médecin. Je ne voulais pas voir mes patients mourir, certes, je voulais les soigner et j’aimais bien ça, mais j’avais l’impression de brasser du vent ici. La plupart de mes patients revenaient quelques temps plus tard pour les même problèmes.
Depuis quelque temps, j’étais fatigué de toute cette agitation et une petite idée me trottait dans la tête, je voulais voir avec Niraen, pour apprendre à soigner les animaux. Surtout que le temps commençait à se radoucir et que la forêt me manquait cruellement. Puis j’irais voir l’ancien bâtiment désaffecté, en espérant que mon vieux patient ne mentait pas quand il radotait son histoire. Peut-être que l’on accepterait que je l’occupe si je le rénovais pour ouvrir mon propre centre de soin et d’accueil pour familier.
Tu peux couper l’arrivée de liquide et retirer les deux premiers tuyaux.
Tandis qu’elle s’affairait, à la tâche, il continua de pomper un peu pour vider le surplus de liquide afin de rendre le corps moins spongieux. Il lui demanda finalement de retirer les tuyaux permettant l’évacuation des fluides. Il était temps maintenant de passer à une préparation bien moins ragoûtante, puis de laver le corps. Pour cela, Aord allait devoir utiliser son pouvoir de manière plus … évidente. Il était hors de question que la jeune fille y assiste. Il ne désirait en aucun cas partager ce secret avec elle.
J’ai entendu dire qu’une noble voulait créer un réseau de soin à travers tout le pays. Elle aurait déjà rallié plusieurs dispensaires et organismes comme celui-ci sous sa bannière. Elle aurait même reçu des subventions de la couronne tu imagines ? Comment s’appelait-elle déjà ? Liz Wass ? Loz Wuss ?
Il tortilla sa barbe, essayant de se souvenir des conversations qu’il avait entendues au temple. Les frères et sœurs étaient très intéressés par cette perspective, voulant mettre en commun leur savoir-faire avec d’autres instances médicales.
Luz Weiss voilà ! Une sainte femme. Si vous aviez eu plus de fond, peut-être auriez-vous pu sauver ce malheureux …
Il marqua une pause, comprenant qu’Aube devait s’en vouloir. Il ne commençait pas à éprouver de la pitié pour elle, mais au moins un peu de tristesse. Il allait être temps de la faire sortir. Surtout qu'elle semblait tout d'un coup plus éveillé depuis qu'il avait parlé de Luz Weiss. C'était mauvais signe.
Je vais m’occuper des derniers préparatifs pour son enterrement, j’aimerais que tu me laisses faire, je n’ai plus besoin de ton aide. Tu as tenu ta part du marché, je ne te dénoncerai pas à la garde. Maintenant, oust ! Je te ferai appeler pour nettoyer tout se bazar.
Il se garda bien de la toucher, mais si elle protestait il se ferait plus instant et n’aurait de cesse de chercher à la mettre dehors, même s’il devait menacer d’aller trouver la garde. Une fois mise à la porte, il put enfin souffler. Il prit bien soin de fermer la porte à clé, pour être sûr que la situation qu’il avait vécue avec Nemue ne se reproduise pas. Il n’aurait sûrement pas autant de chance cette fois.
Maintenant seul avec le mort-vivant, il pouvait faire son travail bien plus facilement. Vider son système digestif et le laver ne demandait pas de grands efforts pour quelqu’un qui pouvait contrôler les morts. Le défunt se prépara donc tout seul, se nettoyant avec précision et terminant l’embaumement d’une façon que nous ne décrirons pas. Aord manipulait chacun de ses gestes par la pensée, le guidant dans sa tâche, car il ne pouvait le faire lui-même avec son bras immobilisé. Les yeux turquoise du mort brillaient de leur éclat habituel, mais personnes d’autres que le frère ne pouvait les voir ou alors peut-être que quelqu’un avait eu l’idée saugrenue de regarder par le trou de la serrure ?
Cela faisait tellement de temps que je voulais la revoir, elle m’avait beaucoup manqué ces derniers temps que j’étais toute excitée de rencontrer quelqu’un qui la connaissait.
Elle est où ? Elle va bien ?
Elle avait décidé de créer un réseau de soin, ça ne m’étonnait pas d’elle, elle avait toujours voulu aider son prochain. Je lui devais tellement de choses et je n’avais même pas encore pu la remercier comme il se doit.
Dépité devant son mutisme, je mis un certain temps pour rassembler les quelques affaires qui traînaient afin de les ranger. Concentré sur le cadavre, il n’avait même pas osé lever la tête vers moi en me menaçant d’appeler la garde si je ne quittais pas la pièce sur le champ.
C’est donc en traînant des pieds que je sortis de la morgue, la porte claqua et un bruit de verrou se fit entendre. Je restais un moment devant la porte close, incrédule, murmurant une dernière fois
Luz ?