Le vieil officier, difficilement remis des bouleversements subis par le domaine ces derniers temps relevait d’une maladie qui aurait pu être gravissime… Lucy en soit remerciée, les défauts de ses ouailles se muaient parfois en qualité et l’obstination d’Arthas lui avait sauvé la vie. Son caractère fort et trempé, son courage et … son manque d’originalité l’avaient conduit à combattre la mort comme il aurait combattu un malfrat à l’époque où il était garde royal… Et il avait triomphé !
Après avoir revécu les frasques d’Adalbert le -presque ?- aventurier, grand-oncle de Camille, il se trouvait désormais confronté à l’un des désirs les plus chers du jeune noble : faire la lumière sur la mort de ses parents survenue en même temps que celle d’autres proches ; et retrouver l’autre héritier dudit Adalbert : son cousin germain.
Pour quelle raison Arthas tentait-il depuis ce malheureux évènement de faire le silence ? C’était une des raisons qui poussait Camille à persévérer. Le vieux soldat avait connu ses parents, encore mieux sa tante et son oncle qui étaient plus proches du seigneur de l’époque, comment expliquer qu’il laisse leur mort dans le flou ? Connaissait-il des détails qu’il ne voulait pas divulguer ou voir divulguer ? Cherchait-il à le préserver ? Ou avait-il eu connaissance d’erreurs ou de malversations pendant l’enquête à l’époque ? Son attitude était si peu logique et conforme à ses habitudes qu’elle ne pouvait que renforcer la curiosité et la volonté de savoir du jeune homme.
Bref… Sur ce sujet là comme sur tant d’autres, bien que s’appréciant énormément l’un l’autre, les deux hommes ne pouvaient se mettre d’accord… Camille, élevé dans le respect de l’âge et un peu intimidé par les états de service rutilants de l’ancien officier ne le contredisait que rarement en face, mais ça ne l’empêchait pas d’agir… Ne tenant absolument pas compte de l’opinion de son mentor et intendant, il prit une plume, un parchemin et ouvrit l’encrier.
« N’as-tu pas dit que ce détective est un ancien de la Garde Royale ? Que ses états de service valent largement les tiens ? Qu’il est issu d’une vieille et noble famille ? Qu’il a quitté la Garde pour des raisons à la fois louables et parfaitement raisonnables ? Quel meilleur candidat veux-tu que je trouve ? »
Le visage fermé comme à chaque fois qu’ils avaient un conflit, certes larvé mais véritable, affichant une expression butée et grognon qui le vieillissait encore davantage, Arthas ne répondit pas.
Camille commença donc à écrire…
« Monsieur,
Des relations communes ont porté à ma connaissance que vos talents pourraient m’être d’un grand secours. »
Il resta la plume en suspens…
« Votre reconversion professionnelle -dans des circonstances si … douloureuses- me laisse espérer que vous pourrez m’être une aide. J’ai moi-même connu un deuil soudain il y a quelques années, deuil qui est resté en grande partie inexpliqué et sur lequel -pour enfin laisser les miens reposer en paix et souffrir moins de leur absence- je souhaiterais des précisions.
Je suis navré au plus haut point si cette missive vous occasionne des réminiscences funestes, mais j’ose croire que le métier que vous avez choisi me range tout au plus au rang d’importun maladroit… Entre gens du même monde, nous devrions pouvoir trouver un arrangement qui nous soit bénéfique à l’un comme à l’autre. »
Il regarde ce qu’il a écrit… Importun maladroit… Il soupire, il est lamentable, mais après tout cet homme est devenu détective ! Pas prêtre de Lucy ou collectionneur de dessins coquins, encore que prêtre, il aurait quand même eu affaire à des gens en deuil… La mort est malheureusement une chose qu’on ne peut éviter de croiser, même celles dont le rôle est d’assister les mères lors de la naissance d’un enfant ont souvent le chagrin de perdre des patientes…
Il revint à son courrier et tenta de le terminer de façon claire et précise… Il dut reconnaître intérieurement que ni son caractère ni son éducation ne l’avaient préparé à être l’un ou l’autre.
Expliquant au mieux de ses capacités qu’il cherchait à élucider la mort d’une douzaine de personnes presque cinq ans auparavant, dans des circonstances restées extrêmement floues, il finit par conclure…
« Si vous acceptez de travailler sur cette affaire, je puis vous rencontrer à mon pied à terre de la capitale, ou dans n’importe quel autre endroit de votre choix. J’attire toutefois votre attention sur le fait que je ne puis m’éloigner plus de trois à quatre jours de mon domaine en ce moment. »
Il ajouta une formule de politesse alambiquée comme ses précepteurs lui en avaient appris des tas, et de sa plus belle écriture signa « Camille-Aurele , seigneur de Hvit ». Pour parfaire la missive, il glissa une de ses cartes de visite réservée à la Cour et aux habitués des bals mondains…
Croisant le regard de Maïa il ferma à demi les yeux, voilà, il ne restait qu’à faire parvenir cette lettre à son destinataire. Il soupira tellement que le familier de la brune sursauta.
Entre gens du même monde...
Ft. Camille-Aurele Hvit
Tu te poses enfin dans la pièce qui te sert de bureau en fin d'après-midi. Tu as reçu énormément de courrier en l'espace de quelques jours et débutes sa lecture en diagonale jusqu'à arriver à une offre d'emploi. Tu la lis d'abord en diagonale comme toutes les autres et soupires silencieusement en lisant tant de maladresse entre les lignes. Tu n'apprécies pas du moins qu'on te rappelle l'absence de ta femme ce qui te fait te demander s'il s'agit d'un canular. Tu relis le courrier plus attentivement. Le nom de Hvit te dit quelque chose. Après avoir terminé de classer toutes les lettres par ordre d'importance, tu réfléchis à tes options. Tu imagines tout un itinéraire. Malheureusement tu ne sais pas en avance quelle enquête te demandera le plus et le moins de temps.
C'est uniquement le lendemain, à tête reposée que tu décides de répondre à quelques personnes ayant demandé ton aide. Chaque chose en son temps. Tu passes donc ta matinée à rédiger des lettres. Arrivé à l'offre d'emploi de Mr Hvit, tu restes sur la réserve.
Mr Hvit,
Je me suis réservé le temps de la réflexion.
Je serai de passage à la capitale après-demain. Nous pourrons nous rencontrer à l'auberge "Le Soleil d'Argent" à 15 heures pour un premier contact. Si l'adresse et l'heure ne vous conviennent guère, veuillez me faire parvenir vos disponibilités.
Cordialement,
D. le Blanc.
Une fois toutes tes lettres confiées à ton personnel de maison pour envoi express, tu effectues ta routine journalière et attends les diverses réponses sans plus y penser.
« Pourquoi remuer ainsi cette fange, on n’a rien trouvé à l’époque, l’enfant est probablement mort, ça ne servira qu’à faire remonter de mauvais souvenirs… »
Le jeune noble prit un air buté :
« J’ai besoin de savoir ! S’il est mort, il aura au moins une sépulture, même si elle demeure vide »
La jeune femme abonda dans son sens ce qui eut le don de déplaire à l’imposant ex-garde royal. Sa chevelure blanche et drue parut se hérisser de rage. Pourquoi tenait-il tellement à recouvrir cet événement d’une lourde couche d’oubli ? « Il s’agissait de mes parents ! » pensa Camille « Mes parents, mes sœurs, mon petit frère qui n’est jamais né ! Et ma tante, mon oncle… mon cousin germain ». La Garde avait-elle failli ? Arthas le savait-il ? Ou ce qu’on avait découvert impliquait-il largement autre chose que la mort accidentelle de deux couples à la suite d’une attaque par on ne savait plus qui ou quoi ? A vouloir à tout prix l’oublier, il ne faisait qu’accentuer la curiosité et les doutes de son pupille et maître.
Passant outre, il s’assit près de la fenêtre à une écritoire réservée aux comptes du domaine d’ordinaire et sur un parchemin entreprit de noter tout ce qui lui revenait. Il essayait de se rappeler, mais rien, juste des bruits, des odeurs… Et cette horreur qui l’avait glacée tandis que bras ballants il regardait le spectacle sans vraiment le voir, tétanisé. Que l’autre enfant ai pris la fuite, comme il le comprenait, du sang, des râles de mourants, une grosse masse plus loin qui lui semblait avoir été un animal… Puis une garde qui le prenait par les épaules, doucement, en murmurant des mots d’apaisement, mais qui l’avait quand même fait sursauter et presque défaillir de terreur…
Continuant à compulser ses souvenirs, il posa son parchemin, en prit un second et écrivit un court billet :
M. le Blanc,
Je vous remercie de la promptitude de votre réponse et serai présent à l’heure dite au lieu de rendez-vous.
Bien cordialement,
C. Hvit
En lui-même il se dit qu’il aurait été facile de dire que le convoi avait été attaqué par le fauve mort, mais un seul fielon peut-il tuer douze personnes ? dont trois gardes et au moins deux hommes armés ? Et qu’est-ce qui l’avait tué, lui ? Avait-il été blessé si grièvement qu’il avait agonisé après avoir tué les humains ?
Il continua de noter, se disant que son résumé permettrait aux personnes en charge de cette nouvelle enquête de prendre leur départ.
Après, le détective et ses troupes trouveraient-ils plus que les hommes payés à l’époque pour trouver ? Son oncle Adalbert n’était pourtant pas avare et les sommes proposées avaient de quoi motiver. Pourquoi personne n’avait-il ramené l’enfant ? Avait-on omis de lui dire qu’il était mort ? Etait-ce pour cela qu’Arthas ne voulait pas voir l’enquête réouverte ?
Si c’était le cas, c’était ridicule, il devait savoir. Les morts ne seraient pas ramenés, mais au moins, il n’attendrait plus, n’espérerait plus. Et s’il n’était pas seul sur cette terre, il en serait heureux. Sa mère n’avait que cette soeur, le petit cousin était donc son héritier et celui de ses grands-parents maternels au même titre que lui. Bien assez nanti par la fortune de son père, il lui abandonnerait volontiers ce qu’il tenait de sa mère.
Roulant les notes qu’il avait prises en se réservant de les remettre en ordre plus tard, en admettant qu’il y parvienne, il se leva et donna des ordres pour trouver un bateau qui l’amène à la capitale à temps pour le rendez-vous.
« Arthas ? connais-tu un établissement nommé « le soleil d’Argent » ? »
Le vieil homme ne daigna pas répondre, mais Maïa le prit par le bras « ils ont un excellent vin, léger, presque aussi bon que celui que nous produisons… Tu pourrais leur proposer le nôtre tiens ? Je te montre »
Entre gens du même monde...
Ft. Camille-Aurele Hvit
Une préparation minutieuse t'amène à prendre la route à cheval à dix heures du matin.
Tu arrives à la capitale trois heures et demi plus tard et vas directement déposer tes effets personnels à l'auberge le Soleil d'Argent. Il s'agit d'un établissement peu fréquenté car nettement sous-côté. Il est néanmoins tenu par un ancien garde aujourd'hui retraité qui a su s'entourer d'un personnel dévoué. L'auberge se trouve dans une ruelle à deux pas du Conservatoire, à l'ouest. Le lieu est propre et très bien entretenu, la literie est de qualité, la cuisine faite maison est délicieuse et la carte des vins met en avant de petits producteurs à l'avenir fort prometteur. En sommes, il s'agit de l'endroit où tu séjournes le plus souvent lors de tes venues à la capitale. Hormis la qualité du lieu et des prestations, le personnel fait preuve de discrétion et offre tranquillité aux honnêtes gens qu'elle accueille.
L'heure du déjeuné n'étant pas passée, tu manges à la table du propriétaire avec sa femme et lui-même. Vous discutez de vos déboires avec humour et de l'éducation de vos enfants. C'est un moment agréable après avoir chevauché à un rythme soutenu sans t'être arrêté plus d'une fois et avoir passé le seuil de la ville. Une fois poisson frais du marché et pommes de terre de la cheffe terminés, tu acceptes volontiers un café. Il te reste une heure avant l'arrivée de ton rendez-vous, ce qui te laisse le temps de te pencher sur le dossier relevant des informations sur la famille Hvit que tu as fait porter à l'auberge. Tu montes dans ta chambre et lis avec grande attention les banalités connues à son sujet. Plongé ainsi dans la lecture, tu ne vois pas le temps passer. À peine le temps de te débarbouiller qu'une servante vient te chercher pour te faire descendre dans la pièce commune. Tu es habillé d'un pantalon noir et d'une chemise blanche ainsi que d'une paire de chaussures de ville, plus adaptés à la situation que tes tenues traditionnelles. Tes cheveux son tressés et ta seule extravagance réside dans les marques de peinture que tu arbores fièrement comme tous les autres hommes de ta famille.
« Tout d’abord les informations sur le contexte et la famille :
- Mon oncle et ma tante s’étaient installés dans un village près du Village Perché, il semble qu’ils en soient partis plus ou moins précipitamment à cause d’un pouvoir mal maîtrisé qui a semé la zizanie. C’est ainsi qu’ils se sont retrouvés tous ensemble quand le drame est survenu, mes parents y étaient passés pour les voir et ont appris qu’ils venaient de partir, ils se rataient de quelques dizaines de minutes aussi sont-ils parvenus à les rejoindre facilement.
- En se mariant, ma tante avait renoncé à sa noblesse, on ne m’a jamais dit le nom de son époux et j’ai eu beau chercher n’ai pas trouvé l’information dans les rapports d’époque, comme si la noblesse de mes parents avait gommé l’importance des autres victimes… On la désigne comme « la sœur de Dame Hvit » et lui comme « l’époux de la sœur de Dame Hvit » ce qui est à mon sens plus épouvantable encore que les omettre carrément. »
Il n’ajouta pas « Mon grand-oncle le connaissait à n’en pas douter, mais à force de refuser de parler de cet événement pour ne pas me traumatiser, il m’a tu la plupart des informations en sa possession, et Arthas dit l’avoir toujours ignoré »
« Et l’attaque elle-même
- En ce qui me concerne, mon maudit pouvoir a poussé ma mère à m’intimer l’ordre de rester dans la calèche tandis qu’elle jaillissait en dehors pour suivre mes jeunes sœurs que la terreur avait poussé à ouvrir la porte et à fuir droit devant elles.
- J’ai entendu des hurlements, des rugissements, des bruits d’armes… Tant et tant que j’ai fini par sortir, beaucoup trop tard. Enfin, j’aurais probablement été un poids totalement inutile et serait peut-être mort aussi. Toujours est-il que je n’ai vu que l’enfant, tout aussi horrifié que moi, qui m’a jeté un regard vide avant de prendre ses jambes à son cou…
- J’ai toujours cru que l’attaque avait été orchestrée par des brigands et personne n’a jamais démenti cette certitude, jusqu’au jour où j’ai commencé à chercher à en savoir plus, il y a environ 2 lunes. En lisant les rapports, assez liminaires, de l’époque j’ai appris que l’alerte avait été donnée par des voyageurs dont le nom figure ci-dessous. Ils étaient passés sur la route et avaient vu tout d’abord un pauvre bougre de domestique venu agoniser en bordure du chemin, probablement en cherchant des secours ou en tentant de s’enfuir.
- J’ai compulsé les rapports d’époque, ils sont à la fois peu nombreux et courts. Peut-être ce qui me paraît effroyable n’est-il que le quotidien de la Garde ? Ils disent qu’une patrouille a été alertée par des marchands qui ont trouvé un cadavre. En suivant les traces de sang du pauvre homme, elle est tombée sur bien pire, au total, une douzaine de morts, déchiquetés parfois démembrés, baignant dans leur sang : mes parents, mon oncle, ma tante, mes sœurs, leurs domestiques, les quelques gardes qu’ils avaient emmené comme escorte et pour qui ça ne devait être qu’une mission de routine… et moi, vivant mais tellement choqué que je n’ai pas pu prononcer une parole. Par la suite, un peu revenu de ma frayeur, j’ai mentionné mon cousin, mais il s’était passé plusieurs heures…
- Bien sûr il y a eu une enquête, plusieurs à vrai dire. L’officielle pour retrouver les éventuels agresseurs et ramener mon cousin, et d’autres diligentées à la demande de mon grand-oncle. Pas plus les rapports de la Garde que ceux des aventuriers loués n’ont été d’un grand secours. Tous font état d’un gros animal : un fielon, mort à proximité, et de traces d’un autre fauve, probablement un ange dragon. On ignore si la bête a participé à l’attaque, ou si c’est le sang qui l’a attirée.
Vous devez essayer de comprendre pourquoi l’enquête a été abandonnée sans qu’on ait de certitudes à l’époque, et surtout trouver mon cousin ou au moins savoir ce qu’il est advenu de lui. Je n’ai que peu d’informations sur lui, ne l’ayant croisé que ce jour-là :
- Il avait des cheveux foncés, il était assez menu et pas très grand pour son âge. Sa seule particularité à vrai dire consistait en des yeux vairons. Il doit être né en 984 si mes informations sont correctes, il a donc un peu plus de 16 ans aujourd’hui, s’il vit encore.
Plus que de connaître les circonstances de la mort de nos parents et des pauvres gens qui les accompagnaient, j’ai à cœur de savoir où lui est. Il a survécu à cette tuerie, il est normal de s’intéresser à son parcours après, or personne ne semble l’avoir fait ? »
Camille serra contre son cœur le résumé -peut-être un peu long et confus- qu’il avait dressé. Dans le petit salon de l’auberge, il attendait, se disant que si ses « difficultés d’élocution » refaisaient surface, il aurait toujours la possibilité de tendre le texte au détective.
Quand celui-ci entra, il le regarda stupéfait… Il s’était imaginé un grand homme balèze et un peu vulgaire, il aurait pourtant dû réfléchir en lisant l’histoire de sa famille… Il avait devant lui un presque sosie, plus sûr de lui visiblement et sachant mieux présenter ses muscles, assurément aussi fier que lui de sa longue chevelure blonde. Il y avait chez l’homme un côté martial et énormément de distinction… L’appréhension de Camille disparut et son expression tendue se mua en un sourire avenant, après avoir fait une révérence polie, il tendit la main à l’arrivant lui donnant le parchemin.
- J’ai parfois des blocages fort dérangeants qui m’empêchent de discourir comme je le souhaiterais. C’est pour cela que j’ai mis par écrit tout ce que je voulais et pouvais porter à votre connaissance. Je suis bien entendu à votre disposition pour toutes les questions et les précisions qui vous paraitront nécessaires.
- Précisions:
- Le "cousin" est un personnage joueur, les indications données recoupent son histoire et celle de Camille. Si tu as besoin de plus amples précisions je te les donnerai via discord. Bonne enquête...