Cher Ebrahim,
Mon installation dans la capitale vient de prendre fin, tout se trouve bien à sa place et les cartons sont tous vidés. Pardonné le temps de rédaction de cette missive, il a fallu faire un second déménagement pour une résidente à côté du palais quand je me suis rendu compte que les appartements de fonction du ministère étaient dans l’enceinte du palais et de sa bulle anti-magie. Beaucoup d’éléments du quotidien ne passent point en ces lieux et j’ai déjà bien assez subi l’administration pour obtenir mon tatouage magique et être autorisé à utiliser mon pouvoir pour avoir envie de faire valider chacun de mes biens ou recherche plus ou moins personnelle. De plus, même avec votre rang et le soutien de notre Grâce, jamais le précieux livre que vous avez offert n’aurait été autorisé à fonctionner entre les murs de la royauté. Vous trouverez ci-joint, un billet avec l’adresse exact de mon nouveau chez moi ainsi qu’une carte de la capitale pour la situer dedans et un plan de chez moi avec l’emplacement exact de votre livre. Si vous avez besoin de plus d’information pour comprendre que vous êtes prié de vous présenter dans les plus brefs délais afin de partager un thé et autre avec moi, veuillez prendre un service postal des plus rapide pour me l’informer. J’aurais besoin de votre aide pour un acte assez délicat et dont ne n’est confiance qu’en vous pour le réalisé.
Avec toute mon affection,
Uriah.
Je l’ai certes vouvoyé pendant toute ma lettre, mais c’est plus un jeu qu’autre chose. Une manière aussi de ne pas le tutoyer dans les courriers officiels et pouvoir faire croire à du favoritisme. Me relisant une dernière fois j’ajoute quelques dessins dans les coins de la lettre comme pour l’enjoliver. Quelques montagnes et forêts, une rivière et les prémisses de quelques habitations. Une fois fait je laisse l’encre séchée tranquillement avant de préparé l’enveloppe avec soin et la sceller de mon cachet de cire. Un domestique vient presque à l’instant quand je fis résonné le son d’une douce clochette, sans même avoir besoin donner la moindre indication, l’habitude, le courrier fut pris et livré, plus qu’attendre que cela arrive à son bon destinataire. Tout en pensant à cela je caresse doucement la couverture du livre qu’Ebrahim m’a fourni qui est bien en place dans le coin droit de mon bureau de travail. Comme si je pouvais le mettre ailleurs pour le moment.
Le silence tombe sur la tour, et il retourne à ses affaires. Uriah veut le voir aussi tôt que possible, ceci était au moins clair. Mais le fait qu'il ait expressément besoin de lui, et de personne d'autre ? Cela ne pouvait qu'attirer sa curiosité autant que flatter son ego. Il prépare sa sacoche pour son trajet, place son écu dans son dos et son épée à sa ceinture, sans oublier le nouveau livre qu'il compte offrir à son ami. Il le glissera dans sa bibliothèque quand il aura le dos tourné, comme d'habitude.
Et c'est ainsi que le Gouverneur commence son petit rituel : il ouvre le bon livre, en lit le premier paragraphe, et se retrouve à jouer les Cyrano pour aider les personnages principaux à se mettre en couple. Il avait relu le livre deux fois pour se préparer, et n'eut donc aucun mal à en clore l'histoire.
C'est ainsi qu'il apparut dans ce qui semblait être les nouveaux appartements de ce cher Uriah. Il fit craquer sa nuque, pensant d'abord être seul, avant de remarquer la chevelure écarlate du ministre dans sa vision périphérique.
EBRAHIM – Oh, tu es là. J'espère que l'attente n'a pas été trop longue.
Il sourit comme un chat qui dort sous un rayon de soleil, ne cachant absolument pas qu'il n'était même pas un quart de désolé. C'était leur petit jeu, de se dire les choses à moitié, comme pour les exprimer deux fois plus fort. L'un écrivait par besoin, l'autre par passion. Les deux concepts ne sont-ils pas interchangeables, quelque part ?
EBRAHIM - Comment vas-tu ? Je suis désolé que tu aies dû déménager une deuxième fois... Mais pour être honnête, je suis heureux de pouvoir te rendre visite plus facilement.
Il trouve rapidement ses repères dans le nouveau bureau d'Uriah, et a déjà décidé de sa nouvelle place préférée : il s'appuie sur le bord du bureau, après avoir fait attention à ne pas écraser de documents importants. Il balaie du regard les dossiers et les ouvrages qui traînent, avant de plonger ses yeux d'ambres dans ceux d'acajou de cet ami qui lui a tant manqué, en si peu de temps.
EBRAHIM – Que puis-je faire pour toi, maintenant que je suis là ? (Il désigne du regard l'oeuf qui repose dans un coin) Tu comptes déjà me remplacer ? Je suis peiné...
D'un geste du doigt, il fait semblant d'essuyer une larme fictive pour mieux faire passer inaperçu son clin d’œil. A vrai dire, c'était peut-être une bonne chose que le roux investisse dans un familier, ou même plusieurs : il n'était peut-être pas réputé pour son goût pour la compagnie humaine, mais les animaux ne l'avaient jamais vraiment dérangé.
Au final, j’ai fait ce que je sais le mieux faire pour ne plus penser à cet ingrat bien trop lent à mon goût. Ce n’est pas comme s’il ne savait pas que j’étais tout sauf un modèle de patience quant à nos entrevues. Entre un énième rapport sur un nouveau pensionnaire du conservatoire de magie et un parlant de la législation magique dans l’enceinte même du palais, tout cela avec quelques maux de tête suite à la lecture de plainte sur une taxe désuète qui était encore appliquée dans certain village par rapport à la possession d’objet magique dans des familles nombreuses avec un nombre pair d’enfants de sexe féminin, franchement qui a fait cette taxe là et dans quelle optique ? Bref, entre tout cela, le plus naturellement du monde je ne fais plus vraiment attention au bouquin qui trône dans mon bureau et qui a été le centre de mon attention ces derniers temps.
Voilà, c’est toujours quand j’arrête de vraiment l’attendre de pied ferme qu’il décide d’arriver. Sa voix titille mes tympans et je lève les yeux vers lui. Il a toujours cette attitude complètement décontractée, nonchalante avec toujours le mot pour rire ou faire sa victime, voir les deux dans ce cas là. Au moins, c’est un équilibre d’attitude assez spécifique pour que je ne le confonde avec personne d’autre. Un soupire las sort de ma bouche à ces questions et j’attrape une page vierge pour communiquer avec lui sur autre chose que mes documents officiels. Étrangement, aller savoir pourquoi, je doute que le conseil des ministres apprécies. Pas que cela m’aurait plu plus que cela de dévoilé mon intimité avec d’autre, mais au pire c’est que les documents n’avaient pas plus de valeur qu’une page blanche pour finir comme simple moyen de communication.
Tu as été long.
Pas de bonjour, pas de s’il va bien, pas de formalité. Ça c’est pour les autres, enfin c’est pour lui plutôt. Avec lui pas besoin de faire de rond de jambe, de faux semblant ou d’effort pour paraitre polis par message. Pas que je serai insultant, mais l’un devant l’autre ce n’est plus la même chose que par lettre. Reprenant à nouveau le papier j’écris la suite sans aucune hésitation, hésitant quelque instant à lui proposer dans mes prochains mots couchés sur le papier de prendre un siège. Il est bien sur mon bureau, au moins il n’écrase rien et est assez proche pour me lire sans avoir besoin que j’écrive plus gros ou bien qu’il plisse les yeux de manière stupide.
Il n’y a rien dans Cyrano qui explique de pourquoi tu as pris le temps de mettre ton armure.
C’est plus un constat qu’autre chose. Souvent, je ne comprends pas les manières qu’il met dans tel ou tel acte. Si encore, mettons, c’était un livre avec combat, danger de mort ou quelque chose d’héroïque à faire, j’aurais compris, mais vraiment, pour Cyrano ? Il change quelque chose à l’histoire pour arriver ainsi ? Parfois, je me dis que j’aimerais bien vivre ces voyages avec lui pour mieux comprendre ces péripéties quand il utilise son pouvoir. Ça me semblera peut-être moins ridicule, mais j’ai comme un doute sur le sujet tout de même.
À quel moment es-tu désolé que cela soit plus pratique pour toi que j’ai déménagé ? Sinon, pour répondre à ta question, je vais aussi bien que je peux aller avec une logique de défense du palais aux fraises niveau magie.
Rien ne va de mon point de vue. Bon, il y a certainement beaucoup de sel à cause de tout le cirque de mon arrivée ou encore pour mon tatouage me permettant de faire de la magie sur place. J’ai presque cru que j’allais devoir prendre un Dumctopus de bain pour avoir le droit d’utiliser ma magie. C’est d’un ridicule à souhait, même si je comprends la sécurité mise en place pour que tout aille pour le mieux pour la protection royale. Bien entendu, bien entendu, j’ai compris ce qui est derrière les mots d’Ebrahim, encore heureux, mais râler est tellement plus simple que de simplement prendre sa présence pour le réconfort qu’elle offre vraiment. Il sait, comme je sais, c’est un jeu qu’on fait à deux depuis bien longtemps. Mes yeux se posent à nouveau sur l’œuf et cela me fait rouler les yeux avec un petit sourire en coin malicieux.
Comme si tu étais remplaçable. Rends-toi et prononce ça plutôt à haute voix pour moi : Gecko.
Ce nom ira bien pour ce petit. Cela sera pour le mieux et avoir la voix de mon meilleur ami pour le faire naître est un peu comme l’avoir avec moi dans le lien de familier qui va se créer. Une très bonne chose, surtout pour une créature comme un Shupon. J’en profite pour utiliser mon pouvoir pour faire le signal au serviteur de venir servir le thé et un plateau pour un invité. Vraiment, avoir plus ou moins dressé le personnel à comprendre parfaitement mes sons est tellement plus pratique pour la vie de tous les jours. Heureusement que la plupart de ce que j’avais à Forteresse ont accepté de faire le voyage à la Capitale avec ma mutation. Il y a une rumeur qui court sur la Première Ministre qui a fini chez lui, mais j’ai comme un doute qu’il l’aurait invité directement dans sa demeure, au pire c’est qu’il devait savoir ce qu’il faisait s’il avait agi ainsi. Je tapote plusieurs fois ma plume contre ma feuille pour la suite des mots, je n’ai aucune envie de ressembler à une femme possessive en lui posant une question sur la visite de cette dame importante, mais en même temps ma curiosité me taraude, surtout que j’ai aussi appris qu’il avait enfin nommé une nouvelle personne à la tête de la garnison de la Forteresse, ce n’est pas trop tôt si on veut mon avis.
La Forteresse me manque. Parle-moi des nouveautés qui se préparent là-bas.
Plus simple efficace. Au moins avec cela je suis certain que toutes mes interrogations seront nourries, peut-être pas assez, mais il y aura quelque chose à me mettre sous la dent. Puis, à demi-mot, c’est un peu lui dire aussi que mon travail avec lui me manque, a lui de faire tous les liens sans avoir besoin de plus. Comme si on avait besoin de plus de manière générale. Il n’est, en soi, qu’à une histoire de distance si on y regarde bien.
EBRAHIM (taquin) – Je me suis un peu trop fait désirer, peut-être ? Je dois bien avoir assez d'histoires à te raconter pour t'amuser, et me faire pardonner. Qu'est-ce qu'un écart de plus ou de moins entre amis ?
Il se redresse, et s'écarte pour tirer le livre dont il vient de s'extirper d'une bibliothèque bien rangée. C'est le moment parfait pour glisser une nouvelle addition dans les rayonnages qui lui sont dédiés. Voilà qui devrait plaire à Uriah – ou au moins le faire assez grogner pour qu'Ebrahim s'en amuse, ce qui revient au même à ses yeux. Comme s'il le connaissait par cœur, et peut-être que c'est un peu le cas à ce stade, il trouve immédiatement la page qu'il cherchait, et glisse l'ouvrage ouvert sous les yeux du ministre.
EBRAHIM – Tu as entièrement raison, mais je te rappelle que ce n'est qu'une pâle copie de Cyrano, justement. Tu vois cette note de bas de page ? Dans certaines versions de la pièce, le héros doit se battre en duel sous le balcon avec la personne qui l'aide, c'est à dire moi, et être trahi au combat, laissé pour mort par un ami censé l'aider, afin que sa dulcinée se précipite à son secours... (Il reprend son souffle, visiblement emporté dans son monologue.) Et même si j'ai bien fait attention à ce que nous possédions tous deux une version bien moins dramatique de cette belle histoire d'amour, il suffit d'un imprévu pour que je me retrouve dans une situation bien embêtante. Quoiqu'il en soit, je n'aurais laissé aucun obstacle m'arrêter en chemin pour venir te rendre visite !
Il s'interrompt, comme pris par une réflexion intéressante. C'est vrai qu'il était à la capitale, et qu'il avait un pari à relever après avoir perdu aux cartes contre un ingénieur... Il jette un bref regard à Uriah, avant de se diriger vers la fenêtre pour l'ouvrir en grand et y passer tout le haut de son corps.
EBRAHIM (hurlant) – PEUPLE DE LA CAPITALE ! L'ARENE D'ARYON OUVRIRA BIENTOT SES PORTES ! (Il revient à l'intérieur et referme la fenêtre comme si de rien n'était, pour faire un grand sourire à son ami) C'était pour tester l'acoustique. Pas mal !
Quel beau mensonge. Bref, après avoir monologué et fait son intéressant, il se rend compte qu'Uriah lui avait écrit deux messages pendant ce temps. D'abord, il semblait bien agacé de son déménagement, ensuite, il semblait vouloir lui faire prononcer un mot... Genka ? Non, c'est un O. Ebrahim plisse les yeux, puis incline la tête, perplexe. Vraiment ?
EBRAHIM – Genko ?
Ce n'était pas à lui de juger les choix de nom de son ami, loin de là, mais celui-ci lui semblait un peu douteux. En fait, le N ressemblait même un peu à un C. Mais il était sûr d'avoir lu correctement : en même temps, y avait-il vraiment un moment qui passe sans qu'il ne soit parfaitement sûr de lui ?
EBRAHIM – Ravi de pouvoir aider. La Forteresse est bien vide sans toi, mais elle est toujours aussi animée ! J'aurai besoin d'une lettre de ta part sur le planeur, j'ai vu la première ministre il n'y a pas longtemps et elle a proposé une histoire d'orbes de vent... Tu as vu les plans, et j'imagine que tu sais déjà ce que j'en pense. Quoi d'autre ? Il y a un jeune forgeron dans les montagnes qui fait parler de lui, de plus en plus d'aventuriers qui vont chercher des herbes blanches, la fille de notre précepteur d'histoire a eu des triplés...
Il s'interrompt avant de se perdre dans un autre monologue. Ce serait embêtant qu'Uriah fasse de même, et qu'il doive lire des dissertations entières pour pouvoir lui répondre ensuite, quelque part.
Pas important, j’écoute son explication sur son armure et roule à nouveau des yeux. Je l’ai lu ce livre mon ami. Plein de fois pour tenter de comprendre tes voyages. Pour simplement tenter d’imaginer aussi ce que cela pouvait faire de le traverser avec toi. Avec l’espoir stupide, alors que je sais que cela ne change rien au récit, de te voir interagir dans certaine des âges que je pourrais lire à nouveau. Alors, je t’assure mon grand, il n’y a aucun moment besoin d’armure, même avec le duel factice dont tu parles. Est-ce que le lui dire changera vraiment quelque chose à la conversation ? Non. On ne fera que tourner en rond et j’ai tout sauf besoin de cela. Nous n’avons pas besoin de cela.
Je hausse un sourcil des plus songeur quand je le vois hurler à ma fenêtre, quelque chose qui n’est pas dans les annonces à faire à ma fenêtre en plus, avant de me dire que c’était pour tester l’acoustique. Je décide de le croire sur parole. Il y a peut-être une raison qui m’échappe totalement, mais je n’ai aucune envie d’avoir un mal de crâne à tenter de comprendre cela. J’ai déjà assez de mal avec ces actions dites rationnelles pour ne pas me pencher sur le reste.
Laissons donc faire et attendons déjà qu’il réalise ce que je lui demande. Ah ! Genko ? Oh ! S’il préfère cela pour le familier, pourquoi pas, cela ira très bien aussi. J’utilise bien sa voix prochainement, utiliser une variante de ce que je voulais donner ne me dérange pas. C’est un peu un mélange de tout les deux du coup. J’enregistre bien le nom et la laisse finir de parler avant d’agir. Il est impoli de lui couper la parole, surtout quand il répond à mes questions, pour d’autres raisons c’est négociable. Je fronce les sourcils à l’évocation des orbes de vent avant de reprendre une feuille pour commencer à lui écrire ma réponse.
Les orbes ne vont pas avec ce que souhaite faire ton ingénieur, n’est-ce pas ? Tout l’intérêt du planeur est d’être complètement sans magie pour ne pas entrer en possible interférence avec la magie des utilisateurs et en plus réduire les couts de fabrication et ainsi le rendre plus accessible à ceux en ayant vraiment besoin. C’était bien ce qu’on avait eu comme conclusion, je ne me trompe pas de projet ?
Je suis certain de ne pas me tromper de projet. Un avancé qui serait magnifique pour la garde, les aventuriers ou même pas mal de citoyens. Notre Première Ministre semble oublier que beaucoup d’objets magiques ne sont pas dans le budget de tout ceux en ayant besoin. Combien de famille se retrouve avec six enfants parce que la bague contre-mouflet semble trop chère par rapport à un nouveau repas chaud ?
Je vais te faire un papier officiel et une missive pour demander à un enchanteur de donner un avis pour une possible amélioration future. Si cela l’amuse d’avoir des modèles avec cela ajouter, offrons-lui au moins une étude sur cela. Déjà elle n’a pas craché sujet le projet de base, c’est un bon début.
Aussitôt écrit, aussitôt je me mets à écrire rapidement une missive pour un enchanteur, ainsi qu’une lettre officielle à Ebrahim assurant la mise à disposition d’un enchanteur pour le projet d’orbe de vent.
Débrouille-toi avec ton frère pour la suite. J’enverrais une lettre de condoléances à notre précepteur d’histoire.
Après avoir eu deux fois des jumeaux, la voilà avec des triplés. Une famille un peu trop nombreuse. Cette femme a eu le ventre beaucoup trop rempli. Aller voir un guérisseur pour lui retirer ses organes reproducteurs ne serait peut-être pas plus mal ou une bague contre-mouflet. Bon courage aux grands-parents. Je préfère penser à cela qu’à sentir mon égo gonflé d’orgueil à l’évocation que ma présence manque à Forteresse.
J’ai entendu des rumeurs de nouveau Capitaine enfin nommé. Bientôt un entretient pour toi ou est-ce déjà arrivé ?
Tout en écrivant cela, je me tourne enfin à nouveau vers l’œuf de familier et le prends en main. Maintenant que j’ai un moyen de nommé ce futur familier, autant le faire. Aussi naturellement que je respire, je choisis mon son, la voix d’Ebrahim est tellement familière que presque j’aurais pu créer ce son de toute pièce en mettant bout à bout des morceaux de ces phrases, mais cela n’aurait pas eu le même charme.
— Genko ?
Il y a même l’intonation de l’interrogation dans la voix, mais on fera avec. La coquille se fendille presque immédiatement et il y a une certaine fierté de voir que ma magie a su nommer mon familier aussi bien qu’aurait pu le faire une voix. Je tourne la tête vers Ebrahim avec un sourire entendu aux lèvres. Une façon de dire merci et de l’invité à viendra voir la petite créature qui est entrain de sortit de sa coquille en s’emmêlant dans ces propres membres. Il va avoir, visiblement, besoin d’un temps d’adaptation.
Ebrahim hausse les épaules en poussant un râle dépité. S'il s'était tenu à carreaux devant l'éminente Dame du Lys, bien des masques tombaient pour Sire Orlin. Il avait le talent de lire en lui comme dans un livre ouvert, et le gouverneur savait qu'il n'avait pas besoin de rajouter le moindre commentaire pour être compris.
Deuxième, troisième, et dernière réponse.
Il ne s'en rend pas compte, mais son nez marqué de rouge précédemment froncé se contracte légèrement, et son visage se détend complètement. Qu'est-ce que c'est pratique d'avoir un ami haut placé ! Surtout si compréhensif et accommodant. Il n'y a pas à dire, il fait bon de bien gérer ses relations sociales. Seraient-elles aussi solides par la suite ? Lucy nous le dira.
EBRAHIM – Merci. Tu m'ôtes un véritable poids. Justement, je compte présenter le planeur au Capitaine de Brive à la première occasion. Le Génie du régiment est un de leurs meilleurs atouts, et je compte bien y faire valoir mes projets.
Et voilà que le rideau tombe. Ebrahim, d'abord taquin, puis enfantin, se retrouve enfin lui-même. Il n'est plus l'homme politique en visite, ni le faux ami de tous ceux qui veulent bien y croire. Il est le requin qui ne dort que d'un œil ; l'être d'ambition qu'il a toujours été.
Son regard hautain se pose sur le familier, puis revient à Uriah.
EBRAHIM – Content que ma voix te soit si utile. N'hésite pas si tu veux un autre échantillon.
Son ton est sec sans être hostile, et il s'assied avec précaution sur un tabouret, minuscule face à a la grandeur de ce gouverneur en armure. Heureusement, c'est un tabouret solide.
EBRAHIM (songeur) – Je crois que j'ai une nouvelle idée de pièce. Je t'enverrai un brouillon, je pense qu'elle devrait te plaire. Il va bien, ton... ton Genko ? Il a l'air un peu maladroit.
Est-ce cette touchante naissance, qui semble lui passer complètement au-dessus de la tête, qui l'inspire ? Ou est-ce simplement ce contexte de retrouvailles, ou encore leur discussion ? Ebrahim nous l'écrira.
EBRAHIM – A ton tour. Que se passe-t-il dans la vie de notre somptueux ministre de la magie ? A part le fait de s'être fait délocaliser du palais, bien sûr. (Il rit) Tu préfères que je t'envoie mes lettres à ton cabinet là-bas, ou ici ?
Lui ôter un poids des épaules a toujours été mon rôle à la Forteresse depuis qu’il a pris sa place de Gouverneur et même si ce rôle revient à quelqu’un d’autre il y a des habitudes qui restent. Le fait que cela soit un ami aussi. Surtout. Que ces projets ont toujours su titiller ma curiosité aide encore plus. Il y a une certaine excitation qui me prend à chaque fois qu’il parle des projets des ingénieurs et de comment faire évoluer la technologie. Même si j’aimerais un peu plus de technomagie que simplement technologie, cela n’est reste pas moins intéressant et impressionnant ce qui est possible sans magie. Est-ce que les gens se rendent compte de combien le fait de croire que si on bloque la magie tout va beaucoup mieux alors que ce n’est qu’un grain de sable dans les possibilités ? C’est aussi pour cela que la bulle anti-magie et son fonctionnement me font autant rouler des yeux.
C’est une bonne chose que le Génie du régiment reste dans ces contacts privilégiés et que ces derniers puissent donner vie à ce que beaucoup craignent sans vraiment savoir pourquoi. La magie est tout aussi destructrice et pourtant tout le monde l’utilise à outrance. Les mœurs ont tellement besoin de changer. D’évoluer. Parfois, je me demande si mettre une allocation pour former de nouveau ingénieur, comme celle pour former les enchanteurs du royaume ne serait pas une bonne idée.
Le petit familier vient gratter sa tête contre ma main en recherche visiblement de contact que je lui offre sans la moindre hésitation. Cette petite chose est supposée se nourrir d’affection et d’eau fraîche, pas trop dure d’entretien pour un premier familier dans un nouveau lieu. Je place l’animal sur mon épaule et il se roule en boule contre mon cou. Même si je ne le vois pas, je pourrais jurer qu’il défit Ebrahim du regard pour une raison qui m’échappe. Une fois Genko bien en place, j'attrape ma plume et continue la discussion. L’entendre parler est agréable, mais échanger est encore mieux tout de même.
Hâte de lire cette prochaine pièce. Est-ce que je peux en avoir le thème ou est-ce que tu préfères que j’aie la surprise en lisant ?
Les deux me conviennent, mais si j’avoue que je suis toujours un peu frustré quand je lis une de ces pièces sans savoir le thème de base et que quand on en discute j’y suis passé à côté. Après, je sais, cela fait aussi du travail de relecture pas un public qui ne doit pas savoir, mais me tromper n’est jamais agréable, même si je remets toujours la responsabilité sur notre cher Gouverneur. Il n’avait qu’à moins écrire entre les lignes parfois. Enfin, parfois c’est vrai que c’est bien mieux. Il ne finira pas en cavale pour outrage ainsi. Pas tout de suite en tout cas.
Genko est autant maladroit que toi en sortant des cuisses de ta mère et encore, il semble savoir marcher et savoir quand se tenir tranquille.
Une pique gratuite avec un sourire amusé à mes lèvres. Est-ce qu’il s’attendait à ce que l’animal lui fasse des tours de magie directement ? En plus celui-là n’en fait pas. Je le sens bouger dans mon cou et bouger un peu pour bouger ses ailes. Le mouvement me chatouille le cou et me fait réprimer un rire avant que le mouvement soit un peu plus fort et qu’il tente de voler pour un nouvel emplacement. Visiblement il tente de monter sur ma tête, mais se foire deux fois sur le bureau avant d’y arriver au troisième essai. Persévérant même s’il prend son temps.
Tu ne trouves pas qu’il te ressemble à préserver même quand tu chutes et reviens au point de départ ?
En tout cas, je trouve personnellement. Après, il n’y a pas mal de détails en ce moment qui me rappelle facilement la maison ou simplement des gens qui me sont chers. Cela doit être le propre de tout déménagement. Il faudra que je voyage un peu plus pour me faire plus d'idées sur la question et autre chose que mes courts séjours par-ci par-là dans le royaume pour voir tel ou tel noble ou fournisseur. Tout en pensant à cela, je commence à faire mon pavé pour ses dernières questions. Je tapote un moment la plume contre l’encrier en réfléchissant à quel filtre mettre ou non dans mes propos. Je lève les yeux vers Ebrahim avec de pouffer et décide que les filtres avec lui ça a toujours été inutile de toute manière pour nos conversations.
Ce n’est pas somptueux, pour le moment ma vie est plus remplie de paperasse que de recherche, je n’ai même pas eu trouvé les bordels du coin pour jouer tranquillement aux cartes. Dire que j’avais trouvé une auberge sur le chemin pour venir qui proposait cela avec même une magie assez intéressante sur un jeu de cartes, mais c’est un détail. Là pour faire la moindre magie, avec le moindre objet ou même par soi même dans le palais c’est un procédé tellement long et compliqué. Il sera moins long d’aller voir un enchanteur pour une scribouilleuse adaptée à mon mutisme que de la faire accepter pour être utilisé. Même tes livres pour venir, cela serait tellement chiant d’arriver à le faire passer là-bas. Continue à envoyer ta correspondance ici, je n’ai pas confiance en la garde royale ou leur service de sécurité pour ne pas lire mes missives. Je comprends la protection royale, mais il y a des détails de ma vie que je ne souhaite pas avoir dans leurs mains. Je me demande si je ne peux pas faire de ma demeure le lieu principal de mon activité, mais sachant que la Reine doit pouvoir venir régulièrement, je sais aussi que cela ne sera pas possible, pourtant c’est plus pratique pour étudier la magie directement ici. J’ai commencé des démarches pour faire construire un laboratoire juste à côté du palais pour travailler plus proche de celui-ci sans avec les soucis de la sphère anti-magie, quand cela sera terminé il faudra que tu visites à l’occasion. Je vais aussi recruter du nouveau personnel, mon garde du corps se mari bientôt même si un doute sur la durée de son mariage et ma secrétaire attend la personne qui prendra sa succession avant de repartir définitivement dans le Nord pour son fils, certain devrais apprendre à couper le cordon, mais c’est plus la frustration de perde du bon personnel qu’autre chose qui parle. Il y a tellement à faire que j’ai l’impression que je ne pourrais pas dormir avant plusieurs lunes pour arriver à faire tout ce que je souhaite.
Un soupir me prends en même temps que tends la missive à mon ami.
— Monsieur, il y a… oh ! Monsieur Anteros, bonjour. Hum… Je dirais à Kingfa d’attendre pour venir vous apporter les rapports qui sont arrivés. Je vais vous préparer un plateau de thé.
Je hoche la tête à l’intervention d’Ajorelle, vraiment une brave femme, dommage qu’elle parte bientôt pour son aventurier de fils. À la fin ici il ne me restera plus que Ricetta mon valet récupéré dans un bordel et Kingfa mon majordome plus ou moins récupéré suite à une mise de poker avec un autre noble. Il faudra peut-être que je récupère mon personnel de manière plus conventionnelle pour les prochains.
Comment leur faire comprendre ?
Absorbé par ses réflexions, il esquisse un sourire en lisant les comparaisons que son ami trace entre lui et son nouveau familier. C'est grotesque, de le comparer à une bestiole aussi mal faite – mais c'est touchant, et c'est de bonne guerre. Est-ce qu'il lui ressemble ? Son ego le refuse absolument, mais il acceptera la comparaison par bienveillance. Les familiers bien entraînés peuvent devenir très utiles, et nul doute que le ministre de la magie saura bien éduquer le sien.
Il profite qu'Uriah écrive pour essayer d'expliquer ce qu'il a en tête.
EBRAHIM – Je ne sais pas encore comment orienter l'histoire pour qu'elle touche le plus de monde possible... Ma dernière pièce a fait parler d'elle, mais pas dans les bons cercles. Je voudrais que le peuple comprenne tout ce que la technologie peut faire pour lui. La vraie, celle que tout le monde peut construire. Peut-être l'histoire d'un marchand... (Il cherche ses mots) Un marchand, qui part à l'aventure, et doit faire avec ce qu'il a pour survivre, sans utiliser de magie ? Construire sa propre carriole, l'améliorer après chaque obstacle, jusqu'à pouvoir se passer de chevaux de trait...
Le reste est perdu en marmonnements, comme souvent lorsqu'il pense à voix haute. Il ne s'interrompt que pour se lever et saisir la missive de son ami, et à peine est-il assis qu'ils sont interrompus.
EBRAHIM (souriant) – Bonjour, Ajorelle. Merci, vous êtes bien aimable.
Son sourire s'efface dès que la porte se ferme, et il se plonge dans la lecture de son ami. Les détails de ce déménagement l'intriguaient au plus haut point, bien qu'il ne soit que peu surpris face à une telle diatribe. Uriah avait toujours été caractériel, et il vivait comme un privilège le fait d'avoir le droit d'accéder à ses pensées les plus acides de la sorte. Après avoir fini de lire en silence, Ebrahim plie soigneusement la feuille de papier en deux.
EBRAHIM – Intéressant... Agim, mon cadet, connaît peut-être du personnel fiable qui cherche à changer d'employeur. N'hésite pas à lui faire appel. (Il passe son ongle sur la pliure pour la marquer plus profondément) Tout cela semble bien compliqué, mais tu finiras par surmonter ces brouilles – comme toujours. Tu ne serais pas arrivé jusque là si tu n'étais pas plein de ressources.
Il se lève pour déposer à nouveau la missive sur le bureau de son ami, et touche le Shupon du bout de son doigt ganté d'acier.
EBRAHIM (la voix plus douce) – Et puis, ce petit machin te changera les idées quand tu te sentiras débordé. Sur ce point, je veux bien admettre qu'il me ressemble.