Malgré ses efforts vestimentaires, sa proposition était tombée comme un soufflé mal cuit, la fille à l’accueil avait pris note de sa demande d’escorte, avait dit qu’elle devait la soumettre à qui de droit et qu’ensuite elle serait affichée « avec les autres » quêtes disponibles pour les aventuriers… Elle n’avait pas caché que ce type de demande n’intéressait que les débutants « pour se faire la main » ou les éclopés « le temps de se remettre en forme ».
Rageant, Rufus, puisqu’il était Rufus à cent pourcent aujourd’hui, ne pouvait s’empêcher de se dire que la fortune qu’il comptait faire voyager d’un point à un autre du royaume aurait été mieux protégée par une bande de frères jurés grassement payés que par ces … il ravala le terme injurieux… qui préféraient les missions hautes en couleur et spectaculaires que la protection d’un riche personnage chargé de ses trésors.
L’ennui, c’était qu’il pouvait difficilement voyager avec une bande de malfrats notoires, déjà que les aventuriers effrayaient parfois les clients… Arriver sur place avec des types recherchés par la Garde parfois depuis des années… Il sourit, ça aurait eu du sel, bon, repoussant l’idée il se convainquit de patienter, un peu… Avec ou sans escorte il ferait ce voyage, il n’allait pas rater une affaire juteuse juste parce qu’une bande de fainéants bureaucratiques voulait d’abord faire valider la mission, puis la faire inscrire sur un registre, puis on ne sait quoi.
Discourant intérieurement, il ne se rendait pas compte qu’il jouait avec l’une des « jumelles » ce qui tranchait furieusement avec son accoutrement de riche oisif. Toucher les lames l’avait toujours calmé, cette fois-ci n’y changerait rien.
Quand il avait été tiré de cette geôle puante où sa vertu était grandement menacée… Il sourit, enfin ce qui lui restait de vertu c’est-à-dire quasiment rien ? Il n’avait pas imaginé qu’être noble serait si compliqué. En fait, quand Petrus avait obtenu qu’on l’extirpe de ce cul de basse fosse, au motif qu’il était si jeune qu’on pouvait sans doute le sauver de la voie de perdition qu’il avait suivi jusqu’alors, il avait plutôt ri du vieil officier… Il fallait être juste et honnête. A aucun moment à cette époque il n’avait imaginé qu’il apprendrait un -vrai- métier et tenterait de se comporter comme un homme du monde. Il s’imaginait que cette « vertu » que le Garde voulait préserver l’intéressait au plus haut point et qu’il devrait payer cette liberté « offerte » par une séance de séduction… L’homme était âgé mais pas pourri, il en avait connu de pire et pour retrouver l’air pur et la liberté de mouvement était près à ça sans la moindre hésitation.
Tout à ses pensées, il sourit à nouveau, tout seul au milieu d’une rue calme bordée de maisons correctes bien que modestes. Au lieu de ça, Petrus avait eu l’air épouvanté qu’il ait pu se méprendre et lui avait assuré que son geste ne nécessitait pas de contreparties. Il croyait en lui ! Khôlshibilir, puisqu’il était à l’époque Khôlshibikir, Khôl le « fabuleux », était resté stupéfait… De sa courte vie, jamais personne ne lui avait offert quoi que ce soit, la liberté moins que tout autre chose, même les quignons de pain qui le nourrissaient enfant avaient dû être payés chers, le moindre bout de toit au-dessus de sa tête, le plus petit brin de paille sous son corps parfois épuisé… Il avait tout payé, en nature ou en boulot, n’importe comment et parfois si cher… Petrus était fou, il n’avait trouvé à ce moment-là que cette explication.
Mais non… Petrus était juste… bon. Le mot « bonté » ne faisait pas partie de son vocabulaire, encore maintenant, seul son père pouvait être qualifié de bon sans réserve.
Il pensait, pensait… et se trouva nez à nez avec un homme à peu près de son âge, très correctement vêtu quoique dans le style martial ? ou non, plutôt un aventurier… Un garde même sans son uniforme n’aurait pas eu ce maintien, il aurait été plus raide, encore plus coincé…
La rue était assez large pour deux, comment donc avait-il pu divaguer au point de barrer le passage d’un autre passant ? Il soupira, déçu d’avoir baissé cette garde légendaire, décidément, il s’amollissait, encore un peu et il aurait besoin d’escorte même pour aller chez son armurier ou son tailleur…
- Mes excuses, j’ai peur d’avoir été distrait
Il se décala pour laisser passer l’autre, non sans le détailler plus avant. Pouvait-il lui proposer du travail ? Comme ça ? Juste en le croisant… Non ! Pas Rufus McPhergus… Khôl s’y serait peu être essayé, encore que ce type parût désespérément HONNETE et donc aurait été chassé des pensées de cet individu qu’il était encore il y a peu… Etait-il autre d’ailleurs ? Ou Rufus ne faisait-il que « recouvrir » Khôl d’une apparence honorable ? De nouveau il sourit, cette fois-ci bien visiblement pour amadouer le bousculé au cas où il serait belliqueux ce qui ne semblait pas être… Mais parfois, l’eau dort bien et se réveille avec retard.
Se trompait-il ou l’homme était-il aussi distrait que lui ? Normalement, ses excuses et le pas de côté auraient du entraîner une réaction, qu’il soit bien éduqué ou pas ?
Le jeune homme ne broncha pas. Il était profondément endormi, calé contre un arbre, les bras croisés. Il avait la bouche légèrement ouverte, un filet de bave en descendant peu à peu. D'ici peu, cela atteindrait probablement sa tunique, qui prenait quelque peu peur de la situation.
*Mais c'est répugnant ! Chimère ! Réveille-le, je n'ai pas envie que cette absurde ignominie ne me termine dessus... Ah s'il te plait Chimère, fais quelque chose !*
*Et tu voudrais que je fasse quoi exactement ? Que je l'essuie et que ça me termine dessus à ta place ?*
Si quelqu'un avait pu entendre cette conversation silencieuse, il aurait pu distinguer sans aucun mal le malaise dans la réponse de la tunique.
*Euh... Non, évidemment, Chimère... Mais... euh... Tu dois bien pouvoir faire quelque chose, le réveiller ou... Je ne sais pas... Quelque chose enfin... Je ne vais pas être sal-*
*Salie par Ramar ?* la coupa l'écharpe de plumes blanches enroulée autour du cou du jeune homme.
*Je ne suis pas idiote, mais c'est ainsi que tu me considères apparemment, ou dois-je te rappeler que tu es collée à lui constamment, tout contre sa peau à certains endroits, même alors qu'il transpire d'effort ou de chaleur ?*
Ramar bougea alors un peu. Sa tête changea de côté tandis que son corps fit légèrement de même. Le filet de bave vint alors se coller à sa peau, sous son menton. Le soupir de soulagement de la tunique se fit entendre dans tous les esprits capables de l'entendre aux alentours, au grand damne de Chimère qui s'agaça quelque peu.
Le bout de l'écharpe s'éleva légèrement et frappa le visage endormi du jeune homme.
*RAMAR ! DEBOUT ESPECE DE FLEMMARD !*
Ce dernier ouvrit soudain les yeux, perdu et vaseux. L'écharpe se tut et reprit doucement sa place, en veillant bien à ne pas toucher le liquide visqueux collé sur la peau du pauvre ahuri. Il s'étira paresseusement avant de regarder autour de lui, histoire de se remettre les idées en place.
Il se trouvait à l'orée d'un bois assez peu dense, contre un arbre imposant, derrière une première lignée d'autres arbres du même genre. Là où il était, on ne pouvait le voir que si on le cherchait ou si on passait précisément dans la zone. La mémoire lui revint alors tandis qu'il reprenait ainsi ses esprits. Il était venu faire une sieste ici, caché dans le bois pour s'écarter du chemin et du bruit. Il avait fait un long trajet le matin et après avoir mangé dans une petite auberge sur le chemin, il s'était trouvé un peu épuisé. L'air était bon et apaisant, raison pour laquelle il avait voulu se reposer un peu avant d'arriver à la capitale, qu'on pouvait apercevoir de loin.
Ramar se releva, sentit quelque chose sur son visage et passa sa manche dessus pour tout essuyer négligemment. Un petit soupir de dégoût et des petits rires se firent entendre dans son esprit. Légèrement étonné, Ramar demanda :
- Pourquoi de telles réactions ? Il m'est arrivé quelque chose pendant mon sommeil ? Qu'est-ce que c'était ?
Il regarda sa manche pour essayer de comprendre mais ne comprit pas plus la situation.
*Ce n'est rien, Ramar, juste une petite blague entre nous. Ne t'inquiète pas. Continuons notre chemin maintenant que tu es réveillé.*
Le jeune homme haussa un sourcil, puis, résigné, se remit en marche en direction du chemin principal, vers la capitale.
En arrivant, une petite heure plus tard, à la capitale, Ramar se dirigea directement vers le marché après avoir passé la Garde. Certaines personnes remarquaient, sur son passage, que le jeune homme parlait tout seul. Ils le prenaient probablement pour un fou à parler ainsi, sans interlocuteur avéré. Il ne semblait pas non plus parler avec une pierre de communication ou grâce à un quelconque pouvoir qui serait similaire. Mais il en avait l'habitude et savait ignorer les regards et autres signes désapprobateurs sur son passage.
Il bataillait avec sa bourse dans sa besace pour en extirper quelques maigres cristaux.
- Allez, je ne vais pas tout utiliser ! Je veux seulement me trouver un bon livre à lire pour m'occuper le temps de trouver une aventure à mener...
Un vieil homme le regarde d'un mauvais œil alors qu'il passait à côté.
*J'aime bien quand tu fouilles mais attention à ne pas y aller trop fort, tu pourrais me déchirer, Ramar...*
Le jeune homme ne fit attention ni au vieil homme ni aux paroles de sa besace. Elle avait toujours la manie de dire des choses un peu évidentes de ce genre quand il fouillait dedans. Il finit par réussir à sortir la bourse du sac et à en extirper un petit cristal à l'aspect sombre.
*Ce que tu peux être brutal quand tu veux... Il ne t'en reste pas beaucoup, tu ferais mieux d'économiser gamin !*
- Je le sais bien, ne t'en fais pas. Ce sera mon seul achat en dehors de mes besoins.
Il s'aventura alors plus avant dans la ville à la recherche d'un bon livre pour plus tard. Il finit par se retrouver devant un étal bien fourni en ouvrages. Il y en avait énormément, des petits et fins, des grands mais plutôt minces... Certains étaient à la fois grands et épais, à tel point que la question de savoir si c'était des livres de lecture ou d'explication faillit le tourmenter quelques instants. Mais il savait ce dont il avait besoin : il lui fallait un livre avec une bonne histoire, mais qui soit en taille réduite. Un livre trop grand encombrerait trop sa besace et elle risquerait alors de le lui faire remarquer à nouveau...
La chance qu'il avait était que les livres, lorsqu'il les regardait avec curiosité, se résumaient en quelques mots dans son esprit, comme pour répondre à sa question muette. Ainsi, à chaque fois qu'il s'intéressait à un ouvrage, la voix de celui-ci résonnait dans sa tête afin qu'il sache de quoi ils traitaient.
*Le roseau plie mais ne cède qu'en cas de pépin. Mais attention, il ne faut pas troubler l'eau qui n'amasse pas mousse !*
Ramar haussa un sourcil, incrédule.
- Un recueil de poèmes un peu farfelus ? Non non, j'ai besoin d'une petite histoire, pour passer le temps...
Il se remit en quête du livre adéquat à ses besoins.
*Une jeune femme parcourt le monde pour retrouver sa famille, mais rapidement elle déchante la pauvre ! Et elle comprendra alors que c'est qu'à partir de deux qu'on commence à s'amuser. Enfin vous voyez quoi...*
La couverture de ce livre indiquait un titre évocateur : "La voyageuse insatisfaite". Le résumé comme le titre piquèrent la curiosité du jeune homme au vif. C'était certainement un récit un peu osé mais intéressant : il pourrait découvrir un peu plus ce qu'était la vie des gens moins étranges que lui, même dans leur intimité. Après tout, lui, chaque fois qu'il avait un moment intime, il n'était jamais seul dans son esprit : les objets partageaient souvent des paroles avec lui alors... La preuve en était la réplique amusée de Diolime, l'une de ses épées jumelles, à son côté.
*Ahah ! Elle a bien raison la demoiselle ! On ne commence vraiment à s'amuser qu'à partir de deux ! N'est-ce pas ma douce ?*
Son autre épée lui répondit alors, mais Ramar préféra ne rien répondre, comme tous les autres objets d'ailleurs.
*Oh si Diolime, c'est vrai qu'on s'amuse plus tous les deux quand Ramar nous tire ensembles de nos fourreaux !*
Soupirant intérieurement, Ramar indiqua le livre au marchand, un homme maigrelet, la barbe en pointe et l’œil intelligent. Il lui tendit aussi son petit cristal lorsque le vendeur lui annonça le prix. Lorsque l'objet sombre changea de propriétaire, la bourse que ce dernier tenait dans sa main émit une petite plainte à son égard.
*Timeo libri rex agitur !*
Ramar, surprit, laissa échapper sa question, surprenant à son tour le marchand.
- Qu'est-ce qu'elle a dit ? Mince désolé, certains objets disent toujours des choses incompréhensibles, ça me fait toujours un drôle d'effet...
En voyant le visage circonspect du marchand, Ramar préféra se taire et partir. Il rangea le livre dans sa besace, la dernière souhaitant la bienvenue au premier, toute contente de l'accueillir en son sein. Sans y prêter trop attention, le jeune homme se dirigea alors vers la guilde des aventuriers. Il lui fallait un endroit où dormir et trouver un travail. Cela faisait beaucoup de nuits à dormir à la belle étoile durant le mois dernier et un peu de confort ne serait pas de trop. Et puis il avait soif d'occupations. Il adorait faire les petits travaux que d'autres trouvaient barbants, comme rechercher un animal ou même un objet, ou encore surveiller des zones voire des gens. Avec sa capacité, ces travaux étaient simples pour lui et enrichissants.
Il tourna dans un quartier plutôt modeste mais joli à traverser. Les maisons étaient assez collées les unes aux autres mais parfois une petite ruelle les séparait. Cela posait une petite ambiance chaleureuse qui lui rappelait son village. Les toits étaient plus ou moins similaires et surtout accessibles à qui savait grimper un peu. Nostalgique, il en montra un du doigt.
- Tu te rappelles, Chimère ? C'est sur un toit de ce style que je t'ai récupérée, au début...
La voix de son écharpe résonna en réponse dans sa tête, gentiment.
*Oui Ramar, c'est vrai, même s'il y avait bien plus de vent et de neige.*
Avec un grand sourire emprunt d'une certaine émotion, le jeune homme reprit sa route. Il ne cessa pas de décortiquer du regard les alentours. De temps en temps, certains éléments se mettaient à parler, le faisant sourire. D'autres le faisaient plutôt frissonner, bien que cela fasse rire Diolime, son épée à la voix masculine.
*Bonjour, ô belle poignée, je te trouve très en beauté aujourd'hui, toute douce, avec tes jolies courbes...*
Ramar, le visage stupéfait, comprit que la voix très gravement masculine venait du heurtoir d'une des maisons. Il représentait une main puissante ornée de bagues opulentes. La poignée à qui il semblait adresser ses paroles était bien étonnamment plus délicate et modeste en terme d'opulence, mais son aspect simple et incurvé semblait plaire au heurtoir. A sa grande surprise, cependant, le jeune homme entendit une voix toute aussi grave et masculine répondre en hurlant à l'autre objet.
*MAIS VOUS N'ETES PAS MORT, ESPECE DE CONNARD ?!*
Chimère éclata de rire dans l'esprit du jeune homme, suivie par Diolime, Nolune et quelques autres. Il ne put s'empêcher de rire aussi mais en prenant bien soin de s'éloigner du lieu, quelque peu effrayé par ce à quoi ils venaient d'assister tout de même.
- C'est fou comme certains d'entre vous peuvent être effrayants au premier abord... Ils sont pires que les humains parfois, et encore plus surprenants !
*Comment ça on peut être effrayants ? Ne nous compare pas à ces nouveaux ! Cela fait bien longtemps qu'on te connait et jamais nous n'avons été, même au début, effrayants ou pires que vous. C'est compris ?*
Ramar ravala sa réplique et acquiesça gentiment. Chimère pouvait parfois être plus effrayante encore, mais elle ne semblait pas s'en rendre compte. Mais ce n'était pas la seule. Chacun des objets qui l'accompagnaient était un peu étrange chacun en leur sens. Il suffisait de se rappeler les échanges qu'il avait eus avec plusieurs d'entre eux depuis son réveil un peu plus tôt pour s'en apercevoir.
- Oui, Chimère, tu as raison. Mais vous êtes surtout surprenants dans le bon sens du terme, rassure-toi.
Il voulait la rassurer et baissa la tête pour lui sourire directement. Mais la voix de son écharpe s'imposa à lui subitement, sans qu'il ait le temps de vraiment réagir.
*ATTENTI-*
Il s'arrêta de marcher aussi vite qu'il put avec son temps de réaction et se retrouva nez à nez avec un autre homme, très richement vêtu, peut-être même un peu trop à dire vrai. Il avait les cheveux d'une couleur bien singulière, violets, longs mais bien attachés, difficilement attachés même. Il brillait en outre d'un peu partout, surtout de sa ceinture étincelante de nombreux joyaux.
L'homme s'était aussi arrêté net.
- Mes excuses, j’ai peur d’avoir été distrait
Il s'écarta d'un pas, marqua un temps un peu long à l'observer, comme pour le jauger, pensa Ramar, puis lui sourit avec une certaine insistance. Le jeune homme se sentit alors mal à l'aise, on ne le détaillait pas souvent aussi directement et il ne put vraiment réagir de suite, tant la situation l’embarrassait...
*Si tu veux, on le découpe le bonhomme, t'as juste à nous tirer !*
*Tout va bien, Ramar ? Il faut que tu réagisses, je ne crois pas que vous vous soyez fait mal ni qu'il te veuille du mal, sinon la bourse ou la besace aurait déjà réagi.*
Le jeune homme reprit alors contenance. Il sentit l'excitation de Diolime, totalement injustifiée, et l'inquiétude ainsi que la sollicitude de son écharpe à plumes blanches. Il tapota alors gentiment sur le manche de Diolime, à son côté, avant de répondre en balayant du regard de son épée à l'homme qui lui faisait face, souriant lui aussi alors.
- Mais non, mais non, ce n'est rien. Merci oui je vais bien, mais je pense que le sieur ici présent va bien aussi.
Il lui tendit la main assurément, celle-là même qui venait de tapoter Diolime. Il espérait ainsi lui montrer qu'il ne la tirerait pas pour créer des problèmes ou autre. Il se rendit aussitôt compte qu'il avait parlé de l'homme en face de lui juste devant lui sans s'y adresser directement. Il s'empressa donc d'ajouter :
- Je suis vraiment désolé, si vous avez été distrait je l'étais tout autant, comme vous pouvez le voir. C'est donc autant ma faute. J'ai juste été un peu surpris.
Comme pour effacer tout potentiel malentendu, il changea alors de sujet afin d'essayer de montrer à son interlocuteur qu'il pouvait lui faire confiance.
- Je me présente, je suis Ramar Aldor, aventurier. Je me dirigeais justement vers la guilde car je viens d'arriver à la capitale. Et vous ?
*C'est bien ça, Ramar ! Ce n'est pas souvent que tu agis aussi socialement avec un inconnu, je suis fier de toi !*
Les paroles de Chimère lui chauffèrent le cœur mais avant qu'il ait pu réagir de quelque manière que ce fut, il entendit dans son esprit un soupir puissant de mécontentement venant de Diolime.
*Tss ! Ce n'est vraiment pas amusant là !*
Par réflexe et avant qu'il ne s’aperçoive de ce qu'il faisait, Ramar tourna la tête vers lui en fronçant les sourcils. Puis il se reprit aussitôt, espérant que l'inconnu n'ait pas vu ceci, sans quoi il ne serait au pire qu'un de plus le prenant pour un fou...
Le type avait l’air étrange, à qui donc avait-il parlé juste avant ? Rufus/Khôl regarda autour de lui, cherchant éventuellement un familier de petite taille ou un autre personnage dissimulé à sa vue… Non ? Bon, après tout, peut-être était-ce une âme artificielle ? Il n’avait croisé ces étrangetés que très récemment, la plupart des nobles semblaient apprécier d’avoir avec eux un objet animé, bien que vu la fréquence du phénomène, la mode ait dû en être déjà passée… Donc pas la peine de se charger d’un truc qui parle et qui risque d’être indiscret.
Le jeune homme avait vis-à-vis de la magie une réaction mitigée… A n’en pas douter, son pouvoir était un concentré très utile de magie ! Et il remerciait Lucy de l’avoir doté de celui-ci et pas d’un truc stupide du genre « vérifier la présence d’un truc entre les jambes du mec en face », encore que… vu l’apparence de certaines femmes, ça pourrait aussi avoir son utilité. Il chassa cette pensée oisive en se disant qu’une femme reste une femme, avec ou sans barbe, et qu’après tout, toutes les expériences ont du sel.
Revenant au gars, il secoua tous les parasites de son cerveau, il se présentait ! Enfin Khôl, enfin Rufus ! Quand un mec te dit son nom, on répond. Il tendit donc la main et serra celle qu’on lui tendait, non sans grimacer légèrement de douleur… Quand donc pourrait-on tendre la main gauche pour saluer ?
- K’ Rufus McPhergus, j’en sors de votre guilde ! Des bureaucrates ! Ils ont classé ma demande sous un mètre de suspens… J’ai besoin d’une escorte la semaine prochaine pas pour le prochain solstice !
Il avait ravalé le K juste à temps, l’aventurier paraissant assez distrait ne l’avait peut-être pas entendu ? Et puis sinon, à quoi bon s’en faire, juste, il fallait qu’il apprenne à être Rufus en permanence, du moins en plein jour et dans des lieux ouverts à toutes les populations.
- Chercheriez-vous un emploi ? Dommage que vous n’ayez pas le pouvoir d’inverser les priorités de vos scribouilleurs… Enfin ? Vous ne l’avez pas je suppose ? Je suis joaillier voyez-vous, je transporte parfois des valeurs, ça ne nécessite pas une assignation de la Garde, ce sont des affaires privées, mais face à un groupe de brigands même en sachant me battre, je ne ferais pas le poids. Comment voulez-vous que je prévoie tous mes voyages un mois ou deux à l’avance ? Ces gens là sont invraisemblables, un véritable frein aux affaires ! Je ne vais pas dire à mes clients : attendez un trimestre, la Guilde a du retard…
Il devait se calmer, la marche l’avait un peu soulagé mais revoir cette hôtesse déplaisante et méprisante ! Même pas jolie à regarder en plus… Peut-être était-ce d’ailleurs la cause de son impolitesse ? les femmes laides sont parfois pleines de rancœur, il aurait dû s’y prendre autrement, la flatter… Non, il avait été trop « Rufus » pour le coup. A n’en pas douter, il y a quelques années, il aurait eu son escorte sur le champ avec en plus un rabais.
Il soupira. Observant son interlocuteur, il s’amusa à chercher quel objet pouvait avoir été doté d’une âme artificielle… L’épée ? C’est pour ça qu’il la tripotait sans cesse ? Une épée belliqueuse et pressée d’en découdre ? A tout bien considérer, peut-être les jumelles seraient-elles avantagées par une âme chacune ? A condition qu’elles ne passent pas leur temps à se défier l’une l’autre…
Il revint à sa première idée, les objets n’étaient pas pourvus d’âme, s’ils ne l’étaient pas, c’est que Lucy dans sa grande sagesse n’avait pas jugé bon qu’ils le soient. En tout cas, puisque ce type était aventurier, autant se le mettre dans la poche, ça ne ferait probablement pas bouger leurs gratte-papiers mais qui sait ? Il ne cracherait peut-être pas sur des missions… enfin, moins officielles ?
- Puis-je me faire pardonner ? Il y a une taverne qui a l’air sympa un peu plus haut, pas trop loin de la Guilde, vous y retrouverez peut-être des connaissances ? Je vous offre un verre ?
Voilà, premier pas fait, il faut toujours avoir un œil chez le concurrent ou le prestataire de service, il s’agissait de savoir si ce type serait le bon… Joignant le geste à la parole, il se retourna à demi et montra, assez loin, l’enseigne d’une taverne qui battait au vent. Iraient-ils ? Lui de toute façon sentait le besoin de boire un truc fort et corsé…
* C'est un nom bien difficile ça, "Krufus"...* dit Nolune, l'épée la plus basse à la voix de jeune femme de l'aventurier.
*Ah ça c'est sûr ! Mais vu comment il est habillé le corniaud...!* répondit Diolime, son autre épée, accrochée un peu plus haut sur son côté.
*Mais c'est fou ça, fermez-là vous deux ! Laissez Ramar en placer une ! Regardez, le "Krufus", ou quelque soit son nom, est en train de parler !* rétorqua sèchement Chimère.
Ramar ne laissa rien paraître de ce que ses objets avaient dit. Il avait écouté bien diligemment la présentation, certes au nom bizarre, de l'inconnu richement vêtu, mais aussi et surtout sa complainte à propos de la Guide et son administration. Il fronça les sourcils sous le coup de la réflexion.
Il était étrange que l'homme ait été aussi mal reçu, surtout pour une simple mission d'escorte. Malheureusement, il ne pourrait y faire grand chose, encore que... Il répondit alors, une idée lui traversant l'esprit.
- Enchanté, Krufus, ou Monsieur McPhergus, je ne sais pas comment vous souhaitez que je vous appelle. Mais pour la Guilde et votre requête, je ne suis ni un Saphir ni de l'administration, mais il est possible que j'aille voir cette dernière afin de me proposer pour la mission, tout simplement. Je ne sais pas si on me laissera partir seul en tant qu'escorte, je ne me suis pas encore forgé une grande réputation, mais je suis un bon combattant, et j'ai quelques...
Ramar hésita un peu mais ce fut la voix déterminée de Diolime qui le décida.
*Il n'est pas si mal finalement ! Une mission d'escorte, c'est très bien ça, et ça pourra nous faire un peu d'entraînement au pire !*
*Tant que le trajet n'est pas trop long et accidenté...*
La réplique de sa chaussure droite fit sourire le jeune homme alors que Rufus l'invita à se faire pardonner en lui offrant un verre dans une taverne proche de la Guilde. Ramar répondit aussitôt avec entrain et sans se cacher plus, aussi décidé qu'il l'était désormais. Il voulait un peu d'action. Il n'avait pas acheté un livre pour le lire d'une seule traite, après tout, mais pour s'occuper lors des pauses entre deux missions !
- Avec joie ! Je vous en prie.
Le jeune aventurier emboîta le pas du joaillier et tandis qu'ils se dirigèrent vers la taverne, il en profita pour lui donner plus de détails, afin de le rassurer, ou de le convaincre.
- A vrai dire, j'ai un pouvoir plutôt utile pour repérer les mauvais coups : les objets me parlent. Vous pouvez décider de me croire ou non. Toujours est-il que les missions simples le sont d'autant plus pour moi, tant que ça ne demande pas des compétences offensivement supérieures à du combat purement physique. Donc à moins que votre escorte doive passer par une attaque massive, je devrai pouvoir être utile. Et il est vrai, ma foi, que je suis à la capitale pour faire des missions, donc votre proposition de mission tombe à pic !
Ils entrèrent dans la taverne et Ramar se laissa guider à une table. Alors qu'il s'asseyait, il sortit de sa besace, qui ne dit rien, pour une fois, sa chope personnelle. Cette dernière fit son propre commentaire cependant, elle avait une voix masculine très amicale, comme à son habitude.
*Ah bonjour Ramar ! Je vois qu'on va s'abreuver avec de la compagnie aujourd'hui, ça nous change, hein ?*
L'aventurier acquiesça discrètement de la tête pour lui répondre, avant de tendre le récipient vers le tavernier pour qu'il comprenne que sa commande devrait s'y tenir. Il s'excusa aussitôt auprès de Rufus, de peur que son geste soit vu comme irrespectueux.
- C'est juste que je ne peux pas boire dans un autre récipient que celui-ci. Cette chope m'est personnelle... du fait qu'elle puisse me parler... alors...
Il finit par se taire, prenant conscience que ce qu'il disait était vraiment très étrange pour quelqu'un d'autre. Mieux valait ne pas aller plus loin sur le sujet. Il se reprit donc et changea de sujet, en parlant assez bas pour qu'on ne capte pas leur conversation aux alentours, au cas où.
- Je suis désolé que la Guilde ne se soit pas montrée plus coopérative avec vous. Je suis sûr qu'en me proposant, cela pourrait faire avancer la chose. Mais... Que devez-vous transporter et pourquoi avez-vous besoin d'une escorte ? Il y aura tant de valeur que vous êtes certain de vous faire attaquer ou n'est-ce qu'une précaution ?
Ramar se rendit compte qu'il se montrait peut-être trop curieux, il corrigea aussitôt.
- Excusez-moi pour les questions, je ne fais que m'informer pour jauger la mission en elle-même. D'ailleurs, avez-vous donné des détails de la mission à la Guilde tout à l'heure ?
Pour une fois, les objets de Ramar se turent. Il espérait, en un sens, que cela continuerait assez longtemps pour qu'il puisse finir sa conversation avec sa connaissance, mais dans un autre sens, il espérait que la conversation ne dure pas trop longtemps afin qu'il puisse réentendre leurs paroles. Il y était si habitué que l'absence de pensées inanimées le dérangeait un peu.
Lorsque le tavernier revint en apportant les breuvages, le jeune homme se saisit de sa chope et la remercia avant de proposer à Rufus de trinquer puis de boire quelques gorgées. Le récipient émit juste un petit rire amical alors.
Rufus sourit. Oui, il avait précisé. Ce n’était pas compliqué, il devait aller de la Capitale au Grand Port… Un trajet que la plupart des aventuriers avaient certainement fait des dizaines de fois au cours de leur vie…
Il répondit néanmoins à l’aventurier curieux, parce que ses demandes ne paraissaient pas illogiques.
« Je suis joaillier. C’est un métier qui vous fait manier des valeurs, des gemmes, des métaux précieux, des bijoux finis ou en projet… En tant que tel, vous êtes autant la cible de la pègre qu’un banquier ou n’importe quel autre commerçant ou artisan qui peut transporter des objets précieux ou des cristaux en nombre… Quant à me faire attaquer, par Lucy je préfère m’abstenir ! Et si j’avais la certitude de me faire attaquer, ce n’est pas la Guilde que je solliciterais mais la Garde pour qu’elle mette fin aux agissements d’adversaires connus. »
Il leva son verre et le présenta à la chope de Ramar : Santé !
« Je demande systématiquement une escorte pour chaque voyage d’affaire. Si je n’en demandais que lorsque je transporte des bijoux ou des pierreries, ça indiquerait à d’éventuels voleurs que je suis une proie intéressante ce jour-là et pas un autre. Et quand j’en demande une, je dis à la Guilde que je fais un voyage d’affaires, que je vais d’un point à un autre, et que j’ai besoin de deux personnes pour me protéger d’une attaque éventuelle. Rien de plus, si mes accompagnants savaient que je n’ai rien sur moi, ou au contraire que j’ai une cargaison particulièrement attrayante, ils risqueraient inconsciemment de modifier leur attitude et d’indiquer à un guetteur s’il est judicieux ou pas d’attaquer »
Il savoura son verre, une adresse à retenir, il regarda l’aventurier, le pensait-il aussi ? Son gobelet paraissait vide.
Il pensait avoir donné de bonnes réponses et s’attarda sur le pouvoir décrit, parler aux objets ? Tous, pas seulement ceux dotés d’une âme artificielle ? Il passa la main -gauche- sur le manche de l’une des jumelles… Sinistra en l’occurrence, il espérait que Iusta ne serait pas jalouse, ce que son compagnon de taverne venait de dire semblait indiquer que les objets étaient doués de pensée ?
« Les objets vous parlent ? TOUS les objets ? mes lames peuvent-elles être entendues par vous et converser avec vous ? ou ma bourse pourrait vous dire ce qu’elle contient ? Ce n’est pas qu’utile, c’est monstrueusement dangereux ? Fasse Lucy que vous restiez toujours honnête ! »
Il essayait d’imaginer un partenaire pour ses affaires « officieuses » doté d’un pouvoir pareil ! Le gars demanderait gentiment à une poignée de porte si la maison qu’elle ouvrait contenait des valeurs, et lui derrière n’aurait plus qu’à percer le mur pour y pénétrer ? Son regard d’un vert intense brilla de convoitise. L’équipe du tonnerre que cela ferait ! On pourrait même demander aux coffres-forts leur combinaison pour ne pas les percer !
Il revint à son escorte, il espérait bien que la Guilde lui offrirait une équipe quand même, sans avoir besoin de faire intervenir ce garçon… Mais il y aurait d’autres voyages, à n’en pas douter. Avoir une escorte était un plus, cela donnait du sérieux au commerçant, rassurait le client, brouillait les pistes pour d’éventuels malfrats en effet… Et puis cela lui fournissait à chaque voyage deux témoins de bonne foi qui assureraient à la Garde, si un jour celle-ci remarquait qu’il y avait un cambriolage partout où il passait ou presque, qu’il était un honnête négociant, plutôt craintif et facile à vivre…
Après, il ne faudrait pas qu’il tombe sur un « couple » d’aventuriers suffisamment futés pour faire eux-mêmes le rapprochement, mais l’avantage d’un aventurier par rapport à un garde, c’était que ceux-ci étaient généralement plus vénaux et moins bornés.
Rufus sourit, oui, en cela il était resté Khôl… Il haïssait la Garde, bande d’empêcheurs de travailler en rond ! Et cette rancœur était d’autant plus profonde que son épaule droite était encore raide et douloureuse d’avoir abrité cette fichue flèche de la Royale…
« Si les voyages vous intéressent, nous aurons sûrement l’occasion d’en faire ensemble, il n’y a rien de mieux que la Guilde normalement pour une personne privée qui veut dissuader les brigands »
Avisant la chope vide il proposa ?
« Votre gobelet a-t-il encore soif ? J’en reprendrais bien un moi, et vous ? »
Il avait hâte d’en apprendre plus sur ce pouvoir fantastique.
*Il est cool ! Je l'aime bien ce Krufus !*
L'aventurier sourit en trinquant et écouta sérieusement la suite. Ce que le joaillier lui expliquait était en vérité très intelligent, il n'avait jamais pensé à ça. En même temps, il ne s'était jamais à la place d'un client, il ne faisait que les accompagner ou répondre à leurs demandes, sans trop se préoccuper d'eux ou de leurs problèmes, au fond. Mais la tactique étant si ingénieuse et finalement cohérente, qu'il se surprit à se faire la réflexion que la Guilde aurait dû accepter plus facilement la demande de Rufus. Cela n'en était que plus étrange... Pouvait-il y avoir une explication aussi simple que la personne qui l'avait accueilli était mal lunée alors ? Ou était-ce plutôt la conséquence directe ou indirecte d'un dysfonctionnement de la Guilde au sein de la capitale, ou même d'une corruption subtile qu'il ne saurait décrypter sans investiguer ?
Qu'importe, le moment n'était pas à la réflexion mais à la boisson. Les deux récipients commençaient à se vider et Ramar capta le regard interrogateur de son compagnon de table. Mais il comprit, à son attitude, que sa question n'allait pas porter sur l'abreuvage... Rufus caressa, peut-être inconsciemment, une lame plus ou moins dissimulée. Il semblait pensif quand il lui demanda :
- Les objets vous parlent ? TOUS les objets ? Mes lames peuvent-elles être entendues par vous et converser avec vous ? Ou ma bourse pourrait vous dire ce qu’elle contient ? Ce n’est pas qu’utile, c’est monstrueusement dangereux ? Fasse Lucy que vous restiez toujours honnête !
Un homme honnête, se dit Ramar, aurait justement éclaté de rire après cette tirade, mais le regard de Rufus, bien que souriant, laissait paraître une autre émotion que l'aventurier avait du mal à décrypter. Mais pas Chimère.
*Ramar, cet homme t'envie ton pouvoir. C'est... la première fois ! Mais sois prudent.*
L'aventurier se contenta de sourire en réponse au joaillier. Même s'il était peu doué pour comprendre les gens, il était relativement bon pour les esquiver. Il attendit patiemment que Rufus sorte de ses songes pour lui répondre oralement, sur un ton juste neutre et quelque peu amusé, pour ne pas mettre une tension inutile, car il sentait malgré tout que cet homme ne lui en voulait pas. En effet, la convoitise n'est pas une faute en soi, chacun pouvait convoiter les possessions d'un autre, le crime était de s'en emparer. Et s'emparer du pouvoir d'un autre était à ce jour bien peu probable.
- Non, votre lame ne peut pas me parler. Les objets doivent me faire confiance pour cela, raison pour laquelle je reste fidèle à mes propres objets, afin de ne pas trahir la confiance qu'ils ont en moi. En revanche, un objet qui n'appartient à personne, ou dont la fonction est publique, ou encore qui n'est pas respecté par son propriétaire, peut me parler alors. Mais c'est rare dans le dernier cas. Votre lame ne me parle pas, j'en déduis qu'elle se trouve bien en votre présence.
Ramar sourit gentiment à l'intention de Rufus, mais dans son esprit une petite mélodie retentit alors. Il ne reconnaissait pas ce type de pensée, c'était donc probablement un des objets en face de lui, autrement dit un qu'il pouvait voir sur le joaillier. Soudain il comprit, mais n'en laissa rien paraître. C'était tout simplement l'une des pierres précieuses que portait le noble. C'était évident : vu son métier, son apparence était importante mais il devait posséder de nombreuse tenues du même genre. Contrairement à lui qui ne portait toujours que la même tenue, le joaillier devait sans doute avoir un large choix, ce qui rendait sa fidélité moindre. La petite mélodie qu'il entendait était simplement la conséquence de ce fait : la tenue actuelle, ou l'une des pierres qui l'ornait, était contente de sortir du placard, mais sa confiance étant encore faible, Ramar pouvait entendre la manifestation de son humeur.
Décidément, l'aventurier comprenait tellement plus facilement les objets que leurs propriétaires... Le joaillier changea alors de sujet momentanément, revenant à sa mission, avant de proposer une nouvelle tournée à sa chope. Cette attention tout particulière et intelligemment dirigée fit plaisir autant à l'objet qu'au jeune homme.
Il répondit par l'affirmative en faisant signe au tavernier qui ne tarda pas à venir remplir leurs gobelets. Il se fit d'ailleurs la remarque que leur hôte était très sympathique : il ne s'était pas pris la tête quant à sa chope personnelle, au contraire il n'avait paru ni surpris ni outragé, juste serviable et souriant. Ramar se fit la promesse de revenir quand il n'aurait pas besoin particulièrement de calme.
Il but une gorgée tandis que sa chope commençait à chantonner légèrement à son tour. Il reprit toutefois son sérieux et reprit, à l'intention du noble.
- Je vous remercie, ce sera avec plaisir ! Mais je dois vous dire que, comme beaucoup de gens, naturellement, vous ne prenez pas assez soin de vos tenues. Ou de vos pierres, je ne saurai trop dire. Mais j'entends une petite mélodie venant de l'un ou d'une autre. Je vous arrête tout de suite, les objets des autres sont très loin de me révéler les secrets de leurs propriétaires. Mais si j'entends cette mélodie, c'est que votre objet est ravi de vous accompagner, mais que c'est probablement occasionnel, sinon je ne saurai l'entendre, voyez-vous...
Ramar reprit quelques gorgées, laissant l'information atteindre son compagnon. Il reprit gentiment ensuite.
- Ne vous en faites pas, toutefois, je n'entends rien d'autre. Mais je peux vous proposer un jeu. Comme vous l'avez dit tout à l'heure, je suis honnête, donc je vais me le soumettre autant qu'à vous. Vous comprendrez alors peut-être mieux comment cela fonctionne et à quel point cela peut m'être utile, mais pas dans les situations justement qu'on qualifierait de malhonnêtes. Si ce n'était pas le cas, vous comprendrez que je pourrai voler sans jamais être inquiété, mais cela ne m'est ni possible ni envisageable. Je tiens à vous avertir toutefois avant de vous proposer le jeu : si vous êtes vous-même malhonnête, il y a des chances que je le découvre, bien que sans détail réel et sans intérêt pour moi : je ne suis à juste titre pas un Garde mais un aventurier, je ne saurai en vouloir à une personne qui n'a rien fait de mal devant moi.
*Tu es sûr Ramar ? Cela peut être dangereux pour toi...*
Ramar sourit devant l'inquiétude de son écharpe à plumes blanches. Il la caressa pour la rassurer et la retira pour la déposer, en ligne devant lui, sur la table. Il releva la tête, souriant amicalement pour rassurer, s'il en était besoin, son interlocuteur.
- Pour vous montrer ma bonne foi, je vous explique le jeu et fait moi-même la première étape. Krufus, vous êtes évidemment libre de refuser, mais avant ça, je vous explique.
Il montra son écharpe. Il reprit sa chope pour en boire une gorgée avant de la reposer de son côté par rapport au vêtement à plumes. Puis il reprit, le ton joueur.
- Voici mon premier objet. La règle est simple. Chacun son tour, on me soumettra un objet en le posant sur la table, enfin quand c'est possible. A mon tour, je peux vous montrer un des miens ou un objet quelconque se trouvant dans la taverne. De même, à votre tour, vous pouvez me soumettre un de vos objets ou un objet se trouvant dans la taverne. De mon côté, à chaque fois qu'un objet m'est soumis, je vais tenter de lui parler avec lui pour vous transmettre une information, qu'elle soit personnelle à mon égard, au vôtre ou non.
Ramar laissa à Rufus le temps de comprendre en quoi consistait bien le jeu. De son côté, Chimère commenta aussi.
*C'est bien pensé. Il peut ainsi ne prendre aucun risque mais n'en apprendra que peu, finalement, sur ta capacité. Il pourrait même ne pas y croire s'il ne joue pas un peu sérieusement. Et d'un autre côté, pour pouvoir croire en ton pouvoir il va devoir prendre au moins un risque ou deux. Donc ça se joue sur sa curiosité et ce qu'il risque.*
La tunique de l'aventurier fit même sa petite remarque, ajoutant au sourire du jeune homme.
*Ce serait amusant si tu me mettais sur la table, tu te retrouverais dans une situation plutôt coquasse, dommage qu'il n'y ait ici aucune femme digne de pouvoir observer ce que je couvre...*
Chimère reprit sans faire attention à la remarque. Elle était visiblement intéressée par le jeu qu'il venait d'improviser. Se pourrait-il qu'elle fut admirative ?
*En revanche, s'il ne prend aucun risque, cela sous-entendra qu'il a des choses à cacher qui ne valent pas la peine et tu sauras à quoi t'en tenir. Et s'il joue le jeu en prenant des risques, soit il n'a rien à cacher, soit il estime que ce n'est pas bien grave et commence donc à te faire confiance au moins un peu. C'est assez... retors, pour un jeune homme qui n'est pas bon socialement, tu me surprends !*
Estimant que Rufus a eu assez de temps pour comprendre les règles et ce qu'elles impliquaient, Ramar commença, tout en rappelant la première règle pour le joaillier.
- Bien, vous pouvez encore refuser de jouer, mais comme promis, je fais la première manche, avec mon écharpe. Elle s'appelle Chimère et je ne vais pas avoir besoin de lui demander puisqu'elle n'arrête pas de commenter les règles du jeu depuis tout à l'heure, ahah !
L'aventurier regarda son écharpe, elle voulait transmettre visiblement une information.
- Elle dit que vous devriez jouer, ne serait-ce que pour vous blanchir, au besoin. Je suis désolé, elle s'amuse peut-être plus que moi avec ce petit jeu ! Alors ?
Le jeune homme blond rigola sans aucune méchanceté et but une gorgée dans sa chope. Il avait commencé avec Chimère justement parce qu'il était plus lié avec elle que n'importe quel autre objet. Toutefois, il espérait tout de même que Rufus n'avait pas de gros secrets à protéger, pour une fois qu'il pouvait s'amuser avec quelqu'un, il se fichait un peu des méfaits des gens, enfin tant qu'ils n'étaient pas trop gros non plus. Il n'aurait aucune raison dans tous les cas d'agir, il avait posé le cadre du jeu justement pour que cela reste ainsi, et il espérait que le noble le comprendrait. Bien que Rufus paraisse très intelligent dans le domaine du commerce et de la tenue de ses affaires, Ramar ne le connaissait pas plus que ça et donc ne pouvait qu'espérer que le joaillier soit aussi bon dans le domaine social pour qu'il comprenne ses intentions sans mauvaise interprétation.[/b][/color][/b][/color]
« Soit, jouons ! »
Dit-il avec un sourire charmeur et une lueur franchement gourmande dans son regard vert.
« Me blanchir ? Ai-je la peau trop foncée ? ou me suis-je sali ? Il fit mine de chercher une tâche… Monsieur l’aventurier, je n’ai pas à rougir de mes compagnons, fussent-ils des objets. Chacun a été élu avec soin et m’est cher, même ceux qui en effet ont peu l’occasion de sortir de ma garde-robe, j’ai peur d’avoir désormais trop de vêtements pour profiter de tous comme il le faudrait… »
Réfléchissant, il se demanda quel objet proposer…
Il aurait pu poser l’une des jumelles, ou les deux… Ses brassards aussi qu’il portait depuis de longues années et qui avaient été le premier objet fabriqué lors de son apprentissage… Ou bien, la boucle d’oreille qu’il portait encore et dont la seconde avait été donné à Ela… Il avait de nombreux objets à la fois très personnels et « fétiches » , d’autres l’étaient moins, ou depuis moins longtemps, mais tous avaient reçu son attention lors de leur achat.
Son choix se porta finalement sur un petit pendentif accroché à un lien de cuir, caché sous sa chemise, à même la peau et totalement dénué de valeur marchande, un simple petit objet de métal peu noble qui jurait un peu par rapport aux riches bijoux qu’il portait désormais mais dont il ne se serait séparé pour rien au monde… Le petit objet semblait brisé, une sorte de boucle de métal se terminant par un tube, mais le tube était amputé.
Le portant à sa bouche pour y poser un baiser, il le posa sur la table et regarda Ramar dans les yeux.
Alors ? Que vous dit-il sur moi ?
*Hé bien ça, c'est ce qu'on va maintenant pouvoir vérifier, justement. Mais il joue le jeu, donc comme prévu, soit il n'a rien à cacher, soit il est très confiant. Et vu sa réponse, je parierai sur la deuxième réponse...*
*Cool cool cool ! Allez Ramar, on va lui couper la tête après, dis ?!*
*Diolime, enfin ! Nous sommes plus raffinés que ça, tout de même... On ne se battra que si Ramar le désire...*
*Mais TAISEZ-VOUS donc ! Regardez, il va soumettre un objet, laissez Ramar se concentrer et arrêtez donc de dire de telles inepties sinon il va vous échanger dans une forge !*
*Oh non ! Diolime, tais-toi !*
*Mais...*
- CHUT ! Désolé, Krufus, mes objets n'arrêtent pas de piailler ! Allez-y donc, soumettez-moi un objet.
Tout ce débat silencieux avait été une véritable cacophonie dans l'esprit du jeune homme. D'abord la choppe, puis Chimère, mais ça allait encore alors, puis vint le tour de Diolime, son épée masculine un peu violente sur les bords parfois, sans oublier Nolune, son autre épée féminine, qui en avait rajouté, avant que les trois derniers ne commencent à se brailler dessus, oubliant que tout résonnait dans sa tête, à lui. Ce jeu était peut-être une mauvaise idée finalement, cela excitait beaucoup trop ses amis !
Mais Ramar reprit encore une gorgée dans son gobelet tandis que Rufus posait sur la table devant lui un pendentif bien différent de ce qu'il portait de manière ostentatoire. Le joaillier le portait sous sa chemise, à même la peau, ce qui montrait déjà un attachement certain, une valeur toute différente des pierres qui ornaient sa ceinture. Le petit objet était en métal, très simple, mais semblait cassé, ou une partie manquait. Il était tenu par un simple lien de cuir. En effet, cet objet avait clairement une valeur particulière pour l'homme. De ce fait, Ramar doutait qu'il puisse converser avec.
- Alors ? Que vous dit-il sur moi ? demanda Rufus, visiblement confiant.
Ramar regarda alors précisément l'objet en question. Il attendit un peu, sans trop d'espoir, vu sa première analyse. Puis vint alors retentir dans son esprit une maigre voix, une voix féminine, vibrante, lourde, profonde.
*... Femme...*
Ramar releva la tête, regardant Rufus, surpris autant par le fait d'entendre une voix venant du pendentif que par l'unique mot prononcé. Une première idée lui vint en tête sur la signification du message. Il observa attentivement le visage de Rufus et éclata de rire.
- Oh, excusez-moi, je ne voulais pas vous dévisager ou vous manquer de respect, croyez-moi, ahah... Mais... ouh... Je crois que j'ai mal compris !
Il regarda à nouveau le pendentif, tentant de lui parler directement pour obtenir une réponse.
- Je vois bien que ton propriétaire est un homme, donc qu'as-tu voulu entendre par là ?
Mais très rapidement, Ramar comprit que l'objet ne dirait plus rien. C'était, au fond, déjà un exploit que le pendentif ait parlé, vu l'attachement que Rufus lui porta de manière évidente. Il secoua légèrement sa tête en signe de dénégation avant de répondre, plus sérieusement, au joaillier.
- Votre pendentif n'a dit qu'un seul mot, avec une voix féminine très profonde et vibrante. D'ailleurs, maintenant que je le dis, ça pourrait bien être l'explication du mot, puisqu'elle a juste dit "femme". Ma première idée a été que vous soyez une femme, oh je m'en excuse, c'était idiot de ma part, même si vous êtes effectivement assez androgyne dans votre genre je trouve. Donc au final, soit elle a voulu vous faire passer le message que ce n'était pas "un" pendentif, mais "une"... Soit elle veut vous faire passer un message à propos d'une femme, mais je ne sais rien de plus. Il est évident que vous considérez cet objet plus que d'autres, ne serait-ce que de la manière dont vous le portez, proche de vous et caché de la vue des autres. Peut-être qu'elle fait référence à la personne qui vous l'a donné, ou à une personne dans votre entourage qu'elle connait ou a connu. Je suis désolé, je ne peux rien déduire de plus avec un seul mot...
Ramar se sentait désormais désolé, un peu, car il n'avait pas mieux à lui donner. Mais il n'avait aucun doute que le noble puisse bien mieux comprendre le message que lui. Aussi lui laissa-t-il du temps pour en assimiler toute l'étendue.
En attendant, il réfléchit à quel objet soumettre pour son tour. Il s'adressa directement à Chimère, un peu plus discrètement, au cas où, pour ne pas déranger son compagnon.
- Une idée, ma belle, pour le prochain ?
*J'ai l'impression qu'il faut alléger un peu le jeu pour le moment. Pourquoi pas un que nous ne connaissons pas ?*
Oui, l'idée était bonne. Cela pourrait avoir le mérite de baisser un peu la vigilance de Rufus mais aussi et surtout les enjeux du jeu. Ramar ne voulait pas non plus se montrer trop indiscret. Toutefois, il devait bien avouer qu'il adorait découvrir des choses grâce aux objets. Plus encore, il adorait découvrir de nouveaux objets qui avaient des choses à raconter...
Son intérêt se porta donc sur les pichets un peu partout dans la taverne. Il leva un doigt afin de montrer à Rufus qu'il pouvait patienter un instant. Il se dirigea ensuite une table voisine, vide de clients, pour en prendre le grand récipient, mais il ne put pas s'en approcher.
- Ah, ça faisait longtemps. Pas celui-là donc...
Il se dirigea vers une table isolée plus dans le fond de l'établissement pour en prendre, avec succès cette fois, le pichet et le ramener. Il le posa de son côté de la table tout en se rasseyant et montra sa trouvaille.
- Comme convenu, mon tour, un objet que je ne possède pas. Je teste.
Il posa son regard, redevenu sérieux, sur l'objet à moitié rempli d'un liquide peu recommandable, et n'eut pas longtemps à attendre.
*Merci monsieur !* dit une voix juvénile *D'habitude, ce sont de gros lourdauds qui me manipulent. Tout à l'heure, un d'entre eux à même craché au visage de son voisin de table à cause d'un truc avec vos cristaux bizarres, et l'autre a répliqué en me vidant sur sa tête ! Au moins, je me suis amusé, c'était drôle ! Hihi !*
Ramar sourit et remercia le jeune pichet avant d'expliquer l'histoire à Rufus, en souriant.
- Il a une voix d'enfant. Il vient de me raconter une petite anecdote où il s'est bien amusé dans la journée. Apparemment, deux hommes se sont pris la tête à propos d'argent, l'un des deux a craché au visage de l'autre, l'autre lui a vidé le pichet dessus. Je ne sais pas comment ça a fini, l'enfant est plié de rire juste avec ce souvenir ! Mais vous pourrez demander au tavernier, si vous voulez confirmer l'histoire.
Ramar reprit le pichet pour l'éloigner et le poser à côté de sa chope, qu'il prit pour boire un coup puis reposa. Les deux devraient bien s'entendre, vu leurs personnalités, pensa-t-il. A raison, d'après les quelques échanges qu'il entendait entre eux. Chimère intervint cependant au bout d'un petit moment pour les calmer afin que le jeune homme puisse se concentrer un peu.
Mais au lieu de ça, il s'amusa un peu avec le pichet, oubliant totalement qu'il était attablé avec quelqu'un, en le faisant tourner sur lui-même pour agiter le liquide qu'il contenait, faisant beaucoup rire les deux objets.
*Ramar !*
L'aventurier sursauta alors. Il arrêta et reprit contenance, un peu honteux. Il s'adressa alors doucement au joaillier.
- Veuillez m'excuser, je me suis laissé emporté par l'amusement de l'enfant. Je vous en prie, à votre tour.
Khôl caressa l’objet avec une tendresse toute particulière… Se pouvait-il que ce type ait vraiment le talent qu’il avait décrit ? Ou était-il tombé juste parce qu’il avait offert un objet trop personnel ? En tout cas, il n’avait pas décelé que cet objet n’appartenait pas en propre à « Rufus »… Celui-là, ou celle-là si elle parlait avec une voix de femme était la seule chose qu’avait Khôl dans son enfance de misère et d’oubli… Il avait toujours pensé le tenir de sa mère, à tort ou à raison. Dommage qu’il n’ai pas plus parlé, mais ce qu’ils avaient à se dire était privé.
Il chercha donc un objet moins chargé d’émotion… Les jumelles ? Assurément non, d’elles il aurait directement une entrée sur sa vie d’adolescent… Ses premières lames convenables, celles avec lesquelles il avait… -il marqua une pause- disons conquis sa liberté ?
Regardant Ramar qui semblait s’amuser avec les pichets, il se dit une fois de plus que l’homme était, ou fou à lier, ou pourvu d’un talent comme il n’en avait jamais vu… Aussi chanceux dans l’attribution de son pouvoir que lui-même, à ceci prêt qu’il ne semblait rien en faire ? Il ne releva même pas lorsqu’il lui dit qu’il aurait pu être une femme… De la part des hommes ça le mettait généralement dans un état proche de la colère, alors qu’il en usait généreusement lors de ses « tournées » axées sur le renseignement… C’était donc illogique, mais on ne se refait pas.
Cherchant un autre objet, il porta la main à la ceinture qu’il portait, ouvrage compliqué de cuir et de tissu tressé, dans les tons de brun et de rouge, sur laquelle avait été sertis trois rubis taillés par lui : les trois premières gemmes qu'il avait taillées... Elle ? ou bien ? Il porta la main à son oreille droite et décrocha l’anneau, lui aussi d’une grande simplicité mais en or, pas une de ses créations, mais O combien chargé d’émotion.
Il se morigéna, il se faisait avoir là !
Il donnait à cet homme trop d’importance, et si l’un des objets allait parler, fier de compter pour lui et vantant sa valeur ?
Il sourit, passant la main sur le petit anneau en murmurant intérieurement « je t’aime » et le posa délicatement sur la table.
Et celui-ci ? Que vous apprend-il Monsieur l’Aventurier ?
Son regard vert brillait comme mille émeraudes… Ce jeu le passionnait.
Rufus semblait beaucoup s'amuser. Il avait déposé devant lui, non sans l'avoir retiré avant, une boucle d'oreille en or, grande, simple, avec délicatesse. A sa façon de procéder, Ramar n'eut pas besoin de réfléchir bien longtemps. Son attitude aurait pu être feinte, mais les émotions dans le regard du joaillier trahissait la vérité qui transparaissait dans ses actes. Cet objet était un bien précieux, tout comme le précédent.
Le jeune aventurier voyait bien que la situation amusait beaucoup son "adversaire". Il prenait décidément des risques, consciemment. C'était probablement des risques mesurés...
*Ou il n'a rien à cacher. C'est inhabituel, Ramar, d'habitude c'est moi qui me méfie des gens...*
Ramar sourit en coin. Chimère avait raison. Il était l'optimiste des deux. Il fallait croire que la confiance que l'homme lui accordait le mettait peu à peu sur la défensive, sans raison, au contraire. Il se concentra donc sur la boucle, et attendit de voir si elle répondait à son regard interrogateur.
*Ela et Khôl... Sniff...*
Le jeune homme souleva un sourcil. La voix était très triste, limite abattue, une voix de jeune femme, pas plus âgée, à l'oreille, que Ramar et Rufus.Et une fois de plus, il ne comprenait pas le message et était étonné d'avoir une réponse.
- Elle a école ? Je suis désolé, Krufus, je ne vois pas du tout ce que cela peut signifier, mais si ça a du sens pour vous... En tout cas, c'est une voix de jeune femme qui s'est exprimée, triste voire abattue. Vous devez avoir un passé plus triste que vous ne le laissez paraître, Monsieur le Joaillier, mais je ne demanderai rien !
Il ne voulait pas brusquer cet homme qui jouait admirablement le jeu avec lui, qui devait peu à peu comprendre que Ramar n'était pas fou. En tout cas, c'était ce qu'espérait ce dernier. Il se sentait triste pour Rufus, si son hypothèse était bonne, car cela signifierait qu'il avait dû souffrir, d'une quelconque manière, et il se pourrait bien que le jeu ai ravivé ces souvenirs. Et cette idée n'était pas très agréable pour l'aventurier. Il n'avait pas lancé ce jeu pour rouvrir des blessures. Il espérait donc avoir tord. Il scruta discrètement le visage du joaillier, pour savoir s'il avait eu vrai ou non.
Après tout, c'était un effet de son pouvoir. Il ne voulait aucun mal, en particulier, à cet homme, qui plus est un des premiers à lui accorder un minimum de confiance. Mais s'il avait vu juste, alors cela voudrait dire que dans certaines situations de mission, son pouvoir pourrait se révéler très efficace, pour peu qu'il sache interpréter correctement les informations que les objets lui donnaient... Il l'observait donc, en quête d'une réponse, autant pour se rassurer de ne pas avoir rouvert une blessure que pour, au contraire, se rassurer sur son interprétation et donc son efficacité. Tous les cas lui allaient, en somme, mais chacun dans un sens différent.
Il fit toutefois mine de chercher un autre objet mais il savait déjà lequel proposer. En fait, il n'allait pas en proposer un, mais deux, car ils étaient complémentaires et indissociables en un sens : ses deux épées. Il les retira de son côté, l'une après l'autre, non sans entendre leurs gémissements de plaisir. Mais Diolime eut la bonne grâce de comprendre et de se retenir de vociférer, comme à son habitude, un quelconque accès de violence qui aurait été ici injustifié.
Il commença alors à présenter à nouveau ses armes, proprement cette fois-ci.
- Voici Diolime et Nolune. Ce sont mes deux épées et probablement les seules que je peux manier réellement sans problème. Ce n'est pas que je sois impotent et qu'elles aient été faites pour moi, simplement... Avez-vous vu, tout à l'heure, que je n'ai pas pu me saisir du pichet sur la table voisine ? Il montra du pouce l'objet en question. Je ne peux juste pas toucher les objets qui ne le veulent pas, pour faire simple. Et pour les manipuler au mieux, j'ai besoin de leur confiance. Donc actuellement, ce sont les deux seules armes que je puisse manipuler pleinement. Elles sont autant une prolongation de moi qu'elles ont confiance en moi.
Ramar posa le regard sur ses deux armes. Il caressa tour à tour leurs gardes. Ce n'étaient que de simples épées jumelles, mais elles lui étaient très précieuses, même si elles n'arboraient aucune armoirie ou signe distinctif particulier. Elles étaient sobres mais belles ainsi, au moins pour lui, dans toute leur simplicité.
*C'est gentil et vrai, Ramar. Tu nous as toujours bien traités, Diolime et moi, on te fait confiance pour ça.*
*Nolune a raison. T'es un bon gamin, on t'apprécie bien ! D'ailleurs, excuse-moi auprès de l'autre gamin, pour tout à l'heure... Je ne voulais pas vraiment lui couper la tête, c'était juste... Tu sais... Le moment, l'excitation... Enfin bon, tu vois quoi !*
Le rire de Chimère s'ajouta à celui de Ramar, qui se tourna vers Rufus pour lui expliquer.
- Diolime -il montra l'épée en question- s'excuse pour tout à l'heure, quand on s'est percuté. Il avait réagi un peu excessivement, mais c'est bien la première fois que je l'entends s'excuser ainsi ! Nolune, elle -il montra l'autre épée- a commenté ce que je vous ai expliqué juste avant, comme quoi ils me font confiance tous les deux car je les traite bien, en somme.
Il attendit la réaction de Rufus, s'il en aurait une, puis il rangea ses épées à leurs places. Il n'aimait pas trop les savoir à l'air libre sans raison. Elles gémirent bizarrement, à nouveau, mais il n'y fit pas attention. Il regarda simplement le joaillier avec curiosité. Qu'allait-il lui soumettre cette fois-ci ?
Comme piqué par un taon Rufus/khôl sursauta et regarda Ramar avec une stupeur qui comprenait également de la crainte… Ce type ne mentait pas, s’il avait pu deviner une femme âgée dans la façon dont il tenait le premier objet contre son cœur, rien dans la boucle d’oreille n’indiquait une jeune femme… Et quand bien même il se serait effectivement dit qu’une femme avait la seconde -une femme et pas un homme, il en était rassuré- comment associer Ela et Khôl ? Il n’avait fait que bredouiller un K avant de se reprendre, ce qui avait incité l’autre à le nommer Krufus… Et Ela, comment savoir pour Ela ?
L’homme l’avait rencontré par hasard, à moins d’être totalement paranoïaque, rien ne le laissait imaginer qu’un quelconque espion de la Garde l’ait suivi grimé en aventurier, il n’était pas Klarion Brando enfin et n’avait jamais kidnappé de reine ! Ses exploits étaient minimes quand on regardait la criminalité en Aryon, et rien ne reliait Khôlshibikir à Rufus McPhergus, sauf quelques rapports poussiéreux ; et ces rapports dont son père avait eu connaissance stipulaient tous que le gamin sorti de prison par le capitaine McPhergus s’était entièrement amendé et était désormais un jeune homme honnête et travailleur digne en tous points du nom qu’il portait.
Donc, si Ramar ne le connaissait pas et n’avait pu prendre aucun renseignement sur lui, c’était bien que son pouvoir était réel, et réel… ce pouvoir était une bénédiction de Lucy et de tous le panthéon de dieux mineurs adorés dans le pays. S’il arrivait à faire balbutier ses propres objets, il aurait probablement plus de succès sur des choses abandonnées au gré du vent, sans propriétaire aimant, comme un coffre de banque ou une poignée de porte sécurisée ? Son pouvoir agissait-il sur les objets magiques ?
Il essaierait de savoir, là, l’aventurier attendait un autre objet, que lui donner qui lui soit bien personnel mais qui n’ouvre pas plus de fenêtre sur Khôl et son enfance ?
Que l’homme ait choisi ses armes le surprenait, lui ne lui confierait pas les Jumelles. Non pas qu’il n’ait pas confiance en elles, mais elles étaient le prolongement de son âme, on n’offre pas son âme à un inconnu, parfois même pas à un proche… Les dagues étaient non seulement une partie de lui-même mais les seuls témoins actifs de sa vie. S’il avait le pendentif offert en premier depuis bien plus longtemps, l’objet s’était contenté de coller à sa peau et de le voir grandir, les poignards eux l’avaient aidé à le faire. Avec ses armes, il avait gagné sa place, et les taches brunes qui subsistaient sur les manches malgré de nombreuses séances de nettoyage pouvaient témoigner de la rudesse de cette croissance. Même si le choix des épées entraînait logiquement celui des Jumelles en retour, il se refusait à les livrer… Que donner ?
De nouveau il caressa la ceinture rouge et brun. De ses pièces d’habillement c’était probablement celle qu’il affectionnait et portait le plus souvent. L’homme avait dit que les objets devaient lui faire confiance, un objet aimé est sans doute plus facilement en confiance, mais en contrepartie, il est moins enclin à livrer les secrets de celui qui l’aime ? Son raisonnement était-il juste ?
Remettant le petit anneau à son oreille après l’avoir embrassé avec émotion, il délia sa ceinture et la posa en souriant, laissant un peu traîner sa main sur le vêtement.
Oui, cela signifie quelque chose pour moi… Quelque chose de … enfin c’est passé, et ça ne reviendra sans doute jamais. Et là Cher monsieur doué d’un pouvoir fantastique, qu’apprenez-vous ?
Chassant l’émotion qui l’avait saisi, il attendait, le regard toujours aussi vif et pétillant, et un sourire de gourmandise sur les lèvres.
Ensuite, Ramar avait présenté ses épées et il lui avait semblait que le joaillier en avait furtivement laissé passer une réaction de surprise. L'aventurier comprit qu'il ne lui présenterait probablement ses propres lames, par déduction analogique. Peut-être étaient-ce les seules choses dont il savait que ça pourrait le trahir ? Dans tous les cas, il pourrait le savoir bientôt.
En effet, puisqu'il ne lui présenta pas ses armes mais sa ceinture.
- Oui, cela signifie quelque chose pour moi… Quelque chose de … enfin c’est passé, et ça ne reviendra sans doute jamais. Et là Cher monsieur doué d’un pouvoir fantastique, qu’apprenez-vous ?
Cette ceinture était donc elle aussi particulière pour le joaillier ? Elle semblait pourtant moins modeste, étant finement conçue et tressée de cuir et de tissu, sans oublier les quelques rubis dont elle était sertie en trois endroits. Certes, cette ceinture n'était pas aussi simple que les précédents objets ! Mais s'il était aussi lié à elle qu'il le laissait paraitre ? Dans ce cas, Ramar doutait sincèrement, une fois de plus, de pouvoir tirer quoi que ce soit de l'objet...
Il se servit dans sa chope quelques gorgées, non sans l'entendre se réjouir de son geste et l'accompagner d'un petit rire entendu, puis se tourna vers la ceinture. Il se concentra dessus, posant dessus un regard, comme d'habitude, interrogateur. Mais il n'entendit rien. Aucune réponse. Aucun mot. Enfin si, ou non, plutôt, ce n'était pas des mots, mais une mélodie. Qu'il a avait déjà entendue.
Il se souvint d'un coup et pensa à voix haute :
- Ah si ! C'est la mélodie que j'ai entendue tout à l'heure quand on s'est installé ! Ah je m'étais donc trompé ? Si vous tenez vraiment à cette ceinture, c'est qu'elle vous le rend, elle ne dira aucun mot, elle ne fait que fredonner son bonheur, je l'entends et le ressens ! Ce n'était pas une partie de votre tenue qui était rarement mise et se trouvait alors heureuse d'être portée pour une fois, c'était l'inverse ! Cette ceinture que vous chérissez est heureuse ainsi -
*Oui enfin vous n'aviez pas tord non plus ! Il ne nous porte pas non plus très souvent, il met plus son costume de nuit que la plupart d'entre nous !*
Ramar s'était arrêté net, coupé par ces paroles dans son esprit qui transpiraient le reproche. Il était évident que leur propriétaire était un des morceaux actuels de la tenue de Rufus, même s'il n'aurait pas pu identifier quelle partie exactement.
*...Son costume de nuit ? C'est louche ça...*
*Ma première proposition peut encore tenir, s'il faut !*
Tout comme son écharpe et son épée, l'aventurier se doutait que ce qu'il venait d'entendre n'était pas prévu par le joaillier. Mais c'était peut-être aussi une simple méprise de leurs parts. L'objet parlait peut-être d'un simple pyjama pour aller dormir. Après tout, il était visiblement riche, ce n'était donc pas du tout improbable, un tel confort.
Mais le doute persistait. Ramar hésitait à répéter ce qu'il venait d'entendre. Rufus n'avait pas présenté ses armes et avait été surpris quand lui avait présenté les siennes. A la place, il avait proposé une ceinture qui ne faisait que chanter doucement. L'aventurier était certain que l'homme avait compris que son pouvoir était vrai. Il savait aussi qu'il n'était pas naïf, loin de là. Sa dernière proposition dans le jeu n'était-elle donc qu'un test pour voir les limites de son pouvoir, comme c'était en effet possible, ou était-ce au contraire une sécurité de sa part pour ne pas révéler ses secrets inavouables ? Les deux étaient alors possibles mais le doute de l'aventurier penchait fortement pour la seconde option.
Cet homme cachait des choses. Il n'avait pas pu bien cacher son avidité au début quand il avait appris pour le pouvoir de Ramar. Il avait accepté le jeu et ses risques mais à chaque fois il proposait des objets dont le jeune homme n'avait quasiment aucune chance de comprendre les messages sans explication. Et enfin, le dernier objet qui avait parlé, en dehors de ce qu'il avait pu prévoir, très probablement, citait un costume de nuit régulier. Cela faisait beaucoup d'éléments différents mais complémentaires qui menaient à une conclusion : Rufus n'était pas aussi honnête qu'il le laissait paraître.
Ramar répondit finalement, à ses objets, avant de reprendre, plus sérieux, pour Rufus, mais ce dernier était désormais capable sans mal de comprendre.
- Non, ce ne sera pas nécessaire, Diolime. Krufus, décidément vos objets sont pleins de surprises. La mélodie de votre ceinture et l'interprétation que je vous ai donné ont déclenché une confidence venant d'une partie de votre tenue, je suppose. Cela disait, sur un air de reproche, que vous mettiez plus souvent votre costume de nuit qu'eux-mêmes. Toutefois !
Il avait rapidement annoncé le dernier mot avec plus de force, en levant la main pour faire comprendre, si nécessaire, à son interlocuteur, qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter.
- Cette partie ne m'a rien confié d'autre. Et bien que cela m'ait surpris sur le coup, je n'ai rien à vous reprocher. Vous menez la vie que vous voulez et je n'ai ni l'intention de vous demander des explications ni l'intention de vous juger d'une quelconque manière. Au contraire...
Il prit sa chope et, non sans avoir prit soin avant de bien saluer Rufus avec, il la vide du reste de son contenu.
- Cela ne nous empêche absolument pas de finir de boire comme nous l'avons commencé...
Il laissa un petit temps à Rufus pour bien comprendre la situation. Elle n'avait, en somme, pas vraiment changé. L'aventurier lui avait intentionnellement révélé ses conclusions mais lui montrait qu'elles étaient potentiellement sans conséquence. S'il devait y en avoir une, alors cela viendrait du joaillier, et non pas de Ramar, au grand damne de ce dernier. Qui reprit la parole après ce temps mais avant que l'homme ne réponde, quitte à le couper.
- En tout cas, grâce à ce jeu, je pense que vous avez une bien meilleure compréhension de mon pouvoir et du fardeau que cela m'impose parfois. Je peux vous assurer que j'entends des choses... de bien des objets, quand je croise des gens... Il n'est pas rare que j'entende des demandes à l'aide, des pleurs ou encore des insultes ou des bribes de secrets très sombres à faire pâlir. Mais je vis avec ce pouvoir depuis bien longtemps, je vous laisse imaginer tout ce que j'ai pu entendre. Heureusement pour les gens à qui appartenaient ces objets, je n'ai jamais été un Garde !
Il sourit malicieusement à Rufus avant de terminer.
- Si vous vous demandez pourquoi je ne me méfie pas plus de vous, comme certains pourraient le faire, dites-vous que j'ai seulement réagi aux objets qui appelaient à l'aide, en général. Ils appartenaient à des êtres humains que j'ai du mal à qualifier ainsi, je peux vous l'assurer. Vous, vos objets, ils vous font confiance, au moins un minimum, et certains vous sont très fidèles, ou juste heureux de vous appartenir. Réfléchissez bien, vos objets ne m'ont rien dit de plus, et ils ont été bienveillants envers vous, répondant à votre attachement. Quoi que vous fassiez, avec votre costume de nuit, vos objets vous respectent apprécient tout de même, je doute donc que vous soyez aussi sombres que les gens que j'ai pu rencontrer. Chacun a simplement ses secrets, et croyez-moi, vous n'avez absolument pas l'air d'avoir les plus horribles du coin. Mettez-vous à ma place, j'entends les objets depuis mon enfance, j'ai désormais la vingtaine passée. Vous comprenez mon pouvoir, je vous explique ma place. Comprenez donc que vous n'avez rien à craindre de moi en l'état vu ce que je peux savoir sur vous grâce à notre rencontre et en comparaison avec le reste...
Ramar termina son explication bien plus sérieux qu'il ne l'aurait voulu. Il sentait que Rufus était moins à l'aise que précédemment. Peut-être même voulait-il l'attaquer pour prendre la fuite. L'aventurier avait donc tenu à le calmer et lui expliquer son point de vue. C'était pourtant simple, pour lui. Chaque fois qu'un objet se jetait dans son esprit sans qu'il ne lui demande avant, c'était un signe de manque de confiance de l'objet pour son propriétaire. Et si l'objet révélait énormément de choses, la nature du propriétaire en question se dessinait rapidement. C'était toujours ainsi que cela se passait. Un être mauvais, vraiment, possédait toujours des objets qui ne pouvaient lui être fidèles, voire des objets qu'il ne traitait absolument pas de la bonne manière.
Or ce n'était pas le cas de Rufus. Certes, ses vêtements étaient un peu jaloux entre eux car il en préférait certains, en somme, mais c'était si peu comparé à d'autres... Alors Rufus pouvait passer ses nuits en pyjama sur les toits, ça ne faisait rien à Ramar et ni Chimère ni Diolime ni aucun autre objet n'eut quoi que ce soit à lui répliquer. Ils savaient tous, eux, que cet homme était loin d'être aussi mauvais que certains qu'ils avaient pu croiser. S'il avait des secrets qu'il ne voulait pas révéler, c'était juste normal.
Au final, le jeu avait été intéressant à bien des égards. L'intention d'origine était de démasquer l'avidité du joaillier quant à son pouvoir et son objectif. Mais non seulement ils s'étaient en réalité plutôt amusés avec le jeu, mais Ramar avait pu parvenir à faire en sorte que Rufus croit et comprenne une partie de son pouvoir, qu'il lui fasse donc confiance un minimum, et mieux encore, il avait visiblement réussi à entrevoir un secret de cet homme mais ce dernier se révélait, de par la réaction des différents objets proposés, être bien moins sombres qu'il n'aurait pu le croire au départ. Cet homme était peut-être envieux de son pouvoir, peut-être avide d'en comprendre toute l'étendue, mais ses intentions n'étaient pas si mauvaises et mieux encore, il s'avérait être sympathique et intéressant.
Ramar repensa à sa proposition de travail, au départ. Il pensait toujours ce qu'il avait dit. Il accepterait d'escorter cet homme au besoin. Mais le lui proposerait-il encore, maintenant que certains rideaux étaient tombés ? Il ne pouvait le dire, mais il resta devant le joaillier, à attendre sa réaction, en espérant qu'il comprenne suffisamment bien son point de vue pour que cet conversation continue aussi calmement que jusqu'à présent.
Il restait du moins rêveur en imaginant la portée qu’aurait l’utilisation de ce pouvoir dans son activité… secondaire.
Claquant des doigts, il fit signe au tavernier qu’ils avaient de nouveau soif, et regarda l’aventurier dans les yeux. Malgré ses explications, il lui avait semblé à un moment qu’il craignait sa réaction ? Il décida donc de lui donner un minimum d’explications, juste ce qu’il fallait pour ne pas le pousser à en chercher lui-même.
Il se gratta la gorge, cherchant comment aborder le sujet.
« Ce pouvoir est d’une rare indiscrétion… Mais je maintiens qu’il est fantastique… Je vous avoue que si je l’avais reçu, j’aurais remercié Lucy jour après jour… Je vous dois quelques explications, pour que vous n’alliez pas imaginer que je suis un mystérieux personnage qui cache de terribles secrets ! »
D’un ton badin, il racontait, cherchant tout en parlant sous quel angle présenter les choses pour donner des informations véridiques et vérifiables, tout en en disant le moins possible sur ce qu’il ne tenait pas à dévoiler.
« Vous avez dû le deviner, je ne suis pas né riche… ni noble d’ailleurs… J’ai eu une enfance… » ses traits se durcirent, et son regard tenta de résister en ayant l’air assuré, mais quoi qu’il soit devenu, ses premières années l’avaient marqué à jamais… « disons dure. Je suis né dans le grand nord probablement parce que les premiers souvenirs que j’ai sont au poste frontière, puis à La Forteresse. Je n’ai jamais connu ma mère, je pense que le premier objet que je vous ai remis lui appartenait mais je n’en sais rien en fait. Et à l’époque, je n’avais pas la moindre idée sur l’identité de mon père… J’ai dû batailler, travailler, dès que j’ai été en âge de le faire. Et la vision que j’ai eu des humains à cette époque là n’était pas franchement idyllique. J’ai appris qu’un enfant pauvre et solitaire ouvrait la voix à tous les abus, toutes les trahisons, toutes les exploitations possibles. Loin de susciter la pitié j’ai dû payer chaque bouffée d’air que je respirais, chaque bout de pain que je recevais… Jusqu’au jour où j’ai rencontré une charmante jeune femme que la vie m’a ravie trop tôt. »
Il regarda l’aventurier, il essayait d’être franc, et évasif à la fois, espérant que l’autre ne creuserait pas trop derrière les paroles.
« Je ne vais pas vous raconter toute ma vie, elle n’est en rien intéressante… Au fil des années, j’ai suivi le fleuve et suis descendu au sud, puis plus au sud encore, jusqu’à me fixer dans l’archipel. Le climat comme les gens était moins rudes… Je m’y suis fait quelques amis, que j’ai conservé, et j’y ai rencontré mon père qui semble-t-il m’avait cherché »
Il espérait que le mensonge ne serait pas perceptible, et s’abstint bien de dire en quelles circonstances il avait fait la connaissance de Petrus…
« Ceci pourra vous expliquer « la tenue de nuit » qui fait semble-t-il le désespoir d’une partie de mes vêtements. Je ne suis pas à l’aise déguisé de la sorte » là, son sourire se fit tellement éclatant que le soleil parut s’être levé dans la taverne et briller à son firmament « aussi dés que je ne suis plus en « représentation » enfilai-je des vêtements plus conformes à ce que j’avais l’habitude de porter, ma tenue de nuit »
Il marqua une petite pause et tendit la main comme pour saluer de nouveau Ramar.
« Khôl, Khôshibikir pour être exact… époux d’Ela, enfin presque époux, elle a quitté ce monde avant notre mariage… Je suis devenu Rufus McPhergus lorsque mon père m’a retrouvé et adopté, me présentant comme son héritier à la noblesse de ce pays »
Il eut un regard d’une candeur extrême, si limpide que personne n’aurait pu le soupçonner de mentir… du moins par omission ?
« Voilà, vous savez tout, comme vous le voyez mes « secrets » sont avouables »
Levant son verre, il invita son vis-à-vis à en faire autant, la choppe de nouveau pleine…
- Ce pouvoir est d’une rare indiscrétion… Mais je maintiens qu’il est fantastique… Je vous avoue que si je l’avais reçu, j’aurais remercié Lucy jour après jour… Je vous dois quelques explications, pour que vous n’alliez pas imaginer que je suis un mystérieux personnage qui cache de terribles secrets !
Ramar sourit aimablement. Il comprenait que c'était un compliment, dans l'esprit de Rufus, mais ce n'était pas de l'indiscrétion. Les objets ne disaient rien de compromettant sur les personnes qui ne cachaient rien, celles qui vivaient simplement. L'aventurier comprenait néanmoins la remarque. Pour quelqu'un d'autre, c'était effectivement un pouvoir qui permettait d'en apprendre plus sans consentement.
- Vous avez dû le deviner, je ne suis pas né riche… ni noble d’ailleurs… J’ai eu une enfance… disons dure. Je suis né dans le grand nord probablement parce que les premiers souvenirs que j’ai sont au poste frontière, puis à La Forteresse. Je n’ai jamais connu ma mère, je pense que le premier objet que je vous ai remis lui appartenait mais je n’en sais rien en fait. Et à l’époque, je n’avais pas la moindre idée sur l’identité de mon père… J’ai dû batailler, travailler, dès que j’ai été en âge de le faire. Et la vision que j’ai eu des humains à cette époque là n’était pas franchement idyllique. J’ai appris qu’un enfant pauvre et solitaire ouvrait la voix à tous les abus, toutes les trahisons, toutes les exploitations possibles. Loin de susciter la pitié j’ai dû payer chaque bouffée d’air que je respirais, chaque bout de pain que je recevais… Jusqu’au jour où j’ai rencontré une charmante jeune femme que la vie m’a ravie trop tôt.
Tiens, c'était amusant. Ramar jeta un regard à Chimère. Il venait de la frontière lui aussi, et comprenait donc. Heureusement qu'il y avait rencontré Chimère, elle l'avait énormément aidé à traverser cette époque. Rufus, visiblement, n'avait eu personne, un temps, puis quelqu'un mais l'avait visiblement perdue. Clairement son histoire n'était pas douce...
- Je ne vais pas vous raconter toute ma vie, elle n’est en rien intéressante… Au fil des années, j’ai suivi le fleuve et suis descendu au sud, puis plus au sud encore, jusqu’à me fixer dans l’archipel. Le climat comme les gens était moins rudes… Je m’y suis fait quelques amis, que j’ai conservé, et j’y ai rencontré mon père qui semble-t-il m’avait cherché. Ceci pourra vous expliquer « la tenue de nuit » qui fait semble-t-il le désespoir d’une partie de mes vêtements. Je ne suis pas à l’aise déguisé de la sorte, aussi dès que je ne suis plus en « représentation » enfilai-je des vêtements plus conformes à ce que j’avais l’habitude de porter, ma tenue de nuit.
L'aventurier fut alors prit de court quand le joaillier tendit sa main vers lui, comme pour le saluer à nouveau. Sans vraiment en comprendre la raison alors, il la lui serra, puis fut surpris une fois de plus par les paroles qui arrivèrent juste après.
- Khôl, Khôshibikir pour être exact… époux d’Ela, enfin presque époux, elle a quitté ce monde avant notre mariage… Je suis devenu Rufus McPhergus lorsque mon père m’a retrouvé et adopté, me présentant comme son héritier à la noblesse de ce pays.
Ramar en fut estomaqué. Il se sentit idiot, et aux réactions de ses objets, il comprit qu'eux aussi. Depuis le début, ils avaient comprit qu'il se nommait Krufus, et non Rufus ! Mais pourquoi une telle méprise ? Peut-être avait-il commis un petit lapsus et eux n'y avaient alors vu que du feu ? Oui, ils ne pouvaient pas avoir tous inventés la même chose... En tout cas, l'homme était, comme ils l'avaient senti plus tôt, plus mystérieux qu'un simple joaillier : il avait deux noms pour deux visages ! Enfin, façon de parler...
*Oh Ramar ! Elle a école ! Je viens de comprendre ! "Ela" "Et" "Khôl" ! Cette boucle est liée à sa femme !*
Le jeune homme écarquilla de nouveau les yeux. Chimère avait raison, cela faisait sens, désormais ! Et la voix entendue prenait aussi tout son sens, toute cette tristesse...
*C'est si romantique...*
Nolune, son épée, ne put se retenir de laisser échapper sa tendresse pour cette histoire. Visiblement dans une humeur similaire, Rufus reprit doucement.
- Voilà, vous savez tout, comme vous le voyez mes « secrets » sont avouables.
Entre-temps, le tavernier avait de nouveau rempli leurs gobelets et Rufus leva le sien, comme pour trinquer et conclure son récit. Ramar prit alors sa chope et trinqua avec lui avant de s'abreuver sans aucune timidité.
*C'est ça qu'est bon !* commenta joyeusement le gobelet, suivi par celui du noble.
Une fois bien repu, le jeune homme reposa le récipient et prit lui aussi la parole, tout en récupérant son écharpe pour la placer sur ses épaules avec douceur. Il savait que Chimère aurait pu le faire seule, mais il tenait tout de même à éviter de dévoiler ça aussi sur son pouvoir à Rufus.
- Voilà qui est bien plus clair, à présent ! Désolé de vous avoir appelé Krufus tout du long, nous avions mal compris. Et de même, nous sommes désolés pour Ela et notre incompréhension de tout à l'heure. Dans tous les cas, nous sommes ravis de vous connaître. Vous n'avez en effet pas l'air d'avoir des secrets inavouables, si tant est que vous pouvez me faire confiance, évidemment. Mais comme je vous l'ai dit, je ne suis pas Garde, je suis Aventurier !
Il étancha à nouveau sa soif qui commençait à ne plus en être une, par ailleurs, avant de reprendre plus sérieusement.
- Je ne sais plus comment vous appeler maintenant ! Rufus, j'imagine, cela ira mieux avec votre aspect actuel, si j'ai bien compris. En tout cas, c'est une joie de rencontrer dans la capitale une personne qui vient aussi du grand nord. J'ai débuté en tant qu'aventurier là-bas, puis j'ai pas mal voyagé avant d'arriver ici. Maintenant que nous nous connaissons mieux, je vous réitère mes propos quant à votre escorte. Si vous avez besoin, ce sera probablement avec plaisir.
Ramar lui sourit amicalement avant de terminer.
- Il n'est pas simple pour moi, avec mon pouvoir, de me faire des contacts et encore moins que des gens me fassent un peu confiance et ne me prennent pas pour un fou. Si vous me faites donc assez confiance maintenant et que vous n'avez pas peur de "l'indiscrétion" de mes capacités, n'hésitez pas à me contacter pour vos requêtes. J'en serai avec plaisir si tant est que cela ne m'attire aucun ennui avec la Garde.
Il lui fit un clin d’œil avant de terminer sa pinte. Chimère intervint alors, le ton ferme mais toujours doux.
*Ramar, il va falloir y aller. De plus, je pense que tu as assez bu.*
*Ahah ! "Maman" a parlé !* répondit Diolime, dans l'esprit de l'aventurier, avant que l'écharpe ne laisse échapper un petit juron à son intention.
Ramar grimaça un peu à l'écoute de tout ça, mais il était d'accord. Il était temps, il avait encore besoin de trouver où dormir et manger, et se présenter à la Guilde. Il se leva donc tranquillement, faisant comprendre qu'il devrait bientôt partir. Donc à moins que Rufus n'ait une proposition à lui faire ou un autre sujet d'importance à traiter ou encore un élément à ajouter pour le jeu même, il prendrait congé afin de terminer sa journée qui s'était déjà révélée fructueuse, en bien des sens.
A n’en pas douter, cette rencontre était un don de la déesse… Lui faire rencontrer un aventurier, et un aventurier doté d’un pouvoir pareil…
Souriant, Khôl, pardon Rufus, s’inclina devant son compagnon de taverne et lui signifia qu’en effet il était temps que l’un et l’autre ils aillent vaquer à leurs occupations respectives.
« Il n’y a aucune raison que je vous procure des ennuis avec la Garde ! Quelle idée ! »
Ajustant les Jumelles à sa ceinture, il se recoiffa machinalement, surpris par la couleur de ses cheveux… Ah oui… Quelle mode stupide aussi de changer de couleur de cheveux tous les jours…
« Nous nous reverrons je pense ? Je serai ravi de voyager en votre compagnie. Mais il vous faudra trouver un compagnon dans votre Guilde, en général les escortes se font à deux, même les escortes de routine. Comme je vous l’ai dit, souvent, il n’y a que moi à suivre, je promène le moins possible d’objets de valeur d’un bout à l’autre du royaume, mais parfois… »
Lui tendant une main ferme en le regardant droit dans les yeux, il conclut sur un « Au plaisir de vous revoir Ramar ! Et bonne journée à vous tous »
Il laissa traîner son regard sur l’écharpe, les épées, et d’une façon générale tout ce qui constituait le jeune aventurier, à ce qu’il avait compris, chacun des objets portés était susceptible de parler, autant leur accorder à tous le respect qui leur était dû.