Dans un soupir de désespoir, Dahlia rangea le petit carnet dans lequel elle consignait ses notes journalières, puis enfourna son énième fagot de chocolat, issu d'un vieux morceau de bois ramassé sur le grève, transformé à l'aide de sa hotte du glouton. Voilà bien le seul type de vivre dont elle pouvait se sustenter – outre les bonbons issus de sa chaussette du Solstice suspendue à un palmier non loin de là ; un cadeau d'Arthorias, qu'elle n'était pas sûre de revoir un jour – au regard de ses talents absolument déplorables en matière de chasse ou de pêche.
Au demeurant, ce n'était pas comme s'il y avait quand chose à chasser, sur cet îlot de sable perdu au beau milieu de l'océan. Dahlia n'avait guère entraperçu que quelques crabes, lorsqu'elle avait arpenté de long en large ce territoire insulaire au cours des jours précédents, aidée par ses chaussures de marche magiques. Elle avait d'ailleurs dû commencer par faire sécher celles-ci à l'orée d'un feu de camp - généré par sa pierre de feu, n'ayant aucun talent en matière de friction de silex non plus - tout comme le restant de ses affaires, avant de pouvoir en tirer parti.
Comment en était-elle arrivée là ?
Tout avait commencé lorsqu'elle avait projeté de rallier l'Étoile du Sud. Dahlia avait en effet souhaité mettre à profit ses quelques jours de congés pour réaliser une virée dans cette ville, qui n'accueillait pas moins que le temple du jeu. Après des débuts plus ou moins mirobolants en matière d'arnaque – elle remerciait encore Lucy d'avoir rencontré cet Uriah à l'une de ses premières soirées, dont l'aide avait été plus que précieuse – elle s'était estimée suffisamment parée pour s'y aventurer. Armée de son jeu de Cartacousur, dont la magie n'était pas décelable dans les casinos, Dahlia escomptait bien réaliser un maximum de profits.
Sauf que… Elle n'y était jamais parvenue, à cette ville. À l'issue d'une partie de cartes sur le navire qui devait l'y amener, ses adversaires - particulièrement mauvais perdants, d'autant plus pintés tels qu'ils l'étaient - s'en étaient pris à elle, et avaient entrepris… de la jeter par dessus bord, sans guère de cérémonie. Enfin, cela avait surtout été un accident, dû à leurs gestes rendus hasardeux par leurs esprits un peu trop avinés. L'un des hommes, en constatant que Dahlia avait basculé par dessus la rambarde du pont, et s'était faite engloutir par l'onde bouillonnante, s'était empressé de se faire la malle, tandis que son compagnon avait eu la présence d'esprit de lui jeter une bouée, par acquis de conscience, avant d'imiter son ami et de retourner à sa cabine fissa. À la faveur de la nuit, personne d'autre n'avait remarqué cet incident.
Dahlia avait ainsi été bringuebalée bon gré mal gré, durant un laps de temps indéfinissable, par le roulis tumultueux des flots, jusqu'à échouer sur une plage sablonneuse au petit matin. L'île qu'elle venait tout juste de découvrir – bien malgré elle – était entourée par l'immensité ardoise de l'océan, qui se déployait à perte de vue. La garde, après avoir recraché toute l'eau salée contenue dans ses poumons malmenés, s'était ainsi échinée à survivre, espérant qu'un bateau finirait par poindre et rompre la monotonie infinie de l'horizon.
Le problème, c'était que Dahlia amorçait déjà l'aube de son cinquième jour sur l'île, sans qu'aucun navire ne se soit manifesté. Il y en avait peut-être eu de passage, pendant qu'elle somnolait à l'ombre d'un cocotier, mais elle avait dans ce cas véritablement joué de malchance. Et bien qu'elle pouvait encore survivre un certain temps, grâce à ses nombreux objets magiques – notamment sa gourde fontaine et son emport'tout, sans lesquels elle n'aurait jamais pu passer la première nuit – sa situation devenait tout de même de plus en plus critique.
Dahlia avait bien songé à employer une pastille synébrale pour prévenir une personne de son entourage, mais elle n'avait pas la moindre idée de sa localisation, et il lui semblait plus rapide d'attendre qu'un bateau passe à proximité, plutôt qu'on se lance vainement à sa recherche. Elle commençait toutefois à réellement considérer cette option – avant que son sang ne devienne aussi sirupeux que du chocolat, la présente et unique composante de son régime alimentaire – quand son regard finit par accrocher une forme indistincte au loin, qui se démarquait sur l'infinité houleuse de la mer.
« Lucy soit louée ! Un navire, enfin ! »
L'espoir vint l'animer d'une force nouvelle, et Dahlia commença par s'époumoner à grands renforts de gesticulations désespérées. Toutefois, à son grand dam, elle constata que le navire continuait à s'éloigner, la distance les séparant ne lui permettant pas d'être décelée par l'équipage. Dans un sursaut de panique, Dahlia se précipita vers son grand sac sans fond, et en sortit une fumerolle qu'elle secoua vivement avant de la projeter en l'air. Le dense et opaque panache qui s'en échappa devrait normalement suffire à attirer l'attention. Elle l'espérait, en tout cas, de tout cœur, désireuse qu'elle était de quitter enfin son îlot perdu.
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