Ces deux mots résumaient ce qu’il cherchait. Après, il était bien placé pour savoir que « le meilleur » n’était pas une vérité fiable, pour l’un ce serait untel et pour l’autre unautretel… Des forgerons, il y en avait des centaines, peut-être même des milliers dans le royaume d’Aryon si on incluait toutes les forges des villages plus ou moins éloignés de la capitale, certains étaient bons, d’autres très bons… D’autres tout juste capable de façonner une serpe ou un couteau de cuisine… Lui voulait simplement « le meilleur ».
Et ce meilleur devait être capable d’ouverture d’esprit, d’inventivité, d’une compréhension au-delà de la normale. Il devrait accepter une collaboration, pas comme ce petit montagnard qui estimait qu’une commande : c’est faire des poignards et que lui seul décidait de ce qu’ils seraient…
Rufus voulait ses propres dagues, des dagues qui seraient dessinées, pensées et réalisées par un artiste de la forge, mais qui seraient aussi ses filles, parce qu’y seraient les pierres que lui aurait choisies et c’était une condition incontournable. Il n’avait ni à expliquer véritablement pourquoi il le voulait, ni à se justifier... Il ne lésinerait pas sur le prix, ne le discuterait même pas.
Il voulait un homme capable de faire deux armes complémentaires et uniques, capables de tuer sans un effort, de défendre ou d’attaquer… Elles devraient être belles, racées, personnelles… et serties de pierreries qu’il aurait choisies et taillées. Elles devraient, selon l’environnement, paraître deux jouets luxueux ou deux menaces précieuses…
A eux deux, le forgeron et le lapidaire, ils donneraient à ce duo d’armes jumelles un caractère qu’aucune autre arme n’aurait jamais eu, elles seraient à la fois redoutables, magnifiques, et inestimables…
Jouant avec « ses » jumelles, simples dagues au manche en os gravé et sculpté et à la lame d’acier, il les caressa avec l’amour d’un père pour ses filles…
- Elles ne vous remplaceront pas… Jamais. Mais ce qu’elles auront vous ne sauriez l’avoir. Vous le donnez vous priverait de votre essence même, de ce qui fait votre âme…
Sa longue main fine et agile s’attarda sur leurs courbes et leur tranchant… Il aimait les caresser plus encore que des femmes, et on ne pouvait pas lui reprocher de ne pas apprécier les femmes…
Regardant les cals que les manucures successives ne parvenaient à effacer, il sourit. Rufus McPhergus ne serait jamais un godelureau de salon… Ses mains, ses dagues, avaient sauvée sa vie et fait sa fortune, elles continueraient, n’en déplaise aux messieurs aux ongles limés de frais et à la peau de bébé à peine né, qui appelaient au secours après chaque séance d’entrainement à l’épée pour supprimer toute rudesse liée au travail des armes…
Devant son miroir, dans la vaste pièce qu’on appelait sa chambre et qu’il n’arrivait pas à considérer comme telle après tant d’années passées à coucher à même le sol ou sur la paille des cachots, il passa en revue son corps nu. La main droite tendue vers son reflet, il suivait la courbe de ses épaules, dures au toucher, musclées, son torse couturé de cicatrices que son valet s’évertuait à cacher, ses hanches osseuses et souples… Il passa avec un sourire aux jambes, ses yeux brillants en passant sous silence ce qui se trouvait entre la taille et les cuisses, et eut plaisir à voir ce qui restait du trou fait par l’épieu de ce maudit garde lorsqu’il avait quatorze ans, d’autres griffures profondes que le temps avait juste rendues plus claires… Il n’était pas un petit noble de cour, habitué à parader dans les salles de réception et à accompagner les dames au théâtre…
Son corps était celui d’un vétéran, d’un homme d’action et de violence, et il le revendiquait comme tel. Cela ne l’empêchait pas de porter beau et ses muscles durs et saillants lui permettaient de mettre en valeur n’importe quelle tenue. Il lui suffisait de croiser les regards de mépris feint des hommes et ceux admiratifs de leurs femmes pour en être assuré.
Chassant le plaisir que lui procurait la contemplation de son être, il passa en revue les tenues que lui proposait l’ombre silencieuse que son père lui avait assigné comme valet personnel. Le brave homme, âgé d’une soixantaine d’années, d’une laideur « classique » pourrait-on dire, presque chauve, nez plus long qu’il n’aurait fallu -du moins pour les critères de la noblesse- oreilles légèrement décollées, dentition inégale malgré la blancheur des dents, taille au-dessus de la moyenne mais maigreur que rien ne parvenait à chasser, avait presque autant de joie à voir déambuler son jeune et gracieux félin de maître que ce dernier en avait à s’admirer.
Il donnait l’impression de prendre sa revanche sur la vie lorsque le jeune homme ramenait une conquête ou lui racontait une soirée particulièrement chaude… Anonyme et discret, il avait pris le parti du « bâtard » avec une facilité déconcertante, et savourait sa position de premier valet de chambre avec délectation. En retour, outre un salaire plus que généreux et des « primes » données de la main à la main, il se voyait chargé de bien des missions totalement en inadéquation avec son rang, dont il s’acquittait parfaitement, et qui le ravissaient.
- C’est un noble récent, mais il a une réputation de sérieux et de bonne conduite sans la moindre tâche… Je ne peux pas paraître futile, ni trop… riche. La futilité me desservirait, et la richesse risquerait de le blesser s’il me soupçonne de vouloir en faire étalage… Il doit de plus être plus âgé que moi, je ne peux pas avoir l’air d’un enfant irréfléchi… Hank ? tu ne penses pas que ces couleurs vont me donner l’air à la fois trop jeune et fat ?
Hank regarda son maître toujours nu comme un ver, et les cinq tenues posées sur le lit et les chaises. Il en rangea deux jugées trop colorées et singulières, observa les trois autres avec application.
- Ferez-vous appel au coiffeur ou garderez-vous vos cheveux naturels Monsieur ?
Rufus/Khôl se retourna vers le miroir qui lui renvoya une longue tignasse flamboyante, d’un orange sombre et ardent couleur de flamme gourmande…
- Naturels
Hank retira d’un geste vif les trois tenues restantes et revint illico avec un ensemble dans les tons bruns, de lourde soie brodée ton sur ton. Une chemise plus sombre fut posée sur le lit, une ceinture en tissu, large, mêlant un camaïeu de tons allant du beige au brun en passant par un orangé qui rappelait la chevelure du jeune homme. Le pantalon, de coupe évasée mais d’un poids respectable tomberait parfaitement sur les hanches de son maître, lui donnant cet aspect de lutteur exotique qui l’avait déjà fait remarquer lors de ses premières sorties dans les maisons nobles.
Le jeune homme vêtu, il prit lui-même plaisir à tresser ses longs cheveux et à en faire un lourd chignon bas retenu par un simple peigne en or façonné par son maître. Une paire de bracelet tenant à la fois de brassards de combat et de parures, et un collier d’une extrême simplicité complétèrent les atours neutres et raisonnables.
Reculant pour admirer son œuvre, le valet se complimenta lui-même tandis qu’un sourire radieux lui répondait dans le miroir…
- Habiller Monsieur est un tel plaisir !
Rufus se retint d’éclater de rire, se sentant la poupée du vieil homme mais appréciant du regard le résultat obtenu…
Bien, maintenant qu’il avait l’air à la fois raisonnablement riche, jeune mais pas trop, juste ce qu’il fallait d’excentrique tout en semblant sérieux et mature, il allait pouvoir se pencher sur la présentation de sa demande…
Il passa en revue les quelques ébauches qu’il avait faites des armes recherchées… Il conviendrait bien d’expliquer qu’elles n’étaient en rien contractuelles, il donnait simplement une idée de ce qu’il recherchait comme effet visuel.
Prenant à la tête de son lit une bourse assez rebondie, il en sortit la douzaine de pierres qu’il comptait inclure dans « l’œuvre » finale. Le valet le suivit du regard, soudain inquiet.
- Monsieur ne compte pas emporter ces merveilles chez ce forgeron ?
- Maître de forges Hank, pas forgeron. Bien sûr que je vais les emporter, comment veux-tu qu’il ait une idée de ce que je veux s’il ne les voit pas ?
- Monsieur n’est pas raisonnable… Vous ne comptez pas y aller à pieds au moins ?
Rufus éclata de rire…
- Avec ce que tu me fais porter je m’en voudrais d’arriver crotté… Non, j’irai en voiture, et personne d’autre que lui ne verra mes « merveilles »
Laissant Hank dubitatif et malgré tout inquiet, il alla s’occuper de son départ, il avait donné rendez-vous à ce Nivan Drayr, on n’est pas en retard à un premier rendez-vous, du moins chez les McPhergus ! Arriver à l’heure, ni avant ni après, délivre un message simple : respect mutuel… C’est ce qu’il voulait indiquer à son interlocuteur, il le respectait mais attendait de lui la même attitude en retour…
Cela lui paraissait un préalable parfait à des relations d’affaires fructueuses…
Mais le fait était qu'il avait la tête ailleurs. De récents évènements avaient fêlée sa carapace. Avait abimées les murailles qui lui permettait de tenir. Et il ne parvenait pas à savoir s'il devait laisser le mur s'écrouler, ou s'il devait au contraire en colmater chaque brèches. Il s'était stoppé. Là. Devant cette demeure fastueuse aux jardins agréables. Son regard s'était tourné en direction d'un jardiniers qui s'affairait à le rendre plus merveilleux encore. Il soupira. Levant le regard vers le ciel, clair, bien que parsemé de quelques nuages. Il n'allait sûrement pas pleuvoir aujourd'hui.
Reprenant sa marche en estimant l'heure, il savait qu'il n'était pas en retard. Il millimétrait toujours ses entrevues. Ponctuel, il avait toujours eu horreur d'être en retard. Il espérait intérieurement que son prochain client ne le ferait pas attendre. Nivan avait beau travailler avec des nobles riches et arrogants, il attendais d'eux la même rigueur qu'il leur offrait. Il ne se privait d'ailleurs pas de le leur faire remarqué lorsque la règle, bien que tacite, était entachée.
Quoi qu'il en soit, il se contenta de marcher d'un pas cadencé, à une allure régulière. Il faisait encore frais. Ignorant les gens qu'il croisait, comme à son habitude. Contre son torse, il tenait un calepin de note. il avait glissé son stylo dans la poche intérieur de son long manteau sombre. L'épingle en or qui tenait le col de sa chemise blanche était impeccable. Ses bottes cirées battaient le pavé alors qu'il parvenait bientôt sur la place qui accueillait son unique forge. Pour le moment. Il n'en avait pas encore fait étalage, mais il avait pour projet d'acquérir un autre local, ailleurs que dans la capitale. Sa tenue, bien que sobre, était impeccable. Seul bémol: une légère balafre récente sur sa joue, et de nombreux pansements sur ses mains. Vestige d'une journée qu'il aurait bien voulu oublier.
Il s'avança néanmoins vers la forge. Sous le préau, l'un de ses employés terminait les finitions d'un bouclier. "Bonjour Hector". Prononça Nivan alors qu'il arrivait à sa hauteur. L'homme lui adressa un signe de tête. "Bonjour Nivan". Avait lancé l'homme en se tournant brièvement vers lui avant de reprendre son travail. Nivan n'avait jamais demandé à être appelé "Monsieur". Et surtout pas "Monsieur Drayr". Le tutoiement, comme l'usage de son prénom, lui allait très bien. Il avait lui même formées ses deux recrues. Ils ne comptait pas abuser de son titre pour leur rappeler que leur place était en dessous de la sienne. Il était bien situé pour comprendre que cette hiérarchie fictive n'était bonne que pour ceux qui était né en haut de la pyramide.
Il s'apprêtait à pousser la porte de la forge pour saluer le deuxième homme, probablement à l'intérieur, lorsque des bruits de sabots se firent entendre. Une voiture approchait. Pile à l'heure, remarqua intérieurement Nivan en se ravisant. Se postant droit comme un pic devant la porte, son calepin toujours serré contre lui, sa main libre dans son dos. Il avait intérêt à être courtois. Nivan n'était pas d'humeur.
Caressant les jumelles, devenues avec le temps autant des porte-bonheurs que des armes, il puisa en elle l’inspiration. Il modéra donc son allure, ne ralentissant pas vraiment, mais adoptant une allure plus proche de l’amble que du galop.
Debout et raide devant la porte, un homme d’une trentaine d’années qui avait réussi à allier une vêture simple et fonctionnelle mais cossue, l’attendait visiblement. Continuant à avancer, il enregistra qu’il était beaucoup plus jeune que ce qu’il imaginait, vraiment beaucoup plus jeune, au moins d’une dizaine d’années… En fait, il ne devait être son aîné que de peu.
Cela lui donnait deux indications, fraichement anobli, il devait réellement son rang à sa valeur et non à la fréquentation assidue de quelques clients riches et puissants qu’il aurait réussi à soudoyer. Aucune maison noble suffisamment bien vue en cour pour obtenir un anoblissement aussi rapide n’aurait accepté de recommander un homme sans le connaître depuis bien plus longtemps. Ensuite, s’il était bon à ce point, certes cela faisait son affaire, mais il allait être âpre en affaires, car il était certain qu’il le savait.
Rufus/Khôl se redressa donc, tendant une main qu’il voulait à la fois digne et amicale -tout en grimaçant intérieurement car sa dernière lubie de lecture lui avait laissé à l’aisselle droite un trou de flèche mal cicatrisé- tout en se présentant :
- Rufus McPhergus, je vous remercie de prendre sur votre temps pour me recevoir.
Bon, il avait placé l’autre sur un -petit- piédestal, la politesse de base, il était client, mais l’homme n’était pas n’importe quel fournisseur. Il nota que si lui peinait à se servir de son bras droit, son vis-à-vis avait dû rencontrer une griffe vindicative… Ses yeux brillèrent le temps de serrer franchement la main tendue en retour.
- Je suppose que pas plus que moi vous ne souhaitez discourir dans la cour ? Ma demande est simple, vous verrez.
Suivant son hôte, il vérifia par habitude la présence de la bourse de gemmes à sa ceinture, ainsi que celle des dessins dans leur rouleau de transport. Arrivés dans un bureau, il fit face au maître de forge qui semblait attendre des précisions. Il prit son inspiration, résuma par la pensée ses besoins, et chercha son angle d’approche.
- Je ne souhaite pas vous flatter, mais je tiens à vous dire que si je suis là, c’est que vous avez la réputation d’être excellent. Vous et moi avons un point commun, nous nous sommes faits nous même et ne sommes là où nous sommes que parce que nous sommes bons dans notre partie. Ce n’est pas de la suffisance de ma part, je me doute que vous pensez : il est très jeune, et bien sûr de lui…
Il sourit, de ce sourire qui généralement gagnait les cœurs des hommes et plus encore des femmes.
- C’est vrai.
Il marqua une pause et souriant toujours continua :
- C’est vrai pour vous également… Vous êtes bien plus jeune que votre réputation ne permettait de le penser. J’ai besoin du Meilleur. Rien de moins. D’un homme qui soit à la fois un artisan, un artiste, un professionnel hors pair et un visionnaire…
Il guettait les réactions et fut ravi de voir que l’autre ne bronchait pas, quelle que soit sa réponse, ce type était à soigner… Il dénotait et tranchait sur la masse de cloportes dodus et mous qui se déclaraient nobles… A n’en pas douter, il devait être fort intéressant à découvrir puis fréquenter… Mais pour le moment, là n’était pas la question.
- Peut-être vous êtes-vous renseigné sur moi ? Probablement ? Moi je l’aurais fait en tout cas. Je suis joaillier, je le suis avant d’être le fils naturel de Petrus McPhergus et j’aime mon métier par-dessus tout. A quelqu’un comme vous je peux le dire sans risquer d’être pris pour un fou je pense ? Je taille les pierres comme personne ne l’a jamais fait, et les dagues que je souhaite arborer devront être à la fois des armes hors norme et efficaces, forgées par un expert et capables de me défendre en toutes circonstances ; et des joyaux, à la fois le symbole de ma réussite et une réclame ambulante pour mes techniques professionnelles.
Il surveillait toujours Nivan Drayr et devait avec plaisir s’avouer qu’il était impénétrable… Quel partenaire !
- Elles devront aussi être « un coffre-fort » que je pourrais porter partout où j’irais, d’où mon insistance pour que leurs manches soient incrustés de pierres précieuses de grande valeur, choisies et travaillées par moi. Je suis jeune, et sans doute infatué mais je sais que je pourrais un jour avoir besoin d’un objet petit, précieux et aisément monnayable. Ceci-dit, à l’heure d’aujourd’hui, je les veux pour moi et non pour les vendre à quiconque. Ce dernier point n’est qu’une précaution supplémentaire, la vie est parfois joueuse…
Il marqua une nouvelle pause, soudain particulièrement sérieux. Lucy l’avait tant favorisé, puisse-t-elle le faire encore de longues années…
Il avait parlé, son tour était passé, sortant la bourse il fit couler sur la table une douzaine de pierres de taille impressionnante, d’une pureté exceptionnelle que le lapidaire qu’il était avait effectivement taillé d’une manière jamais égalée, bouleversant les techniques ancestrales pour ne retenir des gemmes que leur beauté et leur simplicité, les mettant en valeur de telle façon que cela n’avait jamais été vu. Sa main s’attarda sur elles comme un père caresserait ses enfants, il avait le regard vif et une lueur de fierté dans les yeux qui faisaient ressortir sa jeunesse, son enthousiasme, et la confiance qu’il avait en son interlocuteur.
- Pensez-vous que nous pourrions nous entendre ? Il ne s’agit pas de forger une paire de dagues, il s’agit de créer des armes qui feront notre fierté à tous les deux, vous en tant qu’armurier, moi en tant que lapidaire et joaillier.
Le marché posé, il recula d’un pas, laissant la bourse et son contenu sur la table.
Bien qu'il passe pour un homme hautain et orgueilleux aux yeux de ceux qui ne le connaissent pas, il était en réalité bien loin de cela. Il avait d'autres défauts. Pas ceux là. Quoi qu'il en soit, il saisi la main tendu, soutenant sans mal le regard franc de l'homme qui lui faisait face. "Nivan". Prononça t-il simplement pour toute présentation. Impassible. D'une voix grave et sans timbre. Son nom de famille était un détail à ses yeux. Il ne s'en encombra pas. bien qu'il sache parfaitement que ce n'était pas l'usage. Il était ici chez lui après tout.
Acquiesçant d'un signe de tête alors que son client du jour lui suggérait d'entrer, il poussa la porte pour l'y inviter. Traversant la forge pour entrer dans un petit bureau sans grand cachet. Une fenêtre sur l'extérieur; Une table de bois. Dos au mur du fond, une chaise, en face de cette même table qui servait en fait de bureau. En face, deux autres chaises, plus confortable que la sienne en fait...Pour ses clients. La seule particularité était qu'un dragon de métal était poinçonné au mur sur une grande plaque d'ébène, au dessus de cette chaise. Nivan en était le créateur. A son anoblissement, il avait du créer ses armoiries. Quoi de plus naturel qu'un dragon?
D'anciennes créations du forgeron qu'il était autrefois meublait le reste de la pièce. Des armures étincelante sur portant, d'autres, maculées de rouilles, ou de coup parfois même de tâches brunes suspectes. Des vestiges pour beaucoup. Des souvenirs pour lui. De nombreuses épées, haches, masses d'arme et espadons en tout genre était fixés ça et là. Certains sans grand intérêts, d'autres d'une beauté exemplaire. Certains serties de pierres précieuses, d'autre pas. Une vitrine habillait un coin, regroupant un lot de dague et poignard aussi disparate qu'étonnants. Étaient regroupées ici toutes les créations de Nivan qu'il avait conservé au fil du temps. Certaines étaient des ébauche, des tests inachevé. D'autres étaient d'une finition impeccable. La vie de Nivan résumée sur ces murs. Rien de plus.
Il pris place sur la chaise dos au mur, invitant son client à prendre place en face de lui alors qu'il se lançait dans un tas d'explication. Nivan se contenta d'écouter, impassible. Cet homme était tellement bavard que le forgeron n'était pas certain d'être utile. Il semblait se parler à lui même. Nul doute qu'il ai une vision très spéciale de la commande qu'il souhaitait passer. Sans doute parut il dédaigneux, à ne pas lui répondre. Mais il était ainsi. Il lui fallait du temps assimiler le flot de paroles. Il ne réagissait pas - ou très peu - à chaud. Il murissait sa réflexion avant de la formuler.
remettant dans l'ordre les paroles de l'homme qui lui faisait face, il s'adossa, croisant les bras sur son torse. Il n'avait pas quitté Rufus des yeux une seul seconde. "Heureux de savoir que mon travail trouve grâce à vos yeux". Finit-il par amorcer de sa voix grave, bien que paisible et assurée. "Maintenant que j'ai vos élément. Je tiens à préciser une chose". Reprit-il toujours aussi impassible. Il ne faisait jamais de très longues tirade. Il ponctuait toujours ses paroles d'une pause plus ou moins brève. Pause calculée qui masquait le fait qu'il avait toujours du mal à trouver ses mots. "Votre demande n'est pas simple." Corrigea t-il alors, se souvenant parfaitement de l'annonce de son client lorsqu'ils étaient entrés dans le lieu. "Si elle l'était, vous ne seriez pas ici". Acheva t-il, toujours aussi neutre. Il ne portait pas de jugement, ni n'annonçait être en incapacité de la réaliser. C'était un fait, voilà tout. Il aimait rétablir l'équilibre.
Il repris après une courte pause. Faisant le tri dans les paroles qu'avait prononcé l'homme en face de lui. "Je ne me suis pas renseigné sur vous...non". Ce n'était pas son genre. Mais il en savait plus que ce qu'il précisait présentement. "Mais j'ai entendu parler de vous." Précisa t-il malgré tout. Ce n'était pas un aveu. Certaines personne étaient plus connues que d'autres. Ca aussi c'était un fait. Et ca ne le conduisait à aucune déduction. toujours est-il que cet homme était doté d'une assurance peu commune. Soit. Nivan ne pouvait pas juger la fierté d'un travail bien réalisé; il la ressentait aussi, bien qu'il l'exprime beaucoup moins.
Il avait bien compris la demande. L'homme venait d'achever de parler. Et au risque de paraitre insultant, Nivan n'en était intérieurement pas mécontent. Les flots de paroles soudain et discontinu l'épuisait. Ca n'avait rien de personnel. D'autant plus qu'il n'était pas dans un bon jour.
Son regard se porta sur les joyaux. Il n'était pas joaillier. Il savait reconnaitre une gemme de bonne qualité, mais n'avait très certainement pas l'œil aguerris de celui qui les avaient produites. Il savait néanmoins les mettre en valeur. Ce qui était une bonne chose puisqu'il s'agissait de son travail. "C'est entendu". Conclu simplement Nivan qui avait le don d'en dire peu; Tout le temps. Son regard avait quittées les gemmes pour se reporter sur son interlocuteur. "Avez vous un croquis?" Amorça t-il simplement; Il semblait désintéressé au possible; Mais dans sa tête se bousculait déjà les possibilités. "Si ce n'est pas le cas, nous pouvons travailler ensemble pour en réaliser un". Proposa t-il simplement. "Hector est spécialisé dans les dagues et poignards. Il s'en occupera. Je m'occuperait du sertissage". Précisa Nivan qui savait que parfois, ses clients n'appréciaient pas qu'il ne s'en charge pas lui même, oubliant qu'il n'était plus forgeron lui même. En revanche, Rufus semblait avoir une affection particulière pour ses joyaux. Par respect, il pris l'initiative de s'en occuper.
Rufus sourit, non pas un sourire de convenance, mais de connivence. Il était resté debout et n’avait cessé de regarder les objets exposés et la décoration -ou absence de décoration ?- de la pièce. Pour une fois succint, il répondit.
« En effet. J’aurais été déçu que vous l’acceptiez comme telle. J’en ai plusieurs, mais aucun n’a ma préférence »
Il sortit son rouleau à esquisses, étalant les croquis. Hector ? Va pour Hector, il n’avait aucun à priori défavorable vis-à-vis de cet homme et si son patron le choisissait, c’était un bon choix.
« Si vous ou votre homme avez de meilleures idées, je les adopterais sans aucune gêne, la forge est votre domaine, vous savez ce qui est faisable ou pas, ce qui est meilleur et moins bon »
Il fit quelques pas, se rapprochant de la vitrine, certains des poignards le fascinaient… Un court instant, il se demanda ce que signifiait l’attrait qu’il ressentait pour les dagues et coutelas… Il aimait les sentir dans sa main, légers, rapides, dangereux. Pour lui, c’était l’arme reine, celle qui vous permettait de vous mesurer au corps à corps, sans la moindre lâcheté, celle qui faisait que votre vie, ou celle de l’adversaire prenait toute sa valeur et sa saveur… Il n’avait jamais apprécié les épées même si certaines étaient superbes et plaisantes à manier, encore moins les armes de jet ou les arcs. Il avait besoin du contact de l’autre, du danger qu’il représentait et de sentir que de ses réflexes, de sa rapidité d’action, de sa maîtrise de l’arme, en un mot de sa valeur, dépendrait sa survie.
Laissant Nivan examiner les dessins, il passa d’un objet à l’autre, marchand souplement et calmement, sans faire de bruit. Le dragon bien sûr retint son attention et il le soupesa des yeux, admiratif. Il s’abstint toutefois de commenter, s’il parlait beaucoup, ce n’était pas tant pour prendre de l’assurance, l’assurance il l’avait. Trop pensaient de nombreuses personnes.
Avec certains, parler servait à noyer le poisson comme on le disait vulgairement, d’autres, à leur donner de l’importance ce qui revenait au même en fait, d’autres encore à les rassurer, le flot de paroles leur donnait l’impression que vous vous livriez alors même que vous ne disiez rien… Parler était un don, d’une façon générale, les humains se méfient beaucoup moins d’un beau parleur que d’un muet. La plupart, Nivan Drayr lui, écoutait, mesurait, et ne se laissait pas submerger…
Tout à son observation il finit par se planter debout, appuyé contre un mur à attendre le verdict de son interlocuteur.
Il pensa à un moment donné demander si cet Hector ne voudrait pas donner son avis, mais il se dit que Nivan savait mieux que lui si c’était ou non nécessaire. A vrai dire, il pensait que le maître de forge méritait sa confiance et n’avait donc nulle envie de lui mettre des bâtons dans les roues. Quel que soit son métier, un bon professionnel n’a pas à être accompagné dans sa démarche. Il ne l’avait jamais fait, plus jeune, son boulot à lui était d’ouvrir des portes… celles des demeures pas celles des coffres, pour celles-là, il y avait d’autres spécialistes… Là, il en était de même, lui s’occupait des gemmes, Nivan de la conduite du projet, et Hector puisqu’Hector il y avait de la forge. Ça constituait une équipe, et c’était parfait comme ça.
Regardant le grand homme à cornes devant lui il ajouta.
« Tenez-vous à ce que nous fixions cela ensemble et de suite ? ou puis-je vous faire confiance ? Vous savez mieux que moi ce qui convient, et … j’aime être surpris. Je pense que je le serai heureusement avec vous et votre équipe. »
Il était prêt à se détourner pour sortir, signifiant qu’il entendait bien laisser la responsabilité du design à son interlocuteur quand il se retourna.
« Oh… et votre prix sera le mien, je n’en ai pas parlé parce que c’est évident, mais pourrais-je savoir à quelle dépense je m’engage ? ou est-ce trop tôt encore ? »
De nouveau il attendit… L’autre en profiterait-il pour fixer un prix extravagant ? C’était la dernière épreuve, celle qui le confirmerait dans ses certitudes il en était presque assuré. Cet homme ne mésestimerait pas son travail, mais s’il l’avait jaugé correctement, ne profiterait pas de cette aubaine non plus.
Se rappelant à l'ordre intérieurement, il reporta très rapidement son attention sur les croquis. L'idée de base était claire. Parcourant les différents croquis, il réalisa qu'il avait pensé ses lames comme deux jumelles. Pourquoi pas comme deux siamoises? Alors que le maitre de forge réfléchissait en silence, Rufus avait repris la parole. Evidemment, le prix. Si beaucoup n'était pas capable d'établir un devis du premier coup d'œil, Nivan n'avait pas le moindre problème à s'y risquer. Après tout, c'était lui qui achetait la matière première, lui qui négociait tout. Il n'eu pas non plus beaucoup de mal à estimer le temps qu'il leur faudrait. Trois à quatre jours sans doute. Ce qui acheva de définir son prix. "Je penses que nous ne seront pas loin des 140 cristaux clairs. Vous fournissez les joyaux. Il va de soit qu'ils n'entrent pas dans le calcul". Précisa simplement Nivan qui savait pertinemment son prix compétitif pour deux armes. Il n'était pas franchement réputé pour des prix exorbitants. Mais en contrepartie, il s'octroyait le droit de refuser des commandes. Les dagues étaient particulières. Bien que plus petites que les autres armes, elle présentaient souvent une finition bien plus soigneuse.
"Si ce prix vous convient, j'aimerais que nous discutions de la demande pour la préciser". Repris Nivan en reportant son attention sur les croquis. "Il va également me falloir un moulage de vos mains". Reprit simplement Nivan. Qui dit sur mesure, dit mesure. Si Rufus voulait une préhension optimum, il lui faudrait se plier à l'exercice. Nivan s'était redressé, croisant les bras sur son torse, reportant son attention sur son client. "Avez vous des critères que vous souhaitez absolument nous voir respecter?" Et par NOUS il entendait bien sur, Hector et lui même. Il ne pouvait pas l'exclure de l'équation.
« Le prix est parfaitement raisonnable, voulez-vous un acompte ? Je ne sais comment vous travaillez »
Lui en prenait toujours une, cela responsabilisait le client, en lâchant une part non négligeable du prix, il s’engageait à ne pas revenir sur la commande… La plupart des gens se sentaient liés par le simple fait de payer, même un tiers du montant total… Parfois la moitié s’il sentait le demandeur particulièrement incertain ou versatile…
Par-contre, il resta surpris par la demande suivante « un moulage de ses mains ? » c’était logique, mais jamais on ne lui avait demandé une chose pareille. Ses yeux se reportèrent sur ses longs doigts fins et nerveux, et sur ses paumes caleuses désespoirs des manucures… Quelque chose le dérangeait dans la demande bien qu’il ne puisse la déclarer exagérée ni stupide.
« Prenez autant de moulages que vous le souhaiterez, mais donnez-moi votre parole qu’ils seront détruits ensuite ? Cela peut vous paraître ridicule, mais mes mains sont mon outil de travail, savoir qu’elles existeront ailleurs qu’au bout de mes poignets me dérange un peu »
Il se reporta à la demande suivante…
« Avez-vous des critères que vous souhaitez absolument nous voir respecter ? »
En avait-il ? A l’origine, il avait représenté sur chacun des croquis les armes des McPhergus, mais aujourd’hui, il n’était plus trop sûr que c’était judicieux… Certes, les faire figurer sur le manche servirait son premier dessein, à savoir affirmer sa position au sein de la noblesse et de sa désormais famille, mais ça lui semblait désormais faire « parvenu »… Moins il rappellerait ses origines plébéiennes, et plus sa légitimité serait assise…
« Je ne vois pas quels critères supplémentaires j’aurais à ajouter, même mes armoiries ne sont pas obligatoires. Je vous ai dit le pourquoi de cette commande, à vous de voir ce qui est nécessaire ou pas. La seule chose que je souhaite comme je vous l’ai expliqué, c’est que ces dagues soient de véritables armes et non pas des jouets qu’on exhibe. Je ne suis pas un arpenteur de salons, ni un bretteur de salle d’entraînement. J’aime combattre, de vrais combats, au corps à corps. Mes adversaires ne sont généralement pas de jeunes nobles qui cesseront d’attaquer au premier sang. Je souhaite donc que toutes les armes que je porte me permettent pareillement de me défendre. Je n’ai rien d’autre à préciser. »
Il n’était pas certain qu’attirer l’attention sur le type de combats que risquaient de disputer les futures merveilles était sage, mais pour rien au monde il n’aurait voulu se trouver sans défense avec l’équivalent d’un poignard en bois…
Et puis pour une raison qui lui échappait, mais il avait toujours été instinctif et rarement trompé par son ressenti, il voyait Nivan Drayr comme un médecin soumis au secret médical. Il pensait, à tort ou à raison, que son vis-à-vis garderait pour lui ce qu’on lui confiait dans un cadre professionnel, que cela le surprenne ou pas.
« Je suis à votre disposition. »
Et par VOTRE il entendait bien sur, Hector et son patron qui ne voulait pas l'exclure de l'équation.
Il accepta. Avec une demande somme toute un peu particulière. Que Nivan pu comprendre malgré tout. Il ne s'embarrassait de toute façon jamais de ces moulures. Qu'en aurait-il fait? Se contentant d'ouvrir la porte d'une petite armoire située derrière lui, contre le mure, il en sortie un pain d'argile emballé soigneusement dans du papier craft. "Je ne conserve jamais les moulures. Et rassurez vous, je n'ai pas besoin de votre main complète". Repris simplement Nivan, histoire d'être certain qu'il ai bien compris. "Je représente simplement des dagues grossières en argile à partir du croquis que nous aurons validé". Amorça t-il simplement. Le but était que la poignée du modèle soit le plus ressemblant possible de celui qui serait achevé. "Vous n'aurez qu'à le saisir comme vous avez l'habitude de tenir vos dague. L'empreinte laissée me permettra de garantir la même préhension sur les dagues finale". Expliqua simplement Nivan de sa voix grave et sans timbre. Il avait bien entendu le choix. "Mais si vous vous préférez une poignée lisse, nous pouvons ne pas réaliser cette étape." Suggéra t-il alors. Après tout, il ne faisait que proposer. Rien n'était obligatoire. Il savait que l'inconvénient majeur de ce moulage faisait que l'arme finale pouvait difficilement être prêtée.
Le regard de Nivan se reporta sur les croquis. Il fallait encore établir quel modèle Rufus souhaitait valider. L'écoutant, Nivan réfléchissait. Il était indéniablement surpris du fait que, bien que les ayant représentés, il n'était plus certain de vouloir y voir ses armoiries. C'était un détail qui avait son importance, et il n'était pas certain de pouvoir le trancher sans le commanditaire. "Je ne pourrais pas décider pour vous de l'identité qu'elle devront avoir." Amorça simplement Nivan en redressant la tête, fixant sans gêne son client. "C'est à vous de décider si vos armoiries doivent demeurer, ou non." Reprit-il avec franchise. Il aurait pu prendre la décision. Mais elle ne lui appartenait pas. Il ne connaissait pas l'histoire de cet homme en détail. Il n'était pas en mesure de choisir et ne le ferait donc pas. Un autre aurait peut-être tranché, avec ou sans logique. Mais lorsqu'il estimait ne pas pouvoir s'y résoudre, il le précisait.
"Pour ce qui est de la défense...Je ne connais pas votre style de combat. Mais il existe un système qui peu rendre les deux lames complémentaires". Amorça Nivan en contournant la table, passant à côté de Rufus pour se diriger vers la vitrine qui comportait diverses dagues, poignard et coutelas. Il l'ouvrit. S'accroupissant, il récupéra deux dagues en bas de celle ci. Jointe par le manche, les rendant non seulement jumelles, mais siamoises. De véritables lames dites, jumelles. Les deux lames recourbées formaient un croissant de lune une fois jointes, offrant à la fois une arme et un bouclier. Deux loquets discret et facilement déverouillable d'un pouce permettait leur libération rapidement en cas de besoin. Nivan les avait forgé il y a de cela dix huit ans, il n'avait alors que quinze an et travaillait toujours pour son père. Elles étaient d'une finition moyenne, mais le principe était là. "Ne faite pas attention à leur qualité, je les ai réalisée il y a bien longtemps. Mais je peux éventuellement vous proposer ce type de système". Il lui avait alors tendu les lames, le laissant seul juge.
Si Petrus avait véritablement été son père, il n’aurait pas connu cette vie de misère et de rage, n’aurait jamais tué personne sans doute, ou alors des gens comme ce qu’il était il y a peu encore -et qu’il resterait sa vie durant il fallait l’admettre- lors de missions de maintien de l’ordre. Il essayait parfois d’imaginer qu’il était réellement son fils naturel plutôt qu’un gosse au joli minois ramassé dans un cul de basse fosse par pitié, que celui-ci l’avait cherché et trouvé tout jeune, fait admettre à l’académie militaire… Il serait peut-être officier, peut-être dans la Royale qui sait… En tout cas, il aurait été fier de son parcours, une fierté tout à fait différente de celle qu’il ressentait juste parce qu’il avait su survivre en se plaçant le plus souvent possible en marge ou au-delà des lois…
Donc… Armoiries ? Cela voulait dire que les sales boulots resteraient aux Jumelles… à Sinistra et Iusta comme il les avait appelées. Mais après tout, dés l’initiation du projet, c’était bien ainsi qu’il l’avait décidé ?
Regardant Nivan, il se contenta donc de dire : « Armoiries… Après tout je suis un McPhergus. » il sourit et précisa « non pas de manche lisse, je n’ai pas cherché un maître capable de les orner tout en conservant la qualité pour décider de repartir à zéro ».
Il reporta ensuite son attention sur les armes tendues… Absolument fasciné.
Il avait croisé ce type de poignards, sans savoir d’où ils venaient, ils étaient rarissimes et il les avaient toujours pris pour une fantaisie sortie des âges ou importée par des pirates allés bien au-delà des frontières… Tendant une main timide, il les caressa, en touchant le mécanisme avec stupeur… Se pouvait-il qu’il ignore l’existence d’une catégorie d’armes ? « Vexant » ne put il s’empêcher de penser.
Cette proposition allait bien au-delà de ce qu’il avait planifié.
« N’est-il pas plus malaisé de les manier ? Cela suppose un style de combat différent non ? »
Elles l’attiraient comme un aimant attirerait de la limaille de fer… Les prenant des mains de Nivan, il les mania avec précaution, les soupesa, fit jouer le mécanisme… Il savait que s’il faisait l’acquisition de ce type de dagues, il passerait des semaines à s’entraîner avec tous les coupes jarrets de la ville pour parfaire sa technique, parce qu’à coup sûr, aucun maître d’arme respectable n’en connaitrait le maniement. La perspective de hanter les salles de combat clandestines ajoutait à leur attrait.
« Allons-y, je suis encore assez jeune pour évoluer je pense… Sautons dans l’inconnu » articula-t-il avec une diction d’enfant devant un jouet rare et coûteux.
Quant au dessin… Il avait fait trois ébauches, une extrêmement compliquée et tarabiscotée, destinée à en jeter plein la vue aux abrutis qu’il se devait de côtoyer trop souvent… Une plus discrète mais encore chargée qu’il jugeait « acceptable » pour remplir son office de publicité ambulante… Et la dernière, un modèle de sobriété et de concision… Celle en fait qui reflétait la personnalité du porteur, une arme reste une arme, elle peut être belle, mais doit être efficace et épurée… Repoussant les deux autres, il se dit que s’il partait dans l’inconnu avec ces lames « siamoises » il pouvait bien leur donner une allure qui lui corresponde parfaitement. Roulant donc les deux autres croquis il laissa le dernier en évidence.
« Si vous le jugez possible… »
Rufus semblait intéressé par l'alternative qu'il proposait. C'était une proposition un peu égoïste de la part de Nivan. En réalité, il n'avait pas eu l'occasion de sortir de sa forge ce genre de pièce depuis longtemps. Un peu d'innovation ne lui ferait pas de mal. Il n'oubliait pour autant à aucun moment l'intérêt de son client. Il ne lui vendait pas le concept dans le seul but d'avoir un attrait à le construire. Non. Il ne comptait pas sortir une arme inutile de son établissement. Pas si on ne lui avait pas demandé. "Lorsqu'elles ne sont pas liées, ce sont deux dagues ordinaires." Précisa t-il simplement pour réponse à Rufus qui semblait s'en inquiéter. "Mais elle apporterons un plus, voire un effet de surprise, une fois liées". Reprit-il alors que son client observait le prototype qu'il tenait entre les mains. "Mais effectivement, il vous faudra de l'entrainement pour les exploiter efficacement en totalité". Admit-il t-il alors. Fait qui ne semblait pas rebuter son commanditaire, bien au contraire.
L'attention de Nivan se reporta sur les croquis. Rufus avait fini par en choisir un. Le plus sobre. Le plus efficace. Hector et lui même s'en servirait comme base. "C'est tout à fait possible". Précisa Nivan qui ne doutait pas un instant de la capacité d'Hector à réaliser un chef d'œuvre. "Patientez un instant". Nivan quitta la pièce, regagnant la forge. Il revint à peine quelques minutes plus tard, suivi par un homme d'une trentaine d'année. Brun, les cheveux courts, un peu plus grand que Nivan. Un tablier de cuir usé et la peau luisante de sueur. "Hector, je te présente Monsieur McPhergus. Tu travailleras sur son projet". Précisa Nivan en lui montrant le croquis choisi, ainsi que le prototype de lame jumelle présent sur la table. Hector adressa un signe de tête au client, pour toute salutation. Peu à l'aise avec l'exercice. Il se tourna vers Nivan, ignorant presque Rufus par la suite. "Les lames devront être plus courbées que ça pour être utilisables une fois jointe". Précisa alors Hector simplement. Ce qui était un fait. Nivan lui accorda d'un signe de tête. Le regard d'Hector glissa alors sur les joyaux. "Vous voulez tous les sertir ou vous voulez en choisir parmi ceux là? Je dois le savoir pour prévoir les emplacements". Repris le forgeron en se tournant vers le client. Nivan jugea qu'il était préférable de les laisser converser. Il se contenta de reprendre sa place sur la chaise de l'autre côté de la table. Les observant en silence.
« Je les veux toutes. Mais si l’une d’elle pose problèmes en raison de sa taille ou de sa forme, je peux les retailler. Que l’on inclue ou pas les éclats reste accessoire, j’en aurais l’utilité de toute façon, je ne façonne pas que des pierres de grande taille » -il sourit- « la taille d’ailleurs n’est un indicateur que pour les profanes, certaines gemmes sont inclassables et inestimables, alors même qu’elles sont de petite taille, la pureté d’une pierre ne tient pas à son poids ».
Il regarda le grand type. Se sentir avec des artisans, des gens avares de leurs paroles mais certains de leur savoir-faire le ramenait très loin en arrière… A l’époque, son savoir-faire à lui n’avait rien à voir avec la joaillerie, il n’en était pas moins apprécié et il n’avait pas perdu la main…
Un métier, même si son activité de base passait difficilement pour un métier auprès de la majorité de la population d’Aryon, c’était… ça permettait de construire un homme.
Aujourd’hui, il pouvait avouer la joaillerie, et ce qu’il faisait avec les pierres n’était pas juste un alibi pour couvrir le reste, il aimait les tailler… Une pierre précieuse, c’est comme une femme, elle est belle ou laide de naissance, mais si elle est belle, tu peux la rendre magnifique, et si elle est laide, rendre sa laideur atypique et la transformer en joliesse pour le moins… C’était son œuvre de rendre belles les plus laides, et précieuses les plus courantes en ajoutant à leur aspect commun un quelque chose qui les différencie.
S’il devait retailler les gemmes qu’il avait choisies, il suffirait de le faire en collaboration avec le forgeron, pour que leur changement d’apparence leur conserve leur valeur sans gêner l’autre corps de métier. Il le répéta de façon liminaire, comme pour signifier que c’était acquis, Hector aurait juste à le lui faire savoir un peu avant pour qu’il se rende disponible et il viendrait.
Son regard allant d’Hector à Nivan un peu en retrait, il demanda « Puis-je faire autre chose ? »
Attendant la réponse, il entreprit de sortir un carnet de bons au porteur, sa main -gauche, maudit archer ! la droite restait difficile à mouvoir et douloureuse - resta en suspens.
« Peut-être préférez-vous des espèces ? J’ai suffisamment sur moi si c’est le cas ? »
Il n’était pas spécialement pressé de les quitter, mais eux comme lui avaient probablement mieux à faire que de rester à bavarder avec un client. Les détails étaient réglés, l’arme choisie, les acteurs désignés, le prix fixé… Que pouvait-il faire de plus ?
"Un bon ira très bien." Précisa simplement Nivan tout en marquant une courte pause, avant de reprendre. Il lui devait tout de même quelques explications finales avant de clore leur échange. "Je vous enverrais le croquis pour validation. Une fois que nous serons en accord, vous reviendrez pour le moulage". Indiqua Nivan. Il ne lui avait pas proposé de revenir. Sa phrase avait été impérative, comme s'il ne lui laissait pas le choix. Il donnait souvent l'impression d'exiger, ce qui en fait, était rarement le cas. "Vous serez livré d'ici trois à quatre jour selon la rapidité de votre validation". Acheva le Maitre forgeron tout en ouvrant la porte du bureau qui menait vers la forge. Invitant son client à sortir.
Il avait encore une longue journée devant lui. Et bien qu'il donne l'air d'être totalement disposé à passer du temps à discuter, il n'en était rien. Il n'aimait pas discuter. Et il avait à faire. Probable qu'il passe pour un homme expéditif, mais il n'avait pas le loisir de l'oisiveté comme pouvait l'avoir de nombreux nobles.