Libre. Elle l'était enfin. C'était libre qu'elle se tenait devant le portail de chez son ami, Liory. Elle avait hésité un moment avant de venir s'y rendre, noble déguisée en paysanne, les cheveux tressés tombant sur son épaule. Elle n'avait pas l'allure d'une Whytlys, définitivement pas, alors quand elle s'annonça à l'entrée pour que l'on prévienne le maître des lieux, on la regarda avec une légère curiosité. Les manières ne trompaient pas en revanche et elle correspondait à un certain profil.

Dans le jardin régnait toujours la même chaleur. Le voir de plein jour était différent, lui permettant de contempler les couleurs, la variété des plantes ; elle pouvait même en savourer les parfums sans qu'ils ne lui paraissent trop puissants, ajustant son odorat pour qu'elle s'enivre seulement de douces effluves. Puis un mouvement attira son attention ; on lui ouvrait la porte pour qu'elle entre. Elle s'arrêta à l'entrée, regardant autour d'elle. Avec la lumière du jour, tout le hall était plus lumineux et accueillant, comme son hôte. Liory, un rayon de soleil. Plus elle repensait à lui, plus c'était l'association qu'elle faisait. Il brillait fort, très fort, son sourire réchauffant son coeur et apaisant les inquiétudes qu'elle pouvait avoir.

Alors quand il apparu enfin, ce fut un sourire qui s'étira sur les lèvres de Gardenia dont on venait de récupérer la cape. Une simple robe en lin l'habillait, d'une qualité ne faisant pas honneur à son rang mais qui étrangement semblait accentuer son sourire. Elle se tenait droite, en bonne santé, fière et visiblement d'excellente humeur. Si cela n'avait tenu qu'à elle, elle aurait couru dans sa direction pour se jeter dans ses bras ; mais les regards autour l'empêchaient d'agir et elle ne souhaitait de toute façon guère imposer ses éclats de joies aussi éhontément.

─ Liory.

Le souvenir de leur première rencontre lui revenait en mémoire et elle n'avait pas oublié leurs échanges. Elle se souvenait très bien de son contact, de son regard, de ses mots et surtout, de sa chaleur. Elle y avait régulièrement pensé, se questionnant sur la signification de ces désirs et ce qu'ils impliquaient. La seule réponse dont elle était certaine, c'était le désir qu'elle éprouvait à son égard. Elle le trouvait toujours aussi séduisant et charismatique, emplissant chaque pièce où il se trouvait d'une chaleur réconfortante qu'elle ne connaissait à aucun autre homme. Gardenia s'avança lentement dans sa direction, s'arrêtant à proximité, le regard n'ayant pas décroché du sien.

─ J'espère ne pas trop vous avoir fait attendre, souffla-t-elle.

Des jours, des semaines, des mois, des années entières... La courte disparition avec Jack avait causé son lots d'inquiétudes mais ce n'était pas cher payé pour une vie de liberté, s'était-elle souvent dit. Accueillant Liory dans ses bras sans la moindre hésitation, le sourire sincère étirant ses lèvres, Gardenia pu enfin savourer son contact sans retenue. Elle le serra également non sans profiter de cette proximité pour savourer son parfum, léger et frais, parfait pour un homme tel que lui. Relâchée, ils purent s'observer tous les deux et la jeune femme rayonnait.

─ Très bien, Liory. J'ai tant de choses à vous dire !

S'il y avait bien une personne avec qui elle ne souhaitait plus se préoccuper des règles ou des rangs, c'était lui. Elle cherchait son contact même, allant jusqu'à lui prendre la main, l'invitant à marcher un peu avec lui, au calme. Les oreilles qui traînaient ? Elle n'en avait que faire, tant qu'elle passait du temps en sa compagnie.

─ Vous pardonnerez ma tenue quelque peu excentrique et qui n'est pas des plus flatteuses. Le fait est que... J'ai fugué.

Un aveu. Elle le reconnaissait ouvertement, sans honte aucune. Lui lançant un bref regard, elle poursuivit son histoire afin de le rassurer sur la suite des événements.

─ J'ai fait la rencontre un soir d'une personne ayant de nombreux contacts. Je l'ai convaincu de m'aider et surtout, de m'emmener avec lui. Cette personne a réussi à trouver une solution à l'instabilité de mon pouvoir, Liory.

S'arrêtant pour lui faire face, sa main libre vint se poser sur la joue de Liory, montrant que de tels contacts ne l'affectaient plus comme avant et qu'elle pouvait toucher sans peur. Elle n'était plus hésitante, n'était plus terrorisée à l'idée d'être victime de son pouvoir.

─ Je peux le contrôler, maintenant.

Et cela révolutionnait sa vie. Elle mordait à pleines dents son quotidien, se réjouissait d'un rien, riait enfin aux éclats sans craindre de se causer elle-même du tort. Elle touchait chaque pierre, respirait chaque odeur, s'en emplissait les poumons et pouvait enfin crier au monde son plaisir d'être en vie. Elle était heureuse et cela se voyait plus que n'importe quelle évidence. Gardenia resplendissait, affichant des sourires des plus sincères.

─ Je peux sortir en pleine journée, je peux me promener dans les rues, manger comme tout le monde, je peux toucher, me faire mal, et tant d'autres choses encore. Et je tenais à vous le dire en personne.

Allait-elle garder sa spontanéité et sa franchise ? Absolument ; et bien plus encore.

─ Votre peau est toujours aussi douce ! avoua-t-elle avec un demi-rire, presque amusée de ce constat.

Le rire cristallin qui s'envolait ne pouvait les conforter dans l'idée que Gardenia était heureuse à cet instant présent. Elle allait bien, extrêmement bien ; comme elle ne l'avait jamais été auparavant. Avant de retourner dans une potentielle cage de son plein gré, elle voulait en profiter, revoir les personnes qui l'avaient aidée à prendre certaine décisions et motivée à aller de l'avant. Ce n'était pas grand chose d'un point de vue extérieur mais pour elle, ils signifiaient tant de choses. Sans contact avec le monde extérieur, ses premières rencontres s'étaient avérées cruciales.
Le contact dans ses cheveux ne fit qu'accentuer son sourire, appréciant la douceur de Liory à son égard comme une enfant que l'on complimentait. L'affection et l'attention qu'elle n'avait pas reçues avant semblaient quémandées maintenant, sans retenue aucune. Elle ne craignait plus ces débordements, au contraire : elle les voulait. S'en allant s'asseoir avec lui, elle prit place avec l'homme sur le canapé, prenant soin de répondre à ses questions.

─ Ne vous inquiétez pas, j'ai conscience que cet acte pourrait avoir des retombées dramatiques. Je compte néanmoins en profiter un peu avant de me présenter à nouveau à ma famille. Je voulais vous revoir par exemple, afin de vous tenir au courant. Je retournerai auprès des miens en temps et en heure, et j'ose espérer que mon retour pourra leur prouver que je suis bien plus capable qu'ils ne l'ont jamais pensé.

Tenant les mains de Liory dans les siennes, le contact semblait tout naturel et était même en partie rassurant. C'était inconscient mais Gardenia cherchait probablement, d'une certaine façon, l'approbation et le soutien d'un ami, d'une personne qu'elle estimait. Ce contact lui permettait de se dire qu'il demeurait à ses côtés et qu'ils pouvaient envisage cette amitié qu'elle espérait entretenir. Un de ses premiers amis.

─ Je ne veux pas attirer d'ennui à cet homme alors je tiens, pour l'heure, à rester la seule en connaissance de son identité. Je vous dirai simplement que c'est un homme respectable, qui a pris soin de moi, m'a protégée, est resté à mes côtés du début à la fin. Il a pris des risques pour moi. Lors de notre rencontre, j'ai parlé de ma situation à cet homme.

Son regard s'esquivait tandis qu'elle se remémorait la soirée, contant les événements sans trop aller dans les détails.

─ Il m'a fait la promesse de m'aider mais n'avait, à ce moment là, pas encore la solution. Je l'ai supplié de m'emmener avec lui ; partir était donc ma volonté. J'ai pris conscience durant cette journée de solitude que j'aspirais à tellement plus et que le temps filait sans m'attendre, qu'il fallait que j'agisse... je voulais tenter le tout pour le tout. Lorsqu'il trouva une personne capable de remédier à mes... inconvenances, nous partîmes sans attendre. Il n'y avait nulle garantie de réussite mais j'ai tenu à y aller.

Elle prit une profonde inspiration puis laissa un lent soupir lui échapper, ses doigts s'emmêlant à ceux de Liory. Le souvenir de la pose du tatouage restait malgré tout douloureux et ce n'était pas quelque chose qu'elle souhaitait revivre. Ses doigts firent légèrement pression sur la main de l'homme.

─ La douleur m'était insupportable, si je dois être entièrement honnête. J'ai longuement pleuré et je sais que cet homme s'est beaucoup demandé s'il avait fait le bon choix. Moi également, j'ai douté, incertaine du résultat. Mais à mon réveil... tout était différent. J'ai eu l'impression de renaître.

Le souvenir de ses premières respirations, de son premier contact sur le bras de Jack, ses premiers cris. Son regard s'était adouci sans qu'elle ne s'en rende vraiment compte, se rappelant combien cette réalisation avait été une libération.

─ Tout me semble plus... beau. Modéré. Un rien me rend heureuse et je redécouvre le monde d'une façon encore plus belle que tout ce que j'avais pu imaginer. Avant, tout ce que je faisais, je le faisais pour m'éviter d'avoir mal. Je cherchais à esquiver la souffrance autant que possible. Maintenant... aujourd'hui, je m'aperçois être plutôt en quête de plaisirs. Je sais que je ne pourrais pas rattraper le temps perdu néanmoins, je veux profiter du temps que j'ai, sans restriction.

Un regard espiègle fut lancé en direction de Liory avant qu'elle ne se relève, tirant sur ses mains.

─ Allons danser !

Une excitation enfantine. Elle voulait du plaisir, sous toutes ses formes. Des rires, des contacts, des expériences ; toute sa vie était à reforger.

C'était presque en trottinant que Gardenia se lançait au milieu de la salle avec Liory, tout sourire. Elle ne feignait pas la légèreté de son humeur et son entrain, les premières notes s'élevant dans les airs. Liory revint à son contact, proche, plus que la première fois qu'ils avaient dansé ensemble et peut-être cette proximité calma un peu la jeune femme qui se délectait de la situation.

Elle n'eût pas le temps de répondre à son invitation pour le sud du pays, la danse débutant avec douceur. Avec un contrôle mesuré, elle s'octroyait le luxe d'un toucher plus sensible. Sentir la main de Liory sur la sienne offrait une chaleur enveloppante très douce qu'elle ne pouvait qu'apprécier. Ses mains, celles d'un noble luxueux, étaient aussi douces que dans ses souvenirs. Ses gestes toujours aussi tendre et cette proximité plus lascive pour une sensible comme elle. Sans peine, Gardenia suivait son rythme et ses pas, laissant l'homme guider l'inexpérimentée qu'elle était. Il fermait les yeux mais elle, elle l'observait. Elle regarda son visage, ses traits apaisés, remarquait les fines mèches portées par leur mouvement. Elle admirait la finesse de ses traits, le fin sourire malicieux qu'il arborait naturellement et laissait deviner une personnalité joviale ; sans même le toucher, elle pouvait deviner le contact de sa peau, aussi douce à la vue que sous ses doigts.

Liory était indéniablement charmant. Elle le savait mais plus elle le regardait, plus elle comprenait les différentes significations qu'un charme pouvait avoir. Il était charmant parce qu'il était aimable, chaleureux et savait prendre soin de ses hôtes, avec toute la grâce que la noblesse pouvait lui offrir ; il était charmant parce qu'il mesurait ses paroles, savait s'attirer la sympathie de ceux l'écoutant et jouait avec aisance des mots, provoquant sourires et timidité face à des compliments maîtrisés ; il était charmant parce qu'il était beau et rayonnait d'une simplicité de caractère, discutant ouvertement de tout et de rien, semblant libre de tout préjugé. Ou peut-être était-ce uniquement dans l'esprit de Gardenia qu'il était ainsi immaculé de tout défaut. Il fallait l'admettre ; il avait été parfait à son égard.

Ils s'arrêtèrent de danser et la jeune femme l'observait toujours. Elle ne quittait pas ses yeux du regard, son bleu l'hypnotisant presque. Ses paroles étaient énigmatiques et Gardenia plissa légèrement les yeux, curieuse et intriguée. Le ressentir ? Que voulait-il dire ? Ramener la plage à elle ? Elle n'osait pas trop en rêver mais cette idée la fit sourire, amusée.

─ Comment comptez-vous accomplir ce miracle, Liory ? Car vous avez grandement éveillé ma curiosité alors je suis toute à vous.

Elle s'imaginait, peut-être un peu trop innocente, qu'il lui permettrait de sentir le vent marin, goûter à des plats typiques du sud, ou autre. Malgré les images idylliques qu'elle peignait dans son esprit, elle n'avait aucune idée de quelles pouvaient être les sensations ; alors de quoi parlait-il ?

Soulevée comme la princesse qu'elle n'était pas, Gardenia ne cacha pas sa surprise, un bruit de surprise lui échappant tandis qu'elle s'accrochait à la nuque de Liory, la peur soudaine de tomber la prenant ; chute qui n'arriva pas, l'homme la tenant fermement. Embarrassée par cette nouvelle position, le rouge de ses joues devint parfaitement visible, manquant de la faire bégayer. Aucun son pourtant ne quitta ses lèvres et elle se contenta de lui faire confiance, bien qu'elle se questionnait subitement sur les intentions de l'homme. Où l'emmenait-il ? Où conduisait cet étage ?
Ses pieds touchèrent à nouveau le sol et Gardenia put sans peine reconnaître une chambre à coucher. La seule pensée de ce que cela pouvait vouloir dire la rendit entièrement muette ; mais nul moment de répit lui fut accordée car le contact des mains de Liory enflamma son être, les muscles subitement tendus et les palpitations au coeur. Le sentir dans son dos l'impressionnait légèrement et Gardenia s'étonnait à ne plus avoir des pensées très prudes, ses nouvelles expériences lui revenant sauvagement au visage. La chaleur grimpait, brutale et foudroyante, plus encore lorsqu'elle sentit son menton sur son épaules et ses mains sur ses yeux, intimant un contact on ne peut plus... engageant. Elle déglutit, cou tendu, faisant les quelques pas qu'il lui indiquait de faire ; puis son pied toucha quelque chose.

Une texture dont elle ignorait tout. Des grains, très fins, chaud mais pas trop, glissant sous sa peau et s'affaissant sous son léger poids. A cet instant, tout le reste sembla s'éclipser pour découvrir cette nouvelle sensation qui s'accapara totalement son attention. Ces petits grains ne s'accrochaient pas à elle et n'avaient aucune humidité, se contentant de glisser et rouler. A peine Liory eut-il retiré ses mains que Gardenia s'émerveillait à la vue de cette salle de bain et surtout de cette étendue étrange qu'elle devinait être du sable ; un émerveillement qui fut rapidement confondu avec le contact sur ses oreilles, déclenchant à nouveau un tourbillon d'émotions confuses. Entre l'émerveillement pour le lieu et l'emballement d'un désir charnel déroutant, elle ne savait guère où donner de la tête. Savait-il ce qu'il faisait ? Le faisait-il sciemment ?

─ Je... n'ai pas les mots...

A sa grande surprise, son dernier mot sembla un peu mourir dans sa gorge qui était en panique avec la gêne. Gardenia se racla la gorge, quelque peu décontenancée. Liory était proche, juste derrière elle. Très proche. Si elle voulait pouvoir répondre à sa curiosité il fallait qu'elle se défasse de cette proximité, et vite.
Elle fit alors quelques pas, ignorant la chaleur de son corps pour découvrir à quoi ressemblait la marche dans le sable. Le sourire sur ses lèvres revint, sincère, bien que le rouge de ses joues n'avait pas disparu ─ et pire encore, on le voyait à ses oreilles. Elle ne disait pas tout.

─ C'est très agréable... chaud... assez déroutant je dois l'avouer.

Du sable. Pliant les genoux, elle vint poser sa main dessus, en sentant davantage les petits détails. Elle prit une poignée dans sa main, regardant les perles infiniment petites glisser de sa poigne.

─ C'est si... petit. Si chaud.

Se relevant lentement, elle se tourna pour regarder Liory, visiblement ravie.

─ Je n'ai jamais vu l'océan, Liory. Je n'avais jamais touché de sable non plus. C'est... totalement nouveau, dit-elle en regardant la pièce autour d'elle. C'est donc votre salle de bain ? C'est pour vous rappeler le sud que vous l'avez faite ainsi ?

Liory parlait du sud comme d'une merveille du monde. Il parlait de l'océan et ses saveurs avec un tel sourire que Gardenia ne pouvait qu'en rêver davantage, elle qui toujours avait souhaité s'y rendre au moins une fois. Il lui offrait une vision furtive de ce que cet endroit pourrait lui offrir en contacts et sons, offrant à foison matière à son esprit et son imagination. A chaque fois qu'elle repensait à tout ce qu'il lui montrait, elle se sentait retomber en enfance et se délecter des découvertes innocentes berçant sa vie. A son âge, elle n'était plus une enfant et pourtant son émerveillement n'était guère différent. Peut-être était-ce la pureté des sentiments et la sincérité avec laquelle elle les embrassait, aimant chaque ressenti comme s'il pouvait être le dernier.

Son regard se perdait sur le décor, admirant les couleurs et écoutant les bruits, apaisant quelque peu son esprit sur les songes d'avant. Elle calmait ses propres ardeurs en trouvant du réconfort dans ses autres sens ; mais Liory ne semblait pas tout à fait du même avis. Alors qu'elle se calmait, il revenait à la charge pour la surprendre. Gardenia était audacieuse ; Liory l'était plus encore et elle le comprenait. son coeur rata un battement lorsqu'il se rapprocha, si près. Elle ne pu s'échapper à son regard et, bleu dans le bleu, elle le regardait, le laissant la frôler et provoquer davantage de chaleurs. A sa question, elle n'avait guère de réponse à offrir. Il lui disait simplement les choses mais c'était elle qui s'en retrouvait muette de surprise, prise au dépourvu.

Oh, elle savait. Elle était pleinement consciente de la direction dans laquelle cette rencontre partait et ce qui allait résulter de cet échange. Le fait que Liory ait été celui faisant le premier pas dans sa direction la déstabilisait un peu mais sachant cette attirance réciproque, elle ne parvenait pas à le repousser. Elle se rappelait de leur premier contact, leur première danse, la limite si fébrile qui avait su empêcher l'homme de déborder. Il faisait savoir très clairement ce qu'il voulait mais ne se risquait pas au de-là de ce qu'elle lui autorisait ; et cela, en un sens, la séduisait terriblement. De se sentir aussi désirée provoquait des chaleurs et pensées qu'elle avait du mal à faire taire. Néanmoins, quelque chose troublait encore son esprit ; un détail qu'elle voulait partager.

─ Si... si je vous autorisais à aller plus loin... soufflait-elle sur ses lèvres, si je vous disais que j'ai également envie de vous connaître davantage et... d'explorer davantage... mais que je vous disais également que... ce ne serait pas ma première fois... le voudriez-vous toujours ?

Parce que cette question était réelle. Sa virginité récemment perdue avait une valeur toute singulière et il n'était pas rare que pour des hommes, une première fois soit perçue comme un privilège ou un trophée ; ou que la connaissance d'un autre homme ayant potentiellement une place particulière en son coeur puisse rebuter. Gardenia ne se voyait nullement enfermée dans une quelconque relation et n'avait pas parlé d'amour. Elle souhaitait garder sa liberté mais ne pouvait pas nier qu'en dépit de tout, elle avait des craintes encore jeunes et fragiles. Celle de décevoir, de ne plus être désirable, voire même de repousser. Son rythme cardiaque était fougueux et l'envie de toucher Liory était brûlante mais elle ne pouvait s'y résigner tant qu'elle ne savait pas.

─ J'y pense encore... à vos mains, à cette danse, à votre contact. Je pense à vous Liory. Si vous me désirez toujours, alors... je m'abandonne à vous...

Elle l'admettait. Elle le désirait terriblement. Une attirance charnelle profonde et inexplicable pour cette peau, ce sourire, ce regard, cette voix ; Liory était à ses yeux un appel à la luxure pour lequel elle ne souhaitait qu'une choque : pouvoir s'y abandonner et y perdre pied, le laissant la noyer dans des sensations indécentes.

Doutes balayés ; il ne fallut qu'un sourire de la part de Liory pour que les doutes de Gardenia soient balayés, en un instant. Il ne la jugeait pas pour ceci, tout comme elle ne jugeait aucune de ses expériences passées. Elle se fichait un peu du reste du monde, de leur regard, des convenances ; pour l'heure, elle était libre. Tant qu'elle était loin de sa famille elle se sentait libre avec de nouvelles ailes pouvant la guider vers bien des mondes de délices. Ils se souriaient l'un et l'autre, se confortant dans l'idée qu'ils étaient sur une longueur d'onde similaire. Ils ne cherchaient qu'à profiter l'un de l'autre et passer un bon moment ensemble en faisant fi du reste.

Elle découvrait l'homme sous un nouveau jour mais tout aussi tendre et passionné qu'elle l'avait imaginé. Dans les soupirs et les râles, il y avait eu des rires légers ; Gardenia affichait une gaieté adonnant à leur acte indécent toute une innocence bienfaitrice. Pour elle, cet échange tendre avait d'autres vertus que le seul plaisir charnel. Elle y donnait tant de ses émotions, tirant son partenaire vers des joies revigorantes. L'allégresse de la noble n'avait d'égale que sa gourmandise qui, une fois de plus, se manifestait d'une intensité qu'elle-même ne contrôlait pas. Le naturel était plaisant, mais chaque acte de tendresse la conduisait dans des envolées ardentes où sa voix témoignait des torrents qui la noyaient. Elle riait aux éclats, embrassait l'homme, le taquinait, revenait à lui pour parfois lui échapper, délaissant toute maturité au profit d'un plaisir sincère. Et si cela ne tenait qu'à elle, elle passerait la journée à en profiter et plus encore.

Avec Liory, elle avait une facilité déconcertante à laisser son côté espiègle parler. Elle le voyait maintenant qu'elle posait doucement son doigt sur son nez, allongée à côté de lui sur le lit ; son petit nez au milieu de son visage endormi. Lui aussi n'avait guère été ménagé. Était-elle vraiment aussi gourmande ? Était-ce pareil pour les autres femmes ? Bien qu'elle se le demandait, elle ne cherchait guère à savoir la réponse. Elle avait juste eu la sensation de surprendre à plus d'une reprise.

─ Il faut se réveiller, Sir Alkh'eir... murmura-t-elle, joueuse.

Depuis quand était-elle réveillée ? Quelques longues minutes. De longues minutes durant lesquelles, leurs visages se faisant face, elle l'avait observé, songeuse. Elle repensait à la veille, à la facilité avec laquelle il l'avait séduite et surtout au fait qu'elle ignorait ce que lui réservait l'avenir. Mais elle était bien, juste là, à ses côtés. Le doigt baladeur revint se poser sur le bout de son nez avant de venir caresser ses lèvres et glisser dans son cou. Ils avaient dormi plus que nécessaire et il lui avait semblé entendre du mouvement de l'autre côté de la porte, signe que la maisonnée n'avait pas attendu le réveil du maître pour se mettre en activité.

─ Le devoir ne vous appelle-t-il pas à vos responsabilités ? Êtes-vous certain que lézarder aussi tard dans le lit soit raisonnable ? continua-t-elle.

Pour de simples moments comme celui-ci, Gardenia se disait qu'elle n'hésiterait pas une seule seconde à repartir à l'aventure avec Jack comme elle l'avait fait. Peu importaient ses cris de douleurs, ses larmes, sa terreur ; si un réveil comme celui qu'elle vivait à présent était sa récompense, alors elle n'avait aucun regret.

Pas une seule seconde le sourire n'avait quitté le visage de Gardenia. Elle se sentait terriblement légère, comme sur un petit nuage de bonheur ; et les excuses de Liory n'avaient fait qu'attiser l'amusement dans son regard, jusqu'à ce qu'un rire lui échappe tandis qu'ils se retrouvaient pour un dernier effort.
La raison finit tout de même par les rattraper et ce fut après une douche fort agréable que Gardenia, les cheveux encore humide, laissait à Liory le loisir de la revêtir, ses bras autour de sa nuque et son nez venant frôler le sien.

─ Certaines traces de mon éducation ne sauraient disparaître avec un vêtement.

Elle lui offrit un furtif baiser avant de relâcher son cou, finissant de s'habiller elle-même en réajustant ses manches et resserrant légèrement le corset. Elle fit quelques pas dans la pièce, passant ses doigts sur sa nuque pour ramener sa chevelure sur la même épaule.

─ Je n'ai rien de prévu pour ce soir. Si ma présence vous satisfait, sachez que je serais heureuse de m'asseoir à votre table.

Le souvenir furtif de la chambre qu'elle louait temporairement lui revint en mémoire. Si ce n'était guère l'endroit le plus insalubre, le confort n'était tout de même pas le grand luxe mais plus encore que le confort, c'était la sécurité qui l'incommodait. Gardenia réalisait au fil des jours que la nuit n'était pas sûre et qu'elle n'avait aucun moyen de se défendre. S'arrêtant dans ses mouvements, elle finit par se tourner vers Liory et refaire quelques pas dans sa direction, un peu gênée.

─ J'ai également une requête à formuler...

La timidité sembla naître dans sa gestuelle, ses doigts venant se toucher comme pour se rassurer elle-même. Si elle ne doutait pas de la bonté de Liory, elle avait en revanche un peu honte de demander un service et surtout un tel que celui-ci.

─ Actuellement, je loge dans une petite chambre non loin des marchés et si l'endroit est agréable et que je suis confortable, je vous avoue ne pas m'y sentir très... en sécurité, en particulier la nuit tombée. Je pourrai demander à une de mes connaissances de m'héberger, malheureusement je crains que ma famille ne vienne à s'en prendre à leur intégrité si elle venait à me retrouver.

Nivan et Jack n'avaient pas à pâtir de ses escapades et déboires. Ni Liory, même, mais elle ne le voyait pas exactement de la même façon.

─ Votre nom et votre famille ne craignent rien de la part des miens ; nul Whytlys ne se risquerait à causer une offense qui pourrait se retourner contre eux. Serait-ce trop demander que que de me laisser loger quelques nuits chez vous, le temps que je puisse préparer mon retour à mon domaine familial ?

Elle se voulait forte et indépendante mais il était évident qu'elle ne pouvait encore pas accomplir tout en solitaire. Sa sécurité n'était guère sa plus grande préoccupation mais elle n'était pas non plus dans l'optique de prendre plus de risques que nécessaires.

Rapidement, Liory la rassurait ; elle pouvait rester. Si Gardenia se détendit d'un coup à l'entente de ces mots, elle se tendit à nouveau, le rouge venant vivement s'emparer de ses joues lorsqu'il lui demanda le plus naturellement du monde quelle chambre logeait, précisant surtout qu'elle était on ne peut plus la bienvenue dans ses quartiers. Des bribes de souvenirs lui revenaient vivement en mémoire et elle détourna le regard, quelque peu timide. Ce clin d'oeil n'avait rien arrangé non plus, provoquant un sourire à la fois amusé et intimidé. S'il y avait une chose qu'elle aimait beaucoup chez Liory mais qui pourtant ne passerait probablement pas avec d'autres hommes, c'était tout ce côté séducteur qu'il affichait sans vergogne face à elle. Il était charmeur, séducteur, mais jamais dans l'irrespect. Et puis, il fallait le dire ; il maniait bien les mots et savait la fasciner.
Reprenant rapidement le dessus sur cette légère timidité, Gardenia se détendit à nouveau, son attention se portant à moitié sur le repas qui leur avait été présenté. Elle se délectait de la simplicité des saveurs et savourait les odeurs, fines et goûteuses, le visage toujours lumineux. A la suite des questions de Liory, elle reposa le regard sur lui, la tête légèrement inclinée sur le côté.

─ Merci Liory. Je vous avais il me semble mentionné brièvement une amie qui m'a prodigué conseils et m'écoute avec attention. Cette amie travaille pour ma famille, plus principalement pour moi. Nous nous sommes retrouvées récemment et elle va m'aider à préparer mon retour également alors ne vous dérangez pas pour ce qui sera de mes tenues.

Fourchette piquant un concombre avec gourmandise, elle affichait toujours une légèreté dans ses mouvements témoignant de son bien être.

─ En dépit de leur qualité bien moindre, je dois avouer que la simplicité de ces robes a un côté... intéressant. Je n'ai toujours que vécu dans les plus doux satins alors ces nouvelles textures font aussi partie de ces nouvelles expériences. En cas de besoin, mon amie pourra me faire parvenir des robes de ma chambre.

Le croquant du concombre se faisant légèrement entendre, la noble leva les yeux un instant vers la vue qu'offrait le balcon, savourant pouvoir déjeuner un peu en hauteur et sous le soleil. Elle qui avait la peau si blanche n'avait guère pu savourer la chaleur des étés, les coups de soleil ayant toujours été impitoyables.

─ Je pense explorer la capitale encore un peu. Peut-être même oserais-je me présenter à des endroits où l'on ne m'attend pas. J'avoue qu'il y a une certaine... jubilation à voir des visages surpris. Dans tous les cas Liory, je ne saurai vous remercier pour la générosité dont vous faites preuve à mon égard... rien ne vous y oblige et pourtant, vous m'accueillez chez vous à bras ouverts. Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous ?

Elle posa à nouveau le regard sur l'homme. S'il lui offrait le gît sans rien demander en retour, elle aimerait tout de même pouvoir lui apporter une quelconque satisfaction ─autre qu'être simplement heureuse en sa compagnie. Ne pouvait-elle offrir une quelconque utilité à son hôte ?

─ Demandez-moi. J'aimerais également vous être utile, d'une quelconque façon.

Liory, comme à son habitude, rayonnait avec simplicité. En l'écoutant, Gardenia se demandait quelle vie cet homme avait menée pour être juste aussi généreux. Se faisait-elle des idées en pensant qu'il était juste quelqu'un de bon peu importait la personne à qui il s'adressait ? Dressait-elle un idéal dans son subconscient en portant l'homme sur un piédestal qui n'était peut-être pas fait pour lui ? Toujours était-il qu'elle souriait, était touchée et amusée par chacune de ses interventions. Même s'il lui refusait une demande de service concrète, Gardenia savait qu'un jour ou l'autre, elle saurait lui rendre la pareille. Avoir une dette envers quelqu'un n'était pas toujours négatif et la demoiselle saurait qu'au fil du temps, elle finirait par trouver un moyen de lui retourner la gentillesse dont il avait fait preuve à son égard. Pour l'heure, elle n'était guère utile à qui que ce soit.

─ Avec grand plaisir, Liory, lui répondit-elle dans un sourire, reposant son verre délicatement.

Elle n'était guère surprise de l'appétit de Liory et se surprenait même un peu à en avoir un similaire. Nul doute qu'aucune personne de son entourage ne se serait douté que la blanche colombe n'était pas juste une fleur fragile et qu'elle avait, au de-là de sa détermination, un caractère un peu plus affirmé qu'on ne l'aurait cru.

Ils profitèrent encore d'un moment de tranquillité, loin du brouhaha, des commérages, des obligations ; ils quittèrent leur repas pour se retrouver dans un dernier moment en tête à tête avant qu'ils ne retournent chacun à leurs activités. Un mélange des sons, des saveurs et de la lumière du jour faisaient vibrer Gardenia comme si elle redécouvrait la vie, en quelque sorte. Elle en voyait les éclats et la beauté qu'elle avait si longtemps cherché à atteindre. Liory était un de ces rayons de soleil, une de ces personnes qui embellissait avec simplicité les paysages qu'elle pouvait regarder. Une rencontre un peu hasardeuse d'une nuit, devenue point de repère et même refuge, le temps qu'elle se fraie un nouveau chemin.

Ce qui épatait Gardenia, tandis qu'elle repartait dans les rues pour retrouver Laevis, c'était qu'elle ne sentait aucun poids venant de Liory. Tout semblait étrangement... facile. Il n'était pas curieux et elle ne jugeait pas nécessaire de se justifier ; elle profitait, et lui aussi. Une pensée était revenue plusieurs fois lui traverser l'esprit ; et si finalement, il l'attirait parce qu'il était cette notion de liberté qu'elle désirait être ?

Seul le temps saurait dire si le noble et sa bonté seraient un des objectifs de Gardenia ; au sens propre, comme au figuré.