Il avait quitté un peu plus tôt le village respectable au carrefour de la défluence d’une des rivières serpentant à travers le Royaume depuis les montagnes du nord, où le pas assuré de Kaname sur laquelle il était juché l’avait empêché de se rompre le cou en s’essayant aux pavés rendus glissants par la pluie, et tentait de retrouver la petite cabane où son escorte devait le rejoindre. Celle-ci, plus proche des falaises du littoral qu’ils longeraient afin de gagner encore quelques hameaux avant de bifurquer vers le cœur de la Grande Forêt et du Village Perché, semblait cependant déterminée à échapper à son regard. La grisaille ambiante, chargée de l’alternance d’averses et de brumes humides, ne faisait rien pour découper précisément les reliefs alentours. Et notamment pas la cabane de bois sombre dans le décor devenu monochrome. Dans un soupir las, Calixte chassa de sa dextre les larmes du ciel qui avaient décidé d’utiliser son visage comme mouchoir, et alors que Kaname poursuivait joyeusement son chemin, tenta de repérer l’éclat électrique de Vreneli dans l’horizon tempétueux. Plus mobile et rendu fébrile par l’orage couvant, le teisheba n’avait opposé aucune objection et s’était même rué à la rencontre des étendues détrempées pour mieux repérer le point de rendez-vous. Finalement, en dehors du coursier et de ses âmes artificielles incommodés par le temps chagrin, il semblait que les autres membres de leur petit groupe passaient en réalité un bon moment sous le crachin.
Entravant la mélodie tourmentée des vents bruinés, le son clair d’un grelot retentit soudain à ses oreilles, et Calixte tourna son attention vers la traction du talisman de localisation de Vreneli. Enfin, il allait pouvoir se mettre au sec.
Un peu plus sur ta droite, indiqua-t-il mentalement à Kaname qui s’exécuta avec enthousiasme, soulevant de larges mottes de terre boueuse sur son passage.
Le coursier ne savait pas encore exactement où est-ce qu’il crècherait le soir venu, mais une séance de récurage intégral s’imposerait s’il ne voulait pas finir sa mission engoncé dans une coque de saletés.
Au terme de quelques minutes encore, l’espion et la loutre avisèrent enfin la silhouette austère d’une cabane dressée au milieu de bosquets de ronces. Le chemin qui y menait était difficilement trouvable par hasard – d’autant plus par un temps pareil – et la pénibilité de son accès par la végétation belliqueuse alentour renforçait l’impression qu’on ne souhaitait pas qu’elle fût atteinte par le tout-venant. A l’évidence, seuls les initiés y étaient bienvenus. Le sceau de la Garde, vigil sévère incrusté dans le bois de la porte, les accueillit et Calixte usa de l’une des petites clefs du trousseau qu’on lui avait remis pour la mission afin de pénétrer dans la bicoque. Ou le cabanon, vraiment. Le cabanon humide et glacial. Grimaçant tout en étudiant prudemment du regard les lieux, le coursier finit par y rentrer complètement et même permettre à Kaname de s’y abriter. Sur le sol de terre battue, ils laissèrent quelques empreintes boueuses, mais nul doute qu’elles finiraient par se fondre avec lui. Afin d’évoluer plus aisément, la loutre actionna son collier pour ranger son armure et ses affaires, et décrut de taille pour explorer l’intérieur. Il n’y avait en réalité pas grand-chose à voir ; une paillasse sommaire, quelques affaires informes de rechange, des rations initialement sèches dont l’odeur ne disait à présent rien qui vaille, et une petite table agrémentée de deux chaises et de matériel d’écriture. Quelqu’un, aussi, y avait laissé le numéro de la deuxième lune de la saison chaude dernière de Garde Actuelle. Abdallah, lecteur fidèle de la revue, insista immédiatement pour que l’espion le déposât à proximité de celle-ci afin de la feuilleter.
Il n’y avait pas de fenêtre à la petite cabane, aussi Calixte fut surpris par l’agitation télépathique que Vreneli lui transmit. Dégainant par instinct l’une de ses lame retour, il ouvrit la porte à la volée pour voir ce qui animait le teisheba resté dehors, et il lui fallut quelques secondes pour appréhender complètement la scène sous le rideau de pluie. Ainsi que la silhouette familière des ailes sombres.
Intrus !
- Non ! Vren, non ! s’exclama le coursier dont les yeux s’arrondissaient de panique.
L’éclair fusa néanmoins avant que le familier ne se rétractât docilement au-dessus de la tête de l’espion, et une odeur étrange de cramé humide imprégna l’air.
- Khisae ?
Les vastes étendues de la Grande Forêt était sous la surveillance des Belluaires, et notamment des Tsi'Lys. Si les devoirs des différentes divisions se recoupaient parfois, il était plus ou moins acté que les Faucons oeuvraient plus sur le Village Perché, et qu'ils laissaient le soin à leurs camarades Tsi'Lys de veiller sur les plus grandes étendues au-delà du Village. Si bien que, même si la mission en soi n'avait rien de très palpitant, il n'était pas non plus étonnant outre mesure qu'elle soit attribuée à Enkhisae. Qui, d'ailleurs, ne s'en vexait pas outre mesure, n'étant guère de ceux qui ne juraient que par les assauts héroïques menées sur les bastions des malfrats nuisant à la sécurité du Royaume. Et s'il n'avait pas grand espoir que l'escarcelle de son confrère d'arme soit chargée de vœux, de présents ou de papiers qui lui soient dédiés, il n'en accordait pas moins une certaine importance si au final la livraison faisait le bonheur de certains de ses camarades Belluaires.
Dusse-t-il braver le mauvais temps et les caprices de dame Météo. En théorie. Si son voyage solitaire à travers la forêt depuis le Village Perché s'était avéré silencieux, le jeune homme n'étant guère de ceux qui se parlent à eux-mêmes à voix haute, son esprit s'était plus ou moins alourdi de jurons à l'égard de la pluie et de l'humidité ambiante au fur et à mesure qu'il sentait celle-ci le gagner peu à peu jusqu'à la moelle. Si la cape de voyage dont il s'était paré au-dessus de son armure légère lui avait permis de rester au sec pendant ses premières heures de voyage, il s'était, une fois de plus, relativement trempé au terme de ces dernières. L'humble soldat qu'il était n'avait pas vraiment prévu dans son équipement une cape enchantée qui lui permettrait de rester tout le temps au sec – d'autant plus que, sans se mentir, les capes, cela l'importunait légèrement, avec la paire d'ailes qu'il avait entre les omoplates. Mais au moins, la perspective de revoir une ancienne connaissance de l'Académie militaire lui permettait d'illuminer quelque peu cette journée de pluie maussade.
Il n'avait cependant pas imaginé le terme « d'illuminer » au sens propre. Si trouver la cabane fut relativement aisé pour le Belluaire habitué de la forêt et de ses recoins obscurs, anticiper l'embuscade qui l'y attendait le fut beaucoup moins. A peine eut-il deviné les contours du cabanon sous la pluie dont la porte s'ouvrait à la volée qu'il se retrouva aveuglé par le blanc soudain de l'éclair qui jaillit dans sa direction. Plus par instinct qu'autre chose, la partie un tant soit peu animale de son être prenant le dessus sur le reste, le jeune homme se retrouva à bondir de la selle de son cheval, s'envolant pour venir se percher dans l'arbre le plus proche, un morceau de sa cape noirci par l'éclair qui venait de frapper, et laissant échapper une exclamation aux accents de surprise :
- Sae moi !
Sauf que, nonobstant le jeu de mot involontaire (?), la monture de l'hybride belluaire, prise de panique devant cet assaut foudroyant, s'était cabrée, et fonçait à présent droit sur Calixte et son familier caractériel.
Attaquer ! réitéra Vreneli dont le vocabulaire dépassait peu le champ lexical de la guerre.
- Non ! s’écria fermement le coursier à l’adresse du teisheba comme, peut-être en partie, du cheval.
Ce dernier cependant, sourd dans sa panique ou peu impressionné par l’ordre, poursuivit sa folle ruade, obligeant Calixte à fusionner dans la chose qui se trouvait la plus proche de lui. A savoir la bille d’argile qu’il avait instinctivement sortie. Alors que Vreneli gagnait davantage de hauteur pour laisser place à la monture affolée, le coursier entendit les sabots claquer furieusement dans la terre imbibée d’eau jusqu’à ce que, fatalement, un martellement de patte enfonça son abri de fortune profondément dans la boue. Voilà qui allait être charmant.
- Khisae ? répéta avec un peu plus d’urgence l’espion des tréfonds de sa bille.
Vren, écarte-toi. Ta présence n’aide pas à le calmer.
Et peut-être fut-ce l’éloignement de la nébuleuse électrique, ou l’expérience d’Enkhisae, ou tout simplement le temps alloué à la bête pour se reprendre, qui permit à celle-ci de retrouver un peu de calme et de discernement. Un bref instant, Calixte avait eu peur qu’elle ne s’enfuît dans sa détresse, embarquant avec elle une partie des affaires de son collègue dans les méandres de la forêt encore obscurcis par le temps maussade, mais finalement cette crainte ne s’était pas réalisée. Par prudence, il demanda tout de même au teisheba de se tenir à distance encore un temps, et ce dernier se posta sagement sur le toit de la cabane, attendant fébrilement de voir si la tempête devait tourner à l’orage.
- Arriverais-tu à sortir ma bille du sol, s’il-te-plait ? fit l’espion à Enkhisae après qu’il eut prudemment attaché sa monture sous l’abri succinct prévu à cet effet.
Mais il devait s’avérer que, s’il avait souhaité se donner une chance d’être repéré dans la bourbe en camaïeu de marron par son ami, il aurait dû songer à fusionner dans une perle plus précieuse que du bois. Après quelques minutes de recherche infructueuse de son collègue, Calixte se résolut à sortir de son abri sans que celui-ci fut préalablement extirpé de son carcan de boue. La terre détrempée vola en nappes informes autour de lui alors qu’il jaillissait des quelques centimètres où sa bille avait été enfoncée, et il grimaça à la sensation de la couche de glaise humide lui servant à présent de tenue supplémentaire, lui donnant une triste allure de petit golem. Prenant soin à ne pas glisser en se relevant – quoi qu’à ce stade il ne pouvait pas être plus sali que ça – il balaya d’une main poisseuse la boue qui menaçait de s’infiltrer par les orifices de son visage.
- Heurg, on a déjà fait retrouvailles plus sympathiques. Allons nous mettre à l’intérieur, pour discuter de l’assignation. Et pour que je retrouve visage humain. Je doute qu’on réussisse cependant à complètement sécher, on est loin de l’auberge de luxe.
Ils trouvèrent refuge de la pluie diluvienne dans le cabanon spartiate, et si ce n’avait été pour son odeur familière en dépit de sa cape terreuse, nul doute que Kaname l’aurait aspergé de son manta pist’ dans un élan de défense réflexe. La loutre cependant, toujours de taille décrue, se contenta de lui adresser un regard confus avant de tourner son museau curieux vers Enkhisae.
Homme bizarre. Comme Soly chérie, mais dragon.
Pas tout à fait, Kapitaliste.
Abou parler de capitalisme.
Heu oui. Mais non. Un kapitaliste est une créature comme toi. Mais s’approchant plus du dragon, effectivement.
Avisant le rare mobilier de la pièce, le soldat attrapa rapidement l’unique bassine à disposition et entreprit d’y jeter pêle-mêle ses affaires souillées.
- As-tu fait bonne route malgré le temps ? demanda-t-il à son camarade tout en se servant de sa tunique poisseuse pour retirer le plus gros de la boue tapissant son visage et sa chevelure. Je ne sais pas trop s’il est plus intéressant que l’on attende demain pour se remettre en route – Vreneli a l’air d’anticiper de l’orage et je ne suis pas certain que longer la côte sous la tempête soit très prudent – ou s’il vaut mieux que l’on mette les voiles le plus rapidement possible.
Un bref aller-retour à l’entrée remplit rapidement sa bassine d’eau de pluie, et lorsqu’il revint au cœur de la pièce, l’espion y jeta sa net’noix qu’Abdallah avait préparée. Surveillant le nettoyage improvisé de ses vêtements, attrapant la serviette sèche magique que le sac à dos lui tendait à présent, Calixte entreprit de s’essuyer au mieux avant de proposer celle-ci à Enkhisae.
- A défaut d’autre chose. Il y a bien un petit âtre, là dans le coin. Mais je ne sais pas depuis quand la cheminée n’a pas été ramonée, et j’aurai peur de nous asphyxier avec un feu. Si tu te sens de t’y atteler, je te laisse la main.
Joli, commenta Kaname en attirant l’attention du coursier.
La loutre s’était doucement rapprochée du Belluaire, et regardait avec intérêt la gemme ornant le front maintenant dégagé de celui-ci. Le museau tourné vers le jeune homme, elle l’observait sans détour et semblait quémander quelques caresses.
- Kaname, Enkhisae. Enkhisae, Kaname. Elle est usuellement plus grande, mais vu l’étroitesse de la pièce… Les villages par lesquels il est prévu que l’on passe sur le littoral, avant de rebifurquer vers le cœur de la Grande Forêt, proposeraient abris et couchages plus confortables, poursuivit-il songeur. Mais… je ne sais pas. Qu’en penses-tu ?
Récupérant une corde qu’il tendit maladroitement à travers la pièce, il y suspendit ses vêtements nettoyés. Probablement seraient-ils encore humides lorsqu’ils reprendraient la route – plus tard ou le lendemain – mais il n’y avait pas tellement mieux à faire. [Sortant deux sachets de coton d’une poche latérale d’Abdallah, il tendit un petit biscuit fourré à la confiture à Enkhisae.
- J’ai du thé, aussi, dans mon thermos si tu veux une boisson chaude, proposa-t-il avant de croquer dans son propre gâteau.
Et de se mettre à toussoter, tandis qu’un charbon ardent échauffait sa langue et rougissait ses joues. Apparemment s’était-il trompé en passant aux cuisines du Bastion avant son départ, ou les commis lui avaient-ils joué un tour, garnissant les pâtisseries d’un ingrédient fort épicé.]
- Voilà qui réchauffe aussi très bien, fit-il d’une voix éraillée par son gosier en flammes, avant de se saisir de sa gourde pour chercher de grandes lampées d’eau salvatrice.
Quelle idée. Aurait-il utilisé une bille d'argent ou d'or, nul doute que l'hybride kapitaliste l'aurait trouvé en peu de temps, l'éclat précieux attirant systématiquement son regard. Ses ailes s'affaissant légèrement, témoignant de son découragement, il continua à scruter le sol, marmonnant quelque chose à propos de jolie bille, jusqu'à ce que, finalement, la tâche ne lui soit facilitée par un Calixte émergeant du sol boueux en emportant un bout de ce dernier. Clignant des yeux devant un tel spectacle, l'hybride finit par détourner le regard, une main devant les lèvres, s'efforçant au mieux de ne pas exploser de rire. Cela aurait été assez peu charitable. Même si l'envie n'en manquait pas.
Toussotant, afin de réprimer au mieux son rire et le faire passer inaperçu – ce qui, en vérité, était déjà très probablement raté – le Belluaire suivit son collègue à l'intérieur du petit abri modeste, dont le confort aurait fait crier d'indignation le moindre petit nobliau de la capitale habitué à la soie et au velours, laissant échapper tout de même quelques mots trahissant son sourire.
- Je t'offrirais une bille en argent, pour nos prochaines retrouvailles.
Fermant la porte derrière lui, prenant le temps pour que celle-ci soit bien calée afin de ne pas s'ouvrir dès le premier courant d'air désagréable, le Belluaire n'avisa pas immédiatement la loutre qui le détaillait du regard dans un coin du cabanon. Et lorsqu'il se retourna pour vers son collègue pour le suivre dans ses pérégrinations boueuses, il ne put s'empêcher d'arquer un sourcil à la vue de la loutre qui le fixait d'un regard curieux, avant de se rappeler que, oui, en ce monde, les loutres géantes pouvaient changer de taille à souhait. Pour sa défense, la journée avait été longue, maussade, pluvieuse et un tantinet électrique sur sa fin.
Attrapant la serviette que lui tendait Calixte avec un remerciement, l'hybride commença à se sécher du mieux que lui permettait l'humidité ambiante – c'est-à-dire, de manière assez peu satisfaisante – avant de venir poser avec une douceur surprenante sa main sur la tête de la loutre qui s'était approchée, et la caresser machinalement. Si lui-même n'était pas en possession de petites bestioles de la sorte, rien ne l'empêchait, de, comme une bonne partie des mortels de ce monde, voir son cœur fondre devant autant de mignonnerie et y accorder quelques caresses. Se doutant bien assez peu que c'était l'éclat de la gemme qui ornait son front qui avait attiré le regard de l'animal.
Continuant à grattouiller affectueusement l'animal après avoir étendu la serviette sur le dos d'une chaise, l'hybride attrapa distraitement le biscuit tendu par son collègue, écoutant les propositions et les réflexions de celui-ci, lui-même réfléchissant à la question.
- C'était froid, humide et dépourvu de tout autre truc notable, ce qui, en soi, est pas plus mal, je cr...
Croquant dans son biscuit entre deux syllabes, l'hybride n'avait guère prévu le piège que recelait la pâtisserie innocente d'apparence. Dans un concert de toussotement qui rejoignit celui de Calixte, Enkhisae sentit soudainement une partie du froid qui le saisissait jusqu'à la moelle s'envoler au profit de la sensation pas bien plus agréable que d'avoir un four au fond de son gosier. Se saisissant lui-même de sa propre gourde, il vint boire à son tour de grandes gorgées d'eau fraîches, perpétuant ainsi le concert de toussotement des gardes en un concert de glouglou hâtifs.
- Ouf, nom de Lucy... Je sais pas qui a mis ça dans ton sac, mais c'est explosif.
Toussotant encore un peu, il leva les yeux vers le tuyau de la cheminée, qui avait l'air d'avoir connu de meilleurs jours, après avoir adressé un regard d'excuses à la loutre qu'il avait vraisemblablement dû surprendre un peu suite à l'ingestion du biscuit infernal.
- Franchement, je préfère dormir sur un bois dur pas très confortable que de risquer me faire emporter au large par une bourrasque un peu trop violente et m'y noyer. Ou de me faire foudroyer au détour d'un chemin par manque de bol. Si ton spaghetti électrique sent venir l'orage, c'est qu'il peut-être bien trop tard pour bouger.
Venant frapper du dos de sa main sur le bois à proximité de la porte d'une main, et en passant une seconde dans sa chevelure encore humide d'un geste machinal, il ajouta ensuite :
- Et puis, ce truc a tenu des années, il tiendra bien une tempête de plus, non ? Je vais juste aller ramoner ça vite fait.
Trouvant rapidement – aussi surprenant cela soit-il – quelque chose qui ressemble de près ou de loin à un balai, le Belluaire abandonna sa cape sur le fil étendu à proximité des habits de Calixte, avant de sortir, armé de sa nouvelle trouvaille. D'un coup d'ailes, il vint se jucher sur le toit de la morne bicoque, grimaçant sous le vent et la pluie qui avaient gagné en intensité depuis le moment où les deux gardes s'étaient mis à l'abri, confirmant les soupçons du teisheba... qu'il trouva juché sur le toit de la cabane, crépitant d'électricité. Plissant les yeux en regardant l'animal, il contourna bien lentement la bête électrique, avant de se mettre à l'oeuvre.
- Euh, Cal ? Ouvre la porte, ça risque de fumer !
Cria-t-il avant d'enfoncer le balai dans la cheminée, grattant le conduit de la cheminée pour en détacher toute la suie qui s'était accumulée là au cours des précédents mois – et seulement mois, espérait-il, et non pas années. Délivrant sans nul doute à quiconque était resté dans la cabane un bon nuage de suie qui... ne salirait pas trop les vêtements propres de Calixte, espérait-il soudainement. Il n'avait pas vraiment pensé à ce détail.
- … J'espère que tes fringues sont à l'abri !
La fin de son exclamation fut noyée par le grondement du tonnerre suivant immédiatement l'éclair zébrant le ciel non loin. Sursautant, autant sous l'effet de l'éclair aussi proche qu'inattendu que le grésillement qu'il crut entendre s'élever du teisheba, il perdit un instant l'équilibre, son pied botté glissant sur le toit humide de la cabane. Qu'il dévala sans autre forme de procès en roulant et battant maladroitement des ailes, avant de s'écraser peu gracieusement dans la boue en contrebas y roulant avant de s'immobiliser en grognant. Laissant la pluie tomber sur visage, observant les éclairs zébrer le ciel, il demeura quelques instants de plus à contempler mentalement la morosité de sa vie, avant d'avoir une illumination soudaine, et de se redresser, plein de boue, un sourire malicieux aux lèvres. Et venant se placer face à la porte d'entrée encore ouverte, couvert de boue, sous les yeux de son collègue, de sa loutre et de son sac à dos enchanté, il prit une pose exagérément dramatique.
- Soyez éblouis devant la normalité et la boueusité de Calixte Alkh'eir, l'homme qui de bille devient boue, accompagné de son fier et grincheux teisheba, de sa fidèle loutre et de son sac à dos serviable ! Armé de mes gâteaux épicés, je réchaufferai le monde, fusse-t-il au plus profond de la tourmente ou de la tempête ! Ma légendaire maladresse est à votre service.
Et il acheva sa tirade par une courbette exagérée, avisant du coin de l'oeil la cheminée qui avait l'air d'être un peu moins encombrée qu'auparavant, une bonne partie de la suie dispersée dans le cabanon, ou à l'extérieur de celui-ci. Il se redressa ensuite en toussotant, toujours plein de boue.
- Euh, sinon, je pourrais t'emprunter ton net'noix ?
Lorsqu’enfin, suivant le grondement d’un coup de tonnerre et le son en clapotement de quelque chose heurtant la boue – probablement un arbre abattu par l’orage, ou tout autre chose équivalente – l’air retrouva peu à peu sa clarté, et que la suie sembla s’être complètement dégagée du conduit – et y avait-il eu là accumulé un fenrir de poussières pour que l’affaire fût aussi fumeuse ? – Calixte pointa une tête prudente à l’intérieur de la cabane. Rayonnant autour d’une montagne de cendres ayant surgi dans l’âtre, une pellicule de particules avait grisé le sol, et s’était étalée en bras sur les parois comme des tentacules s’élevant du monticule. Mais le pire, sans doute, étaient les affaires détrempées du coursier auxquelles la suie s’était agglutinée, bien décidée à en recouvrir la moindre fibre. Devant le foyer, sans doute intriguée par le remue-ménage du dessus et la voix d’Enkhisae provenant du conduit, Kaname s’était naïvement postée et dardait à présent un regard surpris sur l’espion. Son pelage usuellement noisette et crème, maintenant noir de la tête aux pattes.
Drôle de neige.
Oh ma pauvre Kana, s’exclama l’espion en pénétrant à grands pas dans la bicoque pour épousseter son familier.
S’il réussit à noircir davantage ses mains, son entreprise fut par ailleurs relativement vaine.
Dragon de boue, l’informa la loutre en roulant sous ses doigts, plus amusée par le jeu qu’indisposée par son manteau de suie.
Debout ? répéta-t-il sans comprendre, avant de suivre le regard de celle-ci, accrochant une silhouette terreuse dans l’embrasure de la porte.
Dans un autre contexte, sans doute aurait-il dégainé l’une de ses lames à l’apparition de cette créature de cauchemars. Mais la voix claire, taquine, d’Enkhisae fendit l’atmosphère, et après une pause incrédule suivant la courbette théâtrale et l’interrogation gênée de son collègue, Calixte éclata de rire. Quelques secondes. Minutes. Assez longuement pour que plusieurs vagues hilares ne fissent leur passage et voilassent ses yeux de larmes allègres, assez longtemps pour qu’Abdallah profitât de l’occasion pour se lancer dans un monologue sur les bienfaits attribués au rire, aux bains de boue, et aux masques de cendres.
- Je reviens, réussit-il à placer entre deux hoquets, après avoir avisé le balai couvert d’une couche de glaise de son camarade.
Sortant sa clef dimensionnelle de son tatouage de rangement, il ferma la porte de la cabane et profita de la serrure de celle-ci pour accéder à la petite pièce qui y était liée. Celle-ci appartenait au quartier général des espions, et si elle mettait à disposition tout un arsenal de matériel facilitant leur travail comme leur servant de point de repli stratégique, elle ne trahissait en rien, à première vue, leur travail officieux. Et puis, elle disposait d’outils de ménage. Récupérant ceux-ci, puis laissant la salle s’évanouir comme elle était apparue, Calixte les disposa contre la table de la cahute. Il y avait une bassine supplémentaire de taille moyenne, une plus grande dans laquelle ils pouvaient espérer se laver, deux balais, un seau avec quelques brosses, des pinces à linge et du savon, et une pelle avec sa balayette.
- Au moins cela devrait-il nous réchauffer, commenta-t-il d’un ton toujours secoué d’amusement. Essayons de rendre les lieux un peu plus hospitaliers. Et nos silhouettes un peu moins cauchemardesques.
Commençant par remplir les bassines d’eau – ce qui ne fut pas très compliqué ni longuet aux averses du dehors – ils fourrèrent ensuite leurs vêtements salis dans la plus grande – et le coursier, qui avait perdu sa pudeur et sa décence quelque part au milieu des entrainements d’espion, se déshabilla presqu’entièrement sans gêne – ainsi que la net’noix, et Kaname glissa dans la deuxième, sa taille actuelle le lui permettant aisément. Abdallah, délesté de son sac sans fond, profita aussi d’un bain à l’eau claire, et l’on pouvait entendre en sourdine la mélodie d’un énième monologue de depuis le fond de sa cuve. Tandis qu’Enkhisae terminait de rendre le foyer utilisable et tentait d’y élever de belles flammes à partir d’un bois humide trouvé quelque part, Calixte nettoya succinctement les murs de la cabane, passa un coup de balai énergique contre le sol de terre battue, puis fixa encore quelques lignes de fil pour permettre d’étendre toutes leurs affaires. Si ce grand ménage improvisé permit à son corps de ne pas trop se refroidir, il put tout de même sentir l’humidité glaciale ronger peu à peu sa chair, et il n’était pas certain qu’ils feraient surface le lendemain épargnés de la goute au nez.
- Tu t’en sors ? demanda-t-il à son camarade, pressé de sentir la chaleur du feu prendre le pas sur l’atmosphère gelée. Il doit y avoir une pierre de feu, si besoin, dans mon sac sans fond, poursuivit-il en retirant la net’noix de la bassine et commençant à essorer les affaires à nouveau propres.
Kana propre, Kana aider ! déclara la loutre en s’ébrouant avant de quitter son bain.
Et, à la lueur de l’unique cristal de lumière fiché dans l’un des murs nettoyés, récupérant l’objet magique – mais aussi quelques autres plus ou moins appropriés comme une boite d’allumettes, un rouleau de papier toilette et une brosse à dents – elle entreprit joyeusement d’aider le Belluaire. Plus ou moins efficacement. Au pire, le coursier se dit qu’ils auraient toujours ses biscuits pimentés pour se réchauffer.
C'est sur cette réflexion spirituelle douteuse que l'hybride avait entrepris de se frotter un peu l'épaule et le bras pour tenter de dégager un peu de boue qui s'était agglutinée sur sa personne et sur ses vêtements, sans grand succès. Et alors qu'il commençait sérieusement à envisager de rester sous la pluie battante, nonobstant le vent qui faisait claquer ses ailes et la foudre éblouissante qui s'abattait régulièrement afin de profiter de l'eau venue du ciel pour se décrasser un peu, il accueillit avec un haussement de sourcils surpris le manège de son ami coursier. S'il n'en était pas à la première merveille magique de sa vie, il n'en demeurait pas moins que chacune des manifestations ce genre éveillait en lui un mélange de curiosité et de fascination. Laissant échapper un petit sifflement admirateur devant la nouvelle pièce qui était apparue derrière la porte de la cabane, Enkhisae se garda cependant bien d'y mettre les pieds, la dernière de ses envies étant bien d'aller salir de ses bottes boueuses le sol propre de cette pièce magiquement apparue. Ce qui ne l'empêcha cependant pas de jeter de fréquents coups d'oeils curieux à travers l'embrasure de la porte, pendant que son ami réunissait un nouvel arsenal de ménage un peu plus étoffé que celui que les deux gardes avaient présentement à leur disposition. Non sans étendre ses ailes et ses bras pour espérer se débarrasser un tant soit peu de boue, avant qu'il n'ait à se mettre au travail.
Sa pudeur n'était d'ailleurs pas bien plus remarquable que celle de Calixte, qu'il rejoignit dans l'entreprise de se débarrasser d'une bonne couche de ses vêtements pour les jeter dans la bassine préparée, dont l'eau ne tarda pas à prendre une teinte des plus sombres, l'hybride jetant par ailleurs un coup d'oeil amusé à la loutre à présent cendrée qui se glissa dans l'eau, entre les habits. Ne gardant sur lui que le strict nécessaire, se débarrassant même de ses bottes pour apprécier le contact froid et humide de la pierre sous orteils nus, Enkhisae ne traîna pas pour se mettre à la tâche, obéissant tant à son besoin de s'activer pour se réchauffer qu'au vague sentiment de gêne d'avoir transformé le refuge en un mélange de cendre et de boue qu'il ne conviendrait guère de laisser à qui passerait derrière eux.
Après s'être échiné à rendre le foyer de la cheminée utilisable en grattant à la brosse les derniers amas noirâtre de nature mal identifiée, l'hybride se mit à arpenter le petit refuse à la recherche d'éventuelles réserves de bois, qu'il trouva avec une aisance relative derrière la réserve de rations sèches à l'odeur douteuse, pestant par ailleurs à mi-voix en se rendant compte que l'humidité avait bien ramolli le bois. Ecartant cependant bien rapidement l'idée de se replonger dans la tourmente de la tempête en vaine quête de bois sec, le Belluaire se résigna cependant à faire avec ce qu'il avait sous la main, et commença donc à empiler le bois dans l'âtre de manière organisée, espérant que l'ensemble parviendrait à sustenter un feu pour les prochaines heures, pendant que son ami s'activait dans son dos pour rendre la cabane un peu plus propre et moins cendreuse.
Ce fut après moult gesticulations et manœuvres plus ou moins désespérées effectuée à l'aide d'un briquet à silex trouvé au pied du foyer que le regard de l'hybride s'éclaira d'une lueur d'espoir lorsque son collègue et ami lui signala la présence d'une pierre de feu dans ses affaires. Tout du moins jusqu'à ce qu'il ne se retrouve avec une brosse à dents entre les mains et une loutre mouillée s'agitant avec des allumettes et ladite pierre de feu devant le foyer.
- Euh, dis, ton PQ, il a des propriétés, euh... incandescentes ?
Partagé entre la brosse à dents et le PQ, l'hybride laissa la loutre s'agiter devant le foyer, observant le manège de l'animal avec un mélange de scepticisme et d'admiration devant une telle persistance dans l'inefficacité. Décrétant finalement qu'il en avait plus ou moins marre d'avoir froid, Enkhisae entreprit de subtiliser la pierre de feu des pattes de la loutre, non sans devoir s'y atteler à plusieurs reprises, se prenant toutefois au jeu de devoir distraire la loutre en lui offrant toutes sortes de diversion, allant du simple sifflement au « oh, regarde, une chaussette volante » en passant par le fameux bluff du « j'ai volé ta queue ».
Les flammes commençant finalement à s'élever timidement dans l'âtre, non sans dégager une bonne dose de fumée à cause de l'humidité du bois, l'hybride déposa la pierre de feu à côté de l'âtre, se retenant au dernier instant de la lancer à Calixte dans un geste désinvolte pour lui la rendre, se souvenant in extremis de la célèbre maladresse de son ami. Et, pris d'un excès de zèle – ou peut-être tout simplement une envie de continuer à se réchauffer par le travail manuel en attendant que la cheminée fasse son office – il s'affaira à essayer de dépoussiérer les alentours de l'âtre de sa brosse, y grattant les cendres qui s'étaient déposés dans tous les interstices possibles et imaginables, tout en entretenant la conversation d'un ton plutôt léger.
- Alors, tu deviens quoi, de ton côté ? C'est comment dans le Sud ?
De ce qu'il en savait, Calixte avait été muté au Grand Port à peu près à la même période où lui-même avait été muté au Village Perché, sans qu'il n'ait plus eu de détails à ce sujet – sa propre mutation ayant été quelque peu houleuse, il n'avait pas eu le loisir de se préoccuper du sort de ses autres camarades de la Capitale. S'affairant du côté du stocks de rations de nourriture, l'hybride fronça le nez, arrêtant quelques instants de dépoussiérer en sentant à nouveau l'odeur s'échapper de là.
- Ergh. Tu crois vraiment qu'on est sensé manger ça ? Voire même, laisser ça là jusqu'à ce que quelqu'un meure d'avoir essayé de les manger ?
Le regard sautant distraitement de sa loutre, à la silhouette d’Enkhisae, à ses propres doigts s’activant pour essorer les derniers vêtements nettoyés, Calixte accusa un moment d’hésitation au questionnement du Belluaire. Non pas sur les possibles propriétés de son papier toilette – qui était en réalité, tristement, terriblement banal en dehors de ses impressions artisanales de glooby – mais sur l’interrogation de son présent actuel. Cela faisait quelques lunes – quelques années ? – que les deux camarades ne s’étaient pas croisés plus que brièvement à l’occasion d’assignations diverses, et que la teneur de leurs échanges n’avait pu dépasser la trentaine de mots au cumulé d’une journée. Aussi, le temps que l’esprit embourbé de l’espion ne fît le tour, et le tri conséquent, de tout ce qui lui était arrivé dernièrement, celui de son ami avait temporairement bifurqué vers l’état des rations de survie.
- Ca ferait peut-être mauvais genre, acquiesça-t-il en dardant un regard circonspect sur les stocks tout aussi détrempés et douteux que le cabanon. Surtout si on est les derniers à avoir enregistré un passage ici.
Avec son sens moral tout relatif, Calixte ne faisait pas dans le caritatif. Néanmoins, les années d’espionnage, comme celles à graviter au pôle logistique, l’avaient doté d’un certain pragmatisme. Aussi aida-t-il Enkhisae à mettre de côté les rations suspectes, et usa à nouveau de sa clef dimensionnelle. Laissant dans la pièce magiquement apparue les denrées potentiellement néfastes assorties d'une note concise explicative, il y rafla deux portions de soupe instantanée, deux miches de pain fraiches du matin – avoir des apprentis avait cet avantage de garder une planque bien garnie, un quart de fromage mal dissimulé sous une cloche, et un sachet en coton contenant divers fruits secs. Le garde-manger présent dans cette salle de secours était généreusement garni, et d’un choix assez large considérant sa fonction première de dépannage, mais il était évident que chacun y avait ses préférences, et ses habitudes. Les passages de Calixte, par exemple, avaient tendance à le dépouiller de ses « aliments pour lapin ».
- Est-ce que tu veux… commença le coursier en revenant dans la cahute, avant que le timbre enthousiaste d’une voix bien connue ne haltât son train de pensées.
- … et c’est comme ça qu’il est tombé enceinte ! finit joyeusement Apolline, perchée sur le sommet de la tête de Kaname. C’pas interdit pour toi le fromage d’ailleurs, Cal ? poursuivit-elle en appréhendant les vivres ramenés par l’espion.
Apo raconter Khisaliste quoi Cal faire depuis plus d’un an au sud, lui glissa la loutre, ce qui ne fit que majorer sa confusion.
- Heum, fit-il donc intelligemment, avant de rebondir sur le point le plus perturbant : Khisaliste ?
- Parait qu’il est hybride kapitaliste, répondit la trousse de cuir, comme si cela expliquait tout. D’ailleurs, Soly chérie dont je te parlais, là, elle est hybride chiraki. Et je sais pas si dans la nature les chiraki femelles sont comme ça, mais elle a un balcon ! Visible depuis l’espace !
Dans un soupir résigné, Calixte se remit en mouvement. Apparemment, bien que soumis à l’assaut de paroles de l’âme artificielle, Enkhisae avait réussi à ramener la bassine près de l’âtre et l’eau commençait doucement à s’y réchauffer. Pour des raisons d’imprécision concernant le fonctionnement de la net’noix et le peu d’importance que nous y attribuons pour le déroulement actuel de l’histoire, nous considérerons qu’aucune saleté n’y flottait plus suite à l’action de l’objet magique en présence, précédemment, des vêtements souillés.
- T’as lu mes bouquins ? Faut que Cal te passe Belles Lueurs dans les Cimes. Peut-être je ferai un tome deux, si tu me pointes vers l’inspiration. Xylia a approuvé celui-là et m’a donné d’autres… sujets pour une suite potentielle, mais je n’sais pas si j’arriverai à trouver meilleure muse que votre lieutenante « multi-tâche et déforestation ».
- Tu as été à son discours de présentation ? interjeta distraitement le coursier avant de finir de se dénuder et entrer dans l’eau tiède comme il semblait que son camarade préférait passer en dernier en raison du temps que le nettoyage de ses ailes risquait de prendre.
Discours qui s’était fini en bataille d’eau. Discours qui avait été un peu anxiogène pour la petite foule de curieux présents – soldats et habitants du Village Perché – jusqu’à ce que le Capitaine Nottsen n’intervînt. Présent sur place suite à une mission postale, Calixte y avait assisté, non seulement par curiosité, mais aussi pour profiter de la présence de Xylia qu’il considérait comme sa petite sœur. Il ne lui avait pas paru apercevoir le visage familier d’Enkhisae à cette occasion, mais certainement n’avait-il pas pu appréhender l’ensemble des âmes présentes.
- C’est là où elle m’a raconté une partie de ses exploits ! commenta Apolline d’un ton appréciateur.
Personnellement, le coursier ne se souvenait pas de ce passage-là. Mais non seulement l’âme artificielle avait-elle la fâcheuse manie de rouler sa bosse là où elle le souhaitait en toute indépendance voire indifférence, mais en plus ne se gênait-elle pas de fabuler allègrement sur les sujets lubriques chers à son cuir. Après tout, c’était certainement la raison du succès de ses livres roses.
- Je ne sais pas ce qu’Apolline t’a dit, mais…
- Que le sud c’est top : Al Rakija fait des barbecues pour le régiment, y a des assignations plage et certainement bientôt sources chaudes, Soly chérie t’a pécho, y a des soirées Valkystiques – Valkyries et logistique – et qu’à force de jouer avec des objets magiques t’es tombé enceinte. Mais la grossesse continue que quand il est sous forme féminine, précisa sans gêne la trousse à Enkhisae comme s’ils avaient chassé les porc-becues ensemble. Hé ! Donc c’est bon pour le fromage, nan ?
Terminant de frotter frénétiquement ses membres pour les débarrasser de la généreuse couche de savon dont il les avait enduits, Calixte attrapa sa serviette sèche et sortit de la bassine en se frictionnant énergiquement. Et en laissant peu charitablement son ami se dépatouiller de la présence affable, mais volontiers envahissante, d’Apolline.
Une fois qu’il se fût revêtu de son change, il entreprit de remplacer l’eau de la bassine avant de la replacer devant les flammes volontaires de l’âtre.
Après un instant d'incertitude profonde, le Belluaire hocha vaguement la tête en direction d'Apolline, donnant malgré lui l'assentiment pour que vienne une nouvelle avalanche d'anecdotes à la fois aussi importantes qu'inutiles, et se dirigea vers le baquet d'eau, pour entreprendre de le pousser doucement vers l'âtre où dansaient les flammes qu'il avait allumés quelques minutes plus tôt. Non sans admirer les propriétés merveilleuses du net'noix, et noter mentalement l'objet sur sa liste de courses d'objets magiques, dès qu'il recevrait sa prochaine paye – ou celle d'après, vu qu'on n'est jamais à l'abri d'un imprévu.
Son regard s'arrêta de nouveau sur Apolline, une fois le baquet déplacé. Un regard pensif, derrière lequel semblait, progressivement, disparaître tout rêve, s'il avait un jour existé, de posséder une âme artificielle. Certes, cela faisait une joyeuse compagnie dans les moments de solitude, mais si le risque était de tomber sur quelque chose de similaire à cette trousse en cuir auteure de romans érotiques... il n'était pas certain de vouloir y miser son argent, finalement – même s'il n'était pas certain d'avoir un jour la fortune pour ce genre de chose.
Pour autant, si la rencontre de cette âme artificielle faisait émerger en lui le désir soudain de s'épargner un tel calvaire personnel, écouter ainsi parler des événements de vie de la caserne du Grand Port avait quelque chose de passablement amusant, et, après un instant de relativisme, même agréable. Mesquinement agréable. C'est ainsi qu'il accueillit avec un sourire espiègle l'étrange rumeur sur un mystérieux garde offrant de la lingerie fine aux messieurs et dames encore célibataires, avant de, de nouveau, fixer avec perplexité la sacoche en cuir.
- Attends, quoi... ?
Son murmure incrédule fut naturellement couvert par les interrogations d'Apolline sur le fromage, ce qui ne manqua par ailleurs pas de rendre d'autant plus perplexe le Belluaire hybride. Ses doigts venant bien assez tôt masser sa tempe pour tenter d'y retarder l'installation d'un inévitable mal de crâne, il écouta, d'une oreille distraite, sans s'en offusquer, l'échange entre Calixte et sa sacoche décidément bien bavarde. Avant que, bien évidemment, celle-ci ne le reprenne comme cible de ses incessantes élucubrations.
- Pas lu tes bouquins, non, pas le temps, pas la foi... marmonna-t-il, avant de poser son regard doré sur Calixte. J'y étais pas, non, j'étais occupé à l'autre bout de la forêt. Mais par contre, j'en ai entendu quelques trucs. Que ça aurait tourné en bataille d'eau assez remarquable, notamment.
Il regrettait presque ne pas avoir été présent pour être le témoin du joyeux chaos en lequel le discours de présentation de Java s'était mué. A en croire certains, ce n'était pas plus mal, au vu de l'inquiétude que les mots de la toute nouvelle lieutenante avait pu susciter. Quant à savoir qui était l'instigateur d'une telle bataille d'eau... Il y avait tant de coupables possibles qu'Enkhisae ne préférait pas se prononcer sur la question.
Revenant auprès de l'âtre, il s'affaira à entretenir les flammes toute jeunes qui y dansaient vivement, en apportant au petit bois une bûche un peu plus consistante, laissant volontiers Calixte passer le premier pour se décrasser – après tout, le net'noix lui appartenait, et l'hybride était vaguement responsable du cataclysme cendré qui avait rendu nécessaire le bain collectif.
- Ca a l'air sympa le Sud, dit comme ça... Vous bossez un peu, quand même ? Félicitations pour le couple, d'ailleurs.
Loin d'être un reproche, la question avait plutôt franchi ses lèvres sur un ton espiègle et léger, ce qui ne laissait que peu de doutes quant à son intention de chambrer son ami et collègue. Dont il ne tarda d'ailleurs pas à prendre la place dans la bassine dès qu'elle fut libérée et que son eau fut changée, mettant à contribution le savon et l'huile de coude nécessaire à faire disparaître la crasse, la cendre et la boue qui s'étaient aggloméré sur sa peau, mais aussi entre ses écailles, que ce soit celles ornant le dos de ses mains et de ses pieds, que celles s'étendant tout le long de sa colonne vertébrale. Ce qui rendait les choses un peu plus complexes, mais c'est avec la force de l'habitude qu'il s'adonna à un exercice contorsionniste pour nettoyer autant ses écailles que ses ailes, non sans asperger d'un peu d'eau une quelconque âme imprudente qui s'aventurerait trop près de la bassine.
- 'Fin, ceci dit, nous aussi on a des trucs sympas. Juste, p'tetre pas l'unité d'élite la plus sexiste de la garde. Mais on a une Grande Bibliothèque, si jamais ça te dit d'y faire candidater tes livres pour qu'on les y trouve, Apolline.
Quelque part, il trouvait amusant de présenter aux grands sages sérieux la collection de livres roses de l'âme artificielle, afin qu'ils figurent au sein de la Grande Bibliothèque. Quoique, il n'était pas tout à fait certain que la structure soit dépourvue d'une section prévue à cet effet. Après tout, la littérature est un art qui prend bien des formes... S'extirpant enfin de la bassine en s'estimant à peu près propre, Enkhisae enfila rapidement son propre change, avant de vider l'eau de la bassine, et revenir s'installer sur l'une des chaises auprès de la petite table qu'il avait nettoyée un peu plus tôt. S'emparant du matériel d'écriture qui avait réchappé au cataclysme de cendres, il s'attela à commencer à écrire une note de rapport destinée aux prochains gardes qui passeraient par là, ainsi qu'une autre à la division des Ouranbos, qui serait sans doute chargée de remettre un peu en état le refuge. Et ce, avec une sacoche en cuir bien trop curieuse qui ne tarda pas à s'installer auprès de son parchemin pour suggérer de l'agrémenter d'envolées lyriques.
- Euh, au fait... commença-t-il en relevant son regard de son écrit, t'es enceinte de qui ? Et quel rapport avec le fromage ?
- Depuis que j’ai été affecté au sud, je n’ai jamais autant été ailleurs pour combler le manque d’effectif, sourit le coursier en repensant à son improbable année à sillonner les routes d’Aryon presque partout sauf dans la région méridionale. Tu en déduis ce que tu veux.
Postée à côté de la bassine, Kaname observait avec curiosité et attention le minutieux nettoyage du Belluaire, et Calixte percevait par leur lien mentale la limite ténue entre la retenue respectueuse du familier et son instinct joueur. Après avoir été noircis de cendres et tapissés de boue, il semblait que l’option bataille d’eau n’était, à nouveau, pas bien loin.
Pas cette fois-ci, Kana, indiqua-t-il fermement à la loutre. Chaque chose en son temps.
Mieux quand discours chef ?
Heu non. Enfin pas tous. Disons que Lia avait raison : il fallait alors alléger l’atmosphère.
Kana pas comprendre.
Et alors qu’il remerciait distraitement Enkhisae pour ses félicitations – et en réalité, vu sa maladresse, sa malchance et sa médiocrité, l’existence improbable de son statut « en couple » méritait peut-être cette reconnaissance – Calixte se dit qu’il allait falloir qu’il trouvât un moyen d’améliorer son sens didactique et pédagogique. Ou alors, il fourrerait ses enfants entre les bras d’un être plus sensé et capable que lui ; ça ne devait pas être bien difficile à trouver. Solveig leur apprendrait la passion, Luz le discernement, Xylia la bienveillance, Lichael la persévérance, Khalie le calme, Valentino la bravoure, Carciphona l’insouciance, Naëry… Naëry était absent, encore, toujours. Depuis le début de la saison froide où il l’avait perçu au bout du fil magique qui les reliaient tous – la Maître-Espion, le Sbire, Whiskeyjack, Xylia, Carciphona, Jin, Luz, Naëry et lui – le coursier n’avait trouvé que le silence pour lui répondre. Au bout de son cristal de communication, dans l’antre esseulée de l’appartement de l’aventurier, dans les registres de la Guilde, sur les lèvres de ses connaissances.
Khisaliste jouer avec Apo, lui ! fit remarquer Kaname d’un ton quelque peu vexé le tirant de ses pensées de plus en plus moroses et inquiètes.
Le regard ambré se ficha sur la trousse de cuir qui roulait en rigolant joyeusement autour de la bassine pour éviter les petites gerbes d’eau presqu’innocentes venant à sa rencontre.
… tu peux utiliser ton manta pist’ pour aider Enkhi à finir de se nettoyer, s’il le veut bien, accorda-t-il dans un soupir, notant qu’il lui faudrait aussi apprendre la fermeté, d’une manière ou d’une autre.
Ou bien de trouver quelqu’un qui le ferait efficacement à sa place. Non, vraiment, plus il y réfléchissait et plus cette histoire de parentalité lui paraissait absolument impossible. Peut-être des cours existaient-ils, comme ceux que l’hôpital de l’Astre lui avaient proposés pour la préparation à l’accouchement. Mais pour devenir parent responsable.
- Il y a quelques… singularités dans la gestion du régiment Al Rakija, commenta distraitement le coursier, tout à sa panique croissante.
Peut-être pourrait-il acheter des livres sur le sujet ? S’il demandait à Hélène, l’étudiante en maïeutique qui effectuait son suivi obstétrical, peut-être aurait-elle de bonnes recommandations.
- Le nom, déjà. Quel autre régiment porte celui de son Capitaine ? Certaines assignations. Avec Solveig, on a dû chercher le peigne magique qu’Al Rakija avait égaré. Les ragots. Je savais les militaires aussi bavards que les concierges, mais au Bastion ça dépasse l’entendement. Ceci dit, c’est peut-être aussi car c’est l’un des lieux les plus animés… Et notre élite féminine réputée pour son expertise et ses arguments. Dont personne ne comprend vraiment l’origine ni la justification.
- J’ai la justification dans mes bouquins, moi ! interjeta Apolline en revenant près de l’âtre pour sécher son cuir. Dans l’Etalon des Guerrières, très précisément.
Mais déjà, le Belluaire évoquait la Grande Bibliothèque du Village Perché, et Calixte y voyait là son salut. Non pas dans la section rose – dont il doutait, d’ailleurs, de l’existence – mais dans celle concernant l’éducation infantile. Et, globalement, tout ce qui touchait à son maintien en vie. Mais ça ne devait pas être si compliqué que cela, si ? Un peu comme des familiers, certainement. Peut-être. Ou pas.
- Ah ! J’ai déjà envoyé une missive joliment tournée aux braves gens qui s’en occupent, répondit joyeusement l’âme artificielle. Ils ont été ravis de convoquer l’écrivaine A. Poal, mais malheureusement ont peu apprécié l’identité réelle de celle-ci comme le contenu audacieux de ses scénarios, poursuivit-elle en suivant le Belluaire qui s’éloignait un peu pour s’installer à la petite table. C’est ça, d’être avant-gardiste. Est-ce que je t’ai déjà parlé de Joconde, speculum à l’hôpital de l’Astre, qui est chanteuse de flamenco en plus d’écarteuse d’abricot ?
Apparemment le silence dubitatif d’Enkhisae était une réponse encourageante pour la trousse qui, après s’être fait soulevée par une loutre complice pour trouver le plateau de la table, reprit de plus belle sa narration lubriquement capillotractée. Observant d’un œil distrait l’étrange trio, Calixte effleura l’idée d’aider son ami dans sa studieuse tâche – autrement plus efficacement qu’Apolline qui suggérait quelques entournures douteuses au soldat affairé – mais ses interrogations inquiètes chassèrent d’un revers féroce cette douce distraction. S’il avait actuellement pleinement accepté sa grossesse et ses conséquences à venir, la sérénité de son appréhension de l’affaire tenait encore grandement à celle de Solveig. Ou, du moins, à la pensée réconfortante de son soutien inébranlable. Et puis, il y avait des moments comme celui-ci où, sur le calme plat de l’océan de son âme, émergeait brutalement l’épine du doute pour fendre son esprit, le faisant sursauter face à la férocité des vagues de questions terrifiées menaçant de le submerger. Et, présentement, le coursier se sentait quelque peu perdre pied dans l’immensité d’incertitudes ensevelissant ses songes.
- Est-ce que tu sais s’il y a des rayons sur la parentalité ? craqua-t-il comme les mots se précipitaient hors de sa bouche pour mettre en forme l’angoisse débordante de son cerveau.
Il y eut un silence circonspect, et Calixte se rendit compte qu’il venait de parler par-dessus la voix d’Enkhisae.
- Heu, répondit-il donc intelligemment, cherchant du regard celui inexistant de la trousse de cuir.
Cal pas dans ses chaussettes, déclara Kaname contre son esprit.
Quoi ? … assiette, Kana, pas chaussettes.
- Ca, Khisaliste, c’est la triste réalité de notre vie à ses côtés. Il est distrait le Cal-bute, faut lui trouver des sujets d’intérêt à sa hauteur. L’avantage avec Soly chérie, c’est que c’est facile : on a tout de suite le nez dedans. La grossesse ça l’aide pas non plus côté attention et mémoire ; dommage qu’il ait acquis la bague contre-moufflet aux miracles des vœux du Solstice, bieeen après l’implantation des marmots ! T’as fait un vœu, Khisaliste, au dernier Solstice ? T’as eu quoi ?
Khisaliste demander Cal enceinte qui fromage, intervint la loutre d’une gentillesse qui, ainsi formulée, ne l’aidait guère.
- Désolé, commenta-t-il d’une grimace contrite. Mais sinon vraiment : est-ce qu’il y a des rayons sur la parentalité à la Grande Bibliothèque ? … peut-être même des cours ?
Ses pensées prenant une drôle de tangente face au défi impossible qui lui était présenté par son esprit noyé d’interrogations, il darda un regard inquisiteur sur son ami tout en s’aventurant :
- … tu ne cherches pas à compléter tes fins de mois avec un peu de garde d’enfants, à tout hasard ?
Le rire franc d’Apolline fut le premier à lui répondre, mais tout à l’enchevêtrement de ses songes paniqués, le coursier attendit presqu’avec anticipation le retour d’Enkhisae. Avant que la réalité de ses propos ne traversât complètement la brume anxieuse ayant engourdi ses capacités de réflexion, et que ses mains attrapèrent la touffe humide de ses cheveux d’un geste empli de désespoir.
- Je vais être un père horrible, constata-t-il dans un gémissement résigné.
- Ptet pas très longtemps, commenta Apolline d’un ton guilleret qui aurait certainement paru déplacé à des oreilles moins habituées au fonctionnement bancal du groupe. Avec Abou et les copains à fourrure on a des paris sur combien de temps les mômes vont survivre.
Kana dit dix ans, fit fièrement la loutre, d’une bienveillance faussement influencée par la propre espérance de vie de son espèce.
Les doigts calleux du Belluaire vinrent distraitement effleurer son menton, tandis qu'il marquait une pause dans la rédaction du rapport, songeant à la singularité du régiment du Grand Port. En vérité, s'il n'était pas le seul à trouver quelques excentricités à la façon dont celui-ci était géré, et que même ses gardes en reconnaissaient les obscures particularités, c'en était quelque peu rassurant. Il se sentait soudainement moins seul, bien qu'il ne doutait pas quelque part du génie militaire du Capitaine Al Rakija. Distraitement, il vint tapoter de ses doigts sur le cuir d'Apolline dans un geste machinal équivalent à un 'mais oui je te crois' muet – qu'elle esquiverait peut-être – en se mettant à songer de ce qu'il serait advenu de lui s'il avait été muté non pas au Village Perché, mais dans le grand Sud. Les ragots, les assignations étranges du Capitaine, les... arguments des Valkyries... Il chassa la pensée d'un vague haussement d'épaules. Si la camaraderie des gardes du Sud pouvait être un objet d'envie, Enkhisae ne s'estimait finalement pas si malheureux d'avoir été muté là où il avait été muté. Et de toute façon, il n'en aurait pu être autrement. Il fallait bien conserver la réputation de régiment à 'éléments perturbateur' des Belluaires.
L'ombre d'un sourire s'étira sur les lèvres de l'hybride lorsque Apolline entreprit de lui narrer ses mésaventures auprès des responsables de la Grande Bibliothèque. S'il n'était pas vraiment friand de lecture de romans érotiques, il ne pouvait que s'amuser d'entendre la réaction de ces grands penseurs devant le talent excentrique de l'âme artificielle. Au nom de plume aussi fin que du gros sel. Son sourire se mua cependant une étrange grimace lorsqu'une myriade d'images étranges et singulières se mirent à défiler dans son esprit à l'évocation de la fameuse Joconde speculum écarteuse d'abricots et chanteuse de flamenco. Le monde des âmes artificielles s'avérait parfois être des plus terrifiants. Mais avant qu'il n'ait pu reprendre ses esprits et décliner l'offre de la trousse de cuir, celle-ci entreprit d'éclairer la lanterne de son ignorance d'un récit des plus hauts en couleurs. Une lanterne qui, pour une fois, il aurait bien souhaité laisser éteinte. Il ne lui manquait plus qu'à prier Lucy pour que ses rêves ne s'agrémentent pas d'horreurs érotiques écartant des abricots et d'autres choses encore.
Et c'est en clignant des yeux une nouvelle fois, profondément perplexe, qu'il observa son ami lui poser une question en même temps que la sienne sur son improbable grossesse. Et le temps qu'il remette un peu d'ordre dans ses pensées soudainement balayées par la question improbable de Calixte, Apolline avait immédiatement repris la parole, ne manquant pas de railler son propriétaire. Dont la détresse notable et croissante fi arquer un sourcil à l'hybride, qui ne prêta qu'une attention distraite à la question de la trousse de cuir quant aux vœux du dernier Solstice. A vrai dire, le dernier Solstice était présentement le cadet de ses soucis. Et à vrai dire, il ignorait tout autant si la Grande Bibliothèque avait un rayon sur la parentalité. Ce n'était pas exactement le sujet de ses lectures habituelles.
Posant sa plume dans l'encrier, Enkhisae riva son regard doré sur son ami en profonde détresse, et se leva, abandonnant ainsi son rapport qui ne ressemblait déjà de toute façon plus à rien, pour venir s'accroupir devant Calixte, la chaleur des flammes de la cheminée caressant doucement les écailles de ses ailes et de son dos. Son doigts vint doucement se poser sur le front du garde blond, pour le redresser d'une légère impulsion.
- Hé. Du calme. Respire.
Loin d'être impérieuse et tranchante, sa voix s'était au contraire faite douce et calme, cherchant par le réconfort à river de nouveau dans la réalité et la raison l'esprit visiblement paniqué de son ami. Cherchant à croiser son regard, pour y river le sien, l'hybride poursuivit, sur le même ton doux :
- Si tu te poses déjà la question, c'est que ce sera pas le cas, tu sais ? Les mauvais pères se demandent rarement s'ils font quelque chose de mal pour leurs enfants.
L'hybride n'était pas exactement le mieux placé pour parler de parentalité étant donné qu'il était aussi célibataire qu'inexpérimenté en éducation, mais il avait eu des parents somme toutes plutôt corrects et aimants, et une sœur cadette, bien que le sujet de cette dernière soit un poil plus complexe. Se grattant l'arrière de la tête en esquissant un sourire contrit, le Belluaire ailé laissa échapper un léger soupir.
- Désolé, c'était peut-être un sujet un peu délicat à aborder. Je ne suis absolument pas le mieux placé pour parler d'éducation des enfants, et mes attributions de Tsi'lys risqueraient un peu de ne pas coller avec celles de garde d'enfant, mais...
Après tout, quoi de pire que d'être garde d'enfant et que de devoir être très rapidement disponible pour les besoins de son régiment en cas d'urgence de l'autre côté de la forêt ? Non, vraiment, être membre de la division chargée d'intervenir rapidement en cas de problèmes sur l'immense secteur qu'était celui de la Grande Forêt ne semblait pas être des plus compatibles avec la notion de garde d'enfant responsable. Ce n'est pas comme s'il pouvait d'un moment à l'autre abandonner un enfant en lui disant de construire un bonhomme de neige tout seul dans son coin pendant que lui oeuvrait à l'autre bout de la forêt.
- ... ne mets pas la charrue avant les rapidodos, mh ? Être parent, ça transforme des gens, il paraît. Et franchement, j'ai du mal à te voir comme un père qui ne se fait pas du souci pour son gamin et ne fait rien pour lui. Et puis, t'es pas tout seul, hein ?
L'hybride glissa un regard un peu blasé à la trousse en cuir qui se faisait visiblement un plaisir de rouler sur les espoirs de Calixte. Au vu de la malchance et de la maladresse habituelles du blondinet, il n'avait guère besoin d'avoir un moulin à paroles qui ne fasse qu'attiser le feu de ses angoisses.
- Enfin, celle-là, elle est un peu mauvaise langue, mais il y en a d'autres. P'têtre même que tu pourrais trouver quelqu'un qui est déjà parent et qui pourrait t'en dire deux mots ? Enfin, souffle un peu, et bois un truc, ça te fera du bien. Je sais pas vraiment ce que valent les livres sur la parentalité s'il en existe, mais si tout parent devait lire un livre pour être bon parent, y'en aurait pas autant qu'il y en a actuellement en Aryon.
Jetant un nouveau regard en arrière, l'hybride défia tant des yeux la trousse en cuir d'en rajouter qu'il chercha sur la table si son ami avait effectivement ramené de sa pièce spéciale de quoi lui réchauffer un peu le cœur et l'estomac, qu'il s'agisse d'un bout de fromage, de gâteau ou bien autre encore.
- Oui. Bonne idée. Respirer c’est bien. Je respire, répéta-t-il dans un murmure accéléré, tentant de faire venir au premier plan les techniques de relaxation qu’il avait apprises.
Usuellement Calixte ne se définissait pas comme quelqu’un de particulièrement soucieux – on ne faisait pas de vieux os chez les espions à craindre les ténèbres, même si une saine dose de paranoïa était salutaire – mais cet évènement auquel il n’était pas du tout préparé, et que jamais il n’avait ainsi envisagé ni imaginé dans ses rêves les plus fous, semblait réveiller chez lui tout l’effroi dont il pouvait être saisi.
Attrapant les propos pleins de bon sens du Belluaire comme un oiseau se ruant sur une poignée de graines lancées à sa portée, il hocha frénétiquement puis, à mesure que leur signification imprégnait pleinement ses pensées, plus lentement. Et comme les mots de son ami pénétraient l’épaisse couche d’incertitude voilant ses capacités cognitives, une vague de soulagement déferla en lui. Réchauffant peut-être plus encore efficacement sa chair que le joyeux brasier dansant dans l’âtre. Peut-être, après tout, n’avait-il pas besoin de tout une liste de convictions mais seulement celle d’être bien accompagné au-devant de l’épreuve qui s’annonçait à lui. Car finalement, n’était-ce pas là le moteur de son fonctionnement ? Et de son malaise ; car que faisait-il encore parmi les espions, alors que sa loyauté s’en écartait chaque jour davantage pour tourner le regard vers d’autres compagnies plus estimées ?
Mais c’était là une interrogation pour d’autres jours.
Ses soucis fondant comme neige au soleil sous le réconfort sincère d’Enkhisae, il laissa s’échapper le dernier soupir d’inquiétude virevoltant dans sa poitrine pour adresser à celui-ci un sourire contrit.
- Non, je ne suis pas seul. Et visiblement moins encore que ce que j’avais pensé. Merci de me le rappeler, répondit-il d’une voix retrouvant timidement ses intonations légères.
Avant de rire franchement aux remarques de l’homme sur la languette bavarde et médisante d’Apolline qui, d’ailleurs, loin de s’en formaliser se joignit à lui. Avant de proclamer avec un enthousiasme presqu’enfantin :
- Lui on le garde ! J’en veux un comme ça au Bastion !
- Je ne sais pas si les familiers et les âmes artificielles ça compte comme expérience, mais parfois cela m’en donne le sentiment, poursuivit Calixte en se relevant à la suite du Belluaire pour aviser la table et ses provisions de fortune.
Le sens organisationnel de la Garde avait au moins l’avantage de préparer ses éléments à travailler de concert pour les tâches les plus basiques, et rapidement les deux soldats se concoctèrent un repas improvisé à base de soupe, pain frais, fromage, fruits secs et diverses sucreries. Sous le regard intéressé de Kaname qui vérifiait qu’aucun biscuit à la sardine ne trainait et les propos toujours plus enjoués d’Apolline, ils s’attablèrent finalement autour de leur dîner. L’atmosphère était encore un peu humide – notamment en raison de la présence de leur linge séchant péniblement sur les cordes tendues à travers la pièce – mais la chaleur des flammes s’était à présent largement diffusée rendant les lieux presqu’agréables. Il y avait de nets avantages à la magie, et le coursier ne regrettait guère ses jeunes années à l’Académie où ce genre d’escapade se serait soldé par un rhume carabiné assorti d’une fringale.
- En réalité Solveig, ma compagne, a déjà un fils d’une précédente relation, reprit l’espion comme si leur conversation ne s’était pas brièvement suspendue. Et je ne doute pas qu’elle sera la clef de voûte nécessaire à l’improbable situation dans laquelle elle et moi nous nous précipitons. Y crois-tu, qu’elle ait accepté sans faillir mon état particulier et ses conditions d’apparition ? Il aurait été légitime et compréhensible qu’elle m’y laissât seul…
- Soly chérie est la meilleure ! Et elle a définitivement les meilleurs arguments, acquiesça sagement la trousse de cuir tout en poussant de son relief bombé vers le rebord de la table la douceur – adaptée à sa nature – que Kaname lorgnait avidement.
- Cette grossesse est le fruit d’une imprudence avec quelqu’un d’autre qu’elle, avant que l’on ne soit devenus partenaires, précisa Calixte avant de mordre dans sa tranche de pain. Comme elle ne poursuit son cours que lorsque je suis sous forme féminine pour… x raison, c’est une grossesse à rallonge.
Quelque part, dans l’esprit de l’espion, subsistait la peur nouvelle mais tenace que ce châtiment devenu cadeau ne lui soit arraché à un moment ou un autre du fait de sa nature. La gestation pouvait-elle réellement tenir ce rythme en interruptions pour le laisser mettre au monde des enfants viables, et sains ? Mais Enkhisae avait raison sur un point : pas la peine de mettre la charrue avant les rapidodos. Aussi chassa-t-il les prémices inquiets de cette interrogation derrière l’affabilité de l’échange présent.
- Enfin, si le reste de notre assignation se passe sans encombre et que nous ne tardons pas trop à rallier le Village Perché, je pense que je ferai tout de même un tour à la Grande Bibliothèque voir s’ils n’ont pas de la documentation en rapport. As-tu déjà des projets après notre course ?
Gobant une à une les graines de la petite poignée de fruits secs qu’il avait attrapée, Calixte se laissa aller paisiblement contre le relief rustique de sa chaise. Son regard s’attarda un temps sur son ami Belluaire avant de glisser sur la silhouette de la loutre qui, accusant enfin la fatigue de la journée, s’était éloignée pour se glisser entre les couvertures devant l’âtre et se mettre à somnoler. S’ils voulaient profiter d’un peu de repos et ne pas trop tarder dès le lendemain matin, sans doute les deux soldats l’imiteraient bientôt.
Glissant un rapide regard vers la trousse de cuir bavarde, Enkhisae se put s'empêcher par ailleurs de sourire mi-figue mi-raisin à l'idée que l'âme artificielle ne semblait pas si loin de le considérer, lui, comme un genre d'animal de compagnie. Outre le fait que son assignation récente au Village Perché ne lui donnait guère l'envie de déménager de si tôt, la réflexion ouvrait la porte sur une myriade de considérations sur le statut des humains vis à vis des âmes artificielles et... et finalement, laisser cette porte fermée n'était pas forcément un mal. Il songerait une autre fois, voire jamais, à l'idée que les humains n'étaient en réalité que les animaux de compagnie et majordomes des âmes artificielles. C'était un peu trop flippant.
Se redressant après avoir donné une petite tape amicale sur l'épaule de Calixte, accompagnée d'un sourire sincère, l'hybride s'attela à aider à la préparation d'un repas acceptable selon les critères – bas – de la Garde, se laissant un instant aller à l'écoute songeuse de la tempête se déchaînant à l'extérieur, le cabanon en premier lieu miteux et froid au sein duquel les deux Gardes s'étaient abrités devenu un îlot de tranquillité au cœur de la tourmente, quoique encore un peu humide.Se trouver ainsi isolés au milieu de la nature déchaînée à écouter les histoires de cœur de Calixte avait une saveur de camaraderie entre deux collègues de promotion qu'il n'avait pas ressentie depuis qu'il avait quitté l'Académie militaire, et qui n'était pas des plus désagréables.
- Effectivement, elle a l'air d'être une sacrée femme, cette Solveig... commenta-t-il avec un sourire, jouant distraitement du bout de son doigt avec une miette de pain tombée sur la table. Je doute pas qu'elle te sera d'une grande aide et... qui sait, au final, l'expérience sera même intéressante, hm ?
Le Belluaire ailé releva son regard doré vers Calixte, une étincelle étrange de douceur et d'espièglerie mêlées dansant au sein de ses prunelles, tandis que son doigt continuait de faire rouler sur le bois de la table la miette de pain égarée.
- L'histoire des parents qui vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfant fait un peu conte de fées, mais y'a aussi un fond de vérité à ça, je crois. Parfois, les couples s'épanouissent encore plus en présence d'enfants, que ce soit ou non totalement les leurs, d'ailleurs.
Sa propre histoire familiale, bien loin d'être aussi alambiquée que pouvait l'être celle des nobles comme les Alkhaia de Eliëir, prouvait d'ailleurs plus ou moins ce point. En occultant l'histoire de sa sœur cadette qui noircissait quelque peu le tableau d'une famille heureuse, Enkhisae pouvait affirmer avec certitude que son existence et celle de ses autres frères n'avait fait qu'apporter du sel – le bon sel – à la vie de Olosta et Kanaan Yëtre. Si Solveig était au moins la moitié de ce que Apolline prétendait qu'elle soit – nonobstant ses 'arguments' convaincants – peut-être n'était-il pas si insensé d'espérer que l'histoire incongrue de la grossesse de Calixte connaisse une fin heureuse.
Avalant une bouchée de fromage frais, le Belluaire prit un instant pour réfléchir à la question posée par son ami. S'il était certain qu'il s'était résigné à un voyage pénible sous la pluie et la grisaille à travers la Grande Forêt afin d'accompagner le coursier jusqu'au Village Perché, il n'avait guère songé à ce qu'il ferait après. En vérité, ses projets s'étaient plus ou moins arrêtés à la rencontre avec Calixte, son intuition l'ayant dissuadé de prévoir quoi que ce soit qui puisse se dérouler après, au vu de l'incertitude que son ami garde avait parfois tendance à apporter aux choses prévues, et ce souvent malgré lui et du fait de sa grande maladresse et à ses propres dépens.
- Hm.. Je suppose qu'ça dépendra du temps qu'on met à aller jusqu'au Village Perché. Mais j'avais pas vraiment de projets en tête, non. Si on met du temps, peut-être que j'aurais déjà une autre assignation qui m'attendra immédiatement. Sinon... bah, je suppose que je peux toujours t'aider à fouiller les étagères de la bibliothèque, acheva-t-il en haussant les épaules.
Ou aller courir les boutiques du Village pour se perdre dans l'agréable rêverie d'un éclat d'argent, d'or ou de quelconque autre pierre précieuse. Mais cela, il n'était pas vraiment prêt à l'avouer à voix haute, même s'il savait pertinemment que son ami était au courant de son obsession qui lui avait valu de peu d'être expulsé de l'Académie militaire lorsqu'il avait subtilisé quelques ornements précieux, y compris la poignée en or du bureau d'un gratte-papier d'importance dont il ne se souvenait plus de la fonction exacte. Achevant son repas, Enkhisae se releva non sans nettoyer sommairement la table, avant de s'étirer, en posant à son tour son regard doré sur la loutre somnolant dans les replis d'une couverture chaude, ses ailes suivant machinalement le mouvement de ses bras.
- Tu vas rester plusieurs jours sur le Village, ou tu repars tout de suite après ? Demanda-t-il en se dirigeant vers l'âtre pour s'approprier quelques unes des couvertures, et s'y emmitoufler sans vergogne. Oh, euh, d'ailleurs, ton... truc sur le toit, il prévient s'il se passe quelque chose ?
Son doigt s'était levé en direction dudit toit, en même temps qu'il hésitait à prononcer le nom du teisheba qui avait failli lui cramer les ailes. Sa rancoeur envers la créature de foudre s'envolerait sans aucun doute si celle-ci pouvait lui permettre de dormir un peu plus sereinement en jouant le rôle de sentinelle, bien qu'il ne lui arrivait que rarement de dormir sur ses deux oreilles au milieu des contrées les plus sauvages. Surtout en plein cœur d'une tempête déchaînée.
- Il faudra que je reparte aussi vite, répondit-il en tapotant son oreiller magique pour lui redonner forme – il avait visiblement passé le voyage dans les profondeurs du sac, calé contre la mini barque qui lui avait imprimé d’étranges reliefs. J’ai une petite série d’assignations postales à réaliser sur le chemin retour, et la demande – l’ordre – d’Enora de revenir sur le Grand Port au plus vite afin de travailler ponctuellement pour les Landwig.
- Encore une mission officieuse pour Al Raggamuffin ? Comme quand on a vu sa belle Milan ?
- Heu non. Et non. L’affaire Milan n’avait vraiment aucun lien avec Al Rakija, répondit-il en rivant un regard suspicieux sur la trousse de cuir qui oscillait sur place presqu’innocemment.
Il savait qu’une – large – partie des rumeurs circulant au, et sur le, Bastion méridional trouvait essence dans la verve d’Apolline, mais il avait soudainement un doute quant à son envergure. L’âme artificielle avait toujours aimé fabuler et commérer mais, issue du pôle espionnage de la Garde, elle savait être d’un cuir de plomb concernant les secrets particulièrement sensibles. Du moins, jusque-là.
- Probablement encore une requête concernant la jeune Onélie Maple, à laquelle est promise leur héritier March.
Les nobles familles de l’Archipel étaient bien moins puissantes et dangereuses que celle, notamment, des Milan, avec laquelle Calixte avait été envoyé traiter quelques jours plus tôt. Mais, s’il était de bon ton de conserver des liens cordiaux avec l’influente aristocratie de la Capitale, il l’était certainement davantage d’entretenir de bonnes relations avec ses augustes voisins, et possibles partenaires commerciaux. Dans la balance des Alkhaia de Eliëir, dont la résidence et les actions mères trouvaient racine au Grand Port, les affables Landwig – et Maple – valaient tout autant que les redoutables Milan.
- Oh Vreneli ? Il est dressé pour prévenir, mentalement, ajouta-t-il pensif.
Restait qu’il lui fallait être capable de se réveiller au moindre appel télépathique du teisheba, et que celui-ci ne se fût pas trop éloigné pour lui transmettre ses pensées intelligiblement. Mais son travail de garde, et surtout d’espion, l’avait doté d’un sommeil relativement léger et d’une vigilance à fleur de peau sur le terrain.
- Ce qui est tout de même un avantage, pour les assignations en solitaire, je te l’avoue.
Partager le devoir de veille avec ses familiers, en plus de bénéficier de leur soutien moral et physique – très certainement la nébuleuse électrique était-elle un véritable atout pour le coursier doté de deux mains gauches et s’aventurant un peu trop régulièrement au-devant du danger – était un confort particulièrement appréciable.
Le voile nocturne emporta doucement le flot de plus en plus décousu de leur échange convivial, laissant place aux filaments éthérés de rêves tranquilles, uniquement émaillés par la musique assourdie de l’orage se déchainant contre les flancs détrempés de la bicoque. Mais cette dernière, phare immuable depuis des années pour les militaires égarés, n’en était pas à son coup d’essai, et résisterait encore à bien des tempêtes. Au gré de la pluie diluvienne dévalant le paysage enténébré, les sombres heures s’écoulèrent sans heurt. Au matin, un soleil timide les réveilla, leur offrant au regard les reliefs épurés d’un littoral abondamment rincé.
Sous les fragiles rayons de soleil découpant le paysage côtier de couleurs vives, ils reprirent leur chemin le long des sentiers sillonnant le rivage accidenté pour joindre les derniers villages attendant leur passage puis rallier, enfin, le couvert de la Grande Forêt jusqu’au Village Perché. Vreneli légèrement à l’écart du groupe, afin d’éviter tout nouvel incident.
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