Crôa Crôa!

Le grand oiseau sombre perché sur son juchoir fixa de ses pupilles sombres les deux individus qui venaient d’entrée dans la boutique. Évidemment l’une d’entre elles en avait l’habitude et bien que particulier, il remplaçait la fameuse clochette que beaucoup de marchands attachaient à la poignée de la porte. Il était plus agréable et personne ne risquait de s’amuser à les faires sonner. Puis, il jouait aussi de surveillant comme il avait la possibilité de se mouvoir à sa guise.

Lorsque la vieille femme interpela Irhu, cette dernière se trouvait perdue au centre d’une allée et le temps qu’elle rejoigne les deux dames, le mal avait déjà été fait. Irhu était habitué avec cette dernière qui n’avait que très peu de manières et malgré son air blasé, un sourire tranchant fendit ses lèvres lorsqu’elle se plaça en face de Bertha, la vieille mégère du village. Enfin, elle n’était pas spécialement la seule, après tout Manillam était le plus grand village après les grandes villes d’Aryon, mais disons qu’il avait son lot d’étranges énergumènes.

- Madame Bertha, j’espère que vous n’embêtez pas cette dame. Vous savez que dame Lynella n’apprécie pas lorsqu’on importune les clients sur son lieu de travaille. Et la raison de la visite de cette dernière ne vous regarde pas. Si vous voulez parler de vos problèmes de santé ouvertement c’est votre choix, mais laisser les autres tranquilles!

Dans un autre monde, Irhu aurait reçu en retour un discours rempli de bêtises et de promesse de lui faire perdre son emploi, mais la vieille dame n’en fit rien alors qu’elle se faisait sermonnée par la jeune femme de dix-huit ans.

- Vous avez bien raison ma p’tite Irhu. Parfois, d’voir de nouvelle tête me rend toute chose et j’en perds ma politesse. J’espère que vous ne m’en voudrez pas trop, ma belle dame! Enfin, j’vais pas vous embêter plus longtemps, vous passerez mes salutations à Dame Lynella de ma part!
- Oui, je n’oublierai pas. Passer une belle soirée, madame Bertha et faite attention à la marche lorsque vous sortirez!

La vieille dame ricana et sortit alors de la boutique, bien évidemment, en oubliant la marche et manqua de tomber, mais se rattrapa de justesse à l’aide de sa canne et s’assura que personne ne l’avait vu, même si Irhu se retenait pour ne pas en rire.

- Vous voulez consulter Dame Lynella? Laissez-moi aller la chercher.

La demoiselle se faufila rapidement jusqu’à l’arrière-boutique et revint aussitôt accompagnée de cette dernière vêtue de sa longue robe sombre qu’elle avait pour habitude de porter. Une posture droite, un joli visage encadré d’une longue chevelure ébène et un regard émeraude qui se plongea dans celui de la belle rousse qui se tenait devant elle. Un sourire étira ses lèvres à la vue de cette dernière et plus elle se rapprochait plus il était possible de sentir chez elle une fragrance de muscade ainsi qu’un peu de tabac. Un mélange à la fois sucré, mais piquant. C’était particulier, mais ça ne sentait pas mauvais. La sorcière avait une présence envoutante et s’arrêta finalement devant la dame.

- Bienvenue à l’Apothicarium, je suis Nemue Lynella. J’imagine que vous n’êtes pas du coin, puisque votre visage ne me parle pas, dans le cas contraire je m’en serais certainement souvenue.

Elle glissa l’un de ses bras sous sa poitrine alors que le coude du second vint se posé dans sa paume de main ouverte venant ainsi appuyer ses doigts manucurés d’un rouge qui accompagnait la couleur de ses lèvres sur sa joue.

- Ma jeune protégée m’a fait savoir que vous me cherchiez. Que puis-je faire pour vous aider?

Ainsi donc c’était la première fois qu’elle rencontrait la jeune femme qui semblait avoir fait tout ce chemin que pour venir en sa rencontre. Cela devait donc être d’une importance si cette dernière avait pris le soin de se renseigner sur sa personne et surtout pour venir jusqu’à elle à cette heure si tardive. Heureusement, il ne faisait pas encore nuit, mais quelques minutes de plus et elle se serait frappé à une porte verrouillée. Dans tous les cas, la demoiselle était polie envers cette dernière et semblait faire attention à ses choix de mots tout comme à ses gestes. Nemue se savait parfois intimidante, mais au point de rendre son interlocutrice mal à l’aise. Elle n’était pas aveugle, bien au contraire. Bonne observatrice, cela faisait partie de ses compétences afin de découvrir un possible symptôme cacher que son patient ne lui disait pas soit parce qu’il avait peur, soit parce qu’il l’ignorait tout simplement. Alors lorsqu’elle remarqua les mains de cette dernière tripotant sa pauvre cape qui allait certainement être froissée, Nemue lui offrit un sourire.

- Vous ne me dérangez guère, mademoiselle Weiss. Vous êtes la bienvenue dans mon humble domaine qu’importe l’heure et si vous avez fait longue route pour venir jusqu’à moi, il ne serait pas très poli de ma part de vous jeter à la rue.

Bien évidemment, la demoiselle avait éveillé la curiosité de Nemue lorsqu’elle avait précisé vouloir tisser un partenariat avec cette dernière puisqu’elle semblait avoir entendu de ses talents. Il est vrai que Nemue oeuvrait déjà depuis quelques années dans le domaine de la santé, étudiant auprès de soigneurs ainsi que d’apothicaire pour devenir qui elle était aujourd’hui.

- Nous pouvons rejoindre mon bureau, si vous le désirez. Je pourrai vous offrir à boire et je peux vous faire préparer quelque chose à manger si vous avez faim. Nous avons un appartement au second étage, Lith pourra s’occuper de cela pendant que sa sœur s’occupera de la fermeture de la boutique. Ce sont de braves jeunes gens et je leur fais amplement confiance.

Évidemment, l’oreille tendue, la sorcière parvint à entendre les râles du jeune homme âgé d’une vingtaine d’années alors que sa sœur, âgée de dix-huit ans, arriva aussitôt pour lui faire la morale.
« - Arrête de te plaindre Lith! Nemue nous offre un travail, un toit et à manger. C’est la moindre des choses qu’on lui rendre service!
- Pouet pouet, déjà! Je déteste quand tu as raison… Depuis quand es-tu devenu plus mature que moi? Dit-il en secoua sa chevelure dans tous les sens. »

Cela faisait quelques années qu’elle avait pris ces deux derniers sous son aile et ils étaient d’une grande aide et Nemue comptait bien faire d’Irhu son apprentie l’un de ces jours. Elle ne souhaitait pas lui forcer la main, mais elle espérait simplement lui transmettre sa passion. N’importe quel employeur aurait pu se mettre en colère en attendant ses paroles, mais c’était tous les contraires. Observant en leur direction, même si elle ne les voyait pas nécessaires, son regard était doux et son expression rappelait celui d’une mère qui regardait ses enfants. C’est vrai qu’ils avaient bien vieilli et ne ressemblaient en rien aux jeunes voyous qui volaient dans les rues. Elle rapporta alors son attention sur la jolie demoiselle à la chevelure de flamme puis l’invita d’un geste de la main à la rejoindre.

- Venez avec moi.

Se rendant jusqu’à l’arrière-salle, Nemue ouvrit alors la porte menant à son bureau où une lumière tamisée les éclairait. La pièce était plutôt sombre naturellement et ne possédait aucune fenêtre. Une chaise longue se trouvait au côté de son bureau contre le mur. Un petit bar personnel reposait dans le coin de la pièce alors qu’une table ronde se situait en son centre avec deux trois chaises l’entourant. Quelques meubles de rangement s’y trouvaient contenant ainsi documents et dossier de ses patients.

- Asseyez-vous, je vous en pris et reposez-vous. N’ayez pas peur de prendre des libertés avec moi, je ne suis pas du tout à cheval sur les étiquettes de la haute société malgré mon statut si je peux le dire ainsi.

D’ailleurs, celle-ci sortit un verre qu’elle prit du bar et attrapa l’une de ses nombreuses bouteilles de spiritueux qu’elle gardait toujours à porter. Après tout, cela aidait détendait toujours l’atmosphère et démontrant que Nemue n’était pas du genre coincé.  Décapsulant sa bouteille de whisky, elle en fit couler pour une hauteur d’un doigt dans son verre. Puis elle se tourna vers la jeune femme.

- Que désirez-vous? Eau, vin rouge, rhum ou bien whisky?

Un doux rire s’échappa d’entre ses lèvres lorsque son invitée vint lui faire part de son ressenti vis-à-vis la gentillesse dont elle faisait preuve à son égard. Cela faisait pourtant partie de son quotidien. Nemue soignait et voyageait lorsqu’elle le pouvait pour remettre les médicaments dont chacun avait besoin. Elle était investie dans son travaille, mais ce n’était pas pour l’argent qu’elle le faisait, mais bien pour améliorer la santé de tous ces gens dans le besoin. Évidemment, ce n’était pas toujours gratuit, mais elle s’arrangeait toujours pour que chaque contribution soit juste pour tous. Après tout, elle devait s’assurer de toujours garder en inventaire le nécessaire pour la création des remèdes et elle avait aussi des employés à payer lorsqu’elle faisait appel aux braves gens qui cherchaient parfois à être dans les bonnes volontés de la sorcière ou à se faire quelques cristaux.

- Je pense que vous auriez certainement fait la même chose pour moi si nos places avaient été inversées.

Nemue était bien évidemment reconnu pour sa gentillesse et son grand cœur. Elle faisait toujours passer les autres avant elle et cela allait très certainement lui retomber sur le nez l’un de ses jours. Enfin, cette jeune femme n’était certainement pas venue pour la complimenter.

- Whisky donc, très bon choix, dit-elle alors qu’elle servit à boire à son invité avant de lui tendre son verre.

Nemue prit donc place derrière son bureau. Après tout, bien qu’elle ait décidé de lui ouvrir ses portes à cette heure tardive, il n’en était pas moins que cette dernière souhaitait lui parler d’un sujet important qui ne nécessitait pas de ses services. La dame plongea donc son regard émeraude dans celui de sa comparse alors qu’elle lui expliquait finalement la raison de sa venue. Pour être honnête, la demoiselle n’en avait pas spécialement entendu parler ou peut-être bien que oui, mais uniquement de nom bien qu’elle ne s’y était pas réellement attardée. Pas que cela ne l’intéressait pas, mais elle avait pour habitude de travailler de son côté, même si leurs objectifs étaient les mêmes. Cette demoiselle s’attendait certainement à devoir guerroyer avec l’apothicaire pour gagner sa sympathie et cela amusa simplement cette dernière, un sourire rieur sur les lèvres.

Au fur et à mesure que cette dernière parlait, le visage de Nemue devint légèrement tendu. Un regard plissé affichant finalement de légères rides au coin de ses yeux, des lèvres pincées annonçant ainsi son mécontentement. En effet, usurper son nom était une chose, mais le faire avec de malhonnêtes intentions était inadmissible. La demoiselle n’avait pas peur pour sa réputation, après tout elle ne risquait rien personnellement, mais elle n’avait pas envie de voir les villageois se faire arnaquer par de jeunes gens. Cette dernière but la totalité de son verre d’un seul trait et déposa ce dernier contre son bureau.

- Et bien, je vous remercie de m’en avoir fait part, ma chère amie, mais je crois que nous devrions régler ce problème avant de continuer cette conversation. Je dois vous avouer que votre organisme m’intéresse, mais je crois qu’il est temps de rendre visite à mon cher petit cousin…

Un sourire malicieux s’était dessiné sur ses lèvres pourpres alors qu’une petite flamme joueuse dansait dans son regard.

- Et pour cela, il me faudra un déguisement!

Reconnue même de loin, Nemue avait un style qui lui était propre; des robes échancrées, parfois avec des décolletés qui mettaient en valeur ses courbes voluptueuses, mais ce qui la définissait bien était son regard émeraude ainsi que cette longue chevelure sombre à la frange carrée qui encadrait son visage qui ne laissait pas toujours transparaître ses émotions.

- Venez, je vais certainement avoir besoin de votre aide et je pense que Lith possède quelques vêtements qui pourront me faire.

La sorcière s’était donc levée bien déterminé à maître fin à cette odieuse mascarade qui, elle espérait bien, n’avait pas encore fait de victime. Sortant de son bureau, cette dernière alla se servir dans les bandages que les clients pouvaient acheter et reprit aussitôt la direction menant vers l’appartement au-dessus.

- Il sera plus facile pour moi de me faire passer pour un homme avec un peu de maquillage et grâce à mon peigne magique je pourrai changer l’apparence de ma chevelure. Je ne pourrai rien faire pour mes iris, mais bon, espérons simplement que ce dernier ne m’ait jamais vue.

Elle avait donc fouillé dans les vêtements de Lith et avait pris le soin de bander sa poitrine pour tenter de la faire disparaître le plus possible. Heureusement, certains vêtements de son protégé étaient assez amples pour qu’on ne le remarque pas. Elle avait opté pour une coiffure plus courte, s’était assuré d’effacer son grain de beauté sous sa lèvre et avait refait certains de ses traits grâce au maquillage faisant d’elle un homme, un peu efféminé, mais un homme tout de même. Tout bijou avait été retiré y compris son collier sombre qu’elle ne quittait presque jamais et quand elle fut enfin prête, elle se présenta finalement à la jeune femme.

- Désolé pour l’attente, dit-elle avant de réaliser qu’elle devrait aussi changer sa voix avant de tousser un petit coup et tenter d’aggraver cette dernière. Qu’en pensez-vous?

- Vous pourrez m’appeler Maerec Godbert, mon amie, dit la demoiselle d’une voix plus grave.

Sa voix n’étant pas très aiguë naturellement, elle avait cet atout sous la manche qui lui permettait au moins de ne pas trop se ridiculiser lorsqu’elle essayait de parler. Enfin, au moins son déguisement semblait avoir l’effet escompté puisque Luz le lui fit remarquer. Elle ignorait si ses protégés pourraient être dupés par cela, mais ce qu’elle savait, c’est que cela n’aurait pas pu fonctionner avec son familier Azaq qui n’avait pas besoin d’yeux pour reconnaître les gens qui l’entouraient. Celui-ci allait rester à l’appartement avec les deux plus jeunes le temps qu’elle serait absente. Sa présence aurait certainement nui à leur petite mise en scène.

Dans tous les cas, elles s’étaient toutes les deux rendus jusqu’à l’auberge en question où faisait affaire son prétendu cousin éloigné. Évidemment, pour qu’on ne la remarque pas trop, Nemue avait décidé de la jouer neutre. Étant une habituée de cet établissement, elle ne pouvait pas commander la même qu’à l’habitude. Elle devait éviter que son rire se fasse entendre. Il émanait d’elle une certaine aura d’assurance, mais elle ignorait s’il s’agissait de son aura naturel ou bien la tenue qu’elle portait qui amplifiait cela au point qu’on se pousse de son chemin. C’était une tenue très élégante et c’était même surpris à retrouver cela dans les vêtements de son protégé. Elle ne l’avait jamais vu avec cet ensemble et elle ne se souvenait pas lui avoir acheté. Heureusement, ce dernier n’avait pas rechigné à l’idée de le lui prêter, mais elle se sentirait mal s’il avait économisé pour une occasion spéciale.

Une fois à l’intérieur, elle suivit le regard de la rousse pour tenter de découvrir à quoi pouvait bien ressembler ce jeune homme, mais elle fut de si tôt attiré par la démarche de son amie et l’ombre de sourire était apparu sur son visage l’histoire de quelque instant. Maerec, parce qu’elle devait se mettre dans la peau de son personnage, se rapprocha alors de la silhouette de la demoiselle. Elle glissa l’une de ses mains contre l’épaule opposée du côté qu’elle se tenait et glisse l’autre main sous son coude pour l’aider à marcher jusqu’à la table qu’on leur avait assignée.

- Avant de choisir quoi que ce soit, prenons le temps de nous asseoir, ma belle amie. Nous avons fait longues route, vous et moi et votre bien-être passe bien avant le confort de mon estomac.

L’idée d’attirer jusqu’à eux leur potentielle cible était certainement la meilleure chose à faire puisqu’ils ne devaient, normalement, pas être au courant du petit trafic du cousin de l’apothicaire. Pour le moment, il ne semblait pas intéressé par le duo, mais ça ne saura tarder.

- S’il n’était pas aussi tard, nous aurions pu entrer dans la boutique que nous avions croisée, mais il semblerait que nous devrions attendre demain pour cela. Peut-être que l’on pourra vous offrir un bon bain chaud pour soulager temporairement la douleur de vos courbatures.

La serveuse revint quelques instants plus tard avec deux verres d’eau qu’elle leur tendit. Elle glissa son plateau sous son bras et malgré la fatigue qui tirait ses traits, un sourire rayonnant se trouvait sur son visage. Elle s’était toujours montrée très travaillante et Nemue n’avait jamais hésité à lui remettre des pourboires généreux pour son dur travail, car s’occuper d’une salle presque seule n’avait rien de facile.

- Pour ce soir, nous avons deux choix de plats, nous avons la poitrine de poulet grillé accompagné d’un riz aromatisé au jus de tomate et de sa salade d’épinard sauté aux tomates séchées et fromage feta. Sinon, nous avons le panini poivrons grillé, au gruyère et au jambon accompagné de quelques crudités.
- Prenez ce qui vous plait. Vous avez certainement une faim de loup. Pour ma part je prendrai le second plat, s’il vous plait, et je me contenterai d’eau.

Une fois leurs choix faits, la serveuse se rendit donc à la cuisine pour passer commande. La soirée était peut-être bien avancée, mais elle n’avait pas encore mangé pour sa part. Elle jeta un bref regard vers leur cible qui semblait avoir trouvé de nouvelles têtes à entourlouper. À la vue de cette situation, elle n’eut pas le choix que de rester silencieuse et attendre le moment opportun. Peut-être n’étaient-ils pas assez attirants à leurs yeux puisqu’après tout, ce n’était pas tant la clientèle qu’il recherchait, mais bien les cristaux derrière. Elle n’avait pas encore sorti sa bourse, ce qu’elle aurait pu faire à ce moment, mais l’attente était préférable. Elle pourrait l’étudier derrière son déguisement et sa collègue pourrait profiter d’un véritable repas.

Nemue se devait de jouer l’innocence et de faire comme si elle n’était jamais venue ici. Observant la salle, alors qu’elles attendaient toutes les deux leur repas, elle put voir certains des habitués à qui elle avait déjà payé quelques verres, sans compter les quelques personnes qui visitaient souvent sa boutique. Il y avait quelques têtes qui ne lui disaient rien, mais étant donné qu’elle venait de conclure une entente avec Liory, elle allait enfin pouvoir mettre son plan en exécution afin de commencer les rénovations de sa boutique et ainsi attirer de nombreuses nouvelles têtes ici à Manillam. Son but avait toujours été de voir fleurir davantage le plus grand village du royaume et permettre aux voyageurs qui passaient par là de ne pas faire de détour entre les trois grandes villes qui l’entourait.

Évidemment, elle avait continué de discuter avec Luz de ses problèmes fictifs et comment pour un petit village le tout était bien charmant, qu’il y avait du potentiel et qu’ils se voyaient venir y investir ici pour aider le village. C’est déjà ce qu’elle faisait, mais elle trouvait cela assez ironique de jouer son apparence masculine de la sorte puis exposer un peu de sa richesse pouvait certainement attirer les petits curieux.

D’ailleurs, à peine servi que leur poisson mordit à l’hameçon et se rapprocha d’elles. Sa phrase d’approche était plutôt décevante et Nemue plongea son regard perçant sur le visage de ce jeune homme. Ternir la réputation d’un commerçant en inventant un mensonge comme celui-ci. Elle était patiente et même si elle avait envie de le secouer un peu, elle ne laissa rien transparaitre ce contentant d’hocher la tête et d’un sourire semi-reconnaissant de les avoir prévenu. Après tout, Maerec Godbert ne voudrait pas voir souffrir sa compagne d’une intoxication alimentaire. D’ailleurs, suite à cette annonce et sachant que cette dernière devait certainement avoir faim, elle poussa doucement son assiette en direction de Luz pour l’inciter à prendre dans la sienne. Après tout, leur couverture ne devait pas être exposée surtout après cette mise en garde.

- Si nous sommes ici à Manillam, c’est que nous voyageons depuis la capitale dans le but de nous rendre jusqu’au village perché où de la famille nous attend. Malheureusement, avec les maux de ma belle amie, je ne saurai dire si nous y arriverons dans les temps. Je ne voudrais pas empirer la douleur en aggravant son cas.

Elle sourit doucement, en déposant une main tendre sur l’épaule de sa compagne tout en lui jetant un regard bienveillant.  

- Mais j’imagine que vos talents de guérisseur pourraient nous aider puisque votre cousine n’est pas disponible à cette heure-ci. Les cristaux ne nous manquent pas, alors si vous êtes capable de nous aider… Je pourrais aller louer une chambre et nous pourrions nous y rendre? Enfin, évidemment, nous vous laisserons aller chercher votre nécessaire puisque vous devrez l’ausculter, mais nous aimerions nous remettre en route le plus rapidement possible.

Le jeune homme paraissait hésitant dans un premier temps, mais Maerec était prêt à tout alors il sortie sa bourse pleine de cristaux qu’il déposa sur la table ce qui fit luire de cupidité les billes de Gabel.

- Elle sera à vous après votre passage.

S’il avait pu se frotter les mains en voyant ces pauvres poulets qu’il allait déplumer d’ici quelque temps, il l’aurait fait. C’était une sacrée bourse pleine qu’il y avait là et cela allait très certainement lui faire gagner un bon pactole!

« Très bien, je vous rejoindrai dans une heure! Cela vous laissera le temps de terminer votre repas, de prendre votre chambre et de vous mettre à vos aises! Qui dois-je faire demander?
- Vous pourrez demander à notre ami le tavernier, Maerec Godbert. Il sera avisé de vous donner le numéro de notre chambre.
- Parfait, monsieur Godbert.»

Les salutations faites, ce dernier s’éloigna tout en quittant la taverne. Nemue attendit quelques instants avant de se pencher vers la rouquine pour lui glisser ces quelques mots.

- Il vaut mieux l’exposer en privé que de faire cela devant l’ensemble de ces gens. Il est encore jeune et d’une part, il me rappelle Lith quand je l’ai trouvé à la rue… Enfin, manger pendant que c’est encore chaud, je vais parler au tavernier.

Nemue se leva rapidement et se dirigea vers le comptoir où l’attendait le grand tavernier d’un regard incertain.

« Si vous êtes venu vous plaindre de la qualité de la nourriture, vous n’avez qu’à ne pas manger, anticipa-t-il.
- Non, dit-elle en échappant un rire, pourquoi ferais-je cela, alors que je sais que votre menu est toujours excellent.
- Hein?
- Allons, mon cher ami, vous voulez bien mettre une chambre à mon nom et la mettre sur la note de notre amie commune? Dit-elle toujours avec sa voix modifier tout en lui faisant un rapide clin d’œil.
- Nem…commença-t-il, avant d’être interrompu.
- Maerec Godbert, bien évidemment! D’ailleurs, un certain Gabel Lynella doit nous rejoindre plus tard, vous pouvez lui donner le numéro de notre chambre quand il se présentera à vous?
- Très bien monsieur, dit-il en soupirant… »

Il s’état alors tourné pour prendre une clé dont le numéro de la porte se trouvait sur un petit bout de papier jaunit par le temps et dont les marques commençaient à s’effacer puis tendit le tout à Nemue. Alors qu’elle allait se saisir de la clé, il attrapa le poignet frêle de la demoiselle pour l’approcher de ce dernier la forçant ainsi à se pencher au-dessus du comptoir.

« J’sais pas ce qui se passe, mais fait attention. Ça serait pas malin que tu te mettes les pieds dans les plats, chuchota-t-il pour qu’elle seule puisse entendre
- Ne vous inquiétez pas monsieur, nous vous rendrons la chambre dans un très bon état. De toute façon, mon amie n’est pas spécialement en état de faire quoi que ce soit, dit-il en se moquant légèrement pour faire croire à une tout autre une simple mise en garde en provenance du tavernier. »

Lorsqu’elle revint à sa table, Nemue y déposa la clé avant de reprendre place. Avec tout cela, elle n’avait pas pu prendre le temps de toucher à son assiette, bien qu’elle l’avait poussé vers sa collègue.

- Dès que vous êtes prête, je le suis.

Se contentant de jouer son rôle, Nemue observa la demoiselle déguster le repas qui aurait dû être sien. Si seulement ce petit sacripant ne s’était contenté que de parler de la démarche de Luz plutôt que de dire du mal des repas de cet établissement qui n’avait rien d’insalubre. Elle n’avait jamais eu à traiter de quelconques problèmes suite à une mauvaise indigestion causée par des aliments qui n’étaient pas frais. Enfin, oui, mais pas à cause de la taverne! Elle aurait pu prendre la chance de manger le repas de sa compagne, mais est-ce que cela fallait la peine de griller sa couverture? Enfin, même si elle avait faim, elle n’avait qu’à manger une fois de retour chez elle.

Luz maintenant prête, Nemue fut la première sur pied et l’aida donc d’une main tendue à se relever. Ainsi, elle pouvait prendre appui sur son bras et la guider jusqu’à la chambre qui se trouvait dans les marches. Les questions de cette dernière étaient tout à fait légitimes. Est-ce que Nemue avait les moyens de les défendre en cas de problème. Oui et non, mais la charmante demoiselle n’eut droit qu’à un simple sourire.

- Pour tout vous avouez, je ne suis pas spécialement adepte du combat et mon pouvoir ne nous aidera à rien. Mais, je suis en possession d’un teïzeur ainsi que d’une dague que je cache dans ma bague tsépi si cela peut vous rassurer. J’espère simplement ne pas avoir à les sortir de là. J’ose penser que mes mots l’atteindront avant tout…

Une légère crainte s’entendit dans sa voix à ses quelques mots, puisqu’elle n’était pas sûre de quoi que ce soit. Cela avait fonctionné pour Lith et Irhu, mais c’est parce qu’il désirait sortir de leur misère et qu’ils n’avaient jamais souhaité vivre ce genre de chose, mais elle ne connaissait pas Gabel.

- Ce n’est qu’un enfant, alors essayons avant tout de nous comporter en adulte avec ce dernier et de lui faire comprendre qu’il peut compter sur nous.

Le garçon devait à peine sortir de son adolescence et étant certainement la plus âgée du lot, elle devait se comporter comme tel. Les enfants qui tournaient mal avaient rarement un parent dans les parages pour les épauler et les corriger lorsqu’il faisait quelque chose de mal. Enfin, il n’y avait pas que cela. La pauvreté pouvait rendre l’homme si désespéré qu’il était prêt à faire n’importe quelle imbécilité dans l’espoir de se remplir les poches de cristaux, mais ça ne finissait que très rarement bien.

Nemue comprenait tout de même les craintes de la demoiselle qui se tenait à ses côtés. Une fois dans la chambre, elle la libéra de son emprise pour la laisser observer les environs. Quand bien même que le jeune garnement prendrait la fuite, il n’oserait certainement pas venir de nouveau ternir son nom dans la ville, puis son visage lui était maintenant connu. Il lui suffirait de le dessiner et de l’apporter à la garde ou bien lancer un avis de recherche pour le retrouver.

- Ne vous inquiétez pas pour moi. Je saurai prendre soin de moi-même en cas de blessure, puis je ne suis pas seule, lui dit-elle en s’approchant d’elle.

Elle se pencha doucement vers l’avant, un sourire amusé sur les lèvres suite aux paroles de sa belle amie et elle attrapa délicatement l’une de ses mains pour lui offrir un baise-main tout en plongeant son regard émeraude dans les pupilles de cette dernière.

- Vous m’en voyez donc ravie. J’ai eu de très bons professeurs, glissa-t-elle avec quelques sous-entendus lourds de sens. Elle ne faisait que reproduire ce qu’elle avait elle-même vécu avec d’autres hommes.

Enfin, elle n’était pas là pour raconter ces antécédents et déposa la main de cette dernière alors qu’on frappa finalement à la porte. Nemue remit en place le collet de sa veste, puis replaça doucement quelques mèches qui se battaient devant ses yeux avant d’ouvrir la porte sur le jeune homme. Debout, Nemue était un peu plus grande que lui, mais plutôt que de le toiser du regard, elle se pencha légèrement vers l’avant, une main sur le cœur, tout en tendant une main vers la jeune femme.

- Entrer! Je vous en pris! Ma douce vous attend.

Elle laissa entrer le jeune homme et ferma la porte à clé derrière eux avant de cacher cette dernière dans la poche de sa veste. Elle l’observa rapidement tentant de vérifier où il pouvait cacher une potentielle arme qu’il pourrait sortir en tout instant en réalisant qu’il avait été attrapé tel une souris dans un piège.

« J’ai amené avec moi une potion qui fait des miracles! C’est une nouveauté de la maison et elle guérit tous les maux du corps! Maux de tête, maux de dos, douleur arthritique voire même aux articulations. Je peux vous garantir sur ma tête que cela fonctionne! Évidemment, les effets ne sont pas instantanés. J’vous conseille de prendre un bon bain chaud suivi d’une bonne nuit de sommeil après l’avoir consommé et le lendemain vous serez frais et dispo pour une longue journée de marche!  
- C’est vraiment intéressant tout cela!
- Oui, et parce que j’vous aime bien, j’vais vous faire un prix d’ami. Vous voulez une bouteille ou voir plusieurs? Après tout, si vous devez marcher longuement, vous en aurez peut-être besoin pour une autre fois.
- Et bien, si vous êtes capable de me dire les ingrédients exacts de votre potion, je pourrai y penser. Voyez, ma douce a des allergies à certaines plantes et nous ne voudrions pas qu’elle fasse une réaction en plus. »

Il regarde à droite et à gauche et tripote maladroitement sa sacoche de cuir avec nervosité.

« Enfin, c’est que… Je ne la connais pas par cœur et j’ai laissé ma liste chez moi…
- Pourtant, ne devriez-vous pas être en mesure de gérer ce genre de chose en tant que guérisseur? »

Nemue jeta un regard furtif en direction de la demoiselle.

- Mais bon, peut-être que vous avez d’autres tours dans votre sac, non? Et si vous alliez ausculter la demoiselle? Peut-être trouverez-vous un nouveau remède pour ses maux?

Au moins, il savait qu’il n’avait pas à faire à de véritable idiot prêt à dire oui à la moindre chose qu’on leur disait.

Nemue en avait profité pour se glisser derrière lui alors que Luz avait eu la brillante idée de sortir sa boche nutrivif et de la plonger dans le petit flacon qui lui était donné. Une main ferme se posa alors sur son épaule faisant sursauter le jeune homme qui se demandait toujours ce qu’il se passait. Il tenta de se débattre, mais Nemue fit une légère pression de son pouce au niveau de son nerf lui arrachant alors une grimace de douleur. Si elle n’était pas douée au combat, elle savait au moins où presser pour neutraliser quelqu’un vite fait.

« Assieds-toi, dit-elle d’un ton autoritaire. Nous avons a discuter toi et moi. Après tout, j’aimerais bien apprendre à connaître mon cousin, lâcha-t-elle avec un sourire narquois abandonnant sa voix masculine pour reprendre la sienne.
- Vous n’êtes pas un homme?!
- Non, mais je crois que je vais commencer à venter les bienfaits du maquillage pour changer d’apparence.  Il semblerait que mon déguisement ait bien fonctionné. »

Elle tira une chaise et l’y fit asseoir avant de se mettre finalement devant lui.

« J’ai verrouillé la porte, alors n’essaie pas de fuir et ton seul moyen de partir reste la fenêtre qui se trouve au second étage. Si tu sautes, tu ne risques pas d’aller bien loin par la suite.
- Vous m’avez piégé?
- En quelque sorte oui.
- Vous allez me tuer?
- Quelle question stupide. Jamais de la vie.
- Alors vous m’voulez quoi à la fin.
- Ce que je veux c’est t’éviter les problèmes et t’empêcher de continuer sur ta lancée. Escroquer les gens n’amènera jamais rien de bon dans ta vie et tôt ou tard cela te reviendra comme ce soir. Quelle idée aussi d’usurper le nom d’une femme connue et dans le même village où elle tient boutique. Tu ne t’es jamais douté que les villageois étaient proches de moi et que je finirais par le savoir?
- Je…je n’y avais pas pensé.
- Je ne sais pas avec qui tu travailles, mais ils ne sont clairement pas de bonnes influences pour toi! Écoute, je sais qu’à ton âge ce n’est pas facile de se retrouver à la rue. J’ai connu un jeune homme comme toi, vivant au jour le jour, causant des problèmes pour plus vieux dans le seul but d’avoir un peu d’argent pour se nourrir lui et sa jeune sœur. Mais il a changé par qu’il savait qu’il valait mieux que ça. Il a accepté l’aide qui lui a apporté.
- Mais moi personne ne veut m’aider…
- La seule personne qui peut t’aider c’est toi-même, car tu dois choisir ce que tu veux faire de ta vie. Est-ce que tu veux vraiment continuer sur cette voie ou pas. Si tu acceptes de changer, je suis sûre qu’il y aura plein de bonnes personnes qui voudront d’un jeune homme vaillant et imaginatif comme toi à leur côté. »

Nemue s’assied finalement aux côtés de son amie en poussant un long soupir.

- Je ne suis pas du genre à demander réparation, surtout pas à un jeune homme comme toi, mais si j’étais toi, j’irais m’excuser auprès des gens en leur remettant les cristaux que tu leur as pris. Et surtout, n’usurpe plus jamais mon identité ni celle d’un autre. Ce n’est pas qu’un nom, c’est mon métier…

Observant finalement, Luz de ses grands yeux verts, elle se questionna intérieurement. Est-ce qu’elle lui laisse la clé de la chambre, pour qu’il puisse profiter d’une bonne nuit de sommeil sous un toit ou est-ce qu’elles étaient mieux de le laisser partir. Elle voulait lui offrir une seconde chance, mais peut-être que cette dernière n’était pas du même avis surtout qu’il semblait opérer à la capitale à la base.

- Vous voulez ajouter quelque chose?

Nemue voyait en cette jeune femme une bonté dont il était rare de voir dans ce genre de situation. Bien des gens n’auraient pas su fermer les yeux comme l’apothicaire, dans de tel cas, qui croyait fermement que chacun possédait quelque chose de bon en soi. Évidemment, elle n’était pas idiote au point de fermer les yeux sur des crimes odieux et violents, mais c’était justement pour éviter que ce jeune homme atteigne le point de non-retour qu’elle voulait lui offrir une chance. Il ne s’était pas entouré des bonnes personnes et la rouquine lui avait fait savoir en choisissant judicieusement ses mots. Des garçons comme lui, il y en avait beaucoup trop et eux aussi le savaient. Si l’un disparaissait, un autre prendrait sa place oubliant même son existence.

La bourse remise et le jeune homme maté, Nemue et Luz n’avaient donc plus de raison de rester en ce lieu. Le jeune homme semblait déboussoler et ne devait certainement pas croire ce qui venait de se passer. Il n’avait pas eu à fuir, la garde ne serait pas mise à ses trousses et il avait même fini avec plus de cristaux qu’il n’en avait avant le début de la soirée, mais ce n’était pas tout! Nemue s’était arrêtée à ses côtés et attrapa délicatement sa main. Surpris il tenta de se dérober, mais la jeune femme resserra son emprise avec douceur sur sa main et le guida pour qu’il ouvre sa main devant elle. Elle y glissa la clé et referma de son autre main les doigts de ce dernier sur l’objet.

- Tu es libre de passer la nuit ici à mes frais ou de remettre cette clé à notre ami le tavernier dès maintenant. Mais je te conseille de profiter de l’occasion qui se présente à toi, pour réfléchir et peut-être même dormir sur tes deux oreilles.
- Je…ne sais pas quoi dire.
- Ne dit rien, mais j’espère que tu feras dorénavant les bons choix et que si tu décides un jour de retourner dans la capitale, ce sera en homme la tête bien haute sur les épaules et non tel un rat se faufilant dans l’ombre.

Elle abandonna finalement sa main pour y déposer sa dextre sur son épaule et elle invita donc Luz à la suivre d’un léger mouvement de bras pour lui signaler de passer devant elle.

- Retournons dans ma boutique. Je ne crois pas que vous soyez venue jusqu’ici que pour me parler de cette situation, n’est-ce pas? Demanda-t-elle d’un sourire cordial.

Descendant les escaliers, elle fit un léger signe de la tête au tavernier et mentionna à Luz de l’attendre à la sortie. Elle avait encore un petit détail à régler et il s’agissait d’aviser le grand gaillard de la présence du jeune homme là-haut.

- Ne soit pas trop dur avec lui lorsqu’il te remettra la clé et comme d’habitude, met tout sur mon ardoise. Offre-lui un petit déjeuner et je viendrai te payer en début d’après-midi.
- J’espère qu’il ne brisera rien là-haut.
- Il m’a fait penser à Lith quand je l’ai rencontré et pourtant aujourd’hui tu l’adores.
- C’est un bon petit gars, en effet. Bon, très bien, mais ne fait pas attendre ta copine là-bas. Sinon, elle sait que t’es une femme au moins?
- Oui, mais ce n’est pas ce que tu crois, dit-elle en éclatant de rire. Cela faisait partie de notre stratégie.

Elle le salua une dernière fois et retourna auprès de la demoiselle d’un pas rapide.

- Je suis désolée de vous avoir fait attendre. Dépêchons-nous de rentrer. Je suis sûre que vous êtes épuisée de votre journée. D’ailleurs, je pourrais vous offrir l’hospitalité si vous le souhaitez? Lith pourra très bien dormir sur le canapé du salon. Vous pourriez prendre sa chambre et nous n’aurions qu’à changer les draps.

Elle préférait demander lui offrant ainsi la possibilité de rester sans avoir à débourser davantage de cristaux en cette soirée. Enfin, elle ne devait certainement pas en manquer suite à cette démonstration, puis le nom Weiss ne lui était pas inconnu du bataillon.

- Je tenais, d’ailleurs, à vous remercier pour ce que vous avez fait alors que rien ne vous y obligeait. Il est bien rare qu’on me suive dans ce genre de décision préférant le pardon à la sanction, mais vous m’avez montré que je n’avais pas tort. Il y a du bon partout autour de soi.

Grâce à cela, Nemue sera très certainement plus disposé à écouter la demoiselle qui l’avait bien aidé en cette soirée et sa curiosité n’était que plus grande maintenant qu’elle pouvait enfin souffler. Bon, évidemment, il ne lui restait qu’à retirer son déguisement et ce maquillage afin de redevenir elle-même, bien que cette apparence masculine lui plaise bien. Maerec Godbert avait un certain charme.

Sa boutique ne se situait pas bien loin de la taverne et en quelques minutes elles se trouvaient maintenant devant celle-ci. Entrant, la sorcière se dépêcha d’amener son invité jusqu’à son bureau après y avoir allumé une chandelle les guidant ainsi à la lueur de cette dernière. Une fois à l’intérieur, elle lui présenta l’une des chaises situées au centre où se trouvait une petite table ronde.

- Asseyez-vous et dites-m’en plus sur la raison de votre venue, s’il vous plait, lui-dit elle en allumant d’autres chandelles à l’aide celle qu’elle tenait avant de la rejoindre.

- Ne vous inquiétez pas pour Lith, c’est un grand garçon et il comprendra que vous êtes notre invité. Ce ne serait pas la première fois qu’il dormira sur le canapé pour de telles raisons, mais comme il ne s’agit que d'une nuit, cela ne devrait pas poser problème. À moins que vous ne souhaitiez partager ma chambre et que j’envoie Irhu avec son frère, dit-elle en plaisantant.

Nemue s’était contentée de sourire aux compliments que lui faisait la belle rousse tout en les guidant habilement jusqu’à sa boutique et au travers des étagères. Bien sûr, elle s’était assurée de verrouiller la porte derrière elles avant de rejoindre le bureau.  Que pouvait-elle bien lui vouloir? Qu’est-ce qu’elle pourrait bien lui demander de si important pour qu’elle soit prête à utiliser les informations sur le jeune Gaby pour essayer de négocier avec l’apothicaire?

Elle s’était vite installée face à cette dernière replaçant la veste blanche qu’elle portait toujours tout en croisant ses jambes l’une sur l’autre. Sa dextre en contact avec sa cuisse était recouverte de sa sénestre signe qu’elle écoutait attentivement la jeune femme. L’apothicaire n’ignorait pas ce qu’était l’Astre de l’Aube puisqu’elle avait entendu des échos et des brides concernant cet organisme qui siégeait à la Capitale, mais jamais elle ne se serait doutée qu’on vienne la chercher jusqu’à Manillam. Évidemment, elle n’hésitait pas à se déplacer offrant des soins à ceux qui en avaient besoin. Elle avait des patients partout puisqu’elle désirait rendre accessible à tous l’accès au soin et même Lith, son protégé, faisait office de livreur par moment lorsqu’elle ne pouvait pas le faire elle-même.

Les valeurs de L’Astre de L’Aube rejoignaient beaucoup celle de la sorcière et elle ne pouvait être que touchée par l’invitation à les rejoindre. Elle travaillait seule depuis plusieurs années et n’avait pas encore la visibilité dont elle souhaitait avoir. Avec son nouveau partenariat ainsi que les rénovations qui allaient venir, Nemue espérait qu’on parle bien plus de sa boutique et des soins qu’on pouvait y avoir. Évidemment, elle était bien plus spécialisée dans la création de remèdes, mais pour prescrire quelque chose, elle devait établir un diagnostic et connaître les maux dont souffraient ses patients.

Comme à son habitude, le visage de la trentenaire n’avait pas changé laissant difficilement percevoir le fond de sa pensée. Elle hocha à quelque reprise la tête démontrant qu’elle enregistrait l’information et lorsque cette dernière avait enfin formulé sa demande, Nemue avait légèrement changé de position. Glissant son avant bras gauche sous sa poitrine, elle soutenue son coude droit portant ainsi sa main à son menton qu’elle attrapa entre son pouce et son index.

- Il s’avère que j’ai récemment visité le jeune propriétaire de la compagnie Murmevent afin de proposer un partenariat avec ce dernier. Je dois faire rénover ma boutique afin d’y ajouter l’espace nécessaire pour y accueillir les biens qui me seront apportés ainsi que d’avoir mon laboratoire ici même pour la création de remède et potion en tout genre. Ajouté à mon plan un endroit où poser la bannière de votre organisme ne devrait pas poser problème, avait-elle dit dans un premier temps avant de se mettre droite sur sa chaise et de se rapprocher de la table.

- Il semblerait que nous ayons les mêmes valeurs sur la disponibilité de la médecine puis travailler sous la bannière de l’Astre de l’Aube ne me donnera qu’encore plus de crédibilité et me permettra d’exercer mon métier avec plus de facilité.

Si jusque-là, la demoiselle n’avait pas compris, elle espérait qu’avec ses paroles elle s’était fait entendre. Évidemment, qu’elle n’allait pas refuser une telle offre, mais elle souhaitait tout de même mettre quelque petite chose au clair avec cette dernière.

- Comme vous l’avez dit, je travaillerai avec vous et je n’hésiterai pas à partager les recettes de mes remèdes avec mes futurs camarades, mais ce qui ne touche pas à la médecine restera un secret. Après tout, je ne touche pas qu’à la médecine, mais je vous assure que je ne vends rien qui pourrait causer du tort à qui que ce soit.

Enfin, elle avait les ingrédients pour, elle connaissait certains mélanges qui pouvaient empoisonner quelqu’un si mal utilisés ou administrés, mais jamais elle ne rendrait cela accessible à qui que ce soit.

- Si cela vous convient, j’accepte de vous rejoindre, mais je pense qu’avant de discuter de la suite, vous préfériez peut-être profiter d’une bonne douche et d’une nuit de sommeil? À moins que vous ne souhaitiez mettre au clair tout cela ce soir et que demain vous puissiez reprendre la route le plus rapidement possible?

Nemue avait bien hâte de retirer tout ce maquillage qui lui donnait l’impression que sa peau ne respirait plus. Il lui faudra bien l’hydrater par la suite, mais dans tous les cas, une décision ou l’autre lui allait.