Des semaines qu’elle a disparu, la patronne. Ça commence à gueuler même en haut-lieu, alors que d’habitude, ils regardent plutôt de loin. On nous a signifié qu’il serait temps de lui mettre la main dessus, pasqu’on a aucune idée de ce qu’elle fout, et que c’est pas bien sérieux pour le Maître-Espion. Y’a même des suspicions qu’elle serait allée du mauvais côté de la barrière.

J’sais pas trop.

Mais après, on connaît jamais vraiment les gens, j’suppose.

J’balance mon paquet de tabac au fond de mon sac sans fond, toujours pas fini même s’il est entamé depuis des mois. Pas fumé une clope depuis… Ben, depuis qu’on baise plus. C’est raccord. En plus, en infiltration, c’était pas terrible, l’odeur. J’ai failli me faire chopper là-dessus, une fois ou deux. Reste que j’suis à cran, à cause de ça, de la situation, de la pression. Autant, d’habitude, ça m’réveille, autant là, ça fait trop longtemps, sans informations, sans pistes, sans rien.

Cela dit, si les gardes, espions, et autres traîne-savates du pouvoir ont rien trouvé, c’est qu’ils cherchaient p’tet pas aux bons endroits, auprès des bonnes personnes, et c’est probablement quelque chose pour lequel ils ont besoin de mon aide et mon intervention. Faut penser différemment, hors de la boîte, quoi.

A chaque fois, ça me rend nerveux, de devoir faire ça : j’ai l’impression que Zah et Höls matent par-dessus mon épaule que j’prenne pas un souffle de trop dans les mauvaises conditions, pour m’envoyer fissa par-delà la Frontière, servir de casse-croûte à un fenrir de passage. Mais là, c’est pas l’Ombre qui risque de trouver à y redire, et Höls doit être bien trop occupé. Puis il a dit qu’on devait absolument retrouver la patronne, alors il aurait mauvaise grâce de s’en plaindre… je crois. Puis dans absolument, ça veut dire par n’importe quel moyen, nan ?

Du coup, même si ça va faire une année bientôt, j’ai quand même encore quelques contacts. Pas en haut-lieu, mais dans les bas-fonds, plutôt. J’ai lâché quelques cristaux à droite à gauche, j’suis allé parler à quelques personnes. J’ai évité d’aller faire un tour chez Jéjé : ma dernière visite s’est pas hyper bien passée, et c’est possible qu’il m’en veuille encore. En tout cas, à sa place, j’aurais probablement mis en place quelques mesures pour se prémunir d’une répétition malheureuse. Et ça se finirait probablement salement pour moi.

Et il est tout sauf pas précautionneux : on survit pas aussi longtemps dans son métier si on l’est pas, doublé d’une saine dose de paranoïa.

Il faut plusieurs jours, pas loin d’une semaine, avant qu’un des fils que j’ai tendu s’agite, et que j’me déplace pour aller voir ce qui a mordu à l’hameçon. J’sais que ce sera pas elle, directement : ma description était trop vague, à dessein, pour pas qu’elle s’échappe. Puis, avec son médaillon à la con, y’a peu de chances qu’elle ressemble à une métis à la chevelure sauvage.

J’essaie de garder mes espoirs au niveau minimum : c’est probablement une fausse alerte, quelqu’un d’alléché par les cristaux et qui se dit que doit y avoir moyen de les gratter. J’ai moi-même répondu à pas mal d’offres du genre, à mon époque, en toute bonne foi parfois, mais quand t’as pas l’info, tu risques pas de la donner, hein…

Sans rancune, j’espère que vous avez trouvé ce que vous cherchiez.

Mais si l’un d’entre vous autres essaie de me la mettre à l’envers, j’espère que vous êtes bien accrochés, pasque j’suis teigneux, et que j’ai pas trop le sens de l’humour.

Quand j’me pointe dans le boui-boui qui va nous servir de point de rendez-vous, j’vois personne qu’a l’air explicitement en train d’attendre quelque chose. Bah. J’vais voir le tenancier.

« Prendra quoi ?
- Un whisky. »

J’me dis que l’alcool sera suffisamment fort pour pas me rendre malade. Un choix important, dans ce genre de lieux.

« J’suis là pour le Renard.
- Table du fond. Il devrait pas tarder.
- ‘Sûr. »

C’est un nom de code comme un autre, pour identifier la demande que j’avais déposée y’a quelques jours. Un gars se radine enfin, alors que j’ai pris qu’une gorgée. Il va se prendre une pinte avant de me rejoindre. Nez cassé, bérêt qui cache ses yeux, cheveux brins mi-longs et un peu sales, comme les sapes. Pas grand-chose à en dire, le genre de travailleur du bas, quoi. A voir ses mains, cela dit, avec des cicatrices et des grosses articulations, il fait plutôt service d’ordre que travailleur.

Ou alors il est en direct avec les gangs, et prélève des frais de protection. Allez savoir. Ça me regarde pas, et m’intéresse pas non plus.

« Ouais, salut.
- Salut, c’est pour le Renard, c’est ça ?
- Yep. T’as quelque chose ?
- Possiblement. »

Il est prudent, croise les mains devant lui. J’pose une petite bourse de cristaux sur mon côté de la table, et il tend le bras. J’l’arrête d’un geste.

« Hep hep hep. Donne-moi quelque chose à me mettre sous la dent, d’abord.
- Hmpf. J’ai rien de direct, mais j’connais peut-être quelqu’un qui aurait des informations. »

Je hausse un sourcil.

« C’est tout ?
- C’est déjà pas mal. Tu peux aller à cette adresse et demander le lotus. »

Le renard, le lotus… y’a pas à dire, on est des vrais poètes. J’sors la moitié des cristaux de la bourse, et j’les fais glisser vers lui.

« Au plaisir. »

Il touche son chapeau ridicule, se lève, se casse.

C’est pas grand-chose, mais ça peut valoir le coup d’aller voir.

Au moins, on s’écarte des tavernes les plus dégueulasses de la ville. A la place, j’me rends dans un quartier qui fait un peu plus propre sur lui. Ça veut dire, aussi, que y’a davantage de patrouilles de la Garde, mes nouveaux collègues, mes nouveaux amis. Enfin, comme d’habitude, ils font pas grand-chose à part dissuader vaguement le tout-venant de tabasser des inconnus dans des ruelles, et encore. Nan, on est sur une criminalité qui monte en gamme, là : tout se fait un peu plus proprement, quasiment sur invitation. C’est pas encore la haute avec les barons de la pègre, mais c’est du col blanc, quoi. Des marchands qui trichent sur les taxes, de la contrefaçon, des drogues un peu moins coupées que les autres, toutes ces conneries.

M’enfin, c’est pas mon boulot d’arrêter le criminel moyen, encore que y’aurait facilement de quoi remplir les geôles de la Garde. J’ai déjà balancé tous ceux que j’connaissais, même s’ils ont pas tous trinqué : j’suppose qu’une partie a elle-même trahi les copains, s’est faite planter, ou a su passer entre les mailles du filet. Après tout, ça sert à rien de coffrer tout le monde, ça serait p’tet même un effet négatif : vaut mieux le mal qu’on connaît un peu qu’une mauvaise surprise.

J’prends une grande inspiration en entrant, et j’ai pas de sale odeur qui m’arrive aux narines. J’parcours la salle du regard, mais on m’adresse qu’un coup d’œil lointain avant de retourner à ses affaires. Ça joue aux dés, aux cartes, où ça discute juste en buvant des coups. Y’a un grand éclat de rire sur la droite, et un poing martèle la table dans un grand geste d’hilarité. Au moins, y’a des gens qui s’amusent.

J’me pointe devant le tavernier.

« ‘Soir. Reste une table calme ?
- Oui, pour combien ?
- Deux, a priori. »

Il se penche en avant, regarde sur les côtés. Pendant qu’il surveille sa table, j’lui souffle à l’oreille.

« C’est pour le lotus, là.
- Ah. L’arrière-salle, alors. »

Waouh, quelqu’un a la côte, faut croire. J’me fais guider jusqu’à une petite porte, où j’suis obligé de m’baisser pour passer. Les tables sont, ici, séparées par des panneaux en bois, pour éviter qu’on puisse écouter ce qui se passe à côté. Ça fait genre des toutes petites alcôves. J’suppose que c’est mieux, pour parler affaires, et forniquer à l’abri, probablement.

Ce sera pas trop l’ambiance, ce soir.

Enfin, c’est ce que j’me dis, avec ma bouteille de rouge, jusqu’à ce que le lotus se radine et s’assoit en face de moi. Rousse, des bottes et une tenue à l’allure martiale, elle pourrait être mercenaire ou soldate que ça déparerait pas. J’me demande même si c’est pas ma voleuse du monastère, mais les traits du visage sont trop différents. Dommage, ça m’aurait bien fait marrer, comme retour karmique. J’lui aurais gentiment cassé la bouche, avant de lui faire cracher tout ce qu’elle savait, en plus de ses dents.

J’lui sers un verre. Pas de raison d’être vache.

« J’cherche une nouvelle venue du côté du crime. L’apparence va être compliquée, elle peut en changer facilement. Peut-être un mec, d’ailleurs, pour brouiller les pistes, mais j’aurais tendance à croire que non. »

Plus l’apparence dans laquelle on se glisse est différente, plus c’est dur de maintenir l’illusion, après tout, même avec de l’entraînement. Pour ça que quelque chose de proche, mais crédible, tout en étant distinctement et indéniablement autre, c’est ce qui marche le mieux.

« A priori, plutôt en confiance. Le genre dangereuse, à l’aise. Pour la temporalité, disons entre un et deux mois. Ça te fait penser à quelque chose ? »

J’pose une bourse de cristaux sur la table, plus grosse que la précédente. On creusera davantage si y’a des idées qui tombent.

Elle vérifie le verre, des fois que j’ai foutu une saloperie dedans. Méfiante, donc. Ça se tient, elle sait pas trop sur qui elle tombe, m’enfin, quand même… Si elle a choisi ce lieu de rendez-vous, c’est qu’il doit lui être à peu près acquis. P’tet un moyen de se prétendre plus vulnérable qu’elle ne l’est réellement, le p’tit lotus, et me faire relâcher ma garde. Ça se trouve, le pinard que j’ai déjà bu était empoisonné à la base, et elle vient justement de le purifier avec son pendentif à la con.

J’ai des antidotes, et y’a rien eu de foudroyant pour l’instant, mais on sait jamais. Sourire.

En tout cas, tout ça respire bien la noblesse et les beaux-quartiers. Que ce soit les fringues, riches, ou l’accent, difficile d’en douter. Vrai que y’a des nobles qui rechignent pas à mettre les mains dans la tripaille, j’suis bien placé pour le savoir. Mais si c’en est vraiment une, doit y avoir un truc avec l’apparence, sinon ça la rattraperait assez vite, j’suppose, surtout qu’elle cache pas vraiment son visage. Ça méritera d’être creusé, à l’occaz, si j’m’ennuie, c’est-à-dire jamais.

Elle dit pas pouvoir m’aider et prend la thune. J’plisse les yeux. J’ai pas payé pour un sourire, hein, connasse. Va p’tet falloir jouer du couteau, un peu, histoire de voir si y’a moyen d’avoir un son de cloche différent. Mais avant que j’puisse me décider à reprendre ma bourse et éventuellement des intérêts pour le dérangement, Lotus reprend la parole.

Quand elle balance une description qui est probablement celle de la patronne, j’m’attache à ne rien laisser transparaître sur mon visage. Ça me semble louche, qu’elle ait pas changé son apparence, c’est la première chose que j’aurais faite, à sa place, surtout avec le Médaillon d’Ovide qu’elle a reçu des anciens maîtres-espions. P’tet qu’elle a touché sur les traits du visage seulement ? Pourtant, c’est pas les caractéristiques les plus visibles. Ou elle se sent introuvable, mais c’est bizarre.

« P’tet bien que c’est elle, dur à dire, comme ça. Comme j’disais, elle peut facilement changer d’apparence. T’aurais une image de cadre magique, ou un moyen de la rencontrer ? Y’aura peut-être des parties du visage qui n’auront pas bougé, ou des mimiques, des façons de se déplacer, tout ça, quoi. »

J’pose une bourse de cristaux plus grosse sur la table, mais j’garde la main dessus.

« Si ça s’avère réellement prometteur, y’a la grande sœur de celle-là qu’est présente aussi. »

Faire miroiter l’argent, ça marche toujours, surtout qu’elle est véloce pour l’attraper. C’est p’tet un leurre, cela dit, pour attirer les espions et les éliminer. J’peux pas écarter cette possibilité. D’un côté, j’ai assez confiance en moi pour m’en sortir, et de l’autre, Zah sait assez précisément ce dont j’suis capable pour pouvoir me la coller à l’envers. C’est p’tet même le but, de m’attirer dans un coin sombre pour me dégommer.

Après tout, quel autre espion ferait jouer des connexions aussi fermement ancrées dans le monde criminel ?

J’tapote le plateau de la table, sans trop d’envie de reboire du vin.

Pas grand-chose. L’inverse m’aurait étonné. Ç’aurait été le sacré coup de bol, de tomber sur une nana qui sait exactement où est parti la mienne, et me file toutes les informations moyennant finances. Si ç’avait été aussi simple, j’me serais posé des questions. Probablement un piège, dans tous les cas, pour me la coller à l’envers, ou me sortir de l’échiquier. A la place de Zah, j’me méfierais, justement, qu’on remonte ma piste comme ça.

Et, à la place de la Lotus Rouquine, j’balancerais pas toute la sauce directement, histoire de faire monter les enchères un peu.

Par contre, si elle s’est effectivement enfoncé davantage dans le système, y’aura bien davantage de traces. J’me demande si je devrais creuser dans les barons que j’connais, mais qui se souviennent pas de moi. Si j’fais le tour des faveurs… Il reste plus grand-chose, malheureusement. P’tet un travail de longue haleine, pour récupérer à nouveau des contacts… Mais ça demanderait de travailler à nouveau dans le dur, et pas sûr que ça fasse beaucoup marrer Höls…

Pas sûr que quoi que ce soit le fasse rire tout court, a fortiori en ce moment.

Puis, après avoir fait miroiter le vide, c’est au tour de l’appât. Reste juste à voir la gueule de l’hameçon. J’jauge froidement l’informatrice. D’un autre côté, si elle a testé le pinard, elle est p’tet pas si en confiance que ça. Possible que ce soit comme moi à l’époque, j’avais des points de contact et d’accroche, mais qui étaient pas acquis à ma cause plus que ça, en tout cas au-delà des cristaux que j’payais pour, et sur lesquels tout le monde pouvait enchérir au besoin. C’est déjà arrivé. Ça s’était salement fini.

J’reviens à l’instant présent, et j’attends de voir ce que Lotus va demander. Pas des cristaux, ça se tient. On peut faire qu’un certain nombre de choses avec, et les faveurs, c’est quand même autrement plus précieux, quand on sait à qui les demander. Et c’est bien ça qu’elle veut : une p’tite main pour faire le sale boulot à sa place, que ce soit pour servir de leurre, d’appât, ou se laver les mains des cochonneries qu’elle va me refiler.

Peu probable qu’elle me foute dans la sauce : les gens oublieront bien vite, si j’travaille pas comme un sagouin. La question, c’est plutôt de savoir si les grands patrons cautionneront si j’laisse une traînée rouge derrière moi, en essayant de retrouver Zahria, sachant que la piste peut être bidon. Enfin, quand même, une métis de trente berges, fatiguée avec les tifs en pagaille, pourrait en avoir d’autres, mais sur cette temporalité, c’est hautement peu probable, au-delà de l’hypothèse du traquenard.

J’finis mon verre et j’nous ressers.

« La violence me pose pas foncièrement problème. Par contre, j’refroidis personne. En tout cas, pas pour le moment. »

J’vais voir si Höls me filera la permission. En attendant, j’peux juste dire non. Mais ça, j’peux pas trop lui expliquer, à mon charmant Lotus. Puis j’suis pas à l’abri de faire miroiter des trucs aussi, de mon côté.

« Détaille un peu ce dont t’as besoin, en terme d’action directe ? J’dois pouvoir régler quelques soucis, c’est même pas spécialité, de rendre service. »

Ou ça l’était, avant que j’me fasse chopper, en tout cas.

Elle a l’air déçu. J’la comprends, j’le suis aussi un peu, mais j’ai comme l’impression que Höls et sa joyeuse compagnie de gros bonnets prendrait pas avec le sourire que j’me mette à suriner tout ce qui passe, même pour retrouver la maître-espion qui a fugué. C’est que ça ferait mauvais genre, puis j’suppose que j’dois pas être la personne la plus fiable pour ce qu’il s’agit de tuer avec discernement, à leurs yeux.

Alors que, franchement, je le faisais que pour le travail, y’avait rarement quelque chose de personnel, sauf quand on m’avait un peu trop chié dans les bottes.

Ouais, bon, okay, j’visualise.

La première piste porte sur un gars des docks, le genre à faire pleins de traffics illégaux. J’peux pas dire que j’sois surpris, c’est un peu la base, de transporter des trucs et des bidules de sorte à se remplir un peu la bourse pour pouvoir se les vider sereinement ensuite. Y’a des boulots, comme ça, qu’attirent un certain type de personnes, et qui sont plus favorables à arnaquer un peu le système : c’est un peu le principe, et j’suppose qu’ils s’arrangent pour promouvoir les gens qu’ont le bon état d’esprit, histoire que ça foute pas un coup de pied dans la fourmilière.

« Ouais, ça doit être jouable. J’ai combien de temps ? »

Pas longtemps. Le faire dans la nuit, comme ça, sans préparation, c’est un peu velu, quand même. En plus, j’peux difficilement croire qu’il soit pas protégé, aussi bien le bonhomme que le coffre-fort. Ce dernier m’inquiète pas des masses : j’ai le rossignol noir, et sinon le Focus. On va pas me faire croire que c’est plus résistant qu’un béhémoth, après tout. Ou alors il aura mis le budget et le taf de patron des docks paye vachement plus que ce que j’ai entendu dire.

Y’a plus grand-chose à se raconter, après tout ça. On scelle notre accord d’un hochement de tête, et j’sais que j’vais pas dormir des masses jusqu’au lendemain : faut que j’regarde un peu comment tout ça se passe, si y’a de la sécurité, des rondes, et ne serait-ce que la tronche de ma cible : ça serait pas très sérieux de chopper le mauvais gus, genre le sous-fifre qui fait la sieste dans le bureau du patron.

J’me barre avec ma bouteille. J’l’ai payée, elle est à moi, et j’compte bien la siroter en me baladant sur les quais.

J’laisse tomber quelques cristaux à droite à gauche, j’fais entendre que j’ai un truc à sortir de la Capitale mais que j’ai pas envie que la douane regarde quoi il s’agit. J’creuse aussi du côté des bouibouis des docks, mais pas trop fort : un garde en investigation ferait pareil, encore que j’ai pas trop la même dégaine qu’eux. J’connais les codes, comme on dit.

La vraie question, c’est de savoir où sont les informations dont j’ai besoin : est-ce que c’est l’équivalent officiel de la capitainerie, ou est-ce que c’est un bureau un peu plus planqué, dans lequel se résolvent les affaires intéressantes ? Mais ça, j’risque de pas le savoir avant le dernier moment.

J’file pioncer aux p’tites heures du matin, et j’enquille direct le lendemain pour continuer à mater les quais. J’sais qu’ils se souviendront pas trop de ma gueule, trop ordinaire couplée à mon pouvoir, donc j’peux fureter l’esprit en paix. Comme le temps est vachement compté, j’espère juste que le lotus va bien se radiner. J’laisse les indications qui vont bien au bar où on a discuté, et j’espère que y’aura pas d’embrouille.

Mais j’ai l’arsenal pour m’en sortir, a priori. Et on fait pas d’omelette sans casser les yeux.

Rapide sieste dans l’aprèm’, pour être frais et dispo dans la soirée suivante.

Avec le miroir et le déguisement magiques, j’prends l’apparence d’un contremaître des docks que j’ai vu traîner ses patins dans le coin, et j’couple ça au déjà-vu pour pas qu’on me pose de questions alors que j’me promène dans les bâtiments. Et quand j’arrive à une zone d’accès plus restreint, j’passe invisible. Pas dit qu’il ait le droit d’être là, après tout.

J’prends une grande inspiration silencieuse, et j’ouvre la porte du bureau du maître des docks.

Ils sont deux. Ça commence mal. J’avais pourtant collé ma tête contre le battant, pour vérifier si y’avait du bruit, mais ils étaient tous les deux penchés sur leurs bureaux respectifs, à gratter du papier. Pour ça. Ils se tournent vers la porte, ouverte sur rien, et choppent pour l’un un couteau, et l’autre un gourdin. Va falloir faire preuve de pédagogie, j’pense.

J’me téléporte à côté de celui qu’a le couteau, et j’fracasse le manche du mien sur sa tempe. Il tombe par terre, et j’redeviens visible. Le second ouvre la bouche pour gueuler à l’aide, mais il oublie subitement comment parler, et le temps d’arrêt qu’il marque me suffit pour lancer mon poignard dans son épaule.

Mon poing s’écrase sur son menton au prix d’une éraflure sur Survie, qui encaisse sans la moindre difficulté. Quel plaisir, d’être équipé correctement.

Quelques instants plus tard, ils sont tous les deux ligotés à leurs chaises, avec des bâillons, et j’fouille jusqu’à trouver le coffre, que j’ouvre sans difficulté avec mon matos magique. Plus qu’à attendre mon p’tit lotus, alors j’prends mon mal en patience en lisant un peu ce qu’il y a. Si j’arrive à trouver directement l’information qui m’intéresse, ce sera toujours ça de pris : j’ai pas trop envie de compter que sur elle.

Le souci, c’est que c’est crypté, et putain, j’ai toujours été nul à ça.

J’ai mes informations, et j’ai rempli mon contrat. Y’aura pas de traces qui vont traîner derrière, a priori : le lotus me foutra pas la pogne dessus, et même si elle se fait chopper par la Garde demain, elle se rappellera pas de moi plus que ça, donc aucune chance qu’Höls vienne me chier dans les bottes alors que j’fais le boulot qu’il m’a demandé. Globalement, tout ça est plutôt une bonne affaire jusqu’à présent, mais à une seule condition.

Que la piste soit pas totalement bidon, et que j’trouve ce que j’cherche au Village Perché puis à Forteresse. J’hésite même à aller directement là-bas pour essayer de remonter le courant plus vite qu’il se fait la malle, des fois que Zah ait à nouveau bougé ailleurs, mais ça serait pas très raisonnable. Faut être méthodique : les papelards indiquent apparemment la forêt, et une informations trouble de ma copine dirait le nord.

Autant dire qu’elle peut parfaitement me mener en bateau, c’est assez courant dans le milieu.

« Merci pour les informations. J’vais filer, le temps n’attend pas. Soyez sages. Des bisous. »

J’grave son visage dans ma mémoire. T’façon, j’me souviens du bar dans lequel on avait rendez-vous, donc il sera toujours possible d’aller tout casser là-bas au besoin, histoire de faire sentir mon déplaisir. En dehors du bureau, y’a tous les sous-fifres qui zonent et qui me regardent mal, comme si ça allait me faire peur. Moi, j’me suis pointé tout seul, alors que z’êtes un paquet, alors pourquoi faire les malins ?

J’me dirige à marche rapide vers le portail de téléportation, et dans un flash de lumière, j’suis sous la canopée. Il fait toujours nuit, mais ça commence à grisailler à l’horizon. Direction ce qui sert de port ici, à savoir un amas de quais dans un véritable enchevêtrement, avec un paquet de péniches.

J’me rends compte que j’suis un vrai connard : à cette heure, pas dit que la capitainerie soit ouverte et que j’puisse accéder aux registres pour avoir des nouvelles de mon embarcation à moi. J’fais le pied de grue à l’entrée, en dormant un peu debout, d’un œil. Quand ça ouvre, j’me dis qu’il me faudrait vraiment un café, et une vraie sieste. J’verrai si j’ai le temps, en fonction de ce que j’trouve.

Après avoir graissé quelques pattes, j’ai ce que j’cherche, donc j’vais à l’emplacement quarante-sept B. Le rafiot est encore là, avec un marin de quart, pour s’assurer qu’on parte pas avec. J’réfléchis à l’approche à suivre. J’pourrais faire le garde, ou le criminel… Ou juste lui casser la bouche… Dilemme…

J’me redresse, j’sors mon cadre magique et j’fous mes menottes à ma ceinture.

« Hé, salut mon gars. T’sais que t’as un gros souci ? »

Il me jette un regard soupçonneux.

« Du coup, t’as deux choix. Soit tu me dis par où elle est partie, vu que c’est une ennemie de la Couronne et qu’elle est recherchée dans tout le Royaume, soit tu viens faire un tour au trou, et j’saisis ta coquille de noix au passage. Franchement, une bonne affaire, m’est avis. »

Il est d’accord, mais c’était trop vieux, y’a trop longtemps.

Tant pis, direction la Forteresse, alors.