Comme à mon habitude, je porte une robe, même si elle est légèrement plus courte que ce que j’aime avoir sur le dos normalement. En même temps, il fait chaud et je n’ai pas spécialement envie de ruiner une robe longue et plus chaude pour simplement passer du temps en ville. Mes chaussures à talon, ma robe et mon maquillage forment un bel ensemble d’été, que mes cheveux finissent de parfaire. L’élégance est un état d’esprit permanent et j’en suis certainement l’égérie. Au moins pour aujourd’hui.
La façade de l’établissement ne paie pas de mine, mais j’ai l’habitude de jouer aux cartes ici, je sais parfaitement que les habitués me laisserons en paix même si je m’y rends seule, et mon but de la journée, c’est justement de passer un moment avec moi-même ! J’entre dans l’auberge avec une idée bien en tête et je m’approche du comptoir, pour commander une salade et quelque chose de frais à boire. Je dépose quelques cristaux sur le comptoir, je rajoute un peu plus que ce qu’il me demande en guise de pourboire, puis je m’installe à une table en attendant ma commande.
La salle est étrangement vide malgré la fraicheur qui règne ici. Avec un sourire, je sors mon jeu de carte de mon décolleté - mes robes n’ont pas de poches, mais j’ai toujours de la place quelque part pour y ranger des choses – et je les étale face à moi. Je mélange un grand coup, coupe, et installe une partie de solitaire. Après un moment à rester seule avec mes carte et ma pensée, le serveur me dérange pour déposer un verre de vin – boire en journée est l’un petit plaisir de la vie d’adulte – et ma salade, composée d’ingrédients frais, parfaitement ce dont j’ai besoin pour me rafraichir d’avantage.
L’heure qui suit se passe bien. Je griffonne des idées de chansons dans mon carnet, je fredonne un air, puis un autre, j’essaie différentes combinaisons, je note, rature, souligne, d’une main, pendant que l’autre déplace instinctivement les cartes sur la table. La chaleur m’inspire une chanson sur un air de guitare, peut-être avec quelque chose d’un peu plus grave en fond. Un tuba ? Pourquoi pas. Je continue mon manège pendant un temps, jusqu’à ce qu’on me dérange.
- Salut beauté, t’es toute seule ? lance-t-il avec sa voix nasillarde.
Il s’installe sur la chaise face à moi en posant ses pieds sur la table. Mes cheveux prennent d’eux-même une couleur rouge foncé – signe d’énervement chez moi - tandis que j’examine l’homme, sans un sourire. Il a l’allure d’un mercenaire, habillé de cuir, puant légèrement la transpiration et étalant mes cartes avec ses bottes. Je tourne mon regarde vers le comptoir, ou l’aubergiste est occupé à accueillir de nouveaux arrivant. Il ne voit pas ce qui se passe à ma table, certainement pour le mieux. Je souffle sur la mèche qui me tombe devant les yeux.
- Bordel de merde, bouge tes pieds de la table avant de te retrouver avec ta tête dans ton cul. Ça améliorera peut-être ton aliène de chien crevé, remarque.
Je réfléchis donc aux auberges du coin qui peuvent faire un repas pouvant satisfaire mon appétit. Me vient alors en tête une auberge que je n'ai jamais testée, car éloignée de la forge et de la maison. Un des cuistots était venu faire entretenir des couteaux à la forge une fois et il avait conseillé à mon père de venir goûter leur cuisine une fois. Il avait dit qu'il ferait un plat plus gourmand si on venait en donnant son nom.
C'est un peu loin, mais je me décide de tenter cette auberge. Je passe à la maison me laver rapidement et me changer. J'enfile une robe légère dévoilant mon dos et attache mes cheveux encore humides en une queue de cheval. Je fais en sorte que ma fleur et ma peau puissent capter un maximum de lumière pour m'aider à diminuer la fatigue du travail matinal. J'accroche toute de même mon marteau à la ceinture de ma robe. Je n'aime pas partir sans lui.
Je pars donc en direction des quartiers sud-ouest de la ville. Après environ 30 minutes de marche en plein soleil, je semble trouver l'auberge en question. Je vérifie son nom par rapport aux indications que j'avais notées, et entre. L'ambiance est réellement plus fraîche qu'à l'extérieur, et assez peu de clients sont installés. J'observe un instant une femme installée seule à une table et voit un mercenaire la rejoindre. Je reconnais le visage du mercenaire puisqu'il s'agit d'un client de la forge. Je n'y prête toutefois pas attention et me dirige rapidement vers le comptoir. J'accoste l'aubergiste sans attendre.
« Un de vos cuistots m'a recommandé de venir ici pour avoir un repas spécial. Je suis Sia Zmeï de la forge ayant entretenu ses couteaux. »
L'homme fronce des sourcils, peu convaincu. Il finit par partir en cuisine pour vérifier ce dont il s'agit. Alors que l'aubergiste part, une voix féminine attire mon attention. C'est la femme que j'ai aperçu tout à l'heure. Son langage très débridé me fait sourire, il est rare de voir une femme si raffinée, mais qui saches parler en utilisant un langage plutôt cru.
L'aubergiste revient et me confirme qu'un repas spécial va m'être servis. Pendant ce temps, le ton est monté du côté du mercenaire et de la jeune femme. L'aubergiste qui les entend s'apprête à intervenir. Je lui fais signe de ne rien faire. Je me dirige vers la table et arrive dans le dos du mercenaire. Je viens poser une main sur son épaule ce qui a pour effet de le faire se retourner immédiatement.
« T'es qui pour vouloir me déranger ? Tu vois pas que je suis occupé ? »
Son visage semble dire qu'il va m'envoyer un poing dans la figure d'un instant à l'autre, puis son regard se pose sur ma fleur et il me reconnait et se calme.
« Oh ! Sia ! »
Je lui fais un sourire et lui tapote l'épaule.
« Gontran, tu n'oublieras pas de passer à la forge pour venir faire entretenir tes armes. Tu n'es pas passé depuis un moment. On commençait à penser que ta dernière mission avait eu raison de ta stupidité. »
Son visage montre d'abord de l'incompréhension puis il semble rougir d'énervement comprenant que je me moque de lui. Je continue de sourire de façon aimable, mais en ne cachant pas le fait que je suis là pour le remettre à sa place.
Elle doit faire ma taille. Fine, musclée, la blancheur de ses cheveux fait passer la pâleur de sa peau pour une couleur chaude. La fleur sur son œil ne semble pas la gêner le moins du monde, et pour tout dire, je la trouve plutôt accordée avec son visage. L'élégance qui se dégage de sa personne est presque magique. La bribe de conversation que j'entends m'indique son nom, Sia, et sa profession, forgeron. Je m'attarde un peu plus sur sa musculature, bien visible, puis fait un léger sourire quand elle traite l'homme face à moi de stupide. Je décide d'enchaîner.
- Et alors gontran, avec ta tête de branleur, t'es incapable d'avoir un coup de poignet correct pour entretenir tes armes ?
Il fait mine de se lever. Au moment où ses pieds touchent le sol, je pousse un grand coup la table contre lui, le clouant sur sa chaise. Sia, ma nouvelle amie, ne bouge pas d'un pouce, la main toujours sur l'épaule du malotru. Elle est certainement en train d'appliquer de la pression pour l'empêcher de se lever. Je pousse un peu plus fort la table sur son ventre, je fais prendre à mes cheveux une couleur aussi noire que du charbon, et d'une voix douce, plate sans fluctuation, je reprends.
- Écoute, immonde fils de chien putride, ouvre bien tes feuilles de choux, et écoute bien. Ton cervelet et ta gueule de veau qui sert de visage à ton corps puant et suintant de graisse vont prendre la décision de se lever sans faire de bruit, d'aller s'excuser d'être aussi débile auprès du patron, et de partir, vite et loin.
Bien que je sache me servir d'une épée, je ne suis pas armée, mais ça ne veux pas dire que je suis sans défense. J'ai grandis avec des mercenaires. Ils ont été parfois mes professeurs, parfois mes camarades de jeux, mais toujours des gens qui traitaient avec respect, presque ferveur, ma façon de m'exprimer quand j'étais énervée. Dans un contexte moins favorable, avec moins d'allier, j'aurais joué la séduction. Mais je suis en terrain ami, et je n'ai pas envie qu'une brute épaisse gâche mon repas ou ma journée, et je m'amuse beaucoup trop pour ne pas profiter de me savoir protégée.
Je décolle doucement la table du ventre de Gontran et lève un sourcil, comme pour attendre une réaction. Mes cheveux reprennent des couleurs plus habituelles, joyeuses et pastels, mais mes yeux sont toujours braqués sur l'aventurier de pacotille qui se trouve face à moi.
S'ensuivent plusieurs autres noms. Personnellement, je trouve un veau plus mignon que Gontran, mais chacun ses goûts et je doute aussi qu'il soit l'enfant d'un chien. Quant à ses feuilles de choux, j'ignore s'il en porte sur lui, mais peut-être que cela pourrait expliquer le fait qu'il ne sente pas très bon. Il est aussi invité à aller s'excuser "d'être aussi débile" auprès du patron. Je doute que le patron ait quelque chose à faire de la débilité du mercenaire, il devrait plutôt s'excuser d'avoir dérangé la demoiselle et s'excuser auprès du patron d'avoir fait du raffut et déranger les autres clients.
Finalement, Gontran finit par se lever quand la femme relâche la pression qu'elle exerçait sur la table. Je retire ma main de l'épaule de l'homme et le regarde quand il se tourne vers moi. Je lui adresse un de mes sourires les plus amicaux. Il se gratte un peu la tête et fait signe de s'excuser. Ce n'est pas à moi qu'il faut s'excuser, mais je m'en fiche un peu. J'étais sérieuse sur le fait qu'il doit venir à la forge après plusieurs semaines de mission.
« N'oublie pas de passer à la forge. On t'attendra avec mon père. »
L'homme part ensuite en direction du patron de l'auberge, qui l'attend l'air légèrement mécontent. Je me tourne vers la femme et lui adresse un sourire.
« Je vous laisse maintenant à votre tranquillité. »
Et je me dirige vers une autre table un peu plus loin. Un homme vient rapidement me servir le plat que j'ai commandé. Le tout fume légèrement et l'odeur me met en appétit. Une salade accompagnée de tomates et de morceaux de volaille légèrement assaisonnés. Un plat de légumes cuits à l'eau accompagnés d'un généreux steak avec une noisette de beurre fondu sur le dessus. Le tout semble parfaitement assaisonné et appétissant. Une carafe d'eau est laissée ainsi qu'une choppe de bière. Je n'apprécie l'alcool qu'à petites doses, mais une bonne bière ne se refuse pas après une longue matinée de travail.
Je m'apprête à manger quand une personne vient s'asseoir en face de moi. C'est la femme de plus tôt. Que me veut-elle ?