Chez les espions, en terme de mission, y’a un peu de tout. On peut dire que j’suis pas dépaysé de quand j’étais un criminel qui écumait les bas-fonds et, parfois, bossait pour les barons de la pègre, quand ils avaient besoin d’un atout extérieur, discret, et coûteux. Evidemment, hein, j’bossais pas gratis. Mais bref, parfois on démantèle des réseaux criminels, parfois on essaie de trouver des gens… souvent sans succès d’ailleurs, entre ma voleuse et l’ex et ex-patronne, et parfois on s’contente de regarder ce qu’ils font.
L’aspect voyeur est une composante inaliénable du boulot. Heureusement que je m’étais entraîné dans les vestiaires des danseuses de l’opéra, avec Carci. Ha.
Ben là, c’est tout pile ça. Apparemment, la Commission a recruté une nana pour donner un avis extérieur sur le fonctionnement de la Garde, aussi bien en tant qu’armée qu’en tant qu’agents de protection et police : Amaryllis Tylwaen, une rouquine à cornes qui doit être un brin plus jeune que moi, le genre militaire. On pourrait croire que les meilleurs militaires sont dans la Garde, mais apparemment, c’est pas tant vrai que ça.
Y’a une compagnie de mercenaires, du même nom qu’elle, qu’existe depuis des dizaines d’années et qui est dans le privé. Se sont séparés d’Amaryllis, et elle est venue au service de la Couronne, dans des circonstances qu’il serait bien d’élucider et de creuser, pour s’assurer que y’a pas anguille sous roche. Les espions, c’est toujours prudent, ou plutôt sainement paranoïaque. Encore une qualité dont j’disposais déjà, avant mon retournement de veste, ça.
Mais bref, comme c’est pas la grande amitié entre les paramilitaires du privé et la Garde, au service du plus grand bien du plus grand nombre du Royaume, et que c’est toujours suspect quand on fait rentrer quelqu’un dans la grande famille, même moi, surtout moi, on m’a demandé de jeter un coup d’œil.
Résultat, ça fait plusieurs jours que j’lui colle au cul, sans difficultés pour être honnête : entre le déguisement magique, l’oubli, le miroir qui change provisoirement mon apparence, et le déjà-vu, y’a rien de bien compliqué. J’suis même allé lui parler plusieurs fois, mais elle imprime pas. Enfin, ça permet de la sonder, de voir les approches qui fonctionnent ou pas. J’évite de trop jouer là-dessus, pasqu’on sait jamais à quel point elle se souvient des trucs.
Et que ça la foutrait mal de me faire griller.
M’enfin, vu ce qu’elle se descend quand elle finit le boulot, en vrai, les chances sont assez faibles : même moi, alors que j’fais que suivre le rythme de loin, j’commence à me sentir fatigué. Faut dire que j’suis obligé de la suivre, donc de surveiller chez elle, les gens avec lesquels elle cause et fraternise, tout ça. Heureusement que quand elle glande dans son bureau, j’peux caler des siestes. Tous les papiers qu’elle griffonne arrivent de toute façon chez les pontes, donc c’pas tant mes oignons.
Du coup, là, va être temps d’attaquer un peu plus dur, maintenant que les préparatifs ont été faits sur les jours précédents. J’ai préparé mes lignes de dialogue, et j’ai une assez bonne idée de comment elle réagit. Amaryllis s’est pointée dans une énième taverne de la Capitale, le genre qui reste ouverte jusqu’au milieu de la matinée suivante, et qu’est fréquentée pas que par des fils de nobles et de marchands venus faire la fête : y’a aussi des étudiants qui se détendent et viennent courir les verres et la gueuse, comme on dit.
Ma dégaine fait propre : chemise, beau pantalon, j’me suis lavé, coiffé, peigné les tifs et la barbe. J’ai mon épée de cristal au côté, et une dague de l’autre. Globalement, j’ai l’air assez martial, ce qu’est le but. En tout cas, tant qu’on me demande pas d’utiliser l’épée : j’aurais sacrément l’air d’un con. Mais c’peu probable, les bagarres éclatent rarement par ici. Le service d’ordre est efficace, faut dire, teigneux et patibulaire surtout.
J’repère ma cible assise à une table avec deux nanas et deux mecs. C’est au pinard, pour l’instant, mais la soirée est encore jeune. Elle passera à des trucs qui attaquent un peu plus ensuite, si j’me base sur l’expérience des jours précédents. Coup d’bol, j’connais une des nanas, une aventurière de la Guilde, famille de nobles de surcroît. Elle fait ça pour emmerder son daron et faire valoir son indépendance, enfin, toutes les conneries des jeunes, quoi.
J’ramasse une ‘teille de rouge au comptoir, et j’la pose tranquillement à leur table.
« Hey, Rosaline, ‘fait un bail, ça va ? »
Elle me regarde en fronçant les sourcils très légèrement. Evidemment, elle se rappelle pas de moi, mais elle est polie et bien élevée, alors elle le dit pas.
« Mais si, Vrenn ! On s’est croisé à la fête de la Guilde, là ! Celle du mois dernier. »
Il se trouve que c’est vrai, et le déjà-vu lui confirme mes paroles en lui donnant une impression confuse. J’l’avais bousculée un peu gratuitement, mais elle se souvient juste que j’étais drôlement sympa et rigolo. Toujours important, une bonne première impression, et le but de l’objet, c’est justement que les orienter comme il faut. Elle m’adresse un large sourire.
« Oui, Vrenn, mets-toi là. J’te présente : Vrenn, du coup, un collègue aventurier de la Guilde. J’te présente les autres… »
Ouais, fais donc.
Elle lui avait proposé un petit verre, pour fêter sa reprise d’activité dans un autre secteur, avec des connaissances de son cru, des amis à elle, en très petit comité, et avec Joras, son mari. Alors bien entendu, la rousse n’avait pas refusé. Ce serait toujours plus sympathique que d’aller toute seule dans un endroit hasard.
La soirée n’était pas commencée depuis bien si longtemps que cela quand un brun rejoint leur table avec une bouteille en présent - à moins qu’elle ne soit exclusivement pour lui. Ce ne serait pas si étonnant que ça puisqu’il était aventurier. Mais ce n’était pas elle qui allait lui jeter la pierre s’il s’enfilait toute la bouteille. Rosaline, l’aventurière qu’elle n’avait jamais vue avant non plus, fit rapidement le tour de la table.
« Alors, y a Wilkin, l’est sculpteur. Sylvia et Joras, éleveurs de chevaux au nord-est de la capitale, et… Amaryllis, qui travaille pour la garde, c’est ça? » finit-elle par demander, pas encore bien sûre d’elle après les premières présentations, même si c’était tout à fait exact. La rousse sourit légèrement.
« C’est bien ça. Enchantée. » confirma-t-elle tout en levant légèrement son verre, avant d’en boire une gorgée. Apparemment, le brun et Rosaline se connaissaient pas tant que ça, à en juger par la réaction initiale de l’aventurière. Ça s'était lu sur son regard qu’elle était un peu perdue, et ça n’avait pas échappé à la rousse habituée à certains de ses hommes qui essayaient parfois de feinter. En vain. Mais une fois sa mémoire rafraîchie, elle avait l’air honnête. Alors maintenant, pourquoi Vrenn venait-il ici? Simplement venir s’amuser avec une de ses connaissances? Ce n’était pas Amaryllis qui allait s’en plaindre, surtout s’il semblait être prompt à la fête.
Bien entendu, une telle arrivée avait un peu coupé les discussions qui n’étaient de tout de façon pas des plus intéressantes. Dans tous les cas, c’est pas avec le sculpteur ou une aventurière qu’elle ferait des affaires, et Sylvia était pas encore assez cuisinée pour ça. Il fallait dire que ce bon vieux Keita, son cheval de guerre, avait déjà passé ses moments de gloire. Et la rousse n’allait pas se plaindre si elle pouvait en avoir un nouveau à l'œil, ou avec une bonne réduction.
« Du coup Vrenn, spécialisé dans un type de quête? Ou plus du genre aventurier polyvalent? » demanda-t-elle alors puisque personne à la table ne semblait plus connaître le bonhomme que cela. Après tout, elle verrait bien assez vite à qui elle avait affaire, même si à première vue, il avait l’air d’être ce genre d’aventuriers un peu fêtards et pas très disciplinés.
« Ou bien plutôt spécialisé dans les quêtes de picole au comptoir comme Rosaline? » lâcha Wilkin dans un rire gras, qui fut suivi par Sylvia et Joras. La blague semblait récurrente, et correspondait bien au stéréotype aussi. Amaryllis n’aurait clairement pas osé la faire, ni en rire ouvertement devant les deux concernés. Alors elle se contenta de hausser un sourcil avec un petit sourire en coin. Allait-il se défendre d’être un roi de la picole avec une bouteille entière en main?
Sculpteur et éleveurs de chevaux. Putain, si on m’avait dit que j’passerais une soirée avec ça… Si c’était pas pour le boulot, j’aurais déjà trouvé une excuse pour me lever et partir, avec ma bouteille de préférence. Ils m’auraient vite oublié, et j’aurais pas eu besoin d’écouter parler grain des vieilles carnes et grains des cailloux. Dans tous les cas, j’ai pas tellement le choix, alors j’plaque une expression vaguement intéressée sur mon visage en les saluant, avant de m’tourner plus franchement vers Rosaline, qu’est censée être ma pote, et Amaryllis, qu’est carrément ma cible.
« Spécialisé dans un type de quête… J’étais examinateur à la Guilde, avant. J’sais pas si vous savez, mais on gère tout ce qui est réception des demandes de quêtes, analyses, solvabilité des clients, toute la partie amont, quoi. Et, ensuite, toute la partie aval, à savoir facturation, compilation des rapports, recouvrement des dettes, tout ça tombe chez nous. »
J’me sers de ma bouteille, et j’regarde si les autres verres sont vides.
« Servez-vous, hein, au pire… ou au mieux, on en reprendra une. Dis comme ça, le boulot a pas l’air passionnant, mais il l’est plus qu’il en a l’air. Enfin bref, au bout d’un moment, j’ai décidé que le terrain, ça me ferait du bien, plutôt que de tourner autour. Après, j’fais plutôt dans les grosses quêtes, quoi. J’étais dans la Cité Enfouie, j’ai fait partie des heureux élus de la Citadelle des Tréfonds, aussi. Une belle saloperie, ça… Plus récemment, j’ai délogé un diable marin qui bloquait le Grand Port. »
J’fais un clin d’œil à la tablée, et plus particulièrement à Rosaline.
« Y’avait Jin Hidoru, dans l’équipe. Un sacré gaillard, surtout en maillot de bain. »
Tout le monde sait que son air de méchant garçon couplé à son corps de rêve laisse pas indifférente pas mal d’aventurières, et les aventuriers qui penchent de ce côté-là.
« Quoi ? Mais pas du tout ! S’exclame Rosaline. C’est juste que…
- T’inquiète, j’te charrie. »
Le sculpteur commence à taper dans ma bouteille. J’aurais préféré que ce soit la rousse. L’a pas intérêt à tout siffler. En plus, j’ai pris un truc assez au-dessus de la piquette de base, et le pôle espionnage est sacrément radin sur les notes de frais… Presque pire que Trovnik, chez les examinateurs de la Guilde. Presque, seulement, faut pas déconner non plus.
« Mais sinon, comme tous les aventuriers, j’ai une réputation à tenir, quand même. Après, vous savez ce qu’on dit : les aventuriers qui picolent, c’est ceux qu’en ont les moyens. Pas sûr que buriner du caillou rapporte autant, que j’rétorque en souriant. »
On rigole, on rigole, mais on va pas non plus me chier dans les bottes, hein ? Les quêtes sont putain de dangereuses, mais au moins, les cristaux sonnants et trébuchants suivent, ça serait bien de pas l’oublier. Et les aventuriers sont autrement plus menaçants qu’un artiste, raté vu sa dégaine, qui boit à l’œil.
« Et toi, Amaryllis, tu travailles pour la Garde ? Soldat, sergent, ou même… lieutenant ? Capitaine, j’m’en serais rendu compte, j’pense. »
Bon, j’sais bien ce qu’elle fait, c’est même pour ça que j’suis là. Reste qu’avec sa vision de son propre boulot, ça pourrait être intéressant. J’me demande si j’devrais appuyer dessus, en fonction de sa réponse, mais p’tet pas avoir l’air trop passionné… Faudrait pas qu’elle me redirige vers le bureau de recrutement le plus proche, quoi. Puis, surtout, j’fais malheureusement déjà partie de la Garde, à mon grand regret.
La Commission est pas un organe qu’est très sur le devant de la scène, donc devrait y avoir moyen de lui faire parler là-dessus.
Néanmoins, l’arrivée d’un examinateur de la guilde n’était pas vraiment un problème pour la rousse, cela ajouterait peut-être un peu de vie à cette première partie de soirée. Elle n’allait pas s’en plaindre.
« Ah, l’un des rouages de l’ombre qui fait tourner la Guilde. Pas ceux qu’on remarque le plus facilement en général, surtout dans les tavernes. » fit-elle remarquer avec un brin d’ironie dans la voix, avant de porter son verre à ses lèvres et d’en boire une petite gorgée. Il fallait dire que la réputation des aventuriers était encore pire que celle des gardes auprès des gens. Peut-être les plus heureux étaient encore les taverniers, et encore, avec les coûts du mobilier qui s’en retrouvait irrémédiablement détruit, ce n’était peut-être pas si rentable que cela. Enfin, ce n’était qu’une réputation et des rumeurs plus qu’un véritable état de fait. Dans toutes les troupes, les éléments étaient disparates et il fallait composer avec.
Enfin, un rouage de l’ombre, mais quand même un homme de terrain avec certains contacts. Si tirer ses ficelles jusqu’à la Guilde n’était pas particulièrement dans les intentions de la rousse, y avoir quelques contacts n’était, néanmoins, pas un mal. Alors, certes, ce n’était pas un conseiller de la Guilde non plus. Ca ne ferait pas spécialement de mal de rester en bon termes avec lui.
En attendant, ça se taquinait ici ou là dans une bonne ambiance, chacun prenant un peu ses coups. Certes, les Capitaines étaient assez connus, même si cela ne voulait pas dire qu’elle n’avait pas les compétences pour le devenir. Après tout c’était ce à quoi elle était initialement destinée dans sa famille. Jusqu’à ce qu’elle aurait pris la place de son paternel, mais cela n’était plus vraiment à l’ordre du jour.
« Je suis plus vraiment une personne de terrain. Mais plutôt quelqu’un qui travaille un peu en arrière plan de tout ça. Disons que c’est un peu un rôle inédit, une sorte de conseillère, pas vraiment pour le gouvernement mais plutôt directement pour la garde. Histoire qu’ils puissent mieux faire leur boulot. » répondit-elle alors, préférant rester en dehors des rangs et assignations de la garde. Elle était un peu trop fière pour se retrouver simple Sergente ou avec n’importe quel autre titre bidon de la commission. Son rôle n’avait pas vraiment de rang tant ses observations et ses conseils pouvaient se placer au niveau du simple soldat comme à celui du Commandant ou du Ministre des Armes.
« Disons une sorte de conseillère indépendante qui vient aider à réformer l’institution. Puisque ladite institution a notamment de petits problèmes de protection rapprochée, dernièrement. » fit-elle remarquer en levant les yeux au plafond tout en haussant un peu les bras. Ses références qu’elle évoquait ici n’étaient secrètes pour personne. Même si la Régulière de la Capitale savait se faire assez discrète, les Gardes Royaux et le Régiment Sud faisaient beaucoup parler d’eux dernièrement. Pour des raisons diverses et variées.
Elle ne développa pas plus que ça le sujet, principalement parce-que si elle disait à voix haute au premier péquin venu ce qu’elle avait exactement prévu, ses actions n’auraient aucun effet. Bien que, suite à l’une de ses collaborations récentes, elle n’aurait à priori pas trop de mal à savoir où frapper et comment frapper pour obtenir de bons résultats. Plus elle resterait silencieuse sur les méthodes, plus elle garantissait sa place et ses talents.
« Pfouah, c’est bien compliqué tout ça. » lâcha le sculpteur dans une indifférence générale. Amaryllis n’en avait pas grand chose à faire d’un sculpteur à vrai dire. Là où Sylvia et Joras, eux, étaient formés au dressage de montures de guerre et pouvaient faire de bons partenaires ou bien de bons intermédiaires pour obtenir des informations sur les Tylwaen maintenant que la rousse ne faisait plus partie de leur cercle.
S’adossant un peu plus, jambes croisées, elle termina son verre tranquillement avant de jeter un coup d'œil à cette fameuse bouteille. Elle l’avait vu sur la carte, et clairement ce n’était pas la moins chère du lot.
« Merci bien en tout cas, je vois que monsieur a l’air de s’y connaître un minimum en la matière. » déclara-t-elle en la prenant et se servant un petit verre à son tour. Après tout, si c’était si gentiment proposé, elle n’allait pas s’en plaindre. Même si les finances d’un verre n’était pas vraiment un souci pour elle. La rousse n’avait pas négocié son solde à la légère, mais ça aussi, ça resterait un secret.
« Mais du coup, t’étais à la Cité Enfouie, tu disais? C’était organisé un peu n’importe comment, non? Avec en plus les lunettes de jour qui fonctionnaient mal. Ça n' a pas dû être une partie de plaisir. » enchaîna-t-elle alors, tant un témoignage en direct pouvait toujours nous en faire apprendre un peu plus que les rapports pas toujours complets qui étaient remontés jusqu’au Palais. Rapports qui occultaient parfois quelques dysfonctionnements flagrants pour pas que certains responsables ne se voient passer un savon. Et avec l’arrivée de phénomènes dangereux de temps en temps et la nécessité de rassembler des équipes d’intervention, c’était typiquement un domaine sur lequel la rousse pouvait agir. Et vu d’où tout cela partait, autant dire qu’il y avait un certain nombre de pistes d’améliorations. Puis, si elle était vraiment curieuse, rien ne l’empêchait de jeter un petit coup d'œil dans lesdits dossiers. Histoire de pouvoir croiser à quel point les informations remontaient bien, entre un participant direct et la paperasse. Ça donnait une bonne idée du niveau de corruption du dispositif...
« Marrant, que tu dises que les examinateurs ont l’air de moins faire la fête que les aventuriers. J’dirais pas qu’on avait une moins bonne descente. Mais on se remarquait moins. C’est sûr que le gars qui se pointe, coûturé de cicatrices, un bras dans le plâtre et une jambe qui manque pour flamber une énorme bourse de cristaux, ça se voit davantage que le travailleur en col blanc, si j’puis dire, qui brûle sa paye tous les soirs à la taverne. »
Du coup, ça rejoint l’idée de discrétion. Puis on avait nos coins à nous, les examinateurs, pour décompresser après une dure journée sous la houlette de Trovnik. Sans même parler de la production locale de Gégé, ça ça t’en foutait un coup derrière la nuque, le genre où fallait plutôt attendre la fin de semaine pour se faire plaisir.
Au-delà de la discussion, qui se fait bien, j’me demande aussi comment j’vais faire pour me débarrasser des clampins. Ça serait bien qu’ils aillent voir ailleurs si on y est, enfoncer leur bras dans leurs canassons et casser des petits bouts de cailloux pour les suçoter, à défaut d’être un artiste à succès. Mais Tylwaen commence à parler de son boulot, celui qu’elle fait maintenant, alors c’est le moment d’avoir l’air passionné, même si j’sais déjà tout.
C’est toujours intéressant d’avoir la vision des gens sur leurs propres activités, après tout.
« Du coup, l’idée, c’est d’intervenir comme mercenaire au sein de la Garde pour leur donner un coup de main ? C’est pas déjà le boulot des instructeurs, ça, de former la nouvelle génération ? Enfin, j’suppose que le salaire est meilleur comme ça, et ça évite d’aller expliquer aux capichefs que leurs méthodes ancestrales sont daubées et qu’ils pourraient faire mieux, hein ? »
Faut la mettre dans un bon état d’esprit.
« Ouais, j’ai entendu parler, pour Reine. Sacrée histoire, heureusement qu’il lui est rien arrivé, pas vrai ? Enfin, pas sûr que ce qui se passe là-haut, dans les tours du Palais, nous concerne réellement, à bien y réfléchir… Trop loin de nos vies, ou de la mienne, en tout cas. Mais du coup, comme ça se fait que la Garde t’a recruté pour faire ça ? J’pensais qu’ils étaient assez rétifs à tout ce qui venait pas de leur précieuse académie. Enfin, c’est ce que j’avais entendu dire, quoi… »
Pour le coup, c’est pas tellement faux : les conditions sont assez drastiques au-delà de ma situation personnelle, pour rejoindre sur le tard. J’suppose qu’ils préfèrent attraper des jeunes encore malléables pour leur bourrer le mou avec des histoires de patriotisme et de grandeur des institutions. Ils essaient de faire la même à la Guilde, mais bon, les types se pointent une fois par mois pour chopper une quête et repartir, alors la culture d’entreprise, on repassera.
J’me reprends un verre, et j’oublie sciemment de servir les autres invités pour remettre une liche chez ma rouquine. P’tet pas très subtil, mais s’ils pouvaient tout aussi peu subtilement se barrer, ça ferait mieux mes affaires. En plus, ils essaient de couper la conversation depuis tout à l’heure, ça m’empêche de faire mon boulot, c’est emmerdant. J’me demande si j’devrais aller davantage dans la confrontation…
« Ouais, j’ai fait des quêtes assez dangereuses, mais j’ai toujours eu suffisamment de bol pour m’en sortir. Pas que de la chance, ‘videmment. »
Sourire en coin. Avec mon palmarès, y’a clairement pas de quoi rougir : j’pourrais être Saphir si, suite à une erreur administrative qui m’arrange bien, le titre était pas tombé chez Maman. Varia Indrani, V. Indrani dans les papiers, ils ont fait l’erreur bête. J’dois dire que j’ai bien rigolé quand j’l’ai appris : Saphir m’aurait mis un peu trop en vision, et rien que d’imaginer sa tronche quand elle a eu la nouvelle avec sa petite étoile… Puis elle va pas se mettre à faire des trucs périlleux pour autant, ça restera pépère pour elle. Juste du prestige en prime.
« La Cité Enfouie, c’était assez le bordel, ouais. Les lunettes de jour, une sale histoire. J’en ai eu qui marchait, moi, le coup d’bol. Mais un collègue en a eu des foireuses, et il est mort ensuite. Bon, il était particulièrement con, le genre à pas vouloir utiliser son pouvoir alors qu’il devrait, mais reste que le matos était défectueux. »
Fana de Kwin, il s’appelait, je crois. C’était y’a trop longtemps, et il était pas bien intéressant, c’était une p’tite raclure, quoi.
« On a jamais su pourquoi c’était aussi pourri, d’ailleurs. En y repensant, y’a pas eu tant de pertes. Enfin, il me semble ? J’étais déjà bien content de m’en sortir : y’a un des wardän qui nous est tombé dessus, mais on s’est enfui. Fallait ce qu’il fallait. »
Puis j’étais à poil à l’époque. Il m’aurait arraché la tête direct.
Drôle de coïncidence qu’il ait d’ailleurs utilisé le mot de mercenaire pour qualifier son travail. Un mot qui aurait peut-être pu passer inaperçu s’il n’était pas si connoté à ses oreilles. Elle ne se souvenait pas s’être qualifiée elle-même de mercenaire ni ne se souvenait avoir été appelée comme telle devant lui. Le terme n’était pas complètement faux pour autant, mais elle se voyait un peu obligée de le corriger sur ce point.
« C’est pas vraiment du mercenariat, ou alors une sorte de mercenariat administratif, ce serait un peu étrange. Puis l’idée c’est bien plus d’agir sur les méthodes de fonctionnement que sur les compétences individuelles. Mais bon, je vais pas entrer dans les détails plus que cela. Déjà parce-que tout le monde ici trouverait sûrement ça chiant, et ensuite parce-que y a quelques choses qu’il vaut mieux garder secrètes. » répondit-elle, même si pour le moment elle n’avait pas de grandes informations confidentielles, elle avait tout de même accès, ou allait avoir accès, à des rouages qui feraient mieux de ne pas être exposés au public.
Néanmoins le brun a l'air pour le moins direct, à s’imposer ainsi. Non pas qu’elle ne s’en plaignait plus que ça, il a l’air d’avoir bien plus d’informations que les autres. Il a même l’air de ne pas spécialement s’intéresser aux autres, même à sa copine aventurière d’ailleurs. Amaryllis aurait pu les croire un peu plus soudés que ça, surtout qu’elle était sa seule connaissance à la table, mais bon, elle n’en avait pas grand chose à faire de comment les aventuriers se côtoyaient.
« Enfin, salaire ou pas, y en a qui sont vraiment attachés à leurs petites habitudes ou leurs petits avantages, aussi stupides soient-ils. Et clairement ils n’hésitent pas à le faire savoir même quand tu fais que contrôler et vérifier comment les choses marchent. » déclara-t-elle ensuite, n’étant pas spécialement après les cristaux. Tant qu’elle ne vivait pas comme une bouseuse, elle n’avait pas spécialement besoin de plus. Elle chassait un autre genre de but de son côté, même si celui-ci coïncidait avec une paie qui était loin d’être négligeable. Le pouvoir et les responsabilités, ce genre de choses ramenaient bien des cristaux à la maison. Mais là encore, elle n’allait pas le dire haut et fort.
« Ce qu’ils font nous concerne pas vraiment simplement parce-que tout est stable dans le Royaume, tout le monde vit sa petite vie dans son coin. Mais si quelque chose vient perturber tout ça, c’est là où ça va commencer à nous affecter. Et je doute pas que les gens réagissent mieux que les gardes que je côtoie face à la moindre perspective de changement... Donc heureusement qu’il ne lui soit rien arrivé. Ca aurait eu des répercussions assez graves sur le Royaume. Même si l’héritier, pour l’avoir rencontré, a l’air de savoir ce qu’il fait. Tout ça ne se retrouvera pas entre de mauvaises mains. » déclara-t-elle alors, tandis qu’elle ne tarda pas à être coupés par ses compagnons à moitié émerveillés qu’elle ait rencontré une personne si importante. La rousse soupira légèrement, même si elle pouvait comprendre cet engouement pour la royauté, ce n’était toujours que des êtres humains. Pas des demi-dieux ou elle ne savait quoi. Mais bien des gens avec des faiblesses et des qualités.
« Puis j’ai simplement proposé mon aide et elle a été acceptée, c’est aussi simple que ça. Le contexte s’y prête assez bien, puis, c’est le signe que y a du travail à abattre histoire de rendre tout le royaume plus sûr. » ajouta-t-elle simplement pour répondre à sa question. Bien entendu, les résultats étaient tout ce qui comptait, peu importait les méthodes qu’elle utilisait pour les obtenir. Klarion n’était après tout pas aussi maléfique que tout le monde le criait - sinon la Reine ne serait pas revenue saine et sauve de leur petite entrevue à l’époque. Même si les objectifs de l’éco-terroriste étaient pour le moins étranges.
En tout cas si ils avaient envoyés quelqu’un d’assez stupide pour ne pas utiliser ses capacités, c’était bien la preuve qu’ils y avaient ramené tout ce qu’ils avaient trouvé dans la rue pour faire le boulot. Un miracle qu’il n’y ait pas eu plus de pertes que ça d’ailleurs.
« Et c’est toujours aussi bordélique ce genre d’expéditions? Je suppose que la récompense est pas horrible non plus. » demanda-t-elle alors histoire de rester un peu sur le sujet. Les documents étaient une chose, mais avoir les informations d’un des participants directement était tout aussi intéressant. Cela permettrait aussi d’avoir son avis, puisque pour le moment il avait abordé sa manière de répondre avec une certaine nonchalance. Comme si ce n’était pas si intéressant que ça, alors qu’il avait l’air bien plus captivé quand elle parlait d’elle.
Clairement, elle avait ce petit feeling qu’elle l’intéressait. Maintenant, avec les autres, pas moyen d’aller bien plus loin que ça sans avoir les pires rumeurs derrière soi. Les quatre fantastiques à côté n’avaient pas vraiment l’air de savoir tenir leur langue. Même s’ils avaient un peu commencé à parler entre eux. Au pire, à part l’aventurière, ils n’avaient pas vraiment l’air d’être du genre couche-tard.
Elle a une vision des choses où pour elle, c’est pas du mercenariat, pasque c’est en rapport avec la paperasse. Pourtant, Amaryllis se pointe un beau jour, elle intègre pas les rangs, et elle donne son opinion partout. Marrant. Même moi, j’me vois quasiment comme un mercenaire pour les espions, alors que les barreaux de la cage se sont refermés derrière moi après que j’sois entré, mais c’est aussi en rapport avec le fait que j’puisse pas vraiment ressortir, contrairement à elle.
« Ouais, t’inquiète, les rouages internes et secrets de la Garde, j’pense qu’on va achever de perdre nos artistes, là… Quoique, du coup, t’es sûre tu peux pas ? »
Sourire en coin pour marquer la blague qui n’en est une qu’à moitié.
Après, j’doute qu’elle puisse me fournir des informations sur la Garde dont j’puisse pas disposer normalement, mais c’est sûr qu’il faut p’tet pas aller tout raconter à nos camarades de tablée. Rosaline me jette un regard en coin, puis le fait glisser vers la rouquine avant de revenir vers moi avec un pétillement. Je hausse un sourcil. Elle doit croire que j’essaie de pécho. Bon, au moins, elle a déjà son histoire toute prête. Comme dirait un grand sage, faut pas mélanger pro et perso. Et moi, j’ai toujours été un sale gredin.
« J’suppose que comme toutes les vieilles institutions, la Garde est un peu paralysée par ses habitudes, surtout que ça roule pas trop mal. Les gens préfèrent rester dans leur confort, donc au-delà de décider de quoi modifier, faut aussi les accompagner dans le changement ? Clair que quand il s’agit de modifier toutes les fiches de missions de la Guilde, ça grince des dents aussi… Mais c’était pas arrivé de mon temps. J’sais juste que y’a eu une grève générale des Examinateurs dans les années 950, là. Et en échange, ils ont eu droit aux frites à volonté le vendredi à la cantine, et une demi-bouteille de vin. »
En tout cas, c’est ce que dit la légende. J’suis pas allé fouiller dans les procès-verbaux de l’époque pour voir quand est-ce que cet avantage, non, acquis social des honnêtes travailleurs, a été institutionnalisé.
J’m’arrête quelques secondes, et j’nous ressers. La bouteille arrive sur la fin, et j’jette la dernière goutte dans le verre déjà pas vide du couple pas intéressant.
« Allez, vous nous ferez bien un gamin dans l’année. »
Hésitez pas à y aller tout de suite. Ils réagissent avec un petit rire pas gêné qui donne l’impression qu’ils y travaillent déjà avec application. J’plains le mioche mais il se rendra p’tet jamais compte à quel point ses darons sont chiants, ce qui serait déjà un miracle.
« Ouais, si tout s’arrête de rouler, j’sais pas trop qui mettra de l’ordre. P’tet le roi, p’tet le prince. Tu dis qu’il a l’air pas mal ? Moi, j’ai surtout entendu dire que la dernière fois qu’il est sorti de sa chambre, on était encore au millénaire précédent. »
Certes, ça fait qu’un an et demi, mais, hé, l’image est belle.
« Après, pour moi, le système continuera juste pas inertie. J’pense pas que y’ait de grandes décisions qui soient prises, à quelque niveau que ce soit. J’suppose que l’enjeu, c’est nous faire croire l’inverse et qu’ils sont irremplaçables, mais j’ai du mal à en être convaincu… Puis si ça devient vraiment le dawa, de mon côté, j’sais que j’vais m’en sortir, j’m’en fais pas pour ça. »
Entre les différentes vies que j’ai menées et mes contacts à droite à gauche, j’tirerai toujours mon épingle du jeu, j’en suis sûr, surtout sur le fil du rasoir, quand l’adrénaline se met à circuler à balles.
« Mais du coup, tu t’es pointée juste comme ça, t’as traversé la rue et en fait c’était bon ? C’est trop marrant, ça, j’devrais p’tet tenter ma chance, ils ont sûrement besoin d’un expert en, euh… monstres divers ou quoi. Un type du terrain, pas un gratte-papier des archives royales, ou un zoophile-zoologue. »
Ça la foutrait mieux si j’étais saphir, mais j’ai toujours pas demandé à résoudre l’erreur administrative qui a fait de maman la dernière élue en date. D’une, j’trouve ça très très drôle. De deux, j’veux pas spécialement arriver dans le feu des projecteurs. J’préfère rester anonyme, pour le turbin.
« Les grandes expéditions officielles, genre la Cité Enfouie, c’est le souk, ouais, y’a pas à dire. Le Royaume râtisse large et envoie le tout au casse-pipe. Y’a une histoire de rêve, aussi, de trouver un artefact rarissime qu’on pourra revendre, généralement à la Couronne, à prix d’or. On se retrouve affecté à des p’tits groupes, un peu au pif sauf si on a déjà une équipe constituée, et après, c’est chacun sa merde. »
Ouais, chacun sa merde, c’était un bon résumé.
« Mais la paye est diablement bonne, carrément. Les comptables sont généreux, y’a pas à dire. Ils doivent se retrouver avec quarante-sept fois la même babiole, mais ils rachètent tout pour les étudier ensuite. On sait jamais ce qu’ils en tirent, mais nous, on récupère les cristaux, ça, c’est certain. Et, finalement, c’est aussi ça, les quêtes, on intervient sur un point précis, on encaisse, et la vie suit son cours. On peut pas tout savoir, quoi. »
Enfin, sauf si on fourre son gros tarin partout, évidemment. Et on n’est pas non plus obligé de déclarer tout ce qu’on trouve au Royaume, même s’il fronce très fort les sourcils, comme c’est le cas pour mon gantelet d’assassinat. Puis, au final, si c’est pour leur refiler des trucs et les trouver derrière au marché noir, comme tout le matos wardän qui équipe la majorité des espions, franchement, ça valait pas le coup. Mais y’a des chercheurs et artisans qu’ont dû faire une belle plus-value, m’est avis.
D’un geste, j’commande une autre bouteille pour remplacer sa grande sœur, tombée au combat. Et j’échange un nouveau regard avec Rosaline, puis j’lui montre discrètement les autres couillons. Hé, une camarade de la Guilde, elle va bien rendre service à un collègue qu’essaie de se ménager un moment en tête à tête, non ?
« Oui, la Commission m’a assez rabâché les oreilles avec ça. Et de tout de façon, quel intérêt d’en parler? Ça va pas plus changer la vie du peuple que ça. »
La rousse haussa les épaules, balancer des secrets n’avait d’intérêt que si la transaction restait discrète et qu’elle y gagnait quelque chose en échange. Mais là, dans une taverne presque pleine au milieu de pleins de témoins sûrement prêts à balancer la moindre infraction, c’était tout à fait une idée de merde. Et Amaryllis faisait pas assez confiance à ces gens pour ça.
« J’suppose que si ça peut les empêcher de râler ce sera la première chose que je leur filerai. »
Un ton ironique, histoire d’un peu rabaisser la conversation au niveau d’une discussion de soirée. Après tout, elle était pas en face d’un Capitaine ou d’un royal donc bon. Les aventuriers étaient pas connus pour être des types très coincés en général. Le temps de reprendre une gorgée de vin alors que le brun s’intègre au petit groupe. Ils sont un peu laissés de côté mais ils sont assez grands pour parler un peu d’eux-mêmes.
« A part bosser et dormir il fait pas grand chose, apparement. P’t’être qu’il est différent avec sa famille. J’en sais trop rien, je l’ai vu qu’une fois de tout de façon. Mais clairement c’est pas ici que tu risques de le croiser. »
Elle désigna du regard les alentours, l’endroit restait indigne de la royauté même s’il était loin d’être mal famé. Assez propre, pas trop le genre d’endroit qui partait dans des bastons générales de poivrots, à priori. La décoration était assez chic sans être hors de prix. Mais cela ne faisait pas trop de doutes pour Amaryllis que même la taverne la plus chic de la ville ne verrait pas le prince de si tôt.
Elle n’était pas si étonnée que cela que les aventuriers puissent s’en sortir en pleine anarchie. C’était certainement les mieux adaptés pour ça. Le pire serait sûrement si l’absence de pouvoir attirait tous les rapaces du royaume et que la chose finissait en guerre civile. Mais bon, on en était pas là, avec la royauté bien en place même si certains s’inquiétaient parfois un peu trop des héritiers du royaume.
« J’suis passée par pas mal de rendez-vous et autres réunions avec des types de la Commission ou des agents du Royaume, donc je me suis pas pointée non plus comme une fleur et j’ai été acceptée directement. Mais bon, ouais, techniquement c’est pas un poste qui existait avant. Y a toujours moyen de se faire une place, tant que y a un besoin. Peut-être qu’ils auraient aussi besoin d’une autre approche pour les bestioles, j’en sais trop rien. Enfin, je viens d’une famille noble, après, ça doit aider. »
Une famille noble en froid avec le Royaume, mais noble quand même. Forcément que ça avait attiré quelques soupçons mais vu comment Amaryllis s’était entièrement détachée de sa famille après les derniers évènements ce n’était pas étonnant de la voir “passer à l’ennemi”.
Tout ça pour qu’elle puisse s’intéresser au détournement de reliques et au blanchissement des objets magiques ancestraux récupérés lors de ces événements spéciaux. Non pas qu’elle allait forcément agir sur ce point, d’autres choses plus pressantes avaient besoin de son attention. Mais c’était toujours bien de connaître ce genre de combines pour pouvoir ou en profiter, ou bien ramener un peu plus de problèmes sur la table pour lui laisser un peu plus de libertés. Après, la paie était officielle et bien évidemment que Vrenn n’allait pas lui balancer tous les potentiels travers illégaux qui pouvaient avoir lieu à ces moments. Tout comme Amaryllis n’allait pas forcément tout lui balancer non plus.
« J’suppose que comme pour les quêtes des aventuriers, plus c’est risqué plus c’est payé, c’est normal. Enfin, ça m’a toujours étonné qu’envoyer des types un peu au pif dans ces endroits dangereux soit une stratégie assez viable. »
Mais bon, clairement, les aventuriers devaient se faire leur beurre avec cette politique de laissez-faire à ce niveau. Même si au final Amaryllis s’en fichait pas mal de ce qu’ils pouvaient se mettre dans la poche. Ce n’était pas ses cristaux mais ceux du Royaume. Ils pouvaient bien les balancer où ils le voulaient.
Elle haussa un sourcil alors qu’une nouvelle bouteille de vin arriva sur la table suite à une commande de l’aventurier. Visiblement, il était pas contre le fait d’arroser la soirée à ses frais. Amaryllis n’allait clairement pas s’en plaindre. D’ailleurs, un petit geste de Vrenn et Rosaline, l’autre aventurière, commença à trouver des excuses à la con pour un peu écarter le groupe de la table, genre, aller prendre un peu l’air. Un comportement qui n’échappa pas vraiment à la rousse.
« En tout cas j’vois que les aventuriers et la vinasse, c’est pas une légende. Non pas que je m’en plaigne. »
Clairement, elle n’allait pas râler, terminant d’ailleurs son verre quasiment vide d’un coup. L’idée était de pas finir raide morte, mais de quand même passer une bonne soirée. Alors oui, les blagues sur les aventuriers et la picole, c’était du déjà vu et du déjà fait.
« Tu dois connaître un bon paquet de gens à la guilde du coup j’suppose? Pas que Rosaline, mais aussi certainement des conseillers, ou quelques saphirs? »
Paraît que y’a la Garde Royale qu’est faite pour protéger la royauté. Force est de constater qu’ils sont pas hyper impressionnants dans leur boulot, vu que la patronne a été kidnappée. Vrai qu’ils font davantage dans la purge indiscriminée, de ce que j’avais vu de leur capitaine. Pour peu qu’il déteigne sur les autres, on va se retrouver avec une armée de tueurs sanguinaires dans pas bien longtemps…
Après, si ce serait un mal, c’est pas à moi d’en juger. Sbire je suis, sbire je reste.
En tout cas, elle est pas rentrée comme une lettre au relais postal. Les rouages de la Commission sont parfois opaques, faudra p’tet que je le signale aux patrons. M’enfin, eux doivent voir ce qui s’y déroule et ont juste pas jugé utile de m’en informer. Difficile de leur en vouloir, savoir qui signe les papiers de la Commission, c’est pas forcément dans mes attributions, et si y’avait eu une vraie anguille sous roche, j’me dis qu’on m’aurait briefé plus en détail sur le sujet.
« Ouais, nan, j’suis pas trop ambiance famille noble. Une fois, j’ai eu une copine noble, on est allé chez ses vieux. Des dégénérés de l’Archipel, c’était. Complètement timbrés, si j’puis m’permettre. Ah ça, ils ont passé trop de temps en famille, pour ça que la p’tite s’était barrée loin d’eux et de leur monde matrixé, là. »
Ouais, la famille de Xylia, si j’avais eu la même, j’me serais p’tet même engagé dans la Garde aussi, au lieu de mon autre carrière. C’est dire à quel point c’était important de partir loin, très très loin. Mais j’suppose que tous les gens qui vivent dans un microcosme extrêmement restreint sont comme ça, à prendre des taupinières pour des montagnes et à faire un drame du moindre petit accident qui leur arrive. Puis la noblesse, quoi… Enfin, j’vais pas trop cracher, ça vexera p’tet ma nouvelle copine.
« Mais en ce qui concerne les monstres, j’suis plutôt volet extermination que connaissances ou apprivoisement, pour être tout à fait honnête. Du coup, malheureusement, le Royaume a davantage de chances de s’dire que ça roule déjà bien avec la Guilde et que c’est pas la peine de prendre des gens en interne pour ça. »
C’est quasi-certain, même. Pas la peine de se faire chier à payer quelqu’un en interne pour juguler une organisation semi-anarchique qui a pour rôle de réguler les populations de monstres. P’tet que des gardes forestiers royaux, ça marcherait mieux ? Mais le changement de paradigme serait tellement grand que y’a aucune chance. Et puis la Guilde fait aussi dans les trucs divers et variés, pas que le dézinguage, et ça, faut bien des gens pour s’y coller. Bref, pas de possibilité de planque pour moi, surtout que, de toute façon, j’suis déjà condamné à bosser pour le Royaume, pour une somme dérisoire.
J’ai fait une mauvaise affaire, par rapport à Amaryllis, j’ai l’impression.
« Ouais, généralement, le barème, c’est que plus c’est dangereux, mieux c’est payé. Mais y’a pleins de facteurs qui rentrent en compte : combien le client peut raquer par rapport à ce qu’il demande, combien y’a d’aventuriers sur le coup à se partager la prime, les éventuels extras à côté… Quand j’étais examinateur, c’était assez détaillé, j’ai plus tout en tête. Globalement, si on retrouve les chats des mamies dans la Capitale, c’est dur d’avoir à bouffer tous les soirs. Par contre, une quête du côté de la Frontière, ça peut permettre de vivre plusieurs semaines sans lever le petit doigt, et comme un prince en prime. »
J’fais tourner le pinard dans mon godet. J’suis au-delà du moment où j’goûte avec attention, surtout que j’suis pas mal distrait par la rousse plutôt très bien avec laquelle je discute, mais c’est pour le boulot, v’voyez. J’devrais demander des missions du genre plus souvent, p’tet, mais uniquement sur présentation préalable d’un cadre magique avec une image.
Enfin, j’choisis pas mes missions, de toute façon…
« Après, la stratégie marche pasque les aventuriers sont des sacrés casse-cou et casse-couilles. Y’en a qui sont clairement inaptes à une autre forme de travail. »
J’vide mon verre quand la nouvelle bouteille arrive.
« Ouais, j’connais Varia, une des dernières Saphirs en date. »
C’est ma maman, qu’a eu une promotion quand les examinateurs se sont emmêlés les pinceaux sur les initiales. V. Indrani, ils ont cru que c’était elle et m’ont oublié. Ça fait bien mes affaires, alors j’ai rien dit, puis c’est rigolo de la voir devenir Saphir sans savoir pourquoi, alors qu’elle a jamais fait que des missions relativement pépère : j’le sais, j’ai lu son dossier.
« Y’a aussi Carciphona Ixchel, avec sa loutre Ka’Will. Un sacré brin de femme. On a fait plusieurs quêtes ensemble, justement. Jin Hidoru, bientôt Saphir si j’dis pas de bêtise, est un sacré morceau aussi. On a vidé le port du diable marin qui le hantait, y’a pas si longtemps. Puis après… Y’a Jack Whiskeyjack Callahan, un collègue examinateur devenu Conseiller de la Guilde, depuis. Lui, l’est plutôt connu. C’est tout, pour le tour des têtes d’affiche. Après, y’en a d’autres, mais bon… On se retrouverait avec une liste longue comme le bras et pas hyper intéressante. Et toi, t’as des gens importants, du côté noble ou du côté Commission ? »
J’la ressers généreusement : ça serait dommage qu’elle ose pas me raconter des trucs, après tout. Et j’me sers autant, pour pas avoir l’air d’un prédateur.
Quant aux affaires des aventuriers, elle s’y intéressait plus par principe qu’autre chose mais leur remplacement par un corps officiel du Royaume n’était clairement pas à l’ordre du jour. Ils garderaient leur petite niche tranquille encore un bout de temps, Amaryllis n’en doutait pas. Et même si quelques changements pourraient peut-être les affecter, ils seront sûrement assez mineurs. Dans tous les cas, Vrenn n’aurait pas à craindre pour ses activités.
Comme il le disait, il y avait aussi de sacré cas chez les aventuriers, et si la garde se devait de collaborer avec la Guilde, peut-être établir quelques informations sur les plus aptes à ce genre de travail commun. Parce-que le but n’était pas d’uniquement goumer de la bestiole, mais aussi d’aider la population locale.
« Ouais, mais le Royaume continuera sûrement de faire appel à des aventuriers pour des tâches moins urbaines, et collaboration avec la garde si nécessaire. Ça risque pas de changer, ça. »
Après tout, les experts, on allait les chercher là où on savait les trouver. Et Amaryllis écouta avec un peu plus d’attention ce qu’il lui racontait sur ses contacts. Du beau monde, saphirs ou aventuriers renommés, ou encore conseiller de la guilde. C’était pas si mal de pouvoir leur dire qu’on connaissait un type en commun et qu’on s’intéressait à leur travail. Et qu’on avait déjà pu discuter de quelques problématiques ici ou là. Pour ne pas passer pour un type de la Commission lambda qui connait que la paperasse. Même si ce n’était pas quelque chose qu’elle sera capable de faire, même si elle était loin de s’en douter.
Amaryllis croisa les jambes, s’installant mieux dans le dossier de la chaise. Elle n’allait pas s’en plaindre, la vinasse était plutôt de qualité et la discussion pas inintéressante.
« Pas grand grand monde de mon côté malheureusement. Je viens tout juste d’arriver, après tout, et ma vie d’avant ne me laissait pas vraiment avec beaucoup de contacts côté garde ou royauté. Absolument aucun, même, en fait. »
Laissant planer un court silence, elle en profita pour relever son verre, examiner brièvement la robe du breuvage. Relevant ensuite son verre tout en reportant son regard vers l’aventurier, elle en prit une nouvelle petite gorgée.
« Et même d’avant, on va pas dire que je suis vraiment partie en bon termes ni avec beaucoup d’alliés. Autant dire que je suis un peu seule, mais bon, les relations, ça se cultive et ça se développe. Même si la guilde est pas dans mes priorités, c’est toujours sympa de savoir qui pilote tout le navire. Et qui trouver si on a des propositions ou des demandes. »
Et si ça valait pour la guilde des aventuriers et bien entendu la garde et la hiérarchie du royaume, techniquement cela fonctionnait dans tous les milieux. Du moins tous les milieux qui pouvaient lui apporter un avantage quelconque dans ce qu’elle faisait. Et les gens ne se hissaient pas à leurs positions sans supports. Et c’était peut-être ce qui lui manquait le plus actuellement.
« Après, ça a l’air de faire un sacré bout de temps que t’y est. Moi ça fait à peine un mois, je peux pas encore connaître grand monde. Mais ça reste toujours mieux de pouvoir discuter avec quelqu’un d’idées que de devoir lui pondre un rapport papier de cent pages. Même si t’as peut-être dû connaître ça, en tant qu’examinateur. »
La paperasse. Quelque chose qui ne lui faisait pas plus peur que ça, à Amaryllis, mais qui n’était pas aussi bénéfique que ça. Même si des rapports soignés étaient faits, ils n’étaient pas toujours intégralement lus, et cela n’aidait pas forcément à se rapprocher des gens, gagner leur confiance, ou effectuer quelques manigances discrètes.
« C’est sûr que la Guilde, y’a de tout, le meilleur comme le pire. Et quand y’a besoin d’aller au fond de la Grande Forêt, ou se coltiner les coins les plus pourris des montagnes, c’est plutôt sur elle qu’on compte que sur la Garde. Encore que le Blizzard se défend à peu près, de ce que j’ai entendu dire. Un peu normal, vu qu’ils gardent la Frontière, m’enfin… Reste que les tâches spécifiques, ouais, c’est chez nous. »
Quand elle se recule et croise les jambes, j’dois retenir un haussement de sourcil appréciateur. Hé, j’suis qu’un homme, après tout. Elle dit qu’elle connaît pas grand-monde, mais c’est toujours un peu faux. J’sais qu’elle minimise vachement, mais après, c’est normal de garder ses cartes près du corps, et de pas trop se la péter. Même si la Commission, c’est pas ceux dont t’entends parler dans les rues, ça reste quand même des gens d’influence, et qui peuvent changer pas mal de choses pour la Garde. Ça met du temps, mais ça peut redescendre ensuite sur le tout-venant derrière.
« Même la noblesse ? Genre, protéger les riches contre les pauvres et les autres riches qui veulent leur dérober leur fortune, tous ces trucs-là… Doit bien y avoir eu des trucs, nan ? Ou des marchands, j’suppose, qui devaient protéger leurs convois et revendre ailleurs dans le Royaume… »
Bon, inutile de dire que j’suis déjà au courant d’une partie.
« Ouais, c’est sûr que c’est plus dur après de garder contact quand la fin était pas top. Si jamais tu veux en parler, à l’occaz, ou après une autre bouteille, j’garantis pas de m’en rappeler le lendemain. »
Je hausse les épaules.
« Yep, connaître les bonnes personnes, c’est souvent ce qui fait la différence entre se garder sa merde chez soi et douiller pour s’en débarrasser, ou contacter la personne qui saura exactement faire ce qu’il faut. J’suis pas parti en mauvais terme des examinateurs, mais rien que ne plus y être, j’vois bien que c’est plus comme avant. Bon, évidemment, si y’a un gros souci, j’sais qu’ils me fileront un coup de main, mais… Mais d’un autre côté, j’ai aussi davantage de liens avec les aventuriers, et y’en a qui sont vachement plus sympas que les rapports pourris qu’ils écrivaient ne le laissent penser. Ecriture de cochons, fautes partout, phrases sans queue ni tête… On avait nos bêtes noires, côté examinateurs, c’est clair.
Du coup, ouais, la Guilde, ça fait genre une quinzaine d’années. J’en ai vu défilés, des gens, dans tous les services, et j’en ai vu passer, des aventuriers. De là à dire que j’suis connu et qu’on se serre les coudes, y’a qu’un pas… »
Que je franchirai pas : ils se souviendront pas de moi, dans tous les cas. Mais Amaryllis a pas besoin de le savoir, ça. Elle mettra son flou de la soirée sur le compte de l’alcool, probablement, si on garde pas contact quelques temps le temps que mon souvenir s’imprime un peu plus avant dans son cortex.
« Les rapports papiers, ouais, c’est une porte d’entrée ou de sortie, parfois. J’en ai pondu un paquet, ça fait aucun doute. Mais il faut ce qu’il faut, et garder une trace écrite dans certains cas. On peut pas toujours se contenter d’échanger quelques mots entre deux portes et être certain que tout filera comme du coton derrière. »
Brusque mouvement sur ma gauche. Les chaises qui s’écartent, et nos trois loulous qui se lèvent.
« Vous partez ?
- Oui, il se fait tard, et puis on a des choses à faire demain.
- Oh, pas de souci. Reposez-vous bien, c’était un plaisir de vous croiser là. »
Mes couilles, ouais, vous les avez brisées jusqu’à ce que j’arrive à me débarrasser de vous.
L’allusion du brun sur la protection de la noblesse était très précise. Une réplique qui aurait certainement pu lever quelques alertes chez Amaryllis, mais qu’elle ne releva pas plus que ça. Certainement qu’elle en avait déjà parlé avant rapidement, elle ne savait plus bien. Son passé n’était pas vraiment un secret, même si elle ne le criait pas vraiment sur tous les toits.
« Oh, la noblesse et les marchands, c’est globalement du passé aussi. Y sont rarement tendres avec ceux qui ont déconné. C’est qu’ils tiennent à leurs sous, ces gens. En général, ils se placent toujours du côté qui a l’avantage. Assez pour que même des amis tournent leur dos quand tout déconne. »
Le ton de la rousse s’était fait un peu plus mélancolique, sans déborder d’émotions. Celle qui souffrait de ces évènements n’existait plus vraiment, n’ayant laissé qu’une coquille vide derrière elle. Mais pour la noblesse, c’était comme ça dans les affaires. Les cristaux, toujours les cristaux. Faire attention à sa réputation, à ses partenaires commerciaux et tout ce genre de choses. Les nouvelles allaient vite, surtout les plus négatives. Nul doute que tous ceux ayant déjà fait recours aux services de la compagnie Tylwaen étaient au courant dans la journée. Et elle ne connaissait pas assez bien les autres nobles.
« Mais bon, sale histoire, mais c’est du passé et c’est enterré derrière moi. Et je compte bien laisser ça là. Merci de la proposition, c’est plutôt sympa. »
Un petit mélange de fausse politesse et un semi-mensonge. Le passé ne la faisait plus partir dans des élans dangereux pour elle-même et ceux autour d’elle, dans une folie intense qui aurait peut-être mérité qu’elle se retrouve enchaînée. Elle avait eu de la chance, de ne pas découper un innocent sans raisons, de laisser son elle du passé crever à petit feu, étouffer sous le poids des responsabilités qu’on lui avait mises sur le dos.
Par contre, elle avait eu l’impression qu’il était encore à la guilde lorsqu’elle lui avait parlé avant - mais elle avait sûrement mal compris ou sa mémoire lui faisait défaut. Et il fallait dire que la vinasse n’aidait pas vraiment, et son esprit n’était plus des plus clairs. Peu importait, après tout. Si elle n’était plus particulièrement vigilante sur les mots, son regard ne lui avait pas échappé. Amaryllis n’allait pas se priver pour s’installer avec un certain confort. Pas besoin de se tenir droit comme un piquet cette fois.
Le reste de la tablée est sur le départ, par contre. Mission pas forcément accomplie, elle s’était un peu laissée captiver par le brun. Enfin, elle a au moins rappelé qu’elle existait bien et avait un peu eu le temps de parler avec eux avant. Leur support ne lui serait pas particulièrement vital de tout de façon.
« Bonne nuit, et à une prochaine! »
La consultante prit le temps de les saluer, histoire de garder une bonne impression même si ce n’était pas la première de ses préoccupations en réalité. Bien entendu, elle resterait ici, ce serait toujours plus sympa pour la picole que de rentrer chez elle. La soirée n’était clairement pas encore terminée.
« Déjà à la garde, je me demande s'il y en a certains qui sont passés à l’école en étant petits. Aligner trois mots sans faire une faute, c’est compliqué pour certains. Enfin, en général c’est pas mon rôle de faire les tris initials dans ces rapports, je préfère sélectionner les plus… croustillants. Ou ceux des Capitaines, plus généraux en informations. »
Un petit sourire, et la rousse se pencha en avant pour enserrer le pied de son verre avant de se réinstaller. Elle ne tarda pas à laisser le liquide filer entre ses lèvres, avec une certaine grâce, même si elle fut loin de simplement y tremper les lèvres. Vrai que si elle pouvait compter sur les aventuriers sur un truc, c’était pour savoir choisir la vinasse. Travailler avec discipline c’était bien moins leur truc, pour la plupart. Du moins, sur le terrain. L’administratif était parfois bien plus sérieux. Reposant son verre dans le même petit manège, elle reporta rapidement son attention sur le brun.
« Et du coup ça t’arrive souvent d’aller boire des coups avec tous les aventuriers que t’as connus? J’suppose que t’as de quoi passer des bonnes soirées dans toutes les tavernes de la ville, en quinze ans de métier. »
Quant à savoir pourquoi il avait décidé de rester, elle avait bien sa petite idée. Pas forcément parce-qu’elle picolait bien. Même si, eh, ce serait dommage de s’arrêter en si bon chemin.
Sa mine se ferme un peu quand elle parle de la noblesse et des nobles. Vrai que la majorité de ceux que j’ai croisés, on est loin de l’idéal qu’est vendu dans les bouquins et l’histoire du royaume, et plutôt dans le marchand glorifié et bien connecté qu’a pour seul et unique d’améliorer ou de maintenir son statut social et sociétal. Ça passe par l’argent, et certains s’en sortent indéniablement mieux que d’autres. D’après Zah, le gouvernement, c’est pas pareil, genre panier de crabe un peu, parfois, mais pas tout le temps.
J’ai du mal à y croire : suffit de voir comment c’était chez les examinateurs pour se rendre compte que les gens jouent perso, et j’suis un des meilleurs exemples. Biais de projection ? J’pense même pas.
Comme Amaryllis clôt le sujet, j’laisse tomber : il sera toujours temps de creuser un peu plus tard, et d’agiter un peu les dessous de l’affaire. Faut savoir pour comprendre, après tout, et comme toujours, c’est sa vision des choses qui permettra de se fixer précisément sur ses motivations, ou qui permettra en tout cas de les déduire, si elle veut pas me les annoncer directement. Bon, après, tant qu’elle dit pas une énormité et se contente du blabla habituel des entretiens officiels, à base de vouloir servir le pays et se rendre utile, ce sera difficile d’être convaincu, mais il en faut.
C’est que la bonté humaine, on va pas se mentir, c’est une ressource rare.
Avec les débiles qui sont barrés, en tout cas, on va p’tet pouvoir creuser différemment, même si on les avait déjà exclu de la conversation d’une certaine façon.
« Ouais, les échanges avec les gardes sont assez inégaux. Parfois, y’en a qui viennent pour des quêtes ou quoi, et on sent qu’ils sont pas dans leur milieu naturel. Déjà, ils gèrent moins les monstres et plutôt l’humain, mais même ça… Enfin, les aventuriers sont pas vraiment mieux, faut bien être honnête. Y’en a qui sont arrivés là par défaut, pasqu’ils avaient pas de métier, ou rien qui soit vraiment valable, et du coup ils ont voulu tenter leur chance. Certains sont très bons, j’dis pas. Mais faut pas leur demander de faire des rapports potables. »
J’descends encore des lampées, et j’me dis que s’il faut que j’écrive un rapport circonstancié, au rythme où on va, ça sera pas facile. J’ai sûrement un genre de livre-mémoire ou quoi pour s’en rappeler à ma place… J’espère.
« Les plus croustillants ? Tu les trouves comment, dans toute la masse de la paperasse ? Tu te bases sur les rapports des capitaines pour en trouver qui sortent du lot, et tu pars de là ? J’me demande bien si y’a vraiment des trucs intéressants dans les rapports des gardes, au-delà d’arrestations un peu bateau ou quoi. P’tet les informations d’enquêtes avant que ça débouche sur autre chose ? Aucune idée… »
Mensonge facile, sans forcer. C’est pas moi qui me coltine tout ça, c’est plutôt côté Zah et compagnie, mais y’a bien des moments où j’dois feuilleter toute une série de papelards avec une écriture de cochon, le même genre que les aventuriers, en réalité. A croire que la bureaucratie a cette façon de s’incruster partout. Elle a son utilité, difficile de le contester, mais ça la rend pas plus agréable.
J’suis un peu distrait quand elle se penche en avant, genre les yeux qui dérapent, mais j’me dis que j’ai p’tet donné le change en regardant le serveur qui s’approche de notre table, suivi par un groupe de sept personnes qui nous jaugent. Le gars nous accoste avec un sourire désolé.
« Vous attendez encore du monde ?
- Hm, nan, on n’est plus que deux.
- Ca vous dérangerait si je vous déplace vers cette table ? Pour installer le grand groupe. »
J’ai envie de dire non, juste par principe, mais le patron serait foutu de nous coller dehors, en se disant que sept valent mieux que deux, surtout qu’on a déjà bien attaqué. Du coup, j’me contente de hocher la tête.
« Ouais, pas de souci, on va où ?
- Suivez-moi. »
On s’retrouve à une table un peu à l’écart, genre pour petits modèles, avec nos genoux qui se tapent et la bouteille qui nous a suivis.
« C’est aussi ça, la vie d’aventurier, de rencontrer pleins de gens, de garder contact. Y’a un côté où c’est super important pour constituer les groupes qui partent en quête. Genre chercher le chat de Mamie Thérèse, on s’en fout, mais dès qu’il s’agit de sujets un peu plus énervés, c’est sûr qu’il vaut mieux pas partir avec des alcooliques ou des incapables… Et la Guilde gère elle-même, de façon un peu naturelle, ces trucs-là. Les poids morts, ça finit par se savoir et après, personne en veut plus. Pas si mal, comme système. »
J’la fixe bien dans les mirettes.
« Puis y’a des compagnies plus sympa que d’autres, aussi, on va pas se mentir. »
La garde a côté, n’était pas toujours parfaite. Les rapports avaient parfois quelques zones d’ombres, souvent laissés volontairement là avec un peu de copinage des deux côtés. La Commission n’était pas que des vieux cons aigris après tout, il y avait aussi des gens plutôt sympathiques et assez proches de certains gardes. Certainement prêts à laisser passer quelques crasses sous le tapis. Ou valider des rapports à moitié incomplets en espérant qu’un œil inquisiteur n’aille pas se poser dessus ensuite. Ce qui arrivait, somme toute, assez rarement sur les affaires closes. D’un côté, on allait pas payer cinq relectures approfondies de chaque papier, sinon les caisses du Royaume seraient déjà vides depuis des siècles.
Mais avant qu’elle ne puisse vraiment enchaîner, voilà que le service venait les déranger. Oui, ils prennaient une grande table à deux, mais c’était pour le moins confortable. Bon, le chiffre passait avant, il semblerait, ce qui était pas étonnant. Elle aurait fait la même si elle avait été patronne de l’endroit. Alors la rouge hocha simplement la tête, et elle changea tranquillement de table, profitant du trajet pour aller récupérer deux petits verres de whisky au lucol. C’était pas donné, mais c’était quand même l’une des boissons qu’elle buvait le plus. Et puis, vu que Vrenn avait déjà payé ses bouteilles, elle pouvait bien payer un beau verre. Elle avait de quoi. La rouge laissa le verre doucement glisser sur la table en chêne sombre.
« En général c’est les affaires qui se passent mal les plus intéressantes. Ou bien les plus grosses, comme les assauts. Qu’elles finissent dans la presse ou pas, faut voir ce qui a foiré et où. Est-ce-que c’est les méthodes de la garde qui sont mauvaises? Ou un garde qui a fait une erreur en mettant des vies en danger? En général, ça moufte rarement quand ça se passe bien. Il suffit de tendre l’oreille, et les affaires croustillantes viennent d’elle-même. Ou bien d’un peu collaborer avec le ministère de la justice, ils ont pas mal d’infos aussi en général. »
Les deux organisations travaillent plus ou moins main dans la main de tout de façon. Peut-être pas assez. La Commission avait certainement moyen de devenir un meilleur moyen de centralisation des informations, et d’enquête, en étroite collaboration avec la Justice du Royaume. Mais bon, c’était un cauchemar à organiser. Surtout administrativement.
Elle prit le temps de boire une petite gorgée de la boisson ambrée qu’elle avait amené avec elle jusqu’à cette table, sentant un petit frisson agréable parcourir son dos. Le vin était extrêmement bon, mais elle avait vraiment un faible pour les alcools forts. Pas vraiment dérangée par cette nouvelle proximité avec le brun - avoir moins d’espace avait aussi ses avantages - elle reporta rapidement son attention sur lui, un léger sourire au coin des lèvres.
« Ouais, mais rien n’empêche un aventurier incapable qui se croit trop fort de prendre une mission trop difficile et de baratiner des petits nouveaux pour l’accompagner. Je connais pas trop le taux de pertes dans les rangs des aventuriers. Mais bon, c’est pas un boulot dangereux pour rien. Juste que savoir qui envoyer pour quoi serait moins risqué, sûrement. »
Moins organisés, elle avait cette impression que ce taux était pire à la garde. D’un côté, ces derniers étaient bien plus urbains, plus proches de soins, rarement seuls, et peut-être aussi mieux entraînés. Ce qui n’était pas le cas des aventuriers. C’était un peu comme au Désert Volant au final : On envoyait qui voulait bien y aller, et on voyait bien ce qui se passait. Et au final, on criait victoire alors que pleins de gens n’en étaient jamais revenus.
Nouvelle petite gorgée, pas de raison de boire ce whisky d’un coup, autant le savourer au mieux, laisser les arômes se diffuser contre son palais, les yeux fermés quelques secondes, avant de laisser la traînée chaleureuse de l’alcool tracer son chemin. C’était peut-être une des façons dont elle pouvait vraiment se sentir plus vivante, ça, et autre chose. D’ailleurs, parlant de cette autre chose, elle reporta un regard peut-être un peu plus joueur vers celui du brun, et de cette compagnie sympathique.
« On a toute la nuit pour s’en assurer. J’ai jamais été du genre à dormir longtemps, déjà à l’époque. »
Passer aux alcools forts, j’peux pas dire que j’sois contre, faut juste pas que j’me fasse piéger, pasque quand on picole trop, nous les mecs, après, ça devient dur. Enfin, plutôt, ça le devient pas, m’bref. Et entre le changement de table, la proximité physique, les regards appuyés et le fait qu’elle ait pas profité du départ des autres pour se faire la malle, j’me dis que commence à y avoir moyen de mêler l’utile à l’agréable. Purement professionnellement, évidemment.
Parce qu’il ne faut pas mélanger pro et perso.
J’goutte le whisky, et j’le fais tourner un peu en bouche. Gros manque de culture à ce niveau, mais j’fais claquer mes lèvres en signe d’appréciation. Il est bon, en tout cas, mais s’il était dégueu, j’l’aurais descendu quand même dans tous les cas. L’habitude des tord-boyaux dans les trous mal famés des bas-fonds, ça. Si tu grimaces ou que t’as la larmichette, t’es un tendre, et tu fais de mauvaises rencontres en sortant, ensuite. Enfin, surtout des groupes de jeunes qui cherchent à s’imposer et se cherchent eux-mêmes. J’le sais, j’l’ai fait.
« Ouais, à la Guilde aussi, on a un système comme ça, on contrôle en amont et en aval, et aussi auprès des aventuriers quand y’a trop de merdes qui s’accumulent. Ironiquement, les Saphirs actuels traînent leurs propres casseroles. Certains disent que pour le devenir, faut être un peu original, et disposer d’une puissance peu commune. Un peu de la poudre de perlimpinpin, à mon avis. Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, probablement ? En tout cas, de pas faire de la merde avec, à défaut de faire babysitter pour le reste du monde. »
Nouvelle gorgée, j’sens déjà plus la morsure de l’alcool, et il reste que les arômes. Déjà envie d’en reprendre une troisième, j’sens que le verre va pas faire long feu.
« J’avais entendu dire que tout ressortait pas forcément dans la presse, que les journaleux évitaient de sortir certains trucs un peu trop gros, qui feraient trop mal. C’vrai, cette rumeur ? Même sans donner les détails, hein. M’enfin, p’tet que c’est que des trucs d’aigles complotistes, ça… Après tout, les gens causent toujours. Comme ça que les gratte-papiers choppent leurs gros titres, au passage. »
J’reprends une liche avec un sourire en coin quand j’vois le sien. Et mon genou appuie un peu davantage contre elle. Pas de raison d’être timide à ce stade, hé ?
« Ouais, on a des bonnes pertes, même si les hôtesses essaient quand même de conseiller les aventuriers. Et si c’est vraiment marqué trop dangereux, c’est pareil, les examinateurs ont plus ou moins vérifié et on va pas envoyer le gars dont le pouvoir, c’est de détecter les pommes pour aller tuer des gévaudans. Mais on peut pas l’empêcher de rejoindre un Saphir s’il en a vraiment envie. C’comme la Cité Enfouie et tous ces trucs, on fait appel à la bonne volonté de tout le monde, et parfois, ils ont plus de gentillesse que de capacités… »
Ralentir sur le whisky, et penser à la mission. Elle dévoile déjà pas grand-chose, mais l’alcool aidant… Puis c’est une ouverture, y’aura sûrement l’occasion de se recroiser, j’suppose, si j’trouve rien ce coup-ci ? En tout cas, avec son regard, pas sûr qu’elle pense qu’à faire la bringue et se murger la gueule. J’finis mon godet, et j’me penche en avant, tout en restant soigneusement de mon côté de la table, mirettes plantées dans les siennes, et leur charmante couleur violette.
« J’dors assez peu aussi, et j’ai rien d’urgent à faire demain, effectivement. Tu veux goûter un autre whisky, p’tet, avant de décaler ? »
Au p’tit matin, elle ramasse ses affaires, et j’reste alangui sous la couette pendant qu’elle se sape. Sur un banal ‘’A une prochaine’’, elle se fait la malle sans embarquer mes affaires –paranoïa ordinaire– et j’m’étire avant de me rendormir pour quelques heures. Pour un premier contact, ça s’est rudement bien passé, mais j’ressens le besoin d’aller un peu davantage au fond des choses, pas celle-là, histoire d’être sûr.
Puis personne va m’en vouloir de bien vouloir faire mon travail, pas vrai ?
Quoique, p’tet la patronne…
Héhé.
Tous les deux en sueur, nos corps arrivent en zone de contact, se séparent, puis s’impactent à nouveau.
Le ‘’clang’’ métallique de l’épée résonne dans la p’tite cour intérieure, et j’sens que ma garde est pas bonne, alors j’essaie de compenser avec la force brute. D’un mouvement du poignet que j’commence à bien connaître et apprécier dans d’autres circonstances, elle fait glisser son arme sous la mienne, et le tranchant de l’arme se retrouve à côté de ma jugulaire, sans que ma main gauche ait le temps d’attraper le pommeau de sa lame.
« Mauvaise garde, j’sais. »
Elle recule de trois pas et se remet en garde. L’épée magique, c’est sympa, mais ça fait pas tout, et j’avais déjà galéré quand j’avais dû me coltiner le bizutage avec Grassim. Force est de constater que j’me suis pas amélioré, la faute à un entraînement absent, et que dès que c’est plus long qu’un gros couteau, j’ai plus de mal à évaluer les distances, les zones dangereuses, et l’équilibre de l’arme. Puis malgré toute la technique qu’Ama essaie de m’inculquer, j’reste un bagarreur, donc j’sais pas si j’arriverai même un jour à rentrer dans le moule…
Mais j’suis pas beaucoup plus con qu’un autre, surtout un garde, et j’ai l’habitude depuis toujours d’utiliser tout ce que j’ai à disposition. L’épée cristalline en fait partie, donc j’vais pas cracher dans la soupe.
Quelques semaines déjà qu’elle prend un peu de temps pour m’apprendre les bases et m’filer des exercices, et si j’progresse, ça permet aussi d’avancer sur le front de l’enquête sur elle. L’utile à l’agréable, toujours, même si là, c’est plutôt l’utile à l’utile.
M’enfin, j’pense maintenant que y’a rien à trouver, juste que j’suis pas pressé, et que vaut mieux être certain.
J’suis tiré de mes pensées par une botte que j’connaissais pas encore, et que j’évite uniquement en m’jetant contre le mur, avant de revenir trop près pour utiliser ma longue lame. Tant pis, c’est mon genou qui s’arrête juste avant son foie, et elle secoue la tête. C’est sûr que c’est pas le but de l’exercice, mais les réflexes et habitudes ont la vie dure. Un coup d’œil au soleil, déjà un peu haut, et j’sais qu’il va être temps de s’arrêter, de toute façon. C’est qu’on a des choses à faire, hé ?
« Demain soir, ça colle ? »
Elle est d’accord, alors moi aussi.
« Au niveau de la presse j’y connais pas grand chose. Ils pourraient très bien raconter les pensées de Gégé de la taverne du coin, tant que ça fait vendre. Aucune idée de si y a des contrôles sur ce qui sort sur les papiers ou pas. »
Après tout, c’était un business comme un autre. Et en brossant quelques aigles dans le sens des plumes, on passait aussi assez vite pour un gros con. Et personne ne voudrait acheter un journal qui passait pour un gros con. A moins que le but soit de rigoler un bon coup.
« Je suis jamais contre un p’tit whisky de plus. »
Il fallait dire que l’alcool commençait à taper, mais que cette soirée avait viré en quelque chose de plus intéressant qu’elle n’aurait pu le croire au début. Même si la partie la plus intéressante était encore à venir, évidemment.
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Amaryllis se redressa, arrangeant d’un petit geste sa chevelure carmin encore un peu ébouriffée. Le jour s’était levé, et si le réveil n’était pas des plus faciles, elle avait connu bien pire, la plus grande difficulté étant sûrement bien plus la fatigue que l’alcool. Si l’ancienne mercenaire avait gardé un athlétisme certain, elle n’était pas vraiment insensible au manque de sommeil, même si cela ne l’empêchait pas de partir légère - de cœur comme de cornes. Il fallait dire qu’elles n’avaient encore totalement repoussé, sans qu’elle ne sache vraiment lequel des deux en avait le plus abusé. Ce qu’elle savait, c’était que la nuit avait été agréable, à n’en point douter.
Mais il ne fallait pas la prolonger plus que cela, histoire d’éviter de le rendre trop addict, d’une manière ou d’une autre. Même si c’était peut-être déjà un peu tard vu ce qu’elle avait accepté… Quoi qu’il en était, le boulot l’attendait.
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Il sait se débrouiller. Pas vraiment dans l’art de l’escrime, en effet, mais il a des bons réflexes et un corps capable de suivre les exercices à l’épée qu’elle lui imposait. Même si ce dernier point, elle n’en avait jamais vraiment douté après cette nuit. Alors oui, les coups de genoux, les feintes, et tout ça, c’était très bien en combat, mais ce n’était effectivement pas le but ici.
Amaryllis ne comptait pas en faire le meilleur combattant du Royaume non plus - parce-qu’elle n’avait pas des années à consacrer à ça, et certainement que lui non plus. Mais déjà, savoir tenir sa garde, savoir parer les attaques, travailler les mouvements d’attaque. L’escrime était un peu comme une danse, une danse où il fallait être plus malin que son partenaire, plus rapide et plus puissant. Et si la technique n’est pas encore là, les bases ont l’air d’être déjà bien rentrées. Mais comme tout, il faut bien parfois s’arrêter, reprendre sa journée. Amaryllis prit le temps de s’essuyer rapidement le front avec une serviette, c’était que les passes d’armes sous le soleil de la saison douce, ça réchauffait. Pas autant qu’un bon whisky ou bien qu’une nuit agitée. Mais c’était déjà ça. Il y avait bien des moments de la saison chaude où travailler la lame en pleine après-midi était un calvaire, où l’on se retrouvait à perdre des litres d’eau de manière assez peu sensuelle. Pas vraiment sa saison préférée, mais c’était pour bientôt tout de même.
« Ça colle. Même si je préfère quand ça glisse. »
Une conclusion douce, raffinée, et subtile.