Les malversations de la Guilde

+ Proposé par : @Aeron Renmyrth
+ Participants : Tous
+ Objectif : Etablir s'il y a réellement des malversations et des arrangements à haut niveau de la Guilde

Aeron observa les chiffres, soigneusement alignés sur le parchemin de son bureau. Les lignes des tableaux se mêlaient et s’entremêlaient à force, mais pourtant, ce qu’elles dessinaient semblait bien sans appel. Lors des derniers investissements de la Couronne pour fournir du matériel aux aventuriers pour la Cité Enfouie, les lunettes de jour qui avaient été fournies aux braves étaient pour une grande moitié défectueuses, pour un tiers abîmées, et pour un sixième fonctionnelles.

Evidemment, il avait fallu un temps fou aux auditeurs pour s’en rendre compte : d’abord, l’information était remontée par les rapports des explorateurs, et, comme l’élément revenait souvent, une enquête avait été diligentée. Le Prince avait été outré quand il avait constaté les premiers résultats, et qu’ils avaient pu récupérer un ensemble de lunettes qui, indubitablement, ne fonctionnaient pas dans le noir.

Le Prince avait donc proposé un nouvel entretien à Whiskeyjack Callahan. Leur collaboration avait été fructueuse jusqu’à présent, et il comptait bien continuer sur cette voie : le nouveau Conseiller semblait décidé à remettre les choses au pas au sein de la Guilde, et Aeron était on ne pouvait plus d’accord. Certes, il contournait allègrement la juridiction du Ministre de la Guilde, mais au vu de l’activité de ce dernier, il n’y avait pas vraiment à s’en faire : encore fallait-il qu’il se rende compte de ce que qui se passait. Et ce n’était pas gagné.

Vlora fit entrer l’homme à la désormais célèbre moustache dans son bureau, et Aeron l’invita à l’asseoir d’un signe avenant de la tête.

« Conseiller Callahan, un plaisir de vous recevoir, comme d’habitude. »

Une fois les politesses d’usage échangées, il entra directement dans le vif du sujet.

« Je vous ai demandé de venir pour vous demander à nouveau un petit service, toujours en lien avec la Guilde, évidemment. L’affaire est délicate, et les retombées, si elle venait à devenir publique un peu trop tôt ou de façon prématurée, pourraient être calamiteuses, surtout avec l’exploration du Désert Volant qui a commencé il y a peu. Vous n’êtes pas sans savoir que la Couronne, en collaboration avec la Guilde, a équipé les explorateurs de la Cité Enfouie de lunettes de jour achetées en masse à un ensemble de producteurs et d’enchanteurs, et en passant par une foule d’intermédiaires : il fallait parvenir à fournir chaque personne avec du matériel minimum. »

Le jeune homme fit glisser une liasse de documents avec le conseiller, dans un épais dossier.

« Vous avez le détail des fournisseurs et des contractuels ici. Le résumé est en première page. Les personnels les plus suspicieux sont notés, évidemment. Je préfèrerais que vous ne trouviez rien, bien entendu, mais les chiffres semblent formels… »

Aeron se racla la gorge.

« Je compte sur vous pour élucider finement cette sombre affaire et vous assurer que cela ne se reproduise plus. »

Le dossier du cabinet princier est plutôt complet, comme à son habitude. Encore une fois, on ne pouvait qu’attendre avec un certain plaisir doublé d’une très grande honte de l’accession du Prince au trône. L’assurance que les affaires seront réglées avec diligence et efficacité. Une grande honte car, évidemment, la condition sine qua non de son couronnement et l’abdication de la Reine Atheas. Ou pire encore. Une pensée que personne dans le royaume n’aime avoir, tellement la reine est aimée de ses sujets. Mais tout de même, quelle efficacité. Quel bourreau du travail. Ça donne envie de se donner bien plus encore pour rester au niveau de son engagement pour le bien-être de ses futures sujets. Du coup, il faut que je bosse. Dur. Et vite. Car comme me l’a rappelé le Prince, l’exploration du Désert Volant, ce bout de terre volant venu d’ailleurs a commencé et je dois même me rendre sur place pour superviser le déploiement des aventuriers sur place, en appui au conseiller Jaskier Sullivan. Il me fallait donc agir vite pour traiter ce dossier et le faire suffisamment progresser avant de devoir partir vers une mission de terrain.

J’y suis allé à fond. Faut bien le dire, après l’histoire des milices d’aventuriers qui m’a profondément scandalisé, qu’on puisse mettre de la corruption sur le dos de la guilde, ça ne m’étonnait plus et ça ne scandalisé pas moins. Je préfère de l’incompétence. C’est humain et ça se corrige. Mais s’il y a une volonté de nuire à la Guilde des Aventuriers, je peux vous garantir qu’il y a une volonté de ma part de leur nuire. Physiquement. Même si on ne peut pas tout le temps avoir un Jin sous la main, évidemment, expert dans le domaine de coucher les traitres au sol. Bref, une fois le dossier en main, j’ai annulé tout ce que j’avais à faire sur la journée et je me suis enfermé dans mes bureaux. J’ai choppé Lou Trovnik, le maestro des formulaires et des dossiers bien rangés pour qu’il bosse avec moi. De tout les membres de la guilde, même moi, c’est celui qui est insoupçonnable tellement il est dévoué à une administration la plus impeccable possible. Vous imaginez bien la gueule qu’il a tirée quand j’ai commencé à évoquer la possibilité d’actes de corruption au sein de la guilde. Oui, il a toujours la même tête inexpressif, mais j’ai senti qu’un instant, son cœur a manqué de battre un coup. J’aurais du prendre des pincettes, c’est que sur ce genre d’atrocité, il a une certaine sensibilité plutôt méconnue.

Du coup, on a bossé toute la journée. Outre le dossier princier, Lou m’a fait parvenir des compléments des archives : les informations exhaustives de toutes les personnes cités par les services du prince qui ont ou auraient appartenu à la guilde. Une montagne d’informations qui a rendu la présence de Lou Trovnik indispensable, seul individu vivant capable d’assimiler une aussi grande quantité d’information et de les ressortir synthétiquement. Alors, je vous vois venir. Vous pensiez que la guilde, ça ne faisait que mettre des aventuriers sur des missions plus ou moins longues, impliquant généralement une faune particulièrement dangereuse à mater ? Et bien non. De part ses activités, la Guilde offre la capacité à d’importants clients comme la Royauté à gérer la logistique de produits magiques couramment utilisés dans le cadre de ses activités tout en garantissant la sécurité des marchandises par l’emploi de ses propres aventuriers pour protéger les convois. Toute la gestion est gérée en interne par des hôtes et examinateurs de la guilde habituellement chargés des achats, de la logistique et du stockage du matériel de la guilde des aventuriers. Pour des clients aussi importants que la royauté, on peut bien faire des efforts pour voir les choses en grands, non ?

Du coup, l’analyse des documents a fait sortir les grandes lignes de l’organisation de la Guilde lors de cette commande. Le bureau des fournisseurs de la guilde a identifié les producteurs capables de gérer l’importance de la commande dans une industrie proche du Grand Lac. Des commerçants habituels de la guilde dont le taux de produit défectueux est bien loin de ce qui a été identifié par les services de la couronne. Les marchandises sont généralement embarquées sur des péniches pour être transportés à jusqu’à la Capitale. Dans le cas présent, un arrêt d’une demi-journée a été réalisé à la capitale pour réapprovisionnement avant de partir vers le nord et Forteresse, principal point d’appui de la garde dans les montagnes. Là, les troupes du Blizzard ont pris réception des marchandises avant de les transporter vers le camp de base de la garde aux abords même de la mine et de ses profondeurs mystérieuses. Le transport a été encadré par des examinateurs de la guilde chevronné et les péniches ont été sécurisés par des aventuriers au demeurant compétents. Il n’a pas fait été mention de problèmes de transport entre leur point de départ, la Capitale et la Forteresse. Les temps de trajets correspondent, même si une tolérance d’une journée peut être observée, fonction du trafic fluviales et de la force des courants.

En apparence, tout avait été fait dans les règles par du personnel compétent. Si des choses ont été cachées, toute la paperasse a été bidonnée par du personnel assermenté. A part interroger chaque intervenant et chercher une chose que les innocents n’ont pas vue et que les coupables ont bien dissimulée, la solution ne m’a pas paru évidente. Jusqu’à repenser au désert volant.

-Faisons une nouvelle commande.
-Comment ? Ça n’a pas de sens.
-Mais si Trovnik ! Créons une demande bidon de la royauté pour des lunettes de jours à destination du Grand Port dans le cadre de l’exploration du Désert Volant. Tous les acteurs reprendront leur place et très probablement, s’il y a eu corruption, elle aura à nouveau lieu. L’enquête du Prince a été discrète. Même si les gens ont pu parler de la qualité des lunettes, aucune accusation publique n’a été émise. Les responsables se sentent en sécurité. Donc apte à retenter l’expérience. Infiltrons des éléments de confiance et nous les démasquerons.
-Je voulais dire, Conseiller, ça n’a pas de sens. Des lunettes de jours en plein désert ?
-Mmmh. On dira que c’est pour l’exploration souterraine.
-Soit.
-Trovnik. Lancez ça tout de suite. Et trouver moi des aventuriers de confiance. Du genre à n’avoir jamais touché à ce genre d’activités au sein de la guilde. Plutôt jeune, donc moins enclin à être pourri. Dont les états de service et le comportement ne souffre d’aucune suspicion. Vous devez avoir ça ?
-J’ai fait des statistiques.
-Parfait.

Une mission formidable où elle avait été sélectionnée parmi tous les aventuriers.

Au début, ça sonnait plutôt bien, elle s’en était même assez réjouit, cela voulait dire qu’elle commençait à être reconnue dans la Guilde comme une aventurière d’exception. Au final, c’était surtout parce-que c’était certainement une des seules à pas avoir le moindre rapport de bagarre de taverne sur elle. Et qu’elle était dans le coin du Grand Lac au moment voulu.

D’un côté, ces histoires de corruptions étaient assez inquiétantes, elle n’allait pas le nier. Mais d’un autre, tant qu’elle pouvait vivre ses aventures, elle n’en avait pas grand chose à faire non plus. Néanmoins, maintenant qu’elle avait été mise au courant, elle n’allait pas vraiment faire marche arrière et puis l’affaire était gérée par ce nouveau conseiller, Whiskeyjack, dont elle ne connaissait le nom que parce-qu’il avait fait une fête. Et dont elle se rappelait principalement parce-que sa moustache était plutôt cool.

Alors la mission, qui n’était heureusement pas payée qu’en visibilité mais avec une paie à la clé tout de même, n’était pas des plus complexes. Surveiller le convoi et les lunettes depuis leur production jusqu’à leur réception par les hommes du roi. Un trajet, qui, de plus, lui permettrait de rejoindre le Grand Port où une expédition pour le Désert Volant était en train de se monter. Elle avait déjà laissé Lumi chez Niraen, et même si elle voyageait seule depuis de nombreuses années, l’absence soudaine de la Laïum lui faisait bizarre. Comme s’il manquait quelque chose à ce qu’elle était devenue.

Elle avait donc rejoint l’endroit spécifié, même si comme prévu d’autres aventuriers étaient bien de la partie. Certains qu’elle avait déjà vu ici ou là mais aucun qu’elle ne fréquentait. Elle se présenta rapidement, badge visible. La plupart des autres aventuriers avaient déjà des petits groupes et semblaient habitués à travailler ensemble. Et même si l’aventurière essaya de faire jouer sa nature très bavarde, elle eut un peu de mal à vraiment s’intégrer ici ou là. Il fallait dire que cette mission d’espionnage n’était pas vraiment dans ses cordes et que le principe de garder des secrets et d’enquêter sur des collègues était perturbant. Elle surveillait bien plus ses mots que d’habitude et la faisait un peu passer à côté dans pas mal de discussions, et l’empêchait vraiment de réussir à s’intégrer. Elle passait juste pour une fille un peu bizarre, à vrai dire.

Maintenant, de ce qu’on lui avait dit, le fournisseur avait augmenté les contrôles et le cargo qu’ils étaient censés récupérer était plein de lunettes parfaitement fonctionnelles pour les groupes du désert volant. Si magouille d’aventuriers il y avait, c’était dés que sa mission commencerait que cela se passerait ou bien pendant le trajet. Dire qu’elle était censée surveiller une cargaison et les aventuriers censés surveiller la cargaison, en même temps… Peut-être n’était-elle simplement pas assez payée pour ça. Après, c’était juste un cargo à surveiller une nuit, discrètement, sans alliés, ou du moins techniquement.

Elle avait contrôlé la cargaison avec ses collègues sur les docks de la capitale, vérifiant rapidement avec eux que tout allait bien, alors que les différentes personnes se répartissaient les tours de garde. La brune ne comptait pas dormir cette nuit-là de tout de façon, donc peu importait la garde officielle qu’elle prendrait. C’était des rondes par équipes de quatre personnes, décidées plus ou moins à la bonne franquette, cela ne faisait pas trop de doute. Une sécurité entièrement assurée par des aventuriers. Maintenant, combien étaient dans le coup? C’était ce qu’il allait falloir découvrir.

Violette avait trouvé un endroit sympathique, un toit assez lointain, pas très confortable, mais disposant d’une vue plus que correct sur le cargo, où elle ne serait pas trop visible. Il lui suffirait simplement de surveiller l’endroit à la longue vue Aiglefin… Et de maintenir une surveillance assidue. Ce qui serait certainement le plus compliqué pour elle.

L’aventurière avait d’ailleurs déjà envoyée son ombre commencer à se placer pour pouvoir discrètement échanger de position pendant la nuit lorsque de l’agitation commença à attirer son attention. Le conseiller Callahan en personne venait d’arriver, visiblement pour inspecter les lieux et les troupes, alors elle se présenta, comme une garde modèle, tandis que le crépuscule tombait sur le port de la capitale.

-Conseiller Callahan ? Mais qu’est-ce que vous faites là ?
-Surprise !

Que je fais, ouvrant les mains comme si je venais d’apparaître par magie sous leurs yeux surpris. Devant moi, L’examinateur Garoff, responsable des quais de la guilde des aventuriers est au-delà de la surprise. On sent clairement l’inquiétude dans son regard. C’est que de mémoire, je ne crois pas avoir une fois entendu parler de conseiller de la guilde allant aux quais de la guilde. De mémoire de Lou Trovnik, on aurait pu savoir, mais monsieur avait à faire. Une sombre histoire d’analyse de cent cinquante années d’historique de logistique à passer au peigne fin pour, je cite « relever tout écart qui pourrait paraître suspect ». J’ai eu beau lui dire que remonter à cent cinquante ans n'était peut-être pas la meilleure idée puisque de toute façon, les responsables seraient morts depuis longtemps, mais il n’en a pas démordu. On ne peut pas lui retirer son envie immodérée de restaurer la vérité, aussi moche soit-elle. Bref, l’examinateur Garoff n’en mène pas large depuis mon arrivée. Responsable des docks depuis cinq ans, avoir la visite surprise d’un conseiller de la Guilde résonne plus comme une inspection surprise parce qu’il est sur la sellette que comme une visite de courtoisie.

-Quelque chose ne va, Conseiller ?
-Non, rien. Mon cher Garoff. Voyez-vous, depuis que je suis au conseil, je découvre plein de choses que j’avais négligé lors de ma carrière chez les examinateurs et ce nouveau poste me permet de m’y intéresser. Je me suis dit que c’était le bon moment avec cette  histoire d'île volante.
-D’accord… Conseiller.

Les docks de la guilde. Situé sur le flanc est du bras occidental de fleuve traversant la capitale, c’est un petit canal rentrant à l’intérieur des terres dans lequel la guilde peut amarrer une péniche grande capacité sous la protection d’un hangar de métal. Une structure permettant d’assurer une sécurité plus importante des marchandises qui y sont entreposées. Faut dire que la guilde, de par son importance, a besoin d’une ligne d’approvisionnement solide pour pallier à ses besoins. On dit que la moitié des zones de stockages occupées dans ce hangar sont composées de papier à destination des examinateurs, grands consommateurs de cette denrée afin d’enrichir chaque jour leurs archives jalousement gardées. Une rumeur un poil exagérée, si vous voulez mon avis. Dans ce bâtiment, il y a trois accès. De part et d’autres du canal, un passage pavé  permet de prendre pied sur les docks voisins tandis qu’une grande porte généralement fermée de l’autre côté du hangar permet d’acheminer des chariots à l’intérieur et de transporter les marchandises jusqu’à la guilde le cas échéant. A l’intérieur, plusieurs zones de stockage avec du matériel attendent d’être utilisées le moment venu. Plusieurs échelles menant à un réseau de coursives métalliques suspendues et à plusieurs bureaux, sous le toit, d’où les membres de la guilde en charge s’occupent de la supervision des activités.  

-Vous comptez… rester longtemps, Conseiller ?
-Je vous dérange déjà ?
-C’est pas du tout ce que je voulais dire !
-Je sais. Je vous taquine. J’ai envie de partager ce moment de votre travail, Garoff. C’est important à mes yeux de vivre la vie des membres de la guilde pour les servir du mieux que je peux.
-Oh… Monsieur le conseiller. Ce n’est guère très fantastique.
-Peut-être, mais vous faites la grandeur de la guilde !

Je lui tape dans l’épaule avant de me diriger à l’intérieur d’un air déterminé, la mine souriante, tournant la tête en tous sens pour admirer les lieux. En vérité, je reste alerte. Je ne suis pas là pour faire le touriste. J’ai longtemps hésité sur la marche à suivre. Lou Trovnik m’a trouvé des éléments de confiance pour m’aider dans cette tâche de débusquer, ou non, les potentiels responsables de ces agissements qui menacent la réputation de la guilde. Une jeune aventurière, Lensherr a fait partie de l’équipe chargée d’acheminer la péniche vers la capitale. Une description sommaire de l’individu par Trovnik me permet d’identifier mon allié lorsqu’elle se présente devant moi, comme tous les aventuriers que je croise, tout aussi étonné de voir un conseiller en ces lieux. Rien dans son attitude ne m’indique qu’il y a eu magouille en amont. Trovnik a réussi à intégrer plusieurs autres éléments de confiance dans l’équipe chargé de sécuriser les péniches pendant le voyage vers le grand port. Rien ne pourra arriver lors de ce voyage sans qu’on le sache. Ce qui veut dire que s’il doit avoir magouille, elle aura lieu ici. Mais Lensherr n’est pas le seul allié sur place. Plusieurs éléments de confiance sont stationnés non loin, prêt à intervenir au son d’un sifflet que je garde dans ma poche, si du grabuge se prépare. Il faut tout prévoir.

Pourquoi être présent, vous allez me dire ? De par la difficulté d’intégrer d’autres éléments dans le service de sécurité. Ce sont généralement toujours les mêmes personnes qui font ce genre de boulot, ce qui favorise la réalisation de magouilles, il faut bien se l’avouer. S’il suffit d’acheter le silence de quatre ou cinq personnes, c’est beaucoup mieux que s’ils changent à chaque opération. De ce fait, introduire beaucoup trop de nouvelles têtes dans ces équipes aurait pu être trop suspect et annuler toute tentative de la part de notre gibier. Une aventurière seule, malgré ces compétences, ne peut pas réussir seule. A priori. C’est pourquoi j’ai décidé d’intervenir. D’être le grain de sable dans une machinerie bien huilé, arrivant par surprise en plein milieu d’une opération déjà lancée. S’ils mordent à l’hameçon, ils ne pourront pas reculer.

Je vais rapidement dans les bureaux à l’étage du hangar et j’entre dans la salle de repos du personnel avant de me diriger vers le bureau de Garoff. Là, j’y trouve un examinateur. L’un de mes principaux suspects dans l’affaire. L’examinateur Servat Butler. Un homme réservé dissimulant bien ces émotions dans sa barbe broussailleuse. Un  examinateur compétent, chargé de la logistique de la guilde depuis trois ans. Suffisamment pour s’y connaître. Suffisamment pour commettre quelques méfaits sans avoir encore été débusqué. A mon arrivée, il lève la tête dans ma direction, haussant un sourcil.

-Conseiller ?

Il jette un regard interrogateur à l’examinateur Garoff arrivant derrière moi et se lève à moitié, par respect.

-Laissez, Butler. Je vois que vous êtes bien occupé. Le rapport qualité, je suppose ?
-Oui… Conseiller.
-Passer le moi, voulez-vous ? Vous vous imaginez bien qu’il est important que la livraison soit de qualité cette fois. Dans le cas contraire, on passerait vraiment pour des branquignoles auprès de la couronne.
-Oui, monsieur le conseiller. Je vais vous laisser.
-Non. Restez, s’il vous plaît.
-Si vous … insistez.

Oui. J’insiste. Notamment pour lui éviter de donner des ordres d’annulations s’il est bien dans la magouille. En muselant les potentielles têtes pensantes, les petites mains agiront et on pourra les prendre la main dans la caisse. Et après, je ne réponds plus de rien.

La visite du conseiller n’a pas l’air de mettre tout le monde en confiance, loin de là. Passé les dirigeants de l’endroit, même dans les rangs il semble y avoir une certaine agitation même s’il n’était pas aisé pour Violette de savoir si c’était parce-qu’ils avaient des choses à se reprocher ou simplement parce-que ce genre d’examinations surprises pouvaient être assez stressantes. C’était certain que même pour ceux qui espéraient passer la soirée à jouer aux cartes dans un coin du hangar, c’était raté.

Mais est-ce-que cela n’allait pas les empêcher de passer à l’acte? La présence du conseiller n’allait-elle pas être trop intimidante? C’était ce qu’elle s’était dit mais au final il alla assez rapidement s’enfermer dans un bureau avec les examinateurs de la guilde. Avait-elle manqué un message ou un indice de sa part? Cette question la travaillait tout particulièrement alors que les différentes personnes reprennaient leur poste. Il fallait dire que même pour Violette, l’organisation n’était pas fameuse. Simplement quelques patrouilles, sans chemin prédéfini, et juste deux présences à chaque entrée possible.

Si l’aventurière savait parfaitement ce qu’elle cherchait, comment pouvait-elle remonter l’information jusqu’au Conseiller? Elle ne pourrait pas vraiment les interpeller elle-même sans risquer de s’attirer de graves problèmes. Et n’aurait ensuite pas d’autres preuves que sa voix contre la leur. Il allait falloir qu’elle soit plus maline que ça.

Son idée de poste d’observation tenait toujours malgré sa mission et la présence du conseiller. Il fallait dire, quelle importance si elle réalisait un abandon de poste alors qu’il était là? C’était lui qui l’avait embauchée pour ce travail, plus ou moins. Elle profita alors d’un moment où elle était seule pour échanger de place avec son ombre restée dehors sans être vue. Son ombre se cacha dans l’entrepôt, alors qu’elle, de son côté, entreprit d’escalader discrètement un toit qu’elle avait repéré depuis le sol à l’aide de sa corde magique. Depuis les fenêtres en haut de l’entrepôt permettant en plein jour de laisser filtrer la lumière, elle avait une vision sur les caisses en question.

Pendant ce temps, son ombre s’était faufilée au-dessus de caisse et placée de sorte à être parfaitement invisible. Violette échangea simplement la place d’un de ses yeux et une oreille avec son ombre, permettant de surveiller de deux angles différents tout en entendant en plus ce qu’il se passait dans la pièce. Histoire d’entendre quelques bribes de discussions...

« - Eh, tu penses que la nouvelle s’est barrée?
- J’sais pas, ça va bien faire quelques minutes qu’on l’a pas croisée.
- Tu penses qu’elle s’est barrée à la taverne pour la nuit? Ca m’étonnerait pas, l’avait pas l’air super sérieuse.
- Avec le conseiller à côté? La p’tite a pas froid aux yeux.
- Et nous, on va avoir froid aux yeux ce soir?
- Naah… L’boss doit être en train de le retenir avec de la paperasse.
- T’es sûr?
- Sûrement, il nous aurait fait signe sinon. »

Bon, Violette ne connaissait pas vraiment leurs noms, parce-qu’elle n’avait pas réussi à tout retenir… Mais là encore, cela ne les incriminait en rien. Même si cela voudrait bien dire qu’il y avait quelque chose de louche sous toute cette affaire. Elle ne resta pas trop longtemps à observer depuis son ombre, l’utilisation de son pouvoir ainsi était assez demandant sur la durée, alors elle se contenta d’observer avec la vision nocturne de la longue vue Aiglefin. Elle l’avait réglé pour ne pas manquer une miette de ce qui se passait dans son champ de vision. Alors, certes, elle ne voyait pas tout l’entrepôt, mais elle voyait les caisses importantes. Elle n’en avait que faire que de protéger des caisses de papier.

Un peu de temps passa, assez pour signifier la mort de la moitié d’un paquet de biscuits qu’elle avait pris avec elle, jusqu’à ce que des mouvements louches n’attirent son œil. Quatre aventuriers avaient ramené une caisse proche de la cargaison, et, les ouvrant, commencèrent de bien drôles de manipulations à la lueur d’une lanterne.

Profitant de la cachette de son ombre, Violette fouilla dans son sac, et échangea la moitié de son visage et son bras droit avec son ombre une fois encore. De sa position surelvée, et malgré la vigilance des aventuriers, aucun ne pensa à regarder vers le haut. Une erreur commune de beaucoup de personnes dans ce genre de situations. Ajustant son cadre magique, elle prit le temps de prendre plusieurs clichés discrets ne laissant aucun doute quant à l’opération de remplacement des lunettes de jours par d’autres. Sans autres aventuriers de patrouille pour les déranger, ils avaient le champ libre, même si deux hommes montaient la garde de chaque côté du chemin, alors que deux autres s’activaient à changer la chose.

Ramenant la situation à la normale, l’aventurière prit le temps d’examiner la qualité des clichés. La luminosité n’était pas fameuse, mais, les personnes reconnaissables, toutes, et prises sur le fait. Maintenant, il s’agissait de ramener les preuves au concerné. Ce en quoi son ombre était déjà partie à toute vitesse après avoir esquivé toute observation directe des malfaiteurs qui continuaient leur petit manège.

Dans les bureaux de l’entrepôt, la porte s’ouvrit d’elle-même face aux trois compères qui s’y trouvaient, Violette ayant juste échangé sa main gauche pour ouvrir la porte, avant de laisser son ombre s’y avancer. Là, elle était parfaitement visible à la lueur des lampes qui s’y trouvaient, la silhouette sombre se découpant assez clairement sur le mur. Allait-elle provoquer une petite panique et passer pour une assassin? Peut-être. Mais elle n’avait pas réfléchi aussi loin.

Une main droite fit son apparition devant le conseiller coupée par un petit brouillard d’ombre, et tenant un cadre magique en main. Un cadre magique avec certains clichés forts compromettants. Un cadre qu’elle lâcha directement dans les bras du moustachu, avant que la main ne disparaisse à son tour, que l’ombre n’effectue une petite courbette, avant de s’éclipser par la porte de la même façon que par laquelle elle était entrée.

Restait à voir ce que le coup de pied dans la fourmillière allait causer. Pendant ce temps, depuis son toit, Violette surveillait les coupables à la longue vue. Son ombre était déjà sur le voyage retour pour pouvoir continuer la traque. Qu’allaient-ils faire des vraies lunettes? Qui allaient-ils rejoindre? Les petites mains du délit était une chose, mais maintenant, il fallait encore attraper le réseau.

Bon par contre, elle n’avait plus de cadre magique dans l’immédiat… Il lui restait toujours un cristal de souvenir, si besoin. Ça ferait l’affaire aussi...

-Qu’est…ce que c’était ?
-Ne vous inquiétez pas Butler. Continuez sur votre intéressante histoire d’optimisation des stocks pour une meilleure gestion des coups. Je suis sûr que ça intéressera du monde.
-Bien… si vous insistez.
-J’insiste.

Je lui offre un sourire confiant, même si j’ai absolument aucune idée de ce qu’il vient de se passer. J’ai peut-être bien une vague idée rapport au dossier d’inscription de l’aventurière Lehnsherr que j’ai survolé et qui devait probablement mentionner quelque chose dans le genre, mais la pratique est toujours surprenante, surtout quand elle se produit en milieu d’une conversation enrichissante, même si l’examinateur Butler ne semble pas le plus motiver à raconter son histoire, rapport aux multiples tentatives qu’il a entrepris pour s’éclipser. Difficile de s’éclipser quand un membre du conseil est présent et donne l’impression d’être accroché à vos lèvres, buvant vos paroles pleines d’optimisations, de chiffres et de promesses de paperasses à remplir. Discrètement, je prends connaissance de l’objet de son contenu. Je prends beaucoup sur moi pour ne pas trahir la nature des informations qui me parviennent et j’ai même bien du mal à dissimuler un rictus haineux quand je vois mes soupçons prendre forme devant mes yeux. Au milieu d’une tirade sur les avantages financiers de sa proposition, Servat Butler ne peut s’empêcher de tendre le cou dans une vaine tentative d’avoir un aperçu de ce que je regarde. De son côté, Garoff reste silencieux, s’épongeant le front, comme convaincu que ne pas se faire remarquer est la meilleure idée du monde. D’un mouvement lent, je range le cadre dans une des grandes poches de ma veste et je lève un regard inquisiteur vers les deux examinateurs.

Il y a bien donc échange. Mais qui est derrière tout ça ? L’un, ou l’autre, ou les deux ? Enfin, des intermédiaires, très probablement, mais leur tête me suffira pour cette nuit. Les deux paraissent inquiets, mais il peut y avoir d’autres explications que celle de se faire des soucis pour leur magouille. Outre que la visite d’un conseiller peut toujours cacher quelques réprimandes, il n’est pas non plus impossible que d’autres magouilles de moindre importance soient réalisées en ces lieux et la peur d’être découvert fait peur. Il n’y a aucune place pour la corruption au sein de ma guilde. Quoiqu’il en soit, si c’est l’un des deux qui chapotent le trafic sur les lunettes, il doit savoir que l’échange a dû avoir lieu, et le timing d’apparition de l’ombre de Violette n’est pas sans inquiéter. Si depuis que je suis arrivé, j’ai été assez passif, je pense qu’il est temps de les bousculer un peu et de voir ce qu’on peut en tirer.

-Quelque chose ne va pas, Butler ? Vous semblez… soucieux. Et vous, Garoff, vous êtes si silencieux. Quelque chose vous tracasse ?

Les deux examinateurs échangent un regard qui pourrait être interprété de bien des façons différentes. J’insiste avant qu’ils puissent me répondre.

-Vous ne me cacheriez pas quelque chose, par hasard ?

J’ai un petit rire comme si c’était une blague. Butler fronce les sourcils tandis que Garoff fait non de la tête rapidement avant de défendre.

-Pas du tout, conseiller ! Je suis juste… inquiet pour la cargaison. C’est une marchandise importante autant pour la guilde que pour sa réputation. Comme le montre votre présence ici, même si vous ne le dites pas.

J’hausse un sourcil. Il est assez franc. Et son raisonnement tient parfaitement. Je ne sais trop quoi penser de sa déclaration, s’il cherche ou non à couvrir quelque chose, mais Butler intervient.

-Vous ne devriez pas vous inquiéter, Garoff. La sécurité est garantie par des aventuriers compétents qui ont l’habitude de ce genre d’exercice. Ils sauront gérer le moindre problème. Et puis, s’il y a du grabuge, la garde interviendra dans des délais raisonnables. Une dizaine de minutes d’après le plan d’évacuation, non ?
-Oui. C’est vrai. Vous avez raison Servat.
-Si vous êtes inquiets, vous pouvez réaliser un tour de la sécurité.
-Vraiment conseiller ? Merci. Je pense que ça me rassurerait de constater que tout va bien.
-Permettez que je l’accompagne, Conseiller ? Je connais mieux la sécurité de nos aventuriers.
- Allez-y.

Presque avec un soulagement et un brin de précipitation, les deux hommes se lèvent et se dirigent vers la sortie.

-Je vais en profiter pour me reposer un peu. La lumière et la fatigue. Fermer les yeux, c’est agréable.
-Bien conseiller. Je vais faire en sorte qu’on ne vous dérange pas.
-C’est bien aimable, Garoff.

Ils sortent et ferment la porte derrière eux. Je me lève à mon tour afin de mettre le verrou, afin d’assurer ma tranquillité avant de retourner à ma place. D’une autre de mes poches, je sors un bracelet à l’aspect bien étrange, presque intangible. Un objet magique que j’ai obtenu après des péripéties dans un manoir étrange il y a plusieurs lunes. Un objet fort utile, me permettant de me déplacer pendant quelques minutes sous la forme d’un fantôme, passant à travers les murs, écoutant sans être vu. Un outil précieux pour récolter des informations, mais qui peut s’avérer dangereux vis-à-vis de la vie privée. Quand je l’ai essayé, j’ai pu apprendre à mes dépens que des voisins cherchaient à faire un gosse d’une bien étrange manière. Je me suis promis à l’avenir de modérer son utilisation. Même si mon fond de commerce, c’est l’information, il y a des manières d’en récupérer qui sont contre une certaine éthique. Et ça en fait partie. Dans le cas présent, face à des criminels voire des traîtres, on ne fait pas dans la dentelle. Enfermé dans la pièce, j’active l’objet et soudain, je me sens sortir de mon corps et le contempler à travers une forme ectoplasmique, avachi sur sa chaise, comme mort.

-Je suis quand même un sacré beau gosse.

Mais l’heure n’est pas à me contempler. Je vole rapidement à travers les murs pour me positionner au milieu du hangar, cherchant ma paire d’aventuriers. Et j’ai la surprise de constater qu’ils font effectivement le tour de la sécurité, vérifiant certains recoins et interrogeant les gardes présents. J’aurais cru que l’un d’entre eux se serait éclipsé pour mieux gérer ses hommes. Un instant hésitant, je réfléchis à toute vitesse. Les images montraient une caisse et quatre individus. Plutôt volumineuse, la caisse. Pas du genre à passer par les portes. La seule sortie viable, c’est l’accès des chariots. Je m’y précipite, passant même à travers un aventurier qui ne sent rien, évidemment. Arrivant sur place, je constate que tout est silencieux, immobile. Je sors même dehors, mais il n’y a rien. Et je ne peux aller plus loin sans sortir du champ d’action de mon bracelet. J’en tire une conclusion. Le timing me paraît trop court pour que la marchandise soit déjà partie. Ce qui implique que la caisse est toujours là. Au milieu de tas d’autres. Anonyme. Mais contenant l’ensemble des preuves de cette affaire. Si dorénavant, on sait que les pions sont en action, identifier les fautifs n’est pas encore une chose garantie.

Violette n’avait pas vraiment pu vérifier comment son petit présent avait été reçu. Mais si le Conseiller était venu jusqu’ici, ce n’était certainement pas pour s’enfermer dans un bureau et parler affaires toute la nuit, alors elle avait jugé bon de lui fournir les informations le plus directement possible. Pendant que son ombre réalisait ce petit exercice, Violette, depuis son vrai corps, continuait de surveiller les environs. Notamment l’activité de ses “collègues” avec la caisse de lunettes, depuis son perchoir et à l’aide de sa longue-vue réglée sur la vision nocturne.

Elle n’avait aucune idée de ce qui pouvait se dire nulle part, à vrai dire, mais une fois leur petite opération réalisée, et la caisse de marchandises refermée, l’autre caisse fut emmenée par ces aventuriers dans l’entrepôt. Avec les couloirs, les tas de caisses bouchant la vue et les divers recoins, impossible de suivre tout ce qui pouvait bien se dérouler. L’aventurière les perdit bien de vue pendant quelques dizaines de secondes, et, en les revoyant, la caisse n’était plus là. Elle pouvait être quasiment sûre qu’ils n’avaient pas eu le temps de la sortie de l’entrepôt, à part en utilisant peut-être l’un de leurs pouvoirs. Et elle savait à peu près vers où la caisse avait été déposée. Seulement voilà, elle ne pouvait pas se mettre à fouiller dans la marchandise qu’elle était censée garder non plus, et la caisse ne disposait d’aucun symbole ou autre signe distinctif.

Du nouveau mouvement attira l’attention de la brune, deux types descendaient du bureau du haut, sans le conseiller. Visiblement soucieux de la sécurité de l’endroit, ils contrôlaient un peu tous les recoins. Leur avait-elle fait peur? Peut-être… Son propre comportement était sûrement suspect, elle n’allait pas dire le contraire. Encore fallait-il qu’elle puisse être reconnue.

Le principal était également de pouvoir retrouver la caisse, et de savoir comment les coupables comptaient l’extraire de l’endroit. L’idéal serait de les prendre la main dans le sac, avec suffisamment de témoins. Même si cela ne permettrait pas forcément de coincer tous les responsables, surtout les plus prudents. Ces quatre là n’étaient pas forcément les seuls à être dans le coup et peut-être que d’autres manigancaient aussi. Ce qu’elle était sûre, c’était que la caisse était encore très certainement dans l’entrepôt. Elle n’avait rien vu partir ni par la voie terrestre, ni par la voie fluviale.

L’aventurière prit un instant pour se poser et réfléchir à comment ils pourraient faire ensuite. Ils avaient bien deux voies d’extraction de la marchandise, mais passer par la terre pourrait vite avoir l’air louche sans convoi officiel, ou du moins ayant l’air officiel. Ou bien par le fleuve où de la même façon une embarcation non attendue serait étrange. A moins que les coupables comptaient faire sortir le contenu de la caisse petit à petit?

Dans tous les cas, Violette décida de revenir un peu plus personnellement sur le terrain. L’idée était de trouver la caisse, et elle échangea donc entièrement de place avec son ombre, avant d’annuler son pouvoir. Elle aurait l’air bien louche si elle ne projetait pas d’ombre à la lueur des torches, après tout… Et tant pis pour son point d’observation.

Elle décida donc d’aller patrouiller dans la zone supposée où la caisse avait été placée mais dans tout cet endroit c’était assez difficile de la retrouver. Une caisse particulière au milieu de toutes les autres, qui n’avait rien pour être différenciée… Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Elle erra quelques minutes dans les couloirs du hangar, observant attentivement les caisses sans réussir à différencier celle qu’elle cherchait, notant mentalement quelques candidates potentielles.

Elle fut interrompue un moment par le groupe des deux examinateurs, dont elle ne connaissait pas les noms, mais peu importait. Ils lui demandèrent si elle avait vu quoi que ce soit de louche ou de bizarre, une activité suspecte ou quoi que ce soit du genre? Evidemment que oui, elle avait vu ce genre de choses. Mais pouvait-elle vraiment leur faire confiance? Étaient-ils dans le coup ou non? Comme Whiskeyjack lui avait dit, les coupables pouvaient être n’importe qui alors elle ne pouvait pas leur avouer ce qu’elle avait vu et ce qu’elle venait de faire.

Elle fit donc non de la tête avec une petite moue pas des plus convaincantes. Heureusement qu’ils ne se connaissaient pas mieux que cela d’ailleurs, Violette n’était pas une excellente menteuse…

« Non, rien du tout, tout est calme. » répondit-elle simplement, alors que les deux examinateurs semblèrent se contenter de cette réponse. L’avaient-ils trouvée louche? Ou bien essayaient-ils juste d’identifier le responsable de cette drôle d’intrusion, ou d’éventuelles personnes enquêtant? Se doutaient-ils de quelque chose? Elle ne savait pas, toujours était-il qu’ils n’insistèrent pas plus que cela à questionner l’aventurière, qui pouvait alors retourner à son enquête.

Là où la caisse avait été déposée était une zone plus facilement accessible depuis le côté fleuve, côté où rien n’avait été chargé ou déchargé dernièrement, sans embarcations, sans rien. Mais si la configuration de l’endroit était juste un petit canal, les entrées de celui-ci par rapport au grand fleuve n’étaient pas particulièrement surveillées. Est-ce-qu’une barque allait furtivement être chargée pendant la nuit? Violette essaya de se concentrer sur les caisses qu’elle avait déjà noté mentalement.

Au final, les deux choix possibles étaient selon elle un départ par le fleuve, ou bien un vidage progressif de la caisse, peut-être via un petit sac sans fond, un tatouage de rangement, ou n’importe quelle poche dissimulée dans la tenue des coupables. Elle avait déjà normalement donné des preuves suffisantes pour interroger les quatre aventuriers et peut-être essayer de les cuisiner pour obtenir les réponses à leurs questions… Mais cela ne coûtait rien d’essayer de récolter un peu plus de preuves avant, se disait-elle.

Je rentabilise au maximum les capacités de mon petit objet si particulier. Je patrouille un maximum à la recherche d’informations qui pourraient m’aider à y voir clair et à prévoir le prochain coup de nos traîtres. J’avise de loin les deux examinateurs interrogeant l’aventurière Lehnsherr et je file à l’opposé. Je finis par tomber sur un groupe de trois aventuriers surveillant distraitement la péniche d’un côté tandis que le troisième jette des regards par une petite fenêtre vers l’extérieur. Ils ont l’air d’attendre quelque chose et quelques tics de comportement traduisent une certaine anxiété.

-Je le sens pas du tout. C’est sûrement pas un hasard.
- On n’a pas eu d’emmerdes, jusque là. Il est encore en haut à s’amuser avec des papiers.
-Avec ce qu’il s’est passé, c’est normal qu’il s’inquiète, mais il a confiance dans la guilde. Il nous soupçonne pas.
-Mouai. Bah je préfère que la marchandise soit le plus loin possible le plus rapidement possible. Je sens venir une catastrophe.
-Je suis pas contre non plus.
-Ils sont censés arriver quand ?
-Ils avaient dit à…

Je n’entends pas la suite. Je suis arrivé à bout des capacités de mon anneau. Comme si j’avais mordu à l’hameçon d’un pêcheur de la mort, je suis tiré contre mon gré vers mon corps. Je pourrais lutter, mais quand j’ai essayé l’objet pour la première fois, je me suis dit que, peut-être, lutter m'interdisait de revenir dans mon corps pour l’éternité. Ce qui ne serait pas quelque chose de très amusant, je dois vous avouer. Je me laisse tirer jusqu’à mon corps, mes sens réduit à néant, aveugle à ce qui m’entoure jusqu’à reprendre ma place dans cette merveilleuse évolution humaine et administrative que je suis. Evidemment, le réveil ne se fait pas agréablement. J’ai une migraine soudaine comme si mon corps me disait que quelque chose d’anormal s'était produit. Et je me doute bien que ce que j’ai vécu est semblable à la mort et que revenir de la mort n’est pas quelque chose que l’on fait très souvent.

Ne souriez pas.

Bref, je me masse les tempes, clignant des yeux plusieurs fois pour revenir à moi. Je manque de me casser la figure en voulant me lever, le temps que la jonction se fasse bien entre le cerveau et les muscles. Puis je gamberge sur les informations que j’ai obtenues. Il est donc prévu que la marchandise soit exfiltrée prochainement. Il faut établir un plan avec Violette pour que rien ne nous échappe, maintenant que j’ai grillé ma carte d’observation magique. Je déverrouille la porte et je sors des bureaux, jetant des regards un peu partout à la recherche d’un éventuel individu qui me surveillerait. Je finis par descendre et je me dirige vers l’endroit où j’avais repéré l’aventurière un poil plus tôt. Je finis par la retrouver, surveillant les environs d’une zone du hangar. Enfin, c’est plutôt elle qui vient à moi, puisqu’elle est quand même plus discrète que moi. Faut dire que si on me voyait essayer d’être discret, ça serait sacrément bizarre.

Du coup, on partage nos informations. Je comprends bien ces arguments concernant un départ par la voie maritime, même si ça me paraît dangereux. Il suffirait d’un aventurier qui ne soit pas dans le coup pour donner l’alerte, voyant arriver une embarcation par ici alors que ce n’est pas du tout prévu et totalement suspect. Elle décrit en quelques détails les gars qu’elle a vu faire le changement de marchandises. Ils correspondent aux gars dont j’ai entendu parler. On pourrait les interroger, mais je ne préfère pas. Il est probable qu’ils aient un rôle à jouer dans la suite et si on les empêche d’agir, leur complice pourrait stopper leur opération. Le but n’est pas de chopper la main d’œuvre. Il faut au moins remonter jusqu’au coordinateur de l’opération. Quelqu’un qui a suffisamment d’influence pour recruter ces gars là.

-Conseiller ? Qu’est ce que vous … faites… avec mademoiselle ?

Je me retourne. Derrière, les deux examinateurs me regardaient en fronçant les sourcils. C’est vrai que les coins sombres, c’est bien pour papoter, mais ce n’est pas non plus cent pour cent garanti qu’on n’est pas vu. Et ça peut prêter à confusion.

-Rien du tout, messieurs. La sécurité est-elle donc assurée ?
-Euh… oui. Rien d’anormal. Jusqu’à maintenant.
-Ne craignez rien. Juste une mise au point réglementaire.

Soudain, un grand bruit se fait entendre dans le hangar. Venant de l’autre bout. On échange un regard et on s’y précipite plutôt rapidement, craignant qu’on arrive trop tard et que la magouille se soit produite. Ça vient du côté de l’accès des chariots, qui plus est. Violette y est avant moi, mais j’y arrive rapidement après elle. On découvre un chariot, effectivement. Les portes sont ouvertes et trois individus sont occupés à charger des caisses dans le chariot. J’arrive au milieu de tout ça, levant les mains bien haut.

-Que personne ne bouge ! Qu’est ce qui se passe ici ?

Les trois inconnus me regardent, interloqués. J’identifie des plaques d’aventuriers sur deux d’entre eux et le troisième me fait penser à un hôte de la guilde.

-Conseiller Callahan ? Mais qu’est ce qui se passe ?
-C’est vous qui allez me dire ce qui se passe !
-Bah… on charge des marchandises pour la guilde.
-En pleine nuit ?
-C’est l’horaire qu’on nous a donné.
-Qui vous l’a donné ?
-L’examinateur en chef Trovnik.

Je deviens un peu blanc. Comment ? Trovnik serait dans le coup ? Impossible. Il n’y a pas plus intègre que lui. Il préférerait s’ouvrir les veines plutôt que de réaliser la moindre entorse au règlement, qu’il a lui-même rédigé la quasi-totalité accessoirement. Derrière moi, les deux examinateurs finissent par arriver, le souffle court. De tous les accès, la sécurité déboule, alertée par les bruits. Ils ne peuvent pas s’enfuir.

-Garoff ? Ceci était prévu ?
-Oui, conseiller. J’ai oublié de vous le mentionner.
-Je ne vous l’avais pas demandé.
-C’est vrai, aussi.
-Et vous transportez quoi ?
-Fournitures diverses. Beaucoup de papier. Les stocks des archives sont bas.

Mesures d’urgence, donc.
Quelque chose me titille soudainement. Je me rends compte que l’un des deux gars aventuriers avec l’hôte est l’un des gars identifiés dans la magouille. C’est justement lui qui se tient à côté de la caisse qui est tombée par terre. Une sacrée erreur de l’avoir laissé tomber. Mais est-ce vraiment une erreur ? Je regarde les aventuriers présents. Aucune trace des autres. Il me vient une idée soudainement horrible. L’idée que tout ceci n’est peut-être qu’une diversion. Et que dans notre dos, une embarcation a accosté. Je capte le regard de Violette et d’un geste sans équivoque, je lui indique d’y retourner avant qu’il ne soit trop tard.

D’un côté, avec ses petites manigances à elle, l’aventurière n’avait pas vraiment pu suivre ce qu’il était advenu des véritables lunettes de jour. Il allait falloir rester encore un peu discrète et essayer de trouver comment tout cela allait se passer. Elle fut néanmoins assez surprise de voir le conseiller débarquer un peu plus tard, seul. L’occasion d’échanger plus directement les informations, les suspicions, et ce qu’elle avait pu voir et constater. Une embarcation illégale était effectivement difficile à ne pas apercevoir si elle accostait, elle n’allait pas dire le contraire. Mais il y avait alors certainement une autre combine pour attirer l’attention et… Pas le temps d’en discuter plus que cela.

Les deux gradés du coin qui les surprennent en train de papoter, évidemment. Violette ne sait pas spécialement quoi dire à ce moment-là mais on sent que le moustachu est bien plus expérimenté avec les mots qu’elle. Pas sûr qu’ils n’aient pu entendre grand-chose, par contre, ils semblaient venir tout juste d’arriver.

« Ouais, c’est que c’est compliqué toutes les règles, mais je crois que j’ai mieux compris maintenant. » déclara-t-elle d’un ton pas forcément des plus convaincants. Un peu comme si elle n’avait pas tout compris plus que si elle était en train de raconter un immense mensonge, heureusement. Bon, passer pour la petite nouvelle un peu conne n’était pas particulièrement un problème. Heureusement, ce petit interrogatoire se fit interrompre par un immense bruit, et Violette s’élança à la suite du Conseiller, un peu moins réactive sur ce genre de choses. Une caisse qui tombait, ce n’était pas la mort. A moins de se trouver en-dessous.

Au cas où, Violette pressa tout de même le pas, un peu plus athlétique que le grand manitou administratif. C’est juste trois types qui chargent un chariot, après tout, et Callahan arrive un peu après face aux trois types interloqués qui chargeaient tout bêtement leur cargaison visiblement tout à fait officielle. Cargaison de paperasse en plus, le principe même de la chose donnait des nausées à la brune...

Dans tous les cas, c’était peu probable en les entendant parler que la cargaison contienne la caisse en question. Son regard croisa alors celui du conseiller, semblant vouloir lui transmettre un petit message. De faire un peu marcher ses neurones. Une diversion. Elle avait bien reconnu un des aventuriers, celui qui venait de faire tomber une caisse. Un de ceux qui étaient dans le coup. Une diversion. Déjà.

« Bon, tout va bien ici, je vais retourner à mon poste. » déclara-t-elle simplement, s’éloignant d’un pas lent, passant derrière une caisse alors que son ombre était déjà partie en sprintant vers les quais. C’était à l’opposé de l’entrepôt, après tout. A mi-parcours, alors que Violette était à nouveau complètement invisible aux yeux de tous, elle échangea de place avec son ombre, manqua de peu de tomber suite à la désorientation que cela causait.

Peu de temps après, un “plouf” lointain suivi d’un bruit étrange se fit entendre. Étrange, mais elle poursuivit sa course vers les quais. C’était louche. Le temps d’arriver le souffle un peu court face aux trois aventuriers, à côté d’un diable vide, au bord de l’eau, en train de papoter, même s’ils s’étaient tus en la voyant arriver.

« Bah alors, pourquoi tu cours comme ça? »
« On peut plus prendre une petite pause au bord de l’eau? »

Le calme était revenu sur les quais, pas le moindre signe d’une embarcation à l’horizon, ni aucun bruit suspect. Néanmoins, ce drôle de bruit aquatique était louche. Et avec le diable à côté d’eux, c’était comme s’ils venaient de balancer une caisse à la flotte. Et elle ne voyait pas quelle autre caisse cela pourrait être que celle qu’ils cherchaient.

« Ah, euh… Nan, j’ai juste entendu un truc tomber à l’eau et je suis venue voir si tout allait bien! Vous prenez souvent vos pauses avec un diable? » demanda-t-elle quand même, histoire d’essayer de tester un petit peu leur réaction. Elle n’attendait pas de grands résultats de ses capacités dans le domaine. Mais la première réaction était plutôt aggressive. Pas un aveu en soi, mais de quoi éveiller certains soupçons.

« Qu’est-ce-que ça peut te foutre? »
« C’est un truc qui restait de la livraison précédente, une cargaison de paperasse. L’a pas été rangé, du coup on s’est foutu là pour le ranger après notre pause. »

L’autre avait mis un peu de temps avant de sortir cette excuse, un peu plus diplomate, mais c’était une excuse qui tenait à peu près. Violette ne se rappelait pas avoir vu de diable solitaire traîner ici avant, ni de livraison de papier ce soir, donc elle avait un certain doute. Mais si c’était la même marchandise urgente qui partait cette nuit par voie terrestre à destination de la guilde, cela avait du sens. Elle n’avait rien à redire à ça.

« Pas la peine de s’énerver, hein, je fais que mon boulot! Bonne soirée à vous ! » déclara-t-elle alors, s’éloignant à nouveau dans les allées de l’entrepôt alors que son ombre avait pris de l’avance. Un nouvel échange, et elle se trouva proche de l’endroit où elle avait vu le conseiller pour la dernière fois. Elle avait besoin de lui pour ça, d’échanger encore pour voir ce qu’il en pensait et si ses suspicions étaient partagées. Pas de barque ni d'embarcation, mais une autre technique un peu originale, et sûrement un peu magique. Ce n’était pas des amateurs dans le domaine de la contrebande si c’était vrai.

Elle s’avança donc vers le conseiller une nouvelle fois.

« Hum… Conseiller Callahan? J’aurais encore quelques questions réglementaires sur la gestion des marchandises de la Guilde. On peut en parler? » demanda-t-elle alors, d’un ton clairement pas assez assuré. Bravo Violette, un magnifique moyen d’avoir l’air bien louche devant un tas de gens et de se retrouver avec des rumeurs bien chiantes aux fesses.

J’acquiesce à sa demande, non sans une once d’inquiétude. J’aurais aimé une réaction un peu moins conformiste, ce qui aurait traduit une certaine agitation et le fait qu’elle ait vu des choses suffisamment intéressantes pour qu’on puisse avancer dans cette entreprise qui commence sérieusement à tourner en eau de boudin. A croire que même en ayant préparé un piège, on va se faire avoir. Je pourrais presque me féliciter d’avoir des gars de la guilde suffisamment talentueux pour me faire perdre le fil. Si c’était pas des traîtres en puissance, évidemment. On s’écarte donc et la jeune aventurière partage ses observations et ses inquiétudes. Je suis d’accord avec elle. Clairement, il s’est passé un truc. N’importe qui serait allé voir le bruit surtout que les consignes sont claires. La livraison est annoncée comme capitale pour les intérêts de la guilde. Si encore ils étaient proche de la piscine à surveiller et pas à faire la causette avec une explication vaseuse. Si les procédures acceptent l’idée des livraisons de nuit, car les archives n’attendent pas, qui s’occupent de bouger des marchandises lors d’un soir ou la sécurité est optimale ?

-Je vais m’en occuper. Ne restez pas très loin et surveillez plus loin dans le sens du courant.

Très possible qu’il l’ait balancé dans l’eau. Sauf que la caisse fait son poids et je doute qu’elle puisse flotter dans ces circonstances. Je préfère prévoir le coup plutôt que d’arriver une nouvelle fois en retard. On sort de notre discussion privé et je m’occupe de me diriger vers le groupe de trois gars qui tentent de prendre justement la tangente. Non loin, l’examinateur Butler arrive. Garoff n’est pas avec lui. J’interpelle les aventuriers concernés.

-Hé ! Vous ! Ne bougez pas !

Deux s’immobilisent tandis que le troisième prend l’option de ne pas avoir entendu, mais difficile de continuer l’opération quand on se fait trahir par ces deux collègues. Butler me rejoint rapidement, haussant un sourcil quant à mon interpellation.

-Quelque chose ne va pas, conseiller ?
-Oui. Quelque chose ne va pas. Où est Garoff ?
-Il supervise le départ du chargement pour la guilde. Je peux vous aider ?
-Restez avec moi et taisez vous, Butler.

Je commence à perdre patience. L’examinateur semble choqué de ma réaction, ou bien est-ce que le fait que j’arrête des membres de son équipe de surveillance l’interpelle tout particulièrement ? L’homme n’est pas encore sorti de la liste des suspects. Je m’approche donc des trois gaillards et je reconnais deux des types que j’ai entendu causer pendant que j’étais un fantôme. Mes suspicions augmentent d’un cran. Mes yeux se baissent sur le diable qu’ils transportent. Le fameux. Pour le mettre à leur place.

-Que faites-vous ?
-Bah… on surveille conseiller. C’est pas ce qu’il faut faire ?
-Rien d’autre ?
-Non. Juste qu’on a causé, quoi.

Je crois qu’il va falloir employer la manière magique, puisque parfois, les mots et la sincérité humaine ne suffisent pas. Je sors ma plume d’Anima de l’une de mes nombreuses poches et je la montre à ces messieurs.

-Savez vous ce que c’est ?
-Une… plume ?
-Une plume magique. Qui permet de faire parler les objets.

Le silence est éloquent. Ils ne savent pas quoi répondre. Je m’approche du diable sans trop d’appréhension. Une fois la parole donnée, les objets peuvent accorder une certaine fidélité à leur propriétaire. Quelque chose d’assez sommaire, mais qui peut s’avérer utile. Je doute qu’il y ait un véritable lien entre ces gaillards et cet objet qui doit appartenir à l’entrepôt. Pas de crainte à avoir de ce côté-là.

-Pourquoi voulez-vous faire parler un objet, Conseiller ?
-Butler ? Votre bouche.

D’un mouvement vif, je fais passer la pointe de la plume sur l’une des bar du diable qui, soudainement, se met à s’agiter sur ses deux roues.

-PORTER ! PORTER ! JE VEUX PORTER ! PORTER DES TRUCS !
-Bonsoir, diable. Comment vas-tu ?
-BIEN ! BIEN ! J’AI PORTÉ UN TRUC ! J’AIME PORTER DES TRUCS !
-Tu as porté quelque chose, diable ?
-OUI ! OUI ! UNE CAISSE ! PLOUF DANS L’EAU !

Le visage des trois aventuriers se décomposent devant mes yeux tandis que je les fixe, un rictus assassin sur les lèvres.

-Mais encore, diable. Qu’ont t’ils dit ?
-PORTER QU’UNE CAISSE ! TRISTE ! J’VOULAIS ROULER TOUT DE SUITE ! MAIS METTRE UN PENDENTIF DESSUS ! PRESSE ! PORTER UN TRUC ! VITE !

Un pendentif plume ? Plausible. Diminué le poids pour faire flotter la caisse qui est emporté par le courant et récupéré plus loin. Pas trop loin, j’imagine, mais à l’abri des regards. Il suffirait d’attendre trop longtemps pour qu’elle se perde dans le canal, on ne sait où. Derrière moi, Butler s’approche, aussi blanc que les aventuriers.

-Mais enfin, conseiller. Peut-on vraiment croire un objet ? Vous n’allez tout de même pas croire que nos hommes vous ont menti !
-Je le crois, Servat. Et si vous ne le croyez pas, je peux frotter cette plume sur la totalité de vos fringues pour qu’elles me revelènt ce que vous avez fait toute la journée jusqu’aux moindres de vos petits détails. C’est vraiment ce que vous voulez, Servat ?

Je le fusille du regard et il se tait, ces yeux lançant des éclairs. Je me retourne vers les trois aventuriers qui ne savent que faire. D’autres aventuriers de la sécurité arrivent non loin. Garoff n’est peut-être pas loin. Difficile de faire un mauvais geste.

-Je vous donne une chance de vous racheter et de me dire où ils doivent la récupérer.

Silence. Ils se regardent mais ils ne caftent pas. Ça me répugne un peu, mais déshonorer la guilde me répugne d’autant plus. On va passer aux menaces létales. Je me rapproche, de sorte à ce que eux seuls puissent entendre.

-Vous connaissez Jin Hidoru ?

Ils connaissent.

-C’est un ami. Je peux vous laisser seul avec lui, si vous voulez. Jusqu’à ce qu’on entende plus jamais parler de vous dans ce royaume. J’espère que vous aimez avoir chaud.

Une goutte de sueur perle sur leur front. Je pense qu’ils ne vont pas tarder à peser le pour et le contre dans la bonne direction.

Violette était quasiment certaine que le groupe qu’elle avait pu immortaliser sur son cadre magique était impliqué dans le trafic. Aussi, ce qu’elle avait pu constater était très louche et elle avait donc sollicité l’avis du Conseiller. A vrai dire, selon elle, il y avait eu une utilisation de leur don de Lucy pour réussir à ce que la caisse prenne le courant et soit récupérée plus loin. Suivre la cargaison était une chose, mais elle se devait aussi de prévenir le conseiller de ce qui se passait. La marchandise serait sûrement récupérée par des complices et à part constater le méfait…

Néanmoins, il fallait bien constater la chose pour pouvoir trouver et arrêter les complices… Et elle n’avait pas trop de temps à perdre pour ça. Alors elle s’en alla alors que Whiskeyjack interpella les éventuels responsables. Quittant l’entrepôt, elle alla longer les quais à la recherche d’une quelconque activité suspecte. Le courant n’était pas spécialement fort et, certainement que la récupération ne se ferait pas à côté de l’entrepôt. Elle pressa tout de même le pas, alors qu’un petit groupe de gens au bord de l’eau semblaient actifs à quelque chose une petite centaine de mètres plus loin.

Le Conseiller lui avait peut-être dit de ne pas rester très loin, certes, mais elle ne pouvait pas juste débarquer et les interpeller sur leurs activités… Déjà, elle se ferait rejeter, voire attaquer, et elle n’était pas de taille à les battre. Ou du moins pas sans risquer sa mort, ou la leur. Maîtriser quelqu’un était bien plus difficile qu’il n’y paraissait, après tout. Même si ce n’était pas des aventuriers et juste des brigands - difficile à voir d’ici - ce serait beaucoup trop risqué. Surtout qu’un ou deux pouvaient facilement s’échapper.

Déviant dans une ruelle déserte proche, elle reprit son souffle et observa la scène… Ils remontaient justement une caisse de l’eau. Une caisse vaguement familière, entourée d’une sorte de bulle de protection qu’ils éclatèrent une fois le tout au sec. Certainement un effet magique. L’aventurière sauvegarda ce souvenir dans son cristal de souvenirs, comme preuve. Puis elle détacha son ombre et utilisa son pouvoir pour simplement échanger un de ses yeux de place, elle fila le trajet des trois types. Ils marchaient paisiblement, tandis que Violette reprenait son souffle à des centaines de mètres de là, suivis simplement par un petit œil entouré d’ombre très discret en pleine nuit. Jusqu’à ce qu’ils n’entrent dans une sorte de petite maison un peu mal famée qui semblait aussi servir de dépôt.

Son œil les avait rejoint rapidement, et en profita pour observer le bâtiment sous toutes ses coutures et notamment par les quelques ouvertures ici ou là. Il y avait visiblement quelques marchandises disposées ici ou là… Et la caisse qu’ils venaient de récupérer. Violette commença personnellement à s’en rapprocher, rajoutant l’une de ses oreilles à la porte de la maison histoire de les entendre un petit peu parler.

« … rondement mené, hein, Wallace? »
« Ouaip, reste plus qu’à écouler tout ça comme d’hab et donner leur part aux autres rigolos, comme toujours. »
« Ils se font plaisir sur le pourcentage, ces salauds. »
« Ouais, mais bon, ouvrons plutôt une petite bière pour fêter ça. »

Violette hésita, si les autres se faisaient attraper, eux changeraient peut-être rapidement de planque ou au moins disparaitraient dans les bas-fonds de la capitale… Elle ferait mieux d’agir tout de suite, et la première des solutions qu’elle trouva fut de contacter la garde. Sauf que faire bouger ces types en leur expliquant tout allait prendre trois plombes, et il allait falloir ouvrir une enquête officielle, avoir un mandat ou n’importe quel autre truc légal chiant… Même en leur mettant les éléments sous leur nez ce soir, ce n’était pas garanti qu’ils se bougent. Pas impossible, mais pas garanti. Même avec son badge d’aventurière. Alors elle procéda différemment.

Trouvant une patrouille proche, elle prit un peu de distance et commença à crier dans la Capitale en pleine nuit, mais uniquement en échangeant sa bouche avec son ombre.

« AHHH! L CHEZ-MOIII, AU SECOUUURS!! »

Tout en laissant son ombre courir vers le repaire des malfrats, dans lequel, lorsqu’elle entendit l’agitation des gardes qui la suivaient sans vraiment pouvoir la voir alors que l’aventurière faisait attention que sa petite tromperie ne soit pas apperçue. Une technique qui fonctionna plutôt bien, et, dés que les gardes furent assez proches, elle entra simplement dans le repaire des brigands sous leur regard étonné alors qu’ils étaient en train de se servir une petite bière.

« HYAAAA! QUELQU’UN!! A L’AIIIIDE!! » recommença-t-elle alors pour guider les honnêtes forces de l’ordre jusqu’au repaire, qui firent irruption en cassant à moitié la porte face à une scène bizarre. Des types en train de se partager une bière, une Violette qui s’était roulée en boule dans un coin…

Peu importait si c’était du faux, le principal, était que les gardes fouillent l’endroit, trouvent la contrebande, puis embarquent tout le monde au poste le plus proche. Là elle aurait tout le temps de leur expliquer. Ou de demander à ce que Callahan vienne donner sa version des faits. Ce qui devrait la faire sortir de là.

Mais pour le moment, elle n’était qu’une dame en détresse.

Une des grandes leçons du trio d’aventuriers qui n’ont d’aventuriers que le nom, et plus pour très longtemps, puisque je me chargerais de proposer leur radiation dès la prochaine réunion du conseil, c’est qu’il vaut mieux faire des coups fourrés seul qu’accompagné. Principalement parce qu’on peut se faire confiance soi-même, mais qu’on est jamais à l’abri de la trahison d’un autre. Et quand on est au pied du mur, sous la menace d’être laissé seul à la merci d’un des aventuriers les plus puissants de la guilde dans des circonstances qui font que votre disparition laissera tout le monde indifférent, la trahison peut arriver plus vite qu’on ne le croit. Il suffit de planter un coin dans leur franche camaraderie pour qu’elle explose avant même qu’on ait commencé le travail.

-Celui qui parlera en premier sera exempté de discussion avec notre ami commun.

En deux phrases, l’un des gars a tout balancé. Pris de panique d’avoir été pris de vitesse, le deuxième surenchérit tout en essayant de se dédouaner alors que le dernier beugle de la boucler et que c’est un piège. Effectivement. Jamais je ne les aurais laissés seul avec Jin. J’aurais préféré le faire moi-même, mais il y a quand même des règles à respecter, même si j’ai toutes les raisons de leur en vouloir à mort.

-Servat. Mettez-les aux fers.
-Euh… c’est que… conseiller. Nous n’avons pas… de fers.

La problématique d’être aventurier et pas garde.

-Arrêtez les et mettez les sous bonnes gardes. S’il leur arrive la moindre chose, c’est votre tête que j’aurais.
-… Compris.

C’est à ce moment-là que Garoff se décide d’arriver, tout sourire, qu'il perd assez vite en voyant des aventuriers encadrés d’autres aventuriers à la mine abattue pour les emmener vers le bureau sous la direction d’un autre examinateur.

-Quelque chose ne va pas ?
-Taisez vous Garoff et ramenez la moitié des gars disponible le long de ce quai, dans environ cent cinquante mètres et quadrillez le secteur.
-Qu’est ce qu’on recherche, conseiller ?
-Une caisse de lunettes volée à la guilde. Ça vous dit quelque chose ?

Il blanchit. Il doit bien comprendre de quoi je parle. Que ça s’est reproduit. Alors que je suis là. Et que ça va sacrément bardé quand il met ça en corrélation avec les aventuriers se faisant escortés. Il bredouille quelque chose puis fait demi-tour. Pendant ce temps, j’ai remarqué que l’aventurière Lehnsherr n’était pas là. Qu’elle avait dû prendre les devants comme on peut compter sur les gens avec un peu de jugeote, ce qui manque parfois cruellement. Je pars alors dans la direction indiquée, espérant que ça ne soit pas trop tard, mes tripes bouillant de rage, espérant bien croiser la route d’un des responsables pour lui partager ma détermination à ce que ça ne se reproduise pas. A coup de poing, s’il le faut. Je finis par arriver sur place et je commence à fouiner, mais je suis rapidement alerté par des éclats de voix et du grabuge non loin. Les coïncidences, ça me titille un peu l’esprit. Je me déplace vers l’origine du boucan non sans jeter des regards à droite à gauche pour ne rien manquer, ma main sur mon surin, prêt à dégainer si c’est un piège.

Je finis par arriver dans cette fameuse ruelle ou un garde fait le pied de grue à l’entrée d’une baraque. Je m’approche et j’essaie de regarder à l’intérieur. Le garde se retourne et me lance un regard soupçonneux. J’aperçois Violette, des gardes et des gars aux mines patibulaires de ceux qui n'ont pas tout compris à ce qui s’est passé, mais qui se retrouvent dans une situation non désirée.

-Circulez, y a rien à voir.
-Je suis le conseiller Callahan ! De la guilde des aventuriers ! Je suis avec elle ! Je la cherchais !

Ça semble titiller quelque chose dans son esprit.

-Vous corroborez l’acte d’enlèvement ?
-Euh… oui ! Surement !

Il se retourne et indique sa présence à son chef qui se tourne vers Violette pour avoir la confirmation de ce que j’avance. Elle confirme, jouant parfaitement le rôle de la fille un peu paniquée de ce qui s’est passé, pas loin de s’effondrer, ce qui serait un sacré poids sur les épaules des gardes qui ne sont pas forcément entraînés à gérer ce genre de cas. Vilipender des criminels, c’est assez instinctif. Gérer une personne fragile sombrant dans l’inconscience, c’est une autre paire de manches. On me laisse passer. Ce qui me permet d’avoir une vision plus importante de la scène. L’aventurière profite d’un moment d’inattention de la garde pour me désigner une caisse. Notre marchandise. A coup sûr. Bien joué. Je me dirige vers le chef de l’escouade.

-Un problème ?
-Je voudrais signaler un vol. Cette caisse, là, appartient à la guilde. Elle a été exfiltrée de nos entrepôts. Je peux vous fournir les documents de la vente et le listing d’authenticité avec les numéros de série des lunettes de jour contenu dans cette caisse.
-Euh.

Ça ne relève probablement pas du domaine de compétence qu’il pensait utiliser en ce moment. Et puis les autres aventuriers envoyés par Garoff finissent par arriver. Ce qui ajoute pas mal de bordel. On est bien parti pour que ça finisse avec plein de paperasses, cette histoire.

Et ça ne me dérange pas trop.

Il y avait certainement un petit problème de collaboration entre les aventuriers et la garde.

Simple constat personnel de l’aventurière alors qu’elle était en train de jouer la jeune femme traumatisée dans un coin de la pièce, le meilleur moyen qu’elle avait trouvé pour que la garde se bouge sans devoir le leur expliquer pendant deux heures et risquer que la caisse ne soit déplacée avant. Si elle avait juste pu faire valoir son statut et exposer rapidement les faits pour faire diverger la patrouille de sa route, elle l’aurait certainement fait, mais elle avait douté de la réussite d’une telle manoeuvre.

Le lieu était assez austère au final, bien plus un repère qu’un véritable lieu de vie, une planque et entrepôt pour de la marchandise volée. Cela n’étonnerait pas beaucoup l’aventurière que la plupart des autres caisses ici aient été volées aussi. Maintenant, il fallait encore réussir à pousser les gardes à l’investigation. Elle ne savait pas si elle avait fait une erreur ou pas en les impliquant dans l’histoire mais de tout de façon les aventuriers ne pouvaient pas rendre justice d’eux-mêmes. Alors tôt ou tard il allait falloir livrer tout ce beau monde à la garde.

Heureusement pour la brune, alors qu’elle était en plein milieu de son petit numéro, Whiskeyjack débarqua et elle lui fit remarquer la caisse en question. L’occasion pour lui de rajouter une nouvelle pièce dans la machine. Et puis, puisqu’il avait dit que Violette avait été avec lui, elle se devait aussi de jouer comme tel.

« Monsieur Callahan! J’ai eu si peur! » s’écria-t-elle à moitié en allant se réfugier derrière le conseiller. Un allié qu’elle était contente d’avoir en ce moment tant déclarer avoir menti face à des gardes pourrait lui attirer quelques problèmes… A voir s’il souhaitait garder cette petite mascarade ou bien leur révéler toute la vérité. C’était clairement la personne avec le plus d’influence et d’expertise dans ce genre de milieu ici. Alors elle lui faisait confiance.

Les gardes, d’ailleurs, visiblement dépassés et certainement aussi très flemmards, échangèrent tous un petit regard, surtout en voyant d’autres aventuriers débarquer d’un peu plus loin.

« Bon, embarquons tout ce beau monde au poste. Jia et Besil, vous restez ici, faites un périmètre, inspectez les marchandises. » déclara le sergent responsable de la patrouille, visiblement bien plus intéressé par refiler ce genre de soucis à ses supérieurs qu’à le traiter lui-même. Ce qui n’était pas plus mal.

S’approchant du conseiller, elle profita d’un moment d'inattention pour lui murmurer quelques mots.

« J’ai rien trouvé de mieux pour que ça soit fait vite... »

Rapide, certes, cela avait permis de sécuriser la caisse de marchandises… Même si Violette sentait que cette histoire allait finir en une montagne de paperasses.

Et cela la dérangeait.

Même si on n'est pas de la garde, on peut avoir une certaine ascendance sur des soldats de rang et des sous officiers, à partir du moment où l’on sait faire preuve d’une autorité naturelle et que les ordres savamment dissimulés sous des conseils prudents semblent cohérents. Il s’agit de distiller les bonnes réflexions dans l’esprit des gens pour qu’ils croient en être le seul auteur et qu’ils en tirent tout le bénéfice. Avec mes responsabilités à la guilde, il ne m’est pas difficile pour aiguiller un sous officier un peu dépassé par la patrouille de routine qui devait finir son poste et il a trouvé en ma personne quelqu’un ne reculant pas devant les formalités d’usage et le remplissage de la paperasse. Partageant mon temps entre rassurant faussement l’aventurière Violette jouant son rôle à la perfection ; peut-être trop, il faudra se méfier si un jour elle viendra me demander quelque chose ; et inciter la garde à arrêter les personnes concernés et à mettre sous scellés la marchandise. Les renforts appelés arrivent bientôt et je demande aux aventuriers présents de retourner à l’entrepôt et de prévenir les examinateurs sur place et d’amener les complices identifiés sur place. Ils devront aussi témoigner. Pendant ce temps, l’aventurière Lehnsherr et moi-même sommes emmenés au poste de la garde le plus proche pour recueillir nos dépositions ainsi que celles des voleurs.

Nos dépositions, vous les connaissez en partie. Évidemment, on évite de dire que tout cela est lié à un contrat supposé royal. On minimise le tout. C’est un vol, bien mené, mais un vol comme il peut en exister des tas dans le royaume. Cette fois, c’est la guilde. Et il y a quelques brebis galeuses au sein de l’institution qui seront châtiés comme il se doit. Mais rien de dramatique. Le dramatique, on le laisse sous le paillasson à partir du moment où je retrouve l’examinateur Butler au poste de la garde. Seul.

-Butler ? Où est Garoff ?
-Il n’est pas déjà là ? Il m’a assuré qu’il partait en amont. Il avait récupéré toute la paperasse pour démontrer sa bonne foi.
-Le scélérat…

Et Butler comprend. Il comprend qu’il a été joué. Qu’on a tous été joué et que le responsable de tout ça a pris la fuite. Ce pan de l’histoire est maintenu sous silence auprès de la garde. Elle sera pour les seules oreilles du Prince. Je me promets de le retrouver, un jour ou l’autre, pour qu’il paie sa dette envers l’honneur de la guilde. Dans notre malheur, il y a du bon. Il semblerait que l’odieux criminel a bien compartimenté l'information auprès des différents membres de son réseau. Ceux à l’extérieur n’ont pas connaissance des gens impliqués à l’intérieur, ni du rôle de Garoff. Ils avaient juste leurs instructions. Les aventuriers corrompus aussi. Et il ne faut pas beaucoup de temps pour persuader de les livrer assez rapidement à la guilde pour qu’ils soient sanctionnés par l’institution qui les emploie. Je pense qu’à la tête que j’ai fait, le sous-officier présent a dû estimé que la peine serait plus grande au sein de la guilde que par la justice classique.

Ça a duré toute la nuit. Les preuves étaient accablantes et pris sur le vif, personne ne pouvait se défendre et encore moins s’en tirer. Ayant prouvé que le matériel était bien à nous, on nous le restitue. Ça fait beaucoup de lunettes dont on n'a pas l’utilité maintenant, mais on en trouvera bien une un jour ou l’autre. En tout cas, il ne devrait plus avoir de vol à l’avenir. De quoi rassurer le Prince royal que les problèmes de la guilde sont réglés et qu’on pourra compter sur nous à l’avenir. Une réputation restaurée aux yeux de notre meilleur client, mais aussi de ceux qui nous gouvernent vers un avenir grandiose, c’est encore plus important.

Aeron avait tiqué en voyant le Conseiller Callahan entrer avec une jeune femme qui avait laissé un souvenir… difficilement périssable au jeune homme. Pas qu’il ait gardé des traces ou une cicatrice, son pouvoir l’en empêchait bien évidemment, mais la douleur qu’il avait ressentie restait quelque chose auquel il n’était que peu confronté : Violette Lehnsherr lui avait planté un couteau. Cela ne préfigurait cependant pas d’un trouble psychiatrique violent ou quoi que ce soit d’autre.

Après tout, la jeune femme avait été la plue dégourdie du groupe, utilisant ses capacités et ses pouvoirs pour les sortir du marais brumeux, munis de la précieuse fleur blanche qu’ils avaient cherché vainement à récupérer. Son statut d’aventurière correspondant bien à son attitude et sa débrouillardise, et il ne pouvait en dire autant des autres ou de lui-même. Mais ses entraînements allaient reprendre incessamment sous peu, surtout maintenant que sa peur avait été jugulée et absorbée par le docteur Devern.

L’apprenti roi s’était dans tous les cas rapidement resaisi. Attrapant les notes transmises par le conseiller, il avait parcouru rapidement les conclusions de l’enquête, et laissé le reste du dossier pour plus tard, ou à faire déléguer s’il s’avérait ne pas avoir de temps à y consacrer.

« Conseiller Callahan, Aventurière Lehnsherr. Je vois que vous avez mis au jour la source des problèmes au sein de la Guilde. Je présume que les liens entre le gang précédent et les examinateurs cités ici sont avérés.
- C’est bien ça, Votre Altesse.
- Parfait. Nous allons laisser la Guilde gérer les conséquences pour les aventuriers qui sont les brebis galeuses du troupeau. Par contre, en ce qui concerne l’examinateur échappé… La Garde va établir un mandat d’arrestation. J’imagine que vous ne vous y opposez ? »

Suite au signe de tête négatif du Conseiller, le Prince griffonna une note sur un coin du parchemin. Ce serait effectivement à la Garde de parvenir à lui mettre la main dessus, s’il n’avait pas changé d’apparence ou trouvé d’autres criminels auxquels se greffer. Ce serait probablement le cas, au demeurant, dans la mesure où il fallait bien écouler les stocks dérobés par la suite. L’enquête ne s’arrêterait donc pas là.

« J’ose espérer que ce genre… de détournements du droit chemin ne se reproduiront plus. En tout cas, je tiens à vous féliciter pour votre célérité dans le traitement de cette affaire. »

Une fois les membres de la Guilde partis, il parcourut rapidement les informations transmises par le Conseiller. Oui, ce serait probablement à la Garde d’intervenir. Il espérait ardemment que cela mettrait un point final à cette chaîne de corruption qui avait mis en danger les vies des braves partis à l’exploration de la Cité Enfouie, et constituaient en plus un trou dans le budget du Royaume.