Là, allongé sur un lit de la caserne de la garde régulière, endroit qu'il ne connaissait que trop bien, pour y avoir si longtemps servi, il se posait encore des questions. Comment ça avait pu déraper à ce point, en fait ? La très belle entaille ensanglantée sur son flanc droit, ayant imbibé son haut d'un liquide rouge et épais, ainsi que sa sœur jumelle, mais située sur sa cuisse gauche, étaient une preuve qu'il n'avait pas été vigilant, en tout cas pas assez, et que sous estimer ses adversaires, c'est loin d'être la chose à faire. Ce qui était sur, c'est que cette petite altercation resterait gravée dans sa mémoire, et lui aura été d'une instruction certaine.

'' Jvais la chercher, je reviens ! ''

L'infirmerie de la caserne. Ouais, voilà où il était, précisément. On l'avait emmené jusque là, car un garde ''connaissait quelqu'un, jte jure, ça va être vite fait bien fait ! J'espère...''. Sur un jour de repos, en plus, mais ouais, super sa chance ! Il va se pointer le lendemain, à la caserne royale, sur l'île citadelle, et devoir expliquer pourquoi il grimace à certains intervalles. Bon. Rembobinons, travaillons sur les grandes lignes du pourquoi du comment.

-------------------------------------------------------------------------------------

'' Mais arrêtez vous, eh oh, au bout d'un moment ! ''

Hryfin était loin d'être le plus lent du régiment, malgré sa carrure de charrue ; bœufs inclus. Mais pour une raison qu'il ignorait, il peinait à rattraper ces deux petites frappes, loin d'être des bandits dangereux ou notoires, mais juste des voleurs à la tire, qu'il venait de prendre sur le fait de piquer des bourses et des biens au grand marché de la capitale. Même hors service, il se la joue chevalier blanc, et s'était mis en tête de les arrêter bien tranquillement, et de ramener les objets volés.

Mais les raclures étaient bien rapides, slalomaient très bien entre tous les badauds de la capitale, évitaient soigneusement les gardes. La course poursuite fût longue, et bien contre sa volonté, à maintes reprises, il aurait juste voulu déployer ses ailes et les choper dans toute la simplicité du monde, dans ses bras ou entre ses serres. Mais son envergure d'hippogriffe aurait été beaucoup trop imposante pour la taille des rues, il risquait de heurter des passants, et il avait aucune idée des problèmes qu'il encourait, à blesser des gens comme ça alors qu'il n'est actuellement en théorie qu'un simple citoyen.

Les voleurs se dirigeaient vers une des portes de la capitale. Parfait, il y avait des gardes, ils se feraient complètement choper ! AH. AH. AH. Quelle désillusion, alors que les bandits passèrent plus que facilement la porte, au nez et à la barde de ses deux anciens collègues. Non mais ils se foutent de lui ? Avec du recul, c'est ce qui aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. Ici, tout le monde à un pouvoir. Même l'orphelin, là, en bas de la rue, pourrait être capable de semer mort et destruction dans un petit village proche de la capitale.

'' Non mais les gars, vous vous foutez de moi ?! ''

C'était la seule chose qu'il avait eu l'occasion de crier aux deux plantons qui s'étaient révélés plus qu'inutiles. Comment leur en vouloir dans tous les cas ? Il aurait lui même été surpris. Bon, il les aurait arrêtés hein, nous méprenons pas, il était loin d'être incapable. Dire qu'il existait encore des balourds, des gloobys pareil dans la garde, ça le détruit. Ils étaient pas comme ça, ceux avec qui il avait bossé, si ? Bah si, sans doutes, la plupart des gens le connaissaient, ici, de réputation, de vue, ouais, surtout de vue, il passe pas inaperçu.

Dans tous les cas, maintenant en dehors de la ville, il n'avait plus aucune crainte quand au fait de prendre de l'espace et d'utiliser son pouvoir, c'est ainsi qu'il déploya ses ailes, fondant rapidement sur l'un des deux, celui qui était devant l'autre, pour lui faire mordre la poussière d'une simple charge, plantant le deuxième coureur sur place, sans aucun espoir de s'en sortir. Il aurait pu lui foncer dessus aussi. Le descendre très vite. Mais il lui faisait pitié, ce petit voleur tout rachitique. C'est donc de toute sa prestance qu'il s’avança lentement, fièrement et plein de confiance vers lui. Le voleur se mit comme en garde, mais avec deux mains tendues. Particulier.

'' Non, t'approches pas ou !... ''

'' Ouais, ouais, jconnais la chanson. Allez, allez. ''

Avant qu'il n'ait pu l'atteindre, le roublard effectua deux gestes rapides de ses mains vers Ryf, qui ne percuta pas sur le coup, comparé justement au coup que lui porta, percutant de ce fait, il étala le petit d'un seul coup. Choppant un gars par épaule, il se redirigea vers la porte, et fut accueillit par les deux gardes qui avaient regardé la scène, de loin, incrédules. Bizarre. Il venait de courir dans la ville, sans soucis, mais là, à peine arrivé à la porte, il est...Haletant ? Y en a un qui va avoir droit à un entraînement de cardio, et dès demain !

'' Bon les gars...Au final jvous les laisse...Au grand marché, ils ont volé des gens...Et...- ''

'' Euh...Ryf ? ''

Les deux gardes s'étaient jetés des regards étranges, jusqu'à pointer chacun une partie du corps de l’hippogriffe. Son flanc droit était lacéré, ainsi que sa cuisse gauche. Ah, c'était donc ça, les mouvements mystiques de l'autre, la. Super. Il eut juste le temps de lâcher les deux trublions qu'il se mit en effet à ressentir la douleur. Non, pas qu'il y soit habituellement immunisé, loin de là, mais sans doutes l'adrénaline de la course, la fierté du bonhomme ont fait qu'il avait ignoré ça jusqu'alors, quand on lui fit remarquer, quoi.

'' Ah, mais quel pouvoir à la c- ''

Il ne finit pas sa phrase par autocensure car les insultes c'est mal car un petit rictus de douleur s'afficha sur son visage, l'empêchant de continuer à déblatérer des bêtises. Un garde se chargea de lier mains et pieds des deux malotrus capturés, alors que l'autre se rapprocha du garde royal, faisant mine de vouloir l'aider à marcher.

'' Eh, jconnais quelqu'un, une nouvelle. Tu vas voir, en deux deux, ça va être fixé tout ça. Laisse moi juste t'ai- ''

Hryfin n'avait pas le monopole des phrases coupées, puisque le garde n'osa pas venir en aide au grand, pour la simple et bonne raison que son regard et sa gestuelle invitait complètement à ne pas le toucher. Mais il se laissa néanmoins conduire, marchant à travers la douleur, jusqu'à la caserne. Ouais, ce quelqu'un qu'il connaissait, c'était une garde quoi. Il aurait d'abord crût qu'ils prendraient le chemin du dispensaire le plus proche, de comment il en parlait. Les gens qui soignent, dans la garde, ça devient rare. La plupart se mettent énormément de cristaux dans les poches en restant indépendant, ou en bossant dans les dispensaires. Pourquoi soigner les gardes gratuitement quand on peut les faire payer, hey ? Arrivé à destination, il s'allongea bien gentiment sur un des lits. Faudra penser à changer la literie, du coup.

-------------------------------------------------------------------------------------

Ouais, nombreuses sont les choses qu'il aurait pu faire différemment pour éviter d'arriver à ce résultat. Dans tous les cas, maintenant qu'il y était, suffisait de serrer les dents, attendre, et repartir, en espérant que ce soit pas plus grave que ça, juste impressionnant tout au plus. Il n'avait même pas osé se défaire de son haut ou de son bas, la médecine était vraiment un truc obscur pour lui ; il en était pas ignorant, juste un peu parano. Souvent en armure et au vu de son physique, il est que rarement blessé, et la simple idée de se choper un truc grave et d'être mit sur la touche le faisait flipper et gerber. Si il voit pas la blessure, y a pas de blessure, on appelle ça la médecine du déni ou de Gilbert Montagné.

L'attente n'avait pas été très longue, puisque rapidement, une femme à la couleur de cheveux...Particulière, admettons, il y a de tout en Aryon, avec toutes ces tendances qu'il n'a jamais comprises, il est pas là pour juger, rentra dans la pièce. Elle devait pas avoir beaucoup de travail, si c'est celle qui s'occupe des blessés, puisqu'il était le seul ici. Ça, ou elle est sacrément efficace. Par Lucy, faites que ce soit la deuxième option. Il sentait qu'il se devait de briser le silence tout de même.

'' Hey. ''

Une éloquence et un sens de la verve à en faire pâlir les plus grands chanteurs et compositeurs de l'Insomnie. Eh, comprenez le, pour son ego, Hryfin se situe dans une situation difficile ; sa première rencontre avec cette charmante femme se fait alors qu'il est en train de saigner sur un de ses lits d'infirmerie, ce qui le pousse à être encore plus froid, méfiant et, osons les mots, ultra frustré.

La capitale était dotée de nombreux avant-postes et tours de gardes, mais la caserne était un bâtiment un peu à part. C’était plutôt grand et bien entretenu. C’était là que se croisaient la plupart des effectifs, et c’était aussi là que la garde régulière avait installé l’unité médicale de ce corps de l’armée.

Contrairement aux dispensaires à l’attention du peuple, les personnes qui exerçaient ici étaient soit des gardes avec une spécialisation en médecine, soit des médecins civils missionnés dans le cadre d’interventions spéciales : lorsque les effectifs ou les compétences manquaient… Ils étaient bien souvent indépendants et savaient faire valoir leurs compétences pour gagner une bonne prime.

On avait dit à Ayah qu’il y avait assez peu d’effectifs réguliers dans l’unité médicale en ce moment. Ils l’avaient donc accueillie à bras ouvert.

Toujours était-il que les jours se suivaient et étaient plutôt calmes à la capitale. Bien sûr elle avait déjà pris en charge des soldats qui revenaient de mission et avaient besoin de soins, elle avait eu un ou deux cas complexe, mais n’avait jamais eut besoin de pousser ses limites.
Mais aujourd’hui semblait apporter de nouvelle surprise.

En l’absence de patient à traiter la jeune femme avait entrepris de trier les dossiers médicaux de la garde régulière. C’était une tâche administrative un peu ennuyante, mais cela lui occupait l’esprit et l’empêchait de trop voir le temps passer. Elle parcourait un document quand un membre de la garde régulière fit irruption dans la salle des archives :

« Ayah, j’te cherchais. »
La jeune femme l’accueillit avec un sourire jovial et lui lança un regard interrogateur :

« Bonjour ! En quoi puis-je t’aider ? » Demanda-t-elle en rangeant le dossier qu’elle était en train de lire.

« Ya du boulot pour toi en bas ! C’est Ryf, il s’est mis dans d’sales draps. Au sens propre du terme. » Il parut amusé par son propre trait d’humour mais reprit un air sérieux. « On a besoin d’un bon médic, et fissa. Suis-moi. »

Elle fut un peu surprise de l’invitation mais elle emboîta immédiatement le pas de son camarade tandis qu’il s’éloignait, elle trottina pour le rattraper et marcha à côté de lui :

« Ryf ? » Demanda-t-elle avec curiosité en le regardant. « Qui-est-ce ? »

Son compagnon se frappa le front, comme s’il avait dit une bêtise :

« Quel idiot, c’est vrai que t’es nouvelle ici ! C’est un ancien de la garde régulière, un type bien s’il en est ! On l’appelle Ryf mais s’pas son vrai blaze, tu te doute bien. Mais j’vais pas lui couper l’herbe sous l’pied, il s’présentera encore mieux lui-même ! »

Un ancien de la garde régulière ? Il devait donc être dans une autre division à présent. Il ne lui avait pas donné sa véritable identité et l’avait juste laissée avec cette information : Ryf.

Ils arrivèrent tous les deux dans la salle principale de l’unité médicale de la caserne, et il n’y avait qu’un seul patient. Elle le vit un peu plus loin, c'était un homme massif, allongé sur l’un des lits.

Ayah s’arrêta quelques instants et son camarade lui envoya une tape amicale dans le dos :

« Allez j’dois te laisser. Fais en sorte qu’il se rétablisse complètement »

Ayah haussa les épaules en signe d’acquiescement et s’approcha du blessé tandis que la porte claquait derrière elle.

Tout en s’approchant elle le détailla, c’était un vrai colosse, elle n’avait jamais vu quelqu’un d’aussi imposant avant. Ses vêtements étaient imbibés de sang et elle vit d’abord la grande entaille sur le flanc droit de l’homme. Il était habillé en civil, fort bien, cela faciliterait les choses s’il n’y avait pas d’armure à retirer.

« Hey. » Fit-il.

Ayah était un peu perdue dans ses pensées tandis qu’elle observait le garde et réalisa qu’elle ne s’était pas présentée. Elle opta pour une approche amicale, essayant de faire en sorte que son patient soit à l’aise et détendu pour que l’opération se déroule sereinement.

« Bonjour. » Dit-elle en lui adressant un sourire amical, penchant légèrement la tête sur le côté. « Je m’appelle Ayah, c’est moi qui vais m’occuper de toi. »

Ryf était un grand gaillard qui paraissait rompu à l’art du combat, elle croisa son regard turquoise. C’était un regard perçant, peut-être même un peu inquisiteur, et elle sentit que le jeune homme semblait méfiant, peut-être même un tout petit peu en colère, même si ce n’était pas vraiment le mot qu’elle rechercherait pour le qualifier.

Elle ne s’étendit pas plus que cela et entreprit d’examiner les blessures de Ryf. Tout en retirant ses manches longues pour éviter qu’elles ne la gênent pendant l’opération, elle repéra deux blessures majeures. Il y avait bien sûr celle au flanc droit, mais il y en avait une autre à la cuisse gauche.

C’étaient des entailles nettes, un peu profondes, mais peu complexes. Au moins ce n’était pas une morsure de loup géant ou autre… Quand il y avait de la chair déchirée à divers endroits les blessures étaient bien plus compliquées à traiter…

En quelques instants, elle détermina quelle était la meilleure façon de procéder pour éviter le plus possible à Ryf de perdre trop de sang. Il fallait d’abord qu’elle utilise son pouvoir pour stopper l’hémorragie sur chaque plaie, puis entreprendre un travail pour les refermer complètement tout en respectant la structure musculaire et nerveuse.

Elle allait devoir utiliser son pouvoir et estima qu’elle utiliserait une bonne partie de ses ressources, mais elle était plutôt confiante. Cet homme semblait très robuste, elle était étonnée qu’il soit toujours conscient. D’habitude les gens tournaient de l’œil face à ce genre de plaie, c’était plutôt impressionnant comme blessure.

Elle reporta son attention sur Ryf, un air calme et serein sur les traits :

« Je vais commencer par arrêter le saignement sur tes deux blessures » Expliqua-t-elle avec douceur. « Et ensuite je m’occuperai de refermer complètement la plaie. Tu ne devrais pas avoir de séquelle. Laisse-moi juste un peu de temps. »

Sur ce, elle prit une chaise et s’assit auprès de lui, sur son coté droit, pour commencer à traiter sa blessure au flanc. Elle commença à soulever avec précaution le tee-shirt imbibé de sang. Elle pouvait soigner les blessures à travers les vêtements, mais c’était un peu plus couteux en énergie, autant l’économiser, elle procèderait autrement pour sa jambe.

« Je suis désolée, ça va piquer un peu. » Dit-elle en continuant de relever le tissu rougi pour dégager la blessure.

Fort heureusement, elle n’était pas mal à l’aise à la vue du sang, car il y en avait beaucoup. D’ailleurs le matelas était déjà surement bon pour trouver un remplaçant…

Elle se doutait bien que cela ne devait pas conférer une sensation particulièrement agréable, elle espéra qu’elle ne lui faisait pas trop mal. Elle commença donc par arrêter l’hémorragie à cet endroit, pour ce faire, elle posa délicatement ses mains de chaque côté de l’entaille.

Ses traits se crispèrent légèrement tandis qu’elle commençait à utiliser son pouvoir. Elle sentit en elle une forme d’énergie passer de l’ensemble de son corps jusque dans ses bras pour ensuite passer dans le flanc de Ryf. Pour elle, c’était comme si de l’eau fraiche coulait dans ses veines et la quittait pour aller vers son patient. Pour son patient, de ce qu’elle en savait, il y avait une sensation de froid, peu douloureuse, mais peut-être que chacun le vivait différemment...

Cette première étape devait prendre quelques minutes, elle en profita pour continuer de converser avec son patient :

« Ryf, c’est ça ? On m’a dit que ce n’était pas ton vrai nom. »

Ses mains restèrent autour de la blessure, un léger halo turquoise en émanait. Elle croisa son regard :

« Enfin, je comprends si tu ne veux pas parler. Fais à ton aise. » Dit-elle avec bienveillance, elle ne voulait pas le mettre mal à l’aise.

Ayah ? Connaît pas. On lui avait dit qu'elle était nouvelle, il ne savais justes pas à quel point. Ici, on peut être considéré comme nouveau pendant longtemps, les critères pour bien être intégré étant principalement l'ancienneté et surtout, l'intégration. Hryfin n'avait pas encore tout à fait le premier, mais excellait dans le second, même si on dirait pas. Le fait d'être avec des gens qu'il connaissait depuis l'académie avait aidé, ne mentons pas. Dans tous les cas, cela faisait forcément moins d'un an et quelques qu'elle était affectée ici, il avait croisé et connaissait la plupart des gardes de la capitale, de près ou de loin.

Oui, en effet, arrêter le saignement serait une bonne idée, ça l'empêcherait de saigner ; et par extension de mourir ; et mourir, c'est un peu chiant. La voix de la garde se voulait douce et rassurante, elle avait l'air sympathique, peut-être trop pour cet environnement. Les gardes de la capitale sont loin d'être les plus appréciés du royaume, et comporte un bon nombre de...D'individus particuliers. Sans doutes a-t-elle déjà un groupe auquel elle est rattachée, et eh, vu le manque de bons soigneurs dans la garde, les gens devraient plus lui faire des courbettes qu'autre chose.

Du coin de l’œil, il l'observa s'installer à côté de lui. Elle n'avait nul besoin de faire de manières, il était parfaitement au courant que le contact éventuel d'un tissu sur une telle plaie ne serait pas une partie de plaisir, mais ce n'est pour autant pas ça qui lui ferait serrer les poings. Ce qui l'avait plus fait tiquer, c'était le côté sans séquelles. Ayah pouvait le voir à son regard, à ce moment là, il était intéressé, piqué même. Ah bon, rien du tout ? Ce serait quand même une excellente nouvelle. Les cicatrices, il est pas fan. Il faudra discuter des détails ; aucun intérêt de s'attendre à une chose, si elle signifiait complètement autre chose.

Il soupira quand elle posa ses mains sur sa blessure, pas las, pas énervé, la façon qu'il a de faire le fort, sans être douloureux, c'était vraiment désagréable, comme sensation. Il déteste être blessé. Très peu de temps après, un autre soupir, mais plus de...Bonheur ? Non, c'est pas le mot, c'est une sensation qu'il aurait du mal à décrire.  La lumière que produisait la magie de la soigneuse était apaisante, d'une couleur qu'il apprécie, en tout cas. Une sensation de froid non désagréable pour Hryfin, il pouvait sentir sa blessure se calmer, si on peut dire ça comme ça. Rares étaient les moments ou il était soigné par la magie, la plupart du temps, c'est tellement superficiel qu'il n'y a jamais eu besoin de tels artifices.

Comme attendu, elle voulait causer. Même dans ses pensées, ça sonne mal ; rien de mal à ça, mais la discussion de comptoir, basée sur le temps qu'il fait, ce qu'on a mangé la veille voire le nom de son glooby, c'est loin d'être son fort. Impensable pour lui de la laisser sans réponse, d'autant plus qu'elle avait déjà apprit à connaître le nom du garde royal par son diminutif. Jvous jure, c'est si difficile que ça, de prononcer ''Hryfin'' de temps à autres, qu'il soit correctement présenté ? Bon, le ''Hry'' était parfois difficilement prononçable, si on passe de l'écrit à la parole, il suffit de l'entendre une fois pour se rendre compte que phonétiquement, il n'y a rien de complexe.

Il pivota la tête vers la bleue, car il la maintenait droite, fixée au plafond, depuis tout ce temps. Infliger un traitement du silence, à une personne qui vous soigne, y met de son énergie, de sa volonté et de son temps, c'est vraiment un move d'ingrat. Le regard de l'hippogriffe était plus apaisé, mais toujours distant, contrastant avec le petit sourire qu'il avait. Aucune idée de si c'était à cause du pouvoir ou du sang qu'il a perdu, mais sa tête tournait quelques peu. Information qu'il garderait pour lui ; il comptait pas rester longtemps, mais le choix ne lui serait pas offert s'il énonçait ça, de sa propre expérience, du moins.

'' Si, c'est mon nom. 'fin, oui et non. Ryf, c'est le court pour Hryfin. Hryfin Danvil.  ''

Aucune idée de pourquoi il se présentait toujours par prénom et nom. Il était pas le seul à le faire, seulement, ceux qui le faisaient étaient majoritairement des nobles, souvent imbus d'eux même en affichant leur nom de famille, un peu comme pour dire ''Regarde mon pedigree ; admire la famille de laquelle je descends! ''. On lui avait apprit ça depuis tout petit, quand on se présente à une personne qu'on connaît pas, ou qui n'a aucune chance de nous connaître, toujours énoncer son nom et le prénom qu'on lui a donné. C'est pas parti avec la rigueur militaire des gardes, et surtout, les procédures parfois usantes de la garde royale, ou il faut encore plus garder la face.

'' Hey. ''

De cette simple onomatopée, il voulait attirer l'attention et le regard de la garde. Dingue, comme il utilises la même expression pour tout, que ce soit pour alpaguer quelqu'un ou saluer.

'' Merci. ''

La moindre des choses. Ce n'est pas car elle obéit à son devoir et ses obligations qu'il ne faut pas respecter la politesse de base. Surtout que quelque chose vient de lui traverser l'esprit. Rien qu'y penser, ses joues se gonflèrent, donnant presque pendant quelques instants à Hryfin l'air d'un enfant-hamster énervé. Ouais, fallait qu'il demande ça à sa médecin.

'' Par contre, du coup...Si, genre, ça, ça pouvait rester, genre, entre nous ? Du moins, dans les rumeurs de la garde régulière...Pas trop fan de l'idée que cet accident arrive aux oreilles de mes supérieurs. ''

Sans doutes en faisait-il trop, Le maximum pour lequel il serait réprimandé, c'est d'avoir été imbu de lui même, de pas avoir fait attention, mais c'était moins grave que si c'était arrivé en service, moment ou il représente au plus au point ce qui est, sur le papier, qualifié comme la meilleure garde du royaume. Il serait bon pour quelques tours de caserne, quelques moqueries, pas plus, allez, il devrait hypothétiquement travailler plus dur, quelques temps, pour compenser, mais son capitaine n'était pas un tortionnaire.

Ayah continuait de s’affairer à stopper l’hémorragie sur le flanc droit du blessé quand il déclina son identité, elle était absorbée par l’opération, mais son nom tourna dans son esprit. Il y avait quelque chose de familier…

Danvil… Danvil, elle connaissait ce nom, mais à quoi correspondait-il ? C’était surement une famille de nobles, même si elle ne les connaissait pas toutes, il devait y avoir quelque chose de particulier. Et d’un coup une révélation la percuta comme l’évidence. Danvil, comme les célèbres fabricants d’armes et armures ?

C’était un nom assez connu, surtout pour des gens comme eux qui avaient l’habitude de parler armures et armements. Non pas qu’Ayah soit une spécialiste en la matière ni qu’elle soit particulièrement passionnée par les œuvres de forge, ça faisait juste partie intégrante de la culture générale des gardes. Elle lança donc au Danvil un regard curieux pour voir à nouveau à quoi il ressemblait sous ce nouveau jour.

En tout cas, son patient paraissait déjà un peu plus détendu qu’au tout début. Elle ne vit plus trace de frustration ou d’agacement dans son regard perçant et s’en rassura. Elle préférait largement travailler dans ces conditions qu’avec une personnes sur le qui-vive, ça favorisait légèrement l’efficacité de l’opération… Et c’était quand même plus agréable pour elle il faut dire !

En temps normal elle aurait eu le réflexe de lui demander immédiatement plus d’informations sur sa famille, mais elle remarqua bien vite que, s’il était parfaitement conscient, Hryfin paraissait tout de même un peu pâle. Pas étonnant vu la quantité de sang qu’il avait dû perdre, elle s’étonna d’ailleurs toujours qu’il soit si calme. Il était affaibli et c’était parfaitement normal, sinon il n’était pas humain… Elle décida donc de lui laisser de l’air et se concentra à nouveau sur ce qu’elle faisait.

Elle avait aussi remarqué qu’il avait affiché un air surpris quand elle lui avait annoncé qu’il n’aurait pas de séquelle… C’est vrai que c’était un peu bizarre dit comme ça, mais elle ne savait pas trop comment le tourner autrement. Non, en effet, pour une blessure si nette, si récente, et dans un contexte de soin aussi calme elle pouvait prendre le temps et toute l’énergie nécessaire pour faire du travail propre.

Hryfin allait s’en sortir comme si de rien n’était. Certes, il serait affaibli pendant un laps de temps qui dépendrait de lui et de sa robustesse, mais il ne conserverait aucune marque de ses exploits. Il n’aurait alors plus qu’à prétendre qu’il s’était jeté dans un tonneau de fruits rouges… Ou de sauce tomate… Au choix.

« Hey. »

A nouveau elle tourna les yeux vers lui, attentive :

« Merci. »

La reconnaissance d’Hryfin toucha Ayah, malgré ses airs d’ours mal léché, et elle comprenait parfaitement qu’il n’était pas forcément dans une situation très plaisante, il semblerait qu’il y avait vraiment quelqu’un de sympathique sous la carapace du goliath.

« Ce n’est rien. » Dit-elle avec sincérité en lui adressant un sourire amical.

Mais à peine lui avait-elle répondu qu’il tira une drôle de tête, une sorte de moue enfantine. Il avait quelque chose à demander et il semblait hésiter. Un peu amusée malgré elle par cet air qu’elle trouvait plutôt comique, et malgré le contexte dans lequel Hryfin se trouvait, elle attendit qu’il se livre.

Elle fut alors un peu surprise quand il lui demanda de garder pour elle le fait qu’il soit venu se faire soigner, ou qu’il ait eut un accident, elle ne savait pas trop :

« Oh… Oui… Généralement j’évite de parler de ce genre de choses tu sais. » Dit-elle en haussa les épaules. « Mais je comprends, tes responsables ne devraient pas en avoir vent. »

Elle s’interrompit un instant:

« Ce ne sera pas difficile à cacher une fois que tu te seras changé. Tu vas être comme neuf. » Ajouta-t-elle d’un air assuré, presque avec bonne humeur.

Elle termina en quelques minutes le premier traitement qu’elle voulait appliquer sur la blessure au flanc. Elle inspecta rapidement le résultat, la blessure était toujours ouverte mais au moins le jeune homme ne perdait plus de grandes quantités de sang à cet endroit :

« Ne bouge pas. Sinon je vais devoir recommencer. » Lui intima-t-elle.

Machinalement, elle fit le tour du lit pour se poster près de la jambe du mastodonte, trainant avec elle la chaise. Elle commença à réitérer la même opération qu’avec son flanc. Elle observa la blessure avec attention quelques instants et estima qu’il serait plus pratique de réaliser l’opération sans perdre de temps à dégager le tissu déchiré. Cela demanderait un peu plus d’énergie, mais elle estima que ça restait dans son « budget ».

A nouveau, elle s’installa et posa tranquillement ses mains de chaque côté de la plaie et entreprit de réaliser l’opération à travers le tissu. A nouveau, elle se concentra et laissa courir en elle son énergie, comme un flux d’eau claire et fraiche qui se dirigeait au cœur de la plaie du garde pour en arrêter le saignement.

Une nouvelle fois, cela lui prit quelques minutes pendant lesquelles elle laissa le jeune homme tranquille, elle s’appliquait à faire les choses correctement qui rester fidèle à la promesse qu’elle venait de lui faire.

C’est à ce moment que la porte de la pièce se rouvrit, et un garde entra. Il supportait sur son épaule un autre garde du même gabarit qui semblait complètement sonné.
Ayah lui lança un regard interrogateur, elle était déjà occupée et ne pouvait pas prendre d’autre patient :

« Qu’est-ce qu’il a ? Je ne peux pas m’occuper de lui tout de suite… » Lança-t-elle à son collègue tandis qu’elle faisait à nouveau le tour du lit avec la chaise pour s’installer à proximité de la blessure au flanc d’Hyrfin et commencer le travail de réparation.

Elle avait déjà arrêté les hémorragies de ses deux blessures et sa vie n’était plus en danger. Du moins il ne perdait déjà plus de sang, mais elle l’avait à l’œil s’il faisait un malaise.

« T’inquiète ! » Lui répondit l’autre. « C’lui là vient d’se manger un sacré pain dans la gueule dans une bagarre de bar. Rien d’bien méchant, mais j’préfère qu’il s’réveille ici, et puis comme ça tu t’assure qu’il a bien les idées en place à son réveil. Hésite pas à lui faire la morale à ce bougre. »

Il laissa choir l’homme sonné dans un lit un peu plus loin, assez proche pour qu’Hyrfin puisse le voir et le reconnaître éventuellement.

« Oui mais… » Commença la jeune garde, un peu perplexe.

« Allez sur ce j’te laisse ! A plus tard ! » Répliqua l’autre en s’éclipsant aussi vite qu’il était arrivé, sans lui laisser le temps de finir.

Ayah lança à son nouveau patient un regard inquiet, mais il s’avéra qu’il n’avait pas vraiment l’air de nécessiter de soin immédiat. Elle poussa un long soupir et reporta toute son attention vers Hryfin :

« Il y en a qui ont un sacré penchant pour la violence faut croire... » Dit-elle plus pour elle-même que pour lui, mais lui laissant tout loisir de l’entendre s’il le désirait.

Sur ce, elle reposa à nouveau ses mains sur la blessure partiellement soignée au flanc d’Hyrfin :

« Je dois la refermer. » Lui expliqua-t-elle.  « Ça prendra un peu plus de temps, mais normalement tu es déjà hors de danger. »

Cette seconde partie de l’opération serait un peu plus coûteuse en énergie que la première. Elle se crispa légèrement et la concentration pu se lire sur son visage tandis qu’elle faisait en sorte que la blessure se régénère correctement.

Lentement les chairs commencèrent à se rejoindre pour fusionner à nouveau, mais l’opération allait prendre un peu plus de temps, elle commençait d’ailleurs à sentir le contrecoup de l’usage de son pouvoir venir, mais elle resta impassible et continua sa tâche.

Bon, elle venait de le rassurer sur deux choses, de un, elle resterait muette comme une tombe. Parfait, il a aucune idée de s'il existe un quelconque secret médical, entre gardes ou tout simplement entre soigneur et patient. La deuxième chose en était une qu'il avait même oublié de demander à l'oral, alors qu'elle lui trottait dans la tête, visiblement, la magie va permettre à la blessure de n'exister que dans ses souvenirs, aucune cicatrice, comme neuf.

Le grand n'aurait aucun mal à ne pas bouger, il se sentait plus faible et fatigué qu'il n'arrivera jamais à l'admettre, le mieux qu'il pourrait faire, c'est gigoter tout au plus, ce qu'il évitera de faire pour que la jeune médecin perde patience et finisse par le laisser comme ça en plan -non, c'est pas ce qui arriverait, mais voilà, il ne pourrait que se retrouver balot et ne rien pouvoir dire si jamais elle le décidait vraiment. Dans tous les cas, pour des soins magiques, ils étaient plus qu'agréable, quoique bizarre. Certains sont...Plus radicaux, mais moins doux. Ou mettent des plombes, alors qu'Ayah venait déjà d'arrêter le saignement des deux blessures.

Impossible de s'attendre à la suite. Cette infirmerie, pourtant très calme depuis son arrivée, allait voir l'arrivée impromptue d'un garde en maintenant un autre bras dessus, bras dessous, supportant une autre personne -un de ses collègues, sans doutes. Ouais, non, elle avait clairement pas le temps de s'occuper de ce pauvre sonné, y a plus urgent sur Ryf, là. Balancé sur un lit proche du sien, il n'avait pas un assez bon visuel de la personne pour être sur de la reconnaître. Mais...Si, ça lui disait un truc. Autant le garde impoli au possible qui venait d'abandonner son collègue, sans même prêter attention à Ayah ou même à Hryfin -Non mais quelle audace !, aucune idée. Mais lui...

Les voilà de nouveau seuls. Ouais, seuls, Ayah et lui. Car l'autre a pas l'air de se réveiller tout de suite. Peu importe qui l'a eut, bah il l'a bien eut quoi, le sommeil avait l'air profond. Il entendit d'une oreille distraite la remarque de la soigneuse sur la violence. L'hippogriffe de dérogeait absolument pas à cette règle, malheureusement pour lui, heureusement pour d'autres ; ceux qu'il protège. Même si les gardes médecins subissent, comme tout le monde, les mêmes entraînements et la même académie que tout le monde, ils sont ostensiblement les moins penchés vers la violence, réparer les gens donne pas envie de les abîmer, quand on est normalement constitué du moins.

Ignorant complètement les prochaines paroles de la bleue, il se contenta d'un ''Oui oui'' laconique, continuant d'analyser son nouveau camarade de chambrée. Il sentait ses chairs bouger, c'était...Ugh. Ew. Fouillant dans les tréfonds de ses souvenirs...Cette carrure, cette dégaine, cette vibe d'alcoolique notoire, éclaté dans une bagarre de bar...

D'un coup, un fou rire. Ça y est, il l'a ! Il l'a croisé il y a même pas si longtemps de ça. Fou rire que ne manqua pas d'arracher un regard réprobateur de la part d'Ayah, elle qui avait été si douce depuis tout ce temps. On lui demande de pas bouger, surtout pour cette sale blessure au flanc, et voilà qu'il s'éclate comme un fou ?

'' Ah mais hahahahahaaaha...Ha...Haaaa...Aïe. ''

Ouais, pas malin, il sentait lui même les dégâts que provoquaient son hilarité. C'est à ce moment qu'il croisa de ses yeux ceux d'Ayah, vraiment plus en mode ''Non t'es sérieux ?'' que vraiment vindicative. Tout à fait compréhensif. Non, laisse le s'expliquer, vraiment. Il désigna le pauvre ronfleur allongé à côté d'un mouvement de tête, tout en le pointant également du bras, sait-on jamais qu'il ne soit pas assez clair.

'' Eh. Lui, c'est Trent. Jle connais 'tin. Croisé y a pas longtemps. Chic mec quand on l'connait. J'ai d'ja du vous l'envoyer dans cet état, y a pas longtemps. ''

Ouais, cette soirée dans cette taverne, le gloot frétillant, que ça devait être le nom. Une soirée vraiment sympathique, en tout points. Mais le moment ou il a détruit Trent alors qu'il était lui même l'instigateur du premier coup, ça avait vraiment été sympa, avec du recul. Son visage reprit peu à peu un air sérieux. En vrai...

'' ...Ouais, on a ptet un problème de violence. '' Son regard se planta dans celui de la femme, qui s'affairait sur sa blessure, aucune idée de si elle sauvait les meubles, ou si tout se passait bien comme depuis le début. '' J't'ai pas compliquée la vie ? ''

Espérons que non, au moins avec la même ardeur qu'il faut pour espérer que Trent se réveille pas de suite ; il pourrait vouloir chercher les ennuis à un certain hippogriffe qui n'en avait strictement aucun besoin dans le moment présent. Sur ce, elle avait dit que ça prendrait un peu de temps, non ? Rien de plus précis ? Bon. Elle apparaît comme agréable aux yeux du garde royal, apprenons-en donc plus sur sa bienfaitrice.

'' Donc, du coup, tu sembles pas avoir réagit à mon nom. Ni même à...Moi. Nouvelle ? ''

Allez, montez tous sur l'Hippo-Express, sens unique, un seul arrêt ; Egoland, le pays magique où Hryfin règne en maître, où il est le centre du monde. Son seul défaut ? Parfois penser qu'Egoland est aussi Aryon. Avoir passé autant de temps à servir aussi, être connu et reconnu de beaucoup de personne, lui était un peu monté à la tête depuis quelques années, encore plus depuis qu'il est à la royale. Que voulez vous, faut les épaules pour supporter un tel titre. Et il les a plus que largement. Roh, encore un auto-compliment.

Elle avait maintenant deux patients sur les bras, bien que l’un d’entre eux ne soit pas particulièrement en besoin de soin intensif. Ayah n’avait pas particulièrement apprécié l’attitude de son collègue, mais après tout c’était son boulot d’accueillir des blessés.

Et comme elle ne refusait jamais d’aider quelqu’un, les gens avaient tendances à prendre quelques… Libertés ?

Bon après… Est-ce qu’il fallait vraiment lui amener les gars alcoolisés qui se bagarraient dans les bars ? Cela arrivait régulièrement, si bien qu’elle commençait à avoir une certaine habitude sur la manière de les traiter. Tout un art.

Une fois que l’intrus eut prestement débarrassé le plancher, le calme revint dans l’infirmerie de la caserne. Un calme bienvenu, ponctué de ronflements et de paroles endormies du pauvre gars assommé. Mais d’ailleurs, était-il assommé par l’alcool, le coup ou par les deux ?

* Mon Dieu, faites qu’il ne soit pas complètement ivre... * Pria intérieurement Ayah tandis qu’elle se concentrait sur les blessures d’Hryfin.

En tout cas, le jeune homme ne posait pas de problème, il ne se plaignait pas, il était calme, il ne faisait pas de malaise… Tout allait pour le mieux. Mais il paraissait un peu distrait et observait avec insistance l’autre homme.

L’opération de réparation avait déjà pris une poignée de minutes et doucement la plaie commençait à perdre en profondeur. Ayah était plutôt satisfaite de l’avancement des soins, bien qu’elle sente que tout cela allait lui coûter assez cher en énergie.

Pas grave, elle demanderait une permission et essaierait de se trouver une excuse valable pour éviter de dire à ses supérieurs qu’elle avait dû recourir à son pouvoir pour aider Hryfin, puisque celui-ci semblait avoir intérêt à ce que ça ne se sache pas.

Et puis d’un coup, le colosse se mit à éclater de rire, Ayah sursauta légèrement et se redressa : tentant tant bien que mal de maintenir le flux de magie réparatrice tandis que Hryfin s’abandonnait à son hilarité.

Elle lui lança un regard surpris, teinté d’une sorte d’air réprobateur, il allait se faire mal, qu’est ce qui lui arrivait d’un coup ?

Il continua de rire comme ça quelques instants, sous le regard perplexe de la jeune femme qui le dévisageait comme s’il était fou. Décidemment, qu’est-ce qui pouvait le faire rire comme ça ?

Le brun fit un signe de tête vers son camarade toujours alité et lui expliqua qu’ils se connaissaient et qu’ils… S’était déjà battus ? Apparemment Hryfin était le genre de gars qui envoyait des gens comme Trent faire une petite sieste à l’infirmerie.

Et… C’était ça qui le faisait autant rire ? Si Ayah n’avait pas eu les mains occupées et tâchées de sang, elle aurait sûrement performé le plus beau facepalm de sa courte existence.

* Ah, les hommes…* Se dit-elle intérieurement en observant Hryfin avec une sorte d’air désabusé, mais en même temps légèrement amusé.

Quand on voit quelqu’un éclater de rire comme ça, peu importe la situation, c’est plutôt contagieux. Il était en tout cas très spontané et simple, avec une façon de parler franche et directe qu’elle appréciait malgré tout.

A bien y réfléchir, c’était vrai que vu comme il était taillé Hryfin pouvait se permettre de s’adonner à des bagarres sans finir à l’infirmerie. Mais, aussi imposant fût-il, il ne paraissait vraiment pas avoir un mauvais fond. En réalité il paraissait même fort sympathique.

Elle était sur le point de lui rappeler qu’il valait mieux pour lui qu’il se détende s’il voulait qu’elle le soigne, mais il reprit son calme de lui-même et elle n’eut pas besoin de le lui dire.

Elle reprit sa tâche, l’hilarité de l’homme n’avait pas facilité les choses, mais en restant en contact avec lui tout du long elle avait réussi à faire en sorte de ne pas interrompre le flux, les plaies ne s’était pas rouvertes.

Elle croisa son regard turquoise empli d’une sorte de calme serein, inébranlable, un peu déstabilisant faut dire, mais elle put le soutenir sans trop de problème.

« Un peu, mais ça ira, ne t’en fais pas… » Avoua-t-elle.

Ne souhaitant pas laisser un malaise s’installer elle lui adressa un sourire amical :

« Néanmoins, si tu pouvais éviter de me refaire ce coup-là ça m’arrangerait bien ! » Ajouta-t-elle d’un ton amusé.

Un petit moment passa sans qu’ils n’échangent davantage, le militaire se reposait et elle avançait bien sur sa blessure. Elle avait bientôt fini, du moins avec la blessure sur son flanc, quand il reprit la parole : il paraissait plus ouvert à la conversation, en meilleure forme ? C’était bon signe !

'' Donc, du coup, tu sembles pas avoir réagit à mon nom. Ni même à...Moi. Nouvelle ? ''

Ah oui… Il fallait bien en venir à cette question…

En réalité elle aurait bien réagi davantage lorsque Hryfin s’était présenté. Mais sur le coup elle avait eu peur qu’une vraie conversation le déstabilise trop, dans l’état où il était arrivé, qui n’était pas le meilleur qu’on puisse imaginer, évidemment.

D’un coup elle se demanda si elle ne lui avait finalement pas manqué de respect en ne réagissant pas après qu’il se soit donné la peine de se présenter.

Elle fut un peu déstabilisée, oui, il n’en fallait pas beaucoup. Elle hésita quelques instants pour trouver ses mots :

« Je… Désolée, je ne savais pas trop si tu voulais qu’on discute dans ton état… Je connais le nom Danvil. Tu fais donc partie de cette famille de noble qui produit des œuvres de forge ? » Demanda-t-elle avec curiosité.

En tous cas, « noble » dans le sens « distingué » du terme n’était pas forcément le mot qui venait à l’esprit de la jeune femme quand elle le regardait.

Elle aurait pu dire « digne », avec une sorte d’aura majestueuse, mais pour elle « noble » se rapportait davantage à un aspect distingué et raffiné. C’était une vision totalement biaisée qu’elle avait de la noblesse.

Non, elle voyait Hryfin comme une personne faite d’une agréable simplicité franche, aussi avait-elle du mal à le voir comme un… Noble ? Pourtant s’il était un Danvil c’était forcément le cas.

Maintenant qu’elle s’intéressait davantage à lui en tant que personne et non en tant que patient, de vagues souvenirs naquirent dans son esprit. Des souvenirs de la période où elle avait été à l’académie à la capitale avant de retourner quelques années à Grand Port.

Les blessures du colosse étaient dorénavant sous contrôle et il paraissait maintenant plus en état de tenir une conversation.

« C’est vrai que tu es plutôt reconnaissable. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi grand… A l’académie j’entendais beaucoup parler d’un gars aux proportions incroyables qui pouvait se transformer en hippogriffe. Il paraît qu’il a rejoint la garde royale. Mais je n’ai jamais eu l’occasion de le croiser, parce que je suis repartie à Grand port juste après ma formation avant de revenir ici très récemment… »

Elle s’interrompit brusquement, en y repensant bien, elle se demanda si la situation ne pouvait pas être encore plus ridicule… Hryfin était précisément un gars « aux proportions incroyables ».

« Ahem… Ne me dit pas que tu es ce gars… » Dit-elle, dans un profond sentiment de solitude, se sentant un peu bête.

Mais au fait… En plus d’être un garde royal, c’était un noble pas vrai ? Elle réalisa qu’elle était en train de le tutoyer et de lui parler comme s’il s’agissait d’un vulgaire camarade de division de la régulière et se sentit un peu gênée.

Sous l’effet de la honte elle sentit une chaleur lui monter aux joues et elle fit en sorte d’avoir l‘air très absorbée par la blessure d’Hryfin pour essayer d’éviter qu’il le remarque :

« Tu es un noble… Je me suis montrée peut-être un peu trop familière. » Dit-elle un peu perturbée. « Tu… Vous… Tu préfère que je te vouvoies ? »

Oui, c’était plutôt idiot comme question, mais à un moment donné un valait mieux être fixé pour éviter de faire preuve d’excès de zèle. Bah oui… tout le monde n’avait pas la même sensibilité lorsqu’on commençait à toucher aux titres et distinctions.

Toujours était-il, la blessure sur le flanc d’Hyfin Danvil était dorénavant proprement refermée, après un peu plus d’une dizaine de minutes de travail intensif dessus. Ayah soupira de soulagement, les choses étaient sous contrôle.

Elle jeta un regard vers la jambe de l’homme, la blessure y était encore béante, bon, il y avait encore du travail ! Elle passa près du lit où se reposait Trent et pris quelques instants pour l’observer et estimer rapidement son état.

Effectivement… Ce visage lui disait quelque chose. Et l’odeur d’alcool aussi. C’était un type qui avait plutôt l’alcool mauvais de ce qu’elle en savait. Prudemment, elle prit son pouls pour s’assurer qu’il était stable.

Ce faisant, elle fit très attention… Parce que la dernière fois qu’elle l’avait reçu, Trent avait été tellement dans un état second à cause de l’alcool qu’il avait manqué de lui donner un coup de poing quand elle avait voulu vérifier son état. Elle l’avait esquivé de justesse.

C’était comme si dans sa tête il était encore au bar en train de se battre. Bon, oui, il avait fait un semblant d’excuse après coup, mais… Oui, c’était bien un « chic mec » comme disait si bien Ryf… Elle n’avait toutefois rien de personnel contre lui.

Mais cette fois Trent se contenta de grommeler un truc du style :

« T’vas voir s’qui va t’arriver, enfoiré d’chien galeux. »

Avant de resombrer dans des rêves qui, elle n’en doutait pas une seconde, débordaient de paix et de bonne humeur. Bon au moins il allait bien… A peu près…
Elle s’installa auprès de la jambe blessée d’Hryfin et entreprit de commencer le travail de fermeture de cette dernière plaie :

« Alors, toi aussi tu te mets régulièrement dans ce genre d’état ? » Demanda-t-elle en désignant Trent d’un signe de tête. « D’ailleurs, comment tu t’es fait ces blessures ? Pas dans un bar j’ose imaginer… »

'' Hm. Désolé alors. ''

Aucune volonté de saloper le boulot d'Ayah. Juste qu'il ne pouvait se retenir devant l'ironie de la situation ; voir ce mec ici lui procure des flashbacks de cette nuit à la taverne, il n'a plus à imaginer Trent allongé ici, complètement sonné, alcoolisé, après la dérouillée qu'il s'est prise, puisqu'il peut maintenant le voir en direct. Heureusement que Hryfin n'a jamais eut à subir cette infirmerie avant, en tout cas, dans le cadre d'un combat de bar, puisque ce n'est pas peu fier qu'il peut annoncer qu'il est pour le moment invaincu dans cette discipline, si on prend en fait que ''vaincu'' signifie être dans ce déplorable état...

Sa question, qui semblait anodine pour lui, semblait avoir déstabilisé la jeune femme. Elle hésitiait, cherchait ses mots, bégayait. Ohohoh, il fait autant d'effet ? Bah non. Elle aurait pu le sentir se recroqueviller intérieurement, se refermer même, que ce soit par le langage corporel ; bras croisés, faisant fi de si ça gênait sa guérison, on son regard, qui s'est redurci. Ouais, il est comme ça, quand on lui rappelle qu'il est censé avoir du ''sang bleu''.

Encore une fois, dans l'esprit d'une autre personne, le grand serait associé à ceux qu'il n'apprécie guère, ces nobliaux qui vivent de faux semblants, sourires forcés et coups bas. Mince, sa sœur est peut-être devenue comme ça, en réalité ? Voici une chose qui l'empêche de retourner chez lui, même pour une visite, maintenant qu'on y pense. Voir sa famille si changée par un simple statut ridicule, ça lui foutrait un sacré coup. Son frère doit s'en doutes s'en cogner fortement, le connaissant, ses chevilles sont aussi fines que la tête du reste de la famille doit être enflée.

'' Ouais. Ce Danvil là. ''

Il leva tout de même un sourcil, alors que la bleue s'affairait toujours sur sa première blessure, qui avait une bien meilleur tête qu'à son arrivée. En même temps, il est pas venu pour l'empirer, sa plaie, hein. La contre-productivité d'un tel move serait à noter dans les annales des choses inutiles qu'il a put faire dans sa vie. Donc, oui, il fut un peu piqué par le reste de son discours.

Visiblement, ça parle toujours de lui parfois, dans le coin. Ça fait plaisir à entendre. Autre que l'ego, ça flattait aussi le relationnel et le sérieux qu'il avait mit dans ce métier, quand il était encore dans la civile. Bon, on se souvient surtout de lui par rapport à sa stature. Qui peut les blâmer ? Mais le plus intéressant restait le moment ou elle mentionna le Grand port. Ah, donc elle en vient aussi ? Ils ont sans doutes plus en commun qu'ils ne le pensent, et ça explique plus pourquoi elle connaît mieux que le nom Danvil que Hryfin en lui même.

Tout de suite, il se détendit un peu. Il fallait s'y habituer, un jour, mon grand. Dans Aryon, hors de la garde et du Grand Port, et de son cercle d'ami, son nom retentira sans doutes plus que lui-même. Il souriait néanmoins des maladresses apparentes de la garde. Non, ne prendrait-il pas un peu de trop de plaisir à perturber la jeune femme avec ça ? Si. Est ce que ça risque de devenir une habitude ? Pour un chieur comme lui, oui. Jouer avec ce côté bourru pour au final dire ''Eh oh, tu sais qui jsuis moi ?'' avait un côté...Aucune idée de comment le décrire, mais c'est marrant.

Il pointa un doigt autoritaire vers la soigneuse. Non, par contre, autant ça le fait bien marrer de la voir bégayer devant la noblesse, mais de là à le traiter comme tel, hors de question. Ça a toujours été un mec simple, et il comptait bien à ce que ça reste comme tel.

'' Alors ça par contre, c'est non. Tu m'vouvoies, j't'en voudrais. '' Il baissa la main. '' Sinon, oui. Danvil, ceux du Grand port, qui étaient de bons forgerons. '' Il ne peut s'empêcher de tacler la qualité actuelle des productions de sa famille. '' Donc, oui. Je suis ce gars. Je vais pas te le prouver en me transformant pour des raisons...Évidentes. ''

On parle, on parle, mais les capacités de soin de la bleue sont vraiment impressionnants. La blessure sur son flanc était déjà soignée, refermée, complètement propre. Hey, ils auraient bien besoin d'une personne comme elle, dans la royale. Mais ce n'est pas le moment de la débaucher, c'est une piètre image de cette élite qu'il montre actuellement. L'hippogriffe maintenant hors de danger et stabilisé, elle s'est donc intéressée à Trent. Ouais, non, t'en fait pas, il en a connu d'autres, et des pires, de toutes façons là il sera pas aggressi-

Ah si. Bon, on va mettre ça sur le compte de l'alcool et d'un certain syndrome post-traumatique à force de se faire rouster dans des combats qu'on a lancé tout en étant incapable de les gagner. Si, jvous jure, c'est un chic type, à la base. Quand il boit pas. Donc rarement en vrai. Quelle représentation pour la garde ! Et même pour la royale, visiblement, vu l'attaque frontale d'Ayah envers Ryf. Combo ''tu te bats bourré dans les bars'' et ''comment tu t'es blessé l'ahuri ?''.

'' ''Régulièrement'' est plus qu'exagéré. Et au pire, même dans s't'état, ce qui reste rare, hein. Jfinis pas ici. Et pour les blessures... '' Il fronça les sourcils, sa bouche formant une moue. '' J'étais pas en service. Mais j'ai surpris deux voleurs, en ville. Jles ais suivis, et jles ais, euh, neutralisés en dehors de la ville. '' Il avait hésité sur le mot à utiliser, car bon, ils les avait plus tabassés qu'autre chose. '' J'ai été trop confiant et...Bah voilà. Jsaurais pas dire si c'était un pouvoir ou un truc qu'il a lancé. Mais ça a bien tranché. ''

Pas plus de précisions, il n'y a pas plus à dire au fond. Alors qu'Ayah s'occupait de la deuxième balafre, il remarquait que la garde semblait presque fatiguée. Sans être non plus au bord de la syncope, on sentait que son pouvoir prenait dans son énergie. Pas étonnant, les plaies étaient propres, mais plutôt profondes.

'' En tout cas, tes capacités de guérison sont proprement incroyables ! Mais...T'épuises pas pour ça. Jpréfére encore un cicatrice que te voir tourner de l’œil. ''

Il ricana. Dans le fond, ses paroles exprimaient sa pensée, à aucun moment il souhaiterait rendre Ayah inopérante alors que lui au final est en meilleure forme. Mais dans la forme, il voulait aussi sonder le caractère de la bleue, titiller sa fierté, sa volonté. A côté d'eux, sur son lit, Trent était agité, comme si il revivait encore son combat qui doit remonter à il y a moins d'une heure.

'' Jte souhaite bien du courage pour t'occuper de lui quand même. Hésite pas, n'importe quel garde connaît son palmarès, y viendront t'aider. Jsais pas pour quoi. Le faire se ''rendormir'' ou l'maintenir. Mais ils viendraient. ''

Bagarreur comme il est, assez mesquin et teigneux, il est la terreur des petits nouveaux qui doivent se charger de lui, ou tout simplement bosser avec lui. Faut apprendre à le connaître et gagner son respect. Mais laissons le de côté pour le moment, dans ses rêves, alors que le regard du garde royal se planta de nouveau sur celle à ses côtés.

'' Donc, du coup, tu viens du Grand port aussi, hein ? Elle te manque pas trop, la maison ? '' Il hésita, avant de lâcher dans un soupir. '' Moi un peu des fois. ''

Une confession à demi-mots, qu'il n'a pas faite si souvent, lui qui se dit si bien à la capitale depuis qu'il y est arrivé. C'est le cas, oui. Mais il aimerait trouver le temps et la motivation de redescendre dans le Sud, un de ces quatre. Voir la mer, plutôt que ce fleuve qui traverse la capitale, trop peu agité à son goût. Le soleil, la bonne ambiance, le vent marin. Tout ce qui fait du Grand port ce qu'il est, somme toute.

Il y avait quelque chose dans l’attitude d’Hryfin qui était devenu un peu froid quand ils avaient évoqué le sujet de son sang bleu.

De son côté, Ayah était passée par quelques moments de gêne, par lesquels elle avait la sale impression de se comporter avec lui de façon inappropriée au regard de son rang. Et lui, de son côté semblait se refermer un petit peu quand elle voulut le traiter en accord avec le protocole habituel.

Ce n’était pas une malapprise, et même si elle n’avait pour ainsi dire aucun pedigree, l’académie militaire s’était parfaitement chargée de son éducation.

Bon… Peut-être avait-il un problème avec ça… Ce n’était pas qu’il n’était pas fier de son nom, rien à voir. Elle avait plutôt l’impression qu’il ne voulait pas qu’on lui fasse de courbette à cause d’une lignée et non à cause de ce qu’il avait accompli lui-même.

Fort heureusement, il n’avait pas relevé la gêne qui était apparue sur sa face quand elle avait cru lui avoir manqué de respect en le tutoyant.

Mais que nenni ! Hryfin semblait s’opposer catégoriquement à qu’elle le vouvoie. Elle fut d’abord surprise de voir cet index accusateur pointé vers elle, puis s’en amusa.

Elle soupira de soulagement et se détendit beaucoup après ces paroles. Finalement il lui semblait qu’elle l’avait plutôt bien cerné : le jeune homme était un type simple qui ne s’embarrassait pas des fioritures et des titres en tous genres. Il n’était donc pas offensé par sa conduite, et cela la rassura immédiatement.

Ayah n’était pas le genre de personne qui fréquentait les tavernes, et encore moins le genre qui buvait à s’en rendre saoule. L’avait-elle déjà été ? Bien qu’elle n’ait rien contre l’alcool en soit, elle ne savait pas quel genre d’effet la boisson pouvait avoir sur elle et pour le moment elle s’en accommodait fort bien.

Dans un groupe qui part dans ce genre d’établissement, il y a trois types de personnes : celles qui se mettent totalement â l’envers, celles qui savent à peu près se tenir, et celles qui ramènent les deux autres types de personnes chez elle et les aident à trouver le trou de la serrure de leur porte... Disons qu’Ayah était plutôt du troisième type.

Tout en l’observant, elle se demanda si Ryf faisait plutôt partie du premier ou du second… Une sorte d’entre deux peut-être ? Oui, c’était un peu difficile à dire… Elle l’écouta tandis qu’il lui faisait le récit de sa mauvaise rencontre avec une paire de malfrats. Il n’était pas en service, cela expliquait sûrement qu’il porte des vêtements civils.

Il n’empêche qu’elle admira son sens du devoir. C’était un noble, doublé d’un garde royal, et malgré tout, il restait comme un simple soldat prêt à aider le peuple quitte à mettre sa propre vie en danger. Et ce alors qu’il n’était pas en service et qu’il ne portait pas la moindre protection, ni arme d’ailleurs.

Elle fronça les sourcils en travaillant sur la plaie qu’il avait à la jambe.
Oui, c’était forcément un pouvoir qui avait réalisé dans sa chair des entailles si nette et si profondes… Parfois il était un peu effrayant de se dire que n’importe quel roublard pouvait potentiellement détenir un pouvoir mortel…

Aussi imposant fût-il, elle considéra qu’Hyrfin aurait très bien pu y laisser sa peau s’il n’avait pas été amené à elle suffisamment rapidement. Et même s’il avait survécu, ça aurait peut-être été avec une sale douleur rémanente à l’abdomen.

« Je pense que tu n’es pas passé très loin, tu sais… En tous cas, c’était courageux de ta part. Vraiment. C’est le genre de chose qui font que j’admire ce rôle de garde. » Lui dit-elle simplement, le plus sincèrement du monde, tandis qu’elle se concentrait sur le flux d’énergie qui s’affairait à refermer doucement mais surement la plaie béante sur sa jambe.

Elle ressentait une sorte de lassitude et comme des courbatures au niveau des bras, des jambes et de la nuque. Mais cela ne l’inquiétait pas outre mesure, c’étaient des signes de fatigue qu’elle connaissait bien, dû à l’usage de son pouvoir.

Elle connaissait à peu près ses capacités et ses limites et savait qu’elle pourrait finir proprement ce travail sans se vider totalement de ses forces, même si elle était consciente qu'elle en ressortirait affaiblie. Sauf si le jeune homme décidait soudainement de lui compliquer la tâche, évidemment.

Néanmoins, quand il la complimenta sur son pouvoir tout en laissant entendre qu’elle ne devrait pas s’épuiser à le soigner correctement elle eut une sorte de ressenti paradoxal. D’un coté elle était très touchée par le compliment, et de l‘autre coté elle était un peu vexée. Quelques instants elle tira une sorte de moue frustrée en le regardant.

Il ne pensait certainement pas à mal, il avait dû remarquer que le contrecoup de l’usage de son pouvoir commençait à se faire ressentir.

Mais Ayah avait particulièrement à cœur de réaliser correctement cette tâche. Aussi il n’y avait rien de vraiment plus pressant pour le moment, et ce n’étaient pas les « finitions » qui demandaient le plus d’énergie. Un peu plus ou un peu moins… ça ne ferait déjà plus vraiment la différence de toutes façons.

 Un peu de panache, que diable ! Elle se redressa et fit en sorte de paraître en pleine forme :

« Si tu ne sabotes pas mon travail ça ira très bien, ne t’en fais pas ! » Dit-elle avec un air jovial. « L’usage de mon pouvoir est un peu fatigant, mais regarde… Il n’y a pas grand-chose à faire ici… »

Ah si, il y avait Trent qui était sur l’autre lit, face à elle, son regard s’attarda sur lui.

'' Jte souhaite bien du courage pour t'occuper de lui quand même. Hésite pas, n'importe quel garde connaît son palmarès, y viendront t'aider. Jsais pas pour quoi. Le faire se ''rendormir'' ou l'maintenir. Mais ils viendraient. ''

« On a déjà fait connaissance tous les deux, grâce à tes bons soins. » Commenta-t-elle, amusée.

Elle voulut rire à cette idée, mais se ravisa in-extremis, elle ne voulait pas trop encourager Hryfin sur cette voie, Non mais oh ! C’était mal, très mal !

« Et hors de question de le « rendormir », c’est très mauvais pour lui… »

La voilà partie sur le discours moralisateur que tout médecin qui se respecte se devait de tenir. Et elle était assurément un médecin respectable, bon sang.

« Il est un peu agressif quand il émerge, mais dans son état complètement alcoolisé je pourrais moi-même le maitriser en cas de problème, enfin, je crois… Et puis une fois qu’il a compris que je suis là pour l’aider il a tendance à se calmer et à se laisser faire. »

Elle soupira :

« J’imagine qu’il a un bon fond. J’aime à penser que tous ceux qui ont fait vœu de protéger le royaume en ont un, même si Trent a l’air d’avoir parfois un léger problème d’agressivité. »

Tandis qu’elle reportait son attention sur la blessure, observant l’avancée des soins, elle sentit le regard du garde royal sur elle. Il évoquait Grand Port, il venait de là-bas lui aussi après tout, s’il était un Danvil.

Grand Port… Ayah resta silencieuse un petit moment, laissant ses pensées s’égarer hors des murs de la capitale. Quelque part, il était vrai qu’elle avait envie d’y retourner.
Elle ne se sentait pas chez elle ici, alors que même à Grand Port elle n’avait pas vraiment d’attache. L’appel irrésistible de la mer, peut-être ?

Finalement elle reprit la parole avec une sorte d’air apaisé :

« Effectivement. » Dit-elle. « Je suis née là-bas et j’y ai passé une bonne partie de ma vie. Oui. Je pense que ça me manque »

Elle hésita quelques instants puisqu’elle s’apprêtait à entrer une un terrain un peu plus privé, mais considéra qu’elle n’avait pas de réticence particulière à en parler à l’hippogriffe.

« Personne ne m’attend là-bas. Je n’ai plus aucune famille depuis quelques années. » Précisa-t-elle laconiquement. « Néanmoins, ça reste là-bas que je me sens le plus à la maison. Entre nous... Je songe à demander une réaffectation dans le régiment du sud. »

Elle observa son patient, il avait l’air plutôt mélancolique à l’évocation de sa propre « maison »

« Alors… Tu ne t’entends pas très bien avec eux ? » Demanda-t-elle avec douceur. « Tu n’es pas obligé de me le dire si c’est trop personnel. »

Leur discussion était plutôt reposante et toute trace de gêne avait quitté la jeune femme. Elle avait peu à peu retrouvé son aisance en parlant avec lui, comprenant que ce n’était pas le genre de personne qui s’embarrassait de superficialité dans ses rapports aux autres.

« Ce doit être plutôt pratique de voyager avec ton pouvoir. Si je peux me permettre, j’aimerais bien le voir un jour ! »

La blessure du jeune homme n’était bientôt plus qu’un mauvais souvenir, et Ayah était très satisfaite de l’avancée des soins. Elle avait déjà brûlé une grande partie de ses forces, mais moins qu’elle ne l’avait initialement escompté.

« Qui sait, même si je retourne à Grand Port on pourra peut-être se recroiser. Enfin, si tu acceptes évidemment. »

Elle retira enfin ses mains de la jambe d’Hryfin avec un petit air victorieux :

« Ah et… Dans d’autres circonstances, j’espère ! » Ajouta-t-elle en riant. « Tes plaies sont maintenant refermées. Comment te sens-tu ? »

Elle se leva de la chaise et entreprit d’aller se laver les mains, Hryfin avait perdu beaucoup de sang et il avait évidemment fallut se salir un peu. Elle eut un peu le tournis à cause du contrecoup et s’immobilisa quelques instants auprès de l’évier pour se remettre les idées en place, se massant les tempes.

Puis, elle humidifia une serviette propre et la tendit gentiment à Hryfin pour qu’il puisse s’essuyer un peu s’il le désirait.

Tandis qu’elle se séchait les mains dans une autre serviette sèche, un mouvement retint son attention et elle lança un regard en direction de Trent, qui s’était redressé et mis en position assise sur le lit.

* Ah… J’espère qu’ils vont savoir se tenir. * Se dit-elle intérieurement en soupirant.

Au moins elle le trouvait courageux, non pas débile ou impulsif, trop peu conscient pour son propre bien. De là à l'admirer, ou même la carrière qu'il a choisie, il n'y a pas qu'un pas, plutôt un bon marathon. Pour ce qui est attrait à lui personnellement, il n'est pas à admirer, ou en tout cas n'agit pas pour l'être, l’éphémère gloire d'avoir attrapé un bandit a trop peu de saveur pour la haine et la vigilance dont font preuve une partie de la population. Si la garde était vraiment crainte et respectée, la criminalité diminuerait, au lieu de se retrouver en constante augmentation.

Sa pique eut l'effet escomptée, au vu de la moue de la jeune. Elle pourrait à présent dire ce qu'elle voulait ; que ça la fatigue pas, que ça ne lui pose pas de problème, que ça le regarde pas ; c'était trop tard, il pensait l'avoir cernée : plus fière que ce qu'elle laisse paraître, malgré une petite fatigue plus qu'apparente. Elle commençait à lui plaire, il la voyait que trop gentille et accueillante, sans que ce soit une façade. Ce n'est pas une, en effet, mais il y a plus de coffre, de caractère dans ce bout de femme qu'on ne peut le penser de prime abord. Qu'elle ne s'inquiète pas, il ne sabotera rien du tout. Ce n'est pas car l'endroit est présentement vide qu'il ira volontairement lui donner du travail.

Et c'est clair que c'est pas Trent qui allait lui en donner. Tout ce dont il avait actuellement besoin, c'est d'un gros dodo tranquille. Ravi d'apprendre qu'Ayah le connaissait déjà, d'ailleurs, encore plus en sachant que c'est grâce à lui. C'est donc elle qui l'avait déjà accueillit, après la rouste qu'il lui avait collée ? Tout ce qu'elle avait dit faisait parfaitement sens, et était d'une justesse précise. Il en a connu des vertes et des pas mûres, le vieux garde -enfin, vieux reste relatif, disons juste que c'est celui qui augmente la moyenne d'âge dans la pièce. Une vie pas facile, à ce qu'on entend. Il met ça sur le dos du monde entier plutôt que sur le sien, il a pas les épaules pour tout porter, à l'inverse du garde royal.

Mais il sait se trouver sympathique parfois, et possède vraiment un bon fond. Un point commun avec l'hippogriffe, sommes toute ; là ou Trent repousse par son agressivité et son apparent aspect mauvais, Hryfin lui repousse volontairement d'un air froid doublé d'une stature permettant l’intimidation facile de toute personne mesurant moins de deux mètres. Une fois, il a rencontré une personne plus grande que lui. Il se rappelle l'avoir extrêmement mal prit, presque vexé et diminué. Passant son chemin et ruminant comme un gosse, il se serait retrouvé démuni, barrières baissées, face à lui.

La soigneuse venait donc bel et bien du Grand port, elle n'avait pas entendu son nom en bruit de couloir, au détour d'un mur, dans une conversation entre deux nobles, donc. Elle a plus ou moins l'âge de son petit frère, s'il devait déterminer. Beaucoup de personnes venant du Sud, atterrissant dans la capitale ou pire, dans le Nord, devient nostalgique en aussi peu de temps qu'il en faut pour se rappeler l'ambiance portuaire. Par contre, il s'attendait vraiment pas à la confession de la femme, si bien que la confusion et la gêne durent se voir sur son visage. Pas qu'il est contre écouter les gens, juste que, bah, que peut-il y faire ? Elle embraya rapidement sur un autre sujet, le préféré de Ryf : Lui même. Bon, sa famille, mais sa famille est une partie de lui même, c'est du pareil au même.

''Hm. Désolé pour ta famille. Jpenses pas les connaître. Mais oui, si tu veux retourner dans le Sud, la mutation devrait pas être trop difficile. Tu s'ras sans doutes bien mieux là bas. '' Voilà grosso modo tout ce que pouvais dire le grand sur un aveu de la bleue qui a dut être difficile pour elle. '' Pour ce qui est de ma famille, à moi...Non, disons surtout qu'on s'est perdus de vue. Depuis qu'jsuis parti de la maison pour rejoindre l'académie. Ca capte plus très bien entre nous. ''

Oh le méchant menteur, bouh, aux fers, un nez plus grand que celui de Pinocchio à force de sortir cette même fausse rengaine. ''JE capte plus'' et ''JE les ais perdus de vue'', c'est ça, qu'il aurait du dire. Mais gardons vainement la face, restons l'homme fort qui n'assume pas ses torts, et amène les autres dans ses galères, ou simplement les renvoyer à quelqu'un d'autre. Tiens. Ça fait penser à une personne citée un peu plus haut, non ? Faudrait juste être vigilant à ne pas finir comme lui.

Il se contenta de hausser les épaules au commentaire sur la praticité de son pouvoir quand il s'agissait de voyager. De se déplacer tout court, même. C'est vrai que c'est ce qui l'avait aidé à arriver ici, à la capitale, en premier lieu. Et à se rendre à toutes ces assignations. Ces missions. Avec malheureusement cette contrainte quasimodesque qui lui pulvérise le dos en attendant de pouvoir les réutiliser. Après, il a jamais tenté de laisser quelqu'un le monter, sous forme d'hippogriffe ? De mémoire, en tout cas ? L'idée de servir de vulgaire monture volante n'était pas vraiment son kiff, mais on sait rien tant qu'on a pas essayé.

'' Eh, aucune raison que tu le voies pas un jour. Spas un secret ou un truc honteux hein. Et puis...Faudra que j'y repasse, au Grand port, un jour quand même. On se reverra même si tu t'barres d'ici. Tu pourras pas m'manquer jpenses. '' Il ricana. '' Et ce sera forcément dans d'autres circonstances. Jcomptes pas me reblesser d'une manière ou d'une autre, encore mois dans de telles dispositions. Et ton travail... '' Il passa la main là ou se situaient feu ses blessures. Un peau lisse, comme intouchée. '' ...Est, encore une fois, bluffant. Ça va beaucoup mieux. ''

En y repensant, il s'était presque habitué à cette sensation, celle procurée par le pouvoir de la bleue, une certaine fraîcheur qui rassemblait les chairs. Preuve que ce n'était pas dérangeant ; il n'avait presque pas réalisé que l'opération était maintenant terminée. Observant son flanc anciennement touché, il ne remarqua pas les difficultés que sa sauveuse avait à reprendre ses esprits, ou en tout cas, se remettre du contrecoup. Son observation fût perturbée par une serviette tendue, qu'il attrapa dans un ''merci'', et entreprit de se nettoyer un peu ; ses fringues étaient mortes, c'est une certitude, mais au moins pouvait-il débarbouiller son corps.

C'est à ce moment que son colocataire se décida à se relever. A force, il doit avoir le crâne d'une dureté que même les murs du palais envient, et un sang naturellement imbibé d'alcool, sa vie doit se passer sous deux grammes par litre. Malgré tout, il semblait avoir du mal à émerger, étant tout de même déjà presque prêt à se lever. Aller, quelques petits encouragements, ça pouvait le faire.

'' Alors Trent, vieux sac à vin ! Çà y est ? On se réveille ? Tu t'es levé aussi rapidement aussi la dernière fois, quand c'est moi qui t'ai meulé ? ''

A ses mots, qui avaient barré le visage de Hryfin d'un grand sourire satisfait, Trent sursauta, et pivota vers l'hippogriffe. A son tour, son visage cicatrisé et tuméfié se fendit d'un sourire, une énergie puisée dans la fierté que Hryfin venait de froisser à nouveau l'autorisant à se dresser sur ses jambes, et se poser à côté du lit de l'homme encore allongé.

'' Bah alors, Ryf ? On est à l'infirmerie ? Encore en train de faire ''ami-ami'' avec tes anciens potes ? Et qu'est ce que tu fou l... '' Il répondit à sa propre question en remarquant les sang sur ses vêtements et sur les draps, ce qui lui arracha un rire. '' Oh bah alors, s'est fait bobo l'gamin ? '' De sa grand main caleuse, Trent entreprit d'appuyer là ou était la blessure au flanc du garde royal. '' Donc, c'est là que tu t'es fait ma- ''

Il n'eut pas le temps de finir sa petite phrase que Hryfin, se tournant légèrement, attrapa le col avant de Trent, et attira sa tête juste en face de la sienne. Ce potentiel miroir qu'il voyait l'énervait encore plus qu'il aurait aimé l'être. Ne connaissant absolument pas les conditions générales des soins d'Ayah, juste ''qu'il ne faut rien saboter'', il faut peut-être attendre encore un peu, même une fois les blessures refermées. Le fait que ce poivrot ait voulut tout défoncer, le travail de la bleue duquel elle subit encore des contrecoups, a suffit à le déclencher.

'' Écoute moi bien, pilier de bar. '' Son autre main libre se plaqua violemment sur le haut du crâne de sa victime, et de ses deux mains du coup, tourna la tête du garde imprudent de sorte à ce qu'il ait Ayah dans son champ de vision. '' Si je suis encore là -enfin, c'est ce qu'elle proclame, en tout cas-, c'est grâce à elle. Et je jure sur Lucy que si tu retente qu'une seule seconde de saloper son travail, je te termine. ''

Il le balança vigoureusement de là ou il venait, vers son lit. Entre la propulsion qui ferait pâlir les calculs de Newton et le taux d'alcool dans le sang de Trent qui ferrait pâlir Gérard Depardieu, il se retrouva vite à se manger sa couche en titubant, passant par dessus, se cassant la gueule de l'autre côté. Oups. Il venait potentiellement de redonner du travail à Ayah. Et cette petite esclandre n'est pas passée inaperçue, puisqu'Ayah le regardait avec de grands yeux ronds. Vite, sa défense.

'' Non mais, t'as vu la gueule du type quand même ? ''

Bravo. Parfait. Rien à dire. Avec cette défense, aucune raison que la femme s'énerve, quand même.

Un hippogriffe hein ?

Depuis qu’Hryfin avait plus ou moins accepté l’idée qu’il se recroisent à l’occasion la curiosité d’Ayah était piquée à vif concernant son pouvoir. Elle ne doutait bien qu’il ne refuserait pas, au moins pour la forme. Mais elle se demandait s’il avait l’habitude de se rendre à Grand Port de temps à autres.

Bon, apparemment ce ne serait pas la famille qui le ferait revenir auprès de la mer.
Mais qui sait ? Il évoquait bien le fait que sa maison lui manquait non ? Il y avait donc de bonnes chances de le recroiser à un moment ou à un autre. Et puis, comme il disait, ce n’était pas vraiment le genre de personne qui ne se remarque pas.

Par ailleurs, aussi spontané soit-il, il était parfois difficile de savoir ce qui se passait dans sa tête, c’était un personnage pour le moins intrigant pour elle.

En tout cas, le garde semblait plutôt satisfait des soins qu’il avait reçus, et sa satisfaction suffisait à celle d’Ayah. Tout était réglé, et Hryfin n’avait plus qu’à se reposer pour récupérer les forces qu’il avait perdues durant l’hémorragie. Son travail de médecin était donc terminé. Le brun pourrait quitter l’infirmerie dès qu’il se sentirait un peu mieux, et cela dépendait surtout de lui.

Tiens, en parlant de ça, il vaudrait mieux qu’il mange rapidement quelque chose avant de repartir. C’était plus prudent pour lui. Elle s’apprêtait à lui proposer une sorte de barre sucrée qu’ils avaient dans l’unité médicale pour ce genre de cas quand le vent tourna à nouveau.
Et quelle bourrasque !

Elle aurait dû s’en douter… Le calme ne pouvait pas durer éternellement, surtout pas avec le naturel taquin d’Hryfin et le côté agressif de Trent, qui semblait prêt à saisir la moindre perche. Tout prétexte semblait bon pour se fritter, dans la joie, la bonne humeur et le respect mutuel, évidemment.

Elle resta exactement là où elle se trouvait durant l’ensemble de leur petit échange de cordiales mondanités. De toute façon elle avait encore cette légère sensation de tournis et cherchait plutôt à reprendre tranquillement ses esprits plutôt qu’à réellement intervenir pour le moment.
Ouais… Le réveil de Trent ne pouvait pas mieux tomber…. Quelle veine.

Elle observa donc avec appréhension Trent se remettre sur ses jambes et s’approcher de l’hippogriffe. Il faut dire que le grand brun semblait prendre un malin plaisir à le provoquer.
Le « vieux » garde plongea tête la première dans ce petit jeu de provocation, et fit mine de planter joyeusement son index à l’endroit précis où se trouvait la blessure de Ryf quand il était arrivé à l’infirmerie.

Bon, il pouvait faire ça autant qu’il voulait. La blessure était déjà guérie et Hryfin ne ressentirait pas la moindre douleur.
Super, aucune raison que ça dégénè(re)…
Ah bah si… En fait ça dégénère à partir de ce moment précis.

Sous le regard surpris de la jeune femme, le garde royal venait d’attraper Trent par le col et avait fait pivoter la tête du garde dans sa direction. Elle croisa le regard du vieux soldat tandis que l’hippogriffe le menaçait sans le moindre ménagement.

Sans qu’elle puisse vraiment s’expliquer pourquoi dans l'instant, le colosse avait soudainement pris un air très sérieux tandis qu’il intimait à son collègue de ne pas recommencer à toucher à son « travail ».

« Attends ! » Voulut intervenir la soignante en avançant d’un pas vers eux, pressentant la suite.

Trop tard. D’un simple geste, Hryfin avait déjà renvoyé Trent valser du côté de son lit. L’élan fut tel que le soldat disparut de l’autre coté de la couche. Ayah tressaillit dans un élan d’empathie au moment ou le bruit accompagna la gracieuse chute de Trent.

* Outch *

Incrédule et bouche bée, elle regarda le colosse, qui sembla immédiatement chercher une explication à son geste. Il en avait très certainement une excellente raison d’avoir agit ainsi. Après tout elle n’était pas omnisciente. Elle avait certainement loupé quelque chose…

'' Non mais, t'as vu la gueule du type quand même ? ''

Ah, c’était donc pour ç… Pardon ? C’était vraiment ça les arguments de Ryf ? Elle prit une grande inspiration.

D’un naturel extrêmement calme et patient, Ayah n’était pas du genre à se mettre en colère, et il lui faudrait beaucoup plus que ça pour que ça arrive.

Elle se contenta donc de lancer au Danvil un regard dépité, un peu désemparé, avant de trottiner vivement vers Trent pour lui porter assistance. Aussi imbibé d’alcool et agressif soit-il, il restait l’un de ses patients, et elle avait à cœur de s’en occuper avec autant de soin que n’importe qui d’autre.

Tout en s'approchant du grand copain de Ryf, Ayah passa dans sa tête les dernières paroles de l'homme brun envers le vieux garde quand ce dernier avait voulu toucher à ses blessures.
Il aurait fait ça pour défendre son travail ?

Peut-être ignorait-il qu'il n'y avait aucun risque pour que Trent ait une quelconque influence sur le boulot déjà effectué.
Même si elle n'appréciait pas particulièrement la tournure que prenaient les choses, elle se sentit touchée par la sollicitude de son patient.
Il ne voulait pas mal faire, elle en était persuadée, il y avait juste mis un peu trop... D'enthousiasme ? Bon, elle ne lui en voudrait pas trop.

Fort heureusement, le garde n’avait pas fait une mauvaise chute en tombant de l’autre coté du lit grâce à la formidable leçon de physique sur l’inertie des corps dispensée par l’éminent professeur Danvil. 
Ses coudes avaient évité à son crâne de faire une rencontre inopinée avec le sol de l’infirmerie et il ne semblait pas blessé.

La jeune femme voulut l’aider à se relever, mais la fierté froissée de l’homme le poussa à décliner sans ménagement son assistance. Elle l’observa donc se relever, la mine perplexe. Évidemment, il n’allait pas se laisser faire humilier comme ça devant quelqu’un d’autre, et il fit mine de repartir vers Ryf.

« Bah ça alors. Le p’tit Ryf est tout vénère ? J’ai touché un point sensible ? T’aime bien faire l’beau gosse, hein ? » Il eut un petit ricanement moqueur « Dis-moi, c’est qui ? Le type qui t’a proprement décalqué la tronche pour qu’t’atterrisse ici ? »

* Et c’est reparti… * Pensa Ayah en le suivant du regard, avec un petit air blasé.

En tout cas, même s’il était évident que Trent ne faisait pas le poids, même face à un Hryfin diminué, le garde semblait d’attaque pour se venger. Il fallait lui reconnaître ça, il n’avait pas froid aux yeux le bonhomme.

« T’vas me terminer ? Toi ? Mouarf mouarf ! Ne me fais pas rire, mon p’tit Ryf, j’en ai vu d’autres. Mais si tu y tiens on peut s’expliquer. T’vas voir mon poulet, j’vais t’envoyer picorer du pain dur dans un mur, et vite fait. »

Il voulut s’approcher encore de l’hippogriffe, mais Ayah se planta face à lui et l’attrapa gentiment mais fermement par les épaules, le regardant droit dans les yeux :

« Ça suffit. Personne ne va terminer personne tant que vous serez ici. Retourne t’assoir s’il-te-plaît. » Lui intima-t-elle très calmement, sans lever la voix, tentant d’inhiber son agressivité envers l’hippogriffe avec son sang-froid et son calme.

« Hé. Ce sont des histoires d’hommes. Ça r’garde pas les donzelles. T’mêle pas d’ça, Ayah. » La rabroua-t-il en continuant de fixer Ryf par-dessus l’épaule de la soignante avec un air plein de défi. Il essaya de l’écarter de son passage.

En temps normal, Ayah était plutôt facilement impressionnable et évitait à tout prix les confrontations, mais elle sentit qu’elle n’avait pas le choix si elle ne souhaitait pas qu’ils en viennent aux mains.

Et puis… Elle n’allait pas se laisser faire pour si peu par un collègue et raffermit encore sa prise sur les épaules de Trent, ne le lâchant pas une seconde des yeux, l’air déterminé.

« Bon. Ecoute, Trent. Je ne suis pas du tout intéressée par vos histoires. Tout ce que je sais, c’est qu’ici tu es dans une infirmerie, pas sur un ring de boxe. Et que je ne compte pas vous laisser troubler la tranquillité des lieux. » Son regard se fit un peu plus dur, tentant de faire en sorte qu’il la prenne au sérieux. « Nos camarades viendront vous calmer s’il le faut. »

Laissant l’une de ses mains sur l’épaule de Trent, elle se tourna vers Ryf et eut un air désolé que l’autre ne pouvait voir. Elle appréciait beaucoup le garde royal, mais si elle espérait apaiser la rancœur de son adversaire il fallait qu’elle les traite de façon équitable.

« Et ça vaut pour toi aussi… Hryfin. »

Elle espéra que cela suffirait à calmer le jeu, mais il y avait toujours dans l’air une sorte d’ambiance électrique entre les deux lascars. De son coté à elle, ça allait à peu près, il y avait juste une espèce de mal de tête du au contrecoup, mais qu’elle parvenait à gérer. Elle avait l’habitude.

Elle n’était pas tout à fait sûre que Trent allait en rester là, au vu de l’alcool qu’il avait ingurgité.
Bon au moins Ryf était taquin, mais parfaitement sobre, et si l’autre ne se calmait pas elle demanderait qu’on le fasse sortir.

Quel dommage. Il aurait espéré qu'il se fasse beaucoup plus mal que ça, mais hélas, on a pas toujours ce que l'on veut. Pas grand chose non plus, hein, ne pas lui souhaiter la mort ou un gros coma. Juste un bon petit traumatisme des familles, qui le ferait bien plus tituber que tout ce qu'il a put ingurgiter aujourd'hui, le forcerait à se caler bien confortablement dans un des lits, faire un gros dodo et laisser les grandes personnes tranquilles. D'autant plus qu'il ne semblait nullement en démordre, et continuait de chercher des crosses au garde royal.

Le brun restait impassible face aux piques et remarques du garde. Ne voulant créer une cohue -car oui, s'il devient sonore, croyez moi que d'autres gardes passant par là s'agglutineraient pour voir ce qu'il se passe-, il encaissa les répliques comme un grand, d'une facilité déconcertante, car tout ce qu'il disait était démonté dans la tête du garde royal. Oui, il est tout vénère, qu'on se comporte avec si peu de respect. Non, pas besoin de faire le beau gosse ; comparé à Trent, même un nouveau né est beau gosse. Et celui qui l'a décalqué, c'est quelqu'un d'autre que celui qui l'a sans doutes assommé à coups de tabourets.

Un moment, il pensait vraiment qu'il allait falloir se lever et de nouveau en venir aux mains avec un adversaire qui n'effleure même pas sa portée. Clairement au dessus depuis des années, c'est à se demander si le soûlard n'a pas un petit côté masochiste, à continuer à cherche les embrouilles aux personnes bien plus aptes que lui. Alors qu'il se redressait sur son lit, se sentant déjà mieux, s'occuper de cet homme balbutiant ne serais que trivial.

Ce fut, contre aucune attente, Ayah qui s'interposa entre les deux hommes. Tch. C'est vrai, elle est là. Aucune prétention ou méchanceté, mais il en avait presque oublié la présence de sa soigneuse tant l'ambiance entre Trent et lui était électrique. Il a jamais vraiment digéré le passage de Hryfin à la royale, faut dire, alors que lui reste à la garde régulière, espérant un jour justement une promotion inespérée. Pas avec cette attitude. Ryf prit très mal la remarque misogyne de son ancien collègue.

'' Quel homme ? Jpenses qu'à partir du moment où même la 'donzelle' peut t'allonger, ça la concerne ouais. ''

Encore une semi apologie de la violence au sein de la garde, et oui, bon, le 'même la donzelle' était sans doutes de trop ; là ou dans le monde de la remarque sexiste, Trent serait le roi, Ryf se contente du rôle de paysan. Surtout qu'il n'avait pas vraiment tort ; de par son caractère et même son pouvoir, la bleue n'est pas une foudre de guerre, cependant, elle parvenait à retenir parfaitement un mec en pleine possession de ses forces qui ne faisait qu'aboyer sur l'hippogriffe.

Un énorme sourire barrait le visage du garde royale quand la médecin disputait son opposant comme s'il n'avait été qu'un petit enfant. Ah, quel pied, voir ce gros bonhomme se prendre un sermon par un petit bout de femme.

Sourire qui disparut bien vite quand elle lui fit comprendre, explicitement, que tout cela valait aussi pour lui. Lui ? Non mais vraiment ? Eh, il n'avait fait que ce qu'il pensait bien pour lui, et même pour elle, pour le coup ! Le prenant tout de même un peu mal, sans pour autant atteindre des niveaux de vexation inégalés, il grogna en se relevant, s'aidant bien de ses bras sur le bord du lit pour être bien stable.

'' T'inquiète, Ayah. J'ai bien compris. ''

Pas besoin de se rhabiller, c'est l'avantage. Ca va le regarder en bizarre, quand il traversera la ville avec ses vêtements tâchés de sang. Encore plus quand les gens vont s'inquiéter, vouloir le soigner, pour s'apercevoir que c'est déjà parfaitement effectué. Repassant de nouveau les doigts à l'endroit où des stigmates de ses blessures devaient se trouver, absolument lisses et propres, il était encore subjugué par la facilité que ça avait demandé à la femme de le soigner. Il était malheureusement dos à elle, entre les deux hommes, maintenant le petit fermement par les épaules.

'' De toutes façons, comment rabaisser ce qui est au plus bas, hein ? ''

'' Oh par Lucy, Ayah, laisse moi m'le farcir ! ''

Aucune chance qu'elle le laisse. Il le sait. Il en profitait ? Oui, un peu. C'est quand même beaucoup plus rigolo, hein. Se planta juste derrière celle aux pouvoirs curatifs, il posa délicatement une main sur son épaule, et attendit qu'elle daigne tourner la tête vers lui pour lui offrir un sourire large et franc, la regardant droit dans les yeux de ses iris turquoise.

'' Encore merci pour tout hein. Jten doit une belle. Passe chez les gardes royaux, un dces quatre. Jte paye s'que tu veux ! ''

'' Non mais r'gardez le, en plus, à jouer le joli cœur là ! Tu crois pouvoir toutes les attirer dans ta couche comme ça ? ''

Un rire, gras, mesquin, et franchement peu agréable à l'oreille, surtout dû au contexte de la phrase. A vrai dire, Ryf n'était pas un grand dragueur, ni même le genre qui attire la gente féminine de base. Du moins, de son point de vue, et ses expériences. Chose qui devait faire enrager Trent, intérieurement ; qu'une apparente gueule d'ange comme Hryfin ne s'en serve pas plus pour avoir du succès. Ahlala. Quel matérialiste, quel narcissique.

'' C'est clair que ça marche mieux pour moi que pour toi, hein, le balafré ? ''

A son tour de rire, tout en se dirigeant vers la porte de l'infirmerie de la caserne. Il la franchirait pour sortir ; et n'espère pas avoir à la franchir de nouveau dans l'autre sens de sitôt. Un peu de vacarme derrière lui ; en vrai, s'ils se recroisaient, avec Ayah, ce sera pas de bonne grâce, vu le travail supplémentaire qu'il lui donnait avec un patient pourtant ô combien si simple. Passant la porte, sortant, il repassa tout de même une tête taquine. De base, il ne voulait pas poser de problèmes à sa sauveuse. Mais c'était genre trop tentant.

'' Allez, bonne journée et bon courage, Madame ! Essayez de pas le latter trop fort, hein. ''

Hop. Porte fermée, chemin du retour en cours, il entendait encore l'homme éméché beugler dans la pièce. Ce n'était plus ses côtes. Désolé, ma grande. Il te l'a pas laissé dans les meilleures dispositions. Comme attendu, les gens le regardaient, certains s'exclamaient, mais face à l'indifférence du grand quant à ses vêtements tâchés de sang, et sa capacité à marcher de manière plus ou moins convenable pour une personne sensée être blessée, personne ne le dérangea plus que ça jusqu'à chez lui.

Hryfin semblait déjà capable de se relever, c’était plutôt impressionnant, décidément ce type était une vraie machine. Elle était encore concentrée à calmer Trent après l’avoir sermonné quand elle perçut que la voix de l’hippogriffe gagnait en altitude, elle comprit à cela qu’il s’était redressé, sans même avoir à le regarder.

Bon, au moins il semblait plutôt apaisé et n’avait pas l’air plus désireux que cela de se battre, même s’il restait plutôt taquin envers le « sac à vin ». Pour son plus grand désarroi, Ryf avait entreprit de rejeter un peu d’huile sur le beau feu de joie qu’incarnait Trent. Mais il avait fait cela en tentant de prendre sa défense sur les propos quelques peu misogynes du soldat de la régulière.

Ayah ne s’émouvait pas vraiment de ce genre de remarque de la part d’un type ivre, elle savait que Trent savait à peu près se tenir quand il sentait un peu moins l’alcool et que le Danvil n’était pas dans le coin. Elle avait néanmoins apprécié la sollicitude de l’hippogriffe, bien que celle-ci ne soit pas nécessaire.

'' Oh par Lucy, Ayah, laisse-moi m'le farcir ! ''

Ayah essayait de consolider un peu plus sa prise sur Trent pour le dissuader de se jeter sur un Ryf apparemment très joueur.

* Oh par Lucy, faites qu’ils redescendent sur Terre…* Se dit-elle de son côté, l’air dépité.

Le garde semblait tout de même lui témoigner un minimum de respect, car s’il le voulait vraiment elle pensait qu’il pourrait aisément l’écarter. Il était moins costaud que l’hippogriffe, mais ça restait un militaire effectuant régulièrement des entraînements physiques.

Se demandant ce qui retenait vraiment le vieux soldat d’aller chercher les crosses à Hryfin, elle se fit une drôle de réflexion.

Voilà le tableau… Elle s’imagina donc un chihuahua en laisse, manifestement très énervé face à un gros pitbull. Un peu du style * Hé ! heureusement que j’ai cette laisse autour du cou sinon je t’éclaterai le pif *… Mais en langage chien…

Elle chassa cette idée, penser à ce genre de bêtise n’allait pas l’aider à éviter à Trent un nouveau vol plané si jamais il tirait un peu trop sur la corde.

Elle sentit soudain la main de son premier patient sur son épaule et lui jeta un regard interrogateur, croisant ses yeux clairs. Bon apparemment il était plutôt reconnaissant pour les soins qu’il avait reçus, et il tenait à manifester une nouvelle fois sa satisfaction.

Et, une fois de plus, elle accueillit sa gratitude avec un léger sourire : une prochaine fois chez les gardes royaux, hein ? Ce n’était peut-être pas une mauvaise idée après tout ! Mais a peine eut-il fini sa phrase que mister chihuahua s’échauffa de plus belle.

'' Non mais r'gardez le, en plus, à jouer le joli cœur là ! Tu crois pouvoir toutes les attirer dans ta couche comme ça ? ''

Et le voilà reparti pour les propos un peu limites sur les rapports homme/femme. Ayah soupira, un peu blasée ça devenait vraiment ridicule Trent avait vraiment besoin de décuver un bon coup.
Et bien sûr, parce que sinon ce n’est pas drôle : une petite pincée de Ryf par-dessus au cas où le plat ne serait pas déjà assez salé. Merci hein ! Exactement ce dont on avait besoin !

Bon au moins c’est le moment que choisit l’hippogriffe pour s’éclipser. Ayah l’observa tandis qu’il se dirigeait vers la sortie, elle s’inquiéta notamment qu’il ait surestimé son état, mais il ne sembla pas défaillir, ni même avoir le tournis. Trent recommença à s’agiter, criant des injures bien senties à Hryfin qui les esquivait gracieusement avec une sorte d’air joueur, apparemment très content du petit effet qu’il avait sur son collègue.

'' Allez, bonne journée et bon courage, Madame ! Essayez de pas le latter trop fort, hein. ''

* Jusqu’au bout hein ? .... * Pensa la jeune femme en regardant Ryf partir, retenant toujours un Trent passablement énervé.

Oui, jusqu’au bout, l’hippogriffe avait finalement tiré sa révérence avec une dernière pique bien sentie à l’égard du garde. Celui-ci sembla ne plus y tenir et se mit à beugler de nouvelles injures, toutes plus inventives les unes que les autres.

En tout cas Ayah eut l’insigne honneur d’élargir son dialecte de nom d’oiseaux auprès d’un grand maître en la matière. A base de « bougre de faux jetons à la sauce tartare », « jus de poubelle » et autres « sombre oryctérope ».

Il vociféra encore quelques instants tandis qu’Ayah, commençant doucement à s’agacer de la situation. Tiraillée par un mal de crâne ne la laissant pas dans la meilleure des humeurs.

« Il est parti. Tu ne veux pas te calmer deux minutes ? » Dit-elle, un peu irritée, se massant les tempes.

Trent émit une sorte de souffle avec son nez, semblant tout à coup réaliser que l’hippogriffe n’était déjà plus réceptif à ses délicates attentions verbales.

« T’vas voir. J’vais lui apprendre un de ces jours à ce bougre d’extrait de cornichon. » Grogna-t-il.

Il chancela légèrement sous l’effet de son alcoolémie encore très présente et manqua de s’étaler en se faisant un croche pied à lui-même. La jeune femme l’avait rattrapé, mais il se déroba immédiatement, trop fier pour accepter son aide.

« Pour le moment on va rester ici tous les deux. Repose-toi maintenant. » Répondit la guérisseuse en haussant les épaules, reprenant un ton calme, espérant que le feu ne reprendrait pas trop vite en lui.

La porte de l’infirmerie s’ouvrit à nouveau, plutôt timidement. Trent jeta aussitôt un regard inquisiteur au nouvel arrivant, mais s’en désintéressa aussitôt quand il vit qu’il ne s’agissait pas du garde royal. C’était un autre garde infirmier, un collègue d’Ayah. Cette dernière soupira de soulagement :

« Vous faites un sacré boucan. » Fit-il remarquer, perplexe. « Tu as besoin d’aide ? »

La jeune femme accueillit son sauveur avec un grand sourire véritablement heureux. Elle sentait qu’elle avait besoin de reprendre un peu de forces et n’était pas contre le fait que quelqu’un puisse la remplacer un petit moment dans la surveillance de Trent.

« Contente de te voir, Alex. » Lui dit-elle, accueillante. « Oui, si ça ne te dérange pas… J’ai dû utiliser mon pouvoir pour un blessé grave… J’aurais besoin de prendre une pause. Peux-tu prendre en charge Trent ? Il n’a pas grand-chose, juste besoin d’un peu de repos lui aussi… »

Son collègue hocha la tête sans broncher, il était au courant de la nature du pouvoir de la guérisseuse et connaissait le contrecoup associé.

« Oh… Oui, j’ai cru voir Hryfin entrer dans un sale état. T’as déjà terminé avec lui ? Entendu. Reviens quand tu te sentiras un peu mieux. » Dit-il avec obligeance.

Elle l’appréciait beaucoup, c’était un jeune homme très prévenant et qui ne rechignait jamais à apporter son aide. Prenant sa retraite dans une pièce à part de l’infirmerie elle remercia Lucy de l’avoir fait venir à ce moment-là. Elle ne se sentait pas en grande forme après les soins intensifs qu’elle venait de pratiquer.

Elle s’installa donc tranquillement sur une couche de soin et essaya de se reposer, pour au moins faire disparaître la migraine insistante qui l’assaillait.

Cette rencontre avait été plutôt riche en émotions, mais elle garderait un souvenir agréable d’Hryfin : il était taquin, mais très sympathique ! Elle espéra pouvoir voir son pouvoir un jour.