Ce ne fut qu’une fois le feu allumé que Queen retira sa longue veste noire, la suspendant dans un coin, non loin de la cheminée. À la seule lumière du crépitement des flammes elle se dirigea vers la salle de bain et y resta enfermée un long moment avant d’en ressortir dans une tenue beaucoup plus décontractée que ce qu’elle avait toujours l’habitude de revêtir en dehors de l’intimité. Ses cheveux blonds, d’habitude coiffés en deux gigantesques couettes, avaient été relâchés et dégringolés bien au-delà de ses reins en une myriade de boucles plus ou moins rangés. Son regard azurin si singulier était auréolé de noir, semblant laisser enfin apparaître toute la fatigue qu’elle accumulait depuis plusieurs mois. Même ses épaules avaient perdu de leur prestance et s’étaient affaissées à peine la porte de la maisonnée franchit. Elle aurait probablement dû filer immédiatement dans son lit mais elle était avant tout une obstinée. Elle avait le goût du travail bien fait et avait pour la peine ramené une masse de travail considérable. Travail qu’elle n’avait pas eu le temps de terminer et qui devait impérativement être terminé.
Toc toc
La jeune femme releva la tête l’air incrédule. Avait-elle bien entendu ? Où était-ce son esprit fatigué qui lui jouait des tours ? Laissant simplement un soupir franchir la barrière de ses lèvres, elle replongea le nez dans sa montagne de papier et de chiffre ne laissant entendre que la mine de son crayon qui griffonnait à une vitesse hallucinante.
Toc toc
Cette fois elle était sure de ne pas avoir rêvé. Un sourcil arqué, elle se leva attrapant au passage une robe de chambre en soie brodée qu’elle laissait toujours à portée de main en cas de visite impromptue du genre. Peut-être aurait-elle du se méfier. Sûrement même. Mais son esprit fatigué et la confiance absolue qu’elle avait en sa réputation l’empêchèrent d’arriver à un raisonnement aussi précautionneux. C’est donc sans crainte aucune qu’elle déverrouilla le verrou puis ouvrit la porte. Le temps du trajet son visage s’était métamorphosé. La fatigue avait disparu et même si ses yeux étaient toujours cernés, ils envoyaient une myriade d’éclairs assassins alors que son visage se fendait en un rictus désagréable.
- J’ose espérer que si vous êtes ici, c’est que quelqu’un d’important est mort. Avertit-elle simplement.
- Vous ne croyez pas si bien dire. Vous êtes Queen Milan ?
Ses sourcils s’étaient froncés, ses prunelles s'assombrissaient. Ils étaient au nombre de trois. Bien trop nombreux pour colporter une nouvelle de ce genre à une seule et même personne quand bien même fut-elle Queen. Bien trop grands et bien trop larges aussi. À ce moment-là, l’instinct de la blonde tressauta. Il y avait anguille sous roche voire même baleine sous gravillon. Elle ne savait pas encore quoi, mais quelque chose n’était pas normal.
- Elle-même. Acheva-t-elle de déclarer les dents serrées, se redressant de toute sa hauteur, s’empêchant d’émettre le moindre signe de faiblesse. Chacun des muscles de son corps était tendu au possible, elle comprenait. Elle comprenait qu’elle venait d’ouvrir la porte à quelque chose de bien plus redoutable qu’elle. Quelle sotte elle faisait. Prise à son propre jeu.
La jeune Milan avait tenté de parer le coup. Mais s'il y avait bien une chose qu’elle maîtrisait mal c’était l’art du combat. Elle avait un corps athlétique, elle était ingénieuse mais elle n’avait jamais appris à se battre et quand bien même ses réflexes étaient bons, elle ne faisait pas le poids. Ce fut la seule chose à laquelle elle pensa lorsque son corps entier s’écrasa lourdement contre le sol du salon. Elle ne parla pas, elle ne gémit pas. Aucun son ne pouvait sortir de sa bouche. Elle laissa son pouvoir agir à sa place, comme un pilote automatique. Le premier qui franchit la porte n’eut pas le temps d’aller bien loin, une quantité astronomique de sève venait de l’engluer et commençait déjà à fossiliser, l’empêchant d’aller plus loin. Les autres eux, n’eurent aucun mal à lui échapper. L’esprit de Queen était trop embué pour agir et se défendre normalement.
Bientôt c’est son crâne qui lui fit lâcher sa première plainte. L’un venait de saisir sa crinière alors qu’un autre lui expliquait avec ses poings qu’il n’était pas très content de ce qu’elle faisait subir à son collègue. L’œil, la pommette, la lèvre. C’était ces endroits qui lui faisait ressentir une douleur lancinante. Une douleur qui malgré elle s’échappait de sa gorge. Son œil valide était écarquillé, terrifié et à la fois emprunt d’une colère nouvelle. Une haine pure et simple comme elle n’en avait jamais ressenti. Quelque chose qui la brûlait de l’intérieur. Si elle en réchappait, elle les traquerait, comme les animaux qu’ils étaient. Mais pour l’instant elle n’était rien. Son ego était brisé et elle ne pouvait se sentir plus pitoyable.
- Tu sais Milan. Il y a des gens qui sont prêts à payer cher, pour avoir ta peau.
Ma voix retentit aussitôt après la déclaration des gaillards qui faisaient victorieusement face à Milan. Elle fut amusée, carrément moqueuse et fit surtout sursauter les agresseurs de la propriétaire de la coquette villa. Ces intrus se retournèrent aussitôt et adoptèrent une posture martiale. Des réflexes qui en disaient non seulement long sur leur niveau, mais aussi et surtout sur leur expérience en matière de combat et d’assassinats. Et bien que la vie dans le royaume fût globalement paisible, des homicides s’effectuaient parfois çà et là au grand dam de la garde et de la royauté. La paix régnait peut-être, mais cette situation ne camouflait pas les aspects cruels et sombres de la vie en elle-même. Tout n’était pas rose même dans le meilleur des mondes et notre royaume ne faisait pas vraiment office d’exception. Ce constat m’arracha un sourire jaune avant que je ne m’avance lentement vers les assassins commandités pour en finir avec la vie de la jeune femme. A tort ou à raison, je n’en savais rien, mais toujours est-il qu’elle était sous mon service et qu’un roi ne pouvait en aucun cas tolérer un meurtre sur son sol ! Il y avait bien d’autres façons de régler un différend, même si le moment n’était pas forcément propice à une négociation.
- « Votre majesté ?! »
- « En personne ! Ravi de voir que mon visage est toujours aussi connu ! »
La cheminée du salon éclaira une partie de mon visage souriant et tranquille. Balayant l’endroit de mon regard, j’en vins à avoir un sifflet d’admiration devant le bon gout de la jeune femme. Qui plus est, l’ambiance cosy de l’endroit me donnait vraiment envie de m’y prélasser. Aucune autre source de lumière que celle de la petite cheminée, pas mal d’espaces, de beaux meubles et surtout de beaux canapés qui avaient l’air très confortables. Queen ou l’art du bon gout. Je pouvais très clairement lui concéder ce fait. Un petit rire m’échappa avant que je n’enjambe le corps couvert de mucus (ou que sais-je ?) du troisième assaillant. Le pouvoir de la trésorière ? Fort probable. Pouvoir dégueulasse, soit dit en passant ; mais pouvais-je vraiment la juger quand on voyait la tronche de la première ministre ? Bonne question que voilà, même si là n’était pas vraiment le plus important. Ce qui urgeait, c’était les deux armoires à glace qui me faisaient face. Enfin… Ce n’était pas comme si j’étais plus petit, hé. J’étais aussi baraqué qu’eux et j’avais même un vécu militaire non négligeable, en plus de savoir cogner quand c’était nécessaire. D’ailleurs, j’étais meilleur pugiliste qu’épéiste. Sentir ses pognes écraser une gueule, c’était bien plus marrant que planter quelqu’un.
- « Sinon, qu’est-ce que l’héritière des Milan a bien pu faire ? Qui est-ce qui vous a envoyé ici ? »
Les deux enfoirés poussèrent des jurons, plutôt embêtés par ma présence. S’ils voulaient attenter à la vie de la trésorière, celle du roi n’entrait pas dans leur plan initial. Une tentative de leur part reviendrait à se mettre tout le royaume à dos et à être possiblement condamnés à mort plutôt qu’à l’exil. On parlait quand même de la vie du roi. Pas n’importe quel clampin ou noble de pacotille comme celle de la trésorière. Du reste, je voyais bien à travers leurs regards de détresse qu’ils se demandaient d’où est-ce que je sortais aussi soudainement ! Si j’étais un vagabond notoire qui donnait d’ailleurs du fil à retordre à la garde royale lors de ses nombreuses escapades, ma présence ici semblait ne pas être un heureux hasard. A croire que la gamine toujours au sol avait de la veine ! L’un d’eux voulut se retourner et bondir sur la gamine pour en finir rapidement, mais les flammes qui jaillirent violemment de mon corps l’en dissuadèrent aussitôt. Un mouvement brusque reviendrait à se faire carboniser. Ces personnes savaient très clairement que la distance qui nous séparait était dérisoire. Alors, ils restèrent immobiles tout en maintenant leur garde. Quant à moi, je brillais littéralement de mille feux. Les flammes qui m’entouraient étaient de loin les plus dangereuses d’Aryon.
- « Vu votre réticence apparente à effectuer le moindre mouvement superflu, je suppose que vous connaissez mon potentiel en combat hein ? Ça va simplifier les choses du coup ! Alors, on répond à mes questions où je vous brule une partie de vos gueules respectives ? Qui est-ce qui vous envoie ? Pourquoi vous voulez la tuer ? Je dois avouer être tout d’un coup très curieux et quand le roi est curieux, il aime avoir des immédiatement des réponses, vous savez… »
Un sourire presque mauvais étira mon visage à mesure que je les embrouillais et gagnais du temps.
Après tout, ils oubliaient presqu’il y avait une personne derrière eux…
Une personne qui pouvait profiter de la diversion pour agir, hé…
Toujours aveuglée par l’autre mastodonte, elle n’entendit que les bruits de pas, calmes, se rapprochant. Les intrus eux se figeaient de plus en plus, ce qui lui mit réellement la puce à l’oreille. Si le roi avait été là pour elle, la logique aurait voulu que les deux hommes ne soient pas autant sur la défensive, hors c’est ce qui semblait être le cas. Toutes ses suppositions furent confirmées lorsque le royal prit la parole. Dans un instant de désespoir l’un des agresseurs fit volte-face. Queen n’eut qu’à croiser son regard pour comprendre qu’il comptait en finir là, maintenant tout de suite. Le cri qui s’était formé comme une boule dans sa gorge, mourut avant d’avoir eu le temps de passer la barrière de ses lèvres. Pour cause, le grand ponte venait de libérer son pouvoir. Un spectacle aussi effrayant que resplendissant. Sous le coup de la peur ou de la surprise, elle n’aurait su dire, celui qui lui avait presque arraché le cuir chevelu relâcha sa prise. Elle était libre. Libre et terriblement en colère.
Alors que le roi continuait à baragouiner avec les deux insectes, la jeune Milan rappela la sève qui étreignait encore le premier homme. Mort ou simplement évanoui, elle ne savait pas mais dans tous les cas il ne bougeait plus. Son regard se fit glacial. La peur avait laissé place à la haine. Néanmoins le blonde ne pouvait pas se permettre d’agir à son aise, de se laisser aveugler par cette noirceur. Parce qu'il était là, si elle tuait en sa présence, elle était convaincue qu’elle finirait de l’autre côté de la frontière avant d’avoir eu le temps de dire ouf. De plus elle n’avait jamais tué qui que ce soit, mais l’envie lui brûlait terriblement les entrailles. Toujours en silence elle enroba son poing de la substance et la fit fossiliser jusqu’à ce qu’elle soit aussi dur que la pierre. Elle n’était ni forte, ni puissante et elle manquait cruellement d’entraînement. Mais quand elle abattit son poing sur la nuque de l’homme le plus proche d’elle, elle sut que même sans posséder une force extraordinaire, la dureté de la matière combinée a la puissance qu’elle possédait, suffirait à mettre celui-là hors course. Sa main libre, dans un mouvement agile et élégant se plaqua avec force contre la bouche entrouverte du second.
- Tu m’en diras des nouvelles. Dit-elle dans un sifflement de colère tout en lui envoyant une gerbe de sève directement dans la bouche. Elle savait que ce dernier pourrait se dégager facilement et elle savait surtout qu’elle avait concentré son pouvoir trop longtemps sur l’agresseur inerte derrière Sa Majesté. Mais elle espérait que le roi verrait là l’ouverture, qu’elle lui offrait sur un plateau d’argent. Parce qu’elle devait se rendre à l’évidence, elle, elle n’était pas de taille à s’en saisir.
- « Eh ben… T’as un pouvoir original ma foi… »
C’est sur ces dires que j’annulai mon pouvoir vu que la chaleur devait certainement incommoder la pauvre gamine elle aussi. J’eus un léger sourire en voyant tous ses assaillants au sol. Deux étaient dans les pommes et un tentait de retrouver sa respiration. Ce dernier finit par s’évanouir lui aussi. Trop d’efforts, trop d’émotions, trop d’imprévus… Et dire qu’un pouvoir aussi grotesque que celui de notre comptable pouvait mettre hors d’état de nuire des gens… C’est qu’elle pouvait faire une bonne garde, hé ! J’eus alors un petit rire sous cette pensée, avant de tourner le dos à Queen, puis je me dirigeai vers la sortie, sans piper mot. On pourrait croire que je m’en allais, mais tel n’était pas le cas. Une fois devant sa porte, je dirigeai une main vers le ciel avant de générer une gigantesque colonne de feu qui atteignit des hauteurs vertigineuses. Un signal d’alarme que seuls certains éléments de la garde royale pouvaient décoder très facilement. Pour ne pas qu’ils loupent mon signal pas vraiment discret, je m’amusai à faire jaillir mes flammes pendant une à deux bonnes minutes, avant qu’un éclat lumineux ne parvienne des cimes du palais qui se voyait de loin et d’un peu partout. Bien. Une escouade allait se ramener sous peu pour embarquer ces malotrus. En attendant leur arrivée imminente, je revins une nouvelle fois dans la villa non sans fermer la porte derrière-moi.
- « Eh bien, on peut dire que tu l’as échappé belle, ma petite Queen, nfufufu ! »
Si j’étais habituellement correct au niveau des conventions, il m’arrivait en privé de la tutoyer. L’apanage d’un souverain quoi. J’eus un sourire avant de regarder les types au sol et remarquer que l’un d’eux retrouvait peu à peu ses esprits. De quoi me pousser à m’approcher de lui avant de lui fracasser la nuque à l’aide de ma semelle de sorte à lui enfoncer la gueule sur le sol. L’initiative fut diablement efficace puisqu’il perdit une nouvelle fois connaissance avant que je soupire : « Rapporte des cordes… Ou des linges histoire qu’on puisse les ligoter et attendre que la garde vienne les récupérer. » Quand bien même je pouvais m’amuser à les assommer, je ne comptais pas le faire éternellement, sans compter que je n’étais pas là pour ça… « Ou alors sers toi de ton pouvoir pour coller leurs membres… Il me semble que ça fonctionne, non ? » J’arquai un sourcil tout en la questionnant et non sans cacher le dégout que je pouvais ressentir vis-à-vis de sa magie. Ça n’allait vraiment pas avec sa plastique, quoiqu’elle ait un air de petite peste qui ne me trompait pas vraiment. Certains grands mages affirmaient même que notre pouvoir était le reflet de notre personnalité, ce qui avait du sens. Et alors que je la laissais faire pour aller m’asseoir sur l’un de ses divans confortables (il s’agissait de sa merde après tout) j’eus un sourire fin en l’observant.
- « Alors ? Une idée du pourquoi de cette agression, Queen ? Ce n’est quand même pas le fruit du hasard, si ? »
Une fois le troisième homme débarrassé du pouvoir de Queen, les flammes disparurent mais l’air resta encore brûlant. Le roi lui ne semblait aucunement importuné par tout cela, au contraire même. Il se détourna et avança vers la sortie. Elle faillit d’ailleurs le retenir, que ferait-elle de trois corps . Mais il s’arrêta sur le perron avant de déployer une gigantesque gerbe de flammes qui se reflétèrent dans les iris azurite qui la fixaient. Elle s’en détourna néanmoins rapidement. En l’instant la seule chose qui lui importait, c’était de savoir si le premier des agresseurs qu’elle avait mis hors d’état de nuire était encore en vie. S'il était mort elle se retrouverait dans une posture plus que délicate, quand bien même le roi était son témoin. Si les questions venaient à être posées par la mauvaise personne, sur le mauvais sujet, elle était sure que ses plans seraient mis en périls. En fait en y réfléchissant, elle devrait certainement se faire petite un bon moment après ça. Elle ne savait dire pourquoi mais elle était convaincue qu’il découlerait de cette soirée d'autres événements plus ou moins déplaisants.
Penchée sur le corps, elle ne savait pas vraiment par où commencer et plus encore elle n’avait absolument aucune envie de tripoter un plébéien qui comme si ça ne suffisait pas, avait attenté à sa vie. Aussi elle posa à la va-vite ses doigts sur la carotide. Avant de les retirer prestement, ne dissimulant pas l’air écœuré qui avait prit place sur son visage.
- J-je... Je crois qu’il est vivant. En fait, elle n’en était absolument pas convaincue. Il lui avait semblé sentir battre quelques choses sous la pulpe de ses doigts mais c’était tout. Et puis à quoi bon s’acharner ? La garde du roi serait certainement là d’une minute à l’autre, ils verraient par eux-mêmes. Elle, il ne lui restait plus qu’à prier de toutes ses forces.
Jusque-là, elle n’avait prêté au roi qu’une attention minime et il la fit terriblement sursauter lorsqu’il abattit sa semelle sur la nuque d’un des hommes dans son dos. Il fallait qu’elle se reprenne et vite. Ce n’était pas n’importe quel badaud qui se trouvait dans son salon. C’était le roi et quand bien même elle ne l’avait jamais reconnu comme tel et ne cessait de participer aux conspirations que sa famille fomentait contre sa femme, elle ne pouvait se permettre de perdre la parfaite couverture qu’elle avait jusque-là revêtue.
- Je serais probablement dans un état bien moins avantageux si vous n’étiez pas intervenu Majesté. Dit-elle d’une voix qu’elle voulait onctueuse bien qu’encore légèrement tremblante. Maintenant relevée, elle s’inclina du mieux qu’elle le pouvait dans pareille situation et non sans grimacer, les douleurs s’éveillant à mesure que l’adrénaline quittait son corps. - Veuillez excuser ma tenue… Elle se redressa, son visage de marbre n’affichait aucune émotion et pour cause, chaque mouvement lui faisait un mal de chien. - Je n’attendais pas de visite… Elle émit alors un petit rire avant de quitter la pièce pour aller chercher dans l’une de ses commodes, de vieux linges qu’elle avait conservé pour d’autres utilités que celle à laquelle ils allaient être destinés. Quelques minutes plus tard, elle faisait à nouveau irruption dans le salon.
- Je ne puis utiliser mon pouvoir mon seigneur. Elle s’arrêta, prenant sur elle pour prononcer le reste de sa phrase. - Dans mon état actuel, je ne pourrais certainement pas les retenir convenablement. Elle pointa du doigt les larmes rouges qui coulaient le long de ses narines. Par la même occasion, elle se garda bien de préciser qu’elle avait mal jaugé ses capacités et avait beaucoup trop axé sa puissance sur le premier intrus, épuisant ainsi son énergie bêtement. De plus l’air dégoutté du roux faisait naître en elle de fort accès de colère qu’elle se voyait obligée d’étouffer. Elle ligota donc le premier homme, serrant les liens avec toute la force dont elle était capable. Puis le second et enfin le troisième. Elle se redressa et tourna son visage sanguinolent vers le royal.
- Aucune. Que les gens ne m’apprécient pas, je le comprends, je le sais et ça ne me pose aucun souci. Je reste la trésorière, je prends l’argent que l’on vous doit, de gré ou de force. Je ne suis pas la personne la plus appréciée de notre beau pays. Mais que l’on en veuille a ma vie. Je ne le comprends pas. En fait tout ceci était entièrement et définitivement faux. Les gens ne l’appréciaient pas parce qu’elle les piétinaient sans remords, le plaisir que prenait Queen à retourner la merde était incommensurable et même si au palais, elle avait tendance à cacher cette facette, le bas peuple, lui y avait droit dès que l’occasion se présentait. De plus, il était tout à fait probable que les plans des Milan aient été interceptés et que la véritable raison de cette agression soit ici, assise devant elle. Le roi ne semblait pourtant pas savoir quoi que ce soit. Elle le trouvait certes peu digne à porter ce titre mais elle n’avait jamais sous-estimé son intelligence, tout ceci n’aurait été qu’une grossière erreur que de penser avoir l’ascendant sur un ennemi. Et Queen, ne faisait jamais d’erreur.
- Veuillez m’excuser, je devais aller nettoyer ça… Lacha-t-elle quand elle réalisa que son visage était loin d’être agréable à regarder. Et sans plus de cérémonie elle disparut dans la salle de bain pour n’en ressortir que de longues minutes plus tard. Sa peau était redevenue pâle, lésée aux endroits qui lui avait semblé douloureux. La jeune femme avait même dû retenir un gémissement plaintif quand elle avait découvert son visage abîmé. Impassible, elle retourna dans le salon après être d’abord passé par la cuisine. Puis déposa des bouteilles sur une table basse luxueuse et raffinée et tendit un verre au roi.
- Puis-je vous proposer quelques choses à boire en attendant l’arrivée de la garde ? Dit-elle tout en se mettant à nouveau à sourire comme elle le faisait toujours, son regard retrouvant pleinement sa vivacité. Malgré la douleur qui irradiait dans tout son être, elle ne comptait pas laisser son vis-à-vis entrevoir la moindre trace de faiblesse, il en avait bien assez vu comme ça. Tout en attendant sa réponse elle reprit. - Pardonnez-moi si je suis indiscrète… Mais que faisiez-vous dans un tel quartier de la capitale, Majesté ? Il fallait qu’elle en ait le cœur net, qu’elle soit sure que ses secrets n’avaient pas été percés à jour.
Sans le vouloir, j’eus un sourire espiègle qui collait parfaitement aux idées qu’elle pouvait se faire et que je ne soupçonnais pas encore. Mon air était tellement amusé, voire même moqueur qu’on aurait pu penser à raison que j’avais tout anticipé –si on se trouvait dans la même situation que la gamine. Ceci étant dit, je ne savais absolument rien, mis à part le fait qu’elle avait gaffé. Oui. Si le roi s’était déplacé en personne, c’était pour une seule chose : Lui soumettre un document qui contenait une grave erreur au niveau des comptes royaux. Une erreur qui m’avait étonné et qui pourrait couter cher à l’économie locale. C’était d’ailleurs dans ce genre de cas que j’étais bien content de remplir mon devoir de roi ; car quand bien même ce fait était rare, il m’arrivait tout de même de vérifier les rapports de toutes les personnes qui travaillaient de près ou de loin avec la reine et moi. En l’absence d’un véritable ministre du commerce et de l’économie, Queen était la seule personne qui était en charge des comptes du royaume. Un poste qui pesait lourd et qui la prédestinait d’ailleurs à occuper cette fonction de ministre. Ceci étant dit, c’était bien parce qu’elle travaillait seule ou presque qu’il m’arrivait (quand mon fils ne s’en occupait pas lui-même) de vérifier son travail pour être certain que tout allait comme il faut. Ce soir-là, bien m’en a pris, très clairement, car j’avais pu déceler une erreur qui aurait causé quelques soucis à moyen terme sur l’économie et le marché du royaume tout entier. Une erreur qui lui avait sauvé la vie quand on y pense, d’ailleurs. Ma venue avait été salvatrice et ce n’était clairement pas la trésorière qui allait s’en plaindre. Enfin… De mon point de vue…
- « Je savais que tu habitais dans la zone, mais j’ai dû me renseigner pour avoir ton adresse exacte. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que t’es vraiment bien connue dans les environs… »
Mon sourire s’agrandit encore. Certes, la gamine n’avait pas tort quand elle disait que son poste lui attirait de mauvais regards et peu de considérations. C’était un métier gratifiant de par l’importance qu’il revêtait pour la famille royale ; et dans le même temps détestable pour ce qu’elle avait mis en lumière. Cependant, au-delà de la perception de sa fonction par les citoyens, Queen semblait bien se délecter de cette situation dans laquelle elle se complaisait complètement. Son caractère n’était pas non plus celui d’une sainte et j’avais pu bien m’en apercevoir quand j’avais demandé au voisinage où elle habitait exactement. Certains m’avaient complètement claqué la porte au nez -n’ayant pas reconnu leur roi. D’autres, plus affables, avaient néanmoins froissés leurs visages à l’évocation de son nom avant de me demander de m’en aller et de ne pas essayer d’approcher cette femme pour mon bien. Ce genre de déclarations en disait long sur la personnalité de la jeune femme et cette négativité qui entourait son personnage ne pouvait pas être seulement due à son emploi de trésorière. Il n’y avait qu’un seul foyer qui m’avait reconnu et qui avait de ce fait daigné m’indiquer sa villa. Le père de famille voulut même m’accompagner, mais j’avais décliné l’offre tout en le remerciant et en lui promettant une doléance ainsi qu’un repas royal qui allait avec. Vu qu’il m’avait bien aidé, il n’y avait pas de raison que je ne le récompense pas lui et sa famille ; et un repas partagé avec roi était certainement un honneur bien plus grand qu’une contrepartie faite à base de cristaux. Tout ne tournait pas autour de ça et heureusement d’ailleurs, sans quoi la vie serait carrément triste ! De mon point de vue là encore.
- « Oh et merci pour le verre ! »
C’est à cet instant précis que je daignai enfin prendre le verre qu’elle me tendait depuis, avant d’en apprécier la robe. La teinte rosée du breuvage annonçait la couleur ! Mais bien avant de le déguster, j’approchai le verre à mes narines pour humer les senteurs fruitées que dégageait le vin qu’elle m’avait volontiers servi. Un vin jeune, qui ne manquerait surement pas d’amuser mes papilles ! Il aurait certainement mieux plu à la reine qu’à moi puisque j’étais plutôt pour les alcools forts, ou tout du moins bruts. La bière était l’une de mes boissons alcoolisées préférées par exemple ! Ceci étant dit, je n’allais pas en vouloir à la gamine qui mettait tout en œuvre pour être à la hauteur de la présence de son souverain. Faire des courbettes dans cette situation aurait emmerdé plus d’une personne et j’étais persuadé qu’elle faisait des efforts pour garder la face. Toutefois, la facilité avec laquelle la jeune femme souriait et les impressions que j’avais pu récolter de son voisinage sur sa personne me mirent la puce à l’oreille : J’avais affaire à une grosse hypocrite qui cachait bien son jeu. Mais quel jeu ? Va savoir ! Je n’étais pas une espèce de devin ni un mentaliste et je n’avais pas non plus la magie de ma femme pour déceler les mensonges, mais l’âge et l’expérience me permettaient de flairer les mauvais coups et les mauvaises personnes. De toute façon, il fallait être un tant soit peu barge pour aimer occuper la fonction de trésorier. Qui plus est, le fait qu’elle vivait apparemment seule (surtout pour une aussi jolie femme) donnait plus qu’une mauvaise impression de ce qu’elle était dans la vie quotidienne : Sans doute une grosse pimbêche ! Et bordel que je l’aurai adoré si j’avais été encore célibataire…
Remettre au pas les petites garces, c’était mon dada dans le temps !
Mais je m’égarais malencontreusement et m’autorisai une gorgée de sa boisson !
- « Ooooh ! Pas mal du tout ! J’aime beaucoup ! Qui est l’artisan qui l’a conçu ? Je n’avais jamais encore gouté un breuvage de ce genre dans la capitale ! J’imagine qu’il vient de ta ville natale ? »
Et me voilà qui la bombardait de questions comme à mon habitude. Une mauvaise manie qu’on pourrait croire, sauf que je faisais exprès pour l’embobiner un peu. La suite promettait d’être piquante, surtout pour son égo, car s’il y a une chose que j’appréciais et que je reconnaissais chez cette femme, c’était sa capacité à bosser comme une dingue. D’où le fait d’ailleurs que j’avais moi-même daigné me déplacer pour lui parler de son erreur, plutôt que de la faire convoquer et lui faire subir l’humiliation de sa vie. Pas mon genre de toute façon. Je vidai donc mon verre après l’avoir assailli de questionnements (dont je n’attendais même pas de réponses, ce qu’elle pourrait deviner avec un peu de jugeote et d’observation) avant de me pencher vers la table pour poser ledit verre. Et là-dessus, je sortis promptement un document de mes poches intérieures, enroulé façon parchemin, avant de le déplier et de le poser sur la table basse. « Il y a une grossière erreur sur ce document dans les sorties de fond. Mais je te laisse relire toi-même et m’expliquer ce qui a pu t’amener à faire une telle gaffe ! » Malgré le sourire que j’avais affiché en disant ça, le ton de ma voix avait été plus ou moins sévère, rauque. Bien sûr, je ne la fusillai pas du regard, mais elle pouvait comprendre que j’étais vraiment sérieux et que les explications à venir allait devoir être bétonnées. Enfin… Là n’était même plus mon souci actuel en vrai. Ce que je voulais voir, c’était comment elle allait s’arranger pour se sortir de ce nouveau gros pétrin qui se dessinait tout doucement devant ses perspectives d’évolution. Mais en attendant ses explications, je me servis tranquillement un autre verre de vin, comme si de rien était.
- « Prends ton temps, surtout… »