Lorsque Cassandra Heydell franchit le seuil d’entrée du Magisterium Palace, un frisson instinctif parcourt l’ensemble de son corps. Des sources de lumière diverses et variées accaparent son champ de vision, et dans son oreille teinte le bruit des pièces d’or qui s’égouttent en quantité. La ministre, faisant preuve de cynisme, se fait cette réflexion : « Est-ce une musique pré-enregistrée pour instiller l’idée en tête à la clientèle de dépenser son portefeuille dans les activités de loisirs du casino ? »

Elle est suivie de près par un autre inconnu, accompagné lui-même par un hôte différent. L’organisation du Casino a prévu un accueil individualisé pour chacun de ses invités. Cassandra devine immédiatement que tout a été réfléchi pour combler le bonheur et l’intérêt de ses clients fortunés. Son hôtesse lui propose de garder certaines de ses affaires dans les vestiaires de l’entrée, afin d’assurer son confort pendant le reste de la soirée. Cassandra accepte et lui tend sa cape qui cachait le reste de sa silhouette. Puis elle enlève ses gants qui remontaient jusqu’à ses coudes, qu’elle remet également à l’hôtesse.

Avançant dans le hall du casino, des miroirs reflètent sur les murs les personnes invitées, donnant l’impression que la salle principale est d’autant plus immense et les clients d’autant plus nombreux à s’en rapprocher et se réunir, orientés par le personnel. Sous les spots distribuant un éclairage au couleur de l’arc-en-ciel, il faut habituer sa vue un instant pour ne pas fermes les paupières, Cassandra révèle un visage maquillé discrètement, des immenses créoles bleutées et or pendues à ses oreilles, ainsi qu’un précieux collier assorti. Celle-ci s’est équipée de sa nouvelle parure pour cette sortie imprévue. Pour le reste, elle est restée assez sobre, portant un chemisier beige légèrement échancrée avec des manches immensément bouffantes, accompagné d’une jupe noire fendue d’un côté jusqu’au genoux, laissant apparaître sa peau métisse. Néanmoins, les invités présents ont des tenus tellement différentes les uns par rapport aux autres, qu’elle semble se fondre dans la masse.

En observant l’ensemble du décor et des espaces de jeux mis à disposition, Cassandra est notamment impressionnée par une fontaine déversant du vin dans son bassin. La voyant fixer cette attraction, son hôtesse propose immédiatement de lui remplir un verre dans une coupe en forme de calice. Cassandra accepte volontiers d’en boire une gorgée pour débuter les festivités, puis elle continue de suivre les instructions de sa guide qui l’emmène dans une autre salle immense, dans laquelle elle peut s’installer sur une estrade d’un amphithéâtre agencé à la Romaine.

Elle croise dignement les jambes, sa coupe toujours dans sa main droite, dans l’attente du commencement de quelque chose. Son regard parcourt les visages invités, curieuse d’y reconnaître peut-être parmi l’assemblée, des traits connus. Ses yeux se perdent dans le noir, car la lumière principale est soudainement éteinte, pour laisser place à un murmure grandissant et à une luminosité tamisée. Le silence accapare l’espace et des tambours de plus en plus rapides rythment l’impatience de Cassandra. Quand sur la scène centrale, sous une pluie de feuilles d’or, apparaît une femme sublime à la chevelure rouge dont la beauté particulière semble presque irréelle.

A la fin de son discours, la ministre dépose son verre à ses pieds, se lève et applaudit vivement comme le reste de ses voisins. Un sourire s’affiche sur ses lèvres, elle se dit qu’elle pourrait bien s’amuser à cette soirée, bien qu’il y ait un brin trop de fantaisies et de bling bling pour sa personnalité. Toutefois, pourquoi ne pas enfin profiter de son nouveau statut et se laisser aller à de nouvelles découvertes ?

Cassandra a tout juste fini son vin, qu’un cocktail lui ait servi avec moult délicatesses. Alors qu’elle goûte la nouvelle boisson, elle a la sensation d’un regard posé sur elle, réflexe du terrain, elle tourne un peu la tête pour essayer de repérer les personnes autour d’elle. A sa surprise, elle comprend que c’est la femme sur scène qui la fixe de ses yeux émeraude et marche dans sa direction. Cassandra ne bouge pas d’un poil, curieuse de la voir de plus près. Elle a un instant de doute, mais c’est bien devant elle que la présentatrice s’incline, pour de nouveau lui souhaiter la bienvenue. Les deux femmes l’une en face de l’autre sont comme un miroir inversé, étant si différentes physiquement. Leur échange devient le centre d’attention de nombreuses personnes.

Sous son masque de renard, transparaît de la malice dans son expression. Cassandra observe l’inconnue se relever après sa courbette et elle baisse légèrement la tête pour la saluer. Son équilibre parfait sur ses hauts talons est impressionnant, chaque geste des hôtes semble travaillé tels des artistes, à la fois danseurs, animateurs et magiciens.

- Je ne m’attendais pas à cette invitation mais je ne regrette pas le déplacement dans votre établissement. Le décor et l’ambiance valent le détour, il y a quelque chose de peu commun dans l’organisation de cette soirée dans les moindres détails. Je vous félicite pour cette réussite !

Cassandra parle posément, bien qu’elle soit de sortie, elle reste une ministre membre du gouvernement et elle a aujourd’hui certaines responsabilités qui l’obligent à ne pas se comporter selon ses humeurs… Heureusement, elle est résistante aux effets de l’alcool. Cela lui a été utile par le passé lorsqu’elle a dû questionner des témoins dans des endroits plus malfamés que celui-ci. De plus, le nom de famille Heydell doit être connue, même dans la Capitale, au vu de l’histoire de sa famille et de sa nouvelle nomination au poste de ministre. Toutefois, elle n’a pas encore l’habitude d’être le sujet de l’attention parmi un parterre d’invités aussi sélects.

- Cela étant ma première visite, je serai ravie de vous suivre… je suis curieuse de visiter tout l’établissement. Je n’aurais peut-être pas la possibilité d’essayer toutes vos activités en une nuit, mais je suis aussi ouverte à vos suggestions pour bien débuter cette soirée !

Cassandra avale le reste de son cocktail qu'elle repose sur le plateau d'un serveur passant à côté d'elle. Elle ajoute juste après :

- Chère hôtesse, j'ai oublié de vous demander votre nom ?

Cassandra Heydell est ravie d’entendre les compliments qui lui sont adressés en ce début de soirée. Son interlocutrice est aussi polie qu’elle sait jouer avec son auditoire. Elle sourit de cette situation, étant décidée depuis le départ à profiter des services du Casino en laissant de côté les discours officiels et les testes de loi. Au placard – mais bien rangées -, les mauvaises habitudes de ministre de la justice assidue et perfectionniste !

- Votre entrée en scène était également magnifique et remarquée ce soir. Ce n’est pas ma première entrée dans un casino, mais on peut dire que celui-ci est incomparable, on ne peut pas s’y ennuyer !

L’hôtesse indique une direction à Cassandra, là où repose la suite d’un tapis rouge menant à une autre pièce sur leur droite. Elle est étonnée de respirer des parfums doux et fleuris en avançant dans le couloir. Elle se laisse tenter et hypnotiser par cette senteur, suivant cette proposition.

-  Oui, je vais suivre votre idée et commencer par la roulette. Je retiens votre prénom Malika, vous serez l’un de mes repères pendant cette soirée.

Cassandra préfère jouer les novices et ne précise pas qu’elle a été une amatrice de jeux d’argent par le passé. Elle ne peut pas dire qu’elle y a joué de manière professionnelle, mais elle a acquis de bonnes bases. Toutefois, quand on entre pour la première fois dans une salle de jeux avec des joueurs inconnus, mieux vaut attendre de voir à qui on a à faire. Ces jeux ne font pas appel qu’au hasard, il y a une partie stratégique mélangée à l’imprévisible, qui plaît à Cassandra.

C’est un cousin éloigné, irrémédiable dépensier, qui lui avait donné goût pendant son adolescence à des parties de cartes tardives, qui se déroulaient secrètement dans le boudoir de ses parents quand ceux-ci dormaient à poings fermés. Elle y avait également fumé ses premières cigarettes en avalant trop de fumée. A l’époque, Cassandra était souvent la dernière à coucher ses cartes, souhaitant aller jusqu’au bout du jeu.

Quand elles arrivèrent, au bout du couloir, les deux femmes approchèrent d’une pièce plus sombre, les lumières tendant vers le rougeoyant et le verdâtre, en accord avec l’ambiance festive nocturne. Cassandra sent sa tête tourner légèrement. Pourtant, elle n’a pas beaucoup bu, quelque chose dans l’air semble mélanger ses idées mais plutôt de façon plaisante. Ce n’est pas comme si elle sent malade, non en vérité cette odeur la repose.

Malika l’invite à s’installer à la table de jeu la plus imposante et la plus merveilleuse. Cela ne déplaît pas à Cassandra, cela la fait rigoler de s’asseoir sur un tabouret en hauteur en touchant le bord de la table incrustée de cristaux.

- Bonsoir Messires, Mesdames. Cassandra Heydell, j’ai le plaisir de me joindre à votre partie, annonce la ministre une étincelle dans le regard.

Cassandra n’a pas emmené de lunettes de soleil mais elle observe que de nombreuses personnes portent toujours un masque sur le visage. Peut-être que derrière ces yeux anonymes se cachent un employé bureaucratique du ministère qui demain lui demandera de mettre ses comptes à jour ?

Elle sort de sa sacoche, des pièces d’or qu’elle retourne entre ses doigts. Voyant son voisin de table fumer de longues cigarettes, cela fait de nouveau remonter des souvenirs. Elle finit par lui demander :

- Pourrais-je vous en emprunter une ? Cela fait longtemps, et j’ai envie de me laisser tenter !

L’homme tout rond hoche la tête et ouvre une boîte métallique dorée pour la laisser en saisir une, puis un serveur s’approche pour allumer le bout de la tige de papier. Aussitôt, Cassandra repense à son adolescence et sourit de nouveau, la voilà de retour dans cette période de sa vie insouciante, qu’elle a quitté.

- Merci, messieurs.

Ensuite, elle s’intéresse à la sphère transparente qui trône au milieu de la table, électrifiée dans les airs par un procédé magique inconnu.

- Pourriez-vous, Dame Malika, m’expliquer les règles du jeu ? Je ne m’en souviens plus.

Pour provoquer les autres joueurs, la garde des sceaux réfléchit à sortir un petit cristal de sa poche pour son premier pari.

- Dame Malika, dois-je échanger mon or pour d’autres jetons ?

Cassandra pense "que la partie commence...".

Cassandra observe les différents adversaires faisant le tour de la table et se rend compte rapidement que chacun d’entre eux est dans sa petite bulle, discutant peu entre eux. Des regards curieux jettent toutefois un œil de haut en bas à la ministre pour évaluer discrètement le personnage qui vient d’entrer dans leur cercle. Hormis un couple venu profiter des lieux en amoureux, les autres personnes semblent jouer individuellement. Cassandra porte l’embout de sa cigarette à sa bouche et reste silencieuse, face à la réaction du noble impatient. Dame Malika a toutes les ficelles en main pour répondre aux difficiles demandes de la clientèle argentée et apaiser leur ennui par des artifices tout en élégance et en fantaisie.

Cassandra ne peut s’empêcher de sourire, tout de même que le couple assis en face d’elle, quand la demoiselle tout de rouge vêtue apporte une coupe de champagne à l’homme auteur de la remarque à son encontre. A l’intérieur d’elle, bouillonne à la fois l’envie de goûter au poison des jeux de hasard et l’inquiétude de ne pas pouvoir maîtriser complètement la situation malgré ses quelques expériences en la matière. Cela procure un frisson d’adrénaline incomparable qu’il faut savoir contenir dans les bonnes circonstances pour continuer à profiter de ce passe-temps sans les inconvénients – problème de porte-monnaie et compte en banque vidé quand on ne sait pas s’arrêter au moment opportun !

La garde des sceaux soupçonne la jeune Malika d’être informée de sa confortable situation mais non richissime… Cassandra Heydell possède un patrimoine certain, du fait de l’histoire de sa famille et des héritages construits qu’il en reste, mais elle a grandi dans un cadre plus sobre, en raison des difficultés financières rencontrées par ses parents et leur décès prématuré.

Dame Malika ne peut pas passer inaperçue avec sa chevelure rougeoyante et ses yeux étincelants reflétant une mer cristaline. C’est un réel plaisir de l’écouter avec attention rappeler les règles du jeu pour l’assemblée réunie pour le début de cette nouvelle partie. Cassandra regarde de plus près un des jetons du Casino composé de l’insigne d’une sorte de serpent qui se mord la queue… Sublimes détails en surbrillance sur le jeton qui donne envie de le tourner entre ses doigts et de le faire pirouetter en l’air. Cassandra réalise une pichenette sur le jeton qui tournoie au-dessus de la table pour voler au bord de la sphère magique. La voilà telle une nouveau-née qui papille de bonheur devant le jouet agité sous ses yeux. Quand tout vous est offert sur un plateau, vous n’avez plus besoin de réfléchir et de penser au réveil qui va sonner demain matin.

- Vos explications étaient claires comme de l'eau de roche Dame Malika, je vais écouter vos conseils et commencer les paris.

Tout en disant cela, Cassandra pose son premier jeton sur la case noire portant le numéro 16. Son esprit est un instant distrait par un jeune serveur torse-nu, paraissant ne pas être frileux pour un sou. Tandis que son imagination vagabonde, les autres joueurs sont déjà en train de se jeter sur les autres cases pour réaliser leurs paris, grognant parfois dans leur barbe quand leur case favorite est déjà utilisée. Cette table transpire la masculinité compétitrice.

- Vos employeurs savent recruter le personnel. Peut-être que nous pourrions vous emprunter quelques curriculum vitae pour le Palais.

Après cette constatation, la quarantenaire dépose d'autres jetons sur les cases suivantes, dans l'ordre : 11-2-36.

Plus Cassandra passe du temps avec Dame Malika, plus cette femme semble développer une aura mystérieuse et envoûtante autour d’elle. Elle sait être discrète quand il le faut tout en gardant un regard affûté sur le déroulé de cette soirée. On ne peut pas dire qu’elle passe inaperçue, à voir sa longue chevelure et ses yeux vert perçants, ainsi qu’à entendre sa voix suave et piquante. Toutefois, il paraît à Cassandra qu’elle pourrait se glisser dans différentes conversations, parmi différents invités très facilement. Le Magisterium Palace n’a pas choisi cette femme au hasard pour mettre en scène sa présentation puis accompagner la nouvelle ministre dans les légères péripéties de cet endroit.

Quand son hôtesse évoque joyeusement, les yeux illuminés par le suspense, un jeu unique en son genre, Cassandra est bien trop piquée par la curiosité pour ne pas y goûter. Laissant le serviteur inconnu s’en aller vers une autre table de jeu, elle répond, emballée par l’idée :

- Dame Malika, je ne sais pas encore dans quoi je m’embarque, mais je crois que je ne peux pas dire non…

Dès que l’hôtesse entend sa réponse, elle la conduit calmement à travers le casino dans une autre pièce plus éloignée, après avoir traversé un long couloir et plusieurs portes d’affilé. Elles aboutissent dans une nouvelle salle spacieuse, moins encombrée mais proposant une activité unique en son genre, en effet. Observant le balai de jets d’eau colorés qui s’entrecroisent dans le bassin en son centre, et les petits vaisseaux réalisant des sillons à toute vitesse sur l’eau, elle ne s’attendait pas à un tel spectacle. Les gérants de ce casino ont décidément de drôle d’idées dans leur tête qui ne manquaient qu’un intermédiaire pour pouvoir les mettre en pratique.

- Je suis ébahie Malika, ce palace est beaucoup plus grand qu’il n’y paraît, combien de salles en tout le compose ? Je commence à me demander qui sont les directeurs et les instigateurs de ce projet, une famille de la noblesse importante ?

Cassandra s’installe sur le siège libre désigné par son accompagnatrice. Confortablement assise, elle se permet de se détendre et de profiter de son confort, allongeant son dos et posant sa tête sur le haut du fauteuil. Son esprit pouvant vagabonder pendant ce moment de bien-être, elle sent une minuscule présence flotter autour d’elle. La voix de Malika la ramène aussitôt à l’instant présent. Le fait d’être insomniaque a l’avantage de la garder éveillée tardivement, mais elle était si détendue par la musique, le bruit de l’eau et le confort de son siège, qu’elle a perdu son attention pendant quelques secondes. Originaire des îles de l’archipel, Cassandra pense à d’anciens souvenirs de traversée en navire avec ses parents et sa sœur.

- Oui, ce jeu m’intrigue, que dois-je faire ?

Malika referma la coque du fauteuil au-dessus d’elle, multipliant ses sensations de navigatrice amatrice. La voilà au pilotage de l’un des bateaux sur la ligne de départ du bassin. Le souffle du vent marin lui rafraîchit les idées. L’animatrice a visée juste avec cette nouvelle activité.

- Cela fait longtemps que je n’ai pas eu l’opportunité de retourner naviguer en mer, je suis prête Malika !

Sans même ajouter quoi que ce soit, Cassandra sort de son porte-monnaie l’un des jetons gagné lors de l’épreuve précédente. Elle glisse celui-ci dans la fente située sur l’un des accoudoirs. Immédiatement, une musique sonore signale le début de la partie. Elle fait un signe de la tête à Malika qui la regarde à travers la paroi transparente qui les sépare pour signifier qu’elle est en piste pour peut-être une autre victoire ?

Cassandra attend que l’animatrice fasse le décompte « 1,2,3,… partez ! », les deux mains maintenues sur la manette du siège pour être certaine de réaliser un bon départ accéléré.

La simulation aquatique a été très bien pensée et Cassandra n'éprouva pas beaucoup de difficultés à prendre en main le pilotage de son bateau commandé à distance de sa cabine. Tout a été réfléchi pour faciliter la conduite de l'appareil de manière intuitive. Les sensations sur l'eau sont magiques, Cassandra a réellement l'impression d'ouvrir les voiles et de filer par dessus les vagues.

Troisième sur le parcours tracé par les organisateurs, quand elle commence à se rapprocher du deuxième bateau dans la course, elle ressent le frisson de la compétition parcourir tous les poils de son corps. Elle ne porte pas les vêtements adéquats pour gagner un jeu de bataille navale mais elle a retiré ses talons pour être plus à l'aise et libre d'accélérer dans les virages. L'avant du navire frôle son concurrent, Cassandra appuie de toutes ses forces sur la commande afin de le dépasser, mais celui-ci manie son embarcation avec habilité et plaisir.

Cassandra éclate d'un rire franc lorsqu'elle reçoit un jet d'eau lumineux à force de gêner la course de son adversaire. Son bateau a un léger ralentissement et elle perd son avance. Sur la ligne d'arrivée, elle souffle, consolidant tout de même sa troisième place bien méritée. Elle est heureuse de figurer sur le podium final, serrant la main de ses deux concurrents.

Débordée par le goût de la compétition, Cassandra accepte volontiers d'effectuer une nouvelle tentative. Elle est toutefois très étonnée de se voir offrir un autre jeton.

- Devrais-je m'attendre à vous êtes redevable en quoi que ce soit ?, demande Cassandra d'un air provocateur.

La seconde partie s'avère pas meilleure que la première, son bateau se plaçant à une position identique. Cassandra est abonnée au numéro 3 ce soir. Ne dit-on jamais deux sans trois ? Repartie pour un tour, assourdie par l'envie de gagner, elle s'élance de nouveau en piste, tenant la barre à deux mains, prête à affronter une ultime fois les vents marins. L'air a un goût de sel et les cris des mouettes dans son dos, lui donnent l'élan des plus beaux jours en mer. Ses adversaires ne s'avouent pas vaincus, accro aux traversées improvisées par le Magisterium Palace. Si elle remporte cette partie, Cassandra aura pris sa revanche et pourra se vanter d'avoir gagné un défi de haute volée. Encouragée par les acclamations de Malika à ses côtés, elle améliore ses premiers résultats, mais pour frôler la place du vainqueur. Elle termine à l'honorable seconde place.

Cassandra sort de sa coquille, levant les bras à la fois de joie et de déception. Elle les laisse retomber.

- J'abandonne, mon adversaire a eu raison de ma volonté ! Je ne regrette pas le voyage mais il faut savoir s'arrêter au bon port.

Elle ajoute :

- Dame Malika, au vu des heures qui ont défilé tandis que je m'amusais à patauger dans le bassin artificiel, déjà un de mes souvenirs les plus mémorables de mon séjour à la Capitale, j'ai à présent une envie folle de me dégourdir les articulations... Dans quel endroit secret de ce palace, pouvons-nous danser sans plus réfléchir ?

Cassandra pose aussi cette question parce qu'elle entend un fond sonore, une musique répétitive aux accents dansants, qui semble entraîner une foule à se lever compacte, pour faire bouger le sol en rythme. Accoutumée à fouler les lieux animés du centre-ville, elle a eu plusieurs l'occasion de prouver son sens du tempo et de la grâce, en ondulant majestueusement sur des mélodies entraînantes, des hit-parade de la saison, dépensant l'énergie mentale accumulée à force de concentration et de réflexion.

Néanmoins, l'hôtesse lui propose une expérience corporelle plus intense que les bals traditionnels auxquels elle a pu se rendre dans sa jeunesse fougueuse, adolescente au tempérament électrique. Les deux femmes rejoignent la pièce maîtresse du casino aux mille festivités. Pendant son absence, certaines installations ont été repoussées pour révéler la transparence vertigineuse du sol sous lequel elle marchait quelques heures plus tôt.

Elle admire subjuguée les profondeurs de la terre, la cavité magnifique et rocheuse qui s'expose aux pieds de tous les invités. Elle a le sentiment de marcher dans le vide et a peur de chuter, dix mètres plus bas au moins. Mais la paroi de glace tient bon et porte facilement son corps. Elle piétine heureuse les lieux, les murs les entourant s'étant transformés en gigantesques murailles de Chine surplombées par un ciel étoilé semblant plus véridique que ses propres mains, trompant son œil de Lynx.

Cassandra commence à mouvoir ses doigts, ses mains, puis ses hanches, ses pieds, pour tournoyer entre les danseurs masqués. Imitant les richissimes invités, elle remet son masque pour cacher la moitié de son visage. Sa bouche brune brillante à la lumière des projecteurs murmure des refrains retenus par cœur à force de les avoir écoutés en chantant sous la douche.

Le morceau suivant débute tranquillement, avec le bruit des houles, le mouvement des feuilles puis le hululement d'un hibou. Dans la longueur, l'enchantement fait effet, quand la harpe celtique, le violon et la flûte traversière font chanter des notes aiguës qui virevoltent dans les airs. Au grand étonnement de la ministre, elle peut voir flotter les si et les ré dans les hauteurs de la salle et retombés en pluie de solfège. Elle tend la main pour essayer d'attrapper une croche qui passe au dessus de sa tête. Elle est émerveillée par la beauté de l'imagination des artistes du Magisterium Palace.

Des gens expriment aussi à voix haute leur ravissement, on entend des "Hoooo", des "Haaaa", et même des "Oua hoouuu". Lorsque les partitions s'évaporent aussi rapidement qu'elles sont apparues, Cassandra avoue à Malika :

- L'ensemble de vos associés sont de vrais artistes Malika. A mon retour, je parlerai de ce lieu partout dans le Palais, j'en ferai que des louanges. Je pourrais m'entretenir avec le ministère de la Culture pour vous accorder des subventions si nécessaires. A quoi bon vivre une vie sans un peu de magie ?

La missive tombée dans les mains de Cassandra Heydell les quelques jours précédents sa venue était-elle prophétique ? Elle n'aurait pu s'imaginer passer à côté de l'expérience multi-sensorielle du Magisterium Palace. Elle garde en tête que ce lieu n'est pas accessible à toute la population et qu'il faut savoir mesurer l'implication de son influence quand on occupe une place importante dans la société... Si les subventions conduisent à l'amélioration du Casino et de ses attractions, en employant davantage de personnels qualifiés, Cassandra considère que cela peut donner une chance à des artistes inconnus de se faire connaître et de partager leurs dons esthétiques. Un véritable vecteur de promotion de la culture aryonnaise. Un rendez-vous sera organisé avec la comptabilité du ministère pour évaluer les possibilités de financements. Le royaume ne peut pas non plus se lier avec un réseau d'escrocs... donc le cabinet commandera une enquête financière afin de vérifier l'honnêteté et la légalité de tous les bilans comptables de l'établissement. Les réflexions de la politicienne sont encore brumeuses mais elles se dessinent partiellement à la fin de cette danse.

Cassandra s'est laissée emballée par la magie vibrante de cette dernière danse partagée avec Valeera et les effets secondaires de l'alcool. Mais la promesse n'est pas brisée.

- Le commun et l'ordinaire sont tout le contraire de ma vision de l'avenir. Je m'engage à réfléchir à ce projet et à recontacter l'équipe dirigeante du Casino dès que nous pourrons établir un accord culturel et financier viable, répondant au respect de certaines chartes ministérielles.

Le ton est ferme mais prometteur. La garde des sceaux tend la main droit devant elle pour sceller la promesse émise oralement sous une étoile clignotante. Celle-ci les regarde curieuse illuminant les profils des danseurs. Sur leurs pommettes, se déposent la douceur d'un courant d'air rafraichissant les rougeurs de l'effort physique distractif. Pour Valeera, c'est le signal de l'avancement de la soirée qui doit se conclure sur un sentiment d'apothéose, ressemblant à une éruption de geysers après la montée du magma.

- Je n'ai pas prévu l'habillage requis pour ce type d'activité. L'heure est tardive et cela ne serait pas raisonnable !, dit-elle en hésitant sur ces derniers mots.

Le regard de Cassandra se penche sur le coin droit, un demi-sourire lune apparait au-dessus de son menton. Les invités seins de leurs plus beaux atours, se remettent en mouvement, cherchant un nouveau partenaire de slow, entraînés par un morceau lent inspiré par les élans amoureux des corps qui se touchent et s'embrassent au clair de lune obscur. D'autres inconnus aux contours désormais flous et énigmatiques quittent la salle, guidés par leur humble hôte, souhaitant poursuivre l'aventure dans des pièces ou jardins cachés ? Ses pieds n'ont décidément pas envie de s'échapper de cette voie mystérieuse, trépignant de franchir une nouvelle barrière, au travers du chemin de la vie. Il faut parfois savoir s'arrêter dans les coins prospères pour contempler l'horizon et admirer le paysage. Elle écoute les palpitations secouant ses veines et répond :

- Si les habitants du Nord sont fanas de leurs bienfaits, me voilà toute émoustillée à l'idée de plonger mes pieds dans ces bains ! A y réfléchir, je n'ai pas prévu de tenue de rechange, n'ayant pas pensé effectuer une expédition aquatique en plein milieu de la nuit...

Cassandra se pose la question sans attendre la réponse, connaissant à présent parfaitement le standing haute étoile des prestations du Casino. Elle devine l'étendu des services mis en place pour répondre à une attente d'un niveau élevé au vu des clients importants foulant les trésors tapis à l'intérieur. Valeera démontre point par point à quel point elle ne se trompe pas en décrivant l'ensemble de l'équipement mis à disposition des baigneurs entrés dans les lagons privatisés pour la clientèle sélecte des lieux. Ainsi, Cassandra pourra accéder à de multiples articles de bain de qualité indispensables à l'appréciation des eaux bouillonnantes des bassins, remplis d'un liquide presque transparent, couleur amande et parfum d'orient.

- Bon, chère hôtesse, je suis prête, je vous suis vers cette nouvelle partie inconnue de votre itinéraire pré-décidé pour me correspondre. A nouveau, je suis stupéfaite par la grandeur de l'espace et par la magnificence de vos attentions.

Cassandra se laisse porter par la musique de la voix de Malika, comme hypnotisée par ses accents délicats et sensuels. Son corps ne lui appartient plus, elle est faible, ne se retenant plus d'accepter tous les plaisirs dissimulés sous les toits de la place commerçante. Les deux femmes ne se quittant plus ce soir, ne sont pas les seules à avoir l'idée "d'arroser" leur peau en cette fin de soirée d'une eau adoucissante, et de respirer des fumées apaisantes aux odeurs ensoleillés. Tour à tour, les clients se cachent derrière les paravents installés tout autour des bassins principaux.  Cela permet de prévenir la pudeur des gentilshommes et gentes dames visitant le Magisterium Palace. Elle se retrouve en possession d'un maillot de bain deux pièces, d'un peignoir et de sandalettes au style grec. Lorsque le serviteur a sélectionné les pièces préposées à la baignade, plusieurs couleurs sont disponibles. Le vêtement a un aspect unique mais elle peut choisir d'enfiler un ensemble rouge pour réveiller les yeux des observateurs et trancher majestueusement avec le contenu laiteux des piscines naturelles. Les créateurs et concepteurs de cette salle ont développé l'idée de transporter les utilisateurs dans un univers volcanique. Des lagons bleus sont entourés de pierres chauffantes, toutes véritables en apparence, aux traits nervurés. De la végétation est suspendue au plafond et décore la roche. Cassandra peut intégrer à sa chevelure marron une fleur des îles aux pétales larges, qui donne un éclat à son charme exotique de l'Archipel. Les hommes et les femmes allongés paisiblement, sirotant un cocktail ou disparaissant la tête la première dans l'eau, semblent au comble du bonheur. La tendresse des eaux des lagons purifient leur peau des toxines accumulées par la vie citadine.

Cassandra marche tranquillement vers un des paravents mis à disposition, accompagnée par son hôtesse personnelle, pour enlever sa tenue de soirée. En réalité, elle est quelque peu gênée de se montrer sous ce nouveau jour. En tant que garde des sceaux du Royaume, est-ce bien normal de déambuler en maillot de bain flamboyant parmi tant d'invités de marque ? Cela pourrait ressembler à une farce, une histoire humoristique mais l'instant est véridique. Bientôt sa jupe tombe, et son chemisier se défait. Elle se dépêche d'arborer l'accessoire en deux parties et ressort tout sourire, son peignoir blanc porté entrouvert. La taille lui correspond tout à fait, que ce soit le maillot, le peignoir ou les sandales. Elle est presque à la maison, sauf qu'elle ne boit pas un thé dans son canapé, mais qu'elle va goûter à la température piquante des éléments.

Cassandra s’écarte de l’ombre du paravent pour dévoiler sa tenue de piscine. Elle n’a pas de bonnet de bain ou de lunettes de plongée, car ici la baignade est plus futile et agréable que sportive et méditative. Les autres citadins ne font pas attention à la ministre, ils ont l’esprit embrumé par les vapeurs des lagons, et leurs pieds tout heureux barbotent de plaisir et de délectation. En retrouvant Malika debout et merveilleuse sur le bord de l’eau, elle réalise qu’elle va la suivra jusque dans le bassin et qu’elle s’est changée pendant son absence. C’est une femme fine à la peau très blanche, elle parle avec tact et sensualité. Quelque chose chez elle reste secret, son attitude montre qu’elle ne dévoile pas tout de sa personnalité. Quelques gestes la trahissent, quand elle sourit de manière trop forcée ou qu’elle observe trop fortement pendant qu’elle discute avec d’autres personnes. Cette hôtesse a peut-être développé une attirance pour elle au cours de la soirée ? Cassandra sait qu’elle est formée à charmer les clients pour les amener à apprécier l’endroit mais il y a de l’insistance dans son attention envers elle. Elle commence à se poser des questions tandis qu’elle sent son regard se déposer sur son corps gentiment. Cassandra va faire des jaloux ce soir car cette hôtesse doit être très plébiscitée.

- J’ai l’impression que depuis mon arrivée ici, les hôtes et hôtesses se bousculent pour m’aider… c’est une sensation plus qu’agréable et je suis ravie que parmi les vôtres, vous m’ayez accordé votre guidance.

Cassandra rencontre un instant le reflet vert doré des yeux de Malika, puis elle s’accroupit pour tester la température de l’eau avec la main.

- L’eau est tellement douce et chaude !, s’exclame-t-elle, en se retournant vers elle.

Quand elle a besoin de se débarrasser de son peignoir, l’hôtesse de la piscine revient pour l’accrocher à un porte-serviette. Elle entre avec impatience dans l’eau blanche, comme on atteindrait le paradis sur terre. Ses cheveux ne sont pas attachés, plutôt courts pour une femme issue de la noblesse, ils sont coupés au-dessus des épaules. Si elle les laisse se mouiller, ils perdront leur ondulation, elle essaie donc d’éviter de plonger la tête dans le bassin. Sa peau tranche avec la blancheur de la peau de Malika qui profite de cet instant à côté d’elle. Elles effectuent quelques brases légères pour s’habituer à la température et traversent une partie du lagon. L’hôtesse veut lui faire découvrir l’originalité de la structure et lui permettre d’absorber la magie divine des lieux. Le concepteur de cette nouvelle attraction a des doigts de magicien créateurs de lumière. Cassandra touche le miracle d’une seconde vie à minuit passé. Elle pose ses mains sur ses joues pour les réchauffer. Les gens autour d’elles les observent toutes les deux avec admiration, leur beauté unique transparaît dans la foule. Il y a toutes sortes de physiques dans la fréquentation du casino, et des gens plus âgés attirés par l’aspect reposant des sources chaudes artificielles. Cassandra essaie de respecter une certaine distance car il y a tellement de visages qu’elle ne reconnaît pas tout à fait, leur corps une fois dévêtu et leur masque de déguisement retiré.

Elle ne calcule pas la main tendue de Malika, un verre rempli d’un liquide bleuté dans la paume. Cela doit être au moins le cinquième cocktail de la soirée et Cassandra se dit que ce sera sans doute le dernier, si elle ne veut pas ajouter du vomi aux fluides des lagons. Elles trinquent, riant de cette rencontre insolite, s’extasiant d’avoir accès à toutes les créations de la vie. Cela ne se reproduira peut-être pas de si tôt pour Cassandra. Comment ne pas remercier l’ordonnateur du Magisterium Palace qui lui a offert tellement de cadeaux en une journée ? Elle pense à l’équipe entière du Casino qui possède de réels avantages à travailler ici, bien que cela demande de la préparation et l’acception d’horaires longues le week-end, sans que les uns et les autres ne le réalisent.

- Vous avez lu dans mes pensées, quand nous étions en train de nager, j’ai cru qu’il y avait de la magie derrière tout ça, en fait vous m’apprenez qu’il y a une maîtrise parfaite de technologies simples et des astuces toutes trouvées. Des cerveaux à la fois ingénieux et fantasques ont imaginé la décoration de la salle, les jeux de miroirs, et les jets de brumes, de parfums.

Cassandra ajoute, repensant à d’autres affaires, plus juridiques cette fois-ci, avec ce ton ironique dont elle aime jouer parfois :

- Quand il y a de l’argent dans ce monde, nous pouvons faire beaucoup de choses…

Le cocktail dans ses mains est déjà en train de s’évaporer, car il a glissé quelques secondes plus tôt dans son ventre. Elle imagine son estomac s’illuminer et envoyer des éclats de rayons bleus. Elles sont des êtres de lumière, ressemblant à des anges mais sans la pureté de l’intention. Lorsque Cassandra ramasse une mèche de ses cheveux derrière son oreille, Malika lui confie avoir une demande à lui exprimer. Elle mesure le suspense en se décalant d’un mouvement de bras vers l’ouverture du bassin principal. La ministre la suit en marchant sur la pierre, sortant une partie de son buste de l’eau. Elle replonge aussitôt, et évite de peu la glissade en la rejoignant contre un mur de pierres. Un renfoncement leur permet de s’asseoir et d’apprécier les bruit des conversations et le bal aquatique des personnes qui viennent et s’en vont avec légèreté, le poids des responsabilités oublié, disparu en fumée. Elle se rend compte en reposant sa tête contre le rebord qu’elle n’a pas vraiment décidé de ses mouvements, elle s’est laissée portée par les habitudes de sa nouvelle connaissance. Cela ne ressemble pas à Cassandra d’être suiveuse, elle est curieuse et Malika a tous les talents en elle pour apporter du piment à cette escapade. Une épice rouge, très mûre, croquante, surprenante, mais qui ne prévient pas avant de vous embarquer dans une histoire de plus en plus alambiquée. Elle s’est laissée aller, elle a misé des diamants dans des jeux d’argent, conduit un bateau à distance, dansé sous les étoiles et n’a pas vu la pleine nuit arriver.

La proposition de l’hôtesse gêne la ministre. A vrai dire elle ne sait pas qui est réellement cette personne, et que ferait-elle si toutes ses péripéties du Casino arrivent à l’oreille de la première ministre ? Elle revoit ses yeux noirs courroucés la fixant de désapprobation. Elle ne peut entacher l’image de la Couronne et du gouvernement par des rumeurs discourtoises. Les ministres peuvent avoir leur vie privée tout en faisant attention à ne pas passer pour des clowns. On ne sait jamais comment les paparazzis peuvent tourner la scène avec des connotations douteuses, bien qu’en se voyant en maillot de bain buvant un cocktail parmi tout le gratin de la Capitale aux côtés d’une jolie hôtesse, elle réalise que sa situation a quelque peu changé…

- Je devrais refuser… cela ne serait pas sérieux. Votre invitation est exprimée avec tant de politesse, que vous me faîtes hésiter. Je n’ai pas mangé, vous touchez à mon point faible actuel, répond Cassandra en relevant la tête.

Dans les pensées de Cassandra, se matérialisent des huîtres, une truie sauvage, des frittes, des glaces, une crème brûlée, des glaces, et mille et autres petits plats issus de ses préférences.

- Hum hum, … si nous organisons un repas intime pour terminer de manière, disons, conviviale ma sortie au Casino, je ne vois pas d’inconvénient à partager ce moment avec certaines personnes de qualité. Il faudrait que cela soit fait dans l’étiquette de ma condition… en tant que ministre, ma représentation reste importante dans toutes les circonstances, même à cette heure-ci.

Elle essaie de parler avec assurance tout en laissant transparaître une gêne bourgeoise. Elle espère que Malika a compris sa situation et qu’elle ne la mettra pas dans l’embarra. Puis, elle reprend une contenance en prenant une posture plus droite et en joignant ses mains sur ses genoux.

Les deux femmes restèrent encore vingt minutes dans le bassin bavarder sur les dernières actualités du Royaume avant de sortir récupérer leur robe de bain. Malika lui proposa d’enfiler une robe d’un tissu plus léger et ample au niveau des jambes, pour rejoindre la meilleure table du restaurant du Casino. La pièce est remplie d’objets insolites et vintage. Le vieillot est la thématique du moment.

Elle porte une robe blanche jointe en son centre par une broche ceinte de deux clefs entrecroisés brillantes. Le devant est un peu plus court que l’arrière qui virevolte sur son passage. Elle a également troqué ses bottines hautes contre des sandales à talons ouvertes. Les couturiers du Magisterium Palace la prendraient-ils pour une princesse ? Cela fait se sentir bien dans sa peau, joueraient-ils avec son égo sensible ? Émerveillée, elle a le droit à un dernier cadeau : une mallette à paillettes avec un bouton de soleil, qu’elle tient entre ses doigts, le temps que la table se dresse. Les invités qui s’asseyent progressivement de tous les côtés du service, sont magnifiques et leurs costumes surmontés d’un nœud papillon noir leur sied à ravi. La question ultime demeure : que mangeront-ils à 1 heure du matin ? L’horloge antique du salon sonne le gong annonçant le début des festivités. Les cernes de Cassandra sont vite oubliées.

Parmi les invités assis autour de la table, Cassandra reconnaît des gens importants qu’elle a rencontrés dans des réunions officielles et des galas de la noblesse. Ce ne sont pas des proches amis mais ce sont des connaissances avec qui elle a pu échanger des conversations en toute amabilité professionnelle ou amicale. Le monde de la politique, de la royauté et des grandes personnes du royaume, les personnes portant un titre, fréquentent les mêmes lieux et se recroisant dans les commerces, les établissements de loisirs. On dit toujours dans ce type de dîner « petite est notre galaxie et grand est notre astre ».

En regardant silencieuse la tablée de grande qualité, Cassandra a peur de dériver vers l’entre-soi de façon trop extrême. Un malaise la parcourt car ce n’est pas non plus des pratiques qui la correspondent totalement. Elle aime les soirées, les rencontres et les discussions enchantées mais la cour intérieure qui se replie sur elle-même dans des festivités fermées est une dérive qui finalement ne lui convient pas. Avant cette expérience politique, Cassandra se souvient avoir été une détective avec des coutumes propres à son rang, mais une détective ouverte et accessible, pas enfermée dans son bureau. C’est à cet instant, en se régalant du regard, son ventre heureux de savourer la diversité des mets, qu’elle revient à la réalité, souriant poliment aux gens qui lui posent des questions sur sa famille, la reine, la première ministre. Ils lui distribuent des compliments tous fabriqués, qu’elle maîtrise. Elle remercie et se tait, réfléchissant à ce qui se cache derrière les miroirs de leurs atours et de leurs jolis discours.

Malika est toujours aussi splendide qu’en début de soirée, la fatigue ne laissant pas de trace sur son visage, comme si un sort de charme effaçait les traits noirs que laissent les mouches au coin des yeux. Une envie de quitter la salle tiraille Cassandra, elle n’a plus faim et les bulles de champagnes n’affolent plus ses idées dans sa tête, qui s’apaisent et demandent le retour à leur naturel domaine.

Étant la seule représentante du gouvernement présente et invitée principale de cette longue nuit, elle se dresse pour intervenir rapidement et remercier le Casino.

- Je lève mon verre pour fêter ce ravissement partagé, pour le royaume d’Aryon et pour la longue vie promise au Magisterium Palace !

En écoutant la ministre, les convives se lèvent et tendent leur verre l’imitant, avant de boire la mixture d’une traite. Tous sont heureux, prévoyant d’autres soirées dans leur emploi du temps, pour revenir s’émerveiller et goûter aux plaisirs du Casino.

Les couteaux et fourchettes font tinter la vaisselle alors que chacun s’est composé son plat favori. Cassandra a déjà mangé trois huîtres et a choisi une patte de homard. Elle ne garnit pas son assiette comme certains voisins, dont l’assemblage est si copieux qu’il déborde sur la nappe. L’alcool doit aider, elle connaît la faim qui revient dans la noirceur de la nuit juste avant le petit matin. Elle a ralenti le rythme des aphrodisiaques et s’essuie la bouche, décidée à partir. Quand elle appelle un hôte pour prévenir de son départ, elle a l’impression qu’il est déçu. Serait-ce pour éveiller un sentiment de culpabilité en elle, et lui provoquer le désir de rester pour continuer à consommer sans s’arrêter encore une heure ? Elle semble lire tout ça dans le regard qu’il lui lance. Cela ne l’atteint pas plus que la lance de l’athlète olympique qui s’élance dans l’horizon pour atteindre les blanches colombes qui se tutoient au firmament.

« Peut-être reviendrais-je accompagnée, un jour... », s’imagine Cassandra, traversant un passage de pensées romantiques.

- Puis-je récupérer mes affaires ? J’ai dû me changer en sortant de la piscine, demande-t-elle revenant à des choses plus terre à terre.

L’hôte hausse les épaules et obéit en un clin d’œil. Il revient deux minutes après portant sur son bras gauche les vêtements de la ministre, et dans sa main droite son sac à main. Il se baisse courtoisement pour l’aider à se lever de sa chaise.

- Cher Andrew, je vais vous suivre tout de suite jusqu’à la loge pour me changer mais je vais tout d’abord dire au revoir à Malika.

- Comme vous voudrez, répond l’homme.

Cassandra souhaite serrer la main de celle qui l’a faite rire et danser pendant des heures. Peut-être que sa décision de s’envoler délicatement au sommet de la célébration est sage… On ne sait jamais ce qui peut arriver après une heure du matin, des choses que l’on pourrait regretter ou oublier. Il y a de fâcheux incidents qui s’opèrent dans les soirées mondaines devenant libertines quand les instincts refoulés refont surface. Elle ne connait pas assez l'entourage du Casino pour ne pas craindre zéro compromission.