On ne pouvait pas dire qu’Amaryllis était une visiteuse fréquente de cet endroit, notamment parce-qu’il était fréquenté par des gens qui la détestaient au plus haut point. Aussi avait-elle été vigilante en approchant, son regard balayant la zone à la recherche d’un membre de ceux qui avaient été sa belle-famille fut un temps. Là où la douleur aurait pu les unir pour passer un moment difficile, elle n’avait que fait les diviser et renforcer les rancœurs, ce qu’elle pouvait comprendre vu que toutes les responsabilités avaient été reportées sur sa propre personne.
La rousse s’arrêta, impassible, devant l’une des stèles, bien entretenue, fleurie dans un arrangement quasi-parfait et garnie de quelques petits messages de pensées de sa famille. Elle se baissa rapidement, afin d’y déposer une unique chrysanthème écarlate, d’une couleur similaire à celle de sa chevelure. Tant une façon d’honorer sa mémoire que de faire un petit pied de nez au prochain membre de la famille Clawshade qui se rendrait sur cette tombe.
Elle soupira légèrement, croisant les bras, les enroulant légèrement autour de sa propre taille. L’épitaphe était banale au possible, indigne de l’homme qu’il avait été. Du moins de son propre avis. Cela ne changeait rien au fait qu’il lui manquait toujours. Elle serra le poing, cette simple visite réveillant en elle des souvenirs… Et la mémoire de qui elle avait pu être par le passé.
Finalement, cette tombe symbolisait tout autant sa propre mort, la moitié d’elle qui avait été arrachée et broyée après ce triste évènement. Même si un seul nom s’y trouvait, deux mériteraient d’y être inscrits. L’ancienne mercenaire avait toujours considéré que c’était elle qui aurait dû mourir ce jour-là, et tout aurait certainement été bien plus simple pour tout le monde. Après tout, cela avait été son métier de protéger une vie avec la sienne, et son échec avait été total.
Perdue dans ses pensées, Amaryllis resta debout devant la stèle sans se soucier du temps qui pouvait s’écouler. Si elle n’avait pas versé de larmes, la colère et la frustration bouillonnaient en elle. Tant contre elle-même que contre son monde qui l’avait rejeté. Alors même si ce qu’elle faisait maintenant pouvait sembler bien futile, c’était ce qui lui restait de mieux à faire. Construire elle-même son monde, ses alliances et ses contacts pour se hisser vers un nouveau sommet, bien plus haut que le précédent. D’où elle pourrait toiser tous ceux qui avaient osé la renier.
Un bruit de pas la tira de ses pensées, et la femme en robe noire se tourna vers cette personne qui approchait, redoutant d’y trouver un visage bien connu. Son regard améthyste la détailla rapidement. Plus jeune, cheveux d’un rose clair, ses traits lui rappelaient clairement quelqu’un. Mais elle était persuadée que ce n’était pas une Clawshade, ni que c’était une des personnes prête à la tirer vers le bas. Venait-elle seulement se recueillir au même endroit qu’elle? Ou n’était-ce qu’un faux semblant? Connaissait-elle seulement Braedon?
La fleuriste, dont les longs cheveux bleus pâles étaient ramenés en un chignon mal coiffé sur le sommet de son crâne, la suivait en silence, se contentant de hisser dans sa main les fleurs que la noble lui désignait. D’abord elle choisit deux fleurs de souci. Leur couleur jaune orangé n’était pas sans rappeler un ardent couché de soleil, la fin de quelque chose. Ensuite ce furent des roses blanches, immaculées, elles lui inspirèrent un certain respect de part leur perfection. Pour finir elle choisit des myosotis qui, elle le savait, évoquaient avant toute chose l’absence et la séparation. Un message qu’elle seule comprendrait, nul doute que son ami, tout instruit qu’il était, n’aurait probablement rien comprit de toute cela. Il n’y avait que sa mère, pour lui avoir apprit une chose aussi futile et inutile que le langage végétal. Ou du moins celui que les Hommes lui avaient attribué. Néanmoins elle lui en fut gré, auquel cas elle ne se serait embarrassé que d’un simple et joli bouquet. Un présent bien trop banal pour une telle occasion.
Lorsqu’elle fut satisfaite, que les couleurs s’accordèrent aussi bien en coloris qu’avec le message qu’elles devaient transmettre, Zilith paya. Et manqua de s’étouffer. « C’est du vol ! » Gémit son esprit alors qu’elle tendait le montant en cristaux. Mais cela en valait la peine. Il en valait la peine.
Le trajet jusqu’au cimetière de la capitale lui sembla durer une éternité. D’abord parce qu’elle n’avait pas les moyens de se payer une voiture, cela faisait bien longtemps qu’elle ne le pouvait plus d’ailleurs. Ensuite parce que son sens de l’orientation, sans être déplorable n’était pas bien glorieux et qu’elle ne se trompa non pas une mais deux fois de ruelles. Quand enfin, elle se retrouva devant le portail en fonte et arabesques noires, elle poussa un soupire de soulagement. Il donnait des airs lugubres à cet endroit déjà peu accueillant, si cela n’avait pas été la dernière demeure il aurait pu être tout à fait agréable. Mais l’atmosphère qui y régnait qu’elle soit transporté par les vivants ou par ce qui restait de l’esprit des morts le rendait morbide et désagréable. Zilith décréta rapidement qu’elle n’aimait pas cet endroit. Malgré tout elle s’avança sur l’allée en gravier, les faisant crisser sous ses chaussures. Le silence qui régnait en ces lieux lui donna l’impression de faire un vacarme tonitruant.
La jeune Hesediel ne s’était pas vêtue de manière à porter le deuil. Elle ne s’était pas parée d’une tenue d’un noir d’encre, ni d’un voile opaque qui cacherait son visage et ses larmes à tout un chacun. En vérité elle ne pensait croiser personne, car la mort de celui à qui elle rendait une ultime visite remontait à loin maintenant. Il s’était éteint lorsqu’elle avait commencée à exister. Ami de la famille et d’Ayden avant toutes choses, ils s’étaient côtoyés à l’époque où Zilith arborait encore le rang de noble. D’un inconnu, Braedon était presque devenu un ami. Puis elle avait quitté les siens et lui aussi, tout deux d’une manière et par un chemin différent. L’un le voulant, l’autre n’ayant pas le choix. Lucy était une drôle de déesse.
Les pas de la rose la menèrent devant d’innombrables stèles, chacune comportait des noms et des dates, des offrandes, des fleurs et parfois de petits mots, des cadres magiques ou encore de la nourriture. Bien que l’envie la prenne de s’arrêter sur chacune d’elles afin de graver les noms des malheureux dans sa mémoire, elle ne le fit pas. Son cœur n’était pas assez grand pour tout le monde et elle ne souhaitait pas se perdre dans une spirale chagrine sans fin, elle avait suffisamment de deuil à porter et de larmes à laisser couler.
- B-bonjour… Marmonna Zilith, lorsqu’elle découvrit avec surprise une autre présence sur la tombe de Braedon. Elle hésita à rebrousser chemin, mais le bouquet de fleurs fraiches la reteint, d’ici demain leur beauté aurait commencé à se tarir ; elle ne pouvait se résigner à offrir un présent abîmé. Elle contourna donc l’inconnue sans oser poser les yeux sur elle, fixant ostensiblement le sol. Avec une douceur qui lui était propre, elle déposa son cadeau au pied de la pierre tombale, puis pria en silence n’importe quel dieu, n’importe quelle entité, de prendre soin de cet être cher qui était maintenant hors de son atteinte. Elle resta plusieurs minutes ainsi, à déblatérer toutes les formes de prière que lui avait apprit ses nobles parents. Puis quand elle en eut terminée, elle se redressa et fit face à a rousse. Toujours sans la regarder et avant tout par politesse, elle s’inclina bassement devant elle. - Merci. Et elle fit mine de se détourner.
« Bonjour. » répondit-elle tout simplement, son regard observant rapidement les actes de la rose, détaillant sa tenue, son bouquet, ses manières, essayant de se rappeler où elle avait bien pu la croiser. Ses cornes étaient peut-être un peu plus discrètes mais bien présentes. Elle ne l’interrompit pas, lui laissant la place dans un silence respectueux, s’étant décalée d’un pas vers le côté.
N’osait-elle pas la regarder parce-qu’elle savait très bien qui elle était et ce qui s’était passé? C’était ce qu’Amaryllis s’était dit. Qu’elle était de ceux restés sur le côté, qui ne voulaient pas s’attirer de problèmes, mais qui au fond, la méprisait. Comme beaucoup. Mais la rousse n’allait pas l’interpeller devant la dernière demeure de sa moitié. Elle ne voulait plus vraiment avoir affaire à ces gens de tout de façon.
C’est alors que la rose s’inclina devant elle et la gratifia d’un merci sans toujours vraiment la regarder. Passé le choc qui s’était inscrit sur son visage, le doute prit la place rapidement, sourcils froncés devant une telle déclaration. Merci? Merci pour quoi? Était-ce un genre de pied de nez? Un remerciement honnête? Pourquoi la remercier alors qu’elle avait été désignée responsable de ce qui était arrivé?
Elle se détournait déjà, prête à partir en laissant un tel mystère derrière elle. Amaryllis au final, désirait en savoir plus. Qui était-elle vraiment? Pourquoi la remercier et éviter son regard ainsi? Elle avait bien conscience que la situation pouvait dégénérer comme elle avait dégénéré par le passé… Mais elle ferait fi de ce risque et essayerait de se tenir même si les réponses ne lui plaisaient pas. Il fallait dire que cette visiteuse surprise n’avait pas l’air bien menaçante.
« Attendez… » demanda-t-elle alors, d’un ordre simple qui n’était pas empreint de sa rigueur habituelle. Une proposition plus qu’une injonction. La rose l’avait assez évité pour ne pas qu’Amaryllis commence à l’effrayer avec un ton martial.
« Pourquoi me remercier? Je ne devrais même pas me trouver ici, selon la volonté des Clawshade. » demanda-t-elle, en interprétant un petit peu trop une simple marque de politesse. Même si elle avait été triviale, ce simple mot devant cette tombe sonnait étrangement. Merci… Merci des moments qu’elle avait partagé avec lui? C’était bien quelque chose qu’elle n’avait jamais entendu de personne.
« Qui étiez-vous, pour lui? » ajouta-t-elle alors, son regard d’un violet perçant toujours dirigé vers la rose. Sa question était directe, mais dans ces mots et ce pronom impersonnel, sa voix avait légèrement flanché. Il comptait pour elle, ils n’avaient pas de secrets, et, pourtant, elle ne pouvait pas remettre un nom sur ce visage et cette silhouette. Vu le présent qu’elle avait ramené, elle n’était pas n’importe qui.
De part sa jeune existence mais surtout grâce à la palette extrêmement colorée de personne qu’elle avait rencontrée à la capitale depuis son arrivée, Zilith avait pu rencontrer bien des gens différents. Cela l’avait mené à des situations cocasses et des questions incongrues. Pourtant, ils arrivaient encore à la surprendre. Son visage ne s’en cacha pas, de même que ses sourcils qui se haussèrent d’un air incrédule et sa bouche qui s’ouvrit en un « O » silencieux.
« La volonté des Clawshade ? » s’interrogea-t-elle en se demandant si sa route n’avait jamais croisé celle de l’un des membres de ce clan qui ne soit pas Braedon. Elle se demanda ensuite si se recueillir sur sa tombe était interdit -certaines familles avaient leur excentricités sans raisons particulières. Toutefois elle coupa court à ses réflexions en lui posant une question dont elle-même n’avait pas la réponse.
Si il y avait bien quelque chose qui pêchait chez Zilith c’était bel et bien ses relations avec les autres. Timide, introvertie et cachée au monde pendant plus de la moitié de sa vie, elle avait encore du mal à définir les tenants et les aboutissants des différentes relations. Dans les livres qu’elle avait eut le chance de lire, les choses étaient souvent blanches ou noires, l’amour était l’amour et l’amitié, l’amitié. Les choses entraient dans des cases et n’en sortaient pas. Puis elle avait découvert la réalité ; celle ou sa belle sœur était son amour et son frère son rival. Celle où elle priait pour voir l’idylle de son aîné prospérer tout en espérant au plus profond de son être que cela s’achève sur un divorce. Avec les années et surtout la liberté, Zilith avait apprit qu’amour et haine allaient de paire, qu’amitié et amour pouvait ne faire qu’un mais surtout que tout son univers était composé de différentes nuances de gris. Aussi, il lui fallut un bon moment, l’air éberlué pour trouver une réponse adéquate.
- Je… Nous… Balbutia-t-elle en daignant enfin tourner l’intégralité de son corps dans la direction de son vis à vis. - J’aimais beaucoup Braedon, il nous rendait souvent visite. Le recevoir était toujours un plaisir pour moi. Un léger sourire étira ses traits puis elle se mit à tortiller ses doigts machinalement, comme elle le faisait dès qu’elle se sentait mal à l’aise -très souvent-. - J-j-’ai appris la nouvelle il y a peu. C’était une bonne personne. Marmonna-t-elle. Elle ne savait quoi ajouter. - Mon frère en est sûrement peiné, i-ils étaient bons amis. C’est grâce à lui que nous nous sommes rencontré vous savez. La voix de la petite noble n’était presque plus qu’un chuchotis, non pas à cause de la peine mais bien du malaise grandissant. - Et...Euh… Et vous ? Vainement, elle espéra détourner la conversation, être le centre de l’attention était une chose parfaitement désagréable à son sens. - Vous étiez une amie de Braedon ? Innocente, elle n’imaginait pas le quiproquo gigantesque qu’elle venait peut-être de créer en l’espace d’un claquement de doigt, la prochaine fois, surement, songerait-elle à rendre son monde un peu plus noir ou blanc.
A l’entendre parler, c’était un peu comme si elle l’avait connu de part des relations familiales, une chose pas bien étonnante dans le milieu noble. Amaryllis ne pouvait clairement pas participer à beaucoup d’entre elles, son travail l'amenant souvent de l’autre côté du Royaume ou bien avec des horaires peu compatibles avec ce genre d’évènements en général. Cela ne répondait pas tant que cela à sa question, pour autant. Un peu comme si elle avait évité de parler d’elle trop directement.
Qui était-elle pour lui?
Une connaissance? Une amie? Une amante? Cela n’aidait pas Amaryllis à placer la rose dans ces catégories. Mais puisqu’elle ne semblait pas avoir reconnu la guerrière, ou faisait mine de ne pas l’avoir reconnue, peut-être pouvait-elle lui en dire un peu plus. Il fallait dire qu’Amaryllis se tenait toujours assez droit, épée bâtarde à la ceinture, presque immobile, alors que la rose semblait ne pas savoir sur quel pied danser avec ses mimiques. Un peu comme un agneau face à un lion.
« J’étais sa femme. » répondit-elle alors, allant droit au but, ses pupilles d’améthyste figées vers l’expression de la rose afin de voir comment ses mots et cette révélation pouvait l’impacter. Allait-elle partir en courant de peur d’être face à une “ennemie”? Ce qui était certain c’était que son ton et son regard ne l’aideraient pas à se sentir plus à l’aise auprès d’elle.
« Amaryllis Tylwaen, cela devrait vous dire quelque chose, sûrement, non? » ajouta-t-elle alors, tout en en profitant pour se présenter, avec un mince espoir que la rose aux cornes en fasse de même. Même si là encore vu sa gestuelle ce n’était pas garanti mais si elle était noble comme Amaryllis le supposait, les manières devraient normalement prendre d’elles-même le dessus. On les lui avait bien assez martelé dans le crâne la bienséance du rang de noble pour qu’elle ne l’oublie jamais.
« Mais ne vous inquiétez pas, peu importe ce que vous avez pu faire, je ne vous ferez pas de mal. Ici ou ailleurs. Ce n’est pas ce qu’il aurait voulu. » tenta-t-elle de la rassurer même si de telles paroles ne l’étaient pas forcément. Il fallait dire que faire ce genre de choses devant la dernière demeure de Braedon serait manquer d’énormément de respect envers l’homme qu’il avait été. Plutôt pacifiste et idéaliste, naïf et stupide diront certains, il avait dû être extrêmement déçu de la tournure des choses s’il pouvait les voir de là où il était.
Bien entendu, se venger de ceux qui lui avaient fait du tort était clairement dans ses projets. Mais même si la petite rose était l’une d’elle, elle ne lui ferait rien ici et maintenant. Son plan ne passait pas par une vendetta sanglante mais bien plus par des jeux de pouvoir et d’influence.
« Je me demandais juste qui venait fleurir sa tombe tant de mois après, sans être de sa famille proche. Même si je pense qu’il aurait apprécié. Sûrement… » déclara-t-elle alors qu’un léger soupir laissait un peu s’affaisser ses épaules et sa posture. Au fond, elle espérait que c’était simplement quelqu’un qui n’avait rien à voir avec tout ça, même si les chances étaient minces. L’affaire avait fait grand bruit dans l’entourage des deux familles, et les nobles étaient réputés être les pires des commères sur ce genre d’affaires.
Si Amaryllis tentait de l’amadouer, c’était raté. Non seulement son regard la transperçait comme une lance, faisant vacillait sa détermination à rester planter là mais se furent surtout les mots qui sortirent de sa bouche qui mirent ses nerfs à rude épreuve. « Peu importe ce que vous avez pu faire, je ne vous ferez pas de mal » y avait-il moins rassurant qu’une grande dame aux airs de tueuse à gage, aux yeux aussi tranchant qu’une lame de rasoir, et dont l’air paraissait vouloir emporter votre âme en enfer ? La jeune Hesediel recula d’un pas.
- Tant mieux… Bredouilla-t-elle.
Ce ne fut que lorsqu’un soupire échappa à la barrière de ses lèvres, que ses épaules se voûtèrent sous le poids d’une quelconque émotion que Zilith cru percevoir une pointe de tristesse dans ses prunelles incisives, qu’elle abandonna l’idée de partir en courant aussi vite que son corps pourrait la porter.
- Je...Euh ne sais pas si il aurait aimé. Dit-elle finalement après avoir laissé le silence s’étirer inlassablement. - Mais je n’ai rien d’autre à offrir. Elle eut un petit rire nerveux en se souvenant qu’elle venait de solder le compte de ses économies pour la gerbe qui tenait lieu et place d’offrande. - Au moins sa stèle sera plus jolie. C’était une triste consolation, mais c’était tout de même mieux que rien.
De nouveau le silence prit l’ascendant. Zilith ne savait comment agir. Devait-elle garder le silence, maintenir une conversation ? Elle était certes noble, mais elle n’avait jamais fréquenté les hautes sphères sans parler du fait que les seules personnes qu’elle avait réellement fréquenté en dehors de sa famille et des quelques proches, étaient des personnes de basses naissances à qui l’étiquette échappait complètement. Une pensée s’adressa notamment à Astrid qui, à l’heure actuelle, devait encore être en train de dormir. Ou de nettoyer une paire de toilettes qu’elle avait dû salir la vieille suite à une soirée fortement arrosée. Elle sourit.
- J-je m’appelle Zilith. Si elle ne souhaitait lui donner son nom, pouvait-elle au moins lui donner son prénom. Et si Amaryllis la reconnaissait, alors qu’il en soit ainsi. - Je ne savais pas que Braendon était marié. Mais je suis contente de savoir que même si il est mort ce n’est pas sans amour. Sa voix était peut-être un peu trop enthousiaste, toujours est-il qu’elle pensait sincèrement ce qu’elle disait. Toutefois son sourire s’effaça doucement. - Ce n’est pas trop dur ? Je veux dire… D’être la seule à rester ? Ses grands yeux bleus, bordé de large cils se posèrent sur l’épitaphe et de nouveau, son sourire revint, nostalgique.
C’était comme si elle ne connaissait rien, qu’elle était ignorante de tout et qu’elle s’était réveillée d’un coma long de plusieurs années ce matin même. Enfin, peut-être était-elle un peu dure avec celle qui s’était présentée en tant que Zilith. Un prénom qu’elle avait certainement déjà entendu, certainement de Braedon, même si elle n’arrivait pas spécialement non plus à recadrer ses pensées sur qui était cette personne.
La posture d’Amaryllis continua un peu de se relâcher. Si elle avait quelque chose à voir dans tout cela elle jouait très bien la surprise, et avait un contrôle parfait de ses émotions. La guerrière avait l’habitude de jauger les gens et même si un combat était différent d’une discussion, certaines astuces se translataient assez bien de l’un à l’autre. Et la rose semblait bien plus gênée et intimidée qu'en train de lui jouer une pièce de théâtre.
Au final, la rousse en vient presque à se demander si cette Zilith n’avait pas eu un faible pour son mari à l’époque. Et à vrai dire, maintenant, quelle importance? Même si elle ne pensait pas que Braedon pouvait vraiment avoir fricoté avec d’autres, cela ne voulait pas dire que d’autres femmes n’avaient pas des sentiments pour lui. Mais cela n’allait pas le ramener de tout de façon.
Être la seule à rester.
Une gangue de pierre au milieu d’un monde n’ayant plus de sens, un monde voulant la détruire.
« Je… »
Première hésitation, un signe que ces derniers mots et cette question avaient tout de même réussi à la toucher maintenant qu’elle se sentait elle-même moins menacée. Et à la fois un rappel de tout ce qu’elle avait perdu ce jour.
« Je ne sais même pas si je suis vraiment encore là. C’est un peu comme si une part entière de moi s’était en-allée avec lui. »
Un aveu assez rare venant d’elle, peut-être une réflexion qui venait de celle qu’elle avait été, et qui se manifestait encore dans un petit soubresaut face au lieu de dernier repos de sa moitié. Mais aussi la preuve qu’il y avait encore un peu d’elle dans ce qu’elle avait pu devenir, et ce qu’elle comptait devenir. Même si cela ne changeait rien au fait que le monde était toujours aussi vide et morne. Cela ne changeait rien à ce désir de s’échapper, d’oublier, de recommencer.
« Ca aurait certainement été mieux que je quitte ce monde en même temps que lui ce jour là. Ou un peu plus tard. »
Relevant un peu son poignet gauche, son regard se posa un peu plus bas, sur son avant-bras, où une cicatrice était encore témoin d’une tentative échouée d’en finir, même si elle pouvait se faire assez discrète au milieu d’autres cicatrices plus impressionnantes.
« Mais ce n’est sûrement pas ce qu’il aurait voulu. De son vivant. »
Elle sourit à cette pensée, un peu mièvre. Invoquer la mémoire des défunts dans l’ignorance des vivants était complètement stupide, elle trouvait. Qu’est-ce-qu’il lui disait qu’il n’était pas en train de l’attendre, peu importe où qu’il soit? Et qu’il n’attendait que cette réunion fatidique? Au final, qu’elle soit encore en vie n’était-il pas une forme de lâcheté? Pouvait-elle vraiment parler en son nom, ou supposer des choses pareilles?
Après tout, si Zilith n’était même pas tant au courant que cela pour son mariage, certainement que les événements exacts lui avaient échappé aussi. Ou peut-être qu’elle n’avait eu droit qu’à une version édulcorée ou fortement orientée de sa famille. Son côté défensif avait laissé place à une facette plus intriguée. Qui était-elle réellement, pouvait-elle lui être utile pour connaître plus en détail les agissements des deux familles autrefois unies mais maintenant divisées?
Voilà que même face à la tombe de son mari, ses pensées dérivaient vers ses intérêts personnels.
« Je suppose que vous venez d’une famille noble avec laquelle il faisait souvent affaire? »
C’était l’explication la plus probable après ce qu’elle venait de lui dire, alors qu’elle tournait son regard d’un violet profond vers la rose. Un regard peut-être un peu moins froid et dur mais qui gardait un certain côté acéré, peut-être un peu trop perçant.
« Vous savez ce qu’il s’est passé? Ce jour-là? »
Et si elle le savait déjà, peut-être que cela lui permettra d’entendre un autre son de cloche. Amaryllis ne comptait de tout de façon pas mentir, pas devant sa sépulture. Elle manquait peut-être de scrupules, mais pas au point de bafouer la dernière chose qu’elle respectait encore en ce monde.
Elle accueillit sa peine comme si elle avait été sienne, la laissant couler sur tout son être afin de mieux la comprendre. Les mots de la rousse prirent forme dans son esprit, sa douleur fut plus réelle à mesure qu'ils lui échappaient. Zilith compatit. Il lui était impossible de comprendre exactement cette souffrance ; elle ne l’avait jamais connu. Mais elle connaissait suffisamment la tristesse pour imaginer qu’une telle perte n’avait pas d’égal.
- Affaire ? Demanda-t-elle, incrédule, en sortant enfin de ses pensées. Délaissant les tourments de l’endeuillée pour revenir à la réalité. - Les affaires de ma… Famille ? Je… Euh… Depuis toujours Zilith avait été mise de côté concernant les affaires. Non content d’avoir été caché aussi bien à cause de son apparence étant enfant, que de son pouvoir étant adulte, c’était à Ayden, son grand frère, qu’incombait la reprise de l’affaire familiale. De plus le commerce, les négociations ou le marchandage n’étaient pas des domaines qui lui étaient familiers. Peut-être aurait-elle pu espérer gérer les stocks. Son sens de l’organisation ainsi que sa bonne mémoire aurait sans doute pu lui être utile. - Ayden saurait peut-être vous en dire plus. Vous devriez lui demander… Marmonna-t-elle tout en joignant les mains dans son dos. - Mais je pense qu’ils étaient plutôt amis… Braedon, lorsqu’il venait, n’avait pas l’air de celui qui vient pour affaire. Finalement elle haussa les épaules et regarda le sol en rougissant. - A-a vrai dire je n’en sais rien. Pas plus qu’elle ne savait comment Braedon avait perdu la vie. Il y avait bien eut quelques échos ci et là mais les versions étaient toujours différentes.
- J’ai entendu parler d’un accident en mission. Les nobles des alentours en parlaient il y a quelques temps. Mais les rumeurs se sont vite tus. Alors… Je ne sais pas. Puis pour la première fois elle tourna franchement la tête dans sa direction à la recherche de réponses. - Je... Peut-être voulez vous... En-en parler ?
Visiblement, elle ne semblait pas trop impliquée dans les activités de sa famille. Ni trop impliquée dans tous les ragots ou autres jeux de pouvoirs qui pouvaient prendre place. Elle avait un peu de mal à évaluer la rose, là où son regard acéré arrivait en général à déceler quelques motivations sous-jacentes dans les mots ou les gestes d’une personne… Ce n’était pas le cas pour elle. Même si la rose semblait complètement opposée à Amaryllis, elle ne pouvait s’empêcher d’y déceler une sorte de similarité dans leurs comportements respectifs. Une façon de se protéger soi-même, d’autre chose.
Néanmoins, la mention d’Ayden lui en dit un peu plus sur qui elle était. C’était un nom qu’elle connaissait, un ami de Braedon, noble. C’était un chic type, et elle n’avait pas de nouvelles de sa part depuis l’incident. Ni bonnes, ni mauvaises, juste rien. S’était-il éloigné d’elle pour préserver sa réputation envers de l’entourage de Braedon tout en gardant ses pensées pour lui? Ou bien est-ce-qu’il la détestait tout autant que les autres, mais était-il juste assez droit dans ses bottes pour ne pas avoir rajouté plus de poids sur les épaules de la rousse?
« Ah, tu es la petite sœur d’Ayden? Je ne l’ai pas croisé souvent, mais c'était un bon ami de Braedon... »
Un fin sourire mélancolique étira ses lèvres, se remémorant de quelques discussions à ce sujet, et de quelques taquineries échangées. Comme quoi la demeure des Hesediel était un peu sa seconde maison lorsqu’Amaryllis était en mission. Évidemment, lorsqu’il allait lui rendre visite, il avait dû croiser la route de Zilith plus d’une fois. Et visiblement, ne lui avait pas laissé une mauvaise impression puisqu’elle venait encore fleurir sa tombe après tout ce temps.
Son regard croisa le sien, pour une demande qui laissa planer un petit silence, laissant le temps à la rousse de réfléchir. Elle en parlait assez peu, et, à vrai dire, préférait ressasser sa rancœur et détourner le sujet lorsqu’il arrivait sur la table. Elle n’avait eu personne pour en parler, et peut-être s’était-elle persuadée elle-même ne pas en avoir besoin. Même si maintenant, c’était sûrement trop tard, elle avait tout de même envie, pour une fois, d’exposer sa version.
« C’était cette saison froide, au début de l’année. Une belle journée. Un convoi, précieux, assez pour que mon père se déplace en personne pour en assurer la protection. Braedon en faisait partie aussi, en tant que représentant et héritier du commerce de sa famille. Même moi je n’ai pas été mise au courant de ce qu’on transportait exactement ce jour-là... »
Elle avait pu faire ses suppositions et avait bien quelques idées, mais c’était certainement quelque chose de très important pour son commerce vu les moyens déployés. Par eux, comme par les gens les ayant attaqué.
« On est tombé dans une embuscade, mais ce n’était pas de simples brigands, ni des amateurs. C’est ce que j’ai pensé au début, mais c’était des combattants hautement entraînés, avec des pouvoirs martiaux imprédictibles. J’ai été gravement blessée dans la mêlée, et j’ai perdu connaissance. »
Elle en restait principalement aux faits, presque comme si elle récitait un simple rapport, même si elle marqua un petit temps d’arrêt, tournant un peu la tête pour laisser son regard se perdre au loin. Elle se rappelait parfaitement de son réveil. De chaque mot, chaque question, chaque geste, chaque réponse. Chacun plus douloureux que les plus douloureuses des blessures qu’elle avait pu recevoir, comme si tout son être se consumait dans un mélange de désespoir et de rage infini. Un nouveau petit silence, sa gorge serrée.
« Quand je me suis réveillée, il n’était plus là. Certains racontent qu’Yrvin, mon père, aurait préféré me sauver moi plutôt que Braedon. »
Nouveau silence, son regard s’était reposé sur la tombe du concerné. Tout aurait été tellement plus simple si c’était elle qui était morte. Pas de scandale, juste une attaque déjouée, payé dans le prix du sang d’honnêtes mercenaires et de braves hommes morts pour protéger quelque chose qui leur était complètement inconnu. D’autres pertes qui n’ont même pas traversé l’esprit de nombreux nobles s’étant emparés du scandale.
« L’attaque a été déjouée, au prix de nombreuses vies. Dont la sienne. Je n’ai jamais su ce qu’on transportait, ni qui était ces gens ou quel était leur objectif. Ce que je sais, c’est qu’on m’a fait porter la responsabilité de sa mort. On m’a traîné dans la boue, simplement parce-qu’il fallait traîner quelqu’un dans la boue, qu’il fallait un responsable pour ce fiasco. »
Comme à l’époque, son ton ému avait laissé place à une noirceur intimidante, des mots plus froids et plus secs, empreints de colère et d’une envie de vengeance. Elle serra les dents, n’aimant pas devoir dire ce genre de choses. Être à fleur de peau ainsi lui donnait l’impression d’être faible.
Et elle détestait cette impression.
« Si tu écoutes ces langues de vipère, ils te diront que c’est ma faute, entièrement. Que c’était de simples bandits. Que j’ai précipité le chaos de la bataille et offert une ouverture à un assassin. Mais est-ce-que c’est vraiment moi qui l’ai tué? Ai-je vraiment son sang sur mes mains comme beaucoup le pensent…? »
Elle regarda ses mains, figurativement tachées de sang, elle avait déjà enlevé des vies en devant se défendre elle ou bien un noble. Même si ces occasions étaient rares. Tel était le poids que devaient porter les mercenaires de Tylwaen, ou que devaient porter certains gardes. Mais aucune épaule humaine ne saurait supporter le poids d’avoir le sang de sa moitié sur les mains.
- Il était votre père… Bredouilla-t-elle timidement. - C’est normal qu’il ait voulu sauver sa fille. Oui, n’importe quel père choisirait son enfant, au détriment de celui d’un autre ou de la raison, c’était évident et Zilith trouvait particulièrement cruel que qui que ce soit s’en prenne à celui qui reste. Ses sourcils se froncèrent imperceptiblement. Elle se sentait triste pour Amaryllis, elle aurait voulu redresser la balance de la vie, changer cette injustice. Malheureusement c’était impossible. Peut-être aurait-elle pu faire quelques choses si elle s’était trouvé sur place. Au delà de son apprentissage de la médecine que lui dispensait Luz Weiss, son pouvoir renfermait des propriétés qui auraient pu changer la donne. C’est pour ce genre de raisons qu’elle avait accepté d’entrer dans les ordres de l’Astre.
- Vous savez… Je ne pense pas qu’il aimerait vous entendre penser a-ainsi. Les seuls responsables ce sont ceux qui s’en sont prit à vous. Braedon le sait. Peut-être que les gens ne parlent que par colère. La haine nous fait souvent agir… De la mauvaise façon. Un sourire triste étira ses traits. - Vous êtes fortes Amaryllis, plus que vous ne l’imaginez. Ne vous laissez pas parasiter par ce qu’ils pensent. Ca ne vous apportera rien de bien. Tendant la main, elle tapota timidement son épaule avant de la ranger à nouveau dans son dos.
- Je suis bien la petite sœur d’Ayden. Une grimace passa sur ses traits et elle fixa de nouveau le sol. - Ne dites à personne que vous m’avez vu. S’il vous plaît. Ni à mon frère, ni mes parents… Ce serait… Problématique… Murmura-t-elle. Le silence entre elles s’étira longuement avant que Zilith ne daigne reprendre la parole. - Voudriez vous prendre un thé en ville ? Cela sera sûrement plus confortable qu’un… Cimetière… Se faisant elle lui présenta l’allée en gravillon qui s’étendait dans leur dos, attendant de voir si elle souhaitait se joindre à elle.
Une part d’elle pouvait comprendre la façon dont il avait agi, mais il avait pourtant aussi été de ceux ayant traîné sa propre fille dans la boue et dans la disgrâce. Tentative de renforcer sa position de commandant fragilisé par ce fiasco, ou pression de ses pairs et de la noblesse? Elle n’en avait pas grand chose à faire de ses raisons à vrai dire. Il l’avait tiré des griffes de la mort pour la plonger dans un enfer encore pire ici sur terre. Et rien que pour cela, il méritait toute sa haine. Lui, comme tous ces autres péteux.
« C’est un vieux con pétri de principes, qui passe la majorité de son temps à les rappeler à tout le monde. Ca aurait été plus simple qu’il les suive, cette fois. Surtout si c’est pour ensuite rejeter les responsabilités sur moi. »
Le principe de la chose avait été difficile à supporter dans un moment déjà très difficile. Et voir sa propre famille se tourner contre soi alors que l’on avait déjà à affronter la perte d’un être cher, cela avait été dévastateur pour elle. Et l’ancienne mercenaire n’en avait rien à faire de leurs raisons. Elle ne voulait pas les abattre de sang froid, mais si elle pouvait les traîner dans la boue à son tour, elle ne s’en priverait pas. Peu importait la haine et la colère qui continuaient de bouillonner en elle. Elle ne savait pas Braedon lui en voulait aussi, ou pas. Peut-être que non, c’était ce qu’elle s’était dit. Mais il n’était plus là de tout de façon, et ne serait plus jamais là.
Même si les mots de la rose avaient du sens, ils arrivaient trop tard. C’était comme essayer d’éteindre des braises en espérant sauver un arbre déjà consumé depuis longtemps. Si elle ne poursuivait pas dans sa direction, que pourrait-elle alors faire? Comment aller de l’avant? Comment trouver un sens à son existence si ce n’était la poursuite de cette vengeance? Sa vie tournait presque exclusivement autour de son couple et de la compagnie familiale. Et les deux lui avaient été enlevés. Ses relations n’étaient qu’un pathétique moyen d’essayer de passer à autre chose, sans franc succès. Sa débauche un pathétique moyen d’oublier son passé. Comme si au final son nouveau travail et sa nouvelle vie pouvaient constituer un nouveau départ.
Elle acquiesça à sa proposition de potentiellement continuer de parler autour d’une tasse de thé. Preuve qu’à priori la rose était un minimum intéressée. Et à vrai dire, sa position vis-à vis de sa famille était intriguante. Même si ils n’étaient pas tellement responsables de ce qui était arrivé à Amaryllis, ils étaient sûrement encore des partenaires commerciaux de la famille de Braedon. Une famille, qu’elle voulait, elle, atteindre. Peut-être pourrait-elle exploiter quelque chose chez la rose, même si elle ne voulait pas lui attirer de problèmes pour autant.
« Je n’en parlerai pas, vous pouvez compter sur moi. Je ne suis pas certaine d’avoir affaire à eux avant quelques temps de tout de façon. Mais un salon de thé sera effectivement un meilleur endroit pour continuer cette discussion. »
Les nuages étaient toujours bien présents, mais les températures n’étaient pas désagréables. Quoi qu’il en était, trouver ce qu’elles cherchaient avait été plutôt simple, et elles s’installèrent donc à une table en extérieur, loin d’autres clients et de potentielles oreilles indiscrètes.
« Mais pourquoi vous être éloignée de votre famille de votre côté, si ce n’est pas trop indiscret? La noblesse a toujours des coutumes un peu pesantes et vous ne seriez pas la première à essayer de les fuir… Mais chacun a ses raisons. »
Après tout, c’était courant que certains ne décident de prendre la route en tant qu’aventuriers ou ne changent entièrement de domaine et de vie. Peut-être à la recherche de sensations fortes, ou bien d’une vie plus calme et loin des intrigues et autres négociations. Amaryllis avait, elle, décidé de plonger dans ce milieu toute entière. Même si elle avait encore besoin de renforcer son réseau et ses influences.
La saison chaude annonçait déjà sa venu depuis quelques temps, en témoignait le vent chaud qui balayait le sol de pavé de la capitale. Ainsi, si les nuages épais cachaient les rayons du soleil, le temps n’en restait pas moins agréable. Bien volontiers elle s’installèrent à une table en extérieur. Cela faisait un moment que Zilith n’avait pas prit le thé dans un salon aussi cosy. Elle en fut ravie.
- Je n’ai pas de mal avec… Les coutumes de la noblesse. Elle faillit ajouter qu’elle n’avait, de toutes façons, jamais été présenté à la société. Les gens savaient Ayden doté d’une sœur, certain connaissaient son prénom mais presque aucun ne pouvait se targuer d’avoir jamais croisé son visage. Les rumeurs avaient été bons trains au début. D’aucun pensait qu’elle était si laide que les siens préféraient la cacher -et à une époque cela put être vrai-, d’autres disaient que sa mère était d’une nature extrêmement protectrice maintenant que Zylan était stérile. Il y avait de la vérité dans tout les dires mais rien qui ne la toucha jamais complètement. Zilith elle même n’aurait su donner une réponse clair sans aucune zone d’ombre. Elle ne le souhaitait pas non plus. - J’avais besoin… De… Hum… A ce instant un serveur les interrompit. L’hybride commanda pour son compte un thé à la violette. L’homme prit ensuite la commande de sa compagne puis tourna les talons.
- J-j-e dirais simplement… Hum... que je souhaitait une chose que je ne pouvais posséder. Longtemps. Jusqu’au jour où j’ai décidé de m’en éloigner pour ne plus le convoiter. Elle se tut. - Oui je pense que c’est cela, ma dame. Ses yeux se levèrent sur la foule, l’air de réfléchir. - Sans ça ma famille ne m’aurais pas laissé m’en aller, je n’avais pas le choix. J’ose croire qu’ils ne sont pas inquiets et s’ils ne sont pas sot comme je le crois, ils n’auront pas lancé de recherche ouvertes à mon sujet. Ils auraient trop peur que de mauvaises personnes me prennent en chasse… Alors qu’en gardant son anonymat, Zilith avait toutes les chances du monde de passer inaperçue. Néanmoins, elle n’était pas sans ce douter qu’ils la cherchaient. Par des moyens détournés et en toute discrétion mais ils la cherchaient et elle ne tenait pas à ce qu’ils le retrouvent.
Jambes croisées, adossée dans son siège, elle semblait s’être trompée sur son compte. Même s’il y avait en effet quelque chose de louche, elle ne pouvait pas non plus insister pour savoir exactement de quoi il en retournait. Zilith semblait être une personne timide et assez renfermée, ce qui était l’exact opposé d’Amaryllis. La plupart des nobles chargés de reprendre leur entreprise avaient souvent les dents longues et un minimum de cette ambition que leur avait imposé leur famille, mais ce n’était pas toujours le cas des cadets. Et si le verbe de l’hybride était délicat, c’était comme s’il manquait d’une flamme vive prête à brûler tous les obstacles se mettant sur sa route.
Même si elle ne savait pas ce qu’elle convoitait, elle savait qu’elle n’aurait certainement pas agi de la même façon. Elle avait toujours été fière et prête à défendre ses idéaux et sa volonté l’arme à la main, même par le passé. Ce qu’elle voulait, elle comptait bien faire son possible pour l’avoir, aussi inaccessible que cette chose puisse être. En attendant, elle ne savait pas vraiment ce qu’elle voulait de la part de ce salon de thé, et fut un peu prise au dépourvu par le serveur.
« Un… Earl Grey. »
Il fallait dire qu’elle ne s’y connaissait pas en thé, et que c’était le premier nom qui lui était passé par la tête. Principalement parce-que Braedon en buvait assez souvent. Amaryllis, elle préférait en général son thé avec du brandy dedans, mais la rouge décida de faire une exception pour cette fois, parce-que certainement que le serveur - tout comme Zilith - l’aurait regardée bizarrement à une telle annonce. Question d’habitude de sauvegarder une bonne image d’elle-même, aussi, dans ce genre de situations.
Elle comprit d’ailleurs aussi un peu mieux sa situation. Fugitive, mais pas forcément recherchée par le tout venant. Pas de prime ou de récompense officielle, d’une famille qui tient certainement encore à elle. Il était vrai que n’importe quel malfrat pourrait transformer cet avis de recherche en rançon. Amaryllis plaça sa main au niveau de son menton, réfléchissant un court instant pour essayer de cerner à nouveau quel genre de noble était les Hesediel. De mémoire, ils n’étaient pas des rapaces dangereux à éviter, mais plutôt une famille droite dans ses bottes. Peut-être se trompait-elle. Mais cela semblait coller avec l’impression de la rose.
« Ont-ils seulement le droit de vous ramener contre votre volonté? S’ils ont des nouvelles, même si ce n’est qu’une fois, ne vous laisseront-ils pas tranquille? Enfin, ce n’est certainement pas aussi simple, mais d’autres ont décidé de changer de vie du jour au lendemain. »
Rien n’était jamais aussi simple, et, dans tous les cas, ses affaires de famille ne la regardaient pas vraiment, du moins pour le moment. Amaryllis s’était certes un peu ouverte à la rose, mais même si elle en avait beaucoup dit sur elle, il ne fallait pas non plus qu’elle arrive à déceler qui elle était réellement devenue. La dernière chose dont elle avait besoin était de gens capables de la faire chuter loin de son contrôle, des gens n’ayant rien à y perdre et tout à gagner en la vendant.
Amaryllis détourna légèrement le regard alors que le serveur venait leur ramener leur commande, hochant légèrement la tête pour le remercier, avant de reporter son regard vers sa tasse. Une meilleure ambiance que dans un cimetière, c’était certain. Elle savait que les problèmes de famille dans la noblesse avait souvent tendance à déborder en ragots en tout genre. Dans le cas d’Amaryllis à ce sujet, le mal était de tout de façon déjà fait.
« Enfin, vous devriez déjà avoir des connaissances prêtes à vous aider, non? Ou des plans pour le futur? »
Après tout, la vie à la Capitale n’était pas gratuite non plus, et si elle ne touchait plus de cristaux de sa famille, elle devrait bien trouver un moyen de subvenir à ses besoins. Elle n’avait aucune idée de quels plans Zilith avait prévu pour son futur. Amaryllis savait plus ou moins dans quoi elle s’était engagée et ce qu’elle visait. Et touchait un salaire largement suffisant pour avoir une vie confortable seule. Assez pour avoir une maison calme dans un quartier assez aisé de la capitale et une domestique assez discrète.
Le liquide chaud dévala dans sa gorge comme une traînée incandescente, qui la fit grimacer. Heureusement le goût de la violette l’emporta sur la douleur et elle réussit à ne pas recracher son breuvage au visage de sa camarade.
- Je… J’ai… Elle toussota grassement une fois le breuvage avalé. - J’ai une amie. Et un mentor. Peut-être en connaissait vous l’une des deux. La première se prénomme Astrid Dalgaard et la seconde Luz Weiss. Ce sont de bonnes personnes qui m’ont beaucoup aidé ! Un sourire s’imprima sur ses traits et subitement son visage rayonna. - Miss Weiss m’enseigne les base de la médecine et des soins magiques. Je viens tout juste d’intégrer les ordres de l’Astre de l’Aube. Zilith délaissa complètement sa tasse de thé pour se concentrer uniquement sur leur échange. - J’aspire à devenir Ailière si un jour j’atteins le niveau. Ou peut-être choisirai-je une vie de nomade… Peu importe ! Elle balaya l’air de sa main, chassant ses idées et rêves encore bien loin de la réalité. - Je ne suis pas seule. Je l’ai été mais Lucy à voulu que je rencontre des personnes qui m’ont tendu la main.
De nouveau son attention se reporta sur la tasse encore fumante qu’elle porta à ses lèvres. Cette fois le liquide était à la température idéale et elle en bu une longue gorgée.
- Et vous Ma dame Amaryllis, que faites vous ? Un simple regard effleura son regard améthyste avant de se replonger dans la contemplation du sol et du thé.
L’ancienne mercenaire attendait un peu avant de profiter de sa boisson, sûrement encore un peu trop chaude comme la réaction de son interlocutrice sembla le confirmer. Elle ne fit aucune remarque supplémentaire, écoutant encore ce qu’elle avait à dire. L’astre de l’aube, elle en avait déjà entendu parler et s’intéressait grandement à ce qu’ils pouvaient apporter à la Garde. Les médecins de combat existaient mais beaucoup de garde n’avaient une connaissance que très limitée des gestes de premiers secours. Voir utilisaient des méthodes personnelles un peu expérimentales…
Le nom d’Astrid Daalgard lui était par contre totalement inconnu, même si celui de Luz Weiss était certainement déjà passé sous ses yeux. Elle n’avait rencontré aucune des deux. En mission sur le terrain, la rose ferait certainement une mauvaise recrue, même si elle pourrait être réconfortante en dehors de l’action. Enfin, son but n’était pas de renflouer les effectifs de la garde, et si elle souhaitait entrer en contact facilement avec Dame Weiss, peut-être que cette rencontre fortuite pouvait l’y aider. Bien qu’une demande officielle de la part de la Garde aurait certainement suffit en elle-même. Peut-être que Zilith pourrait toujours y donner un peu plus de poids.
« Je travaille pour la Garde, sans vraiment en faire partie. »
Une distinction qui pouvait paraître étrange mais qui avait son importance pour Amaryllis. Elle avait gardé une partie de cette appréhension et de ce dédain pour les gens comme pour l’institution pour laquelle elle travaillait. Peut-être que lorsqu’elle aurait mené à bien la plupart des changements elle pourra les voir d’un nouvel oeil. Ou peut-être que son travail sera-t-il vain à long terme. Difficile à dire.
« Disons que le Royaume me charge de trouver les axes et des méthodes d’amélioration pour les rendre plus efficaces. Sur un peu tous les domaines. »
La rouge prit d’ailleurs le temps de boire une petite gorgée de son thé. Peut-être un peu fade, sans liqueur pour le complémenter. Pas horrible pour autant. Certainement très bon pour les amateurs de thé. Reposant tranquillement la tasse dans la petite coupelle décorée de petites fleurs, elle reporta à nouveau son regard vers la noble.
« Notamment, beaucoup de gardes pourraient bénéficier d’un apprentissage plus poussé en premiers soins. Tout comme des médecins de combat sont toujours des profils rares et recherchés. »
Bien entendu, elle ne ciblait pas Zilith dans cette affirmation, mais elle parlait bien de la formation des membres de la garde ou du recrutement de combattants capables de sauver leurs frères d’armes en cas d’accident. Là où les aventuriers se devaient d’être autonomes dans leurs missions le plus souvent, la garde pouvait bénéficier d’une spécialisation, puisque les gardes travaillaient majoritairement avec leur unité. L’entraide était donc bien plus importante.
« Je ne connais pas d’Astrid Daalgard, mais le nom de Luz Weiss ne m’est pas inconnu, même si je ne l’ai jamais rencontrée. J’aimerai bien m’entretenir avec elle un jour prochain, d’ailleurs. Peut-être pourriez-vous m’en dire un peu plus à son sujet? »
Comme dans ses missions, Amaryllis n’aimait pas avancer sans informations. Connaître son ennemi était essentiel et c’était une leçon qu’elle avait appris récemment de la plus dure des façons. Même si elle ne jouait rien de grave dans une telle entrevue, y aller aveuglément restait le meilleur moyen de faire un faux pas. Alors autant en apprendre le plus possible sur la fondatrice de l’Astre de l’Aube.
Ce fut le visage de Luz, rayonnant et espiègle comme celui d’une renarde qui la tira de sa torpeur. Elle ne pouvait se targuer de bien connaître dame Weiss qui lui faisait plus penser à un courant d’air qu’à un humain en chair et en os. La plupart du temps Zilith la regardait s’agiter dans un calme olympien, se demandant seulement comment la jeune femme faisait pour ne pas se retrouver à ramper sur les genoux à la fin de la journée. Au début, découvrir une noble avec un tel comportement l’avait heurté. Loin des mœurs que lui avait inculqué les siens, elle s’était longtemps demandé si la rouquine avait l’étoffe de son rang ; force été de constater que oui et peut-être bien plus que la majorité des nobles dans ce pays.
- C’est une véritable tornade ! S’exclama-t-elle avant même que son cerveau ne réalise ce qu’elle venait de dire. - Elle est vivante… Elle rougit. - Enfin évidement qu’elle est vivante mais...Un long soupir franchit la barrière de ses lèvres. - Vous comprendrez en la rencontrant. Et c’est une bonne médecin. Vous devriez la rencontrer, je suis certaine qu’elle en serait ravie ! Elle se tortilla sur sa chaise avant de recommencer à boire dans sa tasse qu’elle reposa ensuite dans un tintement de porcelaine presque imperceptible. - Dites moi, que faut-il pour rejoindre le corps des guérisseurs de la garde ? Si sa voix avait parut chevrotante et hésitante jusqu’ici, cette phrase lui échappa avec toute la fluidité dont elle était capable. Ses yeux, d’un bleu vert profond, s’allumèrent d’une flamme inquisitrice en attendant la réponse de son vis-a-vis et le coin de ses lèvres se souleva légèrement.
Elle semblait plus détendue - peut-être encore hésitante - mais moins effrayée. C’était certain que l’ambiance n’était plus vraiment la même, attablées à une terrasse d’un salon de thé tranquille, et plus devant le dernier lieu de repos d’un être cher. Mais quelle était la bonne façon d’appréhender une tornade? Amaryllis avait toujours eu un peu plus de mal avec ce genre d’éléments turbulents - Même si elle en avait été un elle-même fut un temps.
« J’irai lui rendre une petite visite, tôt ou tard. Je m’attendais déjà à quelqu’un de plus… calme, donc merci du conseil. »
Non pas que ça la dérangeait plus que cela. La rouge avait senti une certaine admiration dans la voix de Zilith envers la fondatrice de l’Astre, ainsi qu’un certain respect. Des qualités indéniables de tout dirigeant que de savoir commander ces deux émotions chez ses suivants.
La suite fut légèrement plus étonnante alors que Zilith posa une nouvelle question sans la moindre hésitation. Un peu comme si elle lui avait échappé, tout comme sa première impression sur Dame Weiss. A vrai dire, Amaryllis ne pensait pas que la rose était du genre à être vraiment intéressée par la garde. Son air, même, avait changé, comme si elle venait d’allumer une flamme dans l’esprit de son interlocutrice. L’ancienne mercenaire haussa un sourcil, légèrement étonnée, liant ses mains devant elle en gardant ses jambes croisées, observant quelques courtes secondes Zilith.
« Pour le moment, simplement passer la formation de l’académie de la Garde, puis convaincre son lieutenant ou son capitaine de ses compétences médicales. Qui sont apprises en général en dehors du cursus, mis à part les premiers soins - ce qui n’est pas vraiment suffisant dans la vision que j’en ai. Mais le rôle n’a rien de vraiment officiel pour l’instant. »
Amaryllis ne voyait pas vraiment la jeune noble derrière le front d’un assaut, prête à s’interposer entre l’un de ses camarades blessés et un ennemi pour ensuite le traîner en sécurité au péril de sa vie. C’était un des rôles les plus nobles, et pourtant les plus difficile mentalement tant chaque perte pouvait être douloureuse sous le poids des responsabilités. Car si la responsabilité de la vie de ses hommes était avant tout celle du commandant, celle de permettre aux blessés de voir un autre jour était celle du médecin.
« Et je ne parle pas ici de l’infirmier de caserne qui est là pour s’occuper des petits tracas du quotidien. Mais bien d’un garde de terrain prêt à mettre sa vie en jeu pour sauver celle de ses camarades, et celle des citoyens du royaume. Capable de prendre les meilleurs choix dans des situations de vie ou de mort. Certainement un des rôles les plus difficiles mentalement, et physiquement aussi. »
Elle laissa un petit silence, assez curieuse de savoir ce que Zilith pourrait bien en penser. Même si elle ne trouvait pas vraiment la rose digne de tenir les armes ou d’affronter une situation critique sans faire d’erreurs, il y avait quelque chose dans son regard qui l’avait intrigué. Une volonté qu’elle avait cru totalement absente de son esprit, et qui refaisait surface sans qu’elle ne sache vraiment comment ni pourquoi.
« Néanmoins je compte bien formaliser ce rôle dans le futur, mais cela nécessite aussi de former certains éléments de la nouvelle génération de garde à la médecine. C’est pour cela que j’aimerai bien m’entretenir avec Dame Weiss à l’occasion. »
Ou bien de former certains médecins au combat, Amaryllis n’avait jamais vraiment pensé à voir les choses sous cet angle. Elle considérait surtout que le plus important restait la discipline martiale qu’imposait le poste, et était naturellement partie sur un profil initial de soldat pour cela. Comme la grande majorité des postes qu’elle avait pu prévoir, à vrai dire. Mais c’était aussi dû à son éducation et ses valeurs. Les civils étaient un peu une classe à part à ses yeux.
Elle avait déjà pensé à intégrer des médecins civils dans certains expéditions, mais, même si leur utilité était indiscutable, ils étaient encore un civil de plus à protéger dans des situations parfois très difficiles, et incapables d’aller chercher les blessés au front face à une bête sauvage ou un groupe de bandits retors. Alors que parfois, cela se jouait pendant ces quelques secondes qui étaient perdues.
« Je dirai que le plus important, après les compétences, c’est de ne jamais se laisser gagner par la panique ou la peur. Avoir un mental d’acier même dans les pires des situations. »
Elle n’allait pas l’interroger sur cet intérêt soudain - c’était après tout peut-être simplement un élan de curiosité et non pas une vocation. Même si elle pouvait imaginer que cumuler le rôle de garde et celui de médecin était un bon moyen en apparence d’aider son prochain. Est-ce-que c’était là le désir de la rose? Amaryllis ne l’imaginait pas du tout avec une arme entre les mains, même en tant que médecin légèrement en retrait du combat.
Les yeux de Zilith étaient fixé sur le visage d’Amaryllis. Ses pensées se bousculaient en un maelstrom d’émotion épouvantable. Partagée entre cette idée en train d’éclore dans son esprit et toute la crainte qu’elle lui inspirait. Serait-elle jamais capable de se tenir sur un champ de bataille ? De se jeter aux devant des dangers pour sauver ses camarades ? Quitte à ce que cela lui coûte la sienne ? Etait-elle capable d’une telle abnégation ? Elle n’avait pas la réponse à toutes ces questions. Mais quelqu’un pourrait les avoir… D’un coup d’un seul, elle s’extirpa de sa chaise et déposa une bourse sur la table.
- Je… Je… Je crois que… Balbutia-t-elle en ajustant son sac sur son épaule. - Il faut que… Je dois voir Mademoiselle Weiss ! M-merci ! Amaryllis ! Elle s’inclina bassement plusieurs fois de suite avant de tourner les talons si vite qu’elle manqua de se faire un croche patte et de percuter le serveur. - Revoyons nous ! Enfin non ! Si ! Oh par Lucy ! Je serais ravi de vous revoir ! Mais je dois y aller ! Et sans demander son reste, elle prit la poudre d’escampette.
Ses mots, apparement, eurent plus d’impact auprès de Zilith qu’elle n’aurait pu le penser.
Venait-elle de la casser?
C’était ce qu’elle se demandait, à vrai dire, alors que Zilith s’était plus ou moins figée. Amaryllis était bien incapable de savoir ce qui passait dans la tête de la noble en ce moment précis - elle avait d’habitude un peu moins de mal à lire dans le comportement des gens. La rose restait un sacré mystère. D’un coté, c’était souvent le cas dans la noblesse, les gens qui en faisaient partie - Amaryllis comprise - étaient souvent plus faux, plus artificiels. Même si ça n’avait pas l’air d’être le cas de Zilith qui semblait plutôt honnête, mais aussi à fleur de peau. Mais il y avait quelque chose qui perturbait toujours la consultante de la garde.
Enfin, peu importait, à vrai dire. La rouge ne s’était engagée en rien, si ce n’était de garder cette petite entrevue secrète auprès de sa famille. Quelque chose qui ne serait pas bien difficile, elle ne parlait que rarement de ce genre de choses sur tous les toits. Enfin, uniquement quand la chose servait ses intérêts, et dans ce cas, ce n’était clairement pas le cas.
Zilith, de son côté, semblait confuse, et, avec quelque chose derrière la tête, décida donc de s’empresser d’aller retrouver Dame Weiss au pas de course en lançant une bourse pour payer derrière elle. Amarylis n’eut pas vraiment le temps d’en placer une, un sourcil légèrement relevé, alors qu’elle l’observait partir à toute vitesse.
« Hum… De rien, je suppose? »
La rose était déjà parti bien au-delà de la distance pour entendre cette réponse. Il fallait dire que cela avait laissé la rouge pour le moins pantoise. Peut-être se recroiseraient-elle, après tout. Dans les environs, ou auprès de Dame Weiss. Voir à la garde, selon ce qu’elle avait tiré de ses informations…
Amaryllis, de son côté, se chargea de régler la note, avant de retourner vaquer à ses occupations. Même si cette rencontre lui avait un peu faite oublier la première raison de sa présence ici, elle n’oubliait pas pourquoi elle s’engageait sur cette voie. La vengeance était un plat qui se mangeait froid.