Les informations du Lotus sont p’tet bonnes, franchement, on sait pas. Si j’trouve que dalle, on saura jamais, d’ailleurs : j’serai p’tet juste passé à côté d’un truc, ou arrivé trop tard. J’essaie de pas y penser, alors que j’presse le pas, à la sortie du portail de téléportation. C’est qu’il pince, comme toujours, dans le grand nord. Pas comparable aux montagnes ou à l’autre côté de la Frontière, évidemment, mais à se demander comment des gens peuvent choisir de vivre chichement ici alors que des climats plus tempérés, voire carrément chauds, existent plus au sud.
Ou même plus proche de la mer, qui régule vachement la température.
Alors ça mine, ça chasse, ça fait les trappeurs, et on est bien content quand les babioles arrivent à la Capitale et plus loin, j’dis pas. Mais, putain, ce qu’il caille toujours, quoi, sans parler de la neige. Ma carrière de criminel aurait été courte, quand tu peux pas faire trois pas sans laisser des traces partout. Quoique, j’aurais pris un objet spécifiquement fait pour marcher sur la neige sans laisser d’indices, ou un truc du genre.
J’me pointe chez le Blizzard, l’ancienne division du Glaçon du nord. Elle était frileuse : jamais la nuit sans son pyjama qui couvrait chaque centimètre de peau. J’l’ai jamais raconté à Jack. J’vais p’tet éviter, ou alors dans vingt ans quand il jouera à la balle avec ses gamins, avec sa femme qui le regarde amoureusement de loin. En tout cas, c’est trop tôt.
Bon, évidemment, toutes ces pensées oisives qui s’enchaînent et s’entrechoquent, c’est pour pas penser à ce qui est vraiment important et qu’a eu lieu dans le coin : l’histoire avec Damoiseau, et la nana qu’on a ramassé aux termes après avoir failli y passer. Il l’a découpée salement. Mais j’me distrais toujours, l’impression de me fuir moi-même.
D’une certaine façon, c’est ici que pleins de trucs ont commencé dans ma carrière d’espion : les contrebandiers et leur sertrêfle, un début de nuit avec Zahria, pour finir avec le cadavre d’une gamine au quartier général de la Capitale. Du coup, ça me fait toujours bizarre de revenir ici. On sait qu’elle squatte pas le manoir du pôle espionnage, on aurait vu les traces, et y’a souvent des gens qui y zonent de toute façon. Mais elle pourrait être partout, j’ai l’impression de chercher une aiguille dans une botte de foin.
Et mes réseaux d’ancien vilain garçon s’étendent pas aussi loin que la Forteresse, ou en tout cas pas en profondeur. J’connais une poignée de noms, sans plus. Ça mettrait des jours, voire des semaines, pour parvenir à rentrer suffisamment dans le milieu pour creuser la piste d’une métisse aux cheveux fous en début de trentaine.
Et, toujours, si elle a pas changé d’apparence.
Donc j’me suis pointé chez le nabab local, le nouveau capitaine du Blizzard, p’tet même pas autant un glaçon qu’Elina. Dans ma besace, j’avais mon plus beau souvenir, une plaque de sergent de la régulière, et un confettis avec Höls qui dit de m’adjoindre de l’aide pour ce que j’fais, pasque c’est important. Il en a p’tet trop fait, à voir qui on m’affecte : j’suis le premier surpris de revoir Delancy, qu’est maintenant mutée ici, après nos folles aventures au fin fond de la montagne.
Peu probable qu’elle se souvienne de moi, depuis le temps.
« Salut. Sergent Vrenn Indrani, enchanté. Pour faire un topo rapide, j’suis à la recherche d’une criminelle qui, selon certaines sources, serait venue à la Forteresse il y a une poignée de jours. Taille moyenne, métisse, brune, la trentaine. Le hic, c’est qu’elle a la possibilité de changer ponctuellement d’apparence, ce qui fait que juste son apparence peut pas totalement servir à l’identifier. »
J’’m’arrête quelques secondes dans le topo pour vérifier qu’elle suit bien. Sérieuse, la fille, manquerait plus qu’elle prenne des notes. Ça m’arrangerait pas du tout, pour lui faire oublier, après, tiens.
« Dans l’idée, elle traîne avec les réseaux implantés sérieusement, donc pas les petites frappes qui font du racket, de la vente sous le manteau et du vol à l’étalage. On est plutôt sur de la pègre. Et comme j’ai pas de contacts dans le Nord, les patrons ont décidé qu’on allait me donner un peu d’aide… à savoir toi. Tu vois le genre ? »
J’suppose qu’elle a des indics, ou la possibilité d’avoir des informations directement. Sinon, j’sais pas, j’demanderai quelqu’un d’autre. Si elle pouvait être aimable, déjà, ça serait un bon début, pas comme la dernière fois.
Enfin, c’est que le boulot, on n’est pas là pour faire ami-amie.
Frottant ses paupières appesanties, la garde finit, au prix d'un certain effort, par réussir à émerger de sa couette, et s'attela à aller ouvrir les volets de sa chambre. Érigeant sa main en visière devant l'onde de lumière qui l'assaillit alors, elle s'attendit, l'espace d'un instant, à distinguer l'architecture familière de la Capitale – comme elle en avait l'habitude depuis maintes années - avant que le paysage qui s'offrit à elle ne lui rappelle sa récente mutation.
De hautes montagnes se dressaient, ourlées de leurs neiges éternelles et parsemées de névés d'une blancheur immuable, qui tapissaient leurs flancs rocailleux et escarpés. Ces éminences enserraient la Forteresse dans leur écrin rocheux, aussi majestueuses que vertigineuses. Dahlia, si elle ne pouvait en contester la beauté évidente – comme pour tout ce qui était façonné par la nature, et se trouvait empreint de cette majesté univoque – ne pouvait toutefois s'empêcher de les trouver quelque peu… oppressantes. Ces hauteurs formaient à ses yeux un étau, occultant l'horizon de leurs masses déchiquetées. Elles se découpaient impunément sur le cyan pur du ciel, éclairées par un soleil froid, leurs crêtes dentelées partant à l'assaut des nuages comme pour les déchirer. Ces reliefs abrupts lui paraissaient austères, et lui rappelaient combien ces versants pouvaient être difficilement praticables, défiant tout explorateur de s'y aventurer à moins d'y être vaillamment préparé. Par ailleurs, ils scintillaient d'un gel traître, qui mettait en difficulté les montures les plus enhardies - sans parler des éboulements fréquents de terrain.
Non, résolument, ces montagnes ne lui paraissaient aucunement accueillantes. Elles pouvaient à la rigueur convenir aux volatils, à même de profiter des sommets sans avoir à les gravir – une nuée de ces derniers sillonnaient d'ailleurs les airs, décrivant un ballet autour des pitons rocheux - mais Dahlia n'étant point douée d'ailes, elle était plus que soulagée de ne point faire partie des Sentinelles, la faction en charge d'y patrouiller, à la lisière de la frontière. Son terrain à elle se trouvait être la Forteresse, qui se hissait à ces hauteurs prodigieuses par on ne savait quel miracle.
Dahlia la détailla un instant, encore peu habituée à ses contours. Taillée à même la roche des montagnes, elle s'y fondait presque naturellement, tout en imposant par son envergure. Il s'agissait d'une cité fortifiée, cerclée de contreforts et probablement imprenable, si tenté qu'on cherchât à l'assiéger. Depuis la Caserne, Dahlia pouvait distinguer le lacis de ses rues, dans lesquelles se coulait une foule grouillante et bruissante de clameurs populaires, affairée à diverses occupations matinales. Les bâtiments, qui s'alignaient de part et d'autre des rues, présentaient d'affriolantes devantures afin d'attirer les badauds. En ouvrant la fenêtre, Dahlia put humer les effluves de pain chaud émanant de certaines boulangeries, avant qu'un crottin lâché sans crier gare par un cheval, non loin de là, ne vint gâcher son extase olfactve, et ne la poussât à se détourner de sa contemplation.
Après s'être préparée et avoir revêtu ses habits du jour – une tenue simple de cuir ébauchée par son déguisement magique, qu'elle avait jugé bon d'enfiler, en vue de l'enquête qui allait lui incomber – elle rejoignit le binôme auquel on l'avait affectée. Considérant un instant l'individu qui se tenait devant elle – un homme à la barbe soignée, trentenaire à vue d'œil, et dont le physique pour le moins ordinaire ne lui évoquait rien de particulier – elle s'attacha à l'écouter dans un silence poli et attentif, avant de prendre à son tour la parole.
« Bonjour, Sergent. » Un supérieur, voilà qu'elle allait devoir veiller à respecter le protocole, et à faire particulièrement bonne figure… Une grimace intérieure la gagna à cette pensée, mais elle n'en laissa rien transparaître. « Adjudante Dahlia Delancy, je me ferai un plaisir de collaborer avec vous, dans le cadre de cette enquête. »
Réfléchissant aux informations fournies par le sergent, elle prit quelques secondes de réflexion, avant de poursuivre :
« La pègre, dites-vous... Je pense savoir pourquoi l'on m'a assignée à vos côtés, pour retrouver cette fugitive. J'ai déjà été amenée à m'infiltrer dans ce milieu, dans le cadre d'une précédente enquête, portant sur le trafic d'une drogue dénommée Morsure de l'Incandescent. Je suis ainsi un peu familière de leurs procédures… et mots de passe. »
Il fallait souvent s'astreindre à des échanges codés, pour pouvoir communiquer dans ce milieu fangeux et gangréné, et le taux de renouvellement de ces mots de passe semblait d'ailleurs assez faible - fort heureusement.
« Sinon, j'ai de quoi passer incognito, avec mon déguisement magique, et un peigne à même de changer cette tignasse un peu trop reconnaissable. Et je dispose également d'un objet magique me permettant de faire croire un mensonge à une cible pendant une poignée d'heures, cela pourra peut-être aider. »
Un objet qu'elle n'avait pas vraiment acquis dans l'optique de s'en servir dans son rôle de garde, mais s'il pouvait s'avérer utile dans le cadre de leur présente mission…
« Une idée sur le type d'enseigne que notre cible, ou des personnes la connaissant, pourrait fréquenter, pour démarrer ? Comment s'appelle-t-elle, au fait ? »
Merde, j’ai le grade supérieur. Bon, d’un autre côté, ça veut p’tet dire qu’elle va obéir aux ordres, alors qu’on sera sur son terrain. On gagnera sûrement du temps, même si je connais pas hyper bien les locaux. J’me retiens de lui dire de m’appeler juste Vrenn. Quoique… ça lui évitera de lâcher des sergents juste nos cibles potentielles.
En tout cas, elle emballe bien : un plaisir de bosser ensemble, j’espère que nous ferons de grandes choses, quelle joie. Marrant, elle réfléchit pas du tout à qui on aurait pu connaître en commun dans la civile, mais ça m’arrange bien. J’ai quelques noms potentiels à pouvoir lâcher comme ça, et elle oubliera ensuite de vérifier, probablement. A moins qu’elle se jette sur un cristal de communication ? Mais faudrait que le garde en question en ait un aussi, et ces objets restent résolument rares et de niche, donc c’est à peu près sûr de ce point de vue-là.
N’empêche, ça nous compliquera salement la tâche, à force, tout en la facilitant par d’autres côtés.
« Ah, on peut se tutoyer, ça sera plus simple. Et tu peux m’appeler Vrenn. Moi j’t’appellerai… comme tu veux, si tu veux pas utiliser ton prénom pasque tu serais déjà un peu trop connue dans le coin, surtout si tu dois utiliser un déguisement et un peigne magiques. J’ai la même chose, mais ça sera pas nécessaire pour l’instant : personne me connaît, ici. »
Trop longtemps que j’suis pas venu, surtout. Tout le monde m’aura oublié.
« J’peux aussi donner une impression de déjà-vu aux gens, qu’ils aient l’impression qu’on s’est connu dans des circonstances qui me sont favorables, suivant les situations. Avec ça, et ton truc de mensonge, on devrait pas avoir de difficultés, j’pense, surtout si t’as déjà les contacts et les mots de passe. »
J’me demande si je devrais pas quand même changer d’apparence, juste pour être sûr que si Zahria me voit et que j’la vois pas, elle me file pas entre les doigts. D’un autre côté, c’est un peu tard pour se poser la question, j’aurais dû le faire avant de prendre le portail de téléportation… Parfois, j’suis pas bien malin, j’ai l’impression, surtout pour ce qui concerne cette affaire…
« La cible, c’est Zahria, mais c’est juste un prénom, peu probable qu’elle l’ait gardé. Pour ce qu’elle fréquenterait… Probablement des cercles assez fermés, pas la taverne du coin, quoi. P’tet des trucs un peu select, tu dois mieux voir le genre que moi. Pour les cibles potentielles de la criminelle… »
Ça m’fait tout drôle de le dire comme ça, mais c’est diablement marrant. Enfin, jusqu’au moment où on réfléchit à toutes les implications, genre le voyage par-delà la Frontière et tout ce qui va avec.
« J’dirais du chantage, du vol, plutôt sur des informations, soit historiques, commerciales, magiques, ou les artefacts rares et précieux. J’pense que c’est plutôt une bonne piste, les artefacts et le savoir magique. »
Trop de faux-positifs dans les trucs financiers : tous les marchands et nobles d’un minimum d’envergure trempent là-dedans, alors pour trouver quelque chose… J’ai essayé les mêmes pistes magiques à la Capitale, mais j’ai fait chou-blanc : c’est pas des trucs auxquels j’ai facilement accès, après tout, vu ma position d’éternel externe, a fortiori depuis que j’suis passé de l’autre côté de la barrière. Et c’est pas des cercles que j’ai voulu cultiver à l’époque où j’étais dans le milieu, j’étais plutôt branché thunes, moi.
Après un temps de réflexion, Dahlia choisit ce qu’elle veut faire, et où nous emmener. Je hausse les épaules. On est sur son lopin de terre, et c’est pour ça qu’on est là. En tout cas, si depuis sa mutation, elle a déjà des indics et des points de contact, c’est qu’elle bosse dur, y’a pas de doute. Même sous la montagne, même si elle était assez antipathique, cela dit, elle était appliquée, j’vais pas lui retirer ça.
On arrive dans une taverne proprette, le genre calme. Le mec derrière le bar a un physique mince et athlétique, et un sourire charmant avec une fossette.
« Bonjour, vous êtes deux ?
- Oui. On peut se mettre là ?
- Bien sûr. Je passe prendre votre commande. »
Ben, propre. On s’asseoit à côté d’un mur, à une toute petite table sous laquelle nos genoux s’entrechoquent. J’suis dos à la porte, j’déteste ça. Ça agite ma paranoïa galopante. J’peux pas m’empêcher de jeter des coups d’œil derrière. J’aurais dû demander à échanger.
« Vous prendrez ?
- Deux bières. Vous faites toujours du coq de Leral au vin ? Demande Dahlia.
- Possible, mais il cuit encore.
- Avec du vin des Conflans, j’en avais pris la dernière fois, assure la jeune femme. C’était du… Castelblaire. »
Il hausse les sourcils imperceptiblement.
« Je vais voir en cuisine ce que je peux faire pour vous. »
Quand il s’éloigne, l’adjudante m’adresse un signe de tête. J’suppose que le Castelblaire est le mot-clé, ou la combinaison avec le coq au vin, p’tet. M’enfin, on va p’tet avancer, du coup.
Capitale dont Vrenn était également issu, au demeurant, au vu de sa plaque indiquant ostensiblement son appartenance à la régulière. Pour autant, Dahlia n'avait jamais entendu parler de lui, ni n'avait été amenée à le côtoyer, mais cela n'avait rien de réellement surprenant. La garnison métropolitaine comptait plusieurs milliers de soldats, il était tout bonnement impossible de tous les connaître. Peut-être avaient-ils des connaissances en commun, tout au plus, mais même cette probabilité demeurait mince. Peut-être aurait-elle la curiosité de s'en enquérir, ultérieurement, mais cela ne faisait pas l'objet de ses présentes préoccupations.
Présentement, Dahlia était surtout ravie de pouvoir appeler le sergent par son prénom, et de s'affranchir du vouvoiement pour la durée de leur investigation. Cela lui épargnait le risque de commettre un impair de protocole, par mégarde. Ce dernier n'avait pas besoin de revêtir un nom d'emprunt, ni de se travestir, étant totalement inconnu des parages. En revanche, il pouvait insuffler une impression de familiarité bienvenue à ses interlocuteurs… Dahlia nota précieusement cette information dans un recoin de son esprit. S'ils ne menaient pas à bien cette affaire, avec leurs atouts respectifs, il y aurait de quoi s'interroger.
Mais, pour autant, leur enquête était loin d'être résolue. Après avoir étudié un instant les informations délivrées par Vrenn sur leur cible, dénommée Zahria, et ses habitudes, Dahlia finit par sélectionner une taverne propice à être fréquentée par cette dernière, au vu des informations qu'elle détenait sur le tissu d'adresses huppées de Forteresse. Elle rehaussa sa tenue afin d'être vestimentairement plus en phase avec le lieu – optant pour une robe d'une élégance sobre – et modifia sa chevelure pour un mi-long roux ondulé, avant de l'y conduire.
Dès lors qu'elle pénétra dans l'enceinte du restaurant, Dahlia fut happée par l'atmosphère caractéristique des lieux. Une ambiance tamisée y régnait, servie par le délicat pétillement de l'âtre qui projetait des reflets ambrés et presque liquides sur le parquet de bois magnifiquement lustré. Par ailleurs, des bougies émaillaient les tables dressées avec soin, recouvertes de nappes à la blancheur immaculée. Elles faisaient rutiler les multiples couverts s'y trouvant, aussi nombreux que la multiplicité des services attendus dans ce type d'enseigne. Les convives présents, tous habillés avec un raffinement notoire, conversaient dans des tonalités basses et feutrées, à des lieux des éclats des chants avinés que l'on trouvait dans les bouges les plus communs. Même le parfum flottant dans l'air était plus qu'agréable, laissant entrevoir les saveurs des plats servis en délivrant les délicats effluves de leurs sauces et arômes. Aucun relent déplacé d'alcool ou de sueur ne venait entacher le tableau, ce qui était presque un miracle.
Déglutissant déjà en raison de son appétit soudainement attisé, Dahlia alla s'installer à la table repérée par Vrenn. Elle crut déceler son malaise soudain, mais ne s'y attarda pas, déjà affairée à livrer le mot de passe qui descellerait les lèvres de son interlocuteur. Il s'éclipsa alors, et ce fut finalement un autre serveur qui finit par les rejoindre quelques minutes plus tard.
« Chers clients, je suis au regret de vous annoncer que nous n'avons hélas plus de coq de Leral. Auriez-vous une préférence pour un autre type de volaille ? »
Hum, c'était là qu'il lui fallait préciser l'objet de sa recherche. En s'efforçant de choisir précautionneusement ses mots, pour ne pas être interceptée par des oreilles un peu trop indiscrètes, Dahlia improvisa :
« Oh, vous savez, tant que ça chante – ou fait chanter – et que ça vole, ma foi... » Elle se remémora les autres informations fournies par le sergent. Il y avait cette histoire d'artefacts magiques, qu'elle se devait de préciser. « Nous ne sommes guère difficiles. Nous la dégusterons sans laisser la moindre… relique. Nous avons bien conscience de la valeur inestimable de vos plats. »
L'homme la considèra un instant, avant d'esquisser un sourire un brin énigmatique, teinté d'une complicité toute crapuleuse.
« Nous sommes ravis que vous ayez une telle opinion sur notre enseigne, je ferai part de vos compliments à notre cuisiner. Je pense en tout cas savoir ce qui vous plairait, une caille particulièrement savoureuse, importée de notre fournisseur basé rue de la Tisonnière, au premier étage du Talbuk Fringant. Nul doute qu'elle devrait pleinement vous combler. »
Après quelques échanges subsidiaires et avoir dégusté de cette caille farcie somme toute délicieuse – mais avalée assez rapidement pour ne pas retarder leur enquête, ce qui avait quelque peu terni le plaisir du repas – les deux gardes quittèrent la taverne. Dahlia avait laissé une coquette somme en guise de pourboire, rétribution de mise pour les informations obtenues.
« Si notre piste est bonne, notre cible doit avoir sa planque rue de la Tisonnière. À voir si elle y réside encore actuellement… » Annonça-t-elle succinctement à Vrenn, pour confirmer ce qu'il avait déjà certainement déduit.
La rue visée était, en l'occurrence, située dans un quartier bien moins riche de Forteresse que celui précédemment fréquenté. Dahlia en profita pour changer de tenue sur le chemin, retrouvant un ensemble deux pièces en cuir passe-partout. À mesure qu'ils quittaient les rues au pavement impeccable des quartiers favorisés pour rejoindre vers leur destination, Dahlia nota les changements certains qui s'opéraient dans le paysage. Le lacis des rues devenait de plus en plus méandreux, pour ne pas dire tortueux. Les voies se rétrécissaient et s'obscurcissaient, leur étroitesse ne favorisant guère l'écoulement de la lumière entre les venelles. Par ailleurs, les chambranles cagneux des maisons saillaient parfois sur la chaussée, réduisant d'autant plus l'espace. Dahlia dut louvoyer entre les pavés déchaussés, çà et là, pour ne point se tordre une cheville sur le sol inégal. Elle ne s'attarda pas sur les murs lépreux des masures, dont les façades bancales étaient dans un état de délabrement avancé. Elle évita également de jeter un œil dans l'intérieur des maisons qui se dévoilait entre leurs volets branlants, tout comme elle ne chercha à sonder les porches noyés d'obscurité. Elle évita d'autant plus le regard des passants, dont les atours miséreux exsudaient pour la plupart une odeur bien peu engageante.
Lorsqu'ils arrivèrent devant le bouge indiqué - en guère meilleur état que le reste du quartier - elle proposa :
« On devrait peut-être tenter d'y accéder par l'extérieur, pour ne pas attirer l'attention ? »
Vraiment, j’ai bien fait de m’acoquiner avec un local. Bon, c’est tombé sur Delancy, mais elle se souvient pas à quel point elle a été reloue quand on était sous la montagne. Et, du coup, à quel point c’était moi qu’avais raison quand j’indiquais la présence des monstres. De toute façon, on s’en est sorti sans casse, ça prouve bien que c’était le meilleur choix, de m’écouter. Dommage que j’puisse pas le lui rappeler histoire de lui foutre le nez dedans.
Reste qu’elle choppe les informations dont on pourrait avoir besoin, alors on graille vite fait, et c’est elle qui régale. J’suppose qu’elle va se faire rembourser par son Capitaine, mais en attendant, j’suis content de pas avancer la thune. C’est toujours la galère pour le remboursement, j’suis sûr que Fledric le fait exprès, ou quel que soit son nom. Le gratte-papier de la grande manitou, quoi.
N’empêche que c’était bon, pas comme le prix, trop salé. Mais j’suppose qu’on paye la bouffe en plus de l’information qu’ils nous donnent. C’est un bon plan, ça, pour assurer un revenu plancher à chaque fois que quelqu’un fait un achat. En plus, la caille, c’est le plat le plus cher de la carte, quasiment, donc ils se font plaisir, y’a pas à dire. Ça évite que les gens viennent et payent que dalle. J’me note l’idée : y’a p’tet moyen de lancer un truc et… et j’ai plus le droit à ça.
On sort rapidement des quartiers un peu sympa dans la Forteresse pour se diriger vers ceux où l’ambiance est plus… équivoque. La déco se dégrade sensiblement, comme la route, la largeur des rues, et la qualité de la population. Oh, bien sûr, y’a toujours des gens bien sapés, mais ils ont cet air dangereux qui fait dire que tout n’est p’tet pas parfaitement légal. C’est exactement ce que je cherche, et j’me sens comme un poisson dans l’eau.
J’ai les mirettes qui furètent à droite à gauche, toujours en mouvement, y compris vers les étages un peu délabrés des barraques : une saloperie peut toujours venir d’en haut, et on a trop souvent tendance à l’oublier. J’pense que Camila est pas trop dans son élément, cela dit : elle fait trop propre, trop martiale. D’ailleurs, j’ai l’impression que les gens s’y trompent pas vraiment, et s’arrangent pour pas trop traîner dans son chemin, sans se priver de l’observer à la dérobée.
J’retiens un commentaire. Peu de chance qu’on se coltine une embuscade, quand même.
Quand on arrive aux environs de la planque, j’ai le frisson de l’adrénaline au max. Si le serveur et son chef nous l’ont pas mise à l’envers, on a de bonnes chances de tomber sur Zahria, quelle que soit son apparence, avec son médaillon de merde. Dahlia propose d’accéder par l’extérieur, plutôt que par la taverne qui fait le rez-de-chaussée et qui doit louer les chambres à l’étage, autant pour pioncer que pour tapiner, m’est avis, à voir la population locale et la proportion importante de ‘’serveuses’’ qu’on distingue à travers les fenêtres sales.
« Ouais, vaut mieux, on nous laissera probablement pas monter sans payer dans tous les cas. »
Personne qui nous regarde passer devant la porte sans nous arrêter en tout cas, de ce que je distingue. D’un commun accord, on fait le tour du pâté de maison, pour s’infiltrer par une cour intérieure qui doit servir de dépotoir et de pissotière à la fois. L’odeur est un peu agressive. Et c’est un euphémisme. Y’a des fenêtres au premier étage, que j’pointe du doigt.
J’hésite à me téléporter directement en haut, mais j’préfère garder l’objet de pouvoir pour si Zahria s’enfuit. Et elle essaiera sûrement. D’un geste, j’assure la présence de mes menottes anti-magie, et j’sors mon arbalète-grappin. Ce sera plus pratique que les crochets-foreurs. Et ça laissera pas des trous dans le mur, accessoirement.
« Allez, montons et espérons qu’elle est là. »
Une fois qu’on est tous les deux à l’étage, il faut pas bien longtemps pour repérer la bonne porte. On esquive deux cafards qui se carapatent sur notre passage, et on s’arrête devant un battant de bois qui a l’air d’être un des rares trucs neufs du bâtiment. Sûrement que les locataires veulent être sûrs de pas être dérangés. J’sors mon Rossignol Noir, et j’le laisse se couler dans la serrure. Au bout d’une seconde, j’tourne la clé, et la porte s’ouvre brusquement.
J’fais irruption dans la pièce, suivi de près par Camila, et j’vois une nana –sapée- sur le plumard. Cheveux courts roses, athlétique. Elle nous adresse qu’un regard, ramasse un sac qui traîne à côté du lit, et se précipite vers la fenêtre ouverte.
Oulah, non !
J’me jette en avant, menottes dans la main gauche, pour essayer de la chopper, mais le matelas est dans le chemin. Quand elle pose le panard sur le rebord de l’ouverture pour se projeter dehors, puis qu’elle décolle, j’ai un brusque flashback d’une fois d’avant, mais pas le temps de m’y pencher. Alors qu’elle s’élève plus haut que son saut, comme si elle volait, j’me téléporte sur elle, accroché sur son dos.
On tangue en l’air, à six ou sept mètres du sol.
La menotte anti-magie se referme sur son bras, et on se met à chuter salement. Dans la chute, elle arrive à se tourner, et c’est moi qu’encaisse le gros du choc, même si l’armure de Survie en grignote une partie. J’ai le souffle coupé par nos deux poids, et elle roule sur le côté en ahanant, prête à reprendre sa fuite.
En somme, Dahlia n'avait que peu confiance en leur capacité - même étayée d'informateurs, et de leurs facultés magiques respectives - à trouver cette aiguille dénommée Zahria dans la botte de foin que représentait la Forteresse, certes circonscrite à ses quartiers les moins reluisants, pour peu que celle-ci fût un tant soi peu maline - ce qui semblait être bel et bien le cas. Dahlia s'efforçait cependant de faire bonne figure en présence du sergent et de ne pas exposer ses doutes quant au succès de leur entreprise. Par ailleurs, même habituée à côtoyer l'échec comme elle l'était, elle ne se privait pas de couver une once d'espoir en son for intérieur. Cela faisait vivre, paraissait-il. Et l'aidait à mieux supporter son métier et ses gageures, surtout.
Vrenn et elle s'engagèrent ainsi dans une cour d'où émanaient de caustiques relents d'urine, qui lui firent immédiatement recouvrir son nez d'une main - la garde restant assez délicate des sinus, en dépit de tout ce qu'elle avait pu voir et sentir lors de ses années de service. Elle regarda son collègue se hisser à la fenêtre du premier étage du bâtiment délabré à l'aide de son arbalète-grappin, puis lui demanda s'il pouvait gracieusement lui envoyer une corde pour l'aider à le gravir à son tour, n'en possédant malheureusement pas dans son grand sac sans fond pourtant empli d'une conséquente panoplie d'outils magiques divers et variés.
Une fois dans l'hôtel, dont l'état de vétusteté ne faisait pas de doute, ils finirent par déboucher devant une porte scellée, dont Vrenn vint rapidement à bout à l'aide d'un rossignol moiré d'éclats scintillants qui semblait avoir la faculté d'ouvrir toute serrure. La porte s'entrouvrit alors sur une chambre au sein de laquelle se trouvait une jeune femme, installée paresseusement sur son lit.
Bingo, voulut se dire Dahlia qui considérait cette présence comme inespérée, avant que la suite des évènements ne tournât rapidement au vinaigre. Car la locataire de la chambre n'était visiblement pas disposée à les recevoir, et, manifestement très incommodée par leur visite impromptue, s'élança après un bref regard dans leur direction vers la fenêtre ouverte, pour passer au travers.
« Merde » ne put s'empêcher de jurer Dahlia, alors qu'elle fonçait dans le matelas que la fugitive avait jugé bon d'interposer entre ses poursuivants et sa voie de retraite.
Vrenn était en revanche quant à lui parvenu à se téléporter sur elle et à agripper son dos. Dahlia les vit tous deux, un fugace instant, flotter dans les airs, en suspens dans une valse presque poétique, mais éphémère. Car dès lors que la menotte anti-magie du garde vint ceindre le bras de la rose, la magie de cet instant suspendu se dissipa, les faisant lourdement chuter de plusieurs mètres jusqu'au sol.
Vite, songea Dahlia en voyant la jeune femme se redresser peu à peu, faiblement impactée par leur plongeon grâce à l'amortissement charnu qu'avait fourni Vrenn malgré lui. Sauf que pour sa part, elle n'avait pas de solution miracle pour descendre. Son esprit trouva une solution en hâte : elle s'empara du matelas, qui heureusement ne faisait que l'épaisseur d'un lit une place, et le projeta au travers de la fenêtre, avant de sauter à son tour, amortissant sa chute sur ce dernier. Lorsqu'elle se releva, la fugitive était debout et prête à amorcer sa course. Dahlia s'interposa devant elle, l'épée tirée au clair.
« C'est fini, suis-nous et tu pourras peut-être alléger ta peine. »
Mais cela n'allait pas être aussi simple. Alors qu'un fin sourire venait s'ébaucher au coin de ses lèvres, la fugitive sortit une fiole de sa poche, avant de la déboucher et de déverser son contenu sur le tranchant de la lame de Dahlia, qui s'émoussa aussitôt sous ses yeux. Elle profita de cet instant de distraction pour la contourner et s'enfuir au pas de course, mais la garde déploya son lasso magique qui vint s'enrouler autour de la cheville de cette dernière, avant de la tracter vers elle d'une impulsion, aidée par la réduction de poids conférée par son lasso.
« Pas si vite. Et sache que je ne peux peut-être plus pourfendre mais je peux toujours utiliser la partie contondante. Je me tiendrais à carreaux si j'étais toi. »
Un éclat peu amène brasillant dans ses prunelles, Dahlia la tint en joug, tout en demandant à Vrenn sans quitter la rose du regard :
« Tout va bien ? L'atterrissage n'a pas été trop dur ? »
Bon, au moins, ils l'avaient attrapée, cette cible, et cela constituait déjà une première victoire.
J’reprends mon souffle et j’m’ausculte sommairement maintenant que Delancy a réussi à chopper notre suspecte. Avec une menotte d’antimagie rapidement rejointe par sa sœur, à part s’agiter et utiliser des moyens mondains, ou bouder très fort, de toute façon, elle peut pas faire grand-chose. Autour de nous, ça regarde un peu ce qui se passe façon mine patibulaire. On ressemble pas à autre chose que des gardes venus arrêter quelqu’un, peu importe qu’un matelas soit tombé du ciel ou non. Le proprio sort pour remettre les pognes dessus : c’est à lui et puis c’est tout.
‘Sûr, vieux, on s’en cogne de ton plumard.
« Ouais, ça va, merci. Bien joué, le lasso. »
Puis j’peux pas m’en empêcher, donc j’prends la parole.
« Zahria ?
- Hein, quoi ? »
M’semblait bien. A moins qu’elle soit passée chez un enchanteur récemment, elle peut pas voler. Et ça aurait pas été aussi facile, dans ma tête. Genre, j’sais ce qu’elle a déjà en stock, et c’est pas aussi pourri que juste ça, même avec le liquide corrosif de merde, là. Du coup, cette sensation de déjà-vu vient d’autre part et… j’ai les yeux dans le vague alors que je parcours mes souvenirs dans tous les sens jusqu’à ce que ça me revienne, dans ma collègue me signifie que y’aura des meilleurs endroits pour ça.
« T’as raison, on décarre. On va la foutre au trou et on avisera à partir de là.
- Vous avez pas le droit ! Je suis une citoyenne libre d’Aryon et…
- Ouais, ouais, allez, avance, on discutera plus tard. »
Quelques dizaines de minutes plus tard, revenus dans la garnison, on a pris un casse-dalle et un peu de flotte pendant qu’elle poireaute dans une petite cellule. J’suppose que Dahlia a prévenu son patron, aussi, pour lui dire qu’on avait ramené quelque chose, mais que c’était pas forcément ce qu’on cherchait à l’origine. M’a fallu du temps pour la replacer, mais j’y suis arrivé. Faut dire, c’était juste un aperçu furtif que j’avais eu, y’a des mois, donc normal.
D’habitude, c’est plutôt les autres qui se souviennent pas de moi et pas l’inverse.
« Ouais, du coup. Y’a quelques mois, j’ai fait une mission dans un monastère de Lucy, un truc complètement paumé dans les montagnes. Super perdu, mais quand y’a pas eu de nouvelles pendant longtemps, les gens ont trouvé ça bizarre, donc on est allé jeter un œil. »
Pas besoin d’expliquer que je me faisais passer pour un aventurier et que je traînais avec les futurs Saphirs Carci et Ka’Will, ça ferait que compliquer les choses. Elle a pas besoin de savoir ça, de toute façon.
« Tout le monde était crevé, à l’intérieur, façon rivières de sang. T’as p’tet entendu parler. Toujours est-il que les coupables étaient encore là. C’était un groupe de gévaudans, qui avaient été attirés là par magie ou par alchimie, j’ai jamais eu le fin mot de l’histoire. »
J’ai pas creusé, faut dire. On m’a envoyé en vadrouille ailleurs, et j’ai laissé ça derrière moi.
« Avec les gévaudans, y’avait une voleuse aux tifs roses, pile la nana qu’on vient de foutre au gnouf. Elle s’est enfui avec une relique de Lucy, le genre qu’a des pouvoirs magiques un peu méchants, de ce que j’ai compris. Visiblement, c’était pas pour elle, donc elle a dû revendre, mais pas raccrocher les crampons, vu qu’elle bosse encore dans le milieu. »
Difficile de s’arrêter, de toute façon, quand on gagne. J’suis bien placé pour le savoir.
« Dès qu’on aura établi qu’elle est coupable, on pourra creuser pour savoir qui l’a envoyé faire ça, et les origines de l’appât à gévaudans. Faudrait pas que ça soit lâché en plein de milieu de la Capitale, après tout. Ça ferait désordre, j’te laisse imaginer. »
S’ils se radinent à cinquante, moi, j’vais être un peu léger. Après, la Capitale, bon, y’a de quoi se défendre, hein… Mais ça reste d’un genre menaçant, les hordes monstrueuses super dangereuses. Pas forcément le monde dans lequel j’ai envie de vivre. En plus, chanceux comme j’suis, on va m’envoyer en première ligne. Donc ouais, résoudre.
« J’ai ce p’tit bijou, d’ailleurs, sans aller jusqu’à la potion de vérité. Mais ça fournira déjà un bon éclairage, dès lors qu’elle cause. »
J’dis ça en montrant le globe de vérité, qui s’éclaire différemment suivant si elle raconte des cracks ou pas. Si avec ça, on n’arrive pas à tirer deux-trois infos potables, franchement, faut qu’on change de métier.
Et pour moi, ça veut dire apprendre à survivre au blizzard en slip, autant dire que c’est non.
Mais cette vivifiante plénitude fut hélas éphémère. Elle retomba comme un soufflet, lorsque Dahlia réalisa que la personne menottée n'était pas tout à fait celle escomptée. Ce n'était donc pas cette Zahria tant recherchée et attendue… Dommage. Toutefois, cette déception était contrebalancée par une certitude : la rose, qui qu'elle fût, n'était clairement pas une victime collatérale de leur enquête. Sa tentative de fuite indiquait qu'elle avait manifestement des choses à se reprocher. Après avoir extirpé Vrenn de ses errements intérieurs, ils allèrent donc expressément la livrer à la Garde.
Bien que leur mission initiale n'eût été remplie, au moins ils ne rentraient pas les mains vides, et Dahlia se consola avec cette maigre compensation. Cette demi-réussite ne viendrait pas entacher son CV de garde émérite auprès de ses supérieurs, et ne compromettait pas ses chances de promotion futures - même si elle n'était pas pressée de gagner à nouveau du galon, à vrai dire, son poste d'Adjudante la faisant crouler sous suffisamment de nouvelles responsabilités qu'elle peinait à endosser.
Dans la salle d'attente de la garnison, Vrenn parvint peu à peu à reconstituer le puzzle de ses souvenirs, et lui fit part de ses connaissances sur la fugitive, qui était effectivement loin d'être toute blanche. Elle avait même trempé dans une bien triste histoire, dont les détails sordides ne manquèrent de faire glisser une couleuvre givrée le long de l'échine de Dahlia. Les effusions de violence indicibles, ça la mettait toujours mal à l'aise, même si elle évitait de le laisser transparaître par professionnalisme - et parce qu'elle ne voulait pas être considérée comme une petite nature. Acquiesçant aux dires du Sergent, elle lui répondit après avoir pris le temps d'intégrer ce flot de nouvelles d'informations :
« Merci pour ces informations, Sergent, je vais consigner tout ça dans notre rapport qui sera adressé au Capitaine Brive. Dès qu'il nous donnera l'autorisation de poursuivre l'enquête, on pourra amorcer l'interrogatoire de la fugitive afin de démêler toute cette histoire. Votre globe nous sera sans conteste d'une aide précieuse. »
Par ailleurs, la magie de son collier pourrait peut-être leur donner un coup de pouce supplémentaire. Esquissant un bref sourire empli d'espoir, elle se rembrunit toutefois en ajoutant :
« Désolée pour ce demi-échec toutefois, Zahria reste introuvable, j'aurais voulu pouvoir vous aider… Mais je présume que ce ne sera qu'une question de temps avant que vous ne parveniez à la retrouver. »
Cela était une tentative de réconfort peu convaincante, car Dahlia n'était pas si optimiste en son for intérieur. Bien qu'elle ne la connût réellement, la garde avait le sentiment que cette Zahria était particulièrement insaisissable, comme enveloppée d'un mystère insoluble. Mais le Sergent possédait peut-être des ressources insoupçonnées et réussirait peut-être son entreprise en persévérant.
Elle lui souhaitait, en tout cas, mais pour l'heure, elle avait surtout besoin d'un bon bain pour chasser ces relents résiduels des bas quartiers qui la poissaient encore, et d'un peu de repos. Et aussi de trouver un moyen de planer, en cas de besoin à l'avenir, car le lancer de matelas ce n'était pas une solution pérenne, elle devait se l'avouer.