Les traces que laissèrent les roues de la calèche, creusèrent un sillon boueux mêlé aux sabots des chevaux. La terre souillée par la pluie, obligée ceux qui tentent d'errer, à salir le bas de leur tenue. La pauvre âme qui descendit de l'habitacle de la calèche, n'en fut nullement préservée. Délabrant ses chaussures noires, à présent immaculées par la gadoue causée par la pluie. Un juron vint souligner l'état déplorable dans lequel se trouve à présent ses bottines, mais tenta toutefois de préserver le reste de ses vêtements en relevant un parapluie au-dessus de sa tête. En situation normale, la brune aurait pu faire scandale auprès du cocher de s’être ainsi positionné près de cette énorme flaque marécageuse, mais ses pensées semblent bien trop obstruées pour se lamenter. Se contentant donc, de régler simplement sa course, avec un léger supplément dont elle se tient d’accentuer le présent. Cette journée était très spéciale pour elle, son esprit vagabond sans cesse depuis qu'elle a quitté l'île dans un but bien précis. Quelque peu troublée, une bonne âme avait toutefois accepté de l'emmener jusqu'ici sans détour. Il était normal, qu'elle puisse le remercier, en se préservant tout de même de le clamer haut et fort. D'ailleurs, la jeune femme le salua à peine, et se retourna pour faire face à cette bâtisse.
Une maison qui ne ressemble en rien, à ce qu'elle a laissé derrière elle, il y a dix ans de cela. Bien que dans un sens... Fort heureusement. Car les derniers souvenirs qu'elle en conserve, se résument à un tas de cendre et de poussière, rongée par les flammes. Même si le charme de sa maison d'enfance ne valait pas cette nouvelle demeure, voire qu'elle fut reconstruite fut tout de même un soulagement. D'autant plus, lorsqu'elle put constater que les habitants sont toujours les mêmes. En témoigne la boîte aux lettres qui affichent des noms, que notre visiteuse ne connaît que trop bien. Elle c'était toutefois bien accordée sur le fait que la présence de l'un d'eux ne soit pas requise, Jin. L'ainé de la famille Hidoru, vivant ici avec la mère de famille. Sa mère Miki. La mère de cette jeune femme, qui se faisait violence pour avancer vers la porte d'entrée. Nara Dreyer, anciennement Nara Hidoru, refit surface après une décennie passée sans avoir donné le moindre signe de vie aux siens. Bien qu'à présent, il serait indécent de les nommer ainsi.
- Bonjour mère, vous vous souvenez de moi ? ... Non ça va pas ! ... Bonjour mère, ça va ? ... Non je vais passer pour une idiote, d'où je parle comme ça ! ... Salut m'man, c'est moi ta fille, Nara.... Raaa mais évidement qu'elle sait comment je m'appelle, quel boulet ! L'une de ses mains tenant le parapluie, la seconde vint à secouer le dessus de sa chevelure dans un geste d'agacement. Grommelant à l'encontre d'un fantôme, elle chercha mille et une façon de se présenter à sa propre mère. Concernant son ainé, il lui a été indiqué qu'il était parti quelques jours. Tant mieux. Elle n'avait nullement l'envie de le revoir, mais depuis quelque temps... Si ce n'est constamment... La présence de Miki manquait auprès d'un cœur qui soupire de son passé. Durant quelques secondes, elle se demanda s'il n'était pas mieux qu'elle fasse demie tour. Quelle idée de venir ici, complétement stupide ! Sa mère devait bien mieux s'en tirer sans elle, il fallait avouer qu'elle était loin d'être la petite fille modèle dont pouvait rêver toutes les mères. Bien plus lorsque l'on est responsable d'un acte passé, qui détruira les fondements de sa famille. Mais ça, Nara se préservait bien d'en parler. D'ailleurs, elle ne devrait même pas être ici. Cassius l'avait poussé à prendre cette décision ridicule, elle lui revaudra ça ! Bien qu'il lui apporte tout le nécessaire, et l'amour d'un père... Il ne peut combler l'amour d'une mère. Un manque qu'il ressentit en voyant la jeune adolescente qu'il eut recueillie, devenir une femme.
- Cette idée était complétement stupide, je me casse. Ses épaules s’accentuèrent vers le haut, dans un soupir mêlant frustration et irritation. Faisant alors volte face, dos tourné vers la porte, penaude devant la pluie tombant à présent dans une trombe d'eau. - Et m...
S'il y'a une bien une petite différence entre Jin et moi sur le temps qu'il fait, c'est sur notre capacité à apprécier la pluie. Haha, j'y vois comme un moment de calme, de sérénité. Des fois, il peut m'arriver d'écouter les gouttes marteler notre toit, et me laisser bercer par cette musique naturelle que les cieux nous offrent. Jin, oh, Jin. Il passera des heures à maronner. Quel râleur. Mais il est comme ça, la météo a toujours une influence presque drastique lui concernant. A la Saison Chaude il se croit invincible malgré mes mises en garde, à la Saison Froide il se croit vulnérable malgré mes conseils, et sous la pluie... Eh bien il subit mes coups de pied aux fesses pour qu'il sorte les poubelles devant la maison. Ou bien aller voir Gromyr à son enclot. En parlant de mon fils, j'imagine qu'il n'est pas au bout de ses peines en ce moment.
Voilà quelques jours qu'il est parti, et de très fortes chances que ce temps soit étalé sur tout le royaume. Je le vois déjà, avec son thé chaud, à donner des noms d'oiseaux au ciel et au temps qu'il fait, comme si c'était une punition, ou bien une sanction qu'il mériterait. Du grand Jin. Des fois, je me demande comment notre chère Première Ministre arrive à le supporter. Oh, peut-être que c'est encore facile comme ils ne vivent pas ensemble. Quoi que... J'ai découvert en lui une douceur que je n'avais jamais vue auparavant. Était-elle enfouie en lui depuis tout ce temps ? Je remercie Haru de l'avoir fait surgir dans ce cas. Parce que mine de rien, je le trouve désormais plus raisonné, et plus raisonnable. Pas suffisamment pour se retenir d'aller à la castagne, mais peut-être un peu pour penser aux enjeux qu'il encourt.
La maison est donc bien calme. Comme a mon habitude, j'en profite pour dépoussiérer la maison. Ranger quelques affaires qui traînent, notamment moults dossiers de mon fils pour les poser en pile sur son bureau. Il se fera une joie de tout ranger. Aussi jubilatoire à regarder que cette pluie le mouillant lorsqu'il essayait de brûler n'importe quoi, comprenant pas encore que l'eau était un petit problème dans le processus. Oh, j'aurai donné n'importe quoi pour que cette pluie l'empêche de faire autant de bêtises...
Traversant la salle d'attente qui donne sur la sortie, une silhouette se trouve devant le battant quand je passe un regard instinctif à la fenêtre. Je crois que c'est une dame. Dame Du Lys ? Elle est venue me voir pour me soudoyer quelques informations, notamment l'anniversaire de Jin, cela m'a fait à la fois rire mais aussi plaisir de la savoir si attentionnée. Mais, elle se serait manifesté en toquant ? Alors je reste à la fenêtre durant quelques secondes. Ah. Voilà qu'elle s'en va. Une cliente peut-être ? Je dois la prévenir que Jin est absent dans ce cas !
Après une inspiration comme si je comptais plonger sous l'eau, j'ouvre la porte alors qu'une pluie diluvienne m'affiche un rideau de flotte nous séparant elle et moi.
- Excusez-moi ? Vous cherchez Jin ? Il est absent aujourd'hui !
Toujours le dos tourné, je lève un sourcil, d'abord intriguée, puis inquiète. Alors je prends mon courage à deux mains et je m'offre sous ce déluge pour réduire la distance.
- Tout va bien madame ? Vous avez besoin d'un toit en attendant que le temps se calme ?
L'intrigue devenait de plus en plus intense. Elle n'avait pas l'air très âgée. Jin me cache une maîtresse ?! Non, ce n'est pas son genre. Alors au seuil de la porte, j'attends, grelotant légèrement. En espérant que Jin ne vienne pas me faire tout un scandale car que je serais passé à côté d'une cliente riche comme le Prince.
On a beau avoir une meilleure situation, il en voudra toujours plus. Est-ce que je peux lui en vouloir ? Hm, non.
Dans un élan de diminution, Nara s'apprêta à faire demie tour, abandonnant derrière elle, l'idée de retrouver sa mère. Qu'aurait-elle pu lui dire de toute manière ? Comment aurait-elle pu accepter que cette dernière en vienne à la rejeter si tel en serait le cas ? Il est possible que les choses se passent très bien pour cette femme, qui depuis toutes ces années, avait probablement dû se résoudre à l'abandon de sa propre fille. La retour de Nara, ne serait en réalité, qu'une pierre qui viendrait s'écrouer sur la surface paisible d'un lac. Provoquant ainsi, une multitude de vaguelettes et de ricoché qui ne mèneront qu'à la fin de la paisibilité de l'endroit. La Dreyer ne cherche pas à éviter les ennuis, bien au contraire, elle est plutôt encline à s'y fourrer et les provoquer. Toutefois, malgré son apparence qui se voulut fière et assurée... A ce moment précis... Elle n'en menait pas large dans un conflit intérieur. Elle devait se l'avouer, la peur était bel et bien présente en elle. La peur d'un rejet, qu'elle n'accepterait probablement pas. Qui plus est, elle pouvait être certaine que si sa mère la répudie, le frère Hidori en aurait rapidement écho. Et les choses pourraient alors, d'autant plus s'envenimer. Non, vraiment, cette idée est stupide. Nara ronchonne contre sa propre bêtise, elle n'aurait jamais dû quitter son île, ni même poser les pieds dans ce fourbi.
Mais à présent, les éléments semblaient aller à son encontre. Comment allait-elle pouvoir retourner à la capitale, sous cette pluie diluvienne ? C'était un coup à se chopper la crève, et très franchement, elle a autre chose à faire que de rester coincer au lit avec une fièvre qui lui ferait côtoyer des grognours roses. Mais nul temps de tergiverser, que le son de la porte s'ouvrant dans son dos, se fit entendre. Le son de cette voix s’élevant dans les airs, prit de court la Dreyer. Son corps se crispa rapidement, ses muscles entiers étaient contractés et raidirent par cette présence qui venait de s'imposer. Malgré les années passées, Nara n'avait pas omis cette tonalité, ni les vibrations de cette voix. Celle qui petite, venait à la conforter, à lui chanter des berceuses, parfois à la gronder lorsqu'elle ne faisait pas ce qu'il fallait... Cette voix... Qui ne semblait pour l’instant, se douter du chamboulement qui allait suivre.
Allez Nara, montre toi forte, tu ne peux plus reculer à présent ! Et je t'interdis de lâcher la moindre larme ! C'est toi qui a merdé dans la situation, alors maintenant, tu assumes tes actes !
Ses épaules s'abaissent, dans un souffle mêlant une certaine angoisse et une détermination. Doucement, la jeune femme se retournait, pour se retrouver face à la maîtresse de maison. Un visage, que Nara aurait pu reconnaître entre plusieurs, bien qu'il est été légèrement retouché par les années. Cette femme face à elle, portait sur les traits de son visage, le poids des années passées... Des étapes franchies... Sans compter sur cette chevelure, qui n'était plus colorée de l'ébène comme celle de Nara. Une chevelure grisée, qui ne fut pour autant un choc pour la jeune femme. Le visage de cette dernière resta impassible, ni sourire, ni le moindre signe grimaçant vint apporter de la vie sur cette face. Se contentant alors, de plonger son regard dans celui de sa matriarche. Seul le bout de ses doigts, aurait pu la trahir, puisqu'elle venait nerveusement à les bouger.
- Reste pas dehors comme ça, tu vas attraper du mal et ça va être de ma faute. Le ton donné fut presque un ordre donné à sa mère, comme si cela été tout à fait normal. Comme s'il n'y avait jamais eu ces dix années écoulées... Pourtant au fond d'elle, Nara était des plus nerveuse, attendant une réaction proche de sa mère. Au moins une chose était sûre, aux dires de sa mère, son benêt de frère n'était pas présent... Et tant mieux.