Oui, brutal…
En plus d’avoir émergé au beau milieu de détritus dans ce qui semblait être l’une des décharges de la capitale, j’avais non seulement perdu ma bourse pleine de cristaux, mais aussi tous mes vêtements ! Absolument tous ! Il ne me restait plus rien ! Même pas un sous-vêtement ! Les gars qui avaient fait ça n’avaient même pas dû me reconnaitre sans quoi ils n’auraient pas poussé le vice jusque-là, très certainement ! Mais le fait était que j’étais complètement à poil au milieu d’une pile de déchets. C’est d’ailleurs l’odeur nauséabonde et putride du coin qui avait accéléré mon réveil et qui m’avait fait comprendre que j’étais dans la panade la plus totale ! Tu parles d’un début de journée, j’te jure…
Un mal de crane finit par me tarauder au moment même où je daignai me lever. L’haleine qui allait avec m’indiqua clairement que j’avais fait le fou la veille ; et c’est à ce instant précis que je m’immobilisai en me repassant le film de ce qui s’était passé. Escapade dans un bar, participations à des paris gagnés haut la main (sans doute parce que Lucy l’a bien voulu), soirée trop arrosée, et… Et le néant quoi. Le néant. On m’avait donc fait les poches avant de me jeter dans le coin comme une sombre merde… Non sans chopper toute la cagnotte que je m’étais faite, hé… Heureusement pour cette taverne que j’étais pas du genre rancunier d’ailleurs… Sans quoi je l’aurai fait raser via décret tout simplement…
Mais là n’était pas le plus important puisque j’imaginais bien l’effervescence au palais actuellement ! Avec mon (habituelle) absence, Allys devait être en train de se faire du sang d’encre et les gardes devaient certainement déjà fouiller toute la capitale (comme d’habitude). J’eus une pensée pour deux gardes précisément, mais je préférai me sortir des immondices avant d’entourer ma gueule de flamme pour qu’on ne me reconnaisse pas mais aussi ma taille pour ne pas choquer d’éventuelles personnes que je rencontrerais sur mon chemin. Du reste, si je ne drapais pas totalement de flammes, c’était pour la simple et bonne raison que je ne voulais pas du tout attirer l’attention sur moi…
On a beau être dans un royaume où la magie est monnaie courante qu’un mec qui fait étalage de son pouvoir tôt le matin sans être un saltimbanque, ça reste suspect… Et bien trop voyant !
Me transformer en phénix et voler jusqu’au palais était exclu ! Si la reine me voyait dans cet état, je n’osais pas imaginer ses pleurs, elle qui s’imaginait facilement trop de choses ! Il me fallait donc trouver un endroit où pouvoir me doucher et avoir de quoi me vêtir. C’est fort de cette décision que je quittai la décharge en prenant soin de progresser précautionneusement dans les rues tout en me planquant quand il le fallait. Bien sûr, si les grandes avenues étaient déjà bondées parce c’était jour de marché, les ruelles étaient désertes ce qui me permettait de les emprunter. C’est d’ailleurs au détour de l’une d’elle que je tombai sur lot d’habitations avec devant certaines, quelques linges étalés sur des cordes…
Un regard à gauche puis à droite pour s’assurer qu’il n’y avait personne et voilà un roi qui s’avançait vers ces linges, tel un voleur…
Un drap pour me camoufler, c’était pas du tout de refus !
Les cris d'enfants courant dans le reste de la maison avaient le don de la faire sursauter, la tirant régulièrement de ses pensées. La maisonnée de son frère aînée était des plus agitée, et ses quatre neveux ne semblaient jamais manquer d'énergie, à tel point qu'à les observer, elle ne pouvait s'empêcher de constater son propre âge et la fatigue qui inexorablement s'éprenait d'elle au fil du temps. Aurait-elle souhaité en avoir elle aussi? Peut-être, à une autre époque à présent révolue. Aujourd'hui, les voir de façon exceptionnelle et pouvoir ensuite retourner chez elle au silence lui convenait parfaitement. La joie de les voir grandir sans les responsabilités de toute façon incompatibles avec la vie qu'elle menait.
Le regard perdu dans la tasse de thé à présent refroidie devant elle, Ledda ne suivait que d'une oreille discrète la discussion somme toute animée entre sa belle-sœur et une voisine dont elle n'avait pas su retenir le nom. Ah, les mondanités n'avaient jamais été de son registre, pas plus que de converser de la pluie et du beau temps. Quant aux rumeurs, elle avait déjà bien suffisamment à faire avec celles nourries par les frasques d'un certain roi! Roi qu'elle espérait d'ailleurs s'être tenu tranquille durant son absence. Était-ce vraiment trop demander?
Et si la recherche de silence était une de ses éternelles quêtes, elle devait cependant admettre qu'entendre les enfants rire et jouer avait quelque chose de presque réconfortant, un baume à l'âme insoupçonné.
Ce que le cri strident qui soudain survint n'était aucunement.
Il ne lui avait fallut que quelques instants pour réagir, un simple réflexe plus qu'une réaction consciente. Sur pieds, elle avait eu tôt fait de rejoindre à grand pas la cour avant, là où ladite belle-sœur s'était rendue quelques instants plus tôt. Désarmée (on ne lui avait même pas permis de garder une épée sur elle!) mais pas impuissante pour autant, elle rejoint ladite cour avec l'inquiétude au ventre, ne sachant ce qui avait pu tirer un tel cri de l'autre femme.
Et le spectacle qui s'offrit à ses yeux n'était définitivement pas ce qu'elle aurait pu imaginer.
D'un côté, Héléna tremblante et visiblement terrifiée par la découverte incongrue qu'elle venait de faire, et de l'autre, un homme qu'elle supposait entièrement nu sous le drap qu'il tenait autour de sa carrure à grand peine. Un soupir las eu tôt fait de filer d'entre ses lèvres.
Plus un mot ne fila avant que la femme ne rentre, visiblement un peu trop secouée par ce qui venait de se passer. Et une fois seul à seul, la garde n'eut aucune hésitation à se rapprocher, bras croisés contre sa poitrine, le regard toujours aussi neutre, et un léger froncement de sourcils trahissant son état émotionnel actuel.
Chose certaine, la raison des quelques cheveux blancs apparus ces dernières années était toute désignée.
Mais comment on en était arrivé là ?! J’étais pourtant certain qu’il n’y avait personne dans les parages lorsque j’avais chopé le drap qui ceinturait à présent ma taille ! Était-ce Lucy qui m’abandonnait depuis hier ? Qu’avais-je pu faire de mal ces derniers temps ?! Enfin… Ces questions importaient peu au final ! Ce qui urgeait, c’était la présence d’une autre personne que je n’aurais pas pu penser croiser ici même une seule seconde ! Pourquoi de toutes les femmes que je connaissais, c’était sur elle que je devais tomber ?! Quel était ce destin farceur qui semblait prendre un malin plaisir à m’accabler comme jamais ? Et putain, mate-moi ces gros nichons ! J’ai beau être pro-cul que je pouvais presque pas retirer mes yeux de ces obus qui défiaient toutes lois de l’apesanteur ! Vraiment, c’était à se demander comment elle réussissait à se battre avec ces trucs aussi énormes et moelleux ! Et dire qu’elle n’était pas la seule douzelle aussi bien foutue dans mon entourage ! Avec le recul, j’avais la nette impression que chaque jour était une épreuve pour moi ! N’eut été l’amour que je portais à ma femme hein ! Mais n’y pense pas, Grimvor, n’y pense pas !
C’était vraiment pas le moment pour ça, putain !
- « Hein ? Que ? Quoi ?! C’est à moi que vous parlez ?! »
Le pire dans tout ça, c’est que la jeune femme (en apparence, hé) m’avait instantanément reconnu. Un peu comme par magie. Adeline bis ! Quand c’était pas le gorille de service qui réussissait à me débusquer dans les endroits les plus reculés de la capitale, c’était le karma qui me faisait rencontrer de force un autre pot de colle. Dans l’un de ses jours de congés d’ailleurs à en croire ses vêtements ! Y’avait-il plus poisseux que moi depuis hier ? La question était tellement légitime qu’elle tournait en boucle dans mon esprit ! Et quand bien même je continuais de me perdre en pensées superflues, mes lèvres s’entrouvrirent pour laisser passer un message qui avait été formulé par mon instinct de survie : « T’as la berlue ou quoi, bonasse ?! J’suis pas votre majesté ou quoi ! J’sais pas c’que t’as fumé mais quand même ! » Le tout avec un autre timbre de voix, on s’entend. De quoi me rappeler Jaana, une sale gosse qui avait un pouvoir en relation avec ses cordes vocales. Pouvoir bien pratique dans le genre tiens ! Mais là encore n’était pas le plus important. Le plus urgent, c’était la fuite qui devait s’en suivre ! Pas question de rester ici !
Surtout pas en la présence de cette sorcière aux gros nichons !
- « T’vas pas chipoter hein ! J’vous emprunte juste c’drap parce que voilà ! J’vous l’rendrais plus tard ! A la r’voyure ! »
Ni une ni deux, je détalai aussitôt comme un dératé ! Rester ici confirmerait les soupçons qu’elle avait déjà. Enfin… Soupçons… C’était peu d’le dire ! Je n’avais peut-être pas vraiment bravé son regard blasé qui en disait long (plutôt occupé par ses gros seins qui devaient presque surpasser ceux de ma belle et douce Allys), mais je pouvais dire qu’elle était sûre de mon identité ! Putain de merde ! C’était bien dans ces conditions que je venais à regretter une partie de mon passé ; même s’il n’y avait pas vraiment de regrets. Même si mes flammes le cachaient, j’eus une gueule complètement conne en me remémorant de ma « jeunesse tumultueuse », puis j’empruntai rapidement un autre couloir avant de continuer à courir sans même savoir où j’allais finir ! De toute façon, elle aurait surement des difficultés pour me rattraper, sans compter que mon état (sale et plutôt puant) n’encourageait personne à m’approcher, héhéhé ! Pis, elle était en congés, hé. Elle n’avait pas à bosser pendant son temps de libre, en plus du fait qu’elle savait pertinemment que je pouvais me débrouiller tout seul ! J’étais donc tranquille dans mon esprit.
Ma petite course se termina cinq minutes plus tard dans une ruelle isolée…
Légèrement essoufflé, je m’accoudai à un mur en pensant maintenant au plus gros de l’histoire :
Comment rentrer au palais incognito !
Une poignée de cheveux blancs en plus, assurément.
Son petit manège lui tira tout au plus un bref froncement de sourcils, ses lèvres pincées en une moue peut convaincue. Soit il la prenait pour une idiote, soit il avait définitivement perdu la tête. Et quelque chose la poussait à se tourner vers la première option. À croire qu'il faisait tout son possible pour lui rendre la vie difficile! C'était tout de même assez incroyable, et parfois Ledda devait admettre que s'être retrouvée postée quelque part dans la campagne aurait surement été plus reposant. Enfin, elle avait juré loyauté à Sa Majesté, et même ce genre d'enfantillages ne sauraient la faire réellement douter.
Pourtant, il usait et abusait de sa patience. Aujourd'hui plus encore qu'à l'accoutumée.
Le voir s'enfuir de la sorte la laissa pantoise et agacée, un rictus venant soulever la commissure de ses lèvres tandis que ses prunelles sombres fixaient l'endroit où il se trouvait encore il y a quelques instants à peine. Vraiment? Évidemment, le poursuivre fut sa première pensée, sauf qu'elle ne se mit pas en mouvement immédiatement. Vu son état (ô combien repoussant et embarrassant) il ne risquait pas de se rendre bien loin sans se faire remarquer, de quoi lui laisser le temps au préalable de prévenir sa belle-sœur de son départ impromptu, avant de tourner les talons.
Hm. Peut-être avait-elle sous-estimé son talent pour s'attirer des ennuis, finalement. Qu'avait-il bien pu faire pour en arriver là? Ah, il arriverait un jour où l'une de ses escapades ne se finirait pas aussi bien que celle-ci (et c'était encore discutable) et où ses talents de beau parleur ne l'aideraient pas. Y pensait-il seulement? À force de jouer à l'idiot, elle craignait qu'il finisse par s'y perdre, elle-même questionnant parfois silencieusement sa sanité. Elle le connaissait pourtant! Il n'était ni idiot ni simplet, et toute l'irresponsabilité qu'il affichait fièrement n'était qu'un leurre. Pourtant, la voilà qui pressait le pas, comme mue par la crainte que quelque chose se produise, tout à coup. Une anxiété silencieuse et pernicieuse qui tendait peut à peut ses muscles alors qu'elle interrogeait des passants sur l'homme nu et sale qu'elle cherchait.
Fourbe, mais c'était de bonne guerre, hein.