- Je n'ai rien oublié ?
- Non, tu a été parfaite !
Elle sourit à son employé avant de sortir de la cuisine et de prendre le long couloir qui la mènerait dans le bureau qu'elle s'était aménagée. C'était là qu'elle faisait ses comptes et qu'elle recevait des personnes... influentes. Enfin, surtout un homme influent qu'elle regrettait à présent amèrement d'avoir croisé le chemin. Il n'était pas prévu que l'un de ses hommes ou lui-même lui rende visite cette semaine, mais savait-on jamais. Il était ici comme chez lui à en déplaire à tout le personnel et Meira comprise. Arrivée à son vieux bureau remis à neuf, elle s'afféra à remettre de l'ordre dans toute cette paperasse dans laquelle elle se noyait régulièrement. Elle avait pris l'habitude de s'en occuper le matin afin d'avoir son après-midi de libre pour aider à la taverne ou donner les leçons aux enfants du quartier. Tout dépendait finalement du monde qui décidait de venir picoler chaque jour. Bien sûr, elle ne s'en plaignait guère. Elle aimait travailler et voir l'activité florissante de son commerce lui mettait toujours du baume au cœur.
Un peu moins d'une heure passa avant que l'un de ses employés vienne la chercher. L'équipe se scindait en deux. Le premier groupe dont Meira mangeait à onze heures et l'autre à quatorze ou quinze heures ce qui coïncidait avec l'heure d'arrivée de chacun au travail. Ceux qui arrivaient le plus tôt mangeaient les premiers et vice versa suivant une rotation pour ne pas toujours favoriser les mêmes. La propriétaire avait appris le métier sur le tas bien que son père ait été tavernier avant elle. Ce qu'elle avait rapidement retenu était que bien traiter et réussir à motiver ses employés était primordial et que cela se ressentait sur le chiffre d'affaires en fin de chaque mois. Ainsi, elle alla manger et goûta ce fameux poisson aux petits légumes grillés, un vrai délice pour les papilles. Le repas du midi était toujours un moment agréable pour discuter, mais également boire un verre de vin, ou deux.
À peine eut-elle le temps de se remettre au travail, que l'une de ses serveuses vint la chercher. Meira se lava les mains et se dirigea vers la grande salle. Il y avait du monde aujourd'hui. Peut-être aurait-elle dû prendre moins de temps pour manger. La serveuse en question lui fit mention qu'un vieil homme assis au bar la demandait. Scrutant le lieu, Meira dû s'y reprendre à plusieurs fois pour voir de qui il s'agissait. Néanmoins, quelque chose la fit tiquer et c'est ainsi qu'elle se précipita vers l'endroit indiqué.
- Qui a donné à boire à cet enfant ?
Meira essuya quelques regards d'incompréhension autour d'elle. Elle s'approcha alors de l'enfant, tranquillement assis, une mousse à la main. Elle l'aborda avec bienveillance.
- Bonjour jeune homme. Est-ce que je pourrais savoir ce que tu fais ici ? Ça n'est pas un endroit pour les enfants.
À la hauteur du garçon, elle le toisa de haut, un sourire amusé aux lèvres et les mains sur les hanches. Même assis, il ne lui arrivait pas à hauteur de regard. Elle attendit sa réponse, bien que quelque chose lui sembla désormais plus qu'étrange. Outre les vêtements coûteux qu'il portait, c'était son attitude qui la déstabilisa. Avait-elle bu un verre de trop ?
La taverne du lore ne payait pas de mine. Un établissement bien placé, une surface utilisable plus qu’intéressante. Exactement le genre d’établissement dans lequel j’aurai injecté des fonds en temps normal, elle avait un potentiel absolument incroyable. Il était midi passé quand je poussai la porte de la taverne. Un bruit familier de bar-restaurant en pleine effervescence m‘accueillit. Les affaires marchaient bien on dirait … Je m’avançai jusqu’au comptoir et m’assis sur une chaise haute tout en demandant au barman de me servir une mousse. C’était bien loin de ce que je pouvais boire d’habitude, mais commander du vin d’exception attirerait vraiment trop l’attention sur moi. Tout le regardant faire, j’interrogeai un peu le barman sur la taverne et ses habitudes. Il n’était malheureusement pas très bavard, trop occupé sans doute. Autant demander directement à la responsable. Si ce lieu trempait dans ce trafic, elle serait sûrement la première au courant. Je quémandais donc son nom à une serveuse qui me promit de la prévenir, elle était pour l’instant en pause. Bien, il n’y avait plus que moi et cette choppe en attendant. Je la vidais tranquillement en discutant avec mon voisin, un homme d’une cinquantaine d’années. J’avais eu la chance, ou la malchance cela dépendait du point de vue, de tomber sur un grand bavard. J’appris donc que la taverne était souvent visitée par des rustres qui se croyaient tout permis et qu’on ne mettait jamais dehors. Intéressant …
Je commençais déjà à voir comment cet endroit avait été inclus au réseau de trafiquants. Du chantage apparemment, mais il me fallait en avoir le cœur net. J’évaluais es différentes hypothèses quand une voix féminine m’interrompu. Je regardai autour de moi pour chercher le fameux enfant à qui ont avait servi de l’alcool, avant de me rendre compte qu’elle parlait de moi. Par Lucy, quelle était la probabilité que je tombe sur la seule taverne où la patronne me voyait comme un enfant ? Cela allait bien compliquer mon enquête … ou peut-être que non si je m’y prenais bien.
Une moue coupable se dessina sur mon visage tandis que je regardai ma choppe presque vide maintenant. La tête baissée et le regard haut, je fixais la nouvelle venue qui devait être la patronne.
C’est le monsieur qui m’a dit que je pouvais goûter madame !
Je ne savais pas quel âge j’avais pour elle, mais je devais être plus jeune qu’un adolescent pour qu’elle soit aussi choquée.
Pardon.
Je me retournai pour pousser la choppe vers mon voisin en accompagnant ce geste de quelques cristaux soigneusement dissimulés. Il me regarda sans comprendre, jusqu’à ce que je lui fasse un clin d’œil suivi d’un mouvement de la tête en direction de la porte pour bien lui signifier de dégager. Il sembla réfléchir, mais finit par boire le reste de ma bière et s’en aller en prenant les cristaux.
S’cusez m’dame, j’recommencerai plus.
Il ne comprenait rien à ce qu’il se passait, alors je rajoutai un autre regard insistant vers la porte et s’en alla. Je me retournai vers ma cible le visage plein d’innocence.
Je me promenai en ville et puis j’ai eu faim, c’est tout je vous jure ! Je peux manger au moins ? J’ai des cristaux regardez !
J’étalais quelque menue monnaie sur le comptoir pour appuyer mes dires. Je jetais un regard plein de bienveillance à la jeune femme avec pour objectif de la mettre dans ma poche. Il fallait faire vite avant qu’un de ses employés ne vienne lui susurrer dans l’oreille que quelque chose clochait avec moi. Ils devaient déjà se demander pourquoi leur patronne me parlait comme à un enfant et pourquoi je lui répondais aussi comme un enfant.
Qu’est-ce que je peux boire alors si j’ai pas droit à la bière ? Je peux rester hein ? J’ai tellement faim !
J’inclinais légèrement la tête sur le côté, un sourire mutin sur les lèvres. L’innocence était difficile à jouer, mais je m’en tirais bien.
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