Un cadre qui s'avérait propice pour réaliser certaines actions, à la faveur de la nuit. Ainsi, en tirant parti de façon éhontée de la confidentialité prodiguée par cette indistincte obscurité, mettre le grappin sur le carrosse de la noble Cynthia Moore n'avait guère présenté de difficulté. Tout comme l'attacher et la bâillonner, avant de la nicher dans l'écrin d'une poubelle pour mieux s'assurer de son silence – après avoir veillé à ce qu'elle fasse un petit somme, pour une poignée d'heures uniquement bien entendu.
Le plan avait mis plusieurs semaines à être élaboré, puis quelques jours à être répété, pour être finalement mis en œuvre lors de cette soirée tant attendue.
Dahlia réajusta le corset de sa robe – une luxueuse toilette taillée dans un délicat velours bleu nuit, qui était en réalité une illusion façonnée par son déguisement magique ; tout cela n'étant que poudre aux yeux – peu habituée à être ainsi engoncée dans un tel carcan d'élégance. Elle enfila ensuite promptement ses lunettes magiques, afin d'abandonner temporairement la teinte améthyste de ses prunelles pour un profond vert émeraude. Ses cheveux, quant à eux, avaient été tantôt coiffés à l'aide de son peigne magique, devenant pour l'occasion aussi roux qu'une hêtraie en automne, et avaient été réunis en un chignon d'où s'échappaient quelques mèches folâtres.
« J'ai toujours rêvé d'être rousse… Merci à ce fabuleux peigne d'exaucer mon vœu. »
La calèche dans laquelle elle se trouvait ainsi que sa complice, conduite par une fringante jeune femme pourvue d'un béret, s'arrêta non loin de leur destination, dans une ruelle adjacente choisie délibérément pour son caractère désert. Après en être descendue, Dahlia – ou plutôt Abigail, son prénom d'emprunt pour la soirée – tendit sa main à la jeune femme qui l'accompagnait, afin de l'aider à s'en extraire à son tour. Il s'agissait de sa complice, dont elle s'était attribuée le concours en l'exhortant à réaliser pour elle un service quelque peu… forcé. Mais comment pouvait-on refuser d'aider ses deux petites-filles ?
« Prête pour la soirée qui nous attend, très chère… Cynthia ? »
Sa voix s'était infléchie d'une tonalité bien plus haut perchée que d'ordinaire, et dans son regard pétillait un certain amusement, faisant écho au sourire madré qui étirait ses lèvres maquillées de carmin. Sans conteste, Dahlia s'amusait de cette situation, et des fausses apparences que sa sœur Iris, Astrid et elle allaient devoir revêtir, pour la soirée. Tout cela était hautement plus divertissant qu'une énième patrouille de garde, cela sans dire.
Les trois jeunes femmes achevèrent leurs derniers préparatifs puis atteignirent le lieu de la réception à laquelle elles étaient attendues – surtout Cynthia, à vrai dire, mais nul doute qu'elle saurait justifier la présence d'une certaine Abigail Jones à ses côtés, tout comme celle de Claudia Gartic, une éminente peintre, tout à fait factice qu'interprétait Iris.
Plusieurs mètres devant elles, la demeure des Coleman resplendissait dans son écrin d'opulence, investie d'un faste incontestable, à certains égards… indécent. Haute de plusieurs étages et dépourvue de manoir mitoyen, elle arborait une façade impeccablement entretenue, d'où surgissait parfois des balcons en fer forgé délicatement ouvragés. Par ailleurs, le manoir était percé à intervalles réguliers de larges fenêtres à meneaux. Derrières leurs croisillons de fer, l'on pouvait parfois entrevoir de fugaces aperçus des intérieurs s'étendant au-delà, lorsque la lumière ambrée des cristaux derrières elles venait à s'allumer. Pour certaines d'entre elles, cependant, des volets clos en préservaient l'entière discrétion.
Dahlia reporta son regard sur le portail baroque protégeant la demeure, ceinte par de foisonnants jardins sculptés, dont les arbustes joliment fleuris chatoyaient de multiples couleurs sous la pâle clarté lunaire. Elle ne put que noter le grand soin apporté à l'entretien de ceux-ci. Combien de jardiniers devaient donc y œuvrer au quotidien, pour maintenir un agencement aussi parfait de buissons et de plantes ornementales ? Sans parler de ce déploiement d'arbres, dont les cascades frémissantes de feuilles bruissaient sous le vent léger du soir, qui venait parfaire ce tableau bucolique. Dahlia n'aurait su le dire, mais tout cela la laissait coite. En effet, bien que d'extraction noble, elle s'était toujours tenue éloignée de ce milieu de nantis exhibant leurs fortunes, ayant bien de la peine à y évoluer. Elle devrait pourtant s'y astreindre, l'espace de cette soirée qui s'annonçait riche en entourloupes.
Vraiment, qu'est-ce qu'il ne fallait pas faire pour faire plaisir à non une mais deux petites-filles et se faire pardonner d'avoir précédemment mené une vie de commandant de la garde…
Edmond Delancy, un symbole d'Aryon, de la justice, de la sécurité et de la droiture même ! Chacune de ses actions n'avaient eu qu'un but : faire régner l'ordre et la paix. Protéger la famille royale et punir les criminels véreux et sans foi ni loi qui sévissaient dans le royaume avait été son quotidien, un quotidien qu'il avait mené avec ferveur sans jamais se fatiguer, mentalement ou physiquement, malgré son âge vénérable.
...Et pourtant, et pourtant ! Voilà Astrid transformée en une criminelle l'espace d'un soir, trahissant ainsi tout ce pourquoi Edmond avait vécu.
Hm ? Comment ça cette trahison avait déjà eu lieu des années auparavant, avec tout l'alcool ingurgité, les farces ou bagarres répétées se terminant par un séjour dans une cellule, les coucheries à droite à gauche, et bien d'autres histoires encore ? Pfff, foutaises !
Ahem.
Avec un profond soupir, résignée à son triste sort, une jeune femme avoisinant le mètre soixante-dix prit délicatement la main qu'Abigail lui tendait. Sortit alors du carrosse une beauté rousse aux longs cheveux soigneusement peignés, ne laissant place à aucune mèche rebelle qui aurait été normalement si caractéristique. Elle était habillée d'une robe de satin bordeaux dévoilant non seulement ses frêles épaules mais aussi ses longues jambes avec une haute fente à l'avant. Une tenue que la citoyenne n'était pas habituée à porter et qu'elle abhorrait même, lui donnant un côté...bien trop féminin. Même si ce n'était techniquement pas « elle ». Les yeux, couleur améthyste, fixèrent avec intensité sa camarade qui était bien entendu tout aussi resplendissante et surtout, bien différente.
Avec une telle allure, un air aussi digne, et une robe aussi flamboyante, on ne se serait pas attendu à ce que les mots suivants sortent de ses fines lèvres rouges.
-Ouais ouais ouais, j'suis prête pour c'te soirée de mer...Elle s'arrêta un instant, se mordit les lèvres, et recommença plus… «noblement», avec un sourire chaleureux : Mais bien sûr que je suis prête pour cette soirée, ma très chère Abigail. Ne perdons pas plus de temps et allons donc de ce pas rejoindre la majestueuse demeure des Coleman, car il serait fortement fâcheux que nous arrivions en retard !
Une voix plus aiguë et pompeuse, légèrement traînante, un registre des plus soutenus, tout cela pour convenir à l'image de la noble qu'elle était. Une image qu'elle avait subtilisée à la vraie Cynthia Moore grâce à son miroir de glace. Et non contente d'avoir l'illusion d'une autre personne, Astrid avait également sur elle son déguisement magique et d'autres outils encore pour le méfait qu'elles allaient commettre ce soir. Des outils magiques, mais également des outils plus personnels qu'elle empruntait à sa vie de noble qui remontait à plus d'une vingtaine d'années déjà.
En s'approchant lentement du lieu où le crime prendrait place, entourées par d'autres nobles qui se dirigeaient au même endroit, Astrid ne put s'empêcher d'immédiatement comparer sa petite maison à l'immense demeure qui se dressait devant elle et qui respirait la richesse dans le moindre recoin. Il y avait même cet énorme jardin entretenu que ses familiers auraient pu investir.
Nul doute, elle était un peu jalouse mais cela dit, elle avait également vu plus indécent comme démonstration de fortune et de pouvoir au cours de sa vie de noble-commandant invité à toutes les soirées mondaines possibles et imaginables.
Une fois arrivées devant les grandes portes du manoir gardé par deux majordomes, les trois jeunes femmes durent patienter pendant que les autres invités devant elles montraient leur invitation afin de pénétrer dans cette demeure d'opulence. En attendant leur tour, la Cynthya factice salua d'un signe de tête les nobles la reconnaissant, sans pour autant émettre le moindre mot. Car bien que le miroir pouvait donner l'apparence souhaitée, pour la voix…c'était une autre histoire. Aussi, il valait mieux éviter que les personnes connaissant la vraie Moore l'entende. D'ailleurs, elle allait être mise à l'épreuve puisque voilà que leur tour arrivait.
Avec un sourire suffisant, elle donna sa lettre d'invitation (subtilisée bien évidemment) à l'un des hommes qui s'occupa rapidement de vérifier le nom sur la liste qu'il avait sous le nez. Il haussa les sourcils un instant, leva les yeux pour observer les deux jeunes femmes se trouvant à ses côtés, et demanda sur un ton gêné :
-Madame Moore, nous sommes ravis de vous accueillir, mais...vos amies ne sont pas sur la liste des invités.
Intérieurement, Astrid claqua de la langue, irritée par la situation. Elle aurait espéré que cela se passe plus facilement puisque leur entrée était primordiale. Cela étant, elle avait déjà préparé une excuse.
Avec son air le plus désolé, elle répondit :
-Oh, milles excuses ! Je pensais pouvoir faire profiter de cette magnifique soirée organisée par le maître de la maison à mes deux cousines éloignées qui sont venues à la Forteresse exprès pour ça !
-Vos cousines ?
-Bien sûr ! Elle posa affectueusement une main sur le bras de Dahlia puis sur celui d'Iris. Voilà Abigail Jones, venue de la capitale et avec qui j'ai partagé mon enfance – elle a un côté un peu désagréable et colérique mais elle reste tout à fait délicieuse -, et Claudia Gartic, ma cousine préférée du Grand-Port ! Vraiment, elles avaient tant hâte de participer !
-Nous sommes désolés, mais….
-C'est problématique. Je me suis faite le devoir de leur montrer la ville, je ne pourrais décemment pas les abandonner...Eh bien ma foi, je reviendrai à la prochaine occasion ! Veillez passer le bonsoir à monsieur Coleman de ma part ? Lisant sur les traits des majordomes l'hésitation, elle rajouta à voix basse : Vous savez...toutes les deux viennent de familles aussi aisées que la mienne.
Les majordomes se regardèrent un instant, cherchant l'accord de l'autre, et finirent par céder le passage.
-Merci à vous deux, j'en toucherai deux mots à monsieur Coleman en votre faveur. Allons-y mes chères cousines !
Pfiou. Première étape réussie sans trop de souci. Toutefois, le plus dur restait à venir.
À peine un pas à l'intérieur qu'Astrid dû se faire violence pour ne pas avoir une petite grimace en constatant que l'apparence du manoir à l’extérieur déjà extravagante n'était rien comparée à l'intérieur. L'air de rien, elle examina rapidement les lieux à la recherche de miroirs qui auraient pu trahir son imposture, mais à part les énormes lustres baroques et les tableaux d'une valeur inestimable posés à la vue de tous, rien de dangereux.
Pour l'instant, le plan se déroulait sans accroc.
Pour l'instant.
Ne laissant en rien entrevoir le soulagement qui l'avait gagnée intérieurement, Dahlia offrit un sourire poli de remerciement aux laquais, puis rejoignit avec Astrid et Iris le hall d'entrée du manoir. Un immense escalier s'y déployait de part et d'autre, sous le miroitement d'un somptueux chandelier qui dardait une infinité d'éclats autour de lui. Posant une main sur la rambarde ouvragée, Dahlia releva de l'autre le drapé de sa robe afin d'être certaine de le gravir sans encombre, puis monta les marches aussi élégamment qu'elle le pût – c'est qu'elle n'avait guère l'habitude d'être perchée sur des talons si hauts et effilés, et feindre cette grâce aristocratique sur ces échasses demeurait une gageure.
Tout en gagnant l'étage, elle en profita pour détailler la décoration intérieure du manoir, au luxe encore plus ostentatoire que ce qu'avait laissé entrevoir son architecture extérieure, pourtant d'une grande magnificence. Les grands volumes le composant étaient emplis d'une profusion de mobiliers fastueux et de statues raffinées, comme s'ils cherchaient à en combler la vacuité. De larges tapisseries et tableaux aux tons chatoyants émaillaient les murs, retraçant des scènes de chasse, de banquets, de batailles stylisées ou encore des portait de la famille Coleman. Mais la plus belle des œuvres n'avait pas encore été dévoilée, songea Dahlia en esquissant intérieurement un sourire à cette fugace pensée.
Après avoir arpenté de longs couloirs dallés tapissés de rouge, les trois jeunes femmes atteignirent finalement la salle des fêtes. Il s'agissait d'une vaste pièce, presque aussi grande que la nef d'un temple, où s'étirait un magnifique parquet en bois précieux, et au sein de laquelle trônait une imposante cheminée de marbre, dont le manteau était gravé des armoiries familiales : deux lions se faisant face. Son âtre incandescent diffusait une douce chaleur, et illuminait une partie de la salle. Pour le reste, l'éclairage était apporté par les lustres scintillants suspendus à la naissance de la voûte, qui surplombaient la foule rutilante et bigarrée de convives déjà présents. Ils étaient là, drapés dans leurs toilettes d'excellente qualité et sans nul doute coupées sur mesure, à bavarder dans une allégresse maniérée, faisant bourdonner la grande salle comme une ruche. Un orchestre était également installé dans un angle, et faisait résonner d'entraînants accords de musique.
Le regard de Dahlia accrocha les tables garnies de petits fours, à la lisière des murs, puis ce grand bar derrière lequel se tenaient plusieurs serviteurs, qui en venaient et s'y dirigeaient dans un ballet incessant. Une multitude de bouteilles y étaient alignées, laissant entrevoir les robes pourpres ou ambrées des nectars capiteux qu'elles renfermaient. Dahlia y amena ses complices avant d'y laisser courir son regard, en proie à la plus grande hésitation.
« Il y a plus de variétés d'alcool que j'en ai bu au cours de ma courte existence... »
Suivant les conseils avisés du barman, elle attrapa une première coupe qu'elle offrit à Iris, puis une seconde qu'elle tendit à Astrid, avant que sa main ne s'arrêtât à mi-chemin, demeurant en suspens tandis que son regard se voilait d'un doute. Était-ce vraiment une bonne idée, de proposer de l'alcool à la citoyenne ? Arriverait-elle toujours aussi bien à composer son rôle ? Mais un verre ne risquait pas de tout compromettre, tout de même, au vu de sa résistance de soûlonne ? Ce fut finalement la silhouette de Madame Coleman, apparaissant à la lisière de sa vision et faisant par là-même faire une embardée à son cœur, qui précipita le choix de Dahlia, et lui fit reposer derechef le verre sur le bar. Il fallait absolument éviter que la maîtresse de maison, qui s'approchait dangereusement d'elles, ne jette son dévolu sur Cynthia, sans quoi leur imposture risquait d'être éventée.
« Et si nous allions plutôt… danser, très chère cousine ? »
Sans même attendre son aval, Dahlia happa le poignet d'Astrid de ses doigts graciles et l'éloigna de madame Coleman, pour l'emmener parmi la foule dansante. Iris, quant à elle, était restée au bar et pourrait peut-être se charger de distraire leur hôte, si cette dernière faisait montre de curiosité.
Mais pas Astrid.
Combien de temps est-ce qu'elle n'avait plus mis les pieds dans ce genre d'environnement de faux semblant qui avait été autrefois son quotidien mais qui aujourd'hui lui donnait froid dans le dos ? Trop longtemps, et si ça n'avait tenu qu'à elle, elle aurait continué à éviter ces soirées qui ne lui allaient guère. Mais à cause de Dahlia, elle allait devoir se contenter de serrer les dents.
….
Celaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa dit, sa mâchoire se relaxa bien rapidement et la fausse noble eut rapidement la bave aux lèvres. Métaphoriquement seulement, il était important de le préciser, car sous sa véritable forme, nul doute que la femme à tout faire aurait eu littéralement un filet de bave couler le long de sa bouche en voyant ce qui se dressait devant elle.
Une chose qu'elle regrettait peut-être...c'était quand même la bouffe. Des tables entières drapées de blanc sur lesquelles reposaient glorieusement divers mets tous plus savoureux les uns que les autres et dont la senteur picotait avec douceur les narines de la blanche. Des choux fourrés à la mousse de foie gras, des bouchées de saumon aux légumes, des tartelettes de caviar et bien d'autres amuse bouches encore qui rendait nostalgique l'ex-commandant. Et dans sa grande gourmandise, elle zieuta même avec une envie non dissimulée les autres pâtisseries posées plus loin, comme des macarons, le Capital-Ville Aquatique - une pâtisserie en forme circulaire composée d'une pâte de choux fourrée d'une crème mousseline pralinée absolument exquis -, et la liste était longue.
Mais, plus qu'une grande gourmande, la grande alcoolique qui était en elle repéra immédiatement le bar impressionnant autant par le nombre de bouteilles que par la qualité de celles-ci qui réveillaient la noble (soûlarde) en Astrid. Tant d'alcool qu'elle ne pouvait rêver de s'offrir avec son maigre salaire : de l'alcool de baies de lucols, prisé par tous les nobles du royaume, du plus classique vin de vignes à bulles mais d'un excellent cru par un vigneron réputé, de l'Ambriosa fort dont le goût, doux et sucré, était facilement addictif…
Elle regrettait peeuuuuut-être un peu son ancienne vie de noble. Juste un peu.
Face à l'effarement et l'hésitation de sa camarade, Astrid eut un reniflement moqueur :
-Vous….nous sommes encore jeunes, c'est tout à fait normal. Dans le futur, je vous ferai déguster à toutes ces variétés et bien plus encore, mes très chères...cousines.
Avec un air espiègle, elle fit un clin d’œil à la garde qui alla chercher des verres. Comme quoi, cette soirée n'aurait pas été perdue ! Toutefois, contre toute attente, la main de son amie s'arrêta sans donner le Saint-graal. Après un regard interrogateur, Astrid plissa les yeux en comprenant de quoi il en retournait et ce à quoi pensait Dahlia. Elle n'allait quand même pas faire toute une histoire pour un petit verre de rien du tout ? Elle était pourtant bien placée pour savoir que ce n'était rien pour l'ivrogne qu'était Astrid ! Et pourtant, contre toute logique – selon la citoyenne en tout cas – le verre fut reposé. Qu'à cela ne tienne, elle le ferait elle-même ! D'un air outrée, elle tendit la main vers l'alcool tant convoité :
-Voyons cousine, ce n'est pas un malheureux verre qui va….
Sans finir sa phrase, la citoyenne prise au dépourvu fut entraînée par Abigail sur la piste de danse sans comprendre les raisons d'une telle action. Elle lança un appel de détresse à Iris, mais cette dernière se contenta de siroter son verre en observant la détresse sur le visage de Cynthia Moore qui s'éloignait de plus en plus de son verre salvateur et du bar divin.
Une fois au milieu des autres nobles, Astrid remplaça son air renfrogné qui ne dura l'espace d'une seconde pour un sourire des plus aimables.
-Peux-tu m'expliquer pourquoi cette soudaine envie de danser ?
À la fin de cette question, elle ne put s'empêcher de marcher une fois sur le pied de sa camarade de façon tout à fait mesquine avant de se fondre en excuses. Bien sûr, elle savait pertinemment que son amie n'allait pas se laisser faire et se vengerait mais...eh, c'était le jeu.
Est-ce que sa petite-fille savait danser d'ailleurs ? Maintenant qu'elle y pensait, elle n'en avait aucune fichtre idée même si elle était une noble et de la famille Delancy. Aussi, c'était le moment de le découvrir.
-Si tu as des doutes, suis mes pas. Lui chuchota-t-elle au creux de l'oreille pour ensuite prendre sa main et passer l'autre derrière le dos de la garde.
Que ce soit dans un combat, une danse, ou au lit, elle était bien souvent la première à prendre l’initiative.
Mais une question se posait : est-ce que Astrid elle savait danser…. ? Bien sûr ! Elle était la première à entrer sur les pistes de danse...dans les tavernes ou autre. Dans les salles de bal par contre, ça faisait un moment et elle était un peu rouillée. D'ailleurs, ses premiers pas furent d'abord incertain avant de se laisser enfin guider par le rythme de la musique, se fondant parfaitement parmi les autres invités afin de ne pas attirer l'attention. Un pas après l'autre, un, deux, trois, un, deux, trois. Elle fit tourner Dahlia sur elle-même, puis tourna sur elle-même également, prenant au final un certain plaisir à ce genre de danse même si elle était bien moins intéressante et énergique que ce dont elle avait l'habitude.
Une fois que l'orchestre s'arrêta, certains nobles laissèrent leurs placesà d'autres danseurs envieux qui attendirent patiemment que l'orchestre se remette en route.
-Je suis plus rouillée que ce que je ne l'aurais pensé. Avoua t-elle.
Elle chercha par la suite du regard une horloge et poussa un petit soupir. L'illusion allait bientôt se terminer. Elle s'approcha de la rousse et lui murmura comme si de rien n'était :
-Il est bientôt temps pour la suite, Abigail. Mais avant ça…
Une sombre idée totalement débile germa dans l'esprit de la citoyenne lorsqu'elle entendit la mélodie suivante bien plus rythmée et entraînante. Et même si Dahlia aurait tenté de l'en empêcher en remarquant dans les yeux améthystes d'Astrid sa lueur espiègle qui était définitivement mauvais signe et présage d'une connerie quelconque, cette dernière la repoussa quelque peu avant de s'exclamer :
-Faite place, messieurs, mesdames, je suis honorée de vous présenter la danse spéciale de la maison Moore qui est déjà fort réputée dans certaines parties du royaume.
Après avoir salué comme il se devait les autres nobles de la pièce, Cynthia ne perdit pas un instant pour alors introduire aux autres une danse des plus étranges, sans grand sens, mais également des plus plaisantes à voir. Cette danse saccadée relevait plus des acrobaties que les danses habituelles tant elle demandait une souplesse et une force qu'on n'aurait pas soupçonné chez la jeune femme.
Les mains posées sur le sol, ses jambes tournèrent autour de son corps sous les regards intrigués, parfois médusés ou moqueurs des autres danseurs qui s'étaient arrêtés, avant de soudainement se retourner pour tenir en équilibre sur une seule main, la tête en bas. Elle enchaîna ainsi plusieurs autres figures, ignorant ostensiblement qu'elle portait une robe peu adaptée pour ce genre de mouvement.
Ce ne fut qu'une fois la musique arrêtée que la femme à tout faire se releva enfin, essoufflée et transpirante. Elle fit une dernière révérence aux invités – et récolta quelques applaudissements - puis annonça :
-Je vais m'absenter un moment aux cabinets d’aisance, je vous reviens très rapidement !
Ne pas attirer l'attention hein ? Heh. Ce n'était pas tant un problème, puisque Cynthia Moore allait bientôt...disparaître.
« Oh, et bien… » Les yeux de la garde décrivirent une brève œillade circulaire en direction des convives alentours. Ils lui parurent bien trop proches pour révéler la vérité. Il suffisait qu'une oreille intercepte ses mots pour que leur plan se trouve compromis… Optant pour la prudence, elle avança donc d'un ton détaché : « J'avais uniquement envie de partager le plaisir d'une danse en votre compagnie, très chère Cynthi… Aïe. »
Voilà qu'Astrid venait d'abattre sans vergogne son pied sur le sien, avant de se couvrir d'excuses, mais Dahlia n'était pas dupe. Que lui valait-il donc cet assaut inopiné ? Était-ce à cause de ce verre dont elle l'avait privée, par excès de méfiance ? Qu'à cela ne tienne, la jeune femme serait prompte à de se venger. Dans une esquisse de sourire, elle profita qu'Astrid murmurait à son oreille pour effleurer la sienne à son tour :
« Attends de voir ma vengeance. »
Puis leurs doigts se lièrent et elles étrennèrent une danse. Dahlia, grâce à l'éducation noble qu'elle avait reçue, maîtrisait les danses les plus couramment réalisées lors des réceptions, et n'eut guère de peine à se couler dans les pas d'Astrid. À vrai dire, elle glissa très vite dans l'ivresse de ce bal, tournoyant au gré des accords de musique qui s'égrenaient dans la salle, comme dénuée de toutes attaches, abandonnée à ce présent entraînant et enchanteur. À plusieurs reprises, son regard se porta sur sa partenaire, empreint d'un étonnement difficile à dissimuler. Astrid savait étonnement bien danser, il fallait l'avouer. À croire qu'elle ne s'était jamais totalement effeuillée des legs hérités de sa vie passée.
Lorsque, finalement, leur danse s'acheva, Dahlia quitta la piste tout en reprenant son souffle et ses esprits. Elle s'apprêtait à faire un compliment à Astrid sur le fait qu'elle ne la trouvait point si rouillée que cela, mais s'interrompit en distinguant cet éclair de malice – qu'elle ne connaissait hélas que trop bien – parcourir fugitivement son regard améthyste. Elle n'eut rien le temps d'ébaucher pour l'empêcher d'ourdir une bêtise, que Cynthia se fendait d'une étrange annonce.
La suite fut… aussi inattendue que surprenante. Dahlia admira, bouche bée, les étranges circonvolutions déployées avec agilité par son aïeule. Assurément, cette danse tourbillonnante était quelque peu déconcertante, mais elle ne manqua d'applaudir à la fin de celle-ci. Il n'y avait pas de mal à faire bouger un peu les lignes, et à introduire une façon inédite de se mouvoir, après tout. Par ailleurs, Cynthia en sortit miroitante de sueur, ce qui justifiait à merveille qu'elle dusse s'éclipser aux toilettes – la réelle raison étant en réalité tout autre.
Mais Dahlia n'en avait pas terminé avec son grand-père, ayant une vengeance à assouvir. Alors que Cynthia entreprenait de s'éloigner, elle s'interposa ainsi de justesse devant elle, bien décidée à la retenir quelques fractions de seconde supplémentaires. Elle se pencha alors gracieusement vers la table bourgeonnant de divers mets juste à côté d'elles, pour y saisir l'un des gâteaux très particulier y résidant.
« Quel dommage que vous dussiez vous éclipser, très chère cousine… Il s'agit là du tout dernier Capital-Ville Aquatique, les autres ayant tous été d'ores et déjà dégustés. Je vais devoir me dévouer. »
Sous le regard de Cynthia, Dahlia réalisa alors ce qui devait être sa plus flamboyante performance d'actrice. Une prouesse d'exagération théâtrale, durant laquelle elle mordit dans la pâtisserie tout en levant les yeux en l'air, avant de loucher à moitié de plaisir sous ses paupières mi-closes, puis d'expirer un long soupir de contentement.
« Hmmmm… Quel délice. Quel dommage, vraiment, que vous n'ayez pu goûter cela. »
Dahlia continua de savourer la pâtisserie, avec une grâce de bon aloi, et laissa finalement Cynthia s'éclipser. Elle lui avait bien dit, qu'elle se vengerait. Et, à peine avait-elle englouti la dernière bouchée de cette merveille gustative, qu'Iris vint à sa rencontre… flanquée d'un homme. Grand et de carrure corpulente – pour ne pas dire adipeuse, le cheveu déjà rare, il était vêtu d'un luxueux pourpoint passementé d'or. Sa sœur ne tarda à l'introduire :
« Très chère sœur, je tiens à vous présenter sire Henstone. Nous avons eu le plaisir de converser ensemble, et, en tant que fervent amateur d'art, il porte un grand intérêt envers mes œuvres. Que diriez-vous que nous lui présentions le tableau que nous allons proposer aux enchères privatives, en avant-première ? Dans un salon privatif, bien sûr, nous y serons plus à notre aise. »
Visiblement, Iris n'avait pas perdu de temps, et avait déjà ferré leur cible. Dahlia acquiesça tout en souriant.
« Enchantée, sire. Bien sûr, c'est toujours une immense joie d'échanger entre férus d'art. Allons-y. »
Ils quittèrent la salle de banquet pour s'engager dans le lacis des couloirs, et débouchèrent dans un petit salon. De dimensions plutôt restreintes, il était empreint d'une ambiance feutrée, tamisée par de petites lampes en fer et en verre, qui abritaient des cristaux dont les lueurs orangées brasillaient aux quatre coins de la pièce. Plusieurs fauteuils y étaient disposés, généreusement capitonnés et recouverts de velours bleu cyan. À bien y regarder, le bois de leurs armatures était gravé d'entrelacs ornementés, retraçant divers motifs végétaux et floraux, notamment de lierre et de chèvrefeuille. Les fenêtres piquetant la pièce étaient obstruées par d'épais rideaux pourpres, brodés des armoireries familiales, qui dissimulaient les jardins luxuriants que Dahlia avait pu entrevoir, en arrivant au manoir. Leurs encadrements, en pierre taillée, avaient été peints de mûriers et de liserons. Par ailleurs, elles étaient surmontées de panneaux en bois sculptés, où couraient d'élégantes inscriptions. Sans doute la famille avait-elle dû s'attirer les faveurs d'un renommé ébéniste, ayant réalisé ce travail remarquable. Parachevant la décoration, différents bibelots ornaient la pièce, emprunant des figures animales, et l'on pouvait même voir les amples cornes d'un cerf suspendues au mur. Sans conteste un trophée de chasse.
L'élément le plus notable de la pièce était toutefois cette immense bibliothèque, qui recouvrait le pan entier de l'un des murs, du dallage jusqu'au plafond. Taillée dans un bois sombre magnifique et ornementée de bas-reliefs champêtres, elle se trouvait garnie d'une myriade de livres. Dahlia ne put s'empêcher de s'en approcher, et de parcourir des yeux leurs splendides reliures. À partir des titres soigneusement calligraphiés sur les tranches des ouvrages, l'on pouvait entrevoir les multiples sujets qu'ils abordaient, allant de l'histoire et la géographie du royaume, jusqu'à des traités de philosophie ou encore des ouvrages botaniques. Un vivier vertigineux de savoirs, qui étourdit quelque peu Dahlia par son ampleur.
Un ténu raclement de gorge de la part d'Iris la fit toutefois se détacher de sa contemplation. Dahlia reporta aussitôt son attention vers leur nouvel ami, et plongea sa main dans son grand sac sans fond. Elle s'arrêta toutefois juste avant que le tableau ne franchisse son ouverture, et déclara en préambule :
« J'ai ouï-dire que… Ce tableau est d'une rare splendeur. Une merveille de délicatesse, d'une sensibilité poignante, exprimant le regard unique de son peintre, notre chère Claudia, sur le monde. Son charme subtil repose sur un savant équilibre de couleurs. Mais jugez-en par vous-même, sire. »
Après avoir brodé sur les qualités de l'œuvre, aidée par la magie du collier à son cou – grâce à laquelle l'homme était déjà convaincu par ses dires, pour au moins les trois prochaines trois heures – Dahlia lui présenta finalement le tableau. Pas très grande, la toile retraçait des contours abstraits, figurant une esquisse de couleurs entrelacées. Sans conteste une œuvre d'art, dans tout ce qu'elle avait d'incompréhensible et d'inaccessible. L'homme l'inspecta d'un œil fin et connaisseur, avant de finalement répondre :
« Très intéressant, vraiment. Je vous remercie, mesdemoiselles, pour cette présentation privilégiée. Nous nous reverrons aux enchères, soyez-en assurées. »
La première pièce de leur plan venait d'être mise en place.
Cela dit, la blanche accueillit la menace avec une pointe d’intérêt et une certaine excitation. Elle avait hâte de voir comment Dahlia allait faire, pour qu'ensuite Astrid se venge, commençant ainsi un cercle vicieux infini et imbrisable. Rirait bien qui rirait le dernier, comme on disait.
Eeeet, cela arriva plus vite que prévu. Alors que Cynthia s’apprêtait à quitter la salle des fêtes, voilà qu'Abigail se planta devant elle pour commettre son méfait. L'indignation se lut aisément sur le visage de la fausse noble lorsque la vraie garde dévora et savoura à la vue de tous le dernier Capitale-Ville Aquatique.
…..
Pffff, Dahlia avait cru qu'Astrid était une gamine et que ça allait faire effet sur elle ? Elle avait 83 ans et était une adulte à part entière bon sang, et plus une enfant qui…
qui…
La blanche serra les dents et se força à sourire comme si de rien n'était. Elle avait hésité un instant à user de son pouvoir pour arracher à sa camarade la pâtisserie et y mordre à pleines dents. Elle aurait même pu lui prendre avant qu'elle n'ouvre la bouche, si ce n'était pour ce satané rôle !
À vrai dire, la citoyenne avait espéré pouvoir se servir librement sous d'autres traits, et avait même repéré toutes les pâtisseries qu'elle voulait goûter, dont ce Capitale-Ville Aquatique.
-Dégustez dégustez ma chère. Vous dégusterez encore davantage, plus tard. À vous en glacer le sang. La menaça t-elle en restant calme pour ne pas attirer l'attention et ne pas faire capoter sa couverture.
Furibonde, Astrid se dirigea ensuite aux toilettes, se perdant dans les grands couloirs de ce manoir aux proportions bien trop grandes et bien trop décorées, que ce soit de tableaux aux couleurs criardes aux fragiles vases ornementaux. Elle dût demander son chemin à un majordome posté dans les couloirs et, après avoir vérifié à droite puis à gauche que personne ne l'avait suivi, ouvrit la porte pour s'y engouffrer. L'intérieur des toilettes était aussi époustouflant que le reste de cette demeure. Le plafond était élevé, un lustre des plus imposants accroché au milieu de peintures murales représentants ce qui semblait être des bébés avec des ailes, parfois jouant du violon, parfois de la trompette, parfois entrain de se soulager dans un ciel des plus bleus et de nuages épais et semblable à du doux coton blanc. Drôle de concept ça, des bébés avec des ailes. Peut-être des hybrides pigeons ? Bah. Autre l'immensité de la pièce qui était encore plus grande que le salon dans lequel elle vivait. Un énorme miroir était posé, reflétant la peinture qui se trouvait en face mais aussi la véritable apparence de Cynthia, et le lavabo était presque aussi digne que la baignoire d'Astrid. Quant au trône, l'objet le plus important dans des toilettes, il avait une taille normale mais paraissait ridiculement petit dans toute cette vastitude. Cela étant, niveau décoration, il n'y avait rien à envié. Le tout semblait sculpté dans de l'or, parfait pour y couler un bronze. Une tête de lion venait remplacer la chasse d'eau et il y avait même de la peinture sur la lunette des toilettes. Quant au papier pour se nettoyer le derrière, il était d'une douceur rare, probablement triple épaisseur et sentait fortement la rose. Astrid pouvait parier que rien que ces chiottes valaient bien plus que sa petite baraque perdue au beau milieu de la capitale. Quelle indignité, vraiment !
Rangeant sa jalousie dans un coin de son esprit, la citoyenne s’affaira. L'illusion de Cynthia Moore avait entièrement disparue, remplacé désormais par les traits habituels de l'ex-garde toujours dans sa somptueuse robe. Mais elle n'allait pas rester elle-même très longtemps. Se posant devant le miroir, elle sortit différents objets magiques de son sac pour se transformer une nouvelle fois et revêtir une autre identité. Une fois satisfaite, elle sortit des toilettes et se dirigea de nouveau, avec des pas confiants, dans la salle où ses pâtisseries l'attendaient.
De retour, pratiquement personne ne remarqua sa présence, et des murmures sur la danse étrange de la noble Moore se rependaient de plus en plus. Ricanant intérieurement, elle piocha dans les divers petits plats et sucreries et se fit amplement plaisir, se goinfrant comme jamais et profitant autant que possible de la soirée. Après un bref coup d’œil aux invités, elle aperçut Dahlia et Iris non loin de là, et son idée de vengeance débile s'imposa dans son esprit farfelu.
Discrètement, elle s'approcha de ses camarades et surtout, dans le dos de la garde. Et, délicatement, Astrid glissa un glaçon dans sa robe. Avec un sourire mesquin, elle se plaça ensuite en face d'elles, leur fit une petite référence, et dit avec une voix grave :
-Bonsoir mesdemoiselles, vous êtes resplendissantes. Amateures d'art ? Alors que vous êtes vous-mêmes des œuvres d'arts pour notre plus grand plaisir ? Haha !
En face d'elles se tenait une jeune personne à la chevelure noir de jais en queue de cheval et des yeux marrons pétillants de joie. Sur sa face, nulle cicatrice, cachée par du maquillage. Habillée d'une chemise blanche en soir, une veste et un pantalon noir ainsi que des chaussures en cuir, elle avait même opté pour un chapeau haut de forme. La poitrine plus que généreuse qui aurait dû se cacher derrière ces vêtements avait disparu, comprimée par des couches de bandages.
Mais le plus frappant dans tout ça, c'était aussi….cette moustache noire.
Astrid avait décidé de s'habiller en homme.
-Laurent...Largent, pour vous servir. Annonça-t-il avec un clin d’œil complice.
La prochaine partie du plan pouvait commencer.
Les trois jeunes femmes allaient bel et bien plumer sire Henstone, et Dahlia en ressentit presque une pointe de culpabilité, alors qu'Iris et elle quittaient le petit salon pour retrouver la liesse bruissante de la salle des fêtes. Ce pauvre homme était tombé dans leur piège sans soupçonner un seul instant qu'il puisse être la cible d'une escroquerie, d'abord arrimé par les charmes et l'éloquence d'Iris, avant de définitivement succomber aux paroles mensongères insufflées de magie d'Abigail.
Résolument, Dahlia était une garde loin d'être intègre, mais elle cherchait avant tout à aider sa sœur à rembourser la dette monumentale qui la lestait. Cela valait bien quelques écarts de conduite, et de déroger à certaines valeurs - pas si - ancrées en elle. Et puis, sire Henstone allait bien acquérir un tableau, après tout, comme il le souhaitait. Sa valeur n'en serait qu'un peu grossie.
« Bien, après avoir goûté ce divin Capitale-Ville Aquatique, il est à présent temps de tester le... Capitale-Village Perché. Un dessert moins connu, mais ô combien savour... Aaaaaaaaaaaah. »
Dahlia n'était pas parvenue à réfréner le cri de surprise qui avait jailli de ses lèvres, lorsqu'elle avait senti la caresse givrée d'un glaçon, introduit à brûle-pourpoint dans son cou, courir le long de son échine. Il ne lui fallut pas longtemps pour en deviner l'origine, et elle se retourna aussitôt, un éclat furibond d'indignation flamboyant dans son regard, avant de rester coite un instant.
Ce n'était point Cynthia, ni même Astrid, qui lui faisait face, mais… Un homme, habillé d'un costard parfaitement coupé, élégant mais sans ostentation, à la longue chevelure ébène attachée dans son dos et dont le regard brasillait de malice. Dahlia plissa les yeux face à sa révérence et à l'entente de son compliment. Elle ne pouvait s'y tromper, il émanait de ce dénommé Laurent ce mélange d'insolence et de charme qu'elle ne connaissait que trop bien chez son aïeul. Et cela lui fut rapidement confirmé par le clin d'œil entendu qui ponctua sa présentation.
« Enchantée, sieur Largent. Vous nous flattez, avec ces compliments. C'est un plaisir, en tout cas, de voir que nous avons un autre amateur d'art parmi nous. Connaissiez-vous Clauda Gartic, ma sœur ici présente, peintre de renom ? »
Tout en égrenant ces paroles convenues, Dahlia continua de détailler Laurent avec un intérêt non feint. Astrid s'était vraiment surpassée. Cette moustache paraissait si vraie qu'elle mourrait d'envie de la tâter, mais elle s'en abstint. Elle s'apprêtait à poursuivre la conversation, lorsque le tintement cristallin d'une cuillère contre un verre interrompit leur badinage. Il s'agissait de dame Coleman, qui avait attiré l'attention de ses invités afin d'annoncer le début des enchères dans l'une des salles attenantes.
« Veuillez m'excuser, j'ai une urgence mais je vous rejoins au plus vite. »
Dahlia avait en effet toujours ce satané glaçon à ôter de son corset. Elle s'était bien sûr attendue à ce qu'Astrid se vengât, et réfléchissait d'ores et déjà à ses propres représailles. Et dire qu'elle ne se souvenait déjà plus comment cette bataille entre elles avait débuté. Or, ce qui était certain, c'est qu'elle mettrait un point d'honneur à la gagner, bien qu'elle s'avérerait probablement sans fin.
Une fois dans les toilettes, Dahlia fut interpellée par leur décoration, encore plus que par leur envergure démesurée. Une immense fresque se déployait en effet sur les murs, étendant un ciel d'azur poudré de multiples nuages cotonneux, au milieu duquel évoluaient des chérubins ailés. Dahlia les considéra avec circonspection, se demandant quel artiste aurait pu accepter de peindre une telle œuvre, avant d'aller s'enfermer dans l'une des vastes cabines où trônait un toilette miroitant, comme orfévré dans un métal plus précieux que de l'or. Là, elle changea sa robe issue de son déguisement magique, ce qui lui permit de retirer facilement le glaçon, avant de faire réapparaître ses atours comme s'ils ne s'étaient jamais évaporés. Heureusement qu'elle n'avait pas eu à délacer son corsage à la main.
Quittant ensuite les lieux pour rejoindre la salle des enchères, elle s'y faufila juste à temps avant que les larges battants ne se referment et que la séance ne débute. La pièce était, comme toutes les autres de la demeure, particulièrement spacieuse. Des rangées de bancs en bois vernis s'alignaient sur plusieurs mètres, occupés ou non par des convives - la salle étant en effet bien trop étendue pour être entièrement comblée, même si elle se trouvait déjà plutôt honorablement remplie. Face aux banquettes se dressait une estrade, légèrement surélevée et ornée de gravures d'autres bébés ailés – décidemment, les propriétaires devaient apprécier ces petits personnages mafflus – charriant des paniers garnis de cristaux. L'un d'eux avait même été représenté allongé au beau milieu d'un lit de cristaux, qui formaient comme un matelas sous lui. Dahlia songea qu'elle pourrait certainement faire de même après ces enchères s'annonçant fructueuses.
Sur la plateforme, derrière un bureau fastueux, se trouvait assis un homme. Face à lui était ouvert un volumineux registre – comportant probablement la liste des objets qui allaient être présentés, ce soir-là – flanqué d'un côté par un encrier, et de l'autre par un petit marteau. Celui-ci allait lui servir à annoncer le verdict à l'issue des mises. En bordure de l'estrade reposait un haut présentoir, sur lequel reposait un objet dissimulé pour l'heure par une étoffe. Un frisson parcourut l'échine de Dahlia en songeant à ce qui allait se jouer, et elle alla sans tarder s'installer sur l'un des bancs, juste derrière celui de Laurent Largent, ce qui lui permettait d'être dans son dos.
Elle s'approcha alors de son oreille, alors que l'on annonçait la première enchère, pour lui chuchoter : « Prêt pour la suite ? Attention, en revanche, à garder la tête bien froide. »
Ce faisant, elle souleva furtivement le chapeau de Laurent et y glissa un glaçon - ce même glaçon qu'il avait coulé naguère dans son dos - qu'elle veilla à coller à ses cheveux à l'aide d'un chewin-gun. Quand il s'agissait de se venger, Dahlia ne perdait en effet jamais le nord.
À son nom, Laurent fit mine d'être surpris, ouvrant grand les yeux et la bouche de stupeur.
-LA Claudia Gartic ? S'exclama-t-il (elle) sans s'en cacher. Par Lucy, je n'aurais jamais pensé croiser une peintre d'une telle prestance et d'un tel talent ce soir ! J'ai bien fait d'accepter l'invitation !
Prestement, le faux noble enleva son chapeau et tendit une main respectueuse vers la sœur de Abigail pour lui faire un baisemain des plus traditionnels. Une pratique qu'elle avait détesté en tant qu'Edmond, mais qu'elle trouvait assez sympathique maintenant qu'elle était une coureuse de jupon invétérée. Elle devrait le faire plus souvent tiens. Mais pas sur les deux petites-filles de son ancienne vie, heh.
-C'est un honneur et un délice de pouvoir vous rencontrer. Un rêve qui se réalise, vraiment. Continua-t-elle de sa voix grave et suave en se redressant. Si Lucy avait donné un peu de bon sens à Astrid, qu'elle lui avait enlevé son attitude de beauf et qu'elle lui avait donné un service trois pièces, peut-être….qu'elle aurait eu plus de succès auprès de la gent féminine. Malheureusement pour elle, ce n'était pas le cas. De plus, elle avait d'autres idées en tête: boire.Puis-je vous chercher un petit rafraichiss…… ?
Le destin s'acharna sur Astrid sous la forme d'un tintement attirant l'attention de tous les invités présents dans la salle, au plus grand déplaisir de l'alcoolique qui fit une petite grimace. Les enchères allaient bientôt avoir lieu et Dahlia en profita pour s’éclipser confor….non, pas conformément au plan, grâce à la petite farce de la blanche qui ricana intérieurement. Alors que les nobles sortaient de la salle de réception pour celle des enchères, on put apercevoir ce charmant jeune homme boire d'une traite deux verres et déposer discrètement, comme si de rien n'était, plusieurs pâtisseries dans son sac sans fond pour plus tard sous le regard abattu d'Iris qui voyait là la réincarnation de son grand-père se conduire tel un enfant.
Reprenant constance, Laurent offrit son bras à la jeune artiste qui s'en empara.
-Allons-y, mademoiselle. Le temps c'est des cristaux.
Se mélangeant au reste de la foule, les deux intrus suivirent la vague excitée à l'idée d'enfin assister à l’événement majeur de la soirée. Tout en traversant les longs et immenses couloirs qui auraient pu accueillir un animal tel qu'un Kerberus Alpha, Laurent discuta avec Claudia, comme si de rien n'était, de toute et de rien pour ne pas attirer l'attention. Ils parlèrent des différents vases décoratifs, de leurs motifs délicats ou grotesques et des fleurs y reposant. Parfois des roses, parfois des lavandes, parfois des tournesols, le tout apportant une touche de couleur se mariant parfaitement bien avec le reste des meubles. Les tableaux avaient de quoi impressionner les vrais amateurs d'art également...ceux qui n'était pas le cas d'Astrid qui resta dubitative devant ce qui semblait représenter une femme nue se tenant debout sur un coquillage au milieu d'un lac. Les cheveux roux au vent, elle cachait sans aucune expression sa poitrine et sa partie intime. Une autre peinture des plus étranges montrait un homme allongé et nu tendant la main vers un vieil homme barbu dans une tunique blanche tenu par d'autres personnes. Telle une gamine, la citoyenne dû se retenir de rire en constatant la taille de l'entre-jambe de l'homme allongé. Dans d'autres circonstances et si ça n'avait été pas sa petite-fille, Astrid aurait dit à Iris : « la mienne était plus grosse que la sienne, ou il devait avoir vachement froid » avant de rire aux éclats sans honte aucune. Mais il fallait rester professionnel malgré les œuvres d'art entourant les deux Delancy. Leur mission au sein de ce manoir extravagant n'était pas encore terminée.
Arrivant dans la fameuse salle toute en démesure où l'arnaque aurait lieu, Astrid et Iris prirent place sur l'un des bancs en bois. D'un coup de coude et d'un mouvement de tête, la fausse artiste indiqua à Largent leur cible assit non loin de là. Un pigeon qui attendait de se faire plumer, similairement à la farceuse qui s'était farcie une farce de son amie qui était venue s’asseoir juste derrière elles.
En sentant le glaçon et la matière caoutchouteuse sur sa tête, la citoyenne eut un sursaut de surprise mais puisa dans sa volonté sans faille afin de ne pas pousser un cri. Au lieu de cela, elle serra les dents et offrit à la nouvelle arrivante un sourire contrit en tâtant ce qu'elle avait dans les cheveux. Un chewin-gun. Vraiment? Ça allait être une plaie à enlever! Grrrrr......
-Vous revoilà ! Et oui, je suis prêt. Je vais suivre votre conseil, aussi suivez le mien. Gardez la pêche, heh.
Avec un rictus carnassier, Astrid regarda satisfaite une part de tarte aux pêches quitter son sac pour s'envoler de manière télékinétique et recouvrir la face de la garde en silence tandis qu'on annonçait le début des enchères.
Dahlia était 60 ans trop jeune pour espérer surpasser la femme à tout faire en farces débiles et mesquineries idiotes hehehe.
-L'art est une chose profonde et précieuse qui mérite d'être possédée et appréciée seulement par ceux qui en saisissent leur valeur. Et, en cette magnifique soirée organisée par la maison Coleman, est réunie les vrais amoureux d'art ! Aussi, c'est avec un immense plaisir que je vous souhaite la bienvenue aux plus grandes enchères d'Aryon !
Suite à cette annonce, les nobles présents applaudirent, impatients déjà de prouver leur richesse et de pouvoir mettre la main sur l'une des œuvres pour impressionner leurs amis et la haute sphère. Quelque chose dont Edmond n'avait jamais vraiment compris l’intérêt.
-Notre première pièce, une peinture de Montoya, « Neige de la Capitale ».
Astrid ne connaissait ni le nom ni l’œuvre en question, mais ça ne l'empêcha pas de sentir un certain choc en voyant à quel prix elle s'était vendue. Bon sang. Elle aurait pu s'acheter un petit manoir avec tout ça. Mais une fois le choc passé, ce fut l'excitation qui prit place. Celle de gagner une somme pharamineuse.
Enfin, vint le moment tant attendu par 4 personnes - 3 arnaqueuses et une victime - et absolument personne d'autre.
-Pour notre 4ème pièce, nous avons...l'homme derrière le bureau hésita un instant lorsqu'elle fut dévoilée. Une peinture de Claudia Gartic, « Le Voyageur des huit chemins ».
À la vue de la dite œuvre, plusieurs murmures d'incompréhension se levèrent dans la salle. Une réaction tout à fait normale quant on avait un minimum de connaissance en art. Toutefois, le plus important était la réaction de leur victime qui avait les yeux rivés sur la toile qui n'avait pas grande valeur aux yeux des autres convives qui crurent bien à une mauvaise blague. Personne de sensé n’achèterait ça, même si ça avait été gratuit !
-Nous commençons les enchères avec….5 cristaux ! Qui dit plus ?
Un petit blanc s'installa. Ce prix était pour le moins ridicule. D'un ridicule sans nom. Était-ce là une blague ? Une farce ? Pourquoi Coleman avait accepté de vendre une telle chose ? Pourtant, à la surprise générale, la main d'un grand homme au ventre bien rempli se leva dans l'assemblée :
-50 cristaux !
Heh. Les hostilités commençaient. À son tour, Laurent Largent leva la main et annonça dans un calme olympien :
-100 cristaux pour cette magnifique œuvre.
Et ce n'était que le début.
Mais son avantage – et la joie inhérente l'accompagnant – fut, hélas, de très courte durée. La jeune femme eut à peine le temps d'entrevoir le galbe luisant des pêches composant cette apparemment délicieuse part de tarte, que cette dernière vint s'échouer sur son visage, sous le regard ébahi des convives alentours.
Quelle violence, et quelle indignité ! Afin de ne pas perturber le début des enchères, qui venaient d'être étrennées par le commissaire-priseur, Dahlia déploya tous les efforts du monde pour conserver sa contenance, et ne pas proférer l'insulte fleurie qui ne demandait qu'à jaillir de ses poumons. Fulminante de colère rentrée, elle darda un regard noir sur Laurent – qui lui tournait de nouveau le dos et ne put donc le percevoir, mais devait tout de même ressentir l'aura ombrageuse de sa complice planer sur lui – puis décida de… déguster cette part de tarte, qu'elle avait tout juste ôté de son visage. On ne gâchait pas la nourriture, après tout.
Un premier tableau ne tarda à être présenté, qu'elle considéra avec intérêt entre deux bouchées. Celui-ci représentait une place ensevelie sous la neige, chichement éclairée par la lueur d'un unique lampadaire, qui se dressait au centre du tableau à côté d'un banc à la teinte émeraude, aussi poudré d'une couche immaculée. Non loin de ce dernier, la silhouette voûtée d'une grand-mère émergeait au milieu du ballet des délicats flocons de neige. Ainsi coiffée de son grand chapeau évasé et drapée dans son châle fuchsia, elle semblait admirer la voûte céleste, enveloppée dans une solitude lourde de mélancolie. Dahlia n'aurait jamais été prête à débourser autant de cristaux pour une œuvre d'art, mais cela ne l'empêchait pas d'apprécier une toile aussi adroitement exécutée, la happant dans un autre espace-temps rien qu'en la sondant. Et ici, en l'occurrence, le tableau la transportait dans sa bien-aimée Capitale emmitouflée dans la saison froide.
D'autres tableaux succédèrent, et alors qu'une certaine lassitude menaçait de la plonger dans les prémices d'un endormissement, le tableau tant attendu fut annoncé, faisant bruire la salle d'incompréhension. Comment pouvait-on rechercher une œuvre relevant d'un tel amateurisme ? Or, à la surprise générale, il y avait bien un individu intéressé pour l'acquérir. Et même… un second, qui n'était autre que Laurent. Dans les inflexions sereines de sa voix perçait une détermination confiante.
Les mises s'enchainèrent alors à un rythme effréné, les levées de bras se succédant sans discontinuer, jusqu'à ce que la valeur du tableau commençât à atteindre des proportions mirobolantes.
« … 1500 cristaux. »
« 1800 cristaux. »
Le visage replet de sire Henstone était devenu rubicond, et ruisselait même d'une myriade de gouttelettes de sueur. Ses sourcils se haussaient par à-coups saccadés, et ses lèvres pincées laissaient transparaître sa contrariété. Il était manifestement à bout. Face à lui, Laurent ne se départait pas de sa placidité à toute épreuve.
« 2000 cristaux. »
« 2500 cristaux. J'ai hâte d'arborer ce tableau dans ma chambre, et d'en faire profiter mes conquêtes. »
L'hésitation devenait de plus en plus ostensible chez sire Henstone, le doute faisant osciller son regard. Irait-il jusqu'à renchérir ? Un silence se fit, dans lequel s'immisça un suspens intenable.
« 2500 cristaux… Une fois. Deux fois. Enchère remportée pour… »
« 3000 cristaux ! »
Il avait succombé. Cette fois-ci, Laurent laissa dignement sa place et ne prononça mot, si bien que le petit marteau finit par s'abattre, scellant définitivement la transaction.
« Le Voyageur des huit chemins, enchère attribuée pour 3000 cristaux. »
La salle toute entière, qui avait retenu son souffle jusque là, sembla finalement s'autoriser à respirer. Iris, assise à côté de Laurent, pivota légèrement son visage pour adresser une œillade discrète à Dahlia, assorti d'un sourire complice. La garde lui rendit volontiers. Ils l'avaient fait, ils avaient plumé ce pauvre sire Henstone. Lorsque, quelques objets de valeur plus tard, la séance prit fin, Claudia se vit remettre un sac fort chargé en cristaux.
« Hum, par contre, il va falloir que je repasse aux toilettes... »
Notamment pour laver la pellicule de sucre imprégnant son visage, qu'elle n'était pas parvenue à ôter avec son mouchoir. Attirée par le frémissement caractéristique de l'eau, Dahlia ouvrit une porte sur leur chemin… et réalisa bien vite, en jetant un œil à l'intérieur, qu'il ne s'agissait point d'une salle d'eau.
« Hé, pssst, venez-voir. » alpagua-t-elle alors Iris et Astrid qui avaient commencé à s'éloigner.
La salle découverte valait le détour, cela était peu dire. D'une taille respectable, un immense lit superbement ouvragé trônait en son centre, dont la garniture semblait ô combien moelleuse, et sur lequel avaient été éparpillées… des pétales de rose. Mais là n'était point le plus singulier. Non, ce qui attirait davantage l'attention, étaient les différents objets suspendus au niveau de la tête de lit : un martinet, un bandeau en soie, des menottes… Par ailleurs, un miroir s'étendait au plafond, juste au dessus de la couche. Hum… et il y avait également cette grande croix en bois, disposée dans un angle de la pièce, ainsi qu'une cage et une grande barre verticale… Curieux, tout ça. La clameur cristalline qu'avait entendue Dahlia venait du bassin enterré, assez grand pour deux, situé non loin de là. Il en émanait des senteurs de jasmin, et sa surface était agitée de remous sous l'action de cristaux d'air. La garde s'en approcha, et remarqua la bouteille qui reposait en bordure, accompagnées de plusieurs coupes vides.
« Oh, Astrid, Iris, regardez cette bouteille. Il s'agit d'un grand cru de champagne, on mérite bien de goûter ça pour fêter notre victoire… »
Alors que la citoyenne – flanquée par Iris et encore sous son apparence masculine – la rejoignait, Dahlia ne lui tendit cependant pas la coupe comme escompté. Non, à la place, elle la gratifia d'un croche pied et la fit tomber dans le bassin.
Pour l'instant, elle avait un autre adversaire qu'elle devait abattre et mener par le bout du nez. Ce cher noble pigeon qui allait se faire plumer sans se douter un seul instant de la supercherie grâce à la magie de la garde – comment et pourquoi elle détenait un tel objet effroyable par contre c'était une autre histoire -. De 5 pauvres cristaux, les enchères étaient rapidement montées à une vitesse et des sommes des plus vertigineuses pour ce qu'était en réalité la peinture. 1000 cristaux, puis 2000….Le tout pour la citoyenne était de monter tout en observant les réactions de l'homme obsédé par cette œuvre. Après toutes ces années passées à jouer aux cartes et autres jeux d'argent, la femme à tout faire, tricheuse invétérée, avait appris à repérer les signes de faiblesse dans les traits de ses adversaires. Frustration, hésitation, colère, espoir...Astrid, cette chieuse sans nom, savait frapper là où ça faisait mal, titiller par ci, provoquer par là, laisser une chance pour remonter le moral…
De toute évidence, leur cible était un très mauvais joueur de poker et se fit avoir en beauté, cédant finalement par lâcher 3000 cristaux au plus grand bonheur de la citoyenne qui cacha sa joie derrière un air faussement abattu. Ses épaules s'affaissèrent et elle baissa son haut de forme en lançant un regard sombre au grand gagnant. Mais à l'intérieur d'elle-même ? Elle dansait de joie, riait à gorge déployée, et se voyait déjà nager totalement nue dans une piscine de cristaux et de champagne avec toutes les jolies filles – nues également - qu'elle voudrait. Une vie de rêve l'attendait.
…
Une fois qu'elle aurait payé son loyer en retard, les dépenses liées à ses trop nombreux familiers, et tout le tralala...Ahem.
Une fois le sac de cristaux entre leurs mains, le petit groupe ne se fit pas attendre pour s'éclipser, même si Abigail devait d'abord passer aux toilettes. Probablement pour se nettoyer le visage, et cette fois la citoyenne laissa échapper un petit ricanement moqueur qui s'arrêta toutefois bien vite lorsque la garde leur intima de la suivre dans une pièce. Profondément intriguée, Astrid emboîta son pas et resta...estomaquée l'espace d'un instant.
Elle….reconnaissait ce genre de chambre. N'était-ce pas là ce qu'on appelait un donjon SM ? Tout l'indiquait dans les différents objets. Non, la curiosité sexuelle d'Astrid ne l'avait pas amenée sur des chemins sombres. Maaaaaiiiis, elle avait connu des partenaires ou des gens tendant vers ça. Et en voulant trouver une chambre pour passer la nuit avec une belle femme au nom de Anastasia, elles étaient tombées sur un établissement avec plusieurs types de chambre. Le donjon SM en était un. Une cravache en cuir, un incontournable de tout jeu un peu violent, à brandir sous le nez ou à appliquer sur le postérieur, le martinet aux lanières de cuir également, des colliers (pour chiens, symbole de soumission?) une tenue en cuir aussi -. Oui, il y avait beaucoup de cuir dans tout ça. Un peu trop même. Et ça la mettait mal à l'aise. Mais sa curiosité l'emportait, et elle alla ouvrir l'un des tiroirs, haussant les sourcils. Une sorte de cage en acier ayant la forme d'un pén...à quoi ça serv…. ? Non. Mieux ne valait pas y penser. Des bougies pour faire couler de la cire, des baillons, une ceinture avec un godemichet….Bonne Lucy. Si tout cela appartenait aux maîtres de la maison, ils savaient s'amuser. Et la personne qui portait la culotte avait tout l'air d'être Madame Coleman. Mais autre ces accessoires, la pièce était également richement équipée. D'immenses armoires avec des tenues plus différentes les unes que les autres, un banc dont le but échappait un peu à la citoyenne, une sorte de balançoire en cuir noir et luisant avec des menottes, un ensemble de cordes noirs et rouges, mais aussi un pilori en bois servant normalement à attacher un condamné à l'exposition publique avec une ouverture pour la tête et les poignets. Pourquoi est-ce que…. ?
Attendez, il y avait aussi dans le coin de la chambre une grande cage en fer. Trop grande pour être celle d'un chien, mais assez grande pour….une personne. Et juste à côté de la cage, ce qui semblait être un pot de chambre.
-Y'a de quoi faire dans cette chambre. Les Coleman savent entretenir la flamme de leur couple hehe. Une flamme qui fait couler de la cire sur le monsieur, heh.
C'est alors que Dahlia capta immédiatement l'attention de l'alcoolique en trouvant une bouteille de grand cru de champagne près d'un bassin. Ni une ni deux, elle se présenta aux côtés de sa camarade. Sauf que, au lieu d'être accueillie avec la fameuse bouteille, c'est un croche pied qui l'intercepta.
Sans un cri, dans un lourd silence, avec seulement un regard plein de mépris envers son amie et une promesse de vengeance brûlant dans le fond de ses iris, elle tomba dans l'eau et se retrouva fatalement trempée jusqu'aux os. Voilà donc ses beaux habits ruinés et sa belle moustache pendouillante avant de quitter misérablement la frimousse d'Astrid.
-Alors toi…tonna-t-elle avec un sourire narquois, à la fois amusée par la situation et le désir de reprendre le dessus. Tu vas voir ce que tu vas voir.
Tout en lançant de l'eau en direction de la garde pour faire distraction, elle usa une nouvelle fois de sa télékinésie….mais couplée à la vitesse du son. Aussi vifs que des serpents dopés, les cordes se dirigèrent en nombre vers la noble, s'enroulèrent autour d'elle et tout aussi rapidement, celle-ci se retrouva ligotée de toute part.
Certes, elle n'avait pas fait un travail d'artiste de bondage avec ces cordes, mais elle avait fait un effort.
Sortant difficilement du bassin, l'une des cravaches et l'un des godemichets volèrent en direction de ses mains. Puis, telles des épées vengeresses, elle les pointa vers Dahlia avec un rictus satisfait.
-Alors ? Tu t'avoues enfin vaincue ou il faut que je pousse notre petit jeu un peu plus loin ? Vu tous les outils à ma disposition, je pense qu'il serait préférable pour toi qu'on...
Elle s'arrêta et tourna la tête vers la porte par laquelle elles étaient arrivées. Des bruits de pas dans leur direction.
Merde.
Mais, comme l'on pouvait s'y attendre, celui-ci n'allait pas en rester là. Dahlia eut à peine le temps de s'écarter des éclaboussures projetées par Astrid, que des cordes vinrent l'emmailloter de toute part, la faisant s'apparenter à un pauvre saucisson ficelé. Hélas, Astrid était bien trop prompte à se venger. Et bien trop dotée en pouvoirs, qui la plaçaient éminemment victorieuse à chacune de ses représailles. Tout en avisant les objets brandis vers elle de façon menaçante - mais il fallait plus que cela pour l'intimider - Dahlia s'apprêta à répondre à son aïeul d'un air bravache, lorsque le martèlement lointain de pas coupa abruptement court à leur échange.
« On va devoir remettre la bataille à plus tard… Mais je propose que ce soit sans nos pouvoirs, cette fois. Il est plus gratifiant de combattre en terrain équitable, n'est-ce pas ? » lança-t-elle à la volée, en vue des futures vengeances à venir – car non, elle ne capitulerait pas de sitôt, comme Astrid pouvait s'y attendre.
Vite, à présent, il leur fallait trouver une cachette avant que quelqu'un ne s'introduise dans la pièce. Alors qu'Astrid la libérait de l'étreinte des cordes l'enserrant – ce qui ne fut pas sans la soulager - Dahlia parcourut d'un regard hâtif la chambre, en quête d'un abri de fortune. Astrid était déjà allée se réfugier grâce à sa vitesse supersonique, et Iris venait de se glisser derrière l'un des épais rideaux brodés, s'étant perchée sur le rebord de la fenêtre afin qu'on ne puisse entrevoir ses pieds en dépasser.
« Iris, garde-moi une place, j'arri… »
Mais dans l'empressement maladroit qui l'avait gagnée, face à l'urgence, Dahlia cogna au passage dans l'une des statues – suggestives – qui émaillait son chemin jusqu'à la fenêtre. Elle se mordit alors la lèvre, craignant que le boucan provoqué par sa chute ne révèle définitivement leur présence, mais celle-ci pivota simplement, en déclenchant un étrange cliquetis… Non loin de là, l'un des miroirs au mur s'ouvrit alors, dévoilant un passage nimbé d'inconnu.
« Oh, regardez ça… » prévint-elle ses comparses, les amenant à jeter un œillade hors de leurs cachettes.
Leur curiosité piquée à vif, elles s'y engouffrèrent sans attendre puis firent coulisser le miroir, qui se referma derrières elles juste avant que la porte de la chambre ne s'ouvrît. Au moins, elles ne pouvaient être mieux cachées qu'à présent.
« Eh bien, ce manoir regorge de surprises… Même si je ne suis pas certaine de vouloir toutes les découvrir… »
Après cette antre du vice révélant les pratiques plus qu'étranges auxquelles s'adonnaient le couple Coleman, qu'est-ce qui pouvait bien les attendre, derrière cette entrée dérobée… ? Dahlia le redoutait quelque peu, l'appréhension faisant tambouriner son palpitant, dans sa poitrine, alors qu'elle s'avançait dans le passage découvert en compagnie d'Astrid et d'Iris.
Ce dernier était plutôt étroit, si bien qu'elle devait voûter le dos pour y évoluer. Les murs, en pierre brute et grossièrement taillée, exsudaient une fraîcheur de cave. Aucun brasero n'était présent pour les éclairer, si bien que Dahlia dût sortir sa pierre de feu et l'allumer avant de la brandir devant elle, afin de leur prodiguer une source de lumière – bien maigre, mais cela était mieux que rien. Elles cheminèrent un certain moment dans le boyau, qui, après plusieurs circonvolutions, déboucha sur un escalier noyé dans les ténèbres.
Il lui fallut un regard supplémentaire en direction d'Astrid et Iris pour trouver le courage d'en descendre les marches, se demandant bien ce qu'elles allaient pouvoir trouver dans les tréfonds de ce manoir. Elles finirent par arriver devant les battants d'une porte, qui grincèrent dans un bruit strident fort peu engageant – pour ne pas dire aussi sinistre qu'un mausolée - lorsqu'elle les poussa.
Ces derniers dévoilèrent alors une pièce enténébrée et plutôt vaste, mais si chargée en objets de toutes sortes qu'elle en paraissait bien plus exigüe. À croire qu'on l'y avait déménagé une maison entière. À l'aide de sa pierre de feu, Dahlia alluma plusieurs des torches suspendues le long des murs, ce qui permit d'en distinguer davantage lorsqu'elles vinrent illuminer de leurs lueurs vacillantes la pièce. Nombre de tableaux étaient stockés, tout d'abord, dont la finesse des détails et les couleurs chatoyantes laissaient présumer de leur valeur. Mais également des meubles, des vêtements fastueux soigneusement pliés et enveloppés dans du papier de soie, ou encore des bijoux qui miroitaient derrière des écrins de verre… Mais également des tapisseries et des statues de marbre. Mais pourquoi tout cela reposait-il ici, et non au sein du manoir ? Avaient-ils une décoration tournante, par manque de place pour tout arborer ? Le reste de la demeure croulant en effet déjà sous les bibelots de toute sorte…
Une hypothèse, autrement plus plausible, ne tarda à émerger dans son esprit, qu'elle formula alors à voix haute :
« Il doit s'agir d'objets acquis illégalement… que les Coleman écoulent via leurs enchères. »
Il n'était pas rare que les nobles versent dans ce type de manœuvres fallacieuses pour s'enrichir davantage, et faire fructifier leur fortune. Au sein de sa poitrine, Dahlia sentit alors les prémices d'un dilemme poindre… Fallait-il les dénoncer à la Garde ? Mais comment pourrait-elle expliquer sa présence inattendue à cette soirée, et la façon dont elle était tombée sur ce stock d'objets ? Et puis, ne venait-elle pas de réaliser une action du même acabit, en arnaquant ce pauvre Henstone ? Ses pensées s'entrechoquèrent, avec toute la force de leur dissonance, et Dahlia se sentit un instant perdre pied… Avant de se forcer à se ressaisir. Alors, elle attrapa l'un des draps tapissant un meuble à proximité, et le lança sans crier gare sur Astrid, l'ensevelissant sous celui-ci. Elle trouva ainsi, dans le plaisir simple et enfantin de cette vengeance, un sursis pour ses présents remords.
Cela étant, quand votre petite-fille et amie vous proposait avec les yeux larmoyants (non) de ne plus utiliser de pouvoir dans le futur pour leurs vengeances, il n'y avait qu'un choix qui s'offrait à elle, surtout qu'elle ne s'était pas encore faite totalement pardonnée.
Tout en faisant la moue, Astrid utilisa son épée molle improvisée pour légèrement taper la joue de sa camarade :
-Hmmm, ok, soit. Mais retiens juste que je reste au dessus, que ce soit avec ou sans pouvoir, heh. Pas au vieux singe qu'on apprend à faire la grimace !
En un clin d’œil, les cordes qui s'étaient enroulées en de nœuds complexes autour de Dahlia se défirent sans qu'elle n'y touche. Il n'y avait pas à le dire, la télékinésie, c'était bien utile. Puis, tout aussi rapidement, la femme à tout faire disparut dans l'une des énormes armoires et se retrouva entourée de multiples costumes. Des accoutrements entièrement faits de cuir de toutes les couleurs, du noir, du marron, du rouge, une tenue de servante avec un nombre de froufrous indécent, un autre d'écolier beaucoup trop petit et beaucoup trop court pour un adulte….Des goûts bien étranges, ces Coleman.
Alors qu'Astrid se demandait comment elles allaient se débrouiller pour sortir de cette pièce richement décorée – parce que si c'était bien les propriétaires, elle voulait à tout prix éviter d'assister à leurs ébats mouvementés -, la garde trouva un passage secret sous le regard médusé de la femme à tout faire et de la petite sœur. Cette maison devenait de plus en plus surprenante. Est-ce qu'il y avait d'autres endroits et passages comme celui-ci ? Toutefois, pas le temps de se poser de questions ni de savoir si c'était une bonne idée de s'y engouffrer.
-Après le donjon SM, j'parirai bien sur un laboratoire d'un scientifique fou faisant des expériences humaines. Blagua la blanche, tout en gardant à l'esprit que tout compte fait, ça pouvait être une possibilité. Hmmm. Par précaution, elle garda une main sur son épée accrochée à ses hanches.
Ce fut avec soulagement et une pointe de déception qu'elles atterrirent dans une simple pièce avec divers objets de grandes valeurs….acquis illégalement.
-Anhw, dommage pour le laboratoire. Se contenta de dire Astrid en soupirant lourdement, peu étonnée par ce genre de pratique. Par contre, une riche idée lui traversera l'esprit. Une riche idée pour les rendre encore plus riche et ptet éponger les dettes d'Iris d'un seul coup. C'est une vraie mine de cristaux tout ça nah ? Vous pensez pas qu'on pourrait en subtiliser quelques u….QUI A ÉTEINT LES LUMIÈRES ?!
Tout d'un coup, elle était passée d'une salle éclairée par des torches au noir complet, sentant sur elle du tissu. Elle se débattit de toutes ses forces pour se défaire du piège, marcha à droite, puis à gauche, devant, derrière, et se cogna aux meubles et statues du coin avec des « AIE, OUILLE, MERDE » ! Ce petit jeu dura bien un instant avant qu'elle finisse par percuter de plein fouet quelque chose de plus mou et de plus chaud (un corps humain!), l'agrippant et l’entraînant volontairement dans sa chute et faisant tomber moult tableaux et bijoux autour d'elles.
Allez, faites que ce soit Dahlia, faites que ce soit Dahlia…
Elle enleva enfin le drap de sa tête, prit une grande bouffée d'air frais, et découvrit avec un grand sourire sur le visage que la personne sur laquelle elle était tombée était bien Dahlia. Et comme Astrid était encore mouillée à cause de sa chute dans le bassin, elle trouva drôle de mouiller son amie en retour en essorant ses cheveux au dessus de son visage.
-Quand je disais que je restais au dessus, j'avais dit ça de manière métaphorique, mais de manière littérale c'est aussi souvent vrai, hehehe. Et voilà t'es toute propre, plus de sucre sur le visage !
Une énième blague vaseuse et lourdingue. Avant de se prendre un pain bien chaud et bien mérité dans la figure, elle se releva et aida une Dahlia trempée à en faire de même.
Maintenant que c'était fait, quelle était la suite ? Elles avaient commis un crime en arnaquant un noble, mais Astrid se doutait bien que sa camarade restait une garde et que voler ce qui était là n'allait peut-être pas lui plaire. Puis à vrai dire, l'envie de les dénoncer était forte – par simple jalousie -, et parce que ce serait drôle que leur chambre fasse la une des journaux.
Oh, une autre idée.
Sans se presser le moins du monde, la citoyenne sortit un cadre magique de son sac et prit en photo la petite pièce ainsi que les multiples objets.
-Boom, des preuves. On va pouvoir faire chanter les Coleman avec ça hehehe. « Donnez nous tant de cristaux sinon on envoie les photos anonymement aux gardes avec une explication ». Je regrette de pas avoir pris leur chambre en photo du coup, heh.
Et dire qu'Astrid avait été garde autrefois. Commandant de la garde royale qui plus est. Elle était tombée bien bas.
Étant incapables de rebrousser chemin par peur d'entendre les cris de souffrance et de plaisir de monsieur Coleman, les trois jeunes femmes fouillèrent la pièce à la recherche d'une autre issue de secours pour retrouver leur liberté et profiter de leurs cristaux durement gagnés. Les propriétaires de cette maison étaient peut-être un peu parano ou trop prévoyant, mais elles finirent par trouver un mécanisme en tournant l'une des torches, ouvrant un autre passage dans le mur du fond de la pièce. De nouveau, elles s'engouffrèrent dans un couloir des plus sombres qui mena à ce qui semblait être un cul-de-sac. Cette fois ni statue suggestive, ni torche mis en évidence. Absolument rien, mis à part le mur fait de pierre. D'un commun accord, elles envisagèrent de combattre le couple Coleman et de forcer la fuite, mais alors qu'elles rebroussèrent chemin, Astrid qui était toujours trempée jusqu'aux os sentit un courant d'air qui la glaça. La bonne nouvelle, c'était que la sortie était de l'autre côté. La mauvaise était que….
-ATCHOUM !
Elle allait attraper froid à cause de Dahlia. Mais également grâce à cette dernière, les complices tâtèrent le mur totalement lisse à la recherche d'un énième mécanisme dont les propriétaires avaient l'air si friand. Ce fut Iris qui trouva l'ouverture qui permit aux trois jeunes femmes de rejoindre l'extérieur, accueillies par une nuit étoilée sans nuages à l'horizon. Aussi discrètement que possible tandis que le passage se refermait derrière eux, elles traversèrent le jardin et foulèrent l'herbe fraîche et rasée à pas de loup, se cachant occasionnellement derrière des arbustes parfaitement entretenus ou des statues pour éviter les regards indiscrets venant de la maison.
Très vite, elles traversèrent le portail baroque et partirent sans demander leur reste. Deux personnes mouillées – l'une avec encore des traces de sucre sur le visage, l'autre avec un chewin-gun dans les cheveux - et une autre tenant un sac de cristaux dans les bras, c'était un groupe bien trop particulier pour ne pas se faire remarquer. Telles des ombres, elles se faufilèrent à travers les rues de la capitale pour rejoindre leur cachette où de l'alcool et des serviettes les attendaient, le cœur battant encore la chamade d'excitation et de joie. Elles avaient après tout réussi un grand coup. Tout cela aurait pu mal se passer, aurait dû mal se passer même – surtout après les coups fourrés entre les deux gamines -, mais elles avaient tout de même réussi. Et en la jouant finement, elles pourraient même gagner un peu plus.
Car c'était peut-être la première arnaque d'une longue série, qui sait.