« Cela faisait longtemps que nous ne nous étions pas vus, comment vas-tu ? »
Et malgré les apparences trompeuses dont faisait habituellement preuve le jeune noble, il était vraiment ravi de revoir le garde. Pourtant, ses gestes semblaient plus réservés, et l’enfant devenu adulte ne s’exprimait plus si ouvertement. Ses lèvres autoritaires étaient désormais un enchevêtrement complexe d’une politesse exécrable. Mais cela ne l’empêchait pas d’inviter parfois le garde afin de prendre de ses nouvelles, car l’étouffante société d’Aryon se montrait prête à poignarder au moindre signe de faiblesse. Il était donc rafraîchissant de croiser Valentino qui à bien des égards se montrait franc et grossier. Son honnêteté avait même quelque chose de rassurant.
Ce qui était certain, c’était que le temps avait bien passé depuis leur première rencontre.
~ Une dizaine d’années auparavant ~
Ashley n’avait hérité de sa mère que sa belle chevelure flamboyante. En revanche, son regard d’azur n’avait jamais été présent dans la famille O’Callaigh. Ils étaient sa honte. Il était leur honte. Il observa un court moment son visage dans le reflet du miroir puis finit par se détourner, un bref sourire carnassier s’étirant sur ses lèvres. Il était peut-être le déchet de cette famille, mais bientôt, il en triompherait. Ce n’était qu’une question de temps.
Il enfila une cape en lin, puis sous le regard indiscret de la lune, il s’échappa par sa fenêtre. Ce n’était que l’histoire de quelques heures, mais il avait besoin de s’évader dans la Capitale. Et maintenant que sa défunt mère n’était plus là pour l’en dissuader, il n’avait plus de raison de reculer devant son but. Il déjoua la vigilance des chevaliers qui gardaient la demeure, caché dans un angle mort de la demeure, il dut escalader le muret du domaine lorsque ses pieds touchèrent les dalles de pierre, il courut sans se retourner avant de disparaître dans les ténèbres de la nuit.
La Capitale était particulièrement animée une fois la nuit tombée, la lueur des cristaux faisait naître une ambiance festive presque envoûtante. Une population tout autre se distinguait dans le paysage urbain. Dissimulé sous sa capuche en lin, il déambulait à travers les ruelles, cela faisait maintenant plusieurs semaines qu’il enquêtait sur les affaires de son père. Puérilement, il n’agissait que pour un désir de vengeance de cette vie difficile dans laquelle il avait été éduqué. Car dans le fond, il n’avait même pas le sens de la justice, chacun avait sa propre vision, et chacun avait ses objectifs. Il était stupide de croire que le bien était objectif.
L’influence du maître des O’Callaigh s’étendait parfois jusqu’à la Garde et ceux qui se laissaient corrompre aveuglément par quelques cristaux. L’humain était faible face à ses désirs, c’en était presque aberrant. Agacé par le fil de ses pensées, Ashley claqua sa langue contre son palais. Il lui fallait de l’aide, mais son réseau d’informations était limité à son cercle social. Et il était incapable de se mêler à la population de par son rang. Il avait donc besoin de l’étendre sans passer pour l’héritier O’Callaigh.
Il se faufila à travers les ruelles plus sombres, il avait un peu honte, mais le meilleur endroit pour avoir accès à toute sorte d’information, serait de se rendre là où les rumeurs allaient de bon train. Il était nerveux, mais il ne pouvait pas se laisser démonter maintenant qu’il avait commencé à élaborer son plan de conquête.
Il allait rentrer dans une taverne, loin de l’avenue centrale. L’adolescent fut tiré en arrière par le col. Le souffle coupé, il tourna son regard vers l’armoire à glace qui le tenait toujours.
« C’pas pour les gosses de riches par ici. »
Il plissa les yeux, la tenue soignée du jeune noble trahissait ses origines. Rapidement, il se dissimula sous sa cape après s’être échappé de l’étreinte du colosse. Il recula légèrement afin d’être hors de sa portée, et s’enfuir si la situation s’y prêtait. Il posa sa main contre sa gorge, massant la zone douloureuse.
« Je suis navré, mais il n’est inscrit nulle part que c’est interdit. »
Il habilla ses lèvres d’un sourire moqueur, il devrait choisir ses mots avec attention, et ne pas se laisser déborder par la situation. Il était déjà doué de sa parole, mais ses seules expériences se limitaient à ses tuteurs et les servants qui déambulaient dans son manoir. Il était encore à la limite d’atteindre sa majorité, il pouvait jouer de ça afin de se permettre un accès dans la taverne.
De son côté, le videur craignait davantage que la présence d’un jeune noble dans un endroit pareil puisse dégénérer. Tous n’avaient pas de bonnes intentions, surtout quand il s’agissait du rang dans cette société. Les répercussions pour l’établissement pouvaient être terribles s’il arrivait malheur au gosse.
« C’pour ton bien gamin, t’sais pas ce qui peut t’arriver. Puis t’es peut-être un peu jeune pour boire.»
Ashley était partagé, il pouvait faire appel à son pouvoir dès à présent, mais il n’était pas sûr de pouvoir rester conscient bien longtemps, et ce n’était pas une idée brillante de sombrer au milieu d’alcooliques, ou bien, il devrait continuer à négocier avec le colosse pour atteindre sa destination.
« Je vous remercie de vous inquiéter pour moi, mais je pense être capable de me débrouiller. »
Il lui barra la route d’un mouvement du bras.
« Désolé, mais tu restes dehors. »
Ashley finit par se résigner, visiblement il lui ne ferait pas changer d’avis. Il inclina la tête en reculant.
« Très bien, je ne vous importune pas davantage. »
Le videur hocha la tête d’un mouvement approbateur, puis rentra dans la taverne sans un mot, laissant le nobliau seul dans la ruelle sombre.
Celui-ci s’apprêta à partir lorsque son épaule rencontra celle d’un autre homme. Ils étaient deux, l’un était petit et trapu, son regard était noir, tandis que l’autre était à peine plus grand, se dissimulant derrière un masque. Ashley n’eût que peu de difficulté à comprendre qu’il s’agissait d’un artefact magique. Il grimaça, visiblement, ils n’étaient pas là par hasard. L’adolescent sentit son estomac se tordre douloureusement tandis que l’angoisse le saisissait. Il s’était fichu dans un sacré guêpier.
Il était évident qu’un jeune noble ne pouvait pas passer inaperçu de nuit alors que certains en profitaient pour commettre leurs méfaits. Il se mordit l’ongle du pouce, à la recherche d’une solution rapide. Il ne savait pas de quoi ils étaient capables, et Ashley n’avait pas spécialement envie de finir éventré dans un lieu isolé. Il avait le choix de rester devant la taverne en attendant que le videur revienne, mais il n’était pas sûr que les deux hommes aient cette patience.
Ashley plissa le nez, une forte odeur d’alcool se dégageait d’eux, mais ils ne semblaient pas saouls pour autant. Courir pouvait être une solution, mais sans connaître leur pouvoir, il se risquait à encore plus de danger. Et dans cette situation, son propre pouvoir lui serait inutile tant qu’ils étaient deux, et que lui pouvait s’effondrer à tout moment. Autant dire qu’il s’agissait d’un suicide.
Méticuleusement, l’adolescent recula sans regarder derrière lui.
« Si tu coopères, j’te jure qu’on te fera pas d’mal. »
Ashley leva les yeux au ciel, il était peut-être encore un peu naïf, mais il n’était pas stupide pour autant. Mais sa grande bouche ne put s’empêcher de s’ouvrir, provocante.
« C’est pour cette raison qu’il vous faut être deux ? Sur un enfant en plus ? »
Même devant la dangerosité de la situation, le jeune noble s’arma d’un sourire charmant. Il avait pensé à prendre une petite sacoche contenant quelques cristaux, mais ce n’était qu’une poignée afin d’être plus libre en circulant dans la cité. Il doutait qu’elle suffise aux deux hommes.
« Tu devrais faire attention à ton langage, t’sais pas dans quelle situation tu t’es foutu. »
En signe de reddition, le jeune homme leva ses deux mains face à lui.
« Oui, je pense bien que nous pouvons trouver un terrain d’enten-… »
Sa phrase fut brusquement interrompue lorsque son visage rencontra la lame brillante d’un couteau de chasse. Même s’il conserva sa posture, il ne pouvait s’empêcher de paniquer intérieurement. Il ne voyait aucune échappatoire à cette situation, alors qu’une perle écarlate roula contre sa joue. Sa réaction fut alors instantanée, allant même contre la volonté de l’adolescent. Son orbe bleuté s’ouvrit sur une pupille sombre. Et son angoisse se transforma en une illusion distordue. L’homme le plus petit poussa un hurlement ravageur, laissant le temps au garçon de reprendre ses esprits. Les flammes douloureuses furent instantanées, se libérant tel un torrent de lave en fusion. Seule l’adrénaline lui permettait de tenir encore debout. Mais l’autre homme plus vif lui enfonça son poing dans le diaphragme. Dans l’incapacité de produire le moindre son, Ashley se recroquevilla sur lui-même, s’effondrant sur le sol, tourmenté par la douleur.
Il était probablement fichu.
"Longtemps ouai! C'est le moins qu'on puisse dire... T'as l'air occupé, plus le temps pour moi maintenant que t'es plus âgé?" Une petite rinçade d'alcool coupe mon discours. "J'vais bien... Et toi gamin? Tu restes loin des ennuis?"
Il a vieilli c'est sûr, pourtant j'ai un léger sourire en coin quand j'lui pose cette question. J'suis pas plus con qu'un autre, loin de là même! Je sais qu'il y a des choses qu'on ne peut tout simplement pas dire à l'écrit et je sais aussi que, s'il est présent aujourd'hui, c'était pas chose assuré quand on s'est rencontré et qu'il fonçait, un peu stupidement, directement dans les ennuis.
Une soirée normale dans les rues de la capitale, j'avais quoi? Vingt-quatre ans à tout casser? Membre de la garde depuis huit ans, officier supérieur depuis deux ans, j'avais pas chômé depuis ma sortie de l'académie pourtant, impossible de prendre plus de galons et pour cause, les vieux débiles de la commission ne voulaient pas d'un chien fou à un post plus important : ouai, j'avais des résultat mais mon comportement, ma manière parfois un peu extrême de les avoir, ça plaisait pas forcément et que dire de ma réputation? On me traitait de dragueur invétéré doublé d'un alcoolique notoire? Sérieusement, est-ce que faire du charme à quelques demoiselle et apprécier le goût de la boisson après le service - toujours avec modération - faisait réellement de moi un mauvais bougre? Il était temps que je change la vision que les autres avaient de moi! Du coup, accoudé au comptoir d'un bar, une chopine à la main, j'étais tranquillement en train de discuter avec une charmante demoiselle... Quoi? J'ai jamais dis que j'allais la changer immédiatement la vision de moi!
La journée avait été plutôt longue, patrouille de routine dans les rues animée de la ville ce qui, avec moi, voulait dire une énième course poursuite contre un criminel quelconque. Ça finissait souvent comme ça de toute manière, la justice n'a pas de nuance! Il y a les criminels et les gens honnêtes, se dire que les choses sont soit blanches, soit noires rend absolument tout plus facile! Bref, un type arrêté, un rapport bien fait - mais en râlant parce que la paperasse c'est quand même de la putain de merde - et un service terminé plus tard, on peut entendre mon rire si caractéristique raisonner dans l'établissement pourtant bruyant de tous les clients envinés qui s'y trouve. "WOUARFOUAFOUAF!" Presque aussi fort et sonnant que le bruit bien plus reconnaissable qui s'entend après : une claque que je me prends directement dans le visage alors que la donzelle se lève furibonde pour s'éloigner d'un déhanché énervé mes diablement sexy. Putain! J'sors une clope, ma pierre de feu et j'm'allume tranquillement mon poison en bar avant de faire signe au tavernier de me remettre le petit frère. "J'vais te dire mon vieux, cette gonzesse sait pas apprécier quand on lui dit la vérité!" Pas ma faute si sa croupe était parfaite pour...
Tiens, voilà que Billy - j'sais pas son vrai nom mais en s'en fou - entre dans le bâtiment. Il est pas supposé jouer les gorille devant les portes? Jamais compris ces conneries, quand t'es tavernier t'as pas plutôt intérêt à avoir un maximum de client? Oh well, c'est pas mon boulot donc j'me trompe probablement. J'me dis que monsieur muscle doit rien avoir à foutre à l'extérieur, probablement une nuit calme, mais alors que j'pense ça, v'là qu'un hurlement se fait entendre juste devant les portes? J'regarde Billy en me levant.
"Bordel c'était quoi ça?"
"J'sais pas j'ai juste laissé un gamin noble dehors..."
Des muscles et pas de cerveau! Putain ce mec est un cliché sur pied. Quel genre de grand con laisse un môme visiblement riche seul dans une ruelle sombre en pleine nuit? Pas le temps d'hésiter, j'suis pas en service mais j'suis Valentino "Luce" Rivolti! J'vais pas éclairer le monde sans aller au secours d'un morveux, même si c'est un noble! Ouvrant la porte de la taverne, j'vois le petit à terre avec des sortes de bandes sur lui? C'est le pouvoir d'un de ses deux agresseurs? Aucune idée mais j'y penserai plus tard puisque j'vois surtout l'éclat d'une lame qui s'apprête à fondre sur lui. Pas le temps de passer en forme hybride mais j'dois empêcher le gamin de se prendre le coup de couteau. J'mets donc mon bras en opposition, la lame pénètre la chair dans une gerbe de sang et j'grogne en serrant les dents, putain une cicatrice de plus! Mon poing droit, rattaché au bras qui n'est pas blessé vient percuter la mâchoire de l'opposant, frappant juste sous l'articulation mandibulaire pour le mettre au tapis. L'autre... Il a pas l'air d'être en état de faire quelque chose en réalité. J'laisse le couteau dans mon bras, ca fait pression pour empêcher le sang de trop pisser si ça a coupé une veine ou une connerie du genre et j'me tourne vers le nobliau. "Et gamin... Tu tiens le coup?" Putain mais c'est quoi ce qu'il a sur lui exactement?
Il se redressa autour du chaos qui se déroulait dans la petite ruelle. Et bien que son abdomen lui soit encore douloureux, Ashley ne se laissa pas retomber au sol, appuyant son épaule contre le mur de la demeure.
« Je vais bien… »
Il mit un moment pour articuler ces quelques mots, mais il allait réellement bien maintenant qu’il se savait presque hors de danger. Le sang battait dans ses oreilles, mais il pouvait tout de même entendre la peau crépiter sous les bandes enflammées. Encore aujourd’hui, il avait du mal à se remettre des effets que lui provoquait son propre pouvoir. Son regard devint de glace lorsqu’il regarda les deux hommes au sol, l’un d’eux toujours sous le choc de sa vision.
« Tu ne devrais pas relâcher ta garde… »
Ashley pointa du doigt celui qui avait croisé son regard, la main vacillante. Il ne s’embarrassa pas de formules de politesse dans cette situation.
« Il ne va pas rester longtemps sous l’emprise de mon pouvoir. »
Il regrettait de ne pas avoir réussi à maîtriser son don correctement, et de l’avoir utilisé sous la pression. Au final, il ne lui causait que du tort actuellement. En effet, l’homme ne tarda pas à se relever difficilement, encore sous le choc de l’illusion. Ashley s’avança lentement, après avoir remarqué l’arme plantée dans la paume du garde. Juste un petit effort, et il s’accroupit avant de saisir le col de son agresseur sans force. Il ne devait pas le laisser reprendre ses esprits tout de suite afin que son sauveur ne soit pas à nouveau blessé.
Lorsque l’homme entrouvrit les yeux, l’adolescent fronça ses sourcils, ses orbes bleutés vacillants. Il devait l’utiliser, mais son pouvoir semblait réticent à s’activer, le flux magique presque épuisé. Il puisa dans ses dernières ressources, la pupille devenant noire, les lanières brûlantes s’étirant le long de son visage. Il lui fallait juste une seconde de plus afin de laisser le temps au garde d’agir en conséquence.
Alors que l’homme allait se réagir en saisissant le poignet de l’adolescent, il poussa un nouveau cri d’effroi, puis tomba au sol, pris dans un tourment insaisissable. Peu de temps après, Ashley tourna de l’œil avant de tomber à son tour, inconscient. Sa vision s’arrêtant sur la main meurtrie du garde.
~
Lorsque l’adolescent reprit ses esprits, une lumière vive agressa sa rétine, il referma aussitôt ses yeux. Le brasier fou avait cessé, mais le jeune noble gardait au fond de lui une sensation désagréable. Au fond d’un lit inconfortable, il n’osa pas rouvrir ses orbes bleutés, mais désirait savoir où il avait atterri. Sa nuit mouvementée lui apparue floue et en désordre. Il inspira profondément, essayant de rassembler les pièces du puzzle. Il glissa sa main sur son front plissé, puis soudainement rattrapé par la réalité, il se redressa violemment, rejetant la couverture sur le sol.
Il ne reconnaissait pas l’endroit, serrant fermement sa main sur les draps. Il y avait d’autres lits autour de lui, quelques personnes également allongées dessus. Ashley n’eut aucun mal à comprendre qu’il se trouvait dans une infirmerie. Certaines personnes étaient gravement blessées, tandis que des médecins sur place se déplaçaient pour vérifier l’état de leurs patients. Il lui était impossible de voir à travers les rideaux si la nuit était encore présente. Il ne donnait pas cher de sa peau si son père se rendait compte de son absence. Pourtant, il se laissa retomber lourdement sur son lit en poussant un profond soupir. L’adolescent tourna la tête pour apercevoir un grand homme brun discutant avec une infirmière. Il comprit en voyant sa main bandée qu’il s’agissait de l’homme qui lui avait porté secours durant la nuit.
L’infirmière qui remarqua qu’Ashley avait repris connaissance, fit signe au garde qu’elle revenait. Elle s’approcha de lui lentement. Elle était jolie, une longue chevelure brune qui lui tombait sur les hanches, un visage fin et gracieux. Elle posa sa main fraîche sur le front de l’adolescent qui ne put retenir les quelques rougeurs qui apparaissaient sur ses joues. Elle lui offrit un sourire doux avant de s’asseoir sur la chaise à son chevet.
« Je suis infirmière à la Garde, tu peux m’appeler Crystale. Et le grand bougon derrière, c’est Valentino. Il t’a ramené ici. »
Ashley pinça ses lèvres. Il n’avait pas confiance en la Garde depuis que son père s’était mis certains d’entre eux dans la poche. Mais avant qu’il ne reprenne le fil de ses pensées, elle commença à l’ausculter. Parlant d’une voix douce. Ce qui mit rapidement l’adolescent en confiance. Lui, qui ne s’ouvrait jamais aux autres, se laissait totalement manipuler sous les mains d’une inconnue.
« Et toi ? Comment t’es-tu retrouvé dans cette situation ? Qu'est-ce qu'un jeune noble comme toi essayait de faire dans cette taverne ? »
Il sentit que son corps était douloureusement courbaturé, mais il était trop fatigué pour essayer de se battre contre ses principes, et il s’ouvrit tout simplement.
« Je cherchais de l’aide… »
Il s’arrêta en regardant la main bandée du garde puis baissa la tête un peu gêné d’avoir entraîné quelqu’un dans ses stupides ennuis.
« Je suis désolé pour ça… »
D’un geste du menton, il désigna la blessure de Valentino, puis reprit ses explications d’une voix morte. Il omit volontairement de se présenter dans le doute où une oreille indiscrète pouvait rapporter les événements à son parent.
« J’ai découvert des documents frauduleux appartenant à quelqu’un. Et je voulais essayer d’en apprendre plus. »
Il enfonça la tête dans ses bras rongé par son inconscience. Si le garde n’avait pas été là, il n’aurait probablement pas bien terminé sa nuit. Et il n’était même pas sûr d’obtenir de véritables informations en s’y prenant de la sorte. Il était honteux d’avoir cru qu’il pourrait faire quoi que ce soit en étant seul.
"Sous l'emprise de ton pouvoir?" Que j'lui demande intrigué mais il ne répond pas et pour cause, le voici qui réavance difficilement vers l'homme à terre. Sérieusement, il a des burnes ce petit mais faudrait voir à pas trop en faire quand même. J'm'avance prêt à intervenir quand l'homme pousse un hurlement alors que ces espèce de bandes s'étendent sur le corps du môme. Sérieusement, c'est ça son pouvoir? En fait c'est pratiquement lui qui s'est foutu tout seul dans cet état ou quoi? Et le voilà qui s'écroule, évanoui alors que les cris de son "adversaire" se font entendre dans la nuit... Première chose à faire, j'approche de l'homme en train de hurler, le chope par le col et comme souvent j'utilise ma tête pour réagir correctement à cette situation : un énorme coup de boule pour le faire taire en le foutant dans les vapes. Naturellement, ses hurlements ont quand même fait sortir Billy le gorille qui se décide à venir voir ce qu'il se passe après la bataille... Tant de bravoure l'honnor.
"Tu tombes bien mon gros : ces deux types viennent d'agresser un gamin, tu contact la garde immédiatement et tu leur dis que l'officier supérieur Rivolti leur a laissé deux suspects à foutre au cachot. J'dois m'occuper du petit donc j'peux pas perdre de temps avec eux. Si jamais j'apprends qu'ils se sont échappés, je reviens personnellement enquêter sur toi, ton patron et absolument tout vos clients jusqu'à comprendre comment deux types inconscients ont pu s'échapper c'est clair?" Il hoche la tête, visiblement il est con mais pas assez pour ne pas comprendre la menace à peine voilée de faire de sa vie un enfer. Suite à cela, j'attrape le gamin par la blouse, j'le soulève du sol et j'le dépose sur mon épaule comme s'il s'agissait uniquement d'un sac. Faut l'amener à un endroit dans lequel il pourra se reposer et où on me foutra pas dehors sous prétexte que j'suis pas de la famille. Puis bon, sans savoir ce qu'il foutait là, j'préfère avoir une petite discussion avant de prévenir des putains de nobles que leur môme a participé à une bagarre devant une taverne. Direction l'infirmerie de la caserne donc...
Arrivée sur place, j'suis immédiatement accueilli par la personne en service : La jeune et magnifique Crystale! Visuellement ça aurait pu être pire, niveau caractère et réaction à mon encontre par contre... Mouai, j'crois que j'aurais préféré le vieux Gus pour le coup! Naturellement, les yeux experts de la belle me détaillent assez rapidement et, même si généralement ça me dérange pas qu'une belle dame me dévore du regard, pour le coup c'est plutôt emmerdant : ainsi, ses yeux se déposent sur ma main toujours traversée d'une lame, le sang qui en coule et qui tâche le sol et finalement le gamin sur mon épaule. Un froncement de sourcil et la voilà qui s'avance vers moi en déposant ses mains sur ses hanches.
"Valentino Rivolti! Qu'est-il arrivé à ta main et qu'as-tu fais à cet enfant?"
"Tout doux ma belle, laisses-moi au moins le poser sur un plumard puis j't'expliquerai..." J'm'avance donc vers un lit libre, j'dépose le petit dessus - ou plutôt je le lâche dessus - et j'retourne m'installer sur un tabouret prêt de la belle dame. Naturellement, pas le temps de prendre la parole qu'elle s'empresse de sortir du matériel pour s'occuper de ma main. Pendant qu'elle retire la lame et qu'elle s'assure que je ne perde pas l'usage de ma dextre, j'lui explique grossièrement la situation. "J'étais pénard en train de boire un coup quand j'ai entendu un hurlement devant la taverne. En sortant, j'vois ce gamin, qui apparemment essayer d'entrer dans la taverne, à terre avec deux hommes, un debout armé d'un couteau et l'autre recroquevillé tremblant comme une feuille. J'me suis interposé entre la lame et le gamin et j'ai fais mon boulot en lui sauvant la peau..."
"L'un des deux était recroquevillé?"
"Ouai rapport au pouvoir du gamin j'pense. D'ailleurs, j'ai pas tout suivi mais j'pense que la seule blessure qu'est vraiment dû à ses agresseurs c'est la coupure sur sa joue, pour le reste c'est les conséquences de son propre pouvoir de ce que j'ai pu voir..."
Elle termine de bander ma main, se lève pour ausculter rapidement le môme encore inconscient et revient vers moi. "Son état est stable, il n'a pas l'air d'être réellement blessé outre mesure..."
"Du coup maintenant que c'est fait, tu termines ton service à quelle heure, on pourrait aller se boire un verre?"
"Tu es incorrigible tu le sais ça? J'en ai encore pour au moins deux heures..."
"J'peux attendre, faut que je parle au gamin de toute façon... Puis bon, si c'est pour toi..."
D'ailleurs, il y a du mouvement du côté du gamin apparemment il retrouve conscience. Crystale va immédiatement à son chevet avec tout son professionnalisme et j'apprécie de la regarder s'éloigner même si je préfère quand elle s'approche. Elle me présente et j'fais un signe de ma main bandée. J'écoute distraitement la conversation, haussant les épaules lorsqu'il s'excuse pour ma main - c'est les risques du métier après tout - par contre, mes sourcils se froncent lorsqu'il parle de documents frauduleux... M'avançant d'un coup je dépose ma main sur l'épaule de la jeune infermière. "J'prends le relais à partir d'ici ma belle."
"Je suppose que ça veut dire que notre verre est annulé?"
"Jamais! Tu sais que je trouverai toujours du temps pour toi..."
Un léger sourire charmeur alors qu'elle s'éloigne, je tire une chaise pour m'installer prêt du gamin. Je joins mes deux mains ensemble, déposant mon menton dessus et j'l'observe un petit instant. "Avant tout chose, t'es sûr que ça va? Ça avait l'air particulièrement douloureux... Ensuite, pourquoi aller dans une taverne plutôt que de venir voir la garde pour chercher de l'aide si tu as des preuves d'actes frauduleux?"
Quand celui-ci vint s’asseoir à ses côtés, le jeune noble se renferma aussitôt. Il avait peut-être commis une grave bêtise, et si cela s’apprenait, il risquait bien plus que de simples remontrances. Il chercha nerveusement une échappatoire, mais entouré de la sorte par différents gardes, il y avait peu de chances qu’il puisse aller où que ce soit. Et il avait épuisé tout ce qui lui restait de son pouvoir. Ses seules chances seraient donc la discussion, il était maintenant temps de mettre à profit ses talents d’orateur. Ashley prit une grande inspiration, sa priorité était de s’assurer que Valentino était digne de sa confiance.
Il hocha brièvement la tête en apportant sa réponse.
« Ce sont les risques de faire appel à mon pouvoir, ce n’est pas grand-chose. »
Les lanières de feu s’étaient évaporées, mais il gardait encore une sensation désagréable de brûlure au fond de lui.
« Je ne peux sortir librement de chez moi, il aurait été suspect que je vienne voir la Garde. Puis les preuves n’étaient pas concrètes. »
Il releva la tête afin de regarder le garde droit dans les yeux, il hésita à continuer son discours. Mais si Valentino ne montrait aucun signe de corruption, il pourrait avoir un allié de choix afin de mener à bien ses plans. Plongé dans ses profondes réflexions, il ne se rendit pas compte qu’il laissait l’homme patienter. Il se racla alors brièvement la gorge pour reprendre.
« Je cherchais simplement à en apprendre un peu plus. Apparemment, il n’est pas rare d’entendre des rumeurs sur les hommes influents du pays. Sans preuves concrètes, je ne sais même pas si ma demande serait prise au sérieux.»
Un enfant qui essaye d’accuser à tort sa famille sonnait comme s’il désirait s’approprier son héritage. Personne ne l’aurait cru, et finalement il se serait juste attisé les foudres de son père. Il avait espéré en rentrant dans plusieurs tavernes que l’alcool délie les langues, et qu’une personne laisse sa rancune envers les O’Callaigh parler. Il n’était pas rare que son père fasse appel à la menace pour radier un individu gênant. Mais, ignorant du monde extérieur et seulement limité à ce qu’on lui autorisait, Ashley s’était stupidement mis en tête qu’il arriverait aisément à ses fins.
Il allait maintenant observer attentivement les réactions du garde, si elles étaient escomptées, il lui raconterait probablement tout ce qu’il savait. Et il ne se laisserait pas intimider par sa présence écrasante.
« Si l’on m’assure une protection, j’accepte de vous faire part de ce dont je suis au courant. »
Et Lucy savait à quel point il en aurait besoin. Il créerait un scandale sans pareil dans la noblesse, et il ne doutait pas qu’une lame de Damoclès lui pendrait au nez sitôt que tout serait rendu public. De toute façon, il ne serait pas en état de refuser. Et rien n’empêchait Ashley de nier si Valentino se retournait contre lui.
« Je… »
Il ne savait pas vraiment par où commencer, il y avait tant de choses à dire qu’il était certain qu’il en aurait pour un moment. Il clapota ses doigts sur sa cuisse, regardant autour de lui, espérant qu’aucune oreille indiscrète ne se permettrait d’épier leur conversation.
« Le document que j’ai vu parle de prostitution illégale et non consentie. Il profite que d’adolescents qui sortent tout juste de l’orphelinat pour en faire un commerce chez les nobles. »
Et il ne s’agissait là que de la partie émergée de l’iceberg. Il n’avait pas encore parlé des drogues qui leur étaient injectées afin qu’ils deviennent plus dociles, de la corruption de certains membres de la Garde pour étouffer l’affaire. Ni même des cadavres que portait son père dans cette affaire, il avait preuve de créativité en ce qui concernait les menaces envers ceux qui essayaient de lui nuire. Il déglutit difficilement, maintenant, la vérité serait dévoilée. L’adolescent n’était pas totalement honnête, il y avait une chose dont il ne ferait pas part. C’était qu’il ne faisait pas ça par altruisme. Il se fichait pas mal de ce qui arrivait à ces orphelins. Après tout, il n’y avait personne pour les pleurer. Non, ce n’était qu’un moyen pour se débarrasser de celui qui criait sans honte sa gloire. Cependant, ça ne l’empêcha pas de jouer sur les sentiments. Son regard se brouilla, comme s’il était traumatisé par sa découverte. Les répercussions de son pouvoir l’aidaient bien à simuler.
« C’était assez éprouvant à lire… Et je pense qu’il y a encore bien des choses à découvrir… »
Est-ce que Valentino se rangerait de son côté, ou bien laisserait-il Ashley aux griffes de celui qui était son tortionnaire depuis des années ?
"Tu sais gamin, si tous les témoins avaient des preuves concrètes, nous les gardes on servirait plus à grand chose! C'est notre boulot d'enquêter pour démêler le vrai du faux..."
Après tout, être garde c'est pas juste rouler des mécaniques durant les patrouilles ou séduire la jolie infirmière grâce à mon charme naturel! C'est beaucoup de recherches, souvent des fausses pistes et parfois - souvent quand on est doué comme moi - des résultats. Le boulot d'enquêteur est intrinsèquement lié à celui de garde faut pas l'oublier... Cela étant, j'laisse le petit continuer tout en me sortant une clope et ma pierre de feu. J'sais bien que Crystale va me jeter un regard noir, me dire qu'on ne fume pas dans une infirmerie mais que voulez-vous? J'suis pas le genre d'homme qui se plie toujours au règlement. Les rumeurs... Ouai effectivement, les tavernes sont sans aucun doute le meilleur moyen pour en entendre, j'vais pas dire le contraire cependant, faut pas toujours croire ce que l'on raconte! Si toutes les rumeurs étaient vraies je serais sans aucun doute le pire garde du royaume et pourtant, mes résultats prouvent par eux seuls que ce n'est nullement le cas...
"J'sais pas sur quel genre de gardes t'es tombé gamin, pas plus que si t'as déjà eu affaire à des gardes en réalité mais, si un de mes collègues ne donne pas suite à une possible affaire simplement parce qu'il doit faire son boulot et remuer la merde pour savoir si tes accusations sont fondés ou non, fais moi le plaisir de me le désigner que j'lui botte le cul! C'est pas au plaignant de prouver si sa plainte est réelle ou inventée, c'est notre boulot de démêler le vrai du faux dans la plupart des cas."
Sinon ce serait beaucoup trop simple. J'm'avance légèrement après avoir rejeter la fumée que je viens d'inspirer dans les airs, carrément une demande de protection? Soit l'affaire est réellement grave, soit le gamin en fait un peu trop. Dans tous les cas, ça ne marche pas réellement ainsi, impossible de mettre en place une protection des témoins sans même savoir de quoi il en retourne. J'réponds donc rien, me contentant d'hocher la tête pour l'inciter à continuer. Pas de fausses promesses si je ne promets rien pas vrai? Il semble perturbé par ce qu'il a découvert en tout cas, j'peux pas croire qu'un gamin puisse réellement simuler l'espèce de malaise dans lequel il semble se trouver, à moins d'être un putain de sociopathe mais bon... J'vais croire que ce n'est pas le cas! Aussi, quand il parle d'abus d'adolescent orphelins, mon sang ne fait qu'un tour! Bordel de merde qui ose faire cela a des enfants? J'fronce les sourcils, j'sais pas réellement qui est supposé coupable de cela mais si ces accusations s'avère être exactes, je peux affirmer que le coupable finira par passer la frontière, j'en fais une affaire personnelle!
"C'est une accusation particulièrement grave. Il est évident qu'il est hors de question de laisser un connard pareil s'en sortir si ce que tu dis est vrai. Je m'occuperai personnellement de ce fumier ainsi que de ta protection mais je dois en savoir plus... Tu peux marcher?" Car après tout, j'peux pas non plus parler d'une telle affaire en plein milieu de l'infirmerie et d'oreilles pas très discrète. Étant officier supérieur, j'ai un bureau personnel, j'regarde donc Crystale qui hoche la tête, visiblement elle en a entendu un peu - suffisamment pour être aussi révoltée que moi - et me donne silencieusement son accord pour emmener le gamin. "On va aller dans mon bureau, tu me raconteras tout!" Nous quittons donc l'infirmerie pour prendre la direction de mon bureau, j'aide le gamin s'il en a besoin pour monter l'étage et j'le fais entrer dans la pièce en fermant la porte derrière moi. "Ok petit, installes-toi! J'veux savoir tout ce que tu sais..."
Il fut cependant rassuré de voir que Valentino se montrait réceptif à son discours, de toute façon, il aurait été difficile de ne pas réagir lorsque l’on évoquait un trafic d’enfants. Ce qui était plus déplorable, c’était que certains préféraient se mettre des œillères pour ne pas se mêler des problèmes.
L’adolescent eut soudainement un rire mauvais lorsque Valentino évoqua les gardes auxquels il avait pu se confronter récemment, et autant dire que les noms lui seraient servis sur un plateau une fois l’affaire close. Et Lucy savait à quel point son dossier allait être particulièrement lourd de charges. Il n’était même pas question de laisser le moindre de ces rats s’enfuir lorsque son précieux père serait enfermé derrière des barreaux.
“Je ne cautionne pas non plus ce genre d’agissements, murmura-t-il en voyant que le garde rentrait dans une colère noire.”
Et c’était vrai, même s’il se fichait pas mal de la vie de ces pauvres enfants, il y avait bien d’autres façons d’acquérir des gains et des cristaux. Il se demandait d’ailleurs si sa précieuse mère avait été au courant ses manigances. Sans doute que ce n’était pas le cas, sinon, elle se serait battue pour aller à l’encontre de cet homme. Elle avait ce qui manquait probablement aux héritiers des O’Callaigh, la compassion.
Il offrit un sourire pitoyable au garde, avant de poser pied à terre. Vraisemblablement, il était bien plus affecté par cette histoire qu’il ne le croyait, sa nuit n’avait pas été perdue.
“Je devrais pouvoir te suivre, merci de ton attention.”
Il le suivit péniblement, mais il sentait peu à peu les effets de son don s’estomper, bientôt, il serait totalement maître de ses moyens. Durant le trajet qui le mena jusqu’au bureau du garde, Ashley prit le temps de trier toutes les informations qu’il avait eu à disposition afin de lui apporter un maximum de détails. Une flamme de détermination, brilla dans le regard bleuté de l’adolescent, il sonnerait enfin la fin de la tyrannie des O’Callaigh.
Il s’assit délicatement sur son siège, regardant droit dans les yeux l’individu qui lui faisait face. Il prit une longue inspiration puis commença à lui raconter tout ce qui avait eu à portée de main.
Normalement, les contrats de vente étaient brûlés à peine signés afin de supprimer toute trace compromettante. Ashley avait eu de la chance de tomber sur le document en fouillant dans le bureau de son parent. Il semblait que le noble avec lequel il était en contact avait eu des réticences à accepter la vente. Tout cela avait été le point de départ. Il avait pu mettre la main sur le contrat et de faux documents d’identité.
Par la suite, il avait épié les faits et gestes du maître O’Callaigh, suffisamment pour se rendre compte qu’il te naît un réel réseau de prostitution et que ça ne s’était pas juste arrêté aux personnes esseulées dans la rue. De ce qu’il avait compris, ils commençaient à vendre les enfants quand ils atteignaient l’âge de seize ans afin que ça ne fasse pas suspect. Les cadavres étaient remplacés si l’orphelin ne faisait pas l’affaire.
Traités comme des objets, Ashley ne doutait pas une seconde qu’ils devaient vivre un véritable enfer. Malheureusement, il n’avait pu avoir davantage d’informations, les orphelins n’étaient pas au courant des contrats avant d’être vendus. Il n’avait donc rien pu tirer sur eux, et le directeur actuel de l’orphelinat devait également faire partie du projet. Il s'était donc retranché sur la dernière solution qu’il avait trouvé afin d’exposer les faits à la Garde, les informateurs. Et pour rentrer en contact avec eux, il aurait fallu qu’il puisse mettre un pied dans cette fichue taverne.
Ashley baissa la tête une fois son discours terminé, puis crispa ses deux mains sur ses cuisses, sa dernière révélation marquerait officiellement les hostilités au sein de la noblesse.
“Je suis également Ashley O’Callaigh, le fils de celui qui commet ses atrocités.”
Maintenant, les dés étaient jetés, il attendit nerveusement la réaction du garde face à lui.
Il ne cautionne pas? Sérieusement? Mon oeil valide se dépose sur son visage, cherchant à savoir ce qu'il pense exactement, ce qu'il ressent, ce qu'il éprouve en réalité! Non parce que bon... Ne pas cautionner? On parle d'obliger des pauvres gamins et gamines qui n'ont déjà rien, à perdre toute dignité, tout droit, toute liberté élémentaire... Sérieusement ne pas cautionner? Putain de merde j'espère bien qu'il ne cautionne pas! J'soupire doucement histoire de me calmer, le gamin s'est fait agresser, il est sans doute encore sous le choc de sa nuit et les effets de son pouvoir, inutile de m'énerver pour un choix de mots douteux... Au moins, il fait ce qu'il faut en venant en parler sauf que, même si j'doute pas spécialement de la belle Crystal, j'préfère que cette conversation soit tenue dans un environnement plus discret, à l'abri d'oreilles indiscrètes.
Direction mon bureau donc, le chemin n'est pas spécialement long mais faut quand même quitter l'infirmerie, passer une bonne partie de la caserne et monter d'un étage... En vrai c'est pas si court quand j'y pense! J'aide le môme quand cela semble nécessaire, il ne manque pas de me remercier - au moins il est poli pour un nobliau - et nous arrivons finalement à destination. Le bureau est plutôt vide : un meuble, deux chaises et c'est tout! Pas de décoration, pas de cadre magique, même pas d'armoire à dossiers... De toute évidence, j'passe rarement du temps ici et pour cause, j'suis un homme de terrain et d'action! J'm'installe face à lui, je sors de ma poche une sorte de calepin que je laisse fermé devant moi et j'invite d'un mouvement de la main le gamin à me dire ce qu'il sait...
Durant son discours, j'dis rien en réalité! J'me contente de le regarder avec attention, d'écouter ses paroles, ses accusations, cette histoire qu'il me balance au visage. Une vente de malheureux, d'abord des personnes chopés dans la rue, des sans abri que personne n'aura remarqué - qu'est-ce qu'un itinérant qui disparait? - puis, quand cela n'a plus suffit, des orphelins, des pauvres gamins qui entraient seulement dans la majorité et qui ont vu leur innocence voler pour la cupidité de connards sans pareils. Nul doute que le directeur de l'orphelinat en question devait avoir une bonne rentrée d'argent en échange, sans doute qu'en échange, il faisait disparaître les dossiers des pauvres enfants ainsi vendu au plus offrant... Ça me fait plusieurs cibles du coup : le directeur de l'orphelinat, le fameux noble responsable de cela mais également tous les acheteurs, les clients, les fils de pute qui prennent part à ce trafic d'être humain... Mais pire encore, pour que cela puisse rester dans l'ombre : probablement aussi des gardes ce qui explique les inquiétudes du petits de venir voir la garde... Et enfin une dernière révélation : le gamin est le fils du responsable? Ça pourrait être de fausses accusations? Un moyen de trainer le père dans la boue pour en obtenir quelque chose... Mais j'suis pas du genre à me mettre ce genre d'idée en tête, son histoire tient la route et si elle est vraie, faut s'en assurer.
"Ok gamin... Déjà, c'est très courageux de me dire tout ça. Va falloir que je vérifie ton histoire, tu t'en doutes je peux pas juste défoncer des portes et arrêter tout le monde sans preuves..." La loi et la justice ne marchent pas ainsi... J'tire un coup sur ma cigarette, rejetant la fumée par le nez. "Cela étant, je te crois et j'comptes pas laisser cette bande d'enfoirés s'en sortir - désolé pour ton père mais j'peux pas le qualifier d'autre chose - mais j'vais avoir besoin de toi! Tu te sens capable de témoigner si nécessaire une fois que j'aurais un bon dossier?" Parce que c'est lui qui sera la source de toute l'enquête, s'il me laisse tomber ça risque de permettre à cette bande de fumiers de s'en sortir...
Il releva lentement les yeux vers Valentino, reconnaissant qu’il prenne sa déclaration au sérieux. Il n’était pas tombé sur un garde véreux et quelque part, ça le rassura. Malgré sa grossièreté non dissimulée, il se montrait droit et clairvoyant. Ashley se détendit légèrement avec un soupir de soulagement avant de pose ses deux mains à plat sur le bureau. Il se montrerait peut-être un peu trop enthousiaste, mais il souhaitait réellement que cette histoire soit rapidement bouclée. Au moins, la tyrannie O’Callaigh sonnerait enfin son glas. Ses billes d’azur reflétèrent une détermination inébranlable alors qu’il ajouta.
« Bien sûr. Je ne peux laisser de tels actes de barbarie laissés impunis ! »
Il avilissait le nom qu’il avait donné à son épouse avec ce commerce indigne. Ashley n’était peut-être pas un homme de foi et qui ne tarissait pas de son arrogance, mais jamais il ne se serait permis de vivre d’un commerce aussi répugnant que celui-ci. Lorsqu’il se rendit compte qu’il montrait un peu trop d’entrain dans cette histoire, il se racla légèrement la gorge avant de se rasseoir dissimulant son visage gêné derrière ses mèches rousses.
« Je me souviens du contenu du contrat, ainsi qu’une liste de noms que j’ai pu voir apparaître, ainsi que toutes les fausses identités. Je ne sais pas s’ils sont tous liés à cette affaire, mais peut-être que cela te permettra de commencer tes recherches. »
Avant que toute cette histoire ne commence, quand Ashley était tombé par hasard sur les documents, il avait pris le temps de tout mémoriser pour pouvoir enquêter sans que des notes puissent lui causer du tort. Il n’attendit pas pour autant que le garde lui donne son approbation et commença à réciter le contenu du contrat, et les noms qui y étaient assignés. Il n’y avait pas fait attention – pourtant, il était rare que l’adolescent passe à côté d’un détail aussi important – mais les personnes citées étaient pour la plupart des nobles veufs ou veuves. Il fronça brièvement les sourcils tandis qu’il terminait son listing. Soit il s’agissait d’une terrible coïncidence, soit les personnes concernées montraient déjà une grosse défaillance du système de noblesse. Beaucoup se montraient aux événements sociaux, certains même offraient des dons exorbitants aux œuvres de charité. Tout n’était donc qu’une façade ? Certains noms lui étaient en revanche totalement inconnus. Ces ventes étaient uniquement dédiées aux nobles ? Plus il y pensait, plus l’affaire devenait un véritable sac de nœuds.
Il ne se rendit pas compte qu’il avait arrêté de parler, plongé dans ses pensées. L’adolescent réalisa que beaucoup étaient mêlés à cette affaire sordide et qu’il risquait très gros si les résultats de la garde ne se montraient pas concluants. Il aiderait donc de son mieux à résoudre cette enquête.
« Cela peut paraître prétentieux, mais laissez-moi vous aider. »
Ashley agissait peut-être dans son propre intérêt et s’était habitué à ne pas croire en la justice. Mais cette fois-ci, il savait que ce qu’il dénonçait était légitime. Cet homme ne méritait pas son titre. Mépriser aussi ouvertement la vie d’une personne était ce qui causerait sa perte.
« Je ne te gênerai pas, mais je suis capable de t’apporter des informations qu’il te manque. »
Ajouta-t-il en posant une main sur sa poitrine afin de se désigner. Après tout, à sociabiliser dans des événements aussi barbants que les banquets chez les nobles, il avait réussi sans mal à se créer un réel réseau et forcément à connaître des détails et des mimiques marquantes. Ashley était un fin observateur et s’adaptait aisément à toute situation. Il n’eut également aucun mal à voir la réticence dans l’œil du garde, mais l’adolescent était une réelle source de savoirs sur les nobles.
Le témoignage du gosse sera un avantage mais c'est pas le seul, j'arque un sourcil alors qu'il affirme connaître le contenu du contrat ainsi que d'une liste de nom... Non, plus que le connaître il s'en souvient? Et le voilà qui se met à réciter cela comme un gamin qui a parfaitement apprit la leçon de son précepteur! Une bonne mémoire le gamin et j'suis content d'avoir le carnet que m'a offert Enzo, ce petit bijou technologique enregistrant automatiquement toute la conversation et qui me permettra de ressortir les infos que je veux de manière codés. Par ailleurs, j'dois bien avouer que c'est relativement impressionnant d'entendre le gamin déclamer avec une telle aisance une liste de noms qui semble pourtant longue comme mon bras, plus impressionnant encore, le fait qu'il le fasse de tête! Il gagne sans aucun doute quelque points d'estime de ma part : non seulement pour sa mémoire mais surtout pour sa clairvoyance : faire cela de tête? Une bonne chose! Certes, avoir des notes aurait rendu cela plus simple et aurait réduit les possibilité d'erreur mais, si elles étaient tombées entre de mauvaises mains, nous n'aurions pas cette conversation à l'heure actuelle. Pour un jeune noble, j'dois dire qu'il a des couilles et un cerveau fonctionnel! C'est rare...
Certains noms ne me sont pas inconnus, faut dire que forcément, ayant Saori pour meilleure amie j'connais quelques noms de nobles, quand ses parents en parlent au détours d'une soirée ou ce genre de connerie. Bon, j'reconnais pas tous les noms mais visiblement, plusieurs nobles au moins sont impliqués... Ça risque d'être un gros coup, malheureusement, on ne pourra peut-être pas tous les arrêter, c'est difficile d'avoir des preuves sur autant de suspects mais on va faire le nécessaire! Après tout, j'vais pas laisser des putains de criminels s'en sortir, surtout pas alors qu'ils utilisent de pauvres gamins! Et en parlant de gamin, voilà que mon indicateur du soir s'interrompt : un trou de mémoire? Peut-être... Ou une constatation mentale qu'il vient de se faire et qui coupe la conversation vocale pour laisser place à une introspection? Pas impossible non plus, j'suppose que si c'était juste un trou de mémoire il resterait pas là, la bouche en O et un air de poisson frit sur la gueule n'est-ce pas? Et soudain, le voici qui revient à lui avec une demande qui me trou littéralement le cul : que je le laisse participer à l'enquête?
"Woah woah woah! Du calme gamin! J'comprends que tu sois remonté parce que ton paternel est un enculé de première mais quand même... J'peux pas laisser un morveux enquêter avec moi! Tu te rends compte de ce que tu demandes ou pas?" Lui dis-je en plongeant mon iris métallique dans son propre regard. "Premièrement, t'as déjà entendu parlé du conflit d'intérêt? Déjà si un autre garde était impliqué j'le laisserai pas foutre son pied dans mes affaires. Mais en plus t'es même pas un garde! J'peux pas mener l'enquête avec un civil bordel de merde!"
Sauf qu'il en reste pas là, bon les informations qu'il me manque on va pas se mentir, j'm'en bat un peu les roubignoles! Par contre, j'vois son regard et ce que j'y lis ne me plait pas : détermination, motivation et putain de stupidité! Ce gamin a essayé d'entrer dans une taverne et a failli crever dans le caniveau à cause de ses conneries! Nul doute qu'il recommencera si j'refuse de l'emmener... J'soupire fortement, sachant pertinemment qu'il va se faire butter à vouloir foutre son nez n'importe où si je refuse... "Que les choses soient claires : tu ne touches à rien, tu te tais si je te dis pas de parler et tu écoutes mes consignes! Si jamais tu déroge à la moindre de ces règles, j'vais te botter ton ptit cul de riche si fort que tu pourras plus t'asseoir pendant au moins un an! On se comprend?"
« Très bien, imaginons que ce soit un réel conflit d’intérêt, qui te permettra de rentrer dans le domaine O’Callaigh sans que ça n’éveille les soupçons ? Si tu décides de forcer l’entrée avec tes grosses paluches, je doute que tu puisses obtenir la moindre information. Mon père est un homme méfiant et très organisé. »
Et même s’il ne doutait pas des capacités du garde, Ian O’Callaigh avait des oreilles et des yeux partout. S’il pouvait lui éviter des difficultés l’enquête n’avancerait que plus vite. Ashley se rassit enfin plus calmement, triturant ses doigts doucement. Il garda la tête basse, en poussant un soupir à fendre l’âme. Puis il croisa les bras sur son torse.
« Je ne tiens pas particulièrement à étendre un drapeau de guerre envers lui, je veux juste que tout cesse… »
Tel un enfant pris en faute, il se replia brièvement sur lui-même. Les stigmates du passé s’inscrivaient sur son visage, alors maintenant qu’il avait une chance de faire taire à jamais ces années, il se devait de la saisir et de terminer son histoire d’horreur. Pourtant, lorsqu’il croisa le visage du garde dont la mine renfrognée montrait qu’il s’était perdu dans ses pensées, Ashley avait eu un espoir.
« Tu ne peux pas nier que sans moi, cette affaire n’aurait jamais été dévoilée ! Même avec simplement les documents tu n’aurais pas pu remonter aussi facilement la piste jusqu’à l’orphelinat ! Je me contenterai simplement de pointer du doigt ce qui me semble pertinent. »
Puis de toute manière, Ashley aurait très bien trouvé le moyen de se mêler de cette affaire et de foncer tête baissée dans les problèmes. Une leçon seule ne servait jamais vraiment. Les informateurs ne manquaient pas dans cette ville. Il lui suffirait simplement d’être plus rapide et plus offrant que ceux qui tenteraient de lui barrer la route. Il était prêt à venir avec un dossier complet et l’écraser sur le bureau du garde afin que celui-ci croie en ses compétences. Même s’il n’était qu’un enfant, sa capacité d’analyse et de réflexion ne lui faisaient pas défaut. Bien au contraire et il allait le lui prouver dès que l’occasion se présenterait.
Alors qu’il allait exprimer le fond de sa pensée, Valentino céda bien plus vite qu’il ne l’aurait cru. Un mince sourire étira les lèvres de l’adolescent incapable de maintenir son masque impénétrable. Son regard s’illumina, de satisfaction, de reconnaissance, mais surtout de soulagement. Il ne pouvait rien lui promettre, rien n’empêcherait Ashley de se lancer dans une enquête personnelle si quelque chose attirait sa vue. Cependant, pour complaire aux directives du garde, il hocha doucement sa tignasse rousse.
« Tu ne me verras même pas, mon objectif est que tu réussisses ton enquête. »
Seulement, il ne pouvait pas vouer une confiance aveugle envers le garde alors qu’ils venaient de se rencontrer. Il lui était bien évidemment reconnaissant de l’avoir sauvé, il ne doutait pas non plus de ses compétences. Seulement, rien ne pouvait être facile dans ce monde. Ashley avait ses propres pistes, Valentino aurait bientôt les siennes, et même s’il n’était pas aussi entraîné que l’était un garde, un œil extérieur pouvait très bien apporter ce qui manquait. Tant pis pour la douleur, mais il saura s’y faire quand Valentino lui collera une mandale.
L’adolescent se leva, il devrait bientôt retourner à son domicile avant que son père se mette à retourner la ville entière pour le trouver. S’il était rapporté que l’adolescent avait été vu avec le garde, il n’aurait qu’à expliquer que celui-ci s’était interposé dans un conflit. Il ne mentirait presque pas, et ainsi il laverait le borgne de tout soupçon lorsqu’il entrerait dans la maison O’Callaigh. Ashley avait passé une grande partie de leur conversation à réfléchir sur comment introduire le garde dans leur demeure sans que celui-ci ne soit refusé.
Mais pour le moment, il devrait faire profil bas en rentrant s’il ne voulait pas aggraver son cas et attiser la fureur de son père lorsqu’il aurait appris que l’adolescent s’était faufilé sous la lune hors du domaine. Et cela lui laisserait davantage de temps pour réfléchir à un plan d’attaque pendant que le garde se ferait ses preuves de son côté.
« Je t’attendrai, murmura-t-il dans un souffle. »
Il s’apprêta à partir, il espéra juste qu’ils ne tarderaient pas à se revoir en effet.
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