Elle sauta de la chaise et la rangea pour pouvoir enfin commencer à préparer son terrain pour la nouvelle journée de travail qui l’attendait. Alistair flemmardait encore dans un coin de la boutique et c’est elle qui allait encore se taper tout le travail. Qu’avait-elle fait pour hériter d’un fils aussi fainéant ? Ah oui, elle lui avait révélé le secret de fabrication de ses meilleurs médicaments pour qu’il s’en attribue tous les mérites devant la couronne. Il était certains qu’en l’élevant comme ça, elle ne pouvait que se retrouver avec un glooby décérébré, collé à sa maudite pipe du matin au soir. L’érudite grommelait dans son coin tandis qu’elle alignait les différents ingrédients de ses préparations, vérifiait la propreté de ses ustensiles et testait leur tranchant. Elle fit également un peu de ménage sur les étagères de produits divers et variés et sur le comptoir.
La journée pouvait enfin commencer et les premiers clients arriveraient sous peu. Tous venaient chercher le grand enchanteur de la capitale, Alistair Abelas, l’homme qui semblait tout savoir. Si seulement ils savaient … Toute cette mascarade, c’était Vivianne qui la faisait perdurer, qui l’entretenait soigneusement. Elle avait réussi à rejoindre la cabale après des années d’efforts pour se faire remarquer, mais Camaël n’y était pas. Elle avait besoin de se réinsérer dans la vie du royaume et pour cela, elle utilisait son fils. Il avait bien de la chance, beaucoup de ses enfants n’avaient pas connu leur mère, ou alors c’était eux les chanceux …
L’adolescente passa derrière son comptoir et contempla son œuvre. La boutique était découpée en deux parties. Une première accessible au public qui était principalement composée d’étagères présentant les divers produits du magasin. Objets magiques du quotidien, cristaux magiques, potions, médicaments … Elle regorgeait d’articles utiles à tous et à toutes dans la vie du quotidien. C’était des objets classiques qu’on retrouvait partout en Aryon, des produits d’appels qui composaient le gros des ventes. La seconde partie se trouvait à l’étage et n’était accessible qu’en cas de commande personnalisée. Elle comportait un laboratoire d’alchimie et d’enchantement. De nombreux outils et ingrédients trônaient sur les murs, ainsi que de nombreux ouvrages dont la plupart, avaient été écrits par Vivianne elle-même. Le deuxième étage était l’appartement qu’elle habitait avec son fils. Elle avait mis beaucoup de temps pour rendre son commerce florissant, mais maintenant qu’il se parait de gloire et que la guilde lui envoyait ses aventuriers, elle menait ses affaires avec confiance.
Elle avait également développé son commerce au-delà des limites légales. Des enchantements sur mesure intéressaient bien plus les criminels. Ils ne manquaient pas d’idées et de cristaux pour se payer ses services. Pour faire ce genre d’achat, il suffisait de prononcer le mot de passe quand on était accueilli dans la boutique : « Je cherche une potion de résurrection ».
La cloche sonna tirant Vivianne de ses réflexions. Elle se para de son plus beau sourire innocent et s’approcha pour accueillir son visiteur. Elle irradiait d’innocence quand elle pinça les plis de sa robe pour exécuter une révérence discrète. Le visiteur était lui aussi un adolescent à peine plus âgé que son corps actuel. Il paraissait un peu jeune pour être un aventurier, mais plus rien ne l’étonnait ces jours-ci. Elle leva les yeux vers lui et l’accueillit comme il se doit :
« Bienvenue dans notre humble commerce. Enchantement, alchimie, toute la magie qu’il vous faut vous pourrez la trouver ici. Puis-je vous renseigner d’une quelconque façon ? »
Quand Astaros pénétra dans la chambre en désordre il ne put se retenir de déglutir à la vue de son ami. Deluvyan trainait au milieu d'écrits et diagrammes complexes au sens à peine compréhensible si ce n'était pour son esprit malade. Il riait. Il riait en pensant au sot espoir qu'il avait eu que d'échapper définitivement à son esprit. Il riait en repensant au cadavre de sa sœur désarticulait et souillait. Un rire glacial et dément à moitié étranglé par le sang qui lui remplissait la bouche après trop avoir tenter de se faire taire et venait souiller à coup de tâche noirâtre le tapis de feuille qu'il piétinait. Un rire triste et désespéré car ne pas rire de tout c'était risquer de briser. Il fallut quelques secondes à Deluvyan pour remarquer la présence de son compagnon. Quelques unes de plus pour considérer ce dernier. Puis il se tût et un semblant de lucidité vint illuminer son regard. Comme tout juste sortit d'une trance. En miroir, Astaros le dévisageait. La pâleur de sa peau venait souligner d'épaisses cernes noirâtres qui, avec l'aspect émacié de ses traits, lui donnait un air de cadavre. Pourtant il émanait de lui une énergie vindicative si forte qu'on aurait eu été idiot pour le sous estimer. Cette force froide et cinglante, que le jeune homme arborait parfois au fond de ses yeux, avait toujours terrifié les deux hommes. Chacun que trop conscient que s'il ne le tuait pas, son pouvoir ne laisserait qu'une chose immonde et dangereuse. La main d'Astaros s'attarda sur la poignée de sa dague. Ses doigts hésitaient à s'y enrouler tandis que ses yeux cherchaient frénétiquement une confirmation muette quant à l'identité de l'être se tenant devant lui. Le bras droit de Deluvyan se tendit. La main d'Astaros se refermât sur la poignée de cuir. Le temps s'étira de manière malsaine.
"Tu vas me faire ton rapport ?"
Lâcha Deluvyan avec dédain. Saisissant une cruche, il y cracha le sang qui lui maculait la bouche et poursuivit sans humour.
"Si tu continue à me fixer bêtement comme ça c'est moi qui vais te saigner !"
Ce qui sembla détendre Astaros autant que lui rappeler sa mission première. Trouver un alchimiste compétent et discret. Ce qui chez Deluvyan signifiait trouver le meilleur alchimiste du royaume et en faire un allié de confiance, le tout en moins de 24h. Bref, l'impossible. Il le fallait pourtant. Les décoctions narcotiques qu'avait conçut Deluvyan ne suffisaient plus à calmer son esprit et il ne possédait pas les connaissances nécessaires dans le domaine pour mettre au point un narcotique plus puissant et sans lourdes répercussions sur son corps. Trop tarder mettrait autant la santé de son ami en danger que le ferait une erreur commise dans la précipitation. Astaros lui tendit un liste de noms et d'adresses que Deluvyan s'empressa d'analyser. Les candidats potentiels y étaient listés et quelques annotations faisaient étalages des avantages et inconvénients de chacun. Sans grande surprise c'est un nom en particulier qui retint son attention. Abelas. Il savait parfaitement, dans une certaine mesure, la place que revêtait ce nom au sein du marché noir. Il connaissait la formule et avait déjà envoyé des gens s'assurer des dispositions de l'endroit. Abelas, aussi compétent soit l'alchimiste et en plus de ses avantages, était connu du garçon. Cependant ce ne fut pas la prudence qui motiva son choix. Ce ne fut pas non plus la gravité de la situation qui le poussa à engloutir un concentré calmant de dernier recours et prendre la porte immédiatement. Quand celle ci claqua, Astaros pria en silence.
"Faites que je n'ai pas fait une erreur..."
Deluvyan avait eu du mal à ne pas ignorer ses propres recommandations. Se déplacer avec une discrétion exemplaire, s'assurer que rien ni personne ne pourrait pénétrer dans la boutique tant qu'il y serait et autres précautions lui semblèrent sur le moment d'une perte de temps insoutenable. Elle avait environ son âge … Environ l'âge de Lucy ! Pour un instant, un instant seulement, leurs images se superposeraient peut être et il pourrait voir autre chose que son cadavre. Cette possibilité l'obsédait.
Heureusement le calmant faisait effet, presque. Assez pour calmer le tumulte de ses pensées. Ce qui, au prix de maux de tête pour les jours à venir, était plus que nécessaire. Dans quelques minutes il serait en pleine possession de ses moyens pour les prochaines heures. Bien assez pour obtenir un traitement même temporaire. Il se surpris à penser à la chance qu'il avait d'avoir Astaros pour le soutenir et l'épauler en cas d'erreur. La pensée que bientôt ils seraient séparés pour de longues années lui traversa l'esprit. Il ne devait plus, ne pourrait plus, faire d'erreur.
Quand enfin un tintement de cloche annonça son entrée dans la boutique un masque impassible avait recouvert son visage. Vêtu d'une simple cape à capuche sombre et de frusques en piteuses état, un classique des bas quartier, ne payant pas de mine il s'avança, refermant la porte derrière lui. On aurait pu le prendre pour un mendiant avec son habit tâché et ses bottes crottées et usées. Même ses cheveux blancs en bataille et sa peau grise arrivaient à se fondre dans l'image qu'il travaillé. Deluvyan avait appris à revêtir plusieurs visages au cours des années, celui d'un pauvre hère légèrement boiteux et à l'accent des bas fonds qu'il arborait aujourd'hui avec une parfaite maitrise en particulier. Seules ses yeux, pour qui savait y lire, trahissait sa nature tout autre. Ses deux prunelles d'or appartenait à un esprit aiguisé et révélait le dirigeant naturel qui sommeillait en lui. Le garçon avait conscient de ce défaut qu'il ne parvenait pas à gommer. Il savait aussi que tel une lame à double tranchant son regard décelait chez les autres autant qu'il en dévoilait.
Après une inspection des lieux, gravant parfaitement chaque détails au fond de sa mémoire, il tourna son attention vers la jeune fille qui venait l'accueillir. Ses deux orbes dorés d'une profondeur abyssales et à l'éclat sauvage viennent se planter dans les siens. Dès lors il est frappé par une évidence soit elle démontre une honnêteté totale dans ce qui accompagne ses gestes et ses paroles soit il s'agit d'une excellente commerçante. Si tel est le cas alors tout comme lui, bien que son âge avançant l'impression s'attenue légèrement, cette enfant n'est plus une enfant elle non plus à sa façon. Il sourit intérieurement, se demandant quel quotidien à tué la flamme de l'enfance dans son cas. Qu'est ce qui lui à donner un regard aussi parfait ? Au fond cela ne rêvait que peu d'importance pour l'instant. Dans le premier cas il s'agit d'un vent de fraicheur aussi étrange qu'inattendu. Dans l'autre cela démontre des compétences et du potentiel, deux choses que Deluvyan apprécie particulièrement. S'il seulement il savait...
"T-toute la magie qu'il me faut ? Et ba-bah ça mamselle c'est une aubaine."
Lui répondit il avec le ton et la voix d'un jeune garçon sympathique un peu narquois bien qu'un peu gauche avec les mots. Puis il se pencha d'un air conspirateur et poursuivit sur un ton plus bas.
"Je ch-cherche une p-potion de résurrection."
Le regard de l’adolescente changea lorsqu’il prononça ses mots, bien moins accueillant et bien plus froid. Sa voix quant à elle resta la même, enjouée et accueillante, mais ce n’était que pour conserver les apparences.
« Monsieur, une telle potion n’existe pas, voyons. Mais je suis sûr que nous pourrons trouver un breuvage qui satisfera vos attentes. »
Elle lui décocha son plus beau sourire, tandis que ses yeux envoyaient un message contraire. Elle le dépassa pour fermer la porte à clé derrière lui et déposa un écriteau sur la porte « En rendez-vous, bientôt de retour ». Elle l’invita ensuite à la suivre jusqu’à l’étage dans son atelier. Lorsqu’un client se présentait pour le marché noir, elle faisait en sorte de ne laisser aucune oreille indiscrète se glisser dans sa boutique. Elle marchait d’un pas décidé, maintenant une posture digne et dominante. Toute sa gestuelle avait changé quand elle avait fermé la porte. Elle n’était plus la petite vendeuse, mais Vivianne la grande enchanteresse centenaire.
Elle ouvrit la porte dévoilant son laboratoire aux yeux de son client. Deux fauteuils étaient disposés autour d’une table de salon pour pouvoir échanger sur la commande. Tout le reste n’était que recherche : alambic, runes, gravure, chaudron. Une immense bibliothèque occupait tout le fond du laboratoire, chargée de livre ancien et de notes manuscrites indéchiffrables. La jeune fille invita le garçon à s’asseoir et en fit de même en s’asseyant sur le fauteuil d’en face.
« Bien, bienvenue dans notre arrière-boutique. Quelques règles pour commencer, un premier paiement est nécessaire pour que j’écoute votre demande. Après cela, vous m’exposerez vos moindres désirs et conditions et nous discuterons plus en détail de l’objet qui les comblera. »
Elle s’enfonça dans le siège et lui parla toujours de la même voix impérieuse :
« Si vous connaissez le mot de passe, vous saurez également qu’il est très mal venu de parler de ce qui se passe ici. Suis-je bien clair ? »
Quelques-uns avaient essayé et leur cadavre avait servi d’engrais pour ses plantes médicinales. La cabale était invisible, mais avait protégé ses membres en cas de trahisons. Il valait mieux ne pas penser à vendre Vivianne à la garde sur un coup de tête.
« Si tout est clair, je vous écoute, que cherchez-vous exactement ? »
Il semblait bien jeune pour demander un enchantement personnalisé, mais plus rien ne m’étonnait. Certains dons étaient un fardeau incommensurable à porter. J’en savais quelque chose. Ils étaient nombreux à venir me voir pour trouver un peu de soulagement dans mes potions ou dans la magie. Serait-ce le cas de ce gamin ?
Deluvyan refusa poliment le siège qui lui fut proposer. Balayant la pièce du regard pour en graver à jamais chaque détails au plus profond de sa mémoire, il en huma les fragrances; en apprécia l'arrangement; nota les possibles échappatoires. Il n'était pas sur son territoire et son instinct de préservation lui interdisait tout laissé aller. Tout cela sous le couvert de cet apparence qu'il s'était choisi qui lui donnait un air incertain et légèrement benêt alors qu'il écoutait les consignes que lui donnait son hôte. Celles ci eurent le mérite de confirmer ce qu'il espérait autant qu'il en était persuadé : C'était elle le maitre des lieux. Un frisson d'excitation parcourut son échine à cette pensée. Il pourrait obtenir ici bien plus que le remède qu'il était venu chercher... Peut être cela n'était déjà plus qu'une excuse pour assouvir sa curiosité.
Deluvyan extrait de quelques sombre replis une bourse dont le contenu était juste assez chargé pour largement couvrir tout frais préventif sans être inutilement ostentatoire. Il la déposa non sans quelques maladresses devant son interlocutrice et claudiqua de quelques pas en arrière. Une fois ce première accord scellé par l'acceptation du paiement par l'alchimiste il se tourna en direction de l'une des étagères comme pour mieux l'observer.
"Une clause de confidentialité inhérente à notre monde et que vous vous engagerez vous aussi, j'en suis persuadé, à respecter."
Il ne faisait pas directement face à la jeune femme de sorte que celle ci ne pouvait à ce moment observer ses traits pourtant avant même que qu'il ne se dévoile à elle une différence évidente vint marquer le changement qui c'était opérait chez lui. Il s'était exprimer d'une voix profonde et d'une grande clarté dont la douceur du ton ne pouvait masquer l'autorité naturelle et absolue. Il laissa échapper un soupire d'une frustration volontairement feinte. Puis poursuivit.
"Vous en dévoilait trop Dame Abelas, trop et trop bien, pour qu'il ne soit pas impolie de ma part de ne part faire de même."
Annonça-t-il avec calme tout en se tournant dans sa direction. Le garçonnet aussi matois qu'incertain était mort. Nul trace de son passage ne survivait chez l'homme qui se tenait désormais devant elle. Les loques crasseuses dont il était vêtu n'arrivait en rien à lui faire défaut. Les mains enlacées pensivement dans son dos il se tenait droit, grand, impérieux, d'une posture qui ne souffrait d'aucune tare si ce n'était qu'elle n'appartenait pas un homme de son age et qu'il émanait toujours de lui cette aura de corps d'un autre monde à la fois présent et absent. Les traits de son visage étaient pour leur part aussi calmes que la surface lisse d'un lac, d'une infini tranquillité et d'une profondeur insoupçonné. Tout comme elle lui avait laissé entrevoir une part de sa nature à son tour il lui offrait un aspect de son être et se tenait devant elle en tant que le roi sans couronne des mendiants.
Sans attendre, dans la continuité naturelle des évènements, il entreprit de décrire l'objet de sa venue.
"Je me dois d'ajouter avant toute chose quelques spécificités que vous aurez bien entendu tout loisir de refuser à la lumière de ma demande. Premièrement il va de soit que tout comme cet entretient aucunes informations concernant le produit commandé ne sera divulgué à autrui. De plus vous vous engagerez à ne pas faire commerce ou reproduire d'une quelconque manière le dit produit en dehors de nos échanges. Ce qui nous mène au second point : il s’agira d'un partenariat exclusif et sur la durée qui ne prendra fin que s'il venait à m'arriver quelque chose ou que je souhaite y mettre un terme. Je suis conscient de se que représente une telle entreprise en compagnie d'un inconnu aussi nous pourrons convenir d'une période d'essai afin d'assurer notre satisfaction mutuelle. Pour finir il est nécessaire que je participe à l'élaboration de la concoction et soit moi même capable de la reproduire."
Un sourire passa fugacement sur son visage.
"Il est inutile de s'inquiéter quand à mes capacités à pratiquer l'alchimie, bien que maigres en comparaison des votre, et je puis vous assurer que je ne me révèlerais en aucun cas une gène dans le cas ou vous accepteriez. Pour ce qui est de la commande en elle même il s'agit d'un puissant narcotique spirituel ayant pour vocation de ralentir le processus de réflexion. Ce dernier ce devra d'être dépourvu dans les limites du possible de tout effet secondaire indésirable ou symptôme de manque trop violent. La formule sera faite sur mesure et se devra d'être aisément adaptable. En ce qui concerne la puissance... disons qu'il serait surement fatal pour n'importe quel homme."
A nouveau un sourire énigmatique traversa son visage un temps contrôlé avant de disparaitre. En silence Deluvyan considérait le temps qu'il lui restait à être maitre de lui même. Il s’assit dans le fauteuil faisant face à la jeune femme et lui laissa la main posant son regard d'or dans ses prunelles.
Ses yeux se plissèrent légèrement quand le ton de l’homme changea du tout au tout. Il y avait donc bien anguille sous roche, elle avait vu juste. Un sourire satisfait apparut sur son visage, l’enchanteresse préférait toujours jouer cartes sur table dans ses négociations les moins légales. Trop tourner autour du pot ne pouvait qu’apporter des ennuis, elle en avait bien conscience. C’est donc sur un ton amusé qu’elle répondit :
« Trop en dévoiler ? Je me dévoile telle que je suis. En tant que client, je suis sûr que vous appréciiez qu’on ne vous mène pas en bateau. D’autant que vous avez mis les moyens … »
Elle désigna la bourse du menton en répondant à son regard impérieux par son regard provocateur. Elle ne se laisserait pas dominer, c’est dans sa nature. Son visage resta impassible et dominant en réponse au changement de posture de son interlocuteur. Ils étaient comme deux être millénaire qui se regardaient incrédules.
Il cache bien son jeu. Je dois avouer qu’au départ je pensais avoir à faire à un gamin ordinaire, mais je vois maintenant qu’il n’en est rien. C’est un homme qui commande, qui dirige, qui planifie. Il me rappelle un peu Camaël, mais il lui manque cette sagesse que seul le temps peut apporter. Je doute qu’il soit plus vieux que ce que son corps semble montrer, contrairement à moi. Toutefois, il faut que je reste prudente, il est peut-être jeune, mais son esprit sembla affûté comme une lame. Il suffit de voir comment il a balayé mon laboratoire du regard. Intéressant ...
Vivianne écouta silencieusement sa requête, imaginant au fur et à mesure le produit idéal pour le contenter. C’était une demande bien particulière qu’il venait de lui proposer. Une demande pour le moins … unique. Elle n’était pas dupe et savait pertinemment que la commande était pour lui ou alors elle ne pouvait simplement pas imaginer quel plan tordu nécessitait un tel breuvage.
« Vous venez donc m’acheter une recette ? Ce n’est pas vraiment ce que j’ai l’habitude de faire, mais je n’y vois pas d’inconvénient. Quant à l’exclusivité …, dit-elle de manière pensive. Je veux bien vous l’accorder, mais il ne sera pas à exclure que je réutilise cette formule et la modifie pour d’autres commandes à l’avenir. Je ne fais pas de la recherche pour une seule personne. La connaissance ne doit pas être oubliée, c’est non négociable. »
Son regard assassin véhiculait très bien le fond de son message. Il était hors de question qu’elle enterre une avancée alchimique à tout jamais. Ce qu’elle lui proposait était le meilleur compromis entre ses idéaux et le besoin de discrétion de son client. C’était à prendre ou à laisser, elle ne reviendrait pas là-dessus.
« Je peux vous apprendre et vos compétences en alchimie n’ont guère d’importance tant que vous vous satisferez du breuvage que vous serez capable de produire. Je vous ferais payer la recette, ainsi que toute séance d’enseignement nécessaire jusqu’à ce que vous soyez capable de la reproduire de manière convenable. Vous me semblez tout à fait capable d’arriver à ce niveau avec un peu de temps. Maintenant, parlons du breuvage … »
Elle se leva et se dirigea vers la bibliothèque pour y chercher un herbier. Elle le ramena sur la table et le posa devant elle, bien en évidence tout en feuilletant les pages. De nombreuses herbes y étaient représentées avec leurs différentes caractéristiques. Sa demande était complexe et elle allait devoir y réfléchir longuement.
« La nature ne manque pas de sédatifs, mais il reste la question du dosage. La rareté des matières premières pourrait également être un obstacle à la reproduction du produit. »
Elle parcourut quelques pages supplémentaires.
« La fleur de Weissium possède des vertus relaxantes très prisées. Une infusion très concentrée pourrait faire l’affaire suivant la résistance du sujet, expliqua-t-elle. »
Elle montra une image dans le grimoire qu’elle avait retourné pour que son client puisse suivre.
« Il me faut savoir à quelle fréquence la préparation sera utilisée. Cette fleur ne crée pas de dépendance, mais elle est rarement utilisée quotidiennement. Seulement de manière occasionnelle, je n’ai donc aucun recul pour me prononcer quant à ses effets à long terme. »
Elle eut soudain une idée.
« Utiliser une préparation à base de Grandalue de manière régulière pourrait permettre d’en masquer les effets. Elle a la propriété d’augmenter la concentration. »
Elle ouvrit une nouvelle page pour illustrer son propos.
« Comme vous le voyez, les solutions ne manquent pas et avec un peu de travail je pourrai transformer ces produits en un narcotique très puissant, mais pour être sûre de préparer la recette idéale, je me vois contrainte de vous demander quelle utilisation vous voulez en faire. Cela pourrait grandement m’aider à choisir les doses et les procédés d’extraction.
"Comme vous devez vous en douter Dame Abelas la solution que je vous demande aujourd'hui de mettre au point est destinée à mon usage personnel."
Commença-t-il par répondre, simplement, sur le ton de la conversation comme si ce qu'il s'apprêtait à lui révéler ne représentait pour lui pas plus d'importance que le temps qu'il faisait hier.
"Je tiens d'abord à ajouter deux petites précisions à notre accord. Premièrement, s'il met nécessaire de connaitre la formule et de savoir préparer la concoction par moi même par sécurité, j'ai la ferme intention de passer directement par vous pour ce qui est de l'approvisionnement régulier. Je refuse d'étendre cette confidence au delà de nos deux personnes et je n'ai hélas pas le temps de subvenir moi même à mes besoins particuliers. Deuxièmement et au vu de ce fait je m'engage en contrepartie, et en plus de tout paiement, à vous fournir les matière premières nécessaire à la dite préparation."
Il marqua une pause, savourant l'ironie de la formulation : "La connaissance ne doit pas être oubliée", un léger sourire venant éclairer son visage.
"Je suis heureux que nous partagions, semblerait il, un avis commun concernant l'importance de toute connaissance. Si j'insiste pour que tout ce qui concerne notre accord demeure entre nous, sachez que je ne vois aucun inconvénient, tout le contraire même, à ce que le résultat de notre entretien puisse servir d'une quelconque façon à l'avancé de la science et de facto vous autorise à utiliser ces connaissances comme bon vous semble dans le cadre de notre accord."
Ces quelques précisions concernant l'accord en cour apportées, Deluvyan toisa un instant la pièce d'un air particulièrement détaché. Pesant le pour et le contre du contenu de ce qu'il s'apprêtait à révéler pour la deuxième fois de sa vie. Puis, arrivé en accord à lui même, laissa à nouveau son regard trouver celui de son interlocutrice. Ses iris dorées s'enfoncèrent une nouvelle fois dans ses yeux si similaires et à la fois si différents des siens. Cependant cette fois résidait au delà du calme une flamme dangereusement sauvage qui semblait à son tour observer la jeune femme.
Le ton jusque là amical malgré son autorité naturelle devint plus distant.
Chacune de ses phrases, chacun de ses mots, jusqu'à chaque syllabe imprégnaient ses paroles d'un peu plus d'une étrange impression d'ancienneté. Le poids de d'un nombre toujours grandissant de vies intérieures passées venait marqué l'aura étouffante qui l'entourait désormais alors qu'inconsciemment il relâchait son contrôle sur sa nature et revivait l'instant présent à l'infini.
"Je vais vous dévoiler une partie de la nature de mon don et fardeau. En l'absence de contrôle extérieur je revis constamment et sans interruption l'intégralité de ma vie sans que cela n'impact ma capacité à vivre le moment présent au maximum de mes capacités. Je peux visualiser l'intégralité de mon existence une centaines de fois en l'espace d'une journée et ce nombre grandit de jour en jour de manière exponentielle. En contrepartie, en plus de devoir réexpérimenter les meilleurs et les pires moments de mon existence à l'infini, mon esprit est par conséquent plongé dans un état d'activité constant et donc dans l'incapacité d'entrer en état de sommeil complet. Si je peux aujourd'hui me présenter à vous en pouvant encore prétendre au nom d'homme c'est grâce à la consommation régulière de narcotique de ma propre concoction qui m'ont permis d'obtenir un contrôle sur mon don en le rendant en partie volontaire de par son engourdissement. Hélas je suis arrivé à la limite des capacités actuelles du dit narcotique et il ne suffit plus à limiter mes pensées. Ce que je vous demande aujourd'hui Dame Abelas c'est un produit qui me permettra de continuer à tirer partie de mon don sans que je n'ai à perdre ce qu'il me reste d'humanité."
A ces derniers mots il sourit, amusé, et toute la tension retomba, presque.
"N'est il pas amusant de noter comme les notions d'âges et d'expériences peuvent être floues selon le point de vue de tout un chacun ?"
Conclue-t-il sur d'une voix madrée.
Son pouvoir était curieux, bien plus curieux que je ne me l’étais imaginé. J’avais d’abord pensé à un télépathe, las d’entendre les pensées des autres. Il n’aurait pas été le premier à se droguer pour échapper à cette cacophonie. Mais ce n’était pas là son problème. Non, le sien venait de son propre esprit. Il essaie de m’expliquer comment il fonctionnait et je compris alors pourquoi j’avais vu cette étincelle. Il était jeune, je veux dire … il était véritablement jeune, pas comme moi, pas comme Camaël. Un être qui n’existait que depuis peu en ce monde, mais qui, pourtant, avait vécu bien des vies en si peu de temps. Mon regard se fit plus fin, brûlant de curiosité, et si j’étais restée professionnelle jusqu’à maintenant, j’étais désormais bien plus qu’une simple artisane de la magie. J’étais l’éternelle élève, qui ne cessait de découvrir ce monde étrange qui m‘avait vu naître.
« Le temps est compressible et extensible, l’expérience et l’âge ne sont alors plus que des paramètres sans importances. L’esprit peut vivre mille vies le temps d’un rêve et un corps peut traverser les siècles sans jamais faillir. »
L’enchanteresse ferma son grimoire, il avait l‘air de savoir de quoi elle parlait. Rien d’étonnant s’il avait fait ses propres préparations dans le passé. Ces deux ingrédients étaient incontournables en sédation, mais ils feraient pâle figure pour l’aider, maintenant qu’elle savait que son problème était lié à son don naturel.
« Le fait que votre état soit lié à votre don complique grandement le processus. Votre corps arrive à maturité et vos capacités aussi. Je crains que vous soyez rapidement submergé par vos pensées à tout jamais. Vos narcotiques sont devenus inefficaces, car ils tentaient d’agir sur un élément qui était directement lié à votre être, votre existence. Pour combattre l’effet d’un pouvoir, il va nous falloir plus que des petites décoctions de fleurs, j’en ai peur. »
Ses yeux s’assombrirent preuve que son esprit était parti dans une lointaine réflexion, détachée de l’instant présent. Sa vie mentale n’était pas aussi fournie que son client, mais elle était aussi capable de se laisser happer par ses pensées et d’oublier tout le reste. Elle finit par revenir à elle et par tendre à son interlocuteur un morceau de papier et de quoi écrire.
« Écrivez-moi tout ce que vous avez essayé, son efficacité et le temps qu’il lui a fallu pour perdre son effet. Si je veux créer quelque chose d’efficace, il ne faut pas que je parte sur une substance qui a déjà fait preuve de son inefficacité ou à laquelle vous êtes habitué et donc résistant. »
Elle le laissa écrire et se dirigea vers son immense bibliothèque qui traînait au fond de l’atelier. Les ouvrages y étaient déposés en désordre, un capharnaüm de connaissance sans queue ni tête, sauf pour l’adolescente. Elle voyait tous les liens, tous sujets d’un simple coup d’œil. Certains étaient des ouvrages de référence, d’autres des emprunts à l’académie des sciences et les derniers, ses propres productions. Elle en prit justement une, un traité des poisons et des plantes toxiques. Elle n’avait aucune intention de le tuer, mais en tant qu’alchimiste, elle savait que tout remède est un poison qu’on a su doser avec justesse.
« Pour commencer, je vais vous prescrire un traitement de choc, efficace à court terme, mais addictif à long terme. Il sera à base de moricia et de belladone. Cela devrait stabiliser votre état pour me permettre d’expérimenter des mélanges moins puissants, mais avec moins d’effet secondaire. Mais je ne vous cache pas que je doute que ce soit une solution viable à long terme. »
L’alchimiste marcha jusqu’à un placard qu’elle ouvrit en grand. Des extraits de plantes et des mélanges aux teintes variées ornaient les étagères. Elle se saisit d’une fiole contenant des feuilles recourbées. Elle se dirigea ensuite vers son atelier et alluma le feu. Elle jeta quelques feuilles dans un petit chaudron en cuivre qu’elle remplit d’eau avant de le déposer au-dessus des cristaux incandescents. Elle vérifia que l’infusion prenait bien et tout en remuant elle se retourna vers son client.
« Ce mélange est un poison, il vous faudra respecter très précisément ma prescription. Si vous sentez que vous avez envie d’en prendre plus que mes préconisations, venez me voir immédiatement. Si les effets secondaires à savoir les tremblements, les diarrhées et les vomissements sont trop importants, venez me voir immédiatement. Il va me falloir trois jours pour préparer différents échantillons que nous essaierons afin de trouver le meilleur dosage. En attendant, vous prendrez ça. Je dois vous mettre en garde toutefois. Il n’existe pas un narcotique qui pourra vous suivre tout le long de votre existence. Il faudra sans cesse le modifier, l’affiner suivant la trajectoire que prendra votre don. »
Vivianne abandonna sa préparation et baissa le feu.
« Il faut que vous commenciez à réfléchir à une solution plus … définitive. En Aryon, nombreux sont ceux qui utilisent un enchantement gravé à même la peau ou un objet pour influer sur le flux de leur don. Vous avez un pouvoir psychique qui se range au même niveau qu’une hybridation. Il ne sera pas facile de faire un tel enchantement pour vous. Si vous optez pour cette solution, il faudra commencer immédiatement les recherches. Un enchantement mal conçu vous grillerait le cerveau. En attendant, l’anti-magie pourrait vous aider. Que ce soit la bulle du palais ou les menottes anti-magie. Elles sont quasi introuvables, même au marché noir. Vous plus de chance d’être engagé comme serviteur au palais. Là-bas, la bulle vous offrira un peu de répit. »
Une odeur sucrée commença à se diffuser dans la pièce. Vivianne se leva et versa sa préparation dans un erlenmeyer à travers un filtre pour éliminer les morceaux de végétaux en surface.
« Qu’en pensez-vous ? Le procédé vous convient-il ? Commencer fort, pour ensuite diminuer la dose où tenir bon le temps de trouver le juste dosage au risque de vous perdre avant d’atteindre le juste mélange ? »
Je ne le forçais à rien. Il pouvait bien décider de partir sur le champ, je ne lui demanderai pas un cristal. Son problème était épineux et la pharmacopée n’avait malheureusement pas de solution claire à lui fournir, même avec 2 siècles d’expérience.
Il accepta ma proposition et nous commençâmes donc les expérimentations.