”Jeune maître, est-ce vraiment raisonnable de vous inscrire à la guilde des aventuriers ? Votre mère risque de se mettre en colère...” La voix de Laurence était légèrement moins posée qu’habituellement, alors qu’il te suivait dans les couloirs du manoir. Tu étais revenu depuis peu à la capitale et ta génitrice n’avait pas manqué l’occasion pour te faire des reproches et te présenter une femme de bonne famille pour un possible mariage. Comme quoi ta petite fugue à Grand Port ne l’avait pas calmé, au contraire, elle se faisait encore plus pressante... Malheureusement pour elle, ça te donnait encore moins envie d’accéder à ses requêtes. Tu avais donc pris une grande résolution, elle était peut-être un poil précipité, mais tu ne comptais pas changer d’avis.

“Laurence, ma décision est prise et je ne vais pas changer d’avis, surtout pas pour mère.” Tu te retournas vers l’autre homme, il avait bien vieilli depuis sa prise de poste. Ses cheveux autrefois bruns étaient désormais poivre et sel et de plus en plus de ridules apparaissaient au coin de ses yeux chocolat. Son regard brillait d’inquiétude alors que ses mains gantées tenaient ta cape favorite du moment. Un inconnu aurait pu le trouver extrêmement calme, mais tu savais qu’il était inquiet. Il craignait qu’il ne t’arrive quelques malheurs et qu’il ne puisse t’aider encore une fois. Ton si fidèle serviteur. Tu le chérissais, il était bien plus proche de toi que ton père quoi que dise Laurence à son sujet. ”Je sais que tu es inquiet pour moi, mais je ferai attention je ne suis plus un petit garçon.” Tu te rapprochas de lui, posas tes mains ses épaules pour le rapprocher de toi. Tu l’enlaças rapidement, avant de t’écarter, les oreilles légèrement rougies. Cela faisait bien longtemps que tu n’avais pas fait un “câlin” à Laurence.

“Et, si ça énerve mère tant mieux ! Elle comprendra peut-être ce que je ressens quand elle tente de me présenter à des jeunes demoiselles pour me pousser à me reproduire.” Déclaras-tu, avant d’ouvrir la porte qui menait au hall d’entrée. Tu avais bien des choses à faire aujourd’hui.



***



Et voilà que trois mois plus tard, tu allais enfin réaliser ta toute première quête et tu ne commençais pas par la plus simple : chasser des fantômes d’un vieux château. Tu avais bien pensé à demander une autre, mais l’hôtesse n’avait rien voulu savoir. Le pire, c’est que tu avais dû partir rapidement et tu n’avais donc que tes armes, des vivres et des vêtements de rechange pour le trajet... Ah et tes cristaux. Très important pour te payer la chambre la plus confortable de la taverne quand tu devais t’arrêter pour une nuit.  

Heureusement le trajet touchait enfin à sa fin et les murs se dressaient enfin devant toi. D'ici, elle ne semblait pas très accueillante et tu comprenais que les habitants des environs la pensent hanter. Lors de ton dernier arrêt, tu avais demandé quelques informations sur le passé du château et les réactions avaient été unanimes : mieux valait éviter l’endroit.  Tu te souvenais encore du petit vieux qui avait craché juste à la mention de l’endroit, avant de te claquer la porte au nez. Une bonne femme avait prié Lucy de sauver ton âme si tu t’y aventurais. Seul le tavernier –pas très aimable- avait accepté de raconter quelques histoires assez tragiques avant de te souhaiter bonne chance et te demander à qui il devait renvoyer le cheval si tu ne revenais pas. Bref, que des attitudes rassurantes, mais tu n’avais pas reculé. Tu avais laissé ta monture à l’auberge -et en indiquant de le renvoyer à ton manoir après que le barbu est insisté pour avoir une adresse. C'est fou, comme ces villageois croyaient en toi.  

Suite à ça, tu avais crapahuté jusqu’au château afin de retrouver la spécialiste en magie qui devait t’aider dans cette quête. Au bout d’une bonne heure, tu la vis. Elle attendait à l’ombre d’un arbre, son regard perdu vers l’immense demeure. Un bout de bois craqua sous ton pied et la sortit de ses pensées, tout en attirant son attention sur ta formidable personne. Elle semblait plutôt jeune, et son visage te paraissait étrangement familier. L’avais-tu croisé dans le passé ? Tu la saluas de la façon typique d’un noble, avant de lui faire un rapide baisemain.  

“Emerald Aubeclair pour vous servir, dame Vivianne.” Tu te redressas et avec un grand sourire ajoutas : ”Ils m’ont en effet envoyé bien loin de la capitale pour une première aventure.” Tu te tournes vers l’endroit qu’elle indique.  Tu hausses un sourcil en voyant la silhouette fantomatique qui vous fixait.   “Et bien, je ne croyais pas vraiment aux fantômes jusqu’à maintenant... Et malgré les récits assez effrayants des villageois je dois avouer être assez curieux au sujet de toute cette histoire, pas vous ? ” Et tu avais toujours des doutes. Il te faudrait t’en approcher et faire des recherches pour en accepter l’existence. Après tout, ces fantômes pouvaient très bien venir d’un don, d’une invention ou d’un objet enchanté ! Tu notas aussi que la jeune femme ne semblait pas effrayer pour un sou, avait-elle une idée sur ce qu’il se tramait ? Ou arrivait-elle à rester maîtresse d’elle-même tout simplement ? La dernière -et même la première- solution ne t’étonnerait pas. Il savait savoir garder son sang-froid quand on travaillait comme enchanteresse, alchimiste ou pour la guilde.  



“Et bien, il nous ne reste plus qu’à franchir les portes du château et nous occuper de ces fameux esprits.” Tu t’avanças vers la bâtisse, tout en invitant ta compagne à te suivre. “J’espère qu’elles ne sont pas bloquées.” Tu ne savais pas crocheter une serrure, et tu n’avais pas envie d’en forcer l’entrée, mais celle-ci s’ouvrit avant même que tu ne puisses poser la main sur le bois... comme si quelqu’un ou quelque chose t’invitait à pénétrer les lieux. Tu restas une seconde sans bouger, avant d’entrer tout en maintenant la porte ouverte pour l’enchanteresse. Le hall d’entrée était immense, deux ailes semblaient se dessiner de chaque côté et un escalier luxueux vous faisait face. “Et bien nous avons le choix, par quoi voulez-vous commencer ?”  

Au moins vous étiez d’accord sur une chose : les fantômes n’existaient pas. Du moins pas sans un puissant artefact pour les générer ou retenir les âmes des défunts. Tu avais toujours eu du mal avec le concept d’âme, certainement à cause de l’éducation de ta famille, mais tu n’étais pas non plus fermé sur le sujet. Dans tous les cas cette première mission allait se révéler très intéressante et en plus tu étais accompagné de l’enchanteresse officielle de la guilde. Un titre assez impressionnant, qui te donnait envie d’en apprendre plus sur la jeune femme.  



Une fois la porte d’entrée passée, tu te perdis quelques secondes dans la contemplation des lieux. Ton regard partagé entre méfiance et curiosité. Si les esprits venaient d’un artefact, tu ne serais pas étonné de voir d’autres magies à l’œuvre dans le château pour le protéger. Puis, il aurait été idiot de ne pas être sur ses gardes. Tu posas ta main sur le manche de ton fouet, prêt à le dégainer si besoin. Prise qui se resserra légèrement quand tu entendis de nombreuses voix. Tu hochas doucement la tête à la déclaration de Vivianne. Tu n’allais pas remettre en cause ses décisions, elle semblait assez expérimentée. Tu te demandais tout de même s’il n’aurait pas été judicieux de vous séparer pour couvrir le plus de terrain ? Tu allais le lui suggérer quand elle prit la parole avant de s’interrompre soudainement. Son regard semblait perdu sur quelque chose ou quelqu’un qui se trouvait derrière toi. Un fantôme se trouvait là... mais contrairement à la silhouette de la fenêtre, l’esprit qui se trouvait en face de toi était étrange, bien loin de ce qu’on imaginait d’un fantôme. Elle ressemblait plus à un reflet d’un miroir brisé et poussiéreux... Même ses paroles étaient décousues, mais tu ne manquas le prénom de l’enchanteresse. Comment le “fantôme” pouvait-il le connaître ? Était-ce un effet de la magie des lieux ? Et avant qu’elle ne puisse dire autre chose, une lame la traversait, faisant disparaître le spectre. Tu te retournas vers Vivianne... Cette réaction n’était-elle pas excessive, l’esprit ne semblait pas malveillant.



“En effet, nous pourrons donc les disperser si le besoin se fait sentir.” Déclares-tu d’une voix douce. Tu ne veux pas interroger la jeune femme de suite, tout cela pouvait être une simple coïncidence, même si tu te sentais un poil méfiant désormais. Tu tournas le dos à l’enchanteresse pour récupérer la lame qui s’était planté dans le mur. Tu l’en arrachas assez facilement et la tendis à la demoiselle avec un petit sourire, le même que tu servais à des anciens clients douteux ou à ta mère quand tu sentais qu’elle préparait un plan foireux : comme faire venir une idiote dans ton laboratoire. “Il aurait été plus rapide de partir chacun de notre côté pour couvrir le plus de terrain possible, mais ça ne me gêne pas de rester avec vous.” Réponds-tu d’une voix suave, tout en sortant enfin ton arme favorite : ton fouet.” Je pourrai facilement les tenir à distance avec ceci, et sinon j’ai mon arbalète.” Celle-ci était encore accrochée dans ton dos.  



Ce changement d’avis aussi était assez suspect, non ? Pourquoi était-elle soudainement si inquiète ? Surtout qu’elle semblait pouvoir se débrouiller seule. Tu l’observes, la tête légèrement penchée sur le côté. Tout cela était curieux. “Allons-y.” Tu plaças sa lame entre ses mains, et partit en avant. Le couloir était immense, mais plus tu t’y enfonçais, plus les voix se rapprochaient. Etonnamment, tout semblait être à sa place, comme si le château avait été figé dans le temps après le départ de ses habitants. Seule la couche de poussière, et quelques trous dans les rideaux et tapis, rappelaient que tout était abandonné depuis bien longtemps.”C’est vraiment étrange... Il ne semble rien manquer, pourtant cela fait un siècle que le château est inhabité d’après les villageois. J’aurai juré que certains auraient tenté de dérober certains objets présents ici.” Souffles-tu, en t’arrêtant devant une vitrine où tu pouvais voir quelques reliques d’un autre temps. Le genre que gardait ta mère affectionnait. Ces objets ne rendraient pas quelqu’un riche, mais valaient tout de même quelques cristaux. ”Je me demande... Commenças-tu à marmonner pour toi mêle. “Je me demande si l’artefact qui crée ces apparitions n’a pas pour but de protéger cet endroit des indésirables...” C’était une solution assez évidente. “Et si c’est le cas... à partir de quand sommes-nous considérés comme tel...” Jusqu’à maintenant tu avais veillé à ne rien toucher. Tu n’étais pas un voleur, mais tu étais de nature curieuse.  



Tu t’arrêtas au bout de quelques mètres. A partir de là, il y avait plusieurs portes. Deux sur ta droite et une à ta gauche. Tu les regardes tour à tour, avant de t’avancer vers celle à ta gauche. La poignée de la porte était légèrement différente des deux autres. Elle était très légèrement plus travaillée. Il y a quelque chose en plus de la fioriture qui était gravée sur les deux autres. Curieux. “Une rune ?” Tu n’étais pas enchanteur, mais avec une famille comme la tienne, tu avais tout de même de bonnes connaissances et tu avais l’œil pour reconnaître du bon boulot. Si quelqu’un s’était donné la peine de protéger cette pièce, c’est qu’il devait y avoir des choses intéressantes à l’intérieur... Puis, elle te semblait différente de celles dont usaient ton père par exemple. Seul, tu aurais testé ces runes toi-même, mais là tu avais une experte sous la main, autant la faire travailler ! D’autant plus, que tu pourrais peut-être apprendre des choses comme ça.   “Vivianne, avez-vous une idée pour contourner ou briser cette rune ? Elle me semble différente de celles que nous utilisons.” Mais la magie avait eu le temps d’évoluer en un siècle. Tu te redressas, peut être pouvais-tu attendre en visitant les deux autres pièces ? Tu aurais aimé voir un autre de ces fantômes aussi. Avoir une occasion de les interroger, surtout que les voix étaient toujours présentes.  

 

Entre partir à la découverte des autres pièces et rester pour apprendre possiblement quelque chose d’une experte, le choix était vite fait. Tu restas aux côtés de la demoiselle, l’observant triturer la rune avec son stylet. Peut-être qu’un jour tu étudierais comment enchanter, tout semblait si fascinant, mais quoi qu’il arrive ton cœur resterait fidèle à l’alchimie. Une fois la rune effacée, ou du moins rendue inopérante, Vivianne ouvrit la porte. Quelques petites secondes passèrent, alors que vous attendiez tous les deux qu’il se passe quelque chose, n’importe quoi... Mais rien. Tout c’était parfaitement déroulé, comme quoi le titre d’experte de la guilde ce n’était pas de la gnognotte. Tu rendis son sourire à la jeune femme. “Je vois ça !” Bon, tu restais toujours méfiant, celle-ci était inactive, mais est que les autres runes le seraient ?  



Tu allais la suivre à l’intérieur, quand tu vis une autre silhouette plus loin dans le couloir. D’ici, tu n’arrives pas à déterminer si c’est un homme ou une femme, mais elle est grande. L’esprit semble attendre quelque chose de toi car il indique une direction de son bras, avant de disparaître.  Qui est-ce ? Et que voulait-il ? Tu entends vaguement Vivianne murmurer quelque chose avant qu’elle ne lâche un cri, tu tournes donc la tête dans sa direction pour y voir un autre fantôme. Un jeune homme, tout juste sorti de l’adolescence. Il ne dit mot, se contentant de sourire tout en tirant des flèches fantomatiques sur l’enchanteresse. Tu comprends alors sa surprise, et tu ne peux que remercier Lucy que ces attaques soient inefficaces. Tu t’en serais tellement voulu, s’il avait été capable de lui faire de la blesser. Heureusement il y avait plus de peur que de mal.  

Il fallait vraiment que tu restes concentrer. “Je suis vraiment, désolé, j’aurai dû entrer en premier... Mais j’ai vu un autre esprit dans le couloir.” Souffles-tu en aidant la bleuté à se relever. Elle chassa ensuite le garçon d’un geste agacé de la main, vous laissant ainsi tout le loisir de découvrir la pièce. Une ancienne réserve ?Tu observas le capharnaüm avec une petite expression entre l’incompréhension et le dégoût. “Quel gâchis... Qui a bien pu faire ça ? “ C’était forcément des gens fermés d’esprit et incultes ! Tu ramassas de vieilles pages jaunies et à l’écriture illisible. Des connaissances perdues à jamais. Tu trouvais ça affreux.  



“Oui, il n’y a plus rien ici...” Tu poussas un petit soupir dépité et reposas délicatement ce qu’il restait du livre. Tu regardas Vivianne et sortis de la pièce. “Vous êtes sûre, Vivianne ?” Tu ne savais pas si tu étais encore suspicieux, ou juste inquiet de la laisser errer seule, mais tu pensais toujours qu’il serait plus rapide de visiter le château en vous séparant. “Bon, je veux bien vous laisser y aller seule, mais donnons-nous rendez-vous dans une heure dans le hall pour partager nos résultats. ” Puis, si l’un de vous manquait au rendez-vous l’autre saurait qu’il y aurait un problème ou qu’il était retenu ailleurs. Au moins, vous saviez désormais que les fantômes ne pouvaient vous blesser... Du moins pour l’instant. Tu saluas la jeune femme, avant de lui tourner le dos pour te diriger vers la zone où avait disparu l’autre esprit. Au moment de tourner sur la droite, tu vis que l’enchanteresse avait déjà disparu.  



De l’autre côté t’attendait le même esprit que tout à l’heure, pointant une nouvelle direction de son bras. Tu accéléras et alors que tu rapprochais de lui, il disparut pour réapparaître un peu plus loin. Ainsi, il cherchait vraiment à te montrer quelque chose ? ”J’espère que ce n’est pas une plaisanterie.” Murmuras-tu à toi-même. A chaque fois, le spectre semblait toujours t’attendre. Il ne lâchait pas le moindre mot, pas le moindre sourire. La silhouette s’arrêta finalement devant une porte alors qu’elle en avait passé des dizaines depuis que tu la suivais. Sa tête se tourna vers toi et tu vis ses lèvres formées des mots silencieux avant de disparaître. ” Quoi ? Attends ! Qu’est-ce que tu as dit ?” Mais c’était trop tard. L’esprit s’était évanoui. Tu retins difficilement un juron. Si seulement tu avais pu lire sur ses lèvres ! Dépité, tu t’arrêtas devant la porte. Elle aussi avait une poignée légèrement différente et la rune dessus avait été brisée. De la manière forte. ”Un vrai travail de sagouin...” Soufflas-tu, avant d’ouvrir la porte, la faisant grincer sinistrement. La pièce était sombre et seul un fin rayon de lumière passait à travers les rideaux. Tu allais devoir les ouvrir pour y voir plus clair. En moins d’une seconde, la lumière reprit ses droits.  



“Un boudoir ?” Du moins ça y ressemblait très légèrement, mais comme pour la réserve tout avait été ravagé. Seuls quelques romans de littérature avaient été épargnés. Du bout des doigts tu soulevas un nuage de poussière. Qu’est-ce que tu voulais me montrer...” Tu ne discernais aucune magie, même pas une vieille rune presque effacée ou brisée. Tu te stoppas face à un tableau. Il était bien abimé, comme si quelqu’un s’était amusé à y planter une épée ou à en déchirer la toile. Seule la partie inférieure était parfaitement intacte. Un couple semblait s’y tenir. L’homme paraissait grand, noble, et se tenait parfaitement droit avec une main sur l’épaule de la femme qui était assise à ses côtés. Bon, tu ne pouvais rien tirer de l’homme en costume, mais la demoiselle à ses côtés ? Sa chevelure semblait remonter au chignon et son visage avait été tailladé plusieurs fois. Qui avait pu faire ça à une peinture ? Qui avait bien pu vouloir cacher le visage de ces personnes ?  

D’une caresse légère tu touches une dernières fois le visage de la demoiselle, retraçant la ligne de sa mâchoire.  Il y avait autre chose qui avait abîmé le tableau : le temps. Les couleurs avaient perdu de leur éclat d’antan, jaunissant le teint de porcelaine.  Tu aurais bien aimé savoir qui était cette femme. Était-elle la propriétaire de cette chambre et de ce boudoir ? Tes doigts remontèrent jusqu’à la naissance de son chignon. La chevelure avait dû être d’un bleu outremer... Ce qui te rappelait une certaine enchanteresse.  

Il y avait quelque chose d’étrange dans cette histoire et tes suspicions revenaient au galop. Vivianne était-elle liée à l’histoire de ce château ? Tu avais du mal à y croire, elle était bien trop jeune pour être reliée à des évènements ayant eu lieu il y a plus de cent ans. C’était inimaginable du moins pas sans don ou un artefact...Ou alors tu voulais absolument connaître sa crème antiride car elle était remarquablement bien conservée.  

Pourtant, tu ne pouvais t’empêcher de repenser à ces petits détails qui avaient éveillé ta méfiance : le fantôme qui connaissait son prénom, sa réaction face à l’esprit qui tirait à l’arc, son insistance pour continuer seule... C’était loin d’être assez pour que tu considères ça comme des indices pertinents, mais assez pour que tu restes sur tes gardes et cela même si tu avais envie de croire en la personne envoyée par la guilde pour t’aider dans cette aventure.  



Que faire ? Que penser ?  Tu ne pouvais tout de même pas lui demander si elle était liée à ce château... Tu ne voulais pas paraître intrusif ni qu’elle te pense fou.  Il devait y avoir une autre explication tout à fait logique. Peut-être qu’un de ces ancêtres avaient vécu ici ?  Et elle aurait pu demander à être lié à cette quête et n’avait tout simplement pas voulu partager cette information ? C'était plausible... Mais tu avais encore une fois du mal à y croire. Tout cela te donnait envie de t’arracher les cheveux quand tu entendis un cri. Vivianne ? Elle semblait avoir besoin de toi pour quelque chose. Ton regard se posa une dernière fois sur l’œuvre en face de toi. Devrais-tu lui en parler ? Et que dirait la guilde si tu faisais part de tes craintes ? Tu allais quitter le boudoir pour rejoindre la jeune femme qui était actuellement au centre de tes pensées quand il y eut un éclat doré. C'était minime et tu aurais facilement pu le rater. Il était tombé entre divers objets en dessous d’un meuble renversé. Tu avais eu la chance qu’un rayon de soleil le touche pile au moment où tu te tournais.  



Tu te penchas, éternuant à cause du nuage de poussière et attrapas l’objet de ton attention. C’était un médaillon, le genre où il y a une gravure ou une petite peinture à l’intérieur... mais une rune le scellait, t’empêchant de l’ouvrir. Le propriétaire désirait protéger ce qu’il y avait à dedans et la rune semblait encore une fois différente de celles que tu connaissais. Que faire ? Tu aurais pu demander à Vivianne mais... tu hésitais. En parlant d’elle, elle devait t’attendre ! Tu partis la rejoindre, rangeant pendentif dans ta poche le temps de prendre une décision. L’enchanteresse t’attendait.  



“Dame Vivianne ! Je vous ai entendu m’appeler.” Soufflas-tu en t’approchant à grandes enjambées. Tu te décidas à garder le silence au sujet de tes trouvailles, préférant “surveiller” la jeune femme. Tu pourrais toujours changer d’avis plus tard.   “Vous avez trouvé l’artefact qui pourrait être à l’origine des esprits ? ” Demandas-tu en lui jetant un regard tout en dévalant les marches à sa suite. Elle te guida jusqu’au sous-sol, sans même jeter un regard aux autres pièces de rez-de-chaussée. Avait-elle été guidé par un esprit jusqu’à l’objet magique ? Ou connaissait-elle le chemin ? Voilà, que tu remettais chacun de ses gestes en question. Tu retins un petit soupir. “Concentre-toi Emerald !” Tu n’avais pas à la soupçonner ainsi ! Elle n’avait rien fait de mal et la guilde ne recruterait certainement pas une criminelle. Du moins tu l’espérais. Dans les bas-fonds du château, les fantômes étaient plus consistants, avaient moins de défauts que ceux des étages supérieurs. Tu avais presque l’impression qu’ils étaient tangibles, ce qui n’était pas le cas. Tu venais de traverser l’un d’eux sans le faire exprès, le faisant ainsi disparaître. Tu retins une petite grimace et continues d’avancer jusqu’à une porte. “Elle est bloquée ? Laissez-moi faire.” Tu n’étais peut-être pas le plus fort des hommes, mais tu avais tout de même subi un entraînement... Puis ta grande taille t’aidait bien.  Tu te mis à un mètre de distance, t’appuyas sur ta jambe droite avant de donner un coup de pied frontal en dessous de la poignée. Tu répétas le geste trois fois avant qu’elle ne cède, laissant une petite goutte de sueur rouler le long de ta tempe. “Et voilà..”. La porte dévoila un long tunnel qui aurait pu être bien sombre sans cette lueur fantomatique dans le fond.  

Bon, toi tu ne voyais aucun piège sur les parois du tunnel... Ce n’était certes pas ton domaine d’expertise mais normalement tu avais l’œil. Là, tu ne décelais strictement rien, mais l’enchanteresse semblait faire très attention et il n’aurait pas été étonnant que l’artefact ait été protégé, du coup tu suivais ses instructions à la lettre. Tu restais proche d’elle sans la gêner, ton fouet à la main en cas de mauvaises surprises quand tu la vie aussi, cette petite boîte d’où s’échappait la lueur fantomatique. Pour un peu, tu aurais pu la confondre avec un coffret à bijoux... si de nombreuses runes ne l’avaient pas recouverte. Tu regardais avec fascination les esprits qui s’en échappaient à un rythme plus ou moins régulier. Qui avait bien pu créer cet objet ? La femme sur le tableau ? Ou l’homme ? ”Magnifique...” La personne à l’origine de cet artefact avait un don et tu espérais que son nom fut connu car elle le méritait avec un tel chef-d'œuvre.  



Puis, la lumière qui se dégageait de la petite boîte se fit plus intense alors que le couvercle s’était ouvert sous les doigts de la bleuté. Maintenant qu’elle était ouverte de nombreux spectres s’en échappèrent envahissant le tunnel, ses environs et sûrement le reste du château. Ton regard en croise un gris affolé, puis un autre alors que des cris se font entendre. Ils sont terrifiés, mais par quoi ? Par qui ? Est-ce que tu voyais leurs derniers instants ?  Tu ne bougeas pas, figé devant un tel spectacle. Tu tournes sur toi-même, et finit par tomber sur Vivianne. Les esprits entre vous t’empêchent de voir son expression, mais tu la vois regarder vers l’entrée du tunnel. Et c’est là que tu la vois. La dame du tableau, celle qui te faisait penser à l’enchanteresse. Elle était plus âgée désormais.  Elle se tient droite, déterminée contrairement aux autres apparitions. Etrangement, tu ressens quelque chose de noble émaner d’elle, un peu comme les chevaliers des contes que tu lisais enfant. Que faisait-elle ? Allait-elle vers le danger que fuyaient les autres ? Tu eus envie de retenir cet esprit sur lequel ton attention est focalisée, éclipsant celui qu’elle laissait derrière. Et alors que la porte se referme sur elle, tu vois Vivianne te dépasser tout en t’invitant à la suivre.  



Tu venais à espérer que l’artefact soit réparable. Il serait affreux de perdre un tel objet ! Tu courus derrière la demoiselle, ton regard se perdant de temps en temps sur les divers fantômes. Des gens en armures fouillaient le manoir, s’en prenaient à certains esprits. Des gardes ? Mais pourquoi faisaient-ils ça ? “Qu’est-ce...” Une femme était apparue entre vous. Différente de celle du tableau. Plus triste... Plus solennel ? La main fantomatique se posa sur l’épaule de l’enchanteresse. Encore une fois tu restes figer, attendant la suite... écoutant chacun des mots de cette apparition au milieu de chaos. C’était un hommage. Un hommage pour une femme qui n’avait pas fui... La dame du tableau ? Elle s’était donc sacrifiée ? Ton cœur se serra alors que tu ne la connaissais même pas... Tu te rapprochas, désireux d’entendre la suite alors que d’autres esprits te dérangeaient. Ils parlaient tous, riaient, criaient... Comme s’ils ne revivaient pas tous la même chose. Puis, un cri encore. Plus distinct. Vivianne. Ce n’est pas un cri de colère, mais bien de détresse... Et même si tu n’es qu’un étranger dans cette histoire, malgré tes soupçons et le fait qu’elle n’était qu’une étrangère, tu as mal.  



Un grand fracas se fait entendre et tu vois l’enchanteresse briser la boite une première fois... Puis une seconde fois alors que celle qui semblait réaliser un éloge funèbre allait prononcer le nom de leur guide. “Elle s’appelait Vi…” Encore un dernier éclat... Et plus rien. Toutes les apparitions se sont évanouies emportant avec elles les secrets de ce lieu. La bleuté a détruit l’artefact et toi tu es là, tu n’as rien fait... Tu aurais pu la retenir. Tu pourrais aussi l’accuser, peut-être même t’en prendre à elle. Pourtant, tu n’en as pas envie, pas en la voyant ainsi. Tu t’approches tout doucement, et sans réaliser le moindre geste brusque tu poses une main sur son épaule pour lui apporter ton soutien. Tu es sensible à sa douleur. Tu poses un genou à terre, que dire ? Que faire ?  Tu n’avais pas tous les éléments pour comprendre la situation même si tu avais bien des doutes, des hypothèses loufoques... Tu craignais de la blesser encore plus.  



Tu te mords la lèvre inférieure. Tu n’avais jamais aimé voir les gens pleurer. Tu tires un mouchoir en soie de l’une de tes poches que tu tends à Vivianne alors que tes doigts passent dans sa longue chevelure. Était-elle vraiment la dame ? Tu fermes les yeux. Tout est si compliqué. Tu ne pouvais pas lui poser la question... Tu t’en sentais incapable. Tu pousses un petit soupir, avant de te rappeler d’un détail que ces derniers instants t’avaient fait oublier.  



“Vivianne ?” Souffles-tu avec douceur, le même ton qu’utilisait autre fois ta mère quand tu n’étais qu’un tout petit garçon qui se remettait de son don. ”Je crois que j’ai quelque chose qui vous revient.” Ajoutes-tu en tirant le médaillon toujours scellé d’une rune ancienne. Bon, tu prononçais aussi tes soupçons à travers cette phrase, sans pour autant l’accuser ou les donner en détails. Tu attrapes une de ces mains et pose délicatement le collier dans sa paume. Tu serres un instant ses doigts avant de les relâcher pour te redresser. ”Je... Tu hésites une seconde avant de reprendre : “Je vais vous laisser quelques minutes, si vous avez besoin de moi vous n’aurez qu’à m’appeler... Et sinon je vous attendrai dehors.” Autant lui laisser un peu de temps et d’intimité. Tu jettes un regard aux restes de la boîte. Devais-tu les prendre ? Tu restes quelques secondes à réfléchir, avant de te décider de ne pas y toucher, laissant ce choix à la bleuté. Tu quittes ensuite les lieux, la lourde porte du hall se refermant derrière toi.  

Si ta mère avait été là -une chose bien improbable- elle n’aurait pas hésité à te critiquer en disant que tu étais bien trop sensible et donc facilement manipulable. Peut-être que c’était le cas, mais tu étais persuadé au fond de toi que les larmes sur le visage de l’enchanteresse étaient bien réelles. Encore une fois tu sens ton cœur se serrer en te rappelant de l’expression affichée par la demoiselle et les soubresauts qui l’avaient pris. Tu patientas, regardant le ciel s’embrasait un peu plus à chaque seconde qui s’écoulait. Désormais, le château semblait bien triste et bien vide sans ses habitants fantomatiques. Les villageois ne pourraient plus se plaindre d’habiter à côté d’un lieu hanté.



Un léger grincement te fit te retourner, Vivianne était là. Bien que rougis par les larmes ses yeux brillaient d’une nouvelle lueur. Tu ne savais pas ce qu’elle signifiait exactement, mais la jeune femme était prête à avancer. Tu lui fais un grand sourire, dévoilant tes dents blanches alors qu’elle s’approche de toi. “Ce n’est rien, vous en aviez sûrement besoin et des fois il vaut mieux se laisser aller.” Toi-même tu avais bien pleuré dans les bras de ta petite fée quand elle avait réussi à te faire parler. Un épisode qui te faisait toujours rougir, bien que tu le chérissais désormais. Tu fis une petite grimace à la mention de l’artefact désormais brisé. ”C’est vrai que j’aurai aimé en savoir plus sur cet artefact et j’imagine que la guilde aussi, mais il semblait déjà abîmé. Il n’aurait peut-être pas supporté le voyage même sans cet incident.” Soufflas-tu pour tenter de la consoler sur ce fait. Bon, tu l’avais bien vu le briser... mais tu mettais ça sur ses émotions face aux “souvenirs” comme elle le disait. Est-ce que c’était relié à son grand père ? Tu n’osais toujours pas poser de questions –et pourtant tu étais du genre curieux- mais tu ne voulais pas réveiller ces pénibles instants tout de suite. Déjà car tu n’étais pas un de ses proches et car cette histoire était toute récente.



“J’espère qu’ils ne vont pas nous faire des reproches.” Est-ce qu’ils seraient capables de t'empêcher de prendre de nouvelles quêtes ? Tu étais un peu inquiet. Puis, tu te repris, ce n’était pas non plus un échec complet. Tu allais continuer tes réflexions sur le sujet quand l’enchanteresse te fit une offre plus qu’intéressante : “Je serai ravi de goûter à ce vin ! Puis, nous pourrions profiter des sources chaudes avant de rentrer à la capitale !” Tu la rejoignis sur le chemin, prêt à l’accompagner et surtout prêt à bavasser : “Vous savez que depuis quelques temps y a des gens qui disparaissent ? Certains disent que c’est Lucy qui a l’origine de ces enlèvements...”