Appuyé sur son épée, Ebrahim fait face à ses frères et sœurs de la montagne. Collègues, amis, sujets, rivaux, personnel, famille, un véritable petit peuple s'est déplacé à la demande de leur estimé gouverneur. Dans un silence pesant, il prend la parole.
EBRAHIM (d'une voix forte) – Mes chers compatriotes. Malgré mon amour pour le verbe, j'ai décidé d'être bref aujourd'hui : c'est la dernière fois que je vous fais face ainsi, à ce rôle. En effet, il n'est plus possible pour moi de conjuguer toutes mes activités sans en délaisser une, et vous méritez bien mieux qu'un gouverneur distrait. Vous, peuple du Nord, incarnations animées de la « force tranquille », méritez d'être la première priorité de quiconque voulant vous représenter.
La foule chuchote. Il arbore un sourire d'une douceur amère.
EBRAHIM – Je ne suis plus en mesure d'occuper ce rôle, mais je veillerai à ce que notre belle région se retrouve entre les meilleures mains possibles. Jusqu'à aujourd'hui, je travaillais pour que les projets de l'an 1001 soient financés jusqu'au bout, afin de faciliter la succession. A partir d'aujourd'hui, c'est un régent capable qui répondra à vos requêtes et s'occupera de la supervision du Nord.
Il désigne de la main droite un homme qui s'avance à ses côtés. Un pion de la Capitale. Il fera l'affaire, jusqu'à la transition, jusqu'au prochain ou à la prochaine représentante que la royauté enverra à la Forteresse. La foule s'agite.
EBRAHIM – Merci de m'avoir accordé votre confiance, et le privilège d'assurer votre sécurité et votre bien-être dans la mesure de mes capacités. Je laisse maintenant la parole à notre invité, et prends congé. J'ai bien des livres à ranger, comme vous vous en doutez... (Rires) Que Lucy vous garde.
Il tire sa révérence, et quitte l'estrade sans se retourner. Les questions fusent, mais ce n'est plus son problème. Lorsqu'il arrive à sa tour, ses domestiques ont presque vidé ses quartiers. Il passe la main sur le bois verni d'une bibliothèque vide, et sourit. Il reviendra sûrement ici, un jour, dans une nouvelle vie.
Un de ses anciens domestiques s'approche de lui et lui tend un livre. Ebrahim hoche la tête, et il l'ouvre à la première page. Commençons donc un nouveau voyage...
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Le lendemain de son discours d'abdication, alors que les rumeurs commencent à peine à voyager, un phénomène étrange se répand à travers les grandes villes du royaume. Les familiers messagers, les coursiers, les panneaux d'affichage, et les flèches messagères apportent toutes le même tract, marqué au dos par une croix peinte à l'ocre rouge.
Si vous ne croyez pas à tout ce que la technologie peut faire de bien pour vous, alors vous subirez tout ce qu'elle peut faire de mauvais. Le cartographe que j'ai envoyé dans les grottes est perdu pour toujours, et malheureusement, il est le seul à posséder la carte du système mécanique que j'y ai fait installer. J'ai fait honneur à vos croyances : le gaz empoisonné qu'il relâche est magique ! Soyez heureux, vous qui ne jurez que par le mystique. Que les plus lâches se rassurent, mon invention n'est pas mortelle, ni ne recouvre tout le labyrinthe... Ma priorité principale était d'organiser mon départ comme il se doit. Retenez simplement, pauvres d'esprits, que quelque part dans les grottes, un nuage bleuté rend fou. Bénis soient ceux qui comprendront l'étendue de mon Génie.
Ceux qui savent lire ne tardent pas à partager leur terrible découverte, et avant même que le soleil se couche, un quart du royaume est déjà au courant. Menace en l'air, coup de bluff, ou véritable malédiction laissée par l'ex-gouverneur de la Forteresse ? Sous un nouveau nom et un nouveau visage, Ebrahim jubile. Ce plan lui tenait à cœur depuis des ans, et puis, soyons honnêtes : il n'aurait jamais été du genre à disparaître calmement.