La petite boutique ne payait pas de mine, avec une devanture banale comme on en trouvait des milliers dans cette immense cité, faite d’une simple vitrine à petits carreaux crasseux et d’armatures en bois vieillot. Au-dessus de la porte, un panneau de bois sombre tanguait doucement au gré du vent, et offrait à la vue des passants une jolie peinture d’une fiole d’alchimiste contenant un demi-soleil collé à une demi-lune. La porte en elle-même était craquelée et ne donnait pas spécialement envie d’entrer dans la boutique qui dégageait pourtant une légère odeur de lavande, de laurier, de basilic, et autres plantes intrigantes du monde d’Aryon.
Une fois cette fameuse porte passée, le courageux curieux pouvait découvrir l’antre de Thémalion, une petite boutique étonnamment propre et bien rangée. À gauche, des étagères suspendues dans les airs par des cristaux magiques créaient des allées dans lesquelles les yeux se perdaient parmi des dizaines de potions déjà prêtes, classées par prix et par effet. À droite, plusieurs bacs bien organisés offraient en vrac diverses plantes utilisables pour des remèdes en tout genre, avec des petits panneaux indiquant le nom de la plante, son prix par 50g et les utilisations principales de celle-ci. Au centre de la pièce se trouvait un petit comptoir, présenté à la manière des pupitres auxquels se tiennent les avocats lors de leurs plaidoyers, où le potionniste venait se tenir avec un petit sourire accueillant lorsque la clochette de la porte tintait. Enfin, tout au fond, une grande ouverture, suffisamment large pour qu’un bœuf s’y engouffre, faisait office de porte avec un rideau tiré devant pour cacher l’arrière-boutique, composée du stock supplémentaire ainsi que de l’atelier de l’homme. Le tout était agrémenté d’une lumière tamisée et intimiste prodiguée par des cristaux de lumière, savamment positionnés au-dessus des étagères flottantes ainsi que des bacs à plantes.
Ce jour-là, Thémalion avait ouvert boutique un peu plus tard, car il avait été mandé pour s’occuper d’un jeune noble qui piquait des crises de colère incontrôlables. Après avoir étudié le garçonnet et fournit à ses parents un remède temporaire, il s’en était allé en promettant de repasser le soir-même, après avoir pu préparer pendant sa journée une vraie potion, efficace sur le long terme. Il était donc environ 10h lorsque l’homme commença à s’affairer à son atelier, tout en gardant l’oreille tendue au cas où la clochette viendrait à sonner.
« Un peu de basilic… Du guara… Oh, non, pas de guarana ! Pas. De. Guarana. Thémalion tu es un homme idiot, tu vas l’exciter ce pauvre garçon, » bougonna-t-il contre lui-même. « Ah, avec un peu d’infusion de weissium, ça devrait être pas mal… Hmmm. Peut-être que… Oui, oui oui oui, bonne idée ça, mon p’tit Thémalion, c’est très bien ! »
Les idées fusaient dans son cerveau à mesure qu’il concevait le remède, tandis que ses mains elles-mêmes dansaient un ballet fantastique, empreint de dextérité et de maîtrise. L’idée qu’il en avait, c’était d’en faire une décoction concentrée à diluer dans une tasse de thé, ou dans un verre d’eau, et à consommer deux fois par jour. Avec ça, le garçonnet serait plus calme dans l’immédiat, mais surtout prendrait un certain goût à ce calme. Le projet de cette potion était de montrer ce qu’était la sérénité à l’enfant, tout en lui faisant développer une addiction à celle-ci. Pas très éthique, diraient certains, mais les parents, eux, en seraient sûrement ravis.
Alors que sa symphonie pharmaceutique battait son plein, il perçut un brouhaha étouffé, provenant très probablement de l’extérieur de sa boutique. Il n’y prêta guère attention et continua son travail tranquillement. Malheureusement pour lui, ce bruit de fond qu’il pensait passager s’intensifia et ne s’arrêta pas après quelques secondes, bien au contraire : 15 minutes plus tard, il entendait toujours du bazar au dehors. Bien qu’il n’était pas spécialement grognon par nature ou même accro au silence, il mit son travail en pause et passa le rideau de tissu en s’essuyant les mains dans un torchon.
Qu’est-ce que c’était que ce boxon, bon sang d’bonsoir ! Alors même qu’il pensait ces quelques mots, il ouvrit la porte et fut percuté de plein fouet par un mur de son qu’il n’aurait jamais imaginé si puissant. En une fraction de seconde, il comprit que la vétusté apparente de sa boutique ne l’empêchait d’avoir une excellente isolation sonore.
Passé le petit instant de choc qui suivi l’agression honteuse de ses tympans, le bonhomme regarda dans la rue et vit, à quelques dizaines de mètres de là, en plein milieu d’un carrefour, un grand type aux cheveux bleus, torse nu sous sa cape rouge qui volait légèrement dans la brise dansante des rues de la Capitale, avec des lunettes d’une forme qui aurait fait lever les sourcils de plus d’une personne, et qui chantait et jouait d’un étrange instrument de musique que Thémalion ne savait identifier en raison de la pauvreté de sa culture musicale. Ce phénomène de foire aurait clairement pu être un client régulier du potionniste, tant son excentricité explosait la vue de ceux qui passaient par-là – et c’était sans mentionner son chant. Sur un rythme étrange, saccadé et peu mélodique, le type alignait des vers qui semblait faire mouche, étant donné le nombre de gens arrêtés à le regarder.
« Ohhhhhh yeaaaaah yeaaaaah
Ouh, ouh ouuuuuh,
Zeeeeeeeeny,
My flower baby ! »
Et le type se mit à vocaliser des hey ho à tout va pendant près d’une minute avant de reprendre son chant :
« Cela fait longteeeeeemps que dans cetteuh rue
J’appelle vainement mais personne ne répoooond,
Fais juste un siiiiiiigne, dis-moi où es-tuuuuuu
Ooooohoooohoooohoooo !
Déjà deux heures, que j’suis posté là
Je crie ton nom mais personne ne m’enteeeeeend,
Juste un signe suffira !
Viens dans cette ruuuuuuuue
Regarde qui est làààààà, oooohooohooohooo !
REFRAIN ! » beugla-t-il avant de s’en donner à cœur joie sur son instrument.
« EST-CE QUE TU M’ENTENDS HEY OH
EST-CE QUE TU ME SENS HEY OH
TOUCHE MOI JE SUIS LÀ HEY OH, OH, OH, OH OH OH OH OH
STEUPLAIT REPONDS MOI HEY OH
UN GESTE SUFFIRA HEY HO
EST-CE QUE TU M’APERCOIS HEY HO HO HO, OH OH OH OH OH ! »
Et il clôtura sa prestation en donnant un grand coup dans son instrument qui fournit un son puissant, grave mais mélodieux, en pointant en même temps son index vers les yeux, un air satisfait figé sur le visage.
Zeny salua la foule, même si les applaudissements n’étaient pas aussi enthousiastes que ce qu’il aurait imaginé, passa sa main droite dans ses cheveux et lâcha un grand « Merci public ! »
Alors qu’il s’apprêtait à descendre de l’estrade improvisée qu’il avait fait avec quelques cageots de fruits vides, il vit, au loin, sa fameuse « flower baby ». La jeune femme qu’il avait croisé la veille dans les rues de la Capitale et qu’il avait perdu immédiatement après dans la foule, aux cheveux blonds et qui arborait une fleur splendide à la place de l’un de ses yeux. Il pointa son index droit sur elle et cria aussi fort qu’il put pour couvrir le brouhaha de la foule :
« Je t’ai trouvée, FLOWER BABY ! MA MUSE ! NE BOUGE PAS, J’ARRIVE ! »
Et il sauta à terre, et courut aussi vite qu’il put jusqu’à elle, se frayant un chemin comme il put parmi les gens en faisant bien attention à ne pas les bousculer. Il arriva finalement devant elle et fit une grande courbette pour la saluer.
« Ohhh flower baby, comme je suis heureux de te retrouver… »
Je m'étais donc fait tout un programme pour ma journée. Le matin, je me lève tôt pour profiter de la fraicheur matinale pour mon entrainement quotidien à l'épée. Bien que je sois en congé, le fait de ne plus forger au quotidien peut vite me faire perdre du muscle. Ne plus maintenir le rythme effréné imposé par mon maître peut avoir un léger contre-coup. Je maintiens donc mon entrainement physique que Rid m'a enseigné et l'accentue un peu plus qu'à l'habitude pour compenser le manque de travail dans la forge. Je continue ainsi jusqu'au milieu de matinée. Je profite ensuite d'un petit bain pour me laver et rafraichir. Les sources chaudes me manquent un peu en cet instant puisque ici je n'ai qu'une grande bassine où me plonger et l'eau doit être chauffée au bois. Je profite aussi d'avoir du temps devant moi pour faire une lessive en utilisant mon Net'noix. Quand tout est propre, je change mes vêtements décontractés pour une petite robe d'été. Encore un cadeau de ma sœur avec le prétexte qu'elle me va bien. Le tissu est léger et parfait pour l'été. Je ne sais pas trop si elle m'embellit réellement, mais au moins je suis à l'aise. Je remonte mes cheveux en une queue de cheval haute. Une fois prête, j'attrape un petit sac avec ma bourse à cristaux dedans et quitte la maison.
Je me laisse vagabonder dans les rues animées de la Capitale. Je m'arrête à certains étals pour inspecter la marchandise, mais n'effectue pas spécialement d'achats. Je finis par laisser mon instinct et mon estomac me guider. L'heure de midi approchant, ma faim prend le dessus et il faut que je trouve de quoi me rassasier. C'est dans ces moments que la cuisine de Lyle me manque. Bien que celle de ma famille soit très bonne, ce n'est rien comparer à la sienne. Maintenant que j'y ai goûté et pris goût, tout le reste semble plus fade. Il est devenu difficile de trouver un plat qui me satisfait autant. Il a bien tenté de m'apprendre ses recettes, mais je n'arrive clairement pas à l'égaler. Cela a un petit côté frustrant. Je cherche donc désespérément un étal vendant de la nourriture au style similaire. Rien n'y fait, je n'arrive pas à trouver la nourriture qui fera chavirer mon cœur. Je finis par me rabattre sur de simples brochettes de viande et compte le nombre de jours qu'il me reste avant de retrouver cette cuisine qui me fait tant plaisir.
Par la suite j'explore les étals de vendeurs de bijoux et autres objets magiques. J'ai en tête quelques idées d'achats à faire pour mon quotidien, mes aventures ou simplement trouver un petit souvenir pour mon maître. Je sais bien qu'il ne voudra rien, il risque même de s'énerver si j'insiste pour lui offrir quelque chose. Toutefois, je tiens à lui trouver un petit quelque chose, qu'il l'accepte ou non. Je réfléchis donc à ce qui pourrait lui plaire ou être utile, tout en inspectant les objets qui peuvent aussi me servir. Je repère aussi quelques bijoux finement travaillés et observe les techniques abordées. Mon maître semble s'intéresser à l'orfèvrerie dernièrement, et y réfléchissant, c'est vrai qu'un forgeron n'a pas besoin de se limiter à faire des armes, armures ou outils. Voir des aspects plus fins du métier peut m'aider à trouver ma spécialité ou façon de faire qui donnera ma signature à mes créations.
J'explore ainsi les rues et étals pendant un long moment. Quand je commence à en avoir marre, je me balade simplement dans les rues moins bondées et où l'ombre est plus présente pour avoir un peu de fraicheur. Je profite un peu de cet instant de calme. La fraicheur et le silence de la montagne me manque un peu. Je me rends compte que je me suis rapidement adaptée à la vie en ermitage. Bien que l'on se rende de temps en temps à la Forteresse, cela n'a rien à voir avec la Capitale. Cet endroit où j'ai grandi m'est devenu un peu étranger. Je pense maintenant rentrer à la maison et profiter d'un simple bain de soleil dans la cour, mais avant je veux encore chercher un petit quelque chose pour Sio et faire un petit passage à la Guilde.
Je rejoins donc une rue bien plus passante et le bruit de la foule revient rapidement. Se mêlent discussions, vendeurs essayant d'attirer des clients et barde essayant de récupérer quelques cristaux en chantant. D'ailleurs il y en a pas très loin qui joue une chanson aux paroles plutôt simples puisque je l'entends répéter des "hey oh". Ce n'est pas vraiment le genre de mélodies qui m'intéresse et je continue donc ma recherche d'un potentiel cadeau. C'est alors qu'un homme apparaît devant moi en faisant une courbette et me sors du « flower baby ». Qu'est-ce que c'est que cet énergumène encore ? Il dit être heureux de me retrouver, mais son visage ne me dit rien. Je ne suis pas une grande physionomiste, mais au vu de son style un peu particulier, je pense que je l'aurais retenu. Je hausse donc un sourcil et me pointe du doigt comme pour demander confirmation que c'est à moi qu'il s'adresse. Son expression ne laisse aucun doute sur le fait que c'est moi qu'il recherche. Je n'ai pas vraiment que ça à faire, alors autant l'envoyez voir ailleurs poliment.
« Excusez-moi, je ne crois pas que l'on se connaisse. Vous devez faire erreur. Bonne journée. »
Je passe à côté de lui et me dépêche de m'enfoncer dans la foule pour essayer de le semer. Je n'ai pas de temps à perdre avec un type bizarre me sortant un surnom à deux cristaux.
Cependant, Zeny n'était pas la foule. Il n'était pas du genre à se décourager facilement : après tout, il avait comme objectif de devenir la première popstar d'Aryon, le plus grand artiste de tous les temps, capable de marquer les esprits sur des décennies, voire des siècles, et plus encore ! L'être le plus incroyable que ce monde ait connu, voilà ce qu'il voulait devenir. Ce n'était pas un petit rejet malencontreux qui allait lui faire baisser les bras. Sans compter qu'il était stupide. Tout ce qu'il avait compris, lui, c'était qu'elle ne l'avait pas remarqué à sa juste valeur la veille, et qu'elle ne pouvait forcément pas le reconnaître puisqu'il ne lui avait pas montré comme il était génial et grandiose.
C'était décidé ! Sa mission du jour serait de prouver à cette femme, sa muse du jour, qu'elle gagnerait à le connaître et à accepter de lui parler.
Malgré la dextérité de la fuite de la fleur, Zeny la suivit promptement après s'être redressé et en se faufilant entre les quelques passants qui faisait barrage. Il se garda d'entrer en contact physique avec elle et se contenta de se mettre à côté d'elle tout en se calant sur son rythme de marche. Un air tout content au visage, il reprit :
« Haha, c'est bien vrai qu'on se connaît pas, enfin, pas encore ! Moi c'est Zeny, Zeny Astley. »
Il se planta alors devant et fit quelques mouvements de « danse », sans prendre en compte les regards affolés des badauds.
« La première POPSTAR d'Aryon, yeah ! »
Il souleva sa mèche de cheveux d'un geste théâtral, les yeux fermés et l'air fier de lui, avant de la regarder à nouveau, comprenant son erreur.
« Oh, c'est vrai, tu ne dois pas savoir ce que c'est qu'une popstar. Disons que c'est un barde, mais en bien mieux. D'ailleurs, si je te cherchais, Flower Baby, c'est parce qu'en tant que popstar j'ai été... » dit-il avant de prendre une longue inspiration, en faisant mine de réfléchir. « ...Hm... Inspiré, OUI, voilà ! Inspiré par toi. Et j'ai écrit une chanson. »
Un type au visage rougeaud qui passait par là le bouscula en grommelant, et s'adressa à la femme :
« Dites, vous pourriez l'tenir vot' énergumène, y nous fait un rien suer à brailler comme qu'y fait ! On en a perdu d'la clientèle à cause d'lui, allez-y donc emmerder d'aut' gens qu'nous aut' ! »
« Monsieur, monsieur, du calme voyons ! Ce n'est pas vraiment ma faute si ma musique est plus intéressante que les breloques que vous vendez. C'est normal après tout, vous vendez du tissu de tellement faible qualité qu'il en est tout juste bon à habiller des poules... Ne vous en prenez ni à ma muse ni à moi, non mais ! »
Le type parut outré de se faire houspiller de la sorte alors qu'il était dans son bon droit de se plaindre. Il rougit d'autant plus, son visage tournant même au violet, et si deux autres types n'étaient pas venus le retenir en le tirant en arrière, il se serait jeté sur Zeny pour lui coller une correction – ou du moins, il aurait essayé.
« Ceci étant dit, » reprit l'aventurier en se tournant à nouveau vers la femme. « Que dirais-tu d'écouter ma chanson ? »
D'ailleurs, je ne suis pas la seule à penser cela. Un type bourru au visage rougit vient s'énerver contre moi en me demandant de m'occuper de ce type qui n'arrête pas de me suivre. Il pense quoi celui-là ? Que c'est mon animal de compagnie ? Non merci. En tout cas, Zeny ne l'entends pas de cette oreille et choisi de répondre au marchand. Parfait ! Maintenant qu'il ne s'intéresse plus à moi, c'est le moment de filer. Sans attendre, je me faufile dans une ruelle et profite qu'il est concentré à énerver ce type pour m'enfuir. Je dois faire vite. Je choisis une ruelle étroite et visiblement peu fréquentée. Ça ne sent pas vraiment bon par ici, mais c'est désert. Je traverse l'endroit aussi vite que je peux, mais alors j'entends un peu plus loin un « Flower Baby » être crié. Par Lucy ! Je me retourne et aperçois le type aux cheveux bleus à l'entrée de la ruelle que je viens de prendre. Mais c'est un véritable pot de colle !
J'accélère le pas pour rejoindre la rue au bout de la ruelle. Je débouche sur une autre artère commerçante de la ville. Je me faufile entre les passants au pas de course pour essayer de semer le barde qui me suit toujours. Il ne semble pas vouloir lâcher l'affaire, et c'est qu'il est rapide le bougre ! Il faut dire que l'on peut aussi assez facilement me repérer avec ma longue chevelure blanche et ma robe de la même couleur. Je suis plutôt visible au milieu des passants aux tenues colorées. Je jette des petits coups d'œil derrière moi pour vérifier si je suis toujours suivie. Je ne vois plus de tignasse bleue et pousse un soupir de soulagement. Enfin débarrassée de ce parasite ! Je continue d'avancer, contente d'avoir réussi cette petite mission imprévue. Sauf qu'en ne regardant pas devant moi, je fonce dans une personne qui tient de lourdes courses. Je m'arrête donc pour m'excuser et aider la personne à ramasser ses affaires. Je donne également quelque cristaux de compensation pour les fruits écrasés et devenus inutilisables par ma faute. Maintenant que ce différent est réglé, je m'excuse une nouvelle fois en regardant la personne partir.
C'est alors que j'entends un nouveau « Flower Baby » juste derrière moi. Je sursaute et jure sur Lucy en entendant cela. Le barde m'a retrouvé. Je me masse les tempes et me retourne pour constater qu'il est bien là et m'offre un grand sourire presque fier de m'avoir retrouvé. Avant qu'il n'ait le temps de recommencer un nouveau discours, je l'attrape par le col de son espèce de cape et le traine avec moi loin de la foule. S'il a décidé de me suivre, je préfère ne pas m'attirer d'ennuis parce qu'il est bruyant et qu'il dérange les marchands du coin. Maintenant isolée avec lui, je vais lui dire le fond de ma pensée.
« Bon. Je ne sais pas ce que tu me veux, mais maintenant laisse-moi tranquille ! Je ne suis pas intéressée par ta musique. Je ne veux pas non plus être ta muse ou je ne sais quoi d'autre. Et par pitié, arrête de m'appeler avec ce surnom à la noix ! »
Bon, à part peut-être lorsqu’elle tenta de se fondre dans une grosse foule au détour d’une ruelle. Là, il la perdit pendant bien 10 secondes avant de repérer à nouveau la blancheur éclatante de sa tête.
À plusieurs reprises, il descendit de son perchoir et essaya de l’appeler, à coup de Flower Baby, pour qu’elle daigne lui accorder son attention : en vain. Chaque fois, elle l’ignorait et se faufilait à nouveau dans la foule pour s’éloigner de lui. « Ah les communs », se disait-il, avec son habituel arrogance envers les autres. Il voyait en elle une sorte de rejet de ce qui était différent par peur de devoir reconnaître qu'il était génial. Il était convaincu qu'elle jouait à l'autruche pour éviter de devoir remettre en cause sa vision du monde en admettant qu'un type tel que lui puisse être la meilleure rencontre de sa vie.
Il se devait de lui ouvrir les yeux.
Finalement, après un énième appel, elle le traîna de force à l’écart et lui passa un savon chargé de colère. Manque de chance pour elle, ça ne suffit pas à lui faire démordre de son idée.
« Mais enfin, si tu veux que je t'appelle autrement, il va falloir que tu me dises ton nom ! »
Zeny prit la main de la femme qui tenait son col et s'en libéra, avec moins d'aisance qu'il ne l'aurait pensé. Un coup d’œil à ladite main lui confirma son idée : ce n'était pas du tout une main de dame. Celle-ci portait des marques notables que les gens qui en usent chaque jour et blessent ont. Ce n'étaient pas des mains de fermière, ni des mains d'artisane... Mais il y avait un truc. Un aspect rugueux qu'on ne voit pas chez la plupart des gens. Une garde, peut-être ? Il valait mieux faire attention, finalement, au cas où elle déciderait soudainement de lui régler son compte. S'écartant légèrement d'elle, l'expression nouvellement affichée par ses traits était plus sérieuse, sans se séparer pour autant de son habituel sourire.
« Alala ma pauvre... Qu'est-ce qui peut faire que tu sois aussi réfractaire à la possibilité de rencontrer quelqu'un ? Après tout, une rencontre, c'est toujours l'occasion de s'enrichir ! »
À ces mots, il prit la basse accoustique qu'il avait encore attachée dans son dos et la fit tourner entre ses mains, avec une fierté non dissimulée. Son exercice d'observation ne s'était pas arrêté un seul instant, mais il n'arrivait pas à bien saisir qui elle pouvait bien être rien qu'en la détaillant du regard. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il ne comprenait pas du tout la virulence de sa réaction. Avait-elle peur qu'il l'agresse ? Il arrêta son petit manège avec l'instrument, le posa au sol et appuya ses mains sur le haut du manche, tout en mettant son menton lui-même sur ses mains jointes.
« T'as un musicien qui t'accoste, qui te dit que tu lui as inspiré une chanson, et qui donne l'impression de sortir d'un carnaval, et toi, tu vas me dire qu'aucun de ces éléments ne t'intrigue ? Que t'as pas la petite fille que t'étais qui s'éveille en toi et qui te crie de chercher à en savoir plus ? »
Il laissa sa question en suspens, le temps de voir sa réaction, et repris immédiatement ensuite :
« Enfin, toujours est-il que, comme dit, ta vision m'a inspiré une chanson. Et notre petite course poursuite de tout à l'heure, m'en a inspiré le début d'une autre... Tu n'as rien à perdre à m'écouter les chanter, si ce n'est quelques minutes de plus que toutes celles que tu as déjà perdu à tenter de t'enfuir. Et après ça, tu s'ras tranquille, parole de popstar ! Et si les chansons te plaisent pas, j'te donne un petit cours d'autodéfense avec une technique pour te débarrasser des importuns ! Enfin sauf moi, parce que j'suis pas un importun, juste un artiste grandiose que tu ne veux pas reconnaître à sa juste valeur... »
Sa proposition n'avait ni queue ni tête. Comme d'habitude, il était en roue libre totale, et disait tout ce qui lui passait par la tête, quitte à être encore plus idiot qu'il ne l'était à la base.
Suite à cela, il récupère son instrument à corde qui est attaché dans son dos. Il le fait tourner dans ses mains d'une manière qui doit servir à impressionner plus d'une demoiselle, mais pas moi. Je pourrais lui montrer comment je fais tourner un marteau si j'en avais un, mais je n'ai pas pris mon fidèle compagnon, ne jugeant pas que j'en aurais besoin. Je commence à me masser le front tout en soupirant. Je pense que je ne vais pas pouvoir me débarrasser de ce phénomène de foire qu'en faisant ce qu'il demande. Il continue son petit discours. Honnêtement, rien ne m'intrigue dans cet étrange personnage qu'est Zeny. Je ne m'intéresse pas à la musique, et je m'intéresse rarement aux personnes que je rencontre. Il faut quelque chose qui ai le don d'attiser ma curiosité, mais ici il n'y a rien. Et la petite fille en moi ne s'intéresse pas plus à un barde. La petite fille en moi souhaite seulement forger et faire plaisir à sa petite sœur. Je suis une personne très simple avec des objectifs peu élevés, donc rencontrer un barde qui veut devenir célèbre ne fait pas vraiment partie de mes rêves. Je hausse simplement des épaules à cette question. Il n'y a rien à dire de plus.
Je croise ensuite mes bras tout en l'écoutant continuer. Je perds de plus en plus de temps et j'avoue commencer à m'impatienter. En plus de cela, je n'ai pas vraiment l'occasion d'en placer une. Il continue à dire que je lui inspire une chanson. Je hausse un sourcil en entendant cela. Moi ? Inspirer une chanson ? Elle est bien bonne celle-là ! Il va me dire quoi ensuite ? Que j'ai un corps de déesse ? Je lâche un petit rire un peu exaspéré. Il continue dans son délire et commence à me parler de cours d'autodéfense. Là j'avoue que j'éclate d'un vrai rire. Là, c'est une bonne blague !
« PWAHAHAHAH ! Toi ! Me donner un cours ! Arrêtes tes salades ! AHAHAHAH ! Par Lucy ! On ne m'en a pas dit une comme ça depuis longtemps ! »
Je rigole à gorge déployée, au point qu'une petite larme coule de mon œil valide. Un barde donnant un cours d'autodéfense ! On aura tout vu ! Surtout à une aventurière qui elle-même a été entrainé par des gardes. Franchement, il y a de quoi se marrer. Quand je me calme enfin, je reprends mon souffle et le regarde franchement.
« T'es un marrant toi ! Très bien, je vais écouter ta fameuse chanson. Comme tu dis, je vais juste perdre du temps si tu ne te décides pas à me lâcher la grappe. Donc je vais t'écouter ! Et pour le cours d'autodéfense... »
Je le regarde de haut en bas, puis de bas en haut. Bon, pour un barde, il ne semble pas spécialement gringalet. Il semble même plutôt bien musclé. Évidemment, la vue d'un homme torse nu ne me fait rien, surtout que je suis habituée à un certain forgeron qui est bien plus musclé par ses années de travail.
« Pourquoi pas ? Mais je te préviens que je sais me battre malgré les apparences. D'ailleurs. Ne m'appelle plus avec ce surnom bizarre. Sia. Appelle-moi Sia. »
Et elle lui donna enfin son nom. Ce détail fut la cerise sur le gâteau pour lui, avec supplément crème fouettée et poudre de cacao. Il se contint le mieux qu’il put pour ne pas laisser paraître comme il était submergé de joie qu’elle accepte de s’ouvrir ne serait-ce qu’un peu à lui, mais ses yeux, eux, le trahirent certainement tant ils brillaient de mille feux.
Sia.
Une douceur à l’oreille. Une simplicité pourtant si poétique. Il entrevoyait déjà les rimes et compositions rythmiques qu’il pouvait faire avec ce prénom. Encore une fois, sa muse comblait son cœur.
« Ahhhh ! Eh bien en voilà, un prénom ! Enchanté Sia, comme déjà dit, moi c’est Zeny. »
Elle accepta ensuite la proposition, non sans le regarder de bas en haut. Peut-être qu’elle doutait qu’il fut capable de lui apprendre quoi que ce soit concernant l’autodéfense. Cette supposition fut rapidement confirmée par Sia elle-même. Elle savait se battre hein ? Décidément, elle était sûrement garde. Ou peut-être aventurière ? Une collègue ! Comme ça serait merveilleux. Ils auraient peut-être l’occasion de se recroiser au détour d’une quête, à l’avenir !
« Oh, ça, je doute pas que tu sais te battre, t’en fais pas. Tu as une sacrée poigne, et ta main est celle d’une bosseuse qui l’use tous les jours. Vu que tu ne m’as pas arrêté pour harcèlement, je pense que tu es aventurière plutôt que garde, j’me trompe ? » questionna-t-il avec le même faciès malicieux qu’auparavant.
Il empoigna ensuite sa basse acoustique et joua quelques notes rapides, histoire de vérifier qu’elle était toujours bien accordée. Il tendit l’oreille à chaque corde… Parfait. Rien à signaler, il pouvait jouer. À côté de lui, un tonnelet avec un couvercle semblait appeler son postérieur pour lui servir de siège : ça aussi, c’était parfait. Une fois en position, il se racla la gorge, et la mélodie démarra, tout en douceur, sans grandiloquence et sans son extravagance caractéristique.
« L’hiver s’installe doucement dans la ville
La neige est reine à son tour…
Son royaume de solitude,
Sa place est là, pour toujours.
Le vent qui hurle en elle
Ne pense plus à demain ;
Il est bien trop fort,
J’ai lutté en vain…
Cache ton amour, n’en parle pas,
Fais attention : le secret survivra !
Pas d’états d’âme, pas de tourmeeeeeeents…
De sentimeeeeeeents…
Dans la rue, j’l’ai croisée,
Et me voilà ensorcelééééééé.
Dans la rue, j’l’ai croisééééée,
Et mon âme est inspiréééééée !
Et me voilà,
Oui je suis làààà !
Le blizzard de son cœur m’a vraiment envoûté… »
Il gratta une dernière fois les cordes de la basse acoustique, toujours avec la même douceur qui ne lui ressemblait pas, et releva finalement les yeux vers elle. Il était plutôt fier de lui, sa chanson n’était certes pas la meilleure qu’il ait écrite, mais elle avait ce quelque chose qui vient des tripes. Il était quasiment sûr de faire mouche, et si ce n’était pas le cas : la déception qui en résulterait serait source d’inspiration.
« Alors, qu’en dis-tu, Sia ? »
« Forgeronne. Ou plutôt... Je suis apprentie-forgeronne. »
Voilà. Comme ça il ne me cherchera pas à la Guilde, mais plutôt chez les forgerons. Jamais il ne cherchera un forgeron vivant en ermite dans les montagnes ! Je devrais donc pouvoir me débarrasser de ce pot de colle après cette journée et ne plus le revoir une fois mes vacances terminées.
Viens alors le moment de la chanson. Zeny s'installe et prépare son instrument. De mon côté, je viens m'adosser au mur derrière moi et croise les mains sur ma poitrine. Je n'ai qu'à l'écouter me chanter sa chanson, et après je peux partir terminer mes emplettes. Je le regarde accorder son instrument puis doucement démarrer à jouer et à chanter. La chanson n'a rien de grandiose, et je ne suis pas une grande amatrice de musique. Tout cela me semble plutôt moyen pour mon oreille si peu habituée à la musique. Je préfère largement le bruit de la nature qu'une personne braillant des paroles poétiques. En soit, la chanson ne semble pas si mal. Les paroles sont plutôt simples, mais je les trouve aussi un peu tristes. Je lui ai réellement inspiré cette chanson ? Je me demande quelle image il a de moi. Il termine sa chanson et me demande mon avis. Je me gratte un peu la joue pour en pesant mes mots.
« C'est plutôt... triste. Je t'ai vraiment inspiré cette chanson aujourd'hui ? Tu as une image plutôt triste de moi alors... Mais c'est pas mal. »
Je me redresse et réajuste mon sac sur mon épaule. Ce n'est pas tout, mais j'ai encore un cadeau à trouver.
« Bon, et bien j'ai écouté ta chanson. Maintenant je peux y aller ? J'ai encore des courses à faire. »
Je le salue rapidement de la main avant de tourner les talons pour rejoindre la rue commerçante.
Cependant, il ne se laissa pas démonter. L’aventurier était clairement d’un tempérament jovial et n’hésita pas à en abuser pour le cas présent :
« Haha, évidemment que j’ai une image triste de toi, je ne te connais pas, je ne peux pas savoir qui tu es vraiment ! Il n’appartient qu’à toi de me laisser voir derrière les apparences, Flow… Sia ! »
Puis elle s’en alla, comme il fallait s’en douter. Mais le chanteur n’avait pas vraiment envie d’en rester là. Il avait encore envie de discuter avec elle, d’apprendre qui elle était et d’échanger, tout simplement. Comme toujours, il trouvait les rencontres merveilleuses et voulait s’enrichir au contact de cette femme si distante. Il la rattrapa bien vite et reprit :
« Allons allons je peux peut-être t’accompagner ? Ou au moins, te remercier en te montrant quand même la technique dont je te parlais ! »
Alors qu’il essayait de la convaincre, il bouscula par inadvertance un type grand comme lui, et même un peu plus, mais dont la carrure coïncidait plus avec celle d’une armoire qu’avec celle d’un être humain. Zeny se retourna vers lui et présenta ses excuses sans attendre, mais le bonhomme n’avait vraiment pas l’air enchanté. Sa belle chemise blanche était désormais tachée du gras de la pâtisserie qu’il dégustait lorsqu’il s’était fait rentrer dedans, et, apparemment, ce n’était pas du tout une chose sur laquelle il accepterait de passer l’éponge si facilement. La moutarde lui monta au nez et il se mit à beugler sur l’importun qui avait osé lui salir ses habits.
« ESPECE D’ANDOUILLE, PARDI DE SACREBLEU, CHIURE DE FIOUK, JE M’EN VAIS T’EN FOUTRE MOI, DES EXCUSES !! »
Dans la rue, de nombreux visages s’étaient tournés vers la soudaine altercation tant la voix du bougre tonnait et portait loin. Même s’il appréciait être au centre de l’attention, Zeny devait bien reconnaître qu’il n’avait pas trop envie de s’attarder avec ce grand gaillard, surtout si la Garde débarquait. Il risquait d’être accusé alors qu’il n’avait pas fait grand-chose de mal… C’est alors, voyant les moulinets que le malabar faisait avec ses bras, il eut une idée – et une plutôt bonne, pour une fois.
Se tournant vers Sia l’espace d’une seconde, il lui sourit, fit un clin d’œil et lança :
« Tiens regarde, la fameuse technique. »
Et sans un mot de plus, il fit à nouveau face à son adversaire improvisé. Le type leva les poings, prêt à en découdre, et s’approcha doucement de Zeny. Soudain, il balança son poing gauche droit vers le visage de l’aventurier, à une vitesse qui aurait cloué sur place un citoyen lambda. Mais le musicien, bien qu’il n’y paraissait pas, avait lui-même été entraîné par sa mère, une major des Belluaires. Son sourire agaçant toujours aux lèvres, il se décala légèrement sur sa droite, attrapa de la main gauche le poignet droit de son adversaire et tira pour lui donner encore plus d’élan ; tandis que, de sa main droite, il alla jusqu’au cou du malabar pour le pousser simplement vers la droite, à l’opposé donc de son poing. Perdant l’équilibre, l’homme comprit trop tard qu’il allait perdre ce combat qu’il avait lui-même initié : Zeny profita de cet instant de flottement, cette fraction de seconde pour balayer de son pied droit la jambe gauche du bonhomme.
Ce fut la chute. Dans un bruit étouffé mais sonore, son gros corps s’étala au sol, balayé non pas par la force mais par la technique de l’aventurier qui avait gardé un calme olympien face à une menace pourtant immédiate et que beaucoup auraient tenté d'éviter par tous les moyens. Des murmures se firent entendre, médusés de voir le Gros Larry terrassé si facilement par un type certes aussi grand que lui, mais surtout trois fois moins large.
Zeny se tourna à nouveau vers Sia, son sourire toujours intact, et s’arrêta net juste avant de lui parler, entendant s’approcher le sifflet de deux gardes qui accouraient vers l’attroupement qui s’était formé. Bien qu’il avait beaucoup de respect pour leur profession, il n’avait aucune envie de finir au trou pour avoir corrigé un gros lard qui s’en était pris à lui… Il adressa alors un nouveau clin d’œil à la forgeronne, et commença à s’éloigner à reculons :
« Et voilà pour la technique ! La prochaine fois qu’on se verra, je te montrerais en détails comment faire ça ! Prends soin de toi, Flower Baby, Sia ! »
Puis il se retourna, et s’enfuit en courant et sifflotant sur le rythme de la chanson qu'il avait chanté à Sia, dans la direction opposée à celle des gardes, se faufilant tel une anguille dans la foule relativement dense de la Capitale, laissant flotter derrière lui une ambiance indescriptible, mêlée de stupeur, d’admiration, d’interrogation et surtout d’amusement face à un personnage si haut en couleurs.
Et voilà qu'un grand gaillard vient à nous séparer. Je l'entends beugler ce qui fait que je m'arrête et me retourne. Autour de nous, les gens s'arrêtent aussi et se tourne vers Zeny et l'inconnu qu'il a apparemment bousculé. Je suis aux premières loges de cette altercation qui commence à attirer l'attention. En plus de cela, l'homme ne semble pas vouloir en rester là, il semble même chercher la bagarre. Le barde ne semble pas se laisser démonter. Il me fait un clin d'œil et me reparle de cette fameuse technique. Il retourne vers son opposant qui ne tarde pas à balancer le premier coup de poing sous le regard de la foule. Tout se déroule ensuite rapidement, en quelques mouvements l'homme se retrouve maîtrisé par un jeune homme bien moins large que lui. Je suis étonnamment surprise par une telle maîtrise et par une telle technique. Je suis médusée et stupéfaite.
Zeny revient alors vers moi et semble vouloir discuter à nouveau, mais les sifflets de la Garde se font entendre. Le musicien ne se fait pas prier, un clin d'œil et des paroles d'au revoir et le voilà qui file à travers la foule. Je n'ai même pas le temps de le retenir ou de lui répondre qu'il s'est déjà éclipsé. Je me retrouve à hésiter à le suivre ou passer mon chemin. Je dois avouer qu'il a attisé ma curiosité et que je ne suis pas contre le fait qu'il m'accompagne. Et puis c'est lui à la base qui me suivait, et maintenant il me laisse plantée là ? Je ne vais pas en rester là !
Après mon hésitation, je me décide enfin. Les gardes sont là et commencent à recueillir les témoignages des personnes ayant assistées à la scène. Je dois retrouver Zeny ! Sans attendre plus, je m'élance dans la direction qu'il a pris et me faufile entre les passants. Évidemment, il doit déjà être loin, mais ce n'est pas grave. Un barde avec des cheveux bleus et un style aussi excentrique que le sien, ça se remarque ! Et si je peux le trouver avant la Garde, tant mieux. Je n'ai pas beaucoup d'espoir, mais on ne sait jamais.
Je marche pendant plusieurs minutes à travers la foule massive sans voir l'ombre d'une chevelure bleue. Je m'arrête donc aux étals de différents marchands et leur décri le personnage dans l'espoir que quelqu'un l'ait aperçu. Rien. Je fais donc demi-tour et me rapproche du lieu de la bagarre. Là je recommence mes interrogations auprès des marchands. Et puis enfin je tombe sur une personne l'ayant vu.
« Vous aussi vous le cherchez ? Vous arrivez après la Garde. Je ne sais pas ce qu'il a fait votre barde, mais il a maintenant deux soldats à ses trousses. Et il est parti par cette ruelle. »
Elle me pointe du doigt l'endroit en question. Je la remercie et lui achète un petit truc pour la remercier. Je repars en suivant les indications de la marchande. Je prends la ruelle et la traverse et débouche sur une autre rue commerçante. Là je tombe sur les gardes qui interrogent les marchands. Et mince. L'un d'eux me repère et m'accoste.
« Excusez-moi... Vous étiez sur la scène de la bagarre tout à l'heure, non ? Des personnes, nous on décrit une jeune femme en blanc, à la chevelure blanche avec une fleur à l'œil qui connaissait le suspect qui s'est enfuit. C'est vous, non ? Je vous demande de coopérer. »
Aie. Comment je vais me sortir de cette impasse moi ? Je pousse un soupir et sors la plaque d'identification qui est cachée sous ma robe. Je la tends au garde qui la regarde un moment et semble se figer. Il me rend ma plaque, l'air un peu choqué.
« Vous êtes la sœur de ... »
Je ne le laisse pas finir. Mon frère a sa réputation, et je pense qu'aucun garde de la Capitale le connaissant n'a envie de se retrouver à devoir arrêter une de ses sœurs. C'est bien une des choses dont je peux être fière avec lui.
« Demi-sœur. Oui. Et cet homme que vous cherchez m'a défendu face à cet homme irrespectueux. Il n'a fait qu'utiliser de la légitime défense. J'espère que vous en tiendrez compte. »
Le garde hoche de la tête, me pose encore quelques questions et me laisse tranquille. Je pense que je peux oublier l'idée de retrouver Zeny maintenant. C'est dommage, j'aurai bien aimé en apprendre un peu plus sur lui et sa fameuse technique. À l'occasion je passerai à la Guilde pour savoir si quelqu'un a des renseignements sur une personne aussi excentrique que lui. Je ne devrais pas avoir de mal à retrouver un barde qui n'arrête pas de clamer qu'il deviendra la première « popstar » du royaume. En attendant, j'ai des cadeaux à trouver !