Sa jambe était cassée après le jet de la sphère, elle n’arrivait à plus bouger convenablement. Sa robe bleue se déchira par moment à chaque fois qu’elle trainait son long corps sur le sol. Elle se mordait la lèvre jusqu’au sang pour éviter de tomber dans le désir d’aller dans les quartiers chauds de la ville. Finalement, elle réussit à, sortir de l’enfer froid, la nuit était tombée, semblant mordre la peau de la jeune femme. Elle haleta, cherchant à reprendre son souffle. Si elle ne faisait pas quelques choses, elle risquait l’hypothermie. Pire, cette zone de la Capitale, le soir, est vide, ni humains, ni chats ne s’y aventuraient à cette heure.
Elle resta plusieurs minutes, se collant à un muret pour se redresser difficilement, le sang tambourinait dans sa tête. La plaie de son bras ne cracha plus de sang, mais elle pouvait s’ouvrir très rapidement. Chacune des respirations, un nuage de vapeur s’échappa de la bouche de Néma. Sa température chuta, tandis qu’elle se dirigeait vers les quartiers chauds de la ville, ses sens en appel. Elle remarqua cela après plusieurs dizaines de mètres. Elle vient se taper la tête contre un muret, faisant péter une veine se trouvant sur son front. Elle n’arrivait pas à luter, la drogue coulante dans ses veines l’en empêcher. Face à tout cela, elle chercha une aide, une idée, un miracle. Ce fut le passage d’un félidé au coin de la nuit qui l’alerta de plus belle. Ainsi, elle prit forme de chat, la température lui sera moins fatale et elle pourra se planquer dans un coin le temps que la potion s’efface.
La nuit passa, refroidissant les membres et le pelage de la jeune femme. La langue brulante du froid lui déchira les plaies, ne la permettant pas de dormir. L’aurore commença à pointer son bout de nez, ne réchauffant qu’à peine l’atmosphère. De là, Nema prit la direction du palais, la drogue fonctionnant encore mais moins forte, elle se força à ne pas céder à ses désirs. Elle se mordit même à sang les pattes, pour que son esprit ne pense qu’à la douleur. La route fut dure, mais finalement, tel un espoir, les portes du Palais se dressa devant elle. Si grandes, et pourtant si éloignées d’elle. Le chat déambula à cloche pied, la patte droite trainant sur le sol. Elle continua de se hisser, ses forces l’abandonna petit à petit, elle miaulait de douleur, sentant quelques plaies s’ouvrir sous la contrainte.
Petit à petit, quelques têtes en casqué se dressa proches des portes. Le chat puisa dans ses dernières forces et partit dans la direction. Ce fut lorsqu’elle rencontra la barrière que tout son corps s’effondra sur le sol. Elle haleta vivement, les gardes, eux, mirent quelques secondes à voir cela. Ce fut les deux qui accoururent dans la direction de la jeune femme. Dès qu’ils virent qu’elle était nue, le plus vieux plaça sa cape sur le corps bleu de froid de la féline. Ils reconnurent rapidement l’alchimiste royale. Le plus vieux, se plaça au chevet de la jeune femme tandis qu’il leva le regard vers son cadet.
-Va chercher Dame Weiss, vite.
Le plus jeune jeta presque son casque pour gagner en mobilité et perdre en poids. A grandes enjambées, il partit en direction des portes, bousculant presque quelques bureaucrates et scribes passant ici et là. Les premières heures de la journée au Palais était assez houleuses, avec des personnes s’afférant à leur tache et leur obligation. Face à la course du garde, plusieurs s’écartèrent de son chemin. Se demandant bien ce qu’il se passait. En arrivant devant l’aile médicale, il reprit un peu son souffle et partit vers le bureau du médecin en cheffe. Il pria pour que cette dernière soit présente, plusieurs regards se tournèrent vers le jeune homme. Tout l’agitation avait fait piquer la curiosité des plus curieux. Arrivant au bureau, il toqua frénétiquement et tenta d’ouvrir. La porte bloqua. Il poussa un juron peu audible. Ce fut une personne passant par là qui lui indiqua que Luz Weiss se trouvait à la bibliothèque. Remerciant rapidement, il reprit sa cours en direction de la bibliothèque. Le souffle court, il arriva devant l’imposante collection de livre, tapotant et entrant dedans. Il se diregiea vers la jeune femme à la rousse chevelure et essaya de calmer sa respiration.
-On…On a besoin de vous, dame Thomme, elle vient d’arriver… au Palais, elle est dans un sale état…Elle est couverte de sang et bleue
Le temps se couvrait. Elle dédaignait pour autant la spectrale lumière du ciel au travers des fenêtres du palais, plongée dans de complexes lectures. Dans sa main gauche, à même la paume, se tenait l’orbe de sa lampe magique. Elle l’avait extrait un peu plus tôt de son écrin traditionnel pour mieux illuminer les longues lignes manuscrites et sibyllines des vieux grimoires qu’elle cherchait à percer à jour. Elle ignorait à cet effet l’ombre sous ses paupières, refusant d’accepter la fatigue de ses yeux avec une obstination travaillée par les années. Son projet n’avancerait pas de lui-même et elle n’avait que ces heures fort matinales pour ébaucher les contours de son projet. Bien entendu, le sujet était colossal et gangrené par une multitude de problèmes qu’elle ne savait guère comment contrer ni par quel bout prendre… Mais son grand-père avait coutume de lui dire de commencer par ce qui se trouvait à ses pieds, aussi était-ce ainsi qu’elle avait fonctionné ! Il lui fallait faire des recherches, dessiner des croquis malgré ses doigts gourds. Elle ne s’était plus adonnée à ce type d’exercices depuis la Cité enfouie et peinait à étaler sa vision sur le papier tout en respectant les grands principes d’architecture énoncés par ces vieux bouquins ancestraux. Elle agrémentait ses recherches de lectures sur de l’ingénierie et de la techno magie, soucieuse de mettre la main sur des matériaux susceptibles de faire progresser la science en maintenant le niveau de confort attendu par ses futurs patients… Cela, sans résultat notable pour le moment. Non, il était plus juste de dire qu’elle se noyait progressivement sous les pistes et les concepts possibles, incapable de dégager une voie parfaite dans ce fatras d’idées à mettre en perspective de ses moyens et de la réalité.
Lorsque l’on toqua à la porte de la Bibliothèque royale, Luz ne réagit tout d’abord pas, plongée dans les paragraphes retors du Petit manuel d’architecture qui n’avait finalement de petit que le nom. Si les pas précipités qui s’égrenèrent dans sa direction commencèrent à lui mettre la puce à l’oreille, la voix hachée du Garde acheva de l’extraire de sa concentration. Son « Hmmm ? » à demi irrité s’étira en longueur, et se mua un interminable temps plus tard en une stupeur égarée.
« Elle… »
« Non, j’ai compris, ne perdons pas de temps. Amenez-la moi immédiatement dans mon cabinet de prêt. »
Luz bénéficiait en effet d’une salle mise à disposition par la royauté lorsqu’elle effectuait des heures de service auprès du Palais royal et de ses occupants. Elle s’était pour sa part déjà redressée et dirigée à grands pas vers l’entrée de la bibliothèque, s’attirant un regard foudroyant de la part de l’Archiviste lorsqu’elle le doubla sans avoir rangé ses ouvrages.
Courant à moitié dans ces interminables couloirs, elle parvint à mettre la main sur l’une des domestiques du palais : elle glissa entre ses doigts une poignée de cristaux et l’enjoignit à contacter chacun des patients de la matinée afin d’annuler leur rendez-vous. Cela ne l’empêcha guère d’arriver une fraction de seconde avant les deux Gardes désignés au transport de Nema, l’un ouvrant les portes, l’autre transportant la délicate éprouvée dans ses bras. Sitôt qu’elle la vit, Luz blêmit. L’alchimiste royale semblait tout bonnement passée entre les griffes d’un grognours, déjetée dans les caniveaux et laissée là au bon vouloir des badauds.
« Elle est inconsciente, elle semble avoir marché jusqu’à nous devant le palais royal. »
Avec un monde entier de délicatesse, le Garde déposa la jeune femme sur le lit désigné, prenant garde à ne pas laisser chuter brutalement sa tête sur l’oreiller. Luz s’était déjà glissée contre le lit, une nuée d’outils posés sur la table de chevet. Elle constata alors seulement que les deux Gardes avaient reculé d’un pas prudent, l’air de se demander quoi faire.
La nudité de Nema était le cadet de ses soucis en l’instant présent, et il lui fallait tout le champ libre nécessaire pour s’adonner à ses soins. Ces deux Messieurs avaient par ailleurs vu leur content de blessés, de patients, d’hommes et de femmes nus, de sorte que Luz vouait une entière confiance à leur professionnalité.
Elle acquiesça, comprenant sans mal leur inquiétude et la nécessité d’établir une surveillance. Ils ignoraient tout de ce qui était arrivé à Nema, mais il n’était pas nécessaire d’être médecin pour déceler les traces d’importants sévices sur sa silhouette… Un accident ne produisait pas ce genre de blessures, et son agresseur pouvait parfaitement être à ses trousses. Qui plus est, elle aurait besoin d’un Garde à qui transmettre ces informations dès lors que Nema serait en mesure de les lui donner. Pour l’heure hé bien… Elle retroussa ses manches. S’astreignit au calme salvateur qui seul pourrait aider la jolie jeune femme, refoulant sa panique et la colère titanesque qui pointait à l’orée de sa conscience pour mieux se pencher sur le corps abimé de sa patiente.
Elle était fiévreuse sous la paume de sa main. Son souffle chuintait, très mauvais signe pour ses poumons. Ah, comprit-elle en décelant une côte cassée, il y avait fort à parier que le coupable n’était autre que cet os. Sa jambe droite était cassée, et des estafilades équivoques marbraient ses poignets, signe qu’elle avait bel et bien été attachée. La marque d’une lame agrémentait ce tableau peu réjouissant sur sa joue et son avant-bras, soufflant dans la conscience de Luz ce qu’elle craignait infiniment sans l’admettre jusqu’alors… Nema avait été torturée. Aucun signe de violence sexuelle néanmoins. Ce n’était pas un tabassage en règle, mais bien un assaut soigneux, méticuleux, expert. Que voulait-on à l’Alchimiste royale ?
Préparer à la va vite quelques attelles de son cru lui fit perdre cinq précieuses minutes de temps. Il était toutefois essentiel d’empêcher le corps de la jeune femme de bouger dans son coma tant que Luz exerçait sur elle la magie de Vol vie. Cela allait assurément être douloureux pour elle au regard du nombre d’os à remettre en place, aussi la praticienne ne pouvait-elle se permettre de ressouder tout cela au mauvais endroit… Ce n’est qu’une fois que Luz fut assurée que Nema serait incapable de se mouvoir par mégarde d’un micro centimètre, engoncée dans une demi tonne de planches et d’attaches, que la rousse rapprocha son tabouret et la vingtaine de plantes préparées à cet effet. Oh, elle aurait adoré pouvoir lui administrer un anesthésiant, mais elle ignorait quels produits toxiques la féline avait été contrainte d’ingurgiter… Ni si Vol vie serait efficace sur ces toxines. Une main délicatement posée contre le cœur de sa patiente et l’autre sur le malheureux bougainvillier qui servirait de source énergétique, Luz plongea dans la magie de Vol vie, un doux halo ambré environnant bientôt sa peau pour soigner par magie l'adorable alchimiste.
Les portes s’ouvrirent une à une, laissant le transport de la blessée se faire. Quelques têtes se tournèrent vers la scène, des curieux, des travailleurs ou encore des élèves allant à leur salle de classe. Mais finalement, ils arrivèrent à bon port et déposa avec la plus grande délicatesse qu’il soit le corps de la jeune femme sur le lit. De là, ils ne savaient pas trop quoi faire, à part se regarder mutuellement. Ce fut la médecin royale qui les invita à sortir de là, le jeune allait faire le guet devant la porte ce qu’il accepta sans broncher bien évidement.
De là, Luz eut tout le champ libre pour opérer dans les meilleures conditions. Le corps de Nema était froid, sa peau ambrée avait une teinte plus grise comme si le sang ne s’écoulait que trop peu. A quelques endroits des ecchymoses entaillèrent sa peau, craquelant sous la contrainte des éléments. L’eau dans ses poumons ne se chargea pas en sang, mais tôt ou tard, les parois allaient lâchés par manque d’oxygènes. Bien qu’elle soit dans l’inconscience, la délicate tendresse de Luz fit très légèrement sourire Nema. Mais cela ne provenait pas de son conscient, mais celui de son inconscient, complètement altéré à cause de la drogue.
L’opération débuta, en premier lieu, la peau déchirée et maltraitée peigna à se refermer mais à force, elle finit par se reconsolider. La cote et de la jambe, elle, ne bougea pas pour l’heure. Mais la douleur des os qui se déplacent fit pousser un cri à la féline. Elle réveilla d’un coup, elle était totalement affolée et la douleur n’aida pas dans ce sens. Elle chercha à se débattre mais les hâtelles l’en empêchaient. Ses mouvements étaient semblables à ceux d’une panique immense. Les larmes continuèrent de pleuvoir sur son visage, mêlant à la fois la sourde douleur à la fatalité d'être de nouveau en position de faiblesse . Elle se croyait de nouveau aux prises de ses ravisseurs. Elle paniqua, ne sachant pas qui était devant elle, n’ayant plus de lunettes. Toute sa vision était brouillée, elle essaya de lever le bras, cherchant à toucher la personne se trouvant devant elle.
-Arr…Arretez… Vous….déjà eut…ce que vous….vouliez…. Par pitié.
Des larmes se mirent à couler des brunelles de la scientifique. La douleur lui faisait perdre toute notion. Elle crachota un liquide troublé, ayant séjourné pendant de nombreuses heures dans ses cavités respiratoires. La Magie faisait effet, mais, la drogue, elle, était aussi tenace qu’un parasite. Elle s’accrochait aux synapses de Nema comme jamais. Cette toxine avait été confectionnée par Nema, c’était de la qualité et elle en payait aujourd’hui les conséquences d’être perfectionnistes.
Que faire ? Prendre une pause pour la rassurer ? Risquer de cesser momentanément les soins, pour mieux lui infliger de nouvelles douleurs par la suite ? Tendue, Luz n’était pas certaine d’avoir le luxe d’offrir une telle accalmie à sa féline amie… A demi reconstituée par sa magie, elle craignait également que sa patiente n’en vienne à bouger, détruisant ce qu’elle avait eu tant de mal à reconstruire. Elle tâcha donc de diriger le faisceau de Vol vie sur la réparation des blessures les plus dangereuses dans un premier temps, visant tout particulière ses poumons abimés et le risque d’hémorragie. Malheureusement, le bougainvillier n’y tint plus et mourut peu après en un dernier fin souffle de vie lorsque ses feuilles asséchées bruissèrent et s’effondrèrent au sol. Si la jambe de Nema n’avait pas encore amorcé complétement sa guérison, le haut de son corps était pour sa part à peu près revenu à son état originel. Soulagée sur ce point dans la mesure où elle n’encourrait plus de danger mortel, Luz se rapprocha davantage d’elle.
Elle semblait à demi consciente. Prisonnière encore de ses derniers souvenirs, peinant à réaliser où elle se trouvait et qui lui parlait. A cet instant, la praticienne réalisa qu’elle portait d’ordinaire une paire de lunettes – ce qui expliquait les efforts de ses rétines pour se fixer sur un point particulier dans la pièce. Aussitôt, Luz caressa avec douceur ses cheveux trempés de fièvre, deux doigts d’hirondelle accompagnant la paume chaude de sa main contre la chair malmenée de Nema. Elle l’environnait de sa présence, de sa familiarité, comme s’il fut possible de lui transmettre l’assurance de sa sécurité à la manière d’une mère rassurant son enfant.
Ses mots coulaient dans l’air avec la fluidité d’une ritournelle, le chant d’un songe qu’elle déposait là sur ses paupières jusqu’à l’en imprégner, un rythme de voix tout de miel et de tendresse apaisante. Sa main libre glissa pour sa part jusqu’aux attaches qui maintenaient le haut de son corps en place, de sorte qu’elle soit libre de se mouvoir hormis les armatures qui empêchaient sa jambe encore blessée de s’abimer.
Avec délicatesse, elle l’aida à se positionner sur le flanc afin d’évacuer les derniers liquides qui encombraient sa trachée, frictionnant vigoureusement son dos. Sa peau était glacée. Une évidente hypothermie, qu’il allait être grand temps de traiter. Sa jambe cassée était de toute façon maintenue par un plâtre improvisée et pourrait être traitée par la suite… Elle semblait en outre rencontrer des difficultés à retrouver ses esprits, ce qui confirmait l’hypothèse d’une drogue. Et contre elle, Luz n’avait que peu de recours… Elle attrapa une couverture chaude sur la commode avoisinante et l’enroula tant bien que mal autour de la jeune femme sans cesser de la frictionner pour aider son sang à réinvestir son corps.
Il faisait délicieusement bon dans la pièce, cela au moins allait aider la belle alchimiste à recouvrer progressivement une température raisonnable, à présent au sec et bien enroulée dans une couverture chaude qu’elle était. Luz ne pouvait toutefois pas lui donner immédiatement une tasse chaude, de peur qu’elle ne soit pas en état de boire ou que les éléments entrent en conflit avec le foutu produit dont elle souffrait.
-L…Luz, c’est bien... toi ? S’il te plait… Dis-moi que c’est toi, par pitié
Elle essaya de tendre une main, mais se ravisa, elle se mordit la lèvre. Nema chercha à refouler ses pensées altérées par la drogue loin. Loin d’elle elle repoussa l’idée, de toute son être, elle ne voulait pas agir ainsi avec Luz. Son cœur était déchiré car son esprit altéré le voulait mais pas son fond intérieur. Une fois qu’elle fut sur le côté, quelques toussotements se firent entendre, avec quelques raclements. Elle toussa de plus belle et évacua un liquide transparent mais rosé témoignant que l’eau avait commencé à attaquer la paroi de ses poumons. Elle se recrovilla, plaçant ses contre elle, se serrant fort.
Tremblotant, elle ne voulait pas quitter cette endroit, et surtout se réchauffer. Lentement, ses paupières se fermèrent, pour essayer de se calmer. De reprendre ses esprits mais face à la potion de passion, elle avait grand mal. Cela la rongeait tandis que la couverture s’enroulait autour d’elle et se mit à la réchauffer. Le frictionnement permit de faire évacuer le reste du liquide de ses poumons et la réchauffa par la même occasion.
Sans qu’elle se rendît compte sur le début, mais Nema perdit le contrôle quelques instants sa main se rapprocha inexorablement de la poitrine de Luz. Mais avant que sa prise s’amorça, elle ramena rapidement son membre avec son autre main et se la mordit à sang. Elle ne voulait pas, malgré le désir chimérique qui l’habitait. Son regard coupable se tourna vers Luz, essayant d’articuler.
-Une potion de passion… Je ne veux pas te faire du mal, s’il te plait éloigne toi un peu. Sinon, je risque de faire des choses que je ne veux pas… Je n’arrive pas à me contrôler totalement… Les ingrédients… Bave de poisson lune, extrait de …. Globlue, poudre de Beodassa…Je sais plus pour le reste, ça tourbillone dans ma tête. Je ne me souviens plus où est mon labo, je ne veux plus manipuler… Je ne veux plus manipuler. Tout est ma faute.
Elle porta ses mains à sa tête, se tirant les cheveux. Un sentiment de culpabilité se glissa en elle. Tout ce qui lui arrivait n’aurait pas du voir jour si elle était restée au Palais.
La porte s’entrouvrit, et elle le vit passer la tête par l’entrebâillement, vérifiant immédiatement que les deux jeunes femmes étaient en parfaite sécurité.
Il acquiesça, professionnel et efficace à l’image de l’ordre qu’il servait. Elle ne s’en préoccupa donc plus, retournant les feux de son attention sur sa patiente. Voyons, réfléchis Luz, fais travailler tes méninges… Oh, elle était cultivée. Assidue dans ses apprentissages, même. Mais l’herboristerie ainsi que l’alchimie n’étaient aucunement sa spécialité : il était hors de question de créer un remède au petit bonheur la chance dans la précipitation, au risque d’empoisonner définitivement son amie. Une potion de passion… ? Elle grimaça. Le mot était évocateur, et certains effets visibles dans la gestuelle de la féline. Elle sentit son cœur se resserrer étroitement lorsque son imagination s’affola, s’interrogeant sur l’intérêt d’une telle potion pour ses tortionnaires… Non, se rassura-t-elle. Elle n’avait perçu aucun signe d’agression sexuelle sur le corps de Nema, uniquement de la torture physique. Un détail lui avait-il échappé ? Elle se mordit la lèvre inférieure, dut respirer calmement pour contenir l’animal grondant qui se débattait entre ses côtes. Elle ignorait tout de leur identité. Mais ils avaient fait subir tout cela à Nema. Cela lui donnait le goût du sang entre ses crocs, le désir impérieux de mordre et de déchirer quelque chose… Souffler, respirer. Nema avait besoin d’aide pour l’heure et rien ne devait la détourner de ce but.
Elle attrapa délicatement la main de Nema entre les siennes, formant un écrin de velours entre leurs doigts emmêlés pour mieux lui transférer toute sa chaleur, tout son réconfort. Elle se fendit d’un sourire qu’elle prit soin d’accentuer afin que Nema puisse le détailler même au travers de sa vision floutée. Un sourire rassurant, volontaire, contenant là l’aplomb du monde.
Elle resserra un peu plus l’étau de ses doigts autour de sa main offerte, confirmant la volonté profonde de ses dires. Elle la protégerait, quoi qu’il advienne. Luz savait maitriser un homme sans utiliser de force surhumaine ni blesser. Elle ne craignait pas davantage son amie qui avait grand besoin de soutien moral, de ne plus être seule également. Par sa présence, la praticienne escomptait lui garantir que rien ne lui arriverait et que personne ne reviendrait la torturer. Après avoir affronté des souffrances si terribles, personne ne méritait d’être laissé seul dans un recoin sombre !
Un silence, et puis… Peut-être était-ce le moment de tester ?
-Je vous le laisse, il vous sera plus ample pour l’examiner, madame.
Après ses mots et une ultime révérence, elle sortit de là où elle était rentrée, laissant le garde refermer la porte devant elle sans jeter un dernier regard à la salle. Une mine triste se dessinant sur son visage lorsque l’encolure de la porte se ferma.
Quant à la féline, elle réprimait des envies qui lui déchiraient l’esprit. Son regard était certes félin mais dévié sur des notes de mal-être et d’envies. Son cœur se resserra dans sa poitrine lorsque le contact avec sa main et celle de Luz se fit. Elle attrapa sa lèvre avec ses dents et chercha à tout faire pour empêcher le monstre lui dévorant ses barrières, ses complexes et surtout ses envies. Une larme perla sur sa joue. Lorsque l’on parla d’alchimiste géniale, elle agita la tête, ses yeux se fermèrent d’un coin, revoyant la scène encore et encore.
-Non, je n’aurai pas dû « être géniale », j’aurai dû rester médiocre avec ça… avec ça… Je n’aurai pas subi tout ça !! J’aurai dû rester alchimiste médiocre et on ne m’aurait pas torturé !!
Sa main se serra sur son cœur tandis que l’autre augmenta sa pression sur celle de Luz. Elle était en proie à des doutes, de la culpabilité qui lui léchait le visage tel la lame de poignard l’avait fait. Cherchant à discerner le regard de Luz, elle plissa des yeux. Le flou était total à ce niveau-là. Elle perçut juste du mouvement au niveau du bas du visage. Ce dernier semblait exprimer une expression, elle discerna un sourire. Elle baissa la tête, essayant de rassembler ses esprits.
-Tu sais Luz, j’aimerai te.. voir toute nue… MAIS TAIS TOI NEMA ! …Non, j’aimerai ne plus manipuler, j’aimerai qu’on oublie mon talent… car c’est à cause de lui que je ainsi aujourd’hui.
Elle rassembla ses forces, Luz lui demanda de se ressouvenir de tout cela. Elle essaya d’un peu se redresser, posant la tête sur l’oreille. Sa main qui tenait fermement son cœur attrapa la couverture comme si cette dernière pourrait la protéger. Elle respira de plus en plus, son cœur se ressera.
-Il y avait… une renarde et un lion. C’était… des masques… Je ne me souviens de rien sur eux…. Le Lion, il… Je ne sais plus, je crois qu’il m’a lancé une sphère sur moi… Je ne sais pas ce que c’était… J’ai essayé de m’enfuir mais… Ils m’ont rattrapé et forcé à me retranformer… Si seulement, j’avais couru plus vite. Si seulement…. Luz… J’ai la vision qui… s’assombrit… Luz ?
Elle avait les paupières qui se baissaient tandis que quelques tremblements firent leur apparition au niveau de son bras et de ses jambes. Elle était d’un coup dans un état second, comme si la drogue avait fini par griller les connexions de ses membres. Elle sentait son corps devenir de plus en plus lourd. Elle chercha du regard assombrissant la forme rougeâtre des cheveux de Luz.
Nema avait écopé de blessures que seul le temps pourrait guérir. Dès qu’elle serait sur pieds, Luz tâcherait de lui prescrire plusieurs séances avec un psychologue, si sa patiente acceptait de se fier à un inconnu aussi tôt après son agression… Malheureusement, Luz ne pourrait rien faire pour elle hormis l’aider et la soutenir en tant qu’amie -ce qui était déjà énormément, mais pas suffisant. Elle posa sur elle un regard compréhensif, reconnaissant ce triste syndrome vu et revu des milliers de fois parmi de nombreuses victimes. Avoir été maintenu entre les griffes d’autrui, entièrement impuissant, et en avoir éprouvé de la souffrance physique, incomprise, absurde, horriblement incompréhensible, brisait des esprits bien mieux que n’importe quel drame. L’on découvrait brusquement l’existence de bourreaux froids, d’une cruauté anormale et non naturelle, imperméable à toutes supplications : pire encore, les cris échauffaient généralement ces êtres à l’empathie malformée dès la naissance. Malheureusement, le monde était à l’image de ces individus… D’une féroce indifférence.
Dès lors, qui leur garantissait que de nouveaux bourreaux n’apparaitraient pas subitement sur leur chemin pour reproduire ce grave moment de traumatismes profonds ? Personne. Et là était l’effroyable réalité. Personne, si ce n’était eux-mêmes et Lucy… Nema allait avoir besoin de sa famille, de ses proches pour se reconstituer. Dissocier son art de ce qui lui était arrivé, car le raccourcis était facile et justifiait toute cette souffrance engendrée. Pour l’heure, elle avait besoin d’explications rationnelles et s’accrochait de ce fait à l’idée que ses compétences étaient responsables, aussi Luz se garda bien de la contredire. Elle n’avait pas besoin de débats dans son état… Elle connaissait de réputation une professionnelle susceptible d’apporter des réponses à l’alchimiste. Elle nota de se renseigner plus avant sur cette Madame Devern, pour, peut-être, conseiller à Nema de lui rendre visite. Certes, la psychologue œuvrait au Grand Port, mais ce n’était pas un si long trajet une fois armé d’un pass de téléportation !
Le discours de Nema faisait difficilement sens. A vrai dire, Luz ne s’attendait pas réellement à obtenir des informations plus cohérentes que cela, tant sa féline amie avait dû être plongée dans un réel cauchemar. Compliqué dans cette situation de prendre note du grain de beauté que portait son agresseur au poignet droit ! Néanmoins… Elle avait dit « une » renarde, et « un » lion. Ils recherchaient donc un duo des deux sexes. Une sphère ? Quelle pouvait être cette sphère ? Percluse d’interrogations, Luz ravala pourtant ses questions. Elle était certaine de pouvoir creuser plus avant le sujet, mais Nema atteignait présentement les limites de ses forces.
Elle glissa ses doigts dans ses cheveux entortillés, lissa les mèches blanches en arrière pour caresser son front d’une main toute maternelle.
Si ses calculs étaient bons, Nema ne s’était pas reposée depuis plus de vingt-quatre heures et avait lutté sauvagement pour sa vie. Son corps devait être dans un état d’épuisement au-delà des mots eux-mêmes, sans parler de son esprit qui devait courir après le vide bienfaisant du sommeil. Luz se méfiait toutefois des effets de la potion qu’elle n’avait toujours pas entièrement identifiée. Elle vérifia donc rapidement que les signaux vitaux de l’alchimiste étaient stables, et, une fois rassurée, s’empara de l’almanach rapporté un peu plus tôt. Fort heureusement pour elle, toutes les potions étaient d’ores et déjà parfaitement triées et référencées, elle n’eut par conséquent qu’une dizaine d’allers retours à faire pour tomber sur la page du « P » concerné.
Potion expérimentale, effets et durée non connus à long terme. Crée une omnibulation pour l'objet ou la personne de son désir pour une durée de 12 heures maximum. Peut engendrer (et engendrera) délires obsessionnels, paranoïa, kleptomanie, troubles de l'attention, hyperactivité, troubles du sommeil, irritabilité, risques cardio-vasculaire, travail accru des reins et de la vessie entraînant un besoin de miction fréquent (diurétique), comportements à risques et diminution des réflexes de survie.
Elle soupira en posant l’ouvrage sur la table de travail attenante, une liste d’ingrédients écrite à la plume à la suite de cette description pour le moins peu ragoûtante. La magie allait décidément parfois trop loin… Elle ramassa pensivement sa chevelure entre ses mains et l’attacha à l’aide d’un catogan, les traits fatigués mais déterminés, ne pouvant détacher ses prunelles de la silhouette de Nema. Douze heures. A quelle heure la potion lui avait-elle été administrée ? La veille au soir. Probablement tard. Elle arpenta la longue pièce qui leur avait été attribuée et attrapa un bocal dans l’une des armoires, plaçant de l’eau à chauffer de l’autre côté du cabinet. Elle revint s’agenouiller devant le lit de l’alchimiste une dizaine de minutes plus tard, armée d’une tasse contenant un liquide chaud.
Elle glissa sa senestre sous sa tête afin de la soutenir de sorte qu’elle ne s’étouffe pas en buvant. Consciente de son éventuelle peur, Luz précisa :
Et avec un peu de chance, les effets de la potion passion ne seraient alors plus actifs. Elle devait en outre impérativement poser par écrit le premier témoignage de Nema. Sortir son carnet de notes, échanger quelques explications avec le Garde à l’entrée pour l’informer des dernières nouvelles et de ses déductions. L’alchimiste serait peut-être suffisamment en forme à son réveil pour que Luz puisse soigner sa jambe cassée restante ?
Elle décrivit des cercles dans la pièce, cherchant à revoir où était passé le rouge des cheveux. Elle n’était pas daltonienne ainsi, elle put percevoir au loin même si Luz sortait ou non. Finalement, elle la revit apporter une curieuse tasse. Elle eut un moment de répulsion mais via les paroles de Luz et l’odeur, elle fut rassurée. Ce n’était qu’un breuvage pour l’aider à dormir. Dès qu’elle eut finie sa boisson, elle toussota un peu. Un mauvais passage mais sans gravité aucun il parait. Lentement, elle réussit à attraper la manche de la docteur et essaya de se calmer.
-Est-ce que tu peux me… rapporter des lunettes ?
Elle ne savait pas si elle pourrait le faire, mais l’alchimiste espérait pouvoir y voir plus clair à son réveil. Cela n’était qu’une veine résolution, mais elle s’y attacha coute que coute. Lentement, sa main se fit un peu moins puissante et finit par lâcher tandis que ses paupières se baissèrent très doucement. Elle essaya de se détendre, cherchant à trouver le sommeil malgré le typhon dans sa tête qui la tambourinait. Elle s’étonna de l’effet apaisant de la tisane et son esprit se détacha de la réalité d’un coup la faisant plonger dans le sommeil.
De l’autre coté de la porte, le garde attendait le retour des informations. Il en fut un peu déçu mais il préféra se contenter de cela en ayant vu l’état de la jeune femme. Il fit une révérence à la médecin et partit faire son rapport à ses supérieur. Quelques temps plus tard, voir une heure après, quelqu’un toqua à la porte. Si on ouvre, on peut voir une petite écolière qui tient un gros livre dans ses bras. Elle avait deux nattes qui lui tombait de chaque côté de la tête ainsi que des grosses lunettes. Elle avait plusieurs taches de rousseurs sur le visage témoin de son roux naturel de ses cheveux. Elle parla d’un voix hésitante et se mit à essayer de voir ici si quelqu’un s’y trouvait.
-Heuu… Bonjour, je suis une… étudiante de dame Thommes,… Je… J’avais un devoir à lui rendre aujourd’hui… Est-ce qu’elle est là ? Et… est-ce qu’elle va bien ?
Impossible de déterminer l’endroit où Nema avait perdu ses lunettes. Probablement quelque part sur l’effroyable trajet qui l’avait conduite à s’échouer aux pieds des gardes un peu plus tôt… En conserverait-elle le souvenir ? S’il lui était possible de livrer des indications suffisamment précises à la Garde, peut-être pourraient-ils mettre la main sur le local au sein duquel elle avait été emprisonnée. Des traces et des indices devaient être encore présents, si ses tortionnaires n’avaient pas déjà tout nettoyé. Cela valait du moins le coup de l’interroger sur le sujet – plus tard, lorsqu’elle se serait suffisamment remise pour se replonger dans de tels souvenirs. Pour l’heure, Luz ne tenta même pas de réfléchir à la localisation de ses précieux verres, elle se pencha plutôt vers le garde en poste pour lui demander au passage de faire fouiller l’atelier de Nema dans l’espoir d’y dégotter une seconde paire de rechange. N’était-ce pas le lot quotidien d’une alchimiste, prévoir des lunettes de secours pour contrer les effets indésirables et explosifs de certains mélanges ?
La praticienne était ainsi absorbée dans ses tumultueuses pensées quand deux coups furent portés à la porte. Naturellement méfiante – elle n’y pouvait rien, voir Nema dans cet état à ses côtés avait le don de lui donner envie de mordre quelque chose-, Luz sursauta à moitié et choisit d’opter pour la prudence. De fait, ils ignoraient tout du culot de ses agresseurs ! Elle se glissa donc jusqu’à la porte, prit garde à l’entrouvrir à peine pour ne pas dévoiler le contenu de la pièce, puis se glissa à l’extérieur lorsqu’elle identifia la bouille d’une enfant, refermant le battant derrière elle. Une élève de sa féline patiente… ? Elle en avait presque oublié que Nema était professeure en supplément de son statut d’alchimiste. Elle devait pour sûr avoir manqué à ses devoirs les plus élémentaires depuis le matin même, guère en état physique et mental de se présenter à ses différents clients. Luz jeta un rapide coup d’œil à droite et à gauche, fut rassurée par l’apparente tranquillité des couloirs et par le reflet métallique des gardes en poste un peu plus loin. Par Lucy, elle n’aimait pas les enfants ! Et pourtant… Elle ne pouvait nier que l’inquiétude de la gamine était palpable et que cela réveillait chez elle ses foutus instincts maternels. Pour une fois qu’elle ne maternait pas les adultes !
Certains faits n’étaient nullement à évoquer devant des enfants. Cette gamine perdue n’avait pas à savoir qu’il existait là-dehors des tyrans capables de kidnapper l’un de ses professeurs puis de la torturer violemment. L’âge adulte se présenterait bien assez tôt à elle avec son lot d’horreurs... Pour l’heure, Luz ne pouvait que protéger la vie privée de Nema et l’intégrité mentale de ses élèves. Elle se fendit d’un sourire apaisant et joyeux, espérant transmettre son aplomb à la jeune fille dans le but de lui enlever tout doute quant à l’avenir de Nema.
Dans le couloir, un domestique fit son apparition, un boitier dans la main.
« Merci, cela devrait faire l’affaire, constata Luz qui s’était relevée pour récupérer l’écrin de cuir. »
Elle l’ouvrit pour en vérifier le contenu et y découvrit une paire de lunettes qui, ma foi, paraissait coller aux précédentes lunettes de Nema. Une idée la traversa. Déjà, elle s’était à nouveau tournée vers sa jeune visiteuse :
Nema était plutôt populaire auprès de ses élèves. Qui plus est, cela pourrait au moins les occuper et leur donner la sensation de participer à une cause plus grande, le temps qu’elle soit en mesure de retraverser les couloirs du palais.
-Je pourrais passer en fin de semaine alors, Dame Thommes est malade ? Ce n’est pas trop grave ?
Bien qu’elle soit petite et que certains mots lui sont trop complexes pour son âge, elle avait entendu des « on dit ». Elle soupira un peu et tendit son devoir qui portait sur de l’anatomie humaine et surtout sur les organes qui se trouve dans le corps à Luz. En réfléchissant, elle blanchit légèrement.
-Je… Je ne sais pas… Je ne sais plus si je l’ai mis… Je… Je m’appelle Katarina Etherium. Je…. S’il n’y a pas mon nom, est-ce que vous pourroiez le rajouter s’il vous plait ?
Elle fit une petite bouille toute triste qui était déjà bien présente avec l’annonce des problèmes de Nema. Lentement, elle se mit à reculer en voyant la domestique arrivait avec les lunettes de cristal de sa professeure. Alors qu’elle allait camper limite ici ne sachant pas trop quoi faire ce fut une nouvelle fois la docteure qui lui indiqua si elle voulait aider Dame Thomme, et elle hocha vigoureusement la tête.
-Je vais de ce pas leur dire… Pour l’heure, ils vont penser qu’ils seront en vacances mais dans quelques temps, ils vont écrire la lettre…. Et … J’ai d’autres camarades… un peu plus timide… Elles ont aussi un devoir à rendre… Est-ce qu’elles peuvent les glisser en dessous de la porte ?
Katarina Etherium. Le nom de famille lui rappelait quelque chose, mais elle ne parvenait pas à mettre le doigt sur l’information souhaitée. Cela n’était pas non plus très étonnant dans la mesure où Nema donnait cours à la progéniture du gouvernement et de la caste noble au sein du palais royal. Il était donc tout naturel d’y retrouver des noms souvent célèbres, ou d’autres tout simplement évoqués au détour de réceptions mondaines précédentes. Luz avait elle-même pu bénéficier du savoir d’un professeur de médecine dans sa prime jeunesse, classe qui réunissait alors les enfants nobles de sa génération. Elle récupéra du moins le précieux sésame sans moufter et, consciente que cela stresserait son interlocutrice tant qu’elle ne l’aurait pas rassurée de ses propres yeux, parvint à extraire un crayon de bois de sa poche arrière pour noter derechef son nom sur la première page du document.
Elle réfléchit une brève seconde et un sourire conspirateur fendit ses lèvres.
Elle imita le geste, proposant deux coups rapides et un coup plus lent à la jeune élève.
Elle attendit qu’elle le lui confirme et après deux révérences, l’observa s’en aller vers une autre aile du palais. Elle avait quant à elle une demi tonne d’administratifs à traiter en attendant que sa féline patiente ne se réveille… Une étrange accalmie silencieuse et paisible où ses pensées pouvaient enfin s’étirer et mieux appréhender ce que Nema venait de vivre. S’accaparant une tasse de thé pour sa propre consommation, Luz s’installa sur le bureau de travail disposé au bout de la pièce, une pile de papiers installé là un peu plus tôt par un domestique à sa demande. Rien de mieux qu’un brin de comptabilité pour recadrer son esprit errant vers des nécessités purement matériels, afin de préparer le réveil de Nema… Elle espérait que les devoirs rapportés par ses élèves aideraient l’alchimiste à faire de même : quoi de préférable à une apparente normalité pour rappeler à son corps malmené que la vie continuait et que rien n’avait changé ? En outre, se sentir utile envers autrui et plus particulièrement envers la nouvelle génération, aiderait peut-être Nema à retrouver un semblant d’amour pour sa personne et à cesser de dénigrer ses compétences.
Plusieurs heures défilèrent, et les odeurs du déjeuner commencèrent immanquablement à filtrer dans les couloirs, le personnel du palais en effervescence dans ce moment clé de la journée. Prévoyante et désireuse de contraindre sa patiente à avaler quelque chose après de tels soins forcés et une expérience physique aussi désastreuse, Luz posa sa dextre sur son épaule et la secoua doucement pour l’éveiller le plus paisiblement possible :
Du point de vue de Nema, il n’eut ni rêve, ni cauchemar. Elle avait dormi d’une traite, elle s’agita un peu par moment. Ses muscles se crispèrent, mais finalement, la pression sur son épaule et la légère secousse la fit revenir du pays de Morphée. Ses yeux se mirent à battre frénétiquement, cherchant à adapter la rétine à la nouvelle lumière. Elle ouvrit un peu les yeux ; elle eut un flash mais très vite, le rouge des cheveux de luz la fit relativiser. Elle se redressa difficilement, chacun de ses mouvements étaient lents tandis que sa jambe lui faisait encore souffrir. La féline, dans un élan de sourire lui adressa d’une voix assez faible.
-J’ai l’impression que j’ai la jambe en miette et des courbatures partout… Je… Encore merci pour tout ce que tu as fais et … Désolé pour les propos que j’ai tenu… Cela…. N’était pas moi.
Elle ne savait pas trop quoi faire. Une notion des nourritures et de ses élèves la firent se redresser un peu. Alors qu’elle continuait à réfléchir, un petit boitier en écrin se présenta devant elle. Elle le tapota et l’ouvrit pour y découvrit par le toucher, sa précieuse paire de lunettes. Sa main se mit à trembler tandis qu’elle les portait à son nez. Elle revoyait, certes, elles n’étaient pas exactement à sa vue, mais elle voyait.
-Mer… Merci, Je… Je veux bien manger quelques choses mais… Pas coucher s’il te plait… Je … J’aimerai le faire devant la fenêtre … sentir l’air…
Elle regarda aussi les copies posées sur la table à coté d’elle. Sa main se posa sur les copies, un regard complètement absorbé par elles. Son doigt se mit à les frotter lentement puis, elle essaya de se relever difficilement pour aller voir le jour.
Luz fut profondément soulagée de constater que les effets de la potion s’étaient évaporés. Nema paraissait redevenue elle-même, quoique fortement ébranlée par cette terrible expérience physique et psychologique… A la voir ainsi, fragile et tremblante, la gorge de la praticienne se serra et elle se sentit empreinte d’un certain malaise. De la frustration, pour ne pas avoir été là, ne pas avoir empêché ce drame, ne pas avoir mieux surveillé Nema. De la colère, à l’égard des coupables, de ceux qu’elle souhaitait à présent ardemment réduire en miettes et donner en pâture aux fenrirs par-delà la frontière. De la culpabilité aussi… Car elle ne pouvait réellement faire plus, ni ôter l’entière douleur de la féline d’un claquement de doigt.
Elle secoua la tête pour affirmer son propos comme s’il se fut agi de montrer toute l’absurdité de pareilles excuses.
Elle s’était déjà levée pour aider l’alchimiste à se diriger vers la fenêtre, enroulant un bras autour de ses épaules et de sa taille sans l’once d’une hésitation.
Il y avait bien entendu une raison supplémentaire à cette prudence médicale. Luz avait déjà eu affaire auparavant à des victimes d’agressions, qu’elles aient été physiques ou psychologiques. L’évènement déclenchait malheureusement souvent des syndromes redoutables, dont celui de s’accrocher à sa souffrance ou de se reprocher sa propre agression. A trop soigner entièrement le corps de Nema, celle-ci ne conserverait que son désespoir mental, sans aucune blessure physique pour attester que cet événement s’était véritablement produit et que sa détresse avait un sens. Tout comme le deuil, la guérison passait de ce fait par des étapes nécessaires et essentielles : l’esprit devait absorber progressivement une blessure jusqu’à recoudre la plaie lorsqu’il serait prêt. La magie était certes incroyablement pratique, Luz trouvait par conséquent que son efficacité chamboulait trop leur bonne vieille nature humaine… Il était néanmoins hors de question de laisser Nema dans cet handicap beaucoup plus longtemps – deux ou trois jours de délai pour la laisser récupérer et digérer la situation semblait idéal. Et permettrait de vérifier que ses autres blessures demeuraient fermées et stabilisées.
Elle hésita un court instant puis opta pour une franchise paisible, désireuse de ne pas effrayer pour autant son interlocutrice :
-Tu n’as pas à t’excuser… Si tu penses que c’est le mieux, après tout, tu es la médecin ici… Je n’utiliserai que mon autre jambe. Si j’étais en chat, j’en aurai 3 possiblement utilisables donc j’aurai plus d’équilibre. Mais c’est à moi de te remercier, tu fais beaucoup pour moi…
Son regard se dévia vers la fenêtre, sentir l’immensité de l’horizon mais avec une vitre pour la protéger. Elle regarda plus loin, perdant le fil de la conversation. Elle ne voulait pas ouvrir la fenêtre, de peur de tomber alors qu’elle était assise. Nema attrapa son bras, le pressant sur ses ongles fissurés et cassés par endroit. La sensation de la lame sur sa joue, elle la ressentait toujours, comme si on la tranchait encore et encore. Ce fut Luz qui la ramena plus à la réalité. Ce qu’elle voulait, en baissant la tête, la féline interrogea son ventre complètement nouée.
-Je n’ai pas très faim… Mais je présume que tu ne me laisseras pas tranquille sans avoir mangé quelque chose. Alors… une omelette… avec des cèpes… Mais ce n’est pas la saison, alors des bolets s’il y en a…
Malgré tout le coté réconfortant que mettait Luz pour la rassurer, elle avait du mal à sourire. Elle passa sa main dans sa chevelure, la retirant après avoir mis cette dernière hors de son visage. Sans trop le savoir, une bonne douche lui aurait été profitable. La parole fut donnée sur le fait qu’elle sera tranquille pour le moment et qu’elle pourrait demander à un garde en particulier l’intéressait. Pour l’heure, elle avait la gorge trop serrée et les entrailles comprimées pour parler. Peut être après le repas, qui sait.
-C’est gentil de ta part. Je sais qu’ils veulent faire leur boulot… Mais pour le moment, non, même si je me sentirais plus en confiance avec Ar… Sire Hekmatyar… Je sais qu’il faut que je parle… Mais… Je n’aurai pas dû aller prendre du bon temps à ce bar, batifoler un peu…
Mais tout en regardant par la fenêtre, elle ravala un peu sa salive, essayant de sortir un mot mais cela lui restait en travers de la gorge. Dans un ultime effort, elle lâcha assez bas, mais cela tonna quand même.
-C’est moi qui aie dû… fait la potion de passion…
Luz hocha la tête, acquiesçant spontanément lorsque Nema évoqua le nom d’Arthorias. Elle ne connaissait pas non plus de Garde royal plus fiable, et quel meilleur témoin que le Capitaine en personne ? Il saurait faire preuve de douceur et la traiter convenablement – ne pas la brusquer en somme, tout en l’incitant à se livrer à lui sans la terroriser… Elle ne fut pas surprise de découvrir leurs liens potentiellement proches. Malgré son envergure, le palais royal restait un microcosme où tout le monde se croisait quotidiennement et où les rumeurs prenaient plus rapidement qu’un véritable feu de paille. Que l’alchimiste royal et le Capitaine de la Garde royal se connaissent n’avait donc rien d’extravagant : comme disaient certains, « c’est dans le titre »… Elle s’ébroua en revanche lorsque sa féline interlocutrice poursuivit le cours de ses pensées, s’arrachant par extension brutalement aux dérives des siennes. Elle se saisit spontanément de la main de Nema et vint l’entourer dans l’écrin de sa senestre et de sa dextre, une douceur infinie mêlée d’une ferme conviction. Elle ramassa cet aplomb dans sa voix et la mua en une eau tranquille, l’assurance d’un univers dans son regard et son ton :
Elle secoua légèrement la tête pour appuyer ses propos, se troubla d’une apparente tendresse à la déclaration suivante de l’alchimiste. Du plat de pouce, très lentement, comme s’il se fut agi d’effleurer une chose fragile, elle caressa le dos de sa main et sentit poindre en elle les remous de sa propre tempête intérieure. Sa voix ne fut qu’un murmure lorsqu’elle reprit :
Elle libéra sa main, récupéra une part de sa quiétude originelle.
Elle s’éloigna d’une poignée de pas, n’ayant pas perdu de vue son objectif premier qui n’était autre que de pousser Nema à avaler quelques bouchées de nourriture. Elle glissa rapidement ses instructions par la porte entrouverte puis referma cette dernière et revint se poster contre son bureau, face à l’alchimiste.
-Tu sais Luz, j’ai vraiment cru bien ne jamais te revoir, jamais revoir le palais, ses gens, le monde. Surtout au moment où j’avais la tête dans l’eau. Je ne suis pas forcément d’accord avec toi, du moins pas dans l’instant présent.
Elle pressa sa main sur celle de Luz mais finit par la lâcher pour attraper sa jambe valide, la ramenant sur sa poitrine et l’enlaçant. Elle souriat par moment, mais son esprit lui disait très vite que l’horreur fut encore proche encore et encore.
-Tu n’as pas à être désolée, ce n’était pas toi dans la cave. Merci beaucoup Luz pour tout ce que tu me donne… Je vais essayer de m’en sortir par moi-même au début, mais si le poids est trop dur, je n’y manquerai… Pas que je n’aimerai leur aide ni que je suis boulversée, ce qui est vraie. Mais… Je suis quelqu’un qui n’aime pas être portée. Je te promets que je les appellerai si je n’y arrive pas.
Son regard se pencha vers l’immensité du ciel, elle vit des oiseaux voler ici et là, la nature, elle restait la même. Les formules restaient les mêmes mais pourquoi n’arrivait-elle plus à se figurer en train de manipuler, pourquoi cela lui reste comme un sentiment de défaite dans la bouche.
-J’ai une petite chambre dans la Capitale, mais je n’y vais que peu, j’ai mon labo, je dors beaucoup là bas et j’utilise les douches de décontamination pour me laver aussi. Cela ne me dérange pas… d’ordinaire, je sors peu… Ma famille, je pourrai leur demander, et pour le moment, je n’ai pas de noms en tête même si un grand gaillard pourrait être utile. Et non, je n’ai pas de familiers à part mes trois boules de poils… qui doivent m’attendre dans le labo… Sans croquettes…
Elle lui offrit un large sourire encourageant, démentant l’apparent aspect autoritaire de ses propos par la douceur de son regard. Ce n’était nullement un ordre, mais un conseil, une ancre jetée entre les coraux de ses abysses à laquelle Nema pourrait se raccrocher à l’avenir si elle le souhaitait.
L’alchimiste royale connaissait de toute façon d’ores et déjà le chemin pour parvenir jusqu’à son bureau d’appoint. En outre, Luz lui avait également fait part de l’existence de son cabinet officiel situé à la Volière aux dragons : elle se nota intérieurement dans laisser l’adresse à sa féline amie. Quant aux trois boules de poils qui n’avaient pas mangé depuis la veille…
Elle se dirigeait d’ailleurs vers la porte suite aux trois coups frappés d’une domestique affublée d’un large plateau de victuailles. Assurément, Nema ne mangerait pas autant au regard de son état mental, mais la moindre miette absorbée constituait déjà une victoire !
Pourvu que ce déjeuner improvisé soit suffisamment appétissant pour sa patiente… De fait, Luz ne la quittait pas des yeux, soucieuse de s’assurer qu’elle mangeait une part raisonnable de nourriture au regard de l’énergie qu’elle avait dû produire pour survivre à sa récente expérience, misant sur une potentielle somnolence susceptible d’entrainer une longue sieste par la suite. Et plus tard, il faudrait alors partir quérir un garde compétent pour traiter cette affaire… Pas avant toutefois que Nema n’ait pu profiter d’une relative quiétude.