”C’est le prix du marché !” Déclara la vieille avec véhémence, en levant un doigt menaçant dans sa direction. Un doigt crochu, dont l’ongle ressemblait désormais plus à une griffe désormais. Depuis, combien de temps ne les avait-elle pas coupés ? Des mois ? Ses petits yeux noirs dévoilaient tout l’agacement qu’Obsidian avait réussi a déclenché en elle en lui faisant remarquer que son prix était bien trop élevé. ” Si t’es pas content va voir ailleurs que je puisse m’occuper de mes autres clients !” Ajouta-t-elle alors que son autre main venait gratter un des pustules qu’elle avait au niveau de sa joue ridée par les années. Celui-ci était d’un rouge vif, comme la majorité des autres boutons qui parsemaient sa peau fripée. Elle avait dû littéralement se faire bouffer par les kiripiks qui étaient de retour en cette merveilleuse saison. Et elle osait tout de même tenter de vendre des potions de soin à ce prix là ? Elle n’était même pas capable de se soigner elle-même ! Reniflant avec mépris, il se pencha vers elle avec un sourire mesquin aux lèvres : “Tu ferais mieux de soigner ces vilains furoncles que tu as là au lieu d’arnaquer les gens la vieille. On pourrait presque croire au retour de la peste en te regardant. “ Siffla-t-il en secouant la tête, lui aussi contrarié par cette “gentille” petite dame. “Et de quels clients parles-tu ? Il n’y a personne qui vient à ton stand, tu fais peur à tout le monde et tu n’inspires vraiment pas la confiance...” Enfin c’était relatif, pouvait-on parler de confiance dans les bas-fonds de la capitale ? “On dirait presque une goule et encore c’est une insulte pour ces pauvres créatures.” Cracha-t-il à la marchande qui serait fortement ses petits poings en le fixant avec un air menaçant. Il s’éloigna en ignorant les injures de la charmante dame... Et sans faire attention aux malédictions qu’elle criait à son égard.  



Ce n’est qu’un peu plus loin alors qu’il était pris d’une douleur intense, et qu’il s’écroulait contre un mur décrépi d’une ruelle menant à la grande place qu’il comprit qu’il avait surement fait une erreur. Et merde. Il s’écroula à terre, et ce n’est que longues et douloureuses minutes plus tard qu’il se réveilla transformé. Il n’était plus humain. Il était un kiripik. Le premier vertige face à l’immensité du monde passé, et une fois l’information de son état digéré, il tenta de bouger. Ses ailes vibrant doucement et provoquant ce son si familier et agaçant aux oreilles humaines. Il vola difficilement, c’est que notre bon mercenaire n’était pas habitué à utiliser de tels appendices. Il devait sûrement d’ailleurs donner l’impression aux passants d’être un insecte totalement bourré. Il évita une tapette à mouche, survola deux gloobys crachant sur des vitrines et frôla une toile d’araignée pour se diriger vers un endroit que tu pensais être sûr : la taverne de l’aventurier téméraire. Se cacher là-bas, et attendre sagement le retour de ta forme d’origine... ou réussir à demander de l’aide à Devon si ça ne changeait pas dans les prochaines heures, c’était ça ton plan.  



Quand l’auberge de ton ami se dresse enfin devant toi, c’est un immense soulagement qui naît en toi. Voilà son refuge, mais l’homme est sur le point de fermer la fenêtre ! Il fallait passer et vite ! Il fonce donc, dépassant un congénère qui tentait de s’infiltrer aussi... pour finalement signer son arrêt de mort. Devon venait de l’achever d’un geste expert. Gloups Même s’il n’est plus humain, il sent une sueur froide couler le long de son dos. Quel était cet enfer? Il te fallait fuir, mais le tavernier venait de fermer la fenêtre. Il était piégé ici avec l’ancien aventurier bien décidé à l’achever au vu de son regard. Que faire ? Ou se cacher ? Sans attendre, Obsidian file se cacher sous la première table venue, mais il sait qu’il ne fera pas long feu s’il reste ici. Pas alors qu’il brille. Quelle idée d’être phosphorescent aussi ! Il fallait trouver un moyen de faire comprendre à Devon que c’était un de ses fidèles clients qui était là et non pas un suceur de sang! Alors, il s’envole, quittant sa cachette pour prendre de la hauteur. N’y avait-il pas un carnet ? Un journal ? Il fait un premier tour de la pièce, évitant les attaques de son ami qui se révèle bien belliqueux.  

Décidément cette fluorescence n’était vraiment pas discrète, comment pouvait-il se cacher alors qu’il brillait hein ? Heureusement qu'il réfléchissait encore comme un humain et qu’il ne se prenait vraiment pas pour un insecte... Sinon Devon l’aurait déjà écrasé comme tous ses pauvres prédécesseurs. Obsidian en venait presque à ressentir de la compassion pour ces moustiques si particuliers. Enfin, une compassion qui disparaissait tout aussi vite qu’elle était apparue. Ces bestioles étaient tout de même infernales. Le balai fendit à nouveau l’air alors que le tavernier faisait un barouf pas possible en tentant de l’avoir. C’est qu’il était bien motivé le bougre et ça ne l’aidait pas à réfléchir à un plan de survie. Peut-être qu’il devait abandonner l’idée de lui faire comprendre qui il était ?



A nouveau le balai frôla le mercenaire, le faisant voltiger un peu plus loin. Le monde tournoyait tout autour de lui, et il s’écrasa une seconde contre une des étagères qui contenaient de nombreuses bouteilles. Il prit quelques secondes à retrouver ses esprits. Un vrai fou furieux celui-là ! Le noiraud ne lui connaissait pas une telle haine des moustiques, c’était presque obsessionnel, non ? Ou c’était juste son point de vue car il était actuellement la victime des ardeurs mortelles de l’autre homme ? Celui-ci continuait à le chercher et il ne tarderait pas à le trouver. Il fallait se cacher. Vite... Trouver une cachette. Dans la panique, le tout nouveau kiripik se précipita derrière quelques alcools. Peut-être que les étiquettes et les liquides colorés allaient le dissimuler aux yeux d’aigle de ton ami belliqueux ?



Un petit soupir s’échappa de sa trompe alors qu’il tentait d’avancer sur le verre. C’était une étrange sensation que celle d’avoir six pattes et il mit quelques secondes à bien les coordonner pour bouger. Au moins, sans utiliser ses ailes, il faisait bien moins de bruit, bien qu’il fût bien plus lent avec cette démarche. Une fois certain d’être totalement caché, il se stoppa. Il ne lui restait plus qu’à attendre maintenant ! Du moins c’était le plan jusqu’à ce qu’il sente un regard sur lui. Oh, ce n’était pas Devon, mais une araignée... et elle était énorme. Gigantesque même avec sa toute nouvelle échelle de vision. Ses mandibules bougèrent dans la direction de l’assassin alors qu’elle avait avec grâce. Elle, elle savait parfaitement utiliser ses pattes.



Il resta sans bouger une fraction de seconde qui lui parut être une éternité alors que le prédateur le fixait sans rien faire lui aussi. C’était comme si le temps s’était arrêté alors qu’il faisait face à la mort. Une mort qui serait bien plus douloureuse –mais tout aussi humiliante- que de finir écraser par le jeune papa. Encore une fois, il se reprit. Juste assez vite pour éviter les crochets empoisonnés, se cogner encore une fois contre le bois de l’étagère, une autre bouteille avant de réussir à s’échapper de ce piège mortel pour tomber nez à nez avec ce bon Devon.

C’était comme tombé de Charybde en Scylla, il échappait de peu aux crocs de l’araignée pour te retrouver nez à nez avec Devon. Il n’était plus temps de partir se réfugier sur une autre armoire. Fallait-il viser le plafond ou une table à nouveau ? Il perd quelques précieuses secondes, mais contre toute attente il ne t’attaque pas. Pas encore.



Qu’est-ce qu'il est ? Actuellement, Obsidian lui aurait bien dit avec vraiment beaucoup d’humour : “C’est moi Ekaitz, l’un de tes fidèles clients, j’ai été transformé en kiripik aide-moi!” sauf qu’il ne pouvait pas, pourquoi ? Car il ne pouvait pas parler, il s’attendait à quoi lui, hein ? A ce qu’il puisse répondre à sa question ? Agacé, il s’éloigne un peu plus de l’étagère car il sent encore les yeux de l’araignée sur lui sans pour autant lâcher du regard le jeune papa. Comment lui répondre ? Et si soudainement il changeait d’avis pour l’écraser ? Fallait-il prendre le risque ? Et là, une idée lui vient, il te reste plus qu’à espérer que le tavernier capte le message.



Il se déplace plus lentement pour permettre à son ami de le suivre plus facilement du regard. Du coin de l’oeil, le “kiripik” repère les bouteilles qu’il l’intéresse. Il te faut les bonnes lettres... les voyelles sont assez faciles mais pour le “k” et le “z” c’est déjà une autre paire de manche. Il prend un peu de hauteur. Au pire il y a toujours l’approximatif, mais ça serait moins convaincant. Tu te poses sur le “E” y reste quelques seconds dessus, posant tes pattes dessus avant de t’envoler vers la lettre “k” quelques bouteilles plus loin. Il répète le même stratagème avec les lettres suivantes sauf pour le “z” qu’il ne trouve pas, mais les premières devraient l’avoir aidé à deviner ce prénom normalement familier. Il prend quand même la peine de former un “z”en volant par simple sécurité. Puis, il vient se poser sur le comptoir un peu plus loin en fixant toujours Devon.



Ses ailes vibrent doucement, il faut bien l’avouer, il était pas très rassuré en attendant la “réponse” de son ami à son message. Et, Obsidian venait à craindre aussi la suite des évènements. Est-ce qu’il allait devoir retrouver la vieille pour retrouver son corps d’origine ? Si c’était bien elle-il estimait que les chances étaient très fortes- qui l’avait maudit. Ça serait vraiment galère de l’expliquer à Devon, il n'osait même pas imaginer ce que ça serait de devoir le guider dans les bas-fonds de la capitale pour la retrouver. Certes, son ami devait le prendre pour une petite frappe et devait se douter qu’il trainait de temps en temps dans ces coins là mais ce n’était pas une raison pour l’y emmener... Et en même temps il n’y avait personnes d’autres pour l’aider à cet instant ou du moins pour lui tenir compagnie.

S’il avait encore été humain, il aurait sans doute senti une goutte de sueur couler le long de sa tempe en voyant que son ami ne comprenait pas où il voulait en venir... avant d’être soulagé en voyant l’illumination dans son regard. Il avait compris. En voilà, un soulagement ! S’il avait pu le mercenaire aurait poussé un énorme soupir, malheureusement cette forme le lui interdisait. Il a tout le temps d’observer ses réactions et il est facile de deviner quand il vient de réaliser qu’il avait été à deux doigts de devenir un meurtrier. CE qui aurait été triste... et très con pour un jeune papa.



Mais au moins, Obsidian a bien fait de suivre son idée puisque Devon semble être prêt à l’aider. L’emmener voir un alchimiste n’était pas idiot, puis il n’y avait pas vraiment le choix et dans le pire des cas, si cela ne fonctionnait pas il aurait toujours le temps de jouer à nouveau avec les étiquettes pour tenter de retrouver l’autre vieille garce. En espérant qu’elle soit bien appliquée dans cette histoire.



Sans pouvoir vraiment répondre à sa proposition par des mots, il se contente de s’agiter de haut en bas plus ou moins facilement avant de venir se poser sur l’épaule du tavernier. Maintenant qu’il savait et qu’il ne voulait plus le tuer, il pouvait être tranquille et surtout peu de gens oseraient l’attaquer sur ce géant. Du moins il l’espérait.



Heureusement, le trajet se fait plutôt rapidement et personne n’a osé utiliser sa tapette à mouche sur le jeune papa. Oh, il y a quelques personnes aimables qui l’ont prévenu qu’il avait un kiripik sur son épaule et qu’il ferait mieux de l’écraser ou de le faire partir. De son point de vue, il pouvait en profiter pour surveiller ses arrières, mais aussi pour repérer la fameuse enseigne de ce “Merle Lenshanter”. Il ne le connaissait pas, ou juste de nom pour être passé quelques fois devant la vitrine. Cet homme était-il vraiment efficace ? Il se déplace doucement vers la poitrine de son ami, sa brillance attirant l’oeil du propriétaire de la boutique. Il semble reconnaître Devon de suite puisqu’il l’accueille à bras ouverts. Il fronce un peu les sourcils en repérant ce moustique si particulier et il tend déjà la main pour le chasser.



”Oust, sale bête !” Lâche-t-il en faisant fuir Obsidian qui s’envole vers le plafond pour éviter une nouvelle attaque possiblement plus virulente. Du moins le temps que son ami explique sa misérable situation.

Heureusement que le vieil homme n’avait pas les mêmes réflexes que son paternel, sinon il se serait fait rapidement écraser entre ses doigts crochus. Ce qui n’était clairement pas dans ses plans et totalement ridicule en y repensant. Il allait falloir oublier cette fin de journée... il n’aurait qu’à raccompagner Devon à sa taverne pour y boire quelques verres. En y repensant, il m’arrive de ces choses quand je suis avec lui. Entre sa transformation en kiripik -bon il n'avait pas été sur le moment mais c’était tout de même chez lui qu’il avait fini- et le coup de la sirène qui vous poussait à pousser la chansonnette... Il en venait presque à craindre sa future rencontre avec le jeune papa. Qu’est ce qui allait arriver ? Une autre transformation en un ridicule animal ? Tant que ce n’était pas en glooby...



Son attention revint vers le vieil homme, celui-ci semblait confiant et savoir quoi faire pour l’aider et ça, c’était clairement une bonne nouvelle ! Virevoltant autours du plafonnier quelques secondes, il revint finalement se poser sur l’épaule du tavernier. Il allait falloir le remercier. Le vieux alchimiste revint rapidement, les bras encombrés et le mercenaire s’envola à nouveau quand Devon se précipita vers celui-ci pour lui éviter une mauvaise chute. Quelle idée de transporter tout ça en une fois aussi ! Clignotant doucement, il vint se poser sur le haut d’une étagère -après avoir vérifié l’absence d’un possible prédateur- afin d’observer les faits et gestes de l’homme. Il farfouilla dans ses grimoires poussérieux en marmonnant avant de s’arrêrer à une page jaunie par le temps. C’est avec un sourire fin qu’il se mit alors au travail avec des gestes rapides et experts. D’ici, le petit kiripik pouvait voir toute l’assurance de l’homme qui semblait progresser rapidement.



Des fois, il lâchait quelques commentaires et même une petite blague sur sa nouvelle condition –qui ne lui donnait pas très envie de rire tant qu’il ne serait pas redevenu humain. ”Et voilà !” Le vieil recula avec une expression satisfaite et tapota gentiment le bois près de lui tout en l’invitant à se rapprocher ce qu’il fit après un dernier regard vers son ami. C’est qu’il n’était pas très rassuré, et si ça empirait ? Mais bon, il fallait bien tenter quelque chose ! A peine, avait-il posé ses petites pattes sur la surface, qu’il renversa le contenue de sa louche sur toi. Qu’est ce que... Il aurait pu prévenir, le kiripik s’envola surpris alors qu’il était encore recouvert du liquide gluant et phosphorescent. Mauvaise idée, la douleur le prit en plein vol. C’est dans un horrible craquement qu’il retrouva sa forme humaine, la chevelure et les vêtements légèrement poisseux.



“Bordel de merde... Je vais avoir besoin de plusieurs verres. ” Gémit-il en s’effondrant par terre, le corps tremblant, mais rapidement les derniers élancements disparurent et c’est un soupir de soulagement s’échappa de ses lèvres alors qu’il levait les yeux vers les deux autres hommes présents. “Merci.”Ses doigts passèrent sur ses longues mèches, maintenant il ferait attention à ne pas insulter les vieilles dames avec la peau ravagées par les kiripiks. Il n’avait aucune envie de revivre cette expérience. Après avoir de nouveau remercier le vieil alchimiste, Devon, et avoir déboursé quelques cristaux, il raccompagna son ami à son auberge dans le but d'oublier cette horrible expérience dans l'alcool.