Volt Grimcarver

Un tableau d'une rare beauté se dessinait au fur et à mesure qu'il s'avançait vers la clarté qui venait percer les ténèbres de la caverne. Une vallée verdoyante dominait d'épaisses forêts à ses pieds où se côtoyaient chênes, châtaigniers, cerisiers et cormiers. Un lac d'une clarté incroyable comparable aux éclats d'un cristal, rejoint par d'innombrables cours d'eau qui parcouraient ces quelques hectares boisés, était délimité par cette végétation sauvage. Les arbres prenaient racine au milieu de parterres de fleurs, d'espèces exotiques ; l'harmonie des couleurs créée par cette végétation luxuriante qui se balançait au rythme des caresses du vent amenait satisfaction, bonheur, extase : la voie vers la béatitude, véritable merveille pour les yeux dont on ne se lasserait jamais.

Reposé contre une clôture en bois, la tête levée au ciel, il tendit ses mains en l'air : et se promit dans l'espoir qu'un jour, lui aussi, aura la possibilité de visualiser de tels paysages. Il déposa son livre au fond de son sac, se releva et partit en direction du chalet à l'autre extrémité du champ.

Perdu dans ses pensées, il avançait machinalement à travers les cultures. Une vieille dame était étendue sur une chaise longue en bois devant l'habitation, à la vue de celle-ci, le jeune homme se mit à courir énergiquement en sa direction, le sourire aux lèvres.

— Le repas est prêt, Volt.

Veuve ayant perdu son mari une dizaine d'années plus tôt et mère de trois enfants, l'adolescent vivait avec cette vieille dame qu'il considérait comme sa propre mère depuis son plus jeune âge. Enfant non désiré, né d'un père hors-la-loi et d'une mère prostituée, l'enfant fut rapidement abandonné après sa naissance. Un matin d'hiver, elle avait trouvé un bambin sur son porche, enveloppé dans des draps. Une note était sommairement fixé dans le tissu avec l'inscription : "Volt Grimcarver". D'abord surprise, puis pris de pitié pour l'enfant elle décida de l'adopter.

Cette première réaction était tout à fait normal. En effet, dans ce petit bourg situé à une demi-journée de marche de la Capitale, le nom de "Grimcarver" était source de dégoût, de répugnance. Des affiches placardées un peu partout dans la région, Grimcarver voyait sa tête mise à prix pour une bonne poignée de cristaux. Il devait sa triste renommée à ses divers crimes ; extorsion d'argent, vols à la tire, braquages, vandalisme et homicides entre autres. Dans l'enceinte de ce village ceint d'un rempart en bois, les ragots parvenaient rapidement aux oreilles des quelques cent habitants qui composaient la population locale. La rumeur de l'existence et de la présence de l'enfant du fameux Grimcarver dans le village ne manqua pas de faire traînée de poudre.

Hostilité, mépris, harcèlement : l'héritage paternel n'avait pas accordé à ce garçon un environnement favorable pour se développer. Que ce soit la notoriété de son père ou le traitement des villageois à son encontre, Volt ne s'était jamais plaint. Il gardait toujours le sourire, et s'était fixé l'objectif de toujours faire le bien autour de lui, d'aider son prochain, en contraste avec son père ; c'était en quelque sorte un moyen pour lui de s'excuser des crimes que ce dernier avait commis.

Occasionnellement, des bandits venaient semer la terreur dans le voisinage. Afin de pouvoir protéger sa famille, le jeune homme débuta un apprentissage en autodidacte à compter de son cinquième anniversaire. Débrouillard, il fabriqua un sac de frappe en patchwork, tailla une épée en bois et se mit à s'entraîner quotidiennement dans l'arrière-cour. Son application dans son entraînement lui valut la reconnaissance de son frère aîné, apprenti forgeron, qui lui offrit une paire de cimeterre pour ses six ans. Éberlué par ce présent, il n'avait jamais ressenti une joie aussi extrême auparavant et bondit en avant pour se saisir des lames. À peine rentré en contact avec les pommeaux de ces derniers qu'une exclamation lui traversa soudainement l'esprit, suivi de vertiges.

— Oi, la vie t'as cru tu touchais qui cousin ?

Son pouvoir se manifestait pour la première fois. Ces cimeterres étaient, malheureusement pour eux, condamnés à devenir les meilleurs amis et compagnons de route du jeune homme dans sa quête inassouvissable de panoramas époustouflants et autres lieux insolites pouvant satisfaire sa vue. Une candidature à la Guilde des Aventuriers le jour même de son dix-septième anniversaire marqua un nouveau tournant dans sa vie, et le début de l'épopée de celui qui répondait au nom d'Imbécile heureux.