Quelques jours après, la trousse de cuir participait donc avec enthousiasme à sa première rencontre avec ses lecteurs passionnés, se servant de sa scribouilleuse pour livrer autographes et commentaires douteux sur les exemplaires soumis à sa plume. Son seul regret, peut-être, était alors d’être dépourvue de mains, ne lui permettant ainsi de serrer celles de ses admirateurs. Mais peut-être que, finalement, valait-il mieux dans ce genre de milieu garder ses paluches pour soi-même. Dans tous les cas, c’était ainsi que, entre Véronique et Francis amenant respectivement leur tome d’Alerte au Manta’bu et des Belles Lueurs dans les Cimes, Apolline avait fait la connaissance de Michet, jouet de démonstration dans une boutique de divertissements pour majeurs consentants, qui lui avait parlé de l’influence de ses œuvres littéraires sur l’augmentation des ventes de son lieu de travail. Ce à quoi Billy, l’étagère, avait répondu qu’elle devrait sans doute réfléchir à élargir son offre en travaillant sur une gamme dérivée de ses livres ô combien passionnants.
Puis, en quelques minutes, s’était rassemblée une réunion improvisée d’âmes artificielles débattant du marché des produits licencieux et de l’intérêt d’un investissement dans ceux-ci. Loin de faire fuir les clients de la boutique venus initialement pour satisfaire leur curiosité et faire signer leurs exemplaires abimés d’amour à l’autrice de leurs rêves les plus lubriques, cette disgression avait attiré leur attention comme leurs remarques avisées, et à la fin de la journée Apolline s’était joyeusement retrouvée forte d’une liste longue comme son indécence de nouvelles idées à exploiter comme de noms intéressants pour développer son affaire. Rien n’était moins sûr que son engagement sur cette piste à terme, mais la curiosité bienheureuse de la trousse, au diapason de celle de son propriétaire, connaissait assez peu de limites.
C’était donc ainsi que, après avoir parcouru les noms inscrits à la va vite sur son dernier manuscrit en cours et brièvement hésité entre Cloverfield et Richter tout en bas de la liste, l’âme artificielle avait opté pour le second. Simplement parce qu’il y avait « riche » dans le nom, et que du coup ça sonnait bien pour le début d’une grande aventure.
- Et c’est pour ça, Pamela, que je sens que ma prochaine œuvre s’intitulera « L’alter-monde ». Pour Althair sans Althair, évidemment, rit la trousse sous l’air incrédule de la secrétaire. Bien entendu, je t’y réserve un rôle de choix.
Nom pas Pam ? demanda avec curiosité Kaname, la loutre géante qui l’accompagnait.
Il faut peut-être préciser là qu’Apolline avait donc réussi, d’une missive joliment tournée, à obtenir rendez-vous avec le fameux Richter – Warren, de son petit nom – et s’était donc présentée comme convenu sur le lieu de l’entretien avec une dizaine de minutes d’avance. Comme elle avait tenu à amener avec elle un échantillon de ses œuvres littéraires, elle avait mis à contribution l’un des familiers de Calixte, son propriétaire, pour fourrer une pile de livres dans le sac-sans-fond de la créature et l’amener jusqu’au repaire de la compagnie Lagoon. Ou Althair. Elle s’y perdait un peu, mais ça n’était pas très important. Ce qui était important, c’était que dans tous les cas elle allait être introduite auprès de l’homme riche.
La trousse et la loutre s’étaient ainsi présentées à un premier secrétariat – où elles avaient déjà été accueillies avec surprise et méfiance, mais le bagou d’Apolline avait fini par abaisser les dernières réserves de l’hôte d’accueil comme de la sécurité – puis avaient longé le passage menant à l’immanquable porte vermeille indiquant de ses lettres magistrales « LAGOON », et pénétré dans le nouvel accueil administratif s’offrant à elles. Là, elles avaient mis museau et fermeture éclair sur une jeune femme à l’air complètement débordé et confus. Etat qui paraissait être assez permanent, à en croire l’ancrage profond de sa détresse dans son regard fébrile et les ridules déjà marquées sur son visage.
- Tu n’serais pas une cousine de Luz, Pamela ? Tu lui ressembles un peu. En moins finie. Mais hé, j’suis sûre que ça t’rends pas moins habile dans tout un tas de domaines. Et si t’as déjà le quart de sa dextérité à huis clos… rit à nouveau la trousse toujours perchée sur le crâne de Kaname. Tu trouves mon rendez-vous avec Riche Terre ? Quatorze heures normalement, au nom d’A. Poal.
Pam ressembler un peu Luz, acquiesça mentalement la loutre.
Et, bien évidemment, comme l’âme artificielle ne pouvait comprendre ni le langage de son amie ni communiquer avec elle par télépathie – cette partie-là était l’apanage d’un certain coursier – mais que ça ne l’empêchait guère de s’inventer toute une discussion entre elles, elle poursuivit :
- Ca manque de plantes ici, tu trouves pas Kana ? C’est pas une prérogative pour un secrétariat d’avoir un ficus sur le coin du comptoir ? J’te donnerai le numéro de Reb, Pamela, c’est une copine qui nous refile des plantes pour végétaliser un peu la Caserne.
Juste la chambre de Cal, non ? Une fois.
- Elle est marrante, tu verras. Elle a juste tendance à jeter ses ex du haut de falaises. Mais ça va, t’es ni homme, ni Capitaine, ni Boucle d’Or.
Capitaine Boucle d’Or, grand Capitaine. Un jour moi loutre soldate Royale.
- T’as un numéro cristalique ?
Pendant qu’Apolline essayait éhontément – et vainement, puisqu’elle n’avait pas emprunté le cristal de communication de Calixte – de séduire la pauvre Pam, le coursier revenait de sa consultation à l’hôpital de l’Astre. Sous forme féminine ; puisque c’était celle-ci qui intéressait les professionnels suivant sa grossesse atypique. L’examen mensuel s’était correctement déroulé, et la chappe de morosité qui s’était solidement formée en carapace épaisse autour de l’espion-ne depuis les évènements de l’expédition dans les ruines du désert volant s’était quelque peu craquelée pour lo faire accéder à quelques lueurs réconfortantes au-delà de cet univers persistant de doutes. Les enfants allaient bien, iel aussi physiquement, et iel avait pu profiter du repas de midi pour partager un moment avec Luz avant de reprendre le chemin de la Volière. Où iel comptait bien passer l’après-midi à s’apitoyer dans la désespérance qui ravinait toujours plus profondément les ruines de ce qu’iel avait été.
C’était sans compter sur l’échappée de sa trousse fugueuse et de sa loutre naïve.
Quoi ça ? demanda Vreneli, le teisheba, par-dessus son épaule comme iel appréhendait la note laissée par les deux complices sur la grande table du salon.
« Cal-bute, on est allées voir Warren. Apparemment il a des dents de requin, mais j’suis pas sûre que ça mange les loutres. Bisous. Apo & Kana »
Une frange ondulée indiquait que Kaname avait voulu laisser une trace bien physique d’une léchouille humide, mais en dehors de cela, lo coursier-e avait beau tourner et retourner le papier écrit par Apolline, il n’y avait pas d’autre information pour réconforter son inquiétude grandissante. En d’autres circonstances – pré exploration sur l’île volante – sans doute ne se serait-iel pas formalisé-e de l’affaire, mais son présent comprenait actuellement une dose beaucoup trop effrayante de chaos pour qu’iel lassât ce trouble supplémentaire s’installer sans tenter de retrouver son âme artificielle et son familier.
- Qui est Warren ? demanda-t-iel à haute voix comme pour extérioriser une partie de son affolement. Et pourquoi est-ce qu’il a des dents de requin ?
Attaquer ?
- Non. Oui. Peut-être. Viens, Eli, on va les chercher, indiqua fermement l’espion-ne en attrapant sa boule de vision et en se concentrant sur le talisman de localisation de sa loutre.
A. Poal.
Je ne vous dit pas le fou rire que Warren s'est tapé en lisant ce nom. Vraiment, des patronymes claqués au sol, il en avait vu, lu, rencontré. Le sien à lui même des consonances peu communes en Aryon, il sonne lourd et rocailleux en bouche. Des comme ça cependant ? C'était une première. Rares furent les occasions qu'il eut de répondre en personne à ce genre de courrier, comment résister à cette proposition ? Sur son fauteuil, réfléchissant à tout ça, faisant tourner sa plus belle plume dans sa main, l'arrivée de la missive lui revint à l'esprit, et il sourit.
'' Euh, Monsieur Richter ? Bonjour ! Vous avez un...Courrier. A. Poal. ''
La tignasse rousse de sa secrétaire pointait à l'entrebâillure de la porte de son bureau. Comme souvent, Warren avait dormi sur place, alors que Pam avait débuté son service il y a peu, l'homme d'affaire, lui, s'affairait déjà sur les dossiers en retard de la compagnie Althair. Se lever aux aurores n'empêchait pas le blond d'être soigné et apprêté. Dans un profond soupir, il se laissa couler dans son fauteuil, lâchant son nécessaire d'écriture, plantant son regard dans les yeux jade de sa collaboratrice.
'' A poil ? Enfin, Pam. On a déjà parlé de ça, ce n'est pas en lançant de nouveau la proposition de but en blanc que je vais te faire monter dans- ''
'' Monsieur, non ! C'est une personne, qui s'appelle Apolline Poal ! ''
Blanc. Pas gênant ; d'incompréhension. A se demander qui se moquait de lui ; son employée elle-même ? Un petit plaisantin qui subirait les foudres de Lagoon incessamment sous peu ? La génitrice qui aurait volontairement nommé son enfant ainsi, pour le plaisir de la blague ? D'un mouvement de main, il invita la rousse à rentrer pour récupérer ce qui était à son intention, puis d'un geste inverse, la somma indirectement de repartir. Lecture de la lettre. Fou rire qui fit écho dans la pièce, se répandent allégrement dans les différentes salles de Lagoon, pas dans tout Althair, espérons.
A peine le temps de réfléchir, le concept est aussi intriguant qu'intéressant, d'habitude, ce n'est que dans des entreprises physiques, des concepts tangibles, dans lesquels il met les pieds. Cette histoire de livre, c'est assez innovant pour piquer sa curiosité, déclencher en lui cette petite voix intérieure, qui, bien avisée depuis tant d'années, lui dicta ''allez, fonce, la somme est pas énorme ; l'expérience alléchante !''. D'une hâte commune habituellement néanmoins rare dans le contexte actuel, il se saisit d'un papier déjà pré-estampillé Lagoon, de sa plus belle plume, afin de répondre de lui même, personnellement, à cette personne, qu'il imagine bien sur avec deux bras, deux jambes, bref, un corps normal et fonctionnel. Oh Lucy, si tu savais...
L'heure fatidique approchait, il en était parfaitement conscient. Les négociations, si toutefois elles ont lieu d'être, seront des plus complexes et redoutables. Enfin un challenge acceptable pour l'homme à qui tout réussit jusque là. Poussé dans ses retranchements, il aura à faire face à un adversaire qui maîtrise bien mieux son domaine qu'il ne pourrait jamais l'imaginer. Les livres, il les lit. Il les finance pas, il les produit pas, eh, il n'en écrit même pas. Ses écritures se limitent à des lettres, des réponses aux missives, des rapports, de l'archivage. Le temps, comme souvent, lui manquait. De manière générale, entrepreneur très occupé, encore plus depuis les événements récents, le repos se fait de plus en plus absent, où trouverait-il, dans cet emploi du temps si chargé, un moment pour en apprendre plus sur cette future cliente, et son secteur d'activité ? La découverte sera tellement plus...Sensationnelle !
Des coups sur la porte. Légers, timides. Pam toute crachée. Usuellement, la rousse patiente jusqu'à entendre une quelconque approbation verbale de la part de son patron avant d'oser tourner la poignée, toute personne est persona non grata dans son espace, sauf approbation du grand manitou. Cette fois ci, cependant, ce ne fut pas le cas. Il haussa un sourcil. C'est déjà arrivé, par le passé, à force de remontrance, cette mauvaise habitude faisait maintenant partie du passé, tout comme les espoirs et rêves de ce petit bout de femme, qu'il brisa aussi vite qu'on vole une sucette à un nourisson. Qu'elle se permette ça...Il devait se passer un truc.
'' Monsieur Richter. Votre rendez vous de quatorze heure est...là. ''
Oh, rien de méchant, elle même sait à quel point le chef attend cet entretien avec une excitation qu'il ne cachait point.
'' Eh bien, laisse la donc rentrer ! ''
'' Oui...Jesuisvraimentdésoléejesavaispaspardonj'yvaishein. ''
Partie aussi vite qu'elle est arrivée, il serait malhonnête de dire que Warren avait compris autre chose que les excuses dans les mots propulsés à la vitesse de la lumière par la femme, qui laissa la porte ouverte derrière elle. Et ohlala. Ca dépassait toutes ses attentes. Dans le bon sens ? Non. Aucun sens ne peut correspondre à ce non-sens, justement ! Stupeur est vraiment le premier mot qui définissait le ressenti du blond, lui si impassible, qui en a fait une marque de fabrique, culbuterait face la première s'il n'était pas assit.
'' C'est...Une mauvaise blague ? ''
Une loutre. Non. Une PUTAIN de loutre se présentait devant lui. Semblant servir de mule, d'ailleurs, puisqu'elle transportait un sac magique, un de ces fameux sac sans fond dont il aurait sans doutes l'utilité un de ces quatre. Juchée sur sa tête, une trousse. De cuir, tout ce qui a vraiment de plus banal. Bien sur que non, ça peut pas être banal, c'est une LOUTRE, qui trimballe une TROUSSE. Donc, BIEN EVIDEMMENT qu'elle parle ! Une âme artificielle. Il a une entrevue avec une âme artificielle. Rien de mal à ça, il aimerait garder son calme, quelqu'un qui fait appel à lui fait appel à lui, c'est tout, aucun jugement. Mais sur le coup...Non. Impossible de gérer.
'' Bonjour, bonjour ! C'est vous, Warren Riche Terre ? ''
'' Oui. Enfin, oui, mais- ''
Fébrilement, il ouvrit un petit tiroir, en sortit ce qu'il réserve communément aux grandes occasions, aux bonnes personnes ou aux négociations rondement menées ; un fin cigare, directement importé du Sud, ainsi qu'une petite boite d'allumettes. Il entreprit de l'allumer, mais son invitée n'était pas prête de lâcher sa veste.
'' Comment, ''oui mais'' ? C'est Monsieur Cloverfield que j'aurais peut-être du choisir, lui doit être sûr de qui il est ! ''
Cigare allumé aux lèvres, résister était futile. Il se leva d'un coup, renversant quelques papiers présents sur le bureau, et dans un accès de colère familier, frappa plusieurs fois du poing sur le bureau.
'' NON MAIS NON MAIS VRAIMENT NON C'EST SERIEUX CE TRUC ? MAIS J'AI UNE LOUTRE DANS MON BUREAU, POUR L'AMOUR DE LUCY ! MAIS JE DOIS SORTIR HURLER ! ''
Dans une précipitation relative ; il ne courrait pas, ne marchait pas excessivement vite, mais sa détermination, qui serait profondément visible dans ses yeux s'il ne portait pas ses lunettes, était telle qu'on eut l'impression qu'un Fenrir en chair et en os se dirigeait vers la porte d'entrée de l'étude, pour enchaîner sur la porte d'entrée vermeille des locaux de Lagoon. Il se serait bien arrêté devant la petite rousse gaffeuse, mais elle était introuvable -et tant mieux pour elle-. C'est donc à l'accueil général d'Althair qu'il se dirigeait.
Fulminant, tout le monde semblait l'éviter, c'est une véritable fourmilière, et tous savent qu'arrêter de bosser, même pendant un accès de colère de leur directeur, était passible de sanctions toutes aussi diverses qu'originales. Si bien qu'un cercle de facile trois mètres de diamètre de vide était constant autour de Warren, personne l'approchait. Ses hurlements, contrairement à ses fou rires, avaient la fâcheuse tendance à percer l'isolation du bâtiment ; la réceptionniste d'Althair, toujours fidèle au poste, presque formée pour supporter tout ça, allait subir toutes les foudres. Il se planta devant elle, éclata ses mains sur le bureau, la fumée du cigare semblant presque métaphorique, est-ce le tabac qui fume, ou bien les oreilles du survolté ?
'' UNE LOUTRE. ET UNE TROUSSE. Vous avez laissé entrer, dans ce GRAND bâtiment, une SATANEE LOUTRE et une trousse dotée d'une ÂME ARTIFICIELLE ? SANS personne physique ? ÊTES. VOUS. TAREE ? ''
La scène était sur-réaliste, bien sur, à sa prise de poste, les esclandres de Warren terrifiaient les employés. Heureusement ou malheureusement, ils s'y étaient fait. Attention, cela reste impressionnant, tout le monde reste à distance respectable, et jettent des regards inquiets. Ça a faillit déraper salement, il y a des semaines, quand, de sa lame, il avait menacé un employé pour voir si ''Et toi, t'as ce qu'il faut en toi pour réussir ici ou pas ?''. Le travail et le temps suivaient toujours leur cours, les bruits de pas et de papiers grattés les seules choses restant audibles, autre que la voix du blond, en tout cas.
- Regarde-moi ces glorieux gluteus maximus ! s’écria-t-elle enthousiaste à l’adresse de la loutre alors qu’elles retraversaient les couloirs qui les avaient menées de l’entrée au bureau d’entretien. Tu crois qu’il fait du sport, ou du sport ? J’aurai dû demander à Pamela.
Quoi gluteus maximus ? Ça manger ? s’interrogea innocemment Kaname comme elles arrivaient au premier accueil où l’homme exerçait toute la puissance de ses larges poumons.
- Sacré organe, commenta Apolline, appréciative des vocalises aux tons graves. Riche Terre et riches airs. Dommage que son public n’en apprécie toute sa somptuosité.
En dehors de la brave réceptionniste semblant être habituée à recevoir les foudres de son supérieur, il semblait que le reste du personnel s’était dépêché de trouver activités sous des auspices moins orageuses et avait abandonné l’entrée où se déversait en grandes pompes la colère de Warren.
- C’est pour ça qu’il faut un ficus au secrétariat ; c’est feng shui comme dirait Abou. Ça apaiserait les tensions visiblement latentes. Même si j’ai d’autres idées pour le détendre notre Riche Terre ; plus privées, poursuivit la trousse en partant dans un rire rêveur.
Et bien qu’elle fût loin d’être lasse du spectacle enflammé offert par l’homme incendiant l’hôtesse d’accueil, Apolline allait intervenir lorsque la porte d’entrée s’ouvrit à la volée et que deux silhouettes familières en franchirent le pas.
- Cal-bute ! hurla-t-elle de joie en offrant un horrible contrepoint à l’esclandre de Warren.
- C’est pas là, soupira de soulagement lo coursier-e avant de grimacer.
Prenant un peu trop rapidement la mesure de la scène se déroulant sous ses yeux, Vreneli dessina une arabesque menaçante par-dessus la tête de Calixte avant de fondre sur l’homme enragé.
- Oui ! cria l’espion-ne. Et chouette. Ah mais… youpi !
Cal bizarre, nota Kaname avec appréhension.
- Je crois qu’on l’a perdu, commenta Apolline. Ne me l’électrise pas, Eli ! ordonna-t-elle d’une voix amusée. Il est formidablement beau, tout feu tout flamme, mais y a des degrés où on y laisse des plumes.
Indécis, le teisheba vira au dernier moment pour virevolter au-dessus de l’étrange duo trousse-loutre, puis adressa un regard interrogateur vers Calixte.
- Ca sera pas mieux comme ça, grommela cet dernier-e en fermant d’un geste agacé la porte derrière iel et en portant sa main à son pendentif d’indépendance.
L’objet retrouva une fraicheur rassurante sous ses doigts, et iel fit rouler quelques phrases sur sa langue pour tester le rétablissement de son contrôle sur ses paroles. Avec soulagement, iel constata que la simple barrière physique entre l’animation de la rue et iel-même semblait avoir suffi à contrer le sort lui faisant déclarer tout l’inverse de ce qu’iel souhaitait dire. Satisfait-e de ce développement, lo coursier-e ramena pleinement son attention sur la pièce incongrue se déroulant devant ses yeux. Un voile d’incertitude emmaillota rapidement l’ambre de ses prunelles, et celle-ci rebondit de protagoniste en protagoniste à la recherche d’une réponse sensée. En vain.
- Cal-bute ! Voici Warren Riche Terre, dit le requin d’Althair – ou de Lagoon – même s’il tient plus du grognours enflammé, présenta Apolline sentant la confusion hébétée de l’espion-ne. Warren, voici Calixte Alkh’eir. De la famille du même nom. Hé Cal, pourquoi ta Prévoyance elle assurerait pas mes bouquins, d’ailleurs ?
- … quoi ? réussit tout juste à éructer l’interrogé-e en passant une main interloquée dans ses mèches blondes en essayant de résister à l’envie de se les arracher, tout en s’appuyant pesamment contre le comptoir de l’accueil commençant à se sentir défaillir. Qu’est-ce que tu… commença-t-iel avant de s’arrêter abruptement. Ça suffit, on rentre à la maison, ordonna-t-iel finalement d’un ton ferme comme iel remettait en place les différents éléments hétéroclites à sa portée.
Kana, Eli, on y va, ajouta-t-iel mentalement pour appuyer son propos.
- Mais j’ai pas encore parlé à Riche Terre de ses grosses bourses ! J’en veux une pour mon affaire !
- Monsieur Richter a certainement mieux à faire que d’investir dans tes livres pour adultes.
- A succès !
- Certes. Mais…
- Monsieur Plaiboy m’a dit qu’il a plein de librairies partenaires intéressées pour développer les affaires dérivées de mes romans !
- Peut-être. Mais…
- Et tu veux pas me proposer au moins la Prévoyance pour assurer Plaiboy le temps que ça décolle. Et crois-moi, ça ne peut qu’aller au septième ciel. Mais je comprends qu’Eno te fasse peur. Elle est sexy, mais dans le genre flippant. Cuir, fouet, donjon et tout et tout. Hé ! Je pourrais écrire la « Pré voyance de l’alter-monde ». Y a un truc à faire.
- Non, mais…
- J’comprends, j’comprends. Monsieur Riche Terre, notre entretien aura été bref mais intense, vous garderez à jamais une place privilégiée dans mon cœur, et dans mes scénarios à venir. Je vous ferais porter la collection dédicacée de mes œuvres afin que vous gardiez un souvenir ému, si ça n’est humide, de notre rencontre. P’tet même sera-t-elle portée par Cal-bute, s’il change pas de voie d’ici-là. Vous recrutez pas, à tout hasard ?
- Apo… soupira Calixte en attrapant enfin l’irrévérencieuse trousse pour la balancer sans ménagement dans son sac-à-dos comme Kaname avait sagement obéi pour venir à sa hauteur. Je vous présente toutes mes excuses pour… tout ça, poursuivit l’espion-ne en indiquant d’un geste vague de la main le « tout ça » dont l’entièreté lui échappait encore. Néanmoins, avant de vous libérer de notre présence, auriez-vous des sanitaires à proximité, ou une corbeille pas trop remplie ?
La fin de sa demande mourut dans des aigus précipités, et alors que la réceptionniste lui fourrait entre les bras une poubelle à papier encore vide, lo coursier-e laissa libre cours aux affres de sa grossesse. Une main instinctivement protectrice sur l’arrondit de son ventre, l’autre cramponnée au récipient de ses aigreurs, iel déversa le peu de contenu que son estomac possédait encore avant de vaciller sur ses jambes pour lever un regard contrit sur la femme de l’accueil et son terrible patron.
- Pardon, c’était fort indélicat de ma part. Où est-ce que je peux aller jeter ça ? demanda-t-iel d’une voix mal assurée.
- Gage RP bataille d'eau:
- En souligné: "Durant un poste, votre personnage doit dire tout l'inverse de ce qu'il veut dire (minimum 3 phrases de dialogues)".
Reprenant peu à peu ses esprits, de concert avec une respiration en voie d'être plus stable, il soupira et prit en compte les dernières paroles de l'âme artificielle, tout en s'étant préparé à repousser, de plusieurs revers de la main, un teisheba qui voulait vraisemblablement s'en prendre à lui, préparation mentale au final rendue caduque par l'intervention de la dénommée Apolline. Brièvement ainsi que de bien mauvaise manière, il fut introduit à la nouvelle arrivante. Calbute. Mais dans quoi s'était-il fourré en acceptant ce rendez-vous ? S'il avait su un dixième des événements, il y aurait repensé à trois fois au bas mot.
Se recoiffant de manière distraite, resserrant son nœud de cravate, dépoussiérant sa veste, écrasant son cigare sur le comptoir, il ne put qu'être spectateur du spectacle qui s'offrait à lui, la pièce de théâtre la plus folle ne rendrait pas honneur à ce qui se passe à l'instant, la vraie vie est parfois plus surprenante que les fantasmes d'écrivains. Donc, Calbute ou Calixte ? N'importe, dans les deux cas, il s'agit soit d'un prénom, soit d'un sobriquet, plutôt adaptés à un personnage masculin. Des prénoms sont biens donnés à la va vite ou sans considération, il peut l'entendre. Son éducation laisse à désirer, puisque le nom Alkh'eir lui paraît en premier lieu inconnu, du moins, aucun son de cloche ne fit écho dans sa tête. Troublé, ce n'est pas le genre de détail sur lequel il s'attarderait, du moins.
Donc, c'était une demande d'investissement, comme prévu. Dans des livres destinés à un...Certain public dont il ne faisait pas partie, même si le nom de Plaiboy lui était familier pour moult autres raisons. Il se frotta la mâchoire ; le menton. Ce n'est pas une demande qu'il balayerait, loin de là. Il garderait cependant son nom dissocié de tout ça, trempant déjà dans des affaires peu ragoûtantes, certains clients pourraient bien se foutre de lui s'ils apprenaient tout ça. Le calvaire demeura de courte durée, exprimant ses confuses, la jeune femme rangea rapidement son objet animé, si bien qu'il n'eut pas l'occasion d'exprimer sa réponse, aussi positive aurait-elle été.
'' Je vous en prie, pas de pro- euh, corbeille ? ''
Il n'était pas sortit de l'auberge pour autant, même avec une interlocutrice faite de chair et de sang, qui le prouva bien en se libérant d'un fluide gastrique qu'il ne saurait voir. Ouais, définitivement enceinte, le doute n'est plus permis. D'une efficacité à toute épreuve, à l'image de tous ses employés, c'était la femme qui, depuis son bureau, avait tendu la corbeille, à présent récipient de malheur. Depuis son arrivée, cette personne ne fait que se confondre en excuse, presque de quoi le prendre en pitié. Non, il n'irait pas jusqu'à flirter avec une femme dont le tiroir contient déjà un polichinelle, il a des principes. Minces, mais existants. Rien ne l'empêchait toutefois de se trouver être un parfait gentleman. Autour de lui, l'ambiance était moins pesante, mais toujours peu sereine. C'est quand il est parfaitement calme que Warren se trouve être un malin tyran. Et il allait en faire la démonstration. Il claqua juste des doigts.
'' Secrétaire. Occupe toi de...Cette chose. Veux-tu ? ''
Visiblement réticente, la réceptionniste ne savait sur quel pied danser et piétinait un peu sur place. ''C'est que...C'est un peu sale.''. ''Moi même, ça me donne envie de...Rendre.''. Ces excuses n'étaient pas son problème, il fallait s'en occuper de suite, appeler une personne affectée au nettoyage prendrait plus de temps qu'il ne veut en disposer. Tournant vivement les talons, plongeant ses pupilles dans celles de l'employée, il retira ses lunettes. De suite, les regards se portèrent vers le sol. Sauf celui de sa victime, désespéramment coincé dans les pupilles du blond. S'il avait réussit à ''briser'' Pam, celle là n'avait pas encore bien compris à qui elle s'adressait.
'' Écoute. Tu va prendre cette corbeille. Et en disposer. J'en ai strictement rien à carrer d'où. De comment. Mais faut que ce soit loin. Et vite. Sinon, Ô que Lucy m'en soit témoin, je jouerais de toutes les relations possibles et imaginables pour que tu finisses par vivre sous les ponts après t'avoir licenciée et sortie d'ici à renforts de grands coups dans le fondement, et non, pas ce genre de coup. '' Il remit ses lunettes, et arbora un ironique grand sourire sympathique. '' Bien ? Bien ! Sur ce. ''
Reprenant sa position initiale, il s'approcha de la dénommée Calixte, talonné de près par une employée tremblotante au regard erratique, qui s'accapara la corbeille d'une main peu assurée, avant de partir Lucy sait où. Galant, il posa délicatement ses mains sur le corps de la femme enceinte, priant pour que l'odeur de tabac ne lui provoque pas un nouveau haut-le-cœur, se voulant un appui pour la diminuée.
'' Je vous en prie, venez avec moi, vous serez bien mieux dans mon bureau. Votre...Loutre et votre oiseau peuvent vous accompagner. ''
C'est ainsi que servant de point d'appui, les deux se retrouvèrent dans un premier temps dans les locaux de Lagoon, où Pam fut royalement ignorée. Encore eut-il fallut qu'elle se trouve à son poste, judicieux choix qu'elle dût faire d'aller se planquer aux archives. Poussant, au fond du couloir, la porte de son bureau, il laissa s'asseoir sa nouvelle invitée, non pas sur son propre fauteuil, ne forçons pas, mais sur un autre, celui des clients. Il avait encore eut le temps, depuis la dernière fois, de meubler, ranger, aménager cette pièce, si bien qu'il n'était nullement désagréable pour elle d'être installée ici. Se postant à côté d'elle, il ancra ses mains sur ses hanches, mettant toujours plus son physique en valeur, et l'observa d'un léger rictus aux lèvres.
'' Bon. Vous allez mieux ? Vous voulez quelque chose ? De l'eau, peut-être ? ''
Il avait lui même un grand respect pour les mères, qu'elles aient déjà donné la vie ou non. De là à dire que la sienne lui manque... ? Oui. Sans doutes. Aucune velléité de faire son paternaliste ou son protecteur ici. Du simple bon sens. Et puis, qui sait ce qui pourrait en découler ? Déjà, cette histoire de trousse l'intrigue plus qu'il ne saurait et n'oserait à présent en parler. Ouais, déjà, ce serait cool qu'elle s'explique sur tout ça.
Celles-ci furent aisément déroutées par la poigne tremblotante mais résignée de la secrétaire à laquelle iel abandonna docilement son indélicat souvenir, et s’éparpillèrent encore davantage lorsque le corps robuste de Warren Richter s’approcha du sien. Le temps d’une seconde, et d’un bref moment de panique cultivé par de dernières lunes psychologiquement éprouvantes, Calixte crut que l’homme allait physiquement lo jeter hors des murs de l’entreprise afin de retrouver la quiétude qui, nul doute, régnait précédemment avant l’arrivée d’Apolline et Kaname. Il n’en fut cependant rien, et lo coursier-e fut rapidement soulagé-e en constatant que Warren lui proposait en réalité son soutien. Pour aller dans son bureau. Dans un nouvel élan d’inquiétude, les sourcils de l’espion-ne s’arquèrent haut sur son front, et iel passa un bras mal assuré autour de celui galamment tendu. Loin d’être à un stade très avancé de sa grossesse, Calixte avait cependant l’impression d’être écrasé-e par le poids de celle-ci – assurément son dos ne survivrait jamais à la traction de plus de kilogrammes, et ses muscles abdominaux céderaient à cette expansion douloureuse semblant infinie ; était-on réellement fait pour subir pareille transformation beaucoup trop drastique ? – mais iel était tout à fait lucide sur la part morale entérinant son ressenti physique, somatisant complètement le pesant morcellement de son âme.
- Merci, répondit-iel automatiquement d’une voix presqu’interrogative. C’est un teisheba, rectifia-t-iel machinalement comme le familier se repositionnait au-dessus de sa tête, levant de blonds points d’interrogations des mèches fugueuses de sa natte partiellement défaite.
Trop proche, grogna Vreneli en dardant un regard plein de méfiance sur Warren Richter. Attaquer ?
Non, non. Il m’aide juste à aller à son bureau pour heu…
Apo a bouquins qui commencent comme ça ; Eli pas aimer. Attaquer ?
Heu non. Je pense qu’il veut discuter ? Ou se montrer aimable ?
Louche ça. Attaquer ?
Non, Vren, non. Au pire, s’il sort vraiment son éléphant, tu pourras attaquer à ce moment-là. Mais j’en doute fortement.
Mpf. Eli guetter éléphant.
Oui, voilà, soupira l’espion-ne sans se rendre compte que le teisheba perché sur sa tête observait à présent ostensiblement l’entrejambe de l’homme, ni qu'iels fabulaient probablement étant donné qu'il n'y avait pas de zone connue pour abriter des éléphants en Aryon.
Déjà passées là, nota joyeusement Kaname, alors qu’ils traversaient un nouvel espace où une secrétaire rousse s’affairait tant bien que mal. Bureau Riche Terre, ça.
Parcourant les courbes sobres mais raffinées de la salle de son regard ambré, Calixte se laissa amener jusqu’à la chaise visiblement réservée aux clients de monsieur Richter. Le séant posé, iel ne s’en sentit pas tellement plus à son aise, se demandant toujours comment iel avait pu passer de son lot d’excuses pour mettre les voiles à une invitation dans le bureau du patron de la compagnie Lagoon. Assurément avait-iel loupé quelque chose quelque part. En d’autres circonstances – à commencer sous sa forme masculine, déjà moins aux affres de sa situation gravidique féminine – lo coursier-e aurait trouvé très intéressante cette opportunité d’un tête-à-tête avec celle d’une florissante entreprise. Présentement, iel se sentait surtout comme une petite souris amenée à l’entrée d’un labyrinthe dont elle ne connaissait rien et dont il lui faudrait retrouver la sortie. Avec quelques passages un peu serrés pour sa taille.
- Oh, heu, c’est gentil de vous soucier de ma santé, répondit Calixte partagé-e entre la curiosité de laisser son regard vagabonder alentours et la prudence de le garder vissé à son hôte imprévu. Mais n’avez-vous pas d’autres impératifs ? Ne vous retiens-je pas d’un temps précieux sur votre planning ?
Tripotant distraitement l’une des coutures de manche de sa tunique estivale, iel choisit finalement de river tout à fait l’ambre de ses yeux sur la silhouette imposante de Warren Richter.
- Mais peut-être souhaitez-vous un dédommagement pour celui consommé précédemment par Apolline ?
Réalisant qu’iel tenait certainement là la raison de toute la bienveillance de l’homme, l’espion-ne se redressa légèrement sur sa chaise, carrant les épaules tout en écarquillant ses prunelles comme deux billes, et débita très vite :
- Apolline ne cherchait pas à mal – elle est de toute façon d’une complaisance presqu’absolue quoi que d’un degré très particulier – et souhaitait très probablement sincèrement votre soutien dans le développement de son affaire. Qui consiste actuellement dans l’écriture et la diffusion de récits érotiques. Ce qui est, je le conçois, un domaine qui peut rebuter d’aucun pour tout un tas de raisons. En ce sens, il est notamment vrai que je n’ai pas osé la présenter à ma famille, gérante de la Prévoyance des Alkhaia de Eliëir au Grand Port. Je ne suis déjà pas en odeur de sainteté auprès de mes pairs ; il est certain que, pour toute sa bonne volonté, l’introduction d’Apolline auprès d’eux me vaudrait l’excommunication. Même si peut-être…
Le temps de quelques secondes suspendues, les pensées de Calixte s’effilochèrent à nouveau contre les arrêtes mordantes de son âme fracturée, et ses songes se perdirent sur les chemins tortueux des terribles possibilités qui s’offraient à iel. Car finalement, après avoir quitté les espions, puis peut-être la Garde, serait-il si dramatique de perdre aussi son nom ? Celui qu’iel n’avait fait que porter par habitude, que servir par enthousiasme naïf, et dont iel n’attendait rien ni ne pouvait rien attendre. L’arrondi ambré suivit distraitement la silhouette en angles taillés à la serpe de Warren, se demandant ce que l’homme aurait été capable de faire à sa place. Tout, assurément. Il se dégageait des traits mesurés comme du regard affûté du patron de la compagnie Lagoon une aura charismatique terriblement imposante qui, l’espion-ne en était certain-e, était capable de tout balayer sur son chemin. Une audace portée à même le corps, qui avait servi son propriétaire jusqu’à le propulser au rang qui était présentement le sien. Un temps, Calixte se demanda quelles pouvaient bien être les valeurs d’un tel personnage, et si elles résisteraient plus férocement aux pieux implacables qui avaient raviné les siennes.
- Pardonnez-moi, reprit-iel brusquement en massant ses tempes. Je m’inquiétais de votre temps et voici que je me l’accapare éhontément. Ce que je voulais dire, et qui m’a pris une disgression, c’est : comment puis-je vous dédommager de l’outrecuidance d’Apolline ?
Une pensée, saugrenue, effleura soudainement son esprit en éclat.
- A moins que vous m’ayez invité jusqu’ici juste pour un verre d’eau ? Auquel cas je, heu, l’accepterai avec plaisir.
Ça accompagnerait merveilleusement bien la petite gomme mentholée qu’iel venait de glisser entre ses lèvres pour dissiper l’arrière-goût acide laissé par ses derniers renvois.
Enfin, un temps mort, un léger blanc qui lui permettrait enfin de faire vibrer ses propres cordes vocales. Récapitulons rapidement : elle avait l'impression de s'imposer, faire perdre du temps à Warren, soit la ressource la plus précieuse dont il peut disposer, jongler avec ça avait été infernal depuis quelques semaines, mais ça va, il gère. Les excuses ne volaient pas en tous sens, déjà un avantage, quelle lourdeur que de se manger des secondes et des secondes de repentir. Toujours planté à côté d'elle, ses bras se croisèrent, droit en avant, et il soupira. Donc, cette Apolline, c'était une connaissance de...Mademoiselle Alkhaia de Eliëir ? Merde, déjà que Richter, Renmyrth ou Weiss sont des noms à coucher dehors, cette particule rendait le tout bien plus complexe que nécessaire. Son flair restait infaillible, cependant : Ça fleurait bon le gros poisson. Dommage que les mots ''Prévoyance'' et ''Grand Port'' aient été prononcés ; il ne connaît rien de l'un, n'a pas la main mise sur l'autre. La présence d'une héritière a la capitale serait peut-être le moment rêvé pour enfin mettre pied en d'autres secteurs ? … Et subir les foudres de l'archonte du Grand Port, tant qu'on y est ? Ouais, mauvaise idée au final.
'' Je vous fait apporter ça tout de suite. ''
Tournant prestement les talons vers la porte de son bureau, Warren n'est pas homme à s'occuper des petites tâches comme celle ci. Et puis, de l'eau ; vraiment, qui boit ça ? Le matin encore, potentiellement, ça peut passer. Si le degré de la boisson ne dépasse pas quatre, y-a-t-il vraiment la volonté de se faire plaisir ? Passons. Posant sa main sur la poignée, ses yeux toujours couverts par ses verres se portèrent sur le long couloir. Elle était encore là. Il le savait. Allez. Une grande inspiration.
'' PAM ! De l'eau ! TOUT. DE. SUITE ! ''
Charmant comme méthode. Mais passons, alors que le blond se dirigea vers son propre fauteuil sans oublier au préalable de faire mine de prendre un livre aléatoire dans le meuble situé directement derrière son bureau ; d'une belle couleur violette, ce choix était nullement dû au hasard. Le nom évoqué puait la noblesse à des lieues à la ronde, eh, sans doutes est-il possible que même depuis le Grand Port, l'odeur de cette famille empeste dans la capitale. Enfin posé confortablement, il l'ouvra et commença à éplucher ce qui se trouve en réalité être un recueil de familles nobles d'Aryon ; commencé sous l'impulsion de l'ancienne tête de la branche, continuée par le fringuant Richter. Si ce nom était inscrit ici, il ressortirait tout plein d'informations plus ou moins utiles.
'' Donc. Maintenant que j'ai l'occasion d'en placer une. '' Sourire malicieux. Aucune intention de vouloir du mal ou de vexer ici. '' Vous êtes bien renseignée ; mon temps est précieux, comme celui de tout entrepreneur à vrai dire. Je peux bien prendre pour vous et votre, hm, condition spéciale tout le temps qu'il vous faudra pour vous remettre de vos émotions. ''
Tout en parlant, ses yeux alternaient entre le cahier et la femme ; cherchant nom dans les écrits, expressions sur le visage. Dans les deux cas, rien de particulier ne ressortait, bien qu'un seul d'entre eux sorte du lot. Pas étonnant qu'il n'y ait rien d'écrit, comme pensé précédemment, rien ne peut relier la branche de la Capitale aux événements du Grand Port, il se passe tellement de choses dans la grande ville que Warren ne peut se permettre de décaler ; ça vit et bouge tellement que si elle était un organisme, elle prendrait dix ans à chaque Lune qui se lève. C'est en tout cas de cette manière qu'il s'auto-persuade. Non, plus étonné du fait qu'il ne décèle rien sur le visage de la noble -apparemment ? Supputons. Qu'il n'y ait rien à déceler est une chose, l'autre bout étant de connaître la raison ; rien à cacher ou tout à déguiser ? Quoi qu'il en soit, il referma précautionneusement l'ouvrage pour le relâcher sur le bureau.
'' C'est une affaire bien étrange que votre trou- amie allait me proposer. J'ai juste été...Surpris par la tournure des événements. Voyez vous, j'ai plus l'habitude de négocier avec des êtres de chair et de sang. Je n'ai aucune connaissance en, utilisons les termes, écriture et édition d'ouvrages portés sur l'érotisme. J'ai pas vraiment besoin d'en lire. '' Un sourire ; plus entendu et appuyé, cette fois ci. '' Il existe tout de même un monde ou je pourrais être intéressé. Je suis un homme aventureux et curieux, deux soifs que j'adore combler. Parmi tant d'autres. ''
C'est à ce moment qu'on toqua à la porte. Le silence en dit long sur la réponse du patron, si bien qu'elle s'ouvrit, laissant passer une petite tête rousse. D'un geste de main, il l'invita à rentrer et poser verres et carafe sur le bureau, à côté de la dame. Signe de tête approbateur en guise de remerciement, mimé par la secrétaire qui sortit immédiatement afin de vaquer à des tâches sans doutes répétitives et peu intéressantes. Le bras de Warren s'allongea afin de servir sa visiteuse de ce liquide transparent, sans en faire de même pour lui.
'' C'est pour vous reposer et vous remettre que je vous ai faites entrer. Rien de plus. ''
Le blond n'est pas du genre menaçant, loin de là. Mais il sait reconnaître un individu qui ne baigne pas dans son élément ; le regard un peu perdu, vagabondant, perdant pied dans l'ambiance du lieu et de tout ce qu'il peut représenter, écho de la prestance de son directeur. Désinvolte, patibulaire, il s'affala en arrière sur son assise, sa dextre pianotant sur son pupitre alors que son bras gauche vint reposer sur le dossier de son fauteuil.
'' Oui. Rien de plus. Je penses pas que ce soit le genre d'endroit où vous voudriez restez sciemment, sans raison valable du moins. Sauf si... '' Il se bascula en avant, coudes sur le rebord du meuble, mains jointes par les doigts sous son menton, comme pour supporter le poids de sa tête. '' Vous pensez avoir quoi que ce soit à faire avec Lagoon ou Althair ? ''
Cela pouvait toujours être intéressant, comme approche. Voir si la biche panique ou parvient à maintenir un semblant d'intégrité, de bon sens. Et qui sait ? Elle peut bénéficier d'une soif accrue d'en apprendre plus, de se dire un ''pourquoi pas ?''. Il cherchait toujours une secrétaire ; après tout. Laisser Pam s'occuper d'Althair ; plus confiance en elle à la vue de tous les services rendus, et mettre ce petit bout à la tête de la paperasse de Lagoon. En cloque ou non, un joli minois est toujours plus vendeur qu'un visage balafré et sombre, chose dont il ne manque pas ici à vrai dire. Pourquoi pensez-vous que les hôtesses des tavernes sont toutes de magnifiques petites créatures agréable à l’œil -et au toucher pour les plus aventureux ? Car c'est ce qui fait dépenser. Mince, ça marche bien sur Warren, en plus.
- C’est fort aimable de votre part, remercia-t-iel son hôte pour le rafraichissement avec une sincérité étiolée de la prudence de cellui observant les crocs présentés par une vipère. Je vous sais gré de cette considération pour mon état.
Comment aurait-iel été reçu-e, s’iel s’était présenté-e sous son visage masculin, habituel ? Aurait-iel seulement pu franchir le seuil de la compagnie avant de se faire mettre à la porte manu militari avec Apolline et Kaname ? Peut-être, ou pas. S’il semblait être un individu particulièrement sanguin, Warren Richter paraissait sous-entendre que l’affaire singulière de la trousse de cuir pourrait peut-être l’intéresser. Hésitant à sortir cette dernière de son sac-à-dos afin qu’elle reprît ses négociations, Calixte n’en fit finalement rien à la tournure que prenait leur entretien. Il serait toujours temps de mettre au parfum l’âme artificielle par la suite – si elle ne l’était déjà de son oreille trainante – car alors se défaire de son enthousiaste impudence relèverait de la gageure. Et, présentement, l’espion-ne était déjà exténuée à cette simple pensée.
- Je vous avouerai que c’est le genre de compagnie que j’apprécierai pleinement en d’autres circonstances, mais je crains que les dernières lunes n’aient écharpé mes capacités sociales, poursuivit-iel avec un léger sourire contrit.
Vraiment, sous d’autres auspices, la curiosité de Calixte aurait pu se montrer bien plus loquace que l’insolence d’Apolline. Il y avait dans ce bureau, dans la présence de Warren, un trésor de mystères attrayants que son cerveau, dans son état normal, se serait fait une joie d’effeuiller.
- Ne prétendons, ni vous ni moi, que si votre temps est précieux, votre attention ne l’est pas moins. Votre réputation vous précède ; dans ses versants les plus tranchants comme les plus enviables.
Si les habitudes d’une vie de services auprès de sa famille avaient instinctivement engrangé les rouages de sa fibre, au demeurant quasi inexistante, commerciale alors qu’iel appréhendait l’univers des compagnies Althair et Lagoon, les derniers propos de Warren avaient fait bourgeonner dans son esprit l’ébauche de possibilités intéressantes, si ça n’était salvatrices, dans le contexte de son futur en roue libre.
- Tout d’abord, je pense que je peux vous proposer, sans trop m’avancer, le concours de la Prévoyance des Alkh’eir à vos entreprises. Il s’agit d’un système d’assurance, précisa-t-iel en sentant l’absence de reconnaissance de son interlocuteur à la mention du terme. En contrepartie d’une cotisation régulière préalable, vos investissements connaissant une évolution défavorable peuvent ainsi être remboursés en cristaux ou autres avantages, afin de limiter, voire annuler, vos pertes. Je vous laisse les coordonnées de ma sœur, Enora Alkh’eir, qui sera ravie de discuter de l’affaire avec vous, dut-elle éveiller votre intérêt. Abou ?
A la mention de son surnom, le sac-à-dos militaire farfouilla de ses sangles l’une de ses poches latérales, et tendit un carton encré des armoiries et des coordonnées de la noble famille du Grand Port à l’espion-ne, qui le glissa sur le plateau lisse du bureau de Warren.
- Certaines habitudes ont la vie dure, commenta-t-iel en haussant les épaules sous le regard acéré de son interlocuteur. Il semblerait que par-delà les plaines d’Aryon le devoir familial prévale, malgré tout. D’ailleurs, si vous deviez leur adresser un courrier, vous avez à votre disposition mes services. En ce sens que je suis coursier ; pour la Garde, certes. Mais un détour de plus sur ma tournée ne modifiera pas drastiquement mon planning.
Doucement, le lit de certaines routines avait apaisé l’incertitude en éclats tranchants de son âme, adoucissant l’inquiétude qui l’avait saisi-e en pénétrant dans l’édifice – en réalisant l’escapade imprudente d’Apolline et Kaname – et faisait celui d’une idée nouvelle, pourvoyeuse d’occasions, lui offrant le confort temporaire d’un espoir aveugle.
- Ce qui m’amène à un second point, parfaitement égocentrique, cette fois-ci. Comme vous avez pu le constater, ma condition présage quelques aménagements de ma vie future. Je suis encore dans l’expectative, et ne souhaite rien précipiter, néanmoins je ne suis pas certain de vouloir rester dans la Garde avec la naissance, si Lucy le veut, de ces deux enfants, avoua-t-iel en portant, instinctivement, sa main libre contre le relief arrondi de son ventre. Mes questions pour vous, monsieur Richter, sont donc celles-ci : avez-vous éventuellement des offres d’emploi auxquelles je pourrais postuler, et dans quelles conditions, le cas échéant, accueilleriez-vous une jeune mère dont la majorité de ses obligations concernerait ses enfants en bas âge ?
Une curiosité latente, souvenir d’une ancienne caractéristique viscérale, affleurait la surface de son être, transparaissant en doux scintillement dans le reflet ambré de son regard, patiemment posé sur la silhouette implacable de son vis-à-vis. C’était certainement là une question qui aurait pu être gérée par l’un des secrétaires du gérant de la compagnie Lagoon, mais puisqu’il l’avait invité-e à s’exprimer sur le sujet, Calixte s’était laissé-e happer par l’hameçon lancé vers iel. L’avenir immédiat lui dirait quel type de pêcheur l’amènerait vers la surface. Et peut-être y avait-il là une certaine symbolique à ne pas nier.
Ses oreilles émirent un petit mouvement, à l'affût de bien des choses, mais surtout à l'entente des mots '' système d'assurance ''. Ainsi donc, cette famille verse dans un business relativement semblable au sien, dans le sens purement prolifique du terme ; des entreprises basées sur l'extorsion, n'ayons crainte des mots, c'est ainsi qu'il voit tous ces systèmes '' d'assurances ''. Accessoires, anecdotiques, mais parfois présentées de manière si impériales, si immanquables, que ça passe comme une lettre livrée par son meilleur coursier. Cependant, le dirigeant d'Althair pour la capitale, et à un autre niveau, la tête de Lagoon, n'a pas vraiment besoin de ce genre de services ; il se sert de lui même sans faire appel à un quelconque organisme autre sa propre tête et les gros bras qui lui servent de caution physique.
Tendant le bras pour se saisir de la petite carte de visite, il l'analysa tout en écoutant d'une oreille laconique le reste de ce que la future mère avait à lui dire. Enora Alkh'eir, donc. Abréviation du nom ? C'est sous cette identité qu'il aurait pu trouver quelque chose dans son registre, au final. S'en emparer de nouveau serait des plus suspects, si bien qu'il décida de le laisser reposer là où il avait été relâché, sur le bureau.
Attendez deux minutes.
Le Grand Port ?
Jusque là, ses activités s'étaient limitées dans un champ d'action prédéfini, la capitale, ce qui n'allait pas en s'arrangeant, avec ses nouvelles responsabilités éreintantes d'Archonte et de tête de branche. Déjà tant à faire, tant à voir, tant à gagner que se lancer sur l'ensemble du territoire ne contribuerais qu'à une chose, continuer à le faire vieillir prématurément à force de se tuer à la tâche. Tiens, rien qu'hier, en se recoiffant, au milieu de la marée de cheveux blonds, un faisait tâche ; blanc, par Lucy, son zèle à la tâche lui donnait des cheveux blancs ! S'allier à une grande famille, ailleurs, pourrait faire rayonner de manière artificielle son empire au delà des murs de la cité principale.
'' Je suis des plus familiers avec ces systèmes d'assurance. On ne peut dire que j'en propose directement ni que j'en bénéficie. Mais c'est tout comme. Cependant, ça m'intéresserait en effet, je ferais probablement appel à vos services pour commencer en premiers lieux une correspondance avec votre famille. Je m'en occuperais personnellement, cela va de soi. ''
Car la jeune femme se trouvait donc être coursière, hein ? Pour la garde, de surcroît. Ne reste plus qu'à prier Lucy que ce ne soit pas des problèmes qui aient tapé à sa porte, comme cette fois là, ou même si elle est repartie bredouille, la garde royale ne semblait pas désirer lui lâcher la veste. Quand ce n'était que les petits bureaux paumés de Lagoon, il était si simple de leur passer sous le nez, on dirait bien que sa vertigineuse ascension avait suscité de l'intérêt partout, et de tous poils.
Sourcils arqués à l'évocation d'un second point, il commençait de plus en plus à douter de la sincérité de la garde, elle se trouvait bien demandeuse pour une personne dans son état de santé, et dont la visite n'est dans sa finalité qu'opportune, c'est bien avec la dénommée Apolline qu'il avait un entretien, pas la coursière. Néanmoins, autant profiter de ce temps qui avait été de surcroît réservé pour autre chose, n'est ce pas ? D'autant plus qu'il est apte à répondre aux attentes demandées. Althair, Lagoon, les effectifs ont sans cesse besoin d'être renouvelés, rafraîchis, multipliés. Et prendre sous l'aile de la compagnie une jeune mère de famille n'est pas plus problématique que ça, ici, c'est racismo et sexismo no. S'emparant d'un autre registre sans piper mot, il en tourna lentement les pages.
'' Lagoon ne vous conviendrait sans doutes pas ; vous n'avez pas le bon profil. Par contre, on peut bien vous trouver quelque chose au sein d'Althair. Je cherche toujours quelqu'un pour assurer mon propre secrétariat, Pam doit actuellement tout effectuer elle même, j'adorerais pouvoir la décharger, mais les bons candidats se font rares. On a également toujours besoin de coursiers, si toutefois vous ne souhaitez pas changer de plan de carrière. Nous offrons sans doutes beaucoup plus d'avantages que ce que la garde peut vous offrir, je ne peux prétendre connaître tous les tenants et aboutissants de votre situation. Mais votre maternité approchante n'est pas un soucis ; nous saurons composer avec. ''
Inutile de se lancer dans des diatribes, prêchant à quel point Althair est une belle et attractive entreprise. Et vaut mieux ne pas le lancer sur les gosses. Ces petits morveux qui ne font que bouffer des années de votre vie. Deux, en plus, vraiment, pauvre d'elle. Pas étonnant qu'elle souhaite quitter le trou à rat qu'est la garde pour s'assurer une meilleure stabilité pour sa famille. Après, cela demandera des impératifs auxquels Warren est loin d'être prêt, si ce n'est jamais. Tient. Idée.
'' Ah, si. Peut-être pour Lagoon, finalement...Oui. Avec ces obligations, je manque de temps et de personnes dont les qualités et intelligence sont des attributs principaux. J'aurais besoin de quelqu'un, qui sonderait les commerces de la capitale. En saisir le potentiel, pour leur propre bien, mais aussi celui de Lagoon. '' Il remonta ses lunettes dans un sourire mystérieux. '' Je demande pas de se salir les mains. Disons que certains sont réfractaires à la collaboration, peut-être qu'un joli minois rendrait les informations un peu moins confidentielles. Et cela, en toute liberté, sur votre temps libre – vos enfants passeront avant, cela s'entend. ''
Tout ce qu'il lui demanderait, c'est de faire en sorte d'écumer les nombreuses échoppes, commerces, artistes de la capitale. Se renseigner, sur leur capital, leurs moyens, leurs besoins, tous les aspects sur lesquels Lagoon pourrait apporter son aide. Et le blond n'aurait plus qu'à les avoir dans la paume de la main, prêt à les cueillir ou les écraser. Prémâcher le travail, somme tout.
'' Le choix vous appartient. Je ne demande pas de décision hâtive ; sachez toutefois qu'il y a des postes disponibles de manière presque quotidienne. ''
Heureusement, la voix de Warren Richter était tout sauf d’une douceur assoupissante et, malgré son corps courbatu et son esprit fourbu, Calixte ne perdit pas une miette des propos de l’homme. Comme du cheminement de ses pensées, ou tout du moins de la partie visible qu’il voulait bien laisser s’exprimer sur le devant de la scène, car iel se doutait que son influent vis-à-vis ne lui présentait que le sommet de l’iceberg de son raisonnement. Et ses propres songes trouvèrent écho à celui-ci, s’aventurant, avec circonspection puis curiosité, dans le chemin des possibles qui leur était ainsi profilé. Un temps, les mots du gérant l’amenèrent au détour séduisant de la stabilité d’un travail de bureau. Auprès de ses amis de la Capitale, d’une secrétaire débordée mais sans doute sympathique, et d’un supérieur au fougueux caractère mais surtout intéressant, écrasant tout risque d’ennui, de routine. Les prunelles ambrées de l’espion-ne se focalisèrent avec davantage d’attention sur la forte stature qui leur faisait face ; quel genre de journée pouvait bien l’attendre s’iel décidait de passer celles à venir au contact quotidien de Warren Richter ? S’en amuserait-iel ? Ou périrait-iel doucement comme le petit bois se consume à la flamme d’un brasier trop intense ?
Mais l’homme ne s’arrêta pas sur cette idée-ci et l’entraîna sur le sentier plus familier de son travail de coursier-e, et ses doigts desserrèrent leur accroche quelque peu crispée contre les reliefs arrondis de son verre d’eau. Iel qui avait toujours aimé l’inconnu, et les défis, trouvait soudainement ancrage dans la prudence et l’ordinaire. Brièvement ses songes retournèrent dans les ténèbres de l’île volante, voilant son regard d’un doute infini lacé de tristesse, et ils ne refirent surface que lorsque le terme « maternité » franchît les lèvres assurées du gérant de Lagoon. Les dernières certitudes emmaillotant l’esprit éclaté de Calixte étaient rares, et ne tenaient plus qu’à quelques réalités primaires. S’iel n’avait pas été dénudé-e de toute décence par sa vie d’espion-ne, iel aurait pu en avoir honte et rougir. Mais cela faisait longtemps que ce genre de considération ne l’embarrassait plus.
Portant le reste de son breuvage à sa bouche, iel se força à se concentrer à nouveau pleinement sur les propos de son interlocuteur. Qui, encore une fois, semblait décidé à l’emmener le long des chemins du possible, chose qui, présentement, l’intéressait et l’effrayait quelque peu. Comment pouvait-iel encore savoir ce qui pouvait être bon pour iel, pour Solveig, pour ses enfants à venir, alors qu’iel avait trahi les siens jusqu’à oublier cet acte assumé ? La voix puissante de l’homme face à iel lui offrait un horizon d’occasions toujours plus intrigant et séduisant, mais rien n’était plus perturbant et angoissant que sa grandissante confiance dans les capacités de celui-ci à lui trouver sa voie de secours. L’assurance de Warren Richter était une mélodie envoûtante pour ses oreilles comme pour son être raviné de doutes, et iel pouvait sentir les prémices d’un espoir s’entortiller toujours plus avidement contre les propositions de celui-ci. Et comme il serait doux, de simplement répondre à l’appel de ce charmeur d’âmes indécises, de se laisser guider aveuglément par son rassurant aplomb. Comme il était terrifiant, aussi, de simplement envisager cette perspective.
- Je me suis mal exprimé, choisit-iel de répondre après les derniers chants de sirène du gérant de Lagoon. Bien que je vous sois reconnaissant de m’avoir brossé un si large éventail de possibilités.
De tentations. Et la plus fourbe d’entres elles, comme la plus alléchante : de laisser à d’autres le soin de définir les certitudes de sa réalité immédiate, comme future.
- Je n’entendais pas seulement « dans quelles conditions », mais aussi « à quelles conditions » ?
Althair et Lagoon acceptaient-ils le tout-venant ? Tout type de curriculum vitae et tout passif plus ou moins enténébré ? Les estropiés comme les valides ? Les surchargés d’impératifs personnels comme les dévoués corps et âme à leur travail ? Prenant soin de déposer son verre sur une surface protégée du bureau de Warren, Calixte dégrafa l’une des poches latérales d’Abdallah pour récupérer le SAPIC et le montrer à l’homme.
- T’as raison, en nana il doit être bonne ! coula Apolline qui avait saisi l’occasion de pointer le bout de son cuir avant que l’espion-ne ne la réenfonçât dans le sac-à-dos.
- Ceci est un objet magique permettant à tout être humain, pour une durée limitée de temps, de changer physiquement de genre, présenta-t-iel succinctement. Et notamment, d’obtenir un joli minois pouvant rendre certaines informations un peu moins confidentielles, ajouta-t-iel en reprenant les propos précédents du gérant de Lagoon. Employé de manière imprudente, il peut aussi léguer quelques souvenirs imprévus à un homme n’ayant pas l’habitude d’avoir un corps, et des possibilités, de femme.
Laissant les implications de son explication imprégner doucement son vis-à-vis – et iel n’avait, pour le coup, aucun doute que le raisonnement futé de celui-ci ne le menât, au moins en partie, aux bonnes conclusions – iel rangea le SAPIC d’où iel l’avait tiré.
- Vous m’avez évoqué tout un panel d’opportunités, mais peut-être ne vous ai-je pas donné les bonnes cartes pour le définir.
Ou pour l’éradiquer. Mais en dépit de son caractère volcanique, Warren Richter paraissait surtout être de ceux capable de saisir toutes sortes d’occasions, pour s’en faire des ressources insoupçonnées. Pour aiguiser au mieux la lame de leur ambition. Et soudain, Calixte était curieux-se de voir les rouages de l’esprit implacable de l’homme se remettre en action, pour ajuster ses assertions initiales.
- Je suis soldat – au masculin – de la Garde, dans le régiment du sud, Al Rakija. Principalement assigné au pôle logistique par ma fonction de coursier. Si vous avez raison de penser que ce versant m’est, de fait, familier, vous avez aussi raison de croire que les exigences militaires, notamment pour ses effectifs à la carrure peu avantageuse, développent le sens de l’observation, du recueil d’informations en tous genres, de la discrétion voire de l’infiltration, et de la négociation. J’ai par contre bien peur que l’intelligence et les qualités des troupes soient assez disparates, et que ma personne ne déroge pas à cette règle. Je suis maladroit, pas plus rusé qu’un autre, et volontiers… lâche. Ne m’offrez pas le mirage d’une place pour laquelle vous n’êtes pas certain que je convienne ; cela nous desservirait tous deux.
Les mots roulaient sur sa langue, se teintant de vérité en franchissant ses lèvres. Voilà. Peut-être était-ce aussi simple que cela de se retrouver, de commencer à soulever les pans les plus légers de l’incertitude qui ravageait son être. En entamant par le début, le plus basique. Le plus sûr. Mais aurait-iel pu ainsi commencer à se livrer, voire se délivrer, ailleurs qu’entre les murs imposants de la compagnie Lagoon ? Que sous le regard acéré et immuable de Warren Richter ?
- Ce n’est pas ce visage qui vous répondra la plupart du temps, mais son pendant masculin. Et lorsque ce ne sera pas l’homme, ce sera celui d’une femme enceinte, dont la grossesse ne se poursuit que sous ces traits-ci. Et elle se poursuivra encore un temps.
Le confort familier de la tendresse de Solveig était le terreau de son intégrité mentale, mais il y avait dans cette interaction tournée vers l’avenir, en funambule mal équipé au-dessus du précipice, l’espoir interdit d’un renouveau.
- Par ailleurs, gardez en tête qu’en dépit de ma grande mobilité à travers le royaume, mon point d’attache reste le Grand Port, en la raison d’une compagne garde bien intégrée à son bataillon.
- On a connu plus vendeur. Mais à sa défense : Soly chérie est vraiment canon ! T’as une copine, Riche Terre ? Ou un copain ? Ou plusieurs, comme Luz et Naë ? demanda joyeusement Apolline qui s’était extirpée du sac-à-dos pour monter sur l’épaule de l’espion-ne.
Levant brièvement les yeux au plafond avant de les reposer sur l’imposante silhouette de Warren Richter, sincèrement intrigué-e par ce qui pouvait bien défiler derrière le regard perçant à peine voilé de ses lunettes en verre teinté, Calixte activa discrètement le bracelet de mimétisme à son poignet. Pas tant pour espérer se couler dans le moule attendu par l’homme, mais plutôt pour appréhender pleinement ses réactions. Ce n’était pas tous les jours que l’on rencontrait le dirigeant des sociétés Lagoon et Althair, et ce n’était pas tous les jours que l’on révisait son avenir.
- Néanmoins, dussiez-vous savoir l’exalter, sachez que vous pourriez obtenir de ma part un dévouement absolu.
Solveig. Ses amis. Les espions. La Garde. Et même sa famille, qui pourtant ne pouvait se targuer d’entretenir la flamme de sa fidélité, constituaient déjà ce monde en hiérarchie subjective gravitant autour de la flamme de sa souveraine loyauté. Ou peut-être, avaient constitué. Mais si son chemin avait toujours été tortueux au point de malmener même ce qui lo définissait le plus intimement, Calixte n’était pas âme à se complaire dans le chagrin. La résilience n’était pas entretenue par l’apitoiement, apanage d’un ego qu’iel n’avait guère.
- Qu’en dites-vous ? demanda-t-iel d’une curiosité presqu’innocente, écho d’une profession officieuse bientôt en sursis pour iel.
Cela permettait-il de rebattre les cartes ? De les ajuster ? Peut-être même de les brûler purement et simplement, avant de l’éjecter manu militari hors des murs de la compagnie ? Dans tous les cas, iel savait que le requin mordrait. C’était une constante qui devait ne pas décevoir, et qui avait le mérite d’annoncer la couleur.
Si au début, Calixte s'était contentée de lourdes insinuations, quant à cet étrange objet. Il n'en fallut pas plus pour qu'elle se décline comme garde -au masculin du coup- dans le régiment du Sud...Et merde. Garde. Bien sûr. Bien que logisticienne, coursière, appelez ça comme vous voulez, ça reste de la garde. Tout de suite, sans même parler d'objet magique, le renfrognement de Warren était des plus palpables, un aveugle n'aurait qu'à glisser le bout de ses doigts sur les ridules de son faciès pour devine instantanément comme il est frustré. Elle pouvait continuer à développer son curriculum que rien ne changerait guère, le blond commençant à regretter amèrement ses décisions.
Ah, qu'il est aisé de se faire avoir par un joli minois ! Par les paroles raisonnées et désespérées d'une engrossée, qui souhaite une petite vie plus tranquille pour elle et son futur petit à venir ! Et bordel, qu'est ce qu'il était bon client de tout ça. A jouer au prédateur, il aurait presque tendance à oublier que plus un poisson est gros, plus il est difficile à impressionner, et moins il voit les petites menaces tapies dans les ombres. Ne sachant où donner de la tête, réfléchir de manière froide et calculée était la seule façon de se sortir de ce mauvais pas. Pour qui passerait-il, reboutant ce bout de femme pour son sexe, enfin, ses sexes ? Déjà mal, de quoi finir sur une mauvaise presse. Pire, car elle est garde ? Ça fait typiquement le genre de patron dont le business mériterait une petite inspection, cette fois, plus énervée que la visite de mademoiselle Long, la garde royale venue lui chercher des poux, repartant comme tous les autres avant et sans doutes après elle ; la queue entre les jambes, sans le moindre petit os à ronger. Si plusieurs corps se mettaient sur son cas, cependant...Ce serait une autre paire de moufles.
Reste toujours un monde ou le blond, paranoïaque lorsqu'on commence à ajouter des officiels dans l'équitation, obscurcit le tableau en des endroits qui n'ont lieu de l'être. Et si elle voulait juste vraiment quitter cette vie ? Loin d'être un vendeur de rêve, Warren n'est pas l'arlésienne d'un jeune cadre dynamique proposant monts et merveilles à quelqu'un, sans en être fondamentalement convaincu ; menteur, manipulateur, mais honnête dans son fond, tous ces postes siéraient, en son sens, à la jeune Alkhaia de Eliëir. S'adresser à un homme, une femme, aucune différence pour lui, un employé est une employée. Mais il a besoin de la pleine confiance, surtout vu les petits écarts avec la loi, des gens avec qui il travaille. Peut-être a-t-il une porte de sortie, logée dans ce fameux point d'ancrage de la femme : le grand port. A tout moment, il renvoie le colis à Sarah, elle en serait sans doutes que plus heureuse, et en entendrait parler à la prochaine réunion : ''Oui, vous vous rendez compte ? Warren a envoyé un garde FOUILLER CHEZ MOI MAIS QUEL CULOT !''.
Le sourire accompagnant cette pensée fut doublé quand cette trousse -ugh- lâcha un prénom qu'il ne connaissait que bien. Oui, il avait délibérément ignoré les premiers mots d'Apo, surtout car dans un soucis de préserver la santé mentale de Warren -possiblement la sienne aussi, en vrai-, l'âme artificielle fût rapidement renfoncée dans le sac à dos, pour mieux ressortir maintenant, lâcher d'énormes bombes, et rester des plus silencieuses ensuite. Calixte, en plus d'être garde, était lui même avec une garde. Parfait. Puis le gosse, les petits-enfants, ainsi que tout la descendance, des bons petits chiens chiens aux ordres des plus hauts et des gradés. Le blond ne répondit pas dans l'immédiat, se laissant le temps de digérer. Ouvrant un tiroir, il en sortit un verre. Et une bouteille, sa transparence laissant admirer le liquide rougeâtre qui y était contenu, en ôtant le bouchon, les effluves de vin se dispersèrent dans la pièce. Se servant, il la rangea bien vite ensuite en prenant soin de la refermer correctement, faisant tournoyer le liquide, agitant le verre de sa main, coude fermement ancré
'' Luz Weiss, hein ? De l'Astre de l'Aube, c'est ça ? Oui, je la connais. Elle était à votre place, il y a quelques lunes de ça. Elle est donc de ce type de femme, hein...Vous me direz, ça explique bien des choses sur le pourquoi du comment... '' Du comment elle avait l'air si à l'aise, si habituée à ce genre de glissade au milieu d'une discussion d'affaire. Ce serait bien malhonnête de dire qu'il ne l'avait pas cherché aussi de son côté. Quand on donne un moyen de détourner les faits, il se jette dessus, ne jamais faire la fine bouche. '' La rencontre fût néanmoins un retentissant succès, on a sécurisé un solide partenariat entre Althair et l'Astre de l'Aube. J'ignorais que vous pourriez être une de ses connaissances. ''
Rien d'étonnant, quand on y penses. Le monde est finalement si petit, certaines personnes si influentes, qu'on retombe souvent sur la toile de relations liant inconsciemment chaque êtres entre eux. Ce Naë, par contre, il n'a pas souvenir d'avoir entendu la rousse le mentionner. Pas que ça l'importe. Juste un nom lâché dans la nature, dont il a dorénavant connaissance, qui sait, un jour entra-t-il ce diminutif dans la taverne du coin, l'autorisant à tisser toujours plus de liens dans ce cercle. Respectons tous sa vie privée ; nul besoin de dire qu'il n'a personne, face à Calixte qui, elle, compte pour quelqu'un, sa solitude serait une vision difficile à concevoir. Il sirota lascivement son breuvage, recadra ses lunettes, passa une main dans ses cheveux ; tournons autour du pot.
'' C'est une situation bien particulière que celle dans laquelle vous vous trouvez ! J'ignorais complètement l'existence de ce genre d'objets magiques, il doit vraiment être utile. Donc, cette grossesse...Si vous êtes avec quelqu'un – une femme, si ma compréhension ne me fait point défaut -, comment tout cela s'est...Déroulé, si vous voulez bien composer avec ma curiosité ? J'espère bien que ''Soly chérie'' est au courant. ''
Ricanant, il retrempa ses lèvres dans sa boisson alcoolisée. Non, le Richter ne se veut pas dégradant, ni moquant, un petit trait d'esprit maladroit et mal amené, c'est tout ce que c'est. Volontaire, de toute évidence, il se doute que en face, il se fait analyser autant que lui parcourt le visage, les mains et le torse de la femme, autant d'éléments qui peuvent indiquer la gène, la confiance, le stress, aucun ne semblait ressortir plus que l'autre. Après l'étude, l'attaque, enfin, si c'en est une. Un moment, il faut bien répondre à la dame.
'' Laissez moi être bien clair. Il faudra me foutre entre quatre planches, avant que j'accepte un putain de garde dans une de mes entreprises. '' Grande inspiration, violente expiration. '' Excusez moi, je ne voulais pas me montrer rude. Depuis des mois, j'ai de vos collègues qui fourrent leur truffe partout dans mes affaires, et ce n'est pas pour apaiser mon moral. Bien sur qu'ils repartent toujours ventre au sol, sans rien à ramener à leurs supérieurs, aussi épuisant pour moi qu'un gâchis de personnel et de moyens pour eux. Laissez moi être clair. '' Posant lentement son verre sur le côté du bureau, il reprit cette même pose, mains sous le menton, coudes sur le bord de l'étude. '' Je suis la reine des catins si, d'aventure, je laisse une vermine de garde prendre un emploi ici comme si c'était un putain de centre aéré, un petit bonus à se faire sous le manteau. On paye assez ; arrange assez ; pour être considérés comme une activité secondaire. Nous rejoindre ; c'est laisser votre régiment loin derrière. En outre, toutes mes propositions sont pour le moins sérieuses. '' Il se renfonça plus confortablement dans son fauteuil, '' La réponse viendra de vous. Les offres, si vous ne pouvez vous délocaliser du Grand Port, seront difficiles pour vous à honorer. J'ai peut-être la solution, cependant. ''
Comme un concert bien répété, sa main droite se saisit de sa meilleure plume, sa meilleure encre, alors que l'autre s'empara d'un petit papier cartonné, comme la carte de visite que Calixte lui tendit tantôt, mais complètement vierge. Sur le recto, il écrit simplement le destinataire ; Sarah Jefferson, bureau d'Althair, Grand Port. C'est sur le verso que tout se jouait. '' Potentielle recrue. Versatile. Amuse toi bien. Bisous trésor <3. Warren. ''. Une fois satisfait de son mot, encre séchée, comme un échange de bons procédés, il fit glisser la carte vers la femme.
'' Nom, adresse de ma collaboratrice, au Grand Port. Elle est comme moi, occupe le même poste, mais en moins douée. Elle vous trouvera une place, si c'est le Sud que vous préférez. Sur ce. '' Le blond semblait prêt à bondir, sortir de sa chaise, et montrer la porte à son impromptue invitée, mais se retint, respect et étiquette, voyons. '' A moins que vous ayez une réponse à m'apporter. Je penses que cette discussion peut s'arrêter ici. ''
- Ouh « alter-monde sous les astres », commenta lascivement Apolline, certainement plus honnête avec elle-même concernant sa vision de la liaison possiblement existante entre Warren Richter et Luz.
Ca sentait la préparation d’un nouveau scénario à plein nez, et Calixte refocalisa son attention sur les propos du dirigeant de Lagoon – qui paraissait d’ailleurs lui-même ignorer sciemment la petite trousse de cuir, à ce qui perlait de son bracelet. Un instinct de conservation finement rodé, donc.
- Nous sommes parfois colocataires, répondit-iel brièvement afin d’éviter de mettre la médecin en porte-à-faux, dussent-iels se croiser un jour à la Volière.
De ce qu’iel percevait actuellement, lo coursier-e n’avait pas l’impression que Warren était du genre à s’aventurer rapidement dans l’intimité du nid de ses potentielles partenaires, mais l’on n’était jamais à l’abri d’un imprévu. Ou, dans le cas de Calixte, de malchance.
Curiosité, suspicion, trouble lacé d’une évidence latente, presque nostalgique ou morose, si cela n’avait été pour la certitude quasiment infaillible prenant le pas sur tout le reste. Son objet de pouvoir ne lui ouvrait que grossièrement la porte sur l’être de son interlocuteur, mais déjà suffisamment pour l’interpeler et lo captiver complètement.
- Comme je vous le disais, monsieur Richter : une imprudence initiale, avant ma partenaire actuelle – comme la grossesse ne se déroule que sous cette forme-ci, vous pouvez imaginer que cela fait un certain moment qu’elle est en cours. Partenaire qui, vous supposez bien, est au courant. Il est des secrets difficiles et dangereux à garder selon le type de relation que l’on souhaite, fit-iel remarquer presque distraitement, éludant sciemment tout une partie de l’interrogation de Warren.
Décontenance, méfiance, assurance mêlée d’un maillage serré de sentiments plus discrets et contrôlés qu’iel ne perçut pas bien, avant que les cinq minutes d’activation du bracelet n’arrivassent à leur terme. Il y avait une justesse, dans les propos de l’homme, au diapason des émotions parcourant son âme pour se déverser dans ses mouvements expressifs. Mais rien qui ne semblait aussi franchement éloquent que l’énergie écoulée dans ses paroles catégoriques et sa gestuelle intransigeante. Clignant des paupières comme s’éveillant d’un rêve particulièrement prenant, Calixte laissa les dernières bribes du mimétisme lo quitter tout à fait pour retrouver la sombre quiétude de ses propres émotions. Le point de vue unilatéral de sa propre position. L’ambre s’arrêta sur le reflet carmin du verre de Warren Richter, avant de remonter le long de ses doigts élégants mais marqués comme s’il ne se cantonnait pas qu’à un travail de bureau, le long d’un bras couvert de tissu sobre mais seyant, d’une mâchoire déterminée et d’un regard presque camouflé derrière son rideau de verre. Il y avait là une mesure gestuelle en désaccord presqu’imperceptible avec celle du rythme viscéral qu’iel avait perçu. Une chorégraphie parfaite au décalage inimaginable.
Aurait-iel encore fait partie des espions, il n’en aurait pas fallu davantage pour capter irréversiblement l’attention de Calixte. Pour qu’iel cherchât comment poursuivre ce jeu singulier dont iel venait d’apercevoir une partie, ô combien fascinante, entre les mains de son vis-à-vis. Peut-être en contre-attaquant sur ce terrain miné où il venait de se poster en adversaire ? Peut-être en empruntant plus sagement, mais pas moins sournoisement, l’ouverture qu’il venait de lui proposer ? En le confrontant, l’amadouant, ou abdiquant ? Parce qu’il y avait visiblement là des secrets que le gérant de Lagoon était prêt à protéger en torpillant au plus près de sa cible, afin de rediriger son regard sur les débris de la zone dévastée. Choisie, contrôlée. Le temps d’un instant, iel se demanda si iel n’allait pas quitter le bureau de l’homme avant de mieux revenir en usant de son pouvoir, afin de se couler pour quelques heures dans le mur – l’étagère, le crayon, ou le verre qu’il avait en main – de la pièce pour mettre en lumière l’ombre dissimulée par le maitre de céans. Mais iel contint sa curiosité enflammée à la pensée qu’iel s’amuserait davantage à taquiner Luz sur ce singulier personnage, et les ténèbres qui rongeaient son être de doutes depuis l’expédition sur l’île volante confortèrent sa décision de ne pas s’engager sur un chemin potentiellement périlleux.
Ses doigts volèrent à la rencontre du petit papier cartonné qui était glissé vers iel, et ses yeux parcoururent avec intérêt les quelques mots tracés. L’amusement réhaussa l’ambre de son regard, avant qu’iel ne tendît la carte à son sac-à-dos qui la rangea pour iel.
- Sur ce, acquiesça-t-iel en reprenant les mots de Warren Richter. J’ai certainement déjà trop abusé de votre patience, déclara-t-iel en se levant précautionneusement de son fauteuil. Merci de votre temps, et de vos conseils. Je ne manquerai pas de demander à rencontrer cette… Sarah Jaipersonne, ajouta-t-iel en butant quelque peu sur le nom que sa mémoire de femme enceinte s’efforçait d’oublier au plus vite.
Partir ? demanda Kaname en levant le museau vers iel.
Partir, répondit-iel en tapotant la tête de la loutre qui adressa donc un sourire niais d’au revoir au gérant de Lagoon.
Ce ne fut que lorsqu’iels eurent quitté les bâtiments des compagnies Lagoon et Althair, retrouvant la chaleur estivale des rues ensoleillées de la Capitale, qu’humain-e et familiers se rendirent compte qu’il leur manquait peut-être un bout de leur groupe. Haussant les épaules de résignation, Calixte reprit néanmoins le chemin de la Volière. Certaines âmes artificielles savaient très bien se débrouiller toutes seules, même pour se sortir d’une poubelle où on les aurait lancées un peu trop férocement.
Ayant profité de l’échange entre le requin et lo soldat-e pour rouler jusqu’au dossier de la chaise du premier, Apolline n’attendit pas d’avantage que le bruit de la porte se refermant derrière Calixte pour déclarer joyeusement à l’oreille de Warren :
- A nous deux, monsieur Riche Terre !
Après, Jaipersonne lui sied si bien que le blond aurait bien pu s'empêcher de reprendre la femme enceinte. Un physique désirable dans lequel est harnaché un esprit combatif, rebelle et colérique, oui, il ne la résumerait que comme ça, car c'est toujours ainsi qu'elle réagit en sa présence, un incendie en bouteille, la fiole de poison dans un écrin de velours, le diamant sur le piège à loup. Quant à se positionner sur qui bénéficierait le moins de cet entretien, duel à distance sur lequel il ne souhaiterait apparaître ni observer de loin, des deux côtés, Warren est gênant, le fait que ce soit lui qui recommande la jeune Alkh'eir fera passer la belle pour ce qu'elle n'est pas, et ne devrait dans le fond ne pas donner confiance à la potentielle future recrue.
'' Dussé-je avoir également abusé de la votre, vous m'en voyez désolé. Si ce ne fut pour cette Apolline, cette rencontre n'aurait jamais eue lieu. Je me désolé de la non fructuosité de note échange, j'espère qu'il sera néanmoins plus prolifique avec cette chère Sarah. Oh, embrassez la de ma part -sous votre forme masculine bien sur-, vous serez adorable. ''
Changement de ton radical, qui pourrait choquer quiconque n'est pas habitué au personnage, et il pourrait jurer que la coursière en face de lui était de ceux qui restaient stoïque devant une telle performance, plus d'habituée aux sautes d'humeur de collègues, expéditeurs et destinataires. Si le type de langage passa radicalement d’abusivement familier à soutenu, c'est simplement car les deux définissent Warren Richter ; mielleux, éduqué, doté de l'art de la parole et d'une certaine éloquence, cette deuxième prise de parole était la représentation la plus fidèle de ses premiers abords, plus coulant pour mieux mordre ensuite. L'inversion des tendances suit le cours de la conversation, après tout, les deux s'étaient factuellement tout dit, plus aucune raison de psychoter sur l'intégration d'une employée à risque pour son empire, il l'envoie ailleurs, ce qui semble ravir les deux partis.
'' Plus qu'à vous souhaiter bonne continuation, chez nous je l'espère ! Et qui sait, un monde existe où vous reviendrez ici me délivrer un message de la part de cette chère directrice de la branche du Grand Port ! '' Petit rictus alors qu'il s'enfonça dans son fauteuil. Ça faisait longtemps, qu'on ne lui avait pas arraché un sourire dans ces circonstances. '' Je vous raccompagnerais bien à la porte, mais ne m'attendant point à un entretien de la sorte, j'ai pris du retard sur mes tâches. En espérant que vous pardonniez mon audace, je vous invite donc à prendre la porte et vous souhaite le meilleur pour la suite. ''
Entre mensonge et vérité, honnêteté mêlée de malice, son départ coïnciderait avec l'amorce d'affaires plus fructueuses, cette pile de dossier ne demandant qu'à être traitée, ces courriers à être envoyés, toutes ces personnes sur son agenda contactées. C'est ainsi que Warren put observer les courbes...Arrondies par la grossesse de la garde s'éloigner lentement, puis prendre la porte rougeâtre servant d'ultime frontière entre l'intimité de son bureau et le monde extérieur.
Long soupir.
Une rencontre des plus...Déroutantes. Bordel, quel malade irait s'accaparer d'un objet permettant de changer de sexe pour se faire engrosser sous forme féminine et se mettre avec une autre femme sous sa forme masculine ? Le mal de crâne était assuré, et ces pensées l'empêcherait de dormir sur ses deux oreilles ce soir. Quel dossier venait-il au juste d'envoyer à la brune du Sud ? Mieux vaut ne pas y penser, le plus important est que cette loutre ait quitté les lieux aux suites de sa maîtresse, ou son maître, eh il sait plus, imprudence ou pas, c'était une situation des plus délicates dans laquelle il priait tous les jours silencieusement et sans conviction les plus hautes instances religieuses, Lucy elle même tant qu'à faire, ne pas avoir affaire aux affres de la grossesse -pas la sienne, OH CERTAINEMENT QUE NON, mais d'une quelconque autre femme. Ça lui rappelle...On ne peut pas dire qu'ils aient pris leurs précautions, avec la dirigeante de l'Astre de l'Aube, lors de leur ''rendez-vous''. Par tous les Dieux, il faudra faire surveiller ça. Ce serait très problématique. Les relations, qu'elles soient amicales, amoureuses, allons jusqu'à charnelles, sont éprouvantes à entretenir, jetez au milieu de ça un marmot tout juste capable de roter et baver, et on rentre dans un cauchemar pire que ceux que Warren peut procurer.
Une voix familière qui, malgré toute le stoïcisme initial du monde, le fit sursauter sur son assise. Encore cette satanée trousse ! Par quels artifices, tours de passe-passe, avait-elle atterrit sur son dossier, trônant au dessus de lui comme si l'endroit lui appartenait. D'un geste vif, il l'attrapa par un pli et la déposa sur la table, avant de croiser les bras sur son poitrail, gauche en avant, dans l'expectation, sur la défensive, posture similaire et comparable à ces réunions où le jeune Gauss est présent, prêt à les assommer de son immense savoir et son incommensurable sagesse, du haut d'à peine sa vingtaine. Niveau assommoir, les deux se posent là, au coude à coude en pole position.
'' C'est vrai que nous n'en avons pas finis. Que Lucy me donne la force. Bien, reprenons. Ça va être de longues minutes... ''