Il n’était pas très grand, ce nouveau musée. C’était Apolline qui l’avait déniché au détour de l’une de ses escapades en solitaire et qui avait tenu à l’y trainer sous prétexte d’élargir sa culture générale. Présentement Calixte trouvait lui-même que ladite culture générale se portait très bien, merci, et que rien ne l’épanouissait plus que de siroter un diabolo grenadine au comptoir du petit bar au carrefour des trois galeries rayonnant à partir de celui-ci. Peut-être était-ce la chaleur estivale, pesante d’une pression orageuse menaçant d’éclater à chaque seconde, qui avait fait le lit de sa langueur écrasante. Ou bien le carcan maussade de culpabilité et de doutes, l’accompagnant comme un vautour profitant de chaque battement de cil pour lui arracher une parcelle de son âme, qui installait de manière pérenne ses sombres quartiers. Mais lo coursier-e, avachi-e comme une vieille baleine sur l’un des tabourets inconfortables de la buvette, était convaincu-e que c’était surtout là le résultat ennuyeux de ses formes féminines, doucement arrondies de la double vie qu’elles abritaient. Grossesse et saison chaude, semblait-il, ne faisaient pas bon ménage. Iel rêvait de briser tout code de bienséance pour arracher la simple tunique qu’iel portait, surélever ses lourdes jambes sur le bois du comptoir, et s’allonger tête dans l’évier afin de profiter de sa fraicheur comme de son évacuation salutaire au cas où ses nausées devaient choisir d’évoluer vers une forme particulièrement peu ragoutante.

Cal pas bien ? demanda innocemment Kaname, qui avait été autorisée à entrer dans le musée à la condition d’user de sa magie pour rétrécir de taille.
Fatigué. Mais tu peux aller avec Apolline profiter des galeries. Je crois que j’ai vu quelque part une statue en fils de pêche et sardines.
A manger ?
Heu… je ne pense pas, non. Il ne faut pas manger les œuvres, Kana.
Dommage !
- Viens Kana’mour ! hurla plus loin la trousse de cuir en provoquant un concert de « chut » outrés sur son passage.
Vas-y, insista l’espion-ne comme la loutre hésitait encore. Eli reste avec moi si jamais…

Si jamais iel avait besoin d’électrocuter quelqu’un. Parce qu’en dehors de cela, et bien que l’état gravidique intermittent de Calixte eût développé chez le teisheba une étonnante attitude protectrice, il fallait reconnaitre que le petit familier n’était guère d’une aide plus diversifiée que sa pugnacité usuelle.

Ainsi donc, abandonnant un-e Calixte enlisé-e dans les affres multiples lo tourmentant cet été, Kaname tourna le museau et courut rejoindre Apolline – sous quelques « on ne court pas dans les couloirs » indignés – et elles pénétrèrent dans la petite aile s’élançant à l’ouest du bar. Elle ne devait pas être plus longue qu’une vingtaine de mètres, mais des cloisons éphémères de bois et de toile avaient été dressées pour mettre savamment en scène les différentes œuvres exposées. Au fond de la salle, on devinait le passage négligemment obstrué d’un rideau permettant au personnel de circuler rapidement vers les autres ailes. A la manière d’une corolle à trois pétales, celles-ci rayonnaient autour de l’ilot central comprenant l’accueil – proche de l’issue du musée – la boutique de souvenirs – car oui, il y avait une boutique de souvenirs – et la buvette. La superficie totale ne devait pas être bien étendue, car le complexe tenait encastré entre les constructions gourmandes des florissantes boutiques alentours. Cela offrait au petit musée une aura sympathique d’excentricité, potentiel attractif que les artistes exposés, apparemment en vogue dernièrement à la Capitale, avaient visiblement pressenti. Il n’y avait pas foule, mais les lieux ne désemplissaient guère. Et quelques amoureux de l’art, plus ou moins fortunés, louchaient songeusement sur les prix affichés en petites pattes de mouche sur des cartons glissés au coin des créations.

- Peut-être que j’devrais faire une galerie pour mes romans, nota Apolline tandis que Kaname et elle appréhendaient un cristal ouvragé en lévitation, semblant changer de forme en fonction de l’angle dans lequel on l’observait. Y a d’la thune à se faire là-dedans.
Rigolo ! Ici dame voilée prier, ici marchebrume, ici cageot crabeau, ici parapluie… songea le familier bien que Calixte fût trop loin pour l’entendre et que l’âme artificielle ne lui fût liée par télépathie.
- Mais ce serait priver le peuple de trésors de la littérature. Et ça c’est quoi ?

La loutre, portant la trousse de cuir sur le sommet de son crâne comme à son habitude, tourna le museau vers le nouveau centre d’intérêt de sa camarade. A quelques pas, une armée de petits bonhommes en papier maché, d’une dizaine de centimètres de hauteur chacun, mettait en scène le célèbre combat du Commandant Delancy contre un fenrir. De manière quelque peu revisitée ; il y avait là des membres du culte de Lucy creusant une large fosse mortuaire, une diligence de nobles semblant danser la macarena, et un couple d’escouades de gardes se prosternant devant le titanesque affrontement. Une légende intitulait l’œuvre « rêves de grandeur inachevés par la faim – 3 cristaux transparents ; penser à prendre farine, kiri et œufs pour les courses ».

Et alors qu’Apolline considérait rouler entre les petites créatures pour aller observer de plus près le fenrir, un cri sur leur gauche attira leur attention. Une construction de plumes colorées avait décidé de quitter son piédestal pour aller furieusement chatouiller un homme qui passait à proximité. La trousse et la loutre n’eurent cependant pas l’occasion de s’attarder davantage sur cet étrange phénomène, car d’autres exclamations, plus ou moins surprises, plus ou moins effrayées, trouvèrent soudainement écho au premier à travers toute la galerie. Déboulant d’une cloison en tissu non loin, un jeune couple pourchassé par une peluche mi-gloot géant mi-dumctopus prit ses jambes à son cou dans une litanie de « plus jamais ! ».

- Une animation gratuite ! Cool ! s’exclama avec enthousiasme Apolline, tandis que Kaname reculait pour laisser la pelucheuse et tentaculaire chimère passer.

Confuse de la tournure de la situation – car après tout il ne lui semblait pas que Calixte lui ait dit que les musées humains faisaient ce genre de chose – la loutre calcula mal sa manœuvre et heurta les pattes d’une jeune fille qui était arrivée à leur hauteur. Surprise, elle tourna le museau vers celle-ci, pour constater qu’elle était engagée dans une féroce bataille contre le fenrir qui avait attrapé un pan de ses affaires et semblait déterminé à en garder un bout.

- C’est vrai qu’à plusieurs, c’est toujours plus sympa, commenta Apolline qui, elle, observait l’armée de bonhommes en papier mâché qui venait vers elles en brandissant leur pelle comme s’il s’agissait de fourches. Mais là, c’est peut-être un peu trop ambitieux. Gente demoiselle, auriez-vous l’obligeance d’écraser ces créatures un peu trop entreprenantes ? D’un coup de poing, de marteau ou de fesses ; nous ne sommes guère regardantes. Quand vous aurez fini de vous entretenir avec ce fenrir, bien sûr.

Qu’est-ce-que l’art?

A vrai dire c’était une question que même Violette ne s’était jamais vraiment posée, ayant rangé ça dans la case “truc pour noble péteux”. Pourtant, une exposition à la capitale faisait parler d’elle. Gratuite à l’entrée, payante pour acquérir certaines œuvres, elle ne comptait rien acheter évidemment, mais l’aventurière était partante pour aller y faire un petit tour histoire de redécouvrir ce domaine. Et puis, peut-être que quelques œuvres seraient rigolotes! Par contre, si la définition était déjà nébuleuse pour Violette, c’était encore plus le cas de Lumi, pour qui l’art était un concept extrêmement abstrait.

Est-ce-que ça se mangeait? Non. Enfin, pas toujours. Mais même si c’est mangeable il ne fallait pas le manger.

Est-ce-que c’était joli? Pas toujours non plus. Surtout dans ce genre d’expositions un peu avant-gardiste.

Qu’est-ce-que ça voulait dire avant-gardiste? Non mais j’aimerai bien vous voir expliquer ça à une laïum, aussi.

Tout ça pour que cette pauvre Lumi se fasse refouler à l’entrée parce-que trop grande. Bon, ce n’était pas impossible que cette grande maladroite ait cassé quelques œuvres si elle avait mis les pattes dans l’endroit, mais Violette décida tout de même d’aller y faire un tour. Et Lumi profiterait de l’endroit par les fenêtres et autres verrières. Peut-être pas le meilleur moyen, mais au moins la garantie que la moitié de l’exposition ne se retrouverait pas sens dessus dessous.

Violette se rendit compte qu’elle n’était peut-être pas le public escompté. Les titres étaient souvent aussi cryptiques que ce que les œuvres étaient censées raconter, et, à part quelques exceptions, elle ne pouvait pas nier que ça lui passait un petit peu au-dessus de la tête. Notamment ce tas de roues de charrettes posées sur le sol intitulé “ La célérité pure - Voyage et découverte paradisiaque le jeudi férié ”. Enfin, posées, le véritable terme était plutôt “balancé complètement au hasard dans une sorte de tas informe.

Continuant son avancée, elle arriva ensuite à une représentation d’un combat épique contre un Fenrir. Enfin, pour le côté épique, on repassera, c’était du papier mâché, et les bonhommes semblaient avoir été faits par des enfants de la classe de maternelle du coin. Enfin, c’était peut-être le cas. Elle ne jugeait pas. Enfin, un petit peu quand même. Mais à part le Fenrir qui avait l’air un peu plus complexe, le reste lui prendrait difficilement plus d’une heure pour arriver à un meilleur résultat.

Un cri lui fit tourner la tête derrière elle, alors que la galerie d’art pourtant calme, gagnait en agitation. Soudainement, quelque chose la mit à la tirer en arrière, tout ça pour voir le Fenrir, faisant la taille d’un chien, en train d'agripper son sac avec ses dents en papier mâché. L’aventurière cligna des yeux un instant, se contentant de résister à la bête sans énormément de difficultés. Tout cela pour qu’une loutre et une trousse lui rentrent ensuite dans les jambes, avant que la dite trousse, elle ne commence à lui parler.

Violette cligna des yeux, se donnant deux petites claques sur la joue avant de se frotter les yeux, pour constater que rien n’avait vraiment changé. Elle en avait vu des choses bizarres, mais voir une sculpture du roi Grimvor avec des palmes marcher en canard en brandissant un balai miteux tout en poursuivant les badauds était pour le moins original. Et la brune ne parlait ici ni du Fenrir, ni de la trousse. Finalement, c’était encore la loutre la plus normale.

« Pincez-moi, je suis en train de rêver sûrement. »

Chose souhaitée, chose faite, le Fenrir mordit son bras fortement. C’était qu’elle avait tout de même une sacré poigne cette bête, même dans sa version miniature! L’aventurière laissa échapper un petit cri, mais surtout parce-que ça pinçait plus que ça ne faisait mal. Une seconde plus tard, la vitre la plus proche vola en éclat, alors qu’une créature volante passant à toute vitesse faucha le Fenrir avant de traverser avec lui quelques cloisons de bois.

« OOOOH, vous pourriez faire un peu attention non? Vous vous êtes crus où? Dans une foire à la saucisse? »

C’était un magnifique tableau tout jaune qui avait parlé après le passage éclair de la dragonne blanche qui semblait avoir vu sa maîtresse se faire attaquer, et qui était en train de littéralement réduire le Fenrir en confettis.

« Euh… Je crois que le Fenrir a fini de s’entretenir avec moi… Mais c’est pas normal, non? Enfin, de base, l’art ça n’attaque pas les gens? A moins que c’est un truc de l’exposition? Un… Nouveau style d’art que de se faire agresser par ce qu’on regarde? Je veux dire, y a certaines œuvres qui m’ont bien agressé la rétine quand je les ai regardées avant donc c’est peut-être simplement la prochaine étape? »

Après tout, n’était-ce pas aussi un peu ça, le principe? Trouver des excuses pour un message profond tout en faisant un peu n’importe quoi. En fait, le chaos qui régnait dans l’endroit n’était-il pas en soit une forme d’art? En tout cas, il avait l’air déjà plus amusant.

« Et… euh… Aussi… Tu, ou vous, ou… Enfin qu’est-ce-que tu es? Une trousse? Une œuvre d’art aussi? Genre “Trousse sur loutre ou la nature face à la civilisation de l’art”? »

S’avançant un peu, Violette balaya quelques figurines en papier d’un petit coup de pied. De tout de façon, vu l’état du Fenrir qui ne cessait de s’empirer, cette œuvre était plutôt foutue. Alors un peu plus ou un peu moins...

Lorsque les galeries s’animèrent soudainement, Calixte était en train de noyer sa morosité dans le fond de son diabolo, et de renvoyer le reste de celui-ci dans la corbeille que la serveuse de la buvette avait concédé à lui prêter, prenant pitié de son état visiblement patibulaire. Partagé-e entre le besoin de s’hydrater et la pulsion gravidique de rendre ses entrailles, lo coursier-e se trouvait devant le cornélien dilemme de tenter de terminer son verre, ou non. Les éclats de voix provenant du passage où s’étaient engouffrées sa loutre et sa trousse attirèrent cependant son attention, et iel se détourna de ses sombres pensées pour poser un regard curieux vers les portes résolument closes des trois ailes du bâtiment. Il lui sembla un temps que l’on tambourinait contre l’une d’elles, mais le bruit cessa pour s’éloigner en exclamations surprises.

Attaquer ? fit immédiatement Vreneli contre son esprit, gravitant autour de sa tête en soulevant des mèches blondes comme des points d’interrogation sur son passage électrique.
- Que se passe-t-il ? demanda avec prudence l’espion-ne à la serveuse qui poursuivait ses tâches sans paraitre plus inquiète que cela.
- Juste des travaux, répondit-elle en haussant les épaules. Ça fait une semaine qu’ils refont le système général des cristaux de lumière, mais à chaque fois qu’ils loupent une encoche sur le panneau de contrôle, ça fait disjoncter la galerie.

Calixte, bien évidemment, était loin de pouvoir réaliser à quel point l’assertion était à prendre dans tous ses sens.

- Ca ne pose pas de soucis pour l’exposition ?
- Ca dure quelques minutes, ou un petit peu plus selon si l’équipe des travaux est équipée de thermos à mojito ou pas. Le pire c’est que les gens en profitent pour toucher aux œuvres, et repartent en courant de l’exposition pour pas se faire choper. Ou furieux comme des frelons, et c’est pas la peine de discuter avec eux à ce moment-là.
- Il n’y a pas de vigiles ?
- C’est arrivé juste six-sept fois, et les exposants ont l’air de trouver que ça rajoute de la valeur à leurs œuvres. J’vous remets un diabolo ?

Décrochant son regard inquiet de la serveuse pour le porter à son verre, Calixte constata qu’iel l’avait fini au cours de la discussion sans s’en rendre compte.

- Quelques minutes, vous m’avez dit ?
- D’habitude.
- Je veux bien un nouveau diabolo.

Et puis, si l’affaire devait trainer, iel irait quand même vérifier que tout allait bien pour Kaname et Apolline. Bien que les badauds semblassent s’intéresser uniquement aux œuvres exposées dans les latitudes offertes par un environnement de cristaux défectueux, il était toujours possible qu’un plus crédule que les autres prît son duo de compagnons pour l’une de celles-ci.



La vie d’Apolline était pleine d’interrogations, usuellement inappropriées, mais aussi de certitudes, usuellement incongrues. Elle était ainsi persuadée, notamment, qu’il n’existait pas meilleur coup que Shushu, son ami âme artificielle et compagnon de Carciphona, de plus belle moustache que celle qui ornait le merveilleux visage de Whiskeyjack, son conseiller préféré de la Guilde, ni de plus massifs gluteus maximus que ceux de Warren, sa dernière conquête enflammée en date. Elle était aussi à peu près convaincue qu’il existait une romance indicible mais explosive entre Fauve, Solveig et Calixte, et que l’innocente présentation du cousin de ce dernier, Liory, cachait en réalité un fornicateur en puissance. Il n’aurait pas été incorrect de supputer que les centres d’intérêts de la trousse de cuir se focalisaient principalement sur des questions d’ordre lubrique, mais étonnement pas que. De fait, Apolline trouvait ainsi dans la jeune femme qui venait de les sauver d’un simple coup de pied de l’armée en papier mâché, le visage d’une fougueuse héroïne. Assurément cette dernière avait-elle déjà combattu Fenrir, non seulement de papier, mais aussi en chair et en os, et devait dépecer des grognours pour son petit déjeuner. Sa musculature hautement développée et son assurance certaine en démentaient. Oui, les capacités d’analyse de la trousse étaient peut-être un petit peu défectueuses.

- Ahah bien joué ! Qu’est-ce que tu fais dans la vie, gente dame ? Garde du corps ? Soldate Royale ? Saphir à la Guilde ? T’as le pied aussi redoutable qu’un videur de taverne embauché au Solstice près de l’île Royale. T’as un nom, terrible guerrière ? Et des disponibilités si j’veux t’embaucher comme protectrice de mes formidables rondeurs ?

Kaname, elle, s’intéressait davantage à la créature qui ressemblait à Freesia, l’un des petits compagnons de Xylia. Le dragon argenté déchiquetait hargneusement le fenrir de papier et la loutre se trouvait captivée par le nuage de confettis se dégageant des crocs affairés. Joueuse, elle s’approcha des petits morceaux laiteux tournoyants au-dessus de sa tête et tenta de les attraper du bout de la langue, pensant qu’ils pouvaient peut-être avoir le goût de la neige. Elle fut rapidement déçue et recracha en toussotant les flocons qu’elle avait attrapés.

- Ça doit être une animation de l’exposition ! C’est à la mode les trucs de survie, ou les Jeux d’Évasion. Ptet qu’on peut gagner les œuvres les plus onéreuses si on leur latte la gueule à la hauteur de leur agressivité. T’as d’autres armes aussi performantes que tes pieds ? Des mains en acier ? Des dagues magiques ? Un pouvoir ouffissime ?

Un boa en rouleaux de papier toilette serpenta jusqu’à leur groupe hétéroclite, dressa un museau menaçant de poils de brosse à dents, et tenta d’attaquer la loutre pour attraper la balle de cuir trônant sur son crâne. Oubliant toute retenue, Kaname reprit sa taille d’origine et plaqua de son séant l’agresseur contre le sol.

- Bien joué, Kana’mour ! Ça va nous rapporter des points, déclara joyeusement Apolline en observant la queue de carton cesser de frétiller comme le familier l’écrasait consciencieusement de tout son poids. On est A. Poal et Kana’mour, poursuivit-elle à l’adresse de son héroïne. Mais « trousse sur loutre ou nature face à la civilisation de l’art » c’est pas mal aussi, j’le proposerai à Cal-bute. Très lyrique. Presqu’à la hauteur de mes propres écrits. Hé ! Je narrerai ton épopée face à l’art pugnace dans une nouvelle digne des plus grands récits chevaleresques. Tu veux pas être mon égérie ? Une offre en cristaux clairs !

A leur droite, une cloison de bois s’envola dans les airs pour disparaitre en fragments déchiquetés dans la bouche affamée d’un énorme glooby aux reflets métalliques. De larges portraits – et d’aucun pouvait reconnaitre là ceux de la famille royale s’il l’avait déjà côtoyée – gravés sur ses flancs observant attentivement son entourage.

- Eh oooooh ! se récria à nouveau le tableau tout jaune d’un ton outré. Attention au mobilier ! Allez vous faire cuire un œuf plus loin !

Le glooby au regard terne balaya de celui-ci la petite assemblée devant lui – le tableau, les familiers, la trousse, la jeune femme et de vieil homme en déambulateur de l’autre côté de la paroi défoncée – semblant étudier ses possibilités gastronomiques suivantes.

- Une belle bête ! Assurément l’imposante monture qui te conviendrait, fantastique guerrière. Si tu te sers du nez et des cheveux du visage du jeune homme sur son flanc pour grimper sur son dos, j’suis sûre que t’arriverai à le dresser, commenta la trousse de cuir toujours pleine de bonnes idées.

Le glooby métallique chargea dans le tas.

- Ou alors on peut vaillamment le combattre, l’histoire parlera ainsi de cet épic affrontement, rit l’âme artificielle comme la loutre s’écartait dans un couinement inquiet tout en déployant son armure et dégainant son manta pist’. Ou fuir.

Ce qui était parti assez rapidement d’une attaque de la laïum s’était rapidement transformé en un jeu en voyant que son ennemi n’était pas vraiment menaçant et se transformait même tout seul en un truc rigolo en se faisant déchiqueter. Lumi s’était rapidement rendue compte que ce n’était pas très comestible par contre. Violette, de son côté, se demandait plutôt si c’était bien correct de déchiqueter des œuvres ainsi mais d’un autre côté, c’était elles qui avaient commencé. Une défense d’enfant en primaire, certes, mais quelle idée de s’en prendre à une “grande guerrière” comme elle, aussi.

« J’veux dire, c’est plutôt facile quand tes ennemis font vingt centimètres de haut. C’est plutôt moi le Fenrir ici. »

Un nouveau petit coup de pied sur le côté et quelques bonhommes de papier firent quelques pirouettes jusqu’à quelques mètres de distance. C’était sûrement comme ça que le Fenrir se sentait, en fait. Quand on mesure la taille d’une montagne, en même temps, on avait rarement peur des petites fourmis avec des cures dents en papier.

« Je suis juste aventurière, mais j’avoue ne jamais avoir travaillé pour une trousse et la sauvegarde de ses rondeurs. Après, quels sont donc tes terribles ennemis? A part des Fenrir en papier. Parce-que ça dépend beaucoup de ça! »

Violette jeta un petit coup d'œil autour d’elle, prenant un peu plus conscience du chaos, des gens qui couraient, de ceux qui se cachaient dans un coin, et des autres qui ne prenaient aucun scrupule à se défendre, un peu comme Violette en fait. La loutre elle ne semblait pas si inquiète et semblait plutôt joueuse, un peu comme Lumi au final.

« Casser des trucs je sais faire, mais je suis pas certaine d’avoir envie de repartir avec un prix de l’endroit. Et puis, comme tu le sais, les meilleurs guerriers gardent toujours leurs petits secrets pour terrasser leur ennemi juré! Et c’est certainement pas un boa en rouleau de PQ… »

Ce serait, d’ailleurs, assez ridicule. Mais avant qu’elle n’ait pu intervenir, la loutre avait déjà géré la situation de son postérieur ayant décuplé de taille. Enfin, la loutre entière avait décuplé de taille, pas que ses fesses. Sinon ça aurait été un pouvoir bien bizarre. Lumi, intriguée, était rapidement venue imiter la loutre et s'asseoir sur le terrible serpent en poils de balai. Un nouvel ennemi vaincu, et à jamais défiguré par deux paires de fesses de familiers.

« Moi c’est Violette, et voici Lumi. Mais du coup, à poil? Est-ce-qu’une trousse est à poil par défaut ou bien c’est en étant ouverte ? Et, Calbute, vous êtes un trio? J’veux dire, c’est pas particulièrement le moment de négocier des contrats d’embauche et tout ça. Surtout pour ce genre de postes! Et puis, tu écris des choses? »

Un trio aux noms originaux, même si elle avait cette intuition que c’était peut-être des surnoms. Néanmoins, l’aventurière n’hésitait pas à poser les vraies questions : Quand considérait-on qu’une trousse était à poil? Après, elle n’était pas si surprise de trouver d’autres artistes, écrivains et auteurs dans un tel endroit. Juste toujours un peu que l’écrivain en question avait une forme peu conventionnelle.

Mais là encore, le chaos se réinvita chez eux après l’instant de calme offert par Kanamour et Lumi, sous la forme d’un glooby de métal géant prêt à charger vers eux. Enfin, une charge de glooby n’avait rien de très intimidant. Et ce n’était pas vraiment une monture idéale non plus.

« C’est métal comme monture. Mais ça doit faire froid aux fesses quand même, et c’est sûrement pas super confortable. Puis en plus ça doit baver fort! »

L’aventurière ignorait complètement la charge du majestueux animal, ayant décidé de faire un petit tour de passe-passe pour impressionner sa nouvelle fan. Peu de temps avant l’impact, l’aventurière disparu dans un petit voile d’ombre pour réaparaître directement à dos du glooby, avec comme objectif de le faire changer de cap. Puisque le vieux en déambulateur se contentait de restait là en criant de la façon la moins convaincante qui soit. A se demander s’il était vraiment réel lui-même ou pas.

La créature chromée, visiblement peu ravie d’avoir de la visite non autorisé sur son dos lisse, commença à bouger pour lui infliger un véritable rodéo. Une épreuve qu’elle n’aurait pas pensé vivre dans un musée, à vrai dire, alors que le Prince, lui, semblait visiblement protester à peu près aussi bien que le tableau jaune. D’une voix, d’ailleurs, assez proche de l’exemplaire réel.

« Non, mais, vous ne pouvez pas faire ça, selon l’article B.342 du code pénal de l’an 845, lors de la révision de la saison douce, et du second amendement constitutionnel du Royaume d’Aryon… »

Il continua d’ailleurs pendant bien quelques secondes à poursuivre ses bêtises, pendant que Violette qui ne l’écoutait pas vraiment vit sa dague quitter sa ceinture, prête à tomber. Ayant un peu de mal à la rattraper, une ruade du glooby la fit planter la lame directement dans la gravure du prince qui laissa échapper un cri de douleur assez sonore alors que la lame arrivait à faire légèrement plier le métal - très fin - de la créature. Créature, d’ailleurs, qui changea complètement de cap pour virer sur le côté et entrer en contact avec encore plus de cloisons, dont celle du malheureux tableau jaune qui, loin d’être détruit, commença à râler encore plus fort. Tout comme le prince.

Un concert qui fit lâcher l’aventurière, qui se retrouva à terre au milieu des débris sous le regard intrigué de Lumi qui n’avait pas l’air de comprendre plus qu’elle ce qui se passait. En tout cas, le dit glooby semblait maintenant plus motivé à partir dans une autre direction alors… Tant mieux?

« Au final, je suis pas trop motivée pour dresser ce genre de… truc. Si ça peut me réciter le code pénal de tête, ça vaut sûrement pas trop le temps de s’y attarder. »

Elle s’était relevée, essuyant un peu son haut de la poussière et des débris qui le recouvrait, avant de constater que visiblement le tableau jaune emporté par le glooby et la gravure du prince semblaient particulièrement bien s’entendre, sur le dos de cette magnifique créature en train de s’éloigner vers le soleil couchant en rampant. Le début d’une très belle histoire, assurément.

Tournant la tête, Violette eu le temps de voir ce brave vieillard en déambulateur en train de s’effondrer à moitié sur son outil de locomotion favori. Non pas qu’il était particulièrement malade ou mal en point, mais plutôt à entendre les bruits qu’il émettait, il était en train de ronfler. Ou du moins de commencer à ronfler. Ce qui laissa la brune toujours un peu surprise. Le temps de voir une sorte de charrette avec des lumières bleues et rouges avec une sirène au bruit assez insupportable passer, attraper le vieillard dans une sorte de pince mécanique étrange, et repartir à toute vitesse dans le bâtiment en slalomant entre les badauds paniqués…

Un petit groupe de gens passa d’ailleurs à toute vitesse à côté de la compagnie très hétéroclite alors que Violette se relevait, poursuivis par une sorte de gâteau géant avec des crocs. Pas beaucoup de chance pour le dit gâteau, parce-que Lumi était justement en train de le regarder avec des yeux qui voulaient tout dire. Du moins que Violette compris immédiatement…

* Gâteau! *
* Non, Lumi, non! *
* Gâteau!!! *

Un petit signe de patte et de tête à sa nouvelle copine la loutre, et la laïum s’était déjà élancée à l’assaut du gâteau, qui partit en criant comme une fillette dans la direction inverse avec son prédateur naturel aux trousses, sous un petit soupir de Violette.

Parce-que oui, le prédateur naturel du gâteau était le laïum.

« Et donc tu… Es pas une œuvre d’ici je suppose? C’est qui Calbute? A part un moyen de ne pas être à poil? »

Là encore, Violette posait les vraies questions.

- Ca fait déjà bien cinq minutes, non ?

Calixte, les doigts crispés autour de son verre nouvellement vidé et de sa corbeille à nouveau remplie, dardait des regards de plus en plus inquiets aux portes résolument closes des différentes ailes de la galerie.

- Vrai que maintenant qu’vous l’dites, j’me souviens avoir servi une caisse entière de thermos à mojito à l’équipe ce matin.
- Quelqu’un devrait aller voir si les ouvriers ne sont pas tous en coma éthylique, non ?
- Certainement. C’pas mon taff cela dit.
- Vous n’avez pas de responsable ici ? Ou de gardien ?
- J’vous l’ai dit tout à l’heure, pas de gardien. Et y a que Joceline à la boutique souvenir, et moi à la buvette en journée. Le propriétaire du musée repasse qu’en soirée avec les artistes pour vérifier l’évolution des œuvres, et les propositions d’achat laissées auprès de Joce. Parait que la journée il fabrique des puzzles. C’est sa passion et son gagne-pain à côté.
- Ah. D’accord. Je vais peut-être aller vérifier moi-même alors.
- Les clients n’ont pas le droit de se déplacer dans les zones privées du musée.
- … et si je leur livre une nouvelle tournée de mojito ?
- Bah vous tombez bien alors. J’vais vous donner la caisse à leur adresse, bougez pas.

Reposant son verre vide sur le comptoir, Calixte ramassa Abdallah dont iel ouvrit la poche principale et étira l’ouverture du grand sac sans fond qu’elle contenait. Déjà qu’iel n’était pas bien vaillant-e, iel n’allait pas se risquer à trimballer les bouteilles d’alcool à bout de bras.

- Voilà ! Vous voyez la p’tite porte marquée « accès privé » ? Vous la passez, grimpez les marches, droite, droite, puis deuxième porte sur votre gauche.

Hochant la tête tout en confiant à son sac-à-dos le soin de retenir l’entièreté des informations – la grossesse ne faisait rien pour améliorer ses capacités mnésiques – lo soldat-e quitta le tabouret qui commençait à devenir inconfortable pour son séant et entreprit quelques pas maladroits. Un vertige usuel, majoré par l’atmosphère chaude de cette saison estivale, lo pris un couple de secondes, mais iel gagna rapidement en assurance et avisa l’une des portes closes des galeries. Hors de question de partir à la recherche de l’équipe de travaux avant de s’être assuré-e de l’intégrité de sa loutre et de sa trousse. Résolu-e, Calixte activa son pouvoir – sur lui et son teisheba – et traversa le battant devant iel.


Kaname s’amusait grandement. Lorsqu’Apolline les avait trainés à l’exposition la loutre géante avait suivi le mouvement avec curiosité, mais maintenant qu’elle prenait pleinement la mesure du potentiel de ce type d’activité elle appréciait de plus en plus l’art. Si elle avait su que c’était le genre d’endroit où elle pouvait se faire de nouveaux copains tout en bataillant joyeusement contre des structures en carton-pâte, elle aurait demandé bien plus tôt à Calixte de l’amener dans un musée. Assurément sortirait-elle d’ici sa fibre artistique décuplée et prête pour l’exploration de nouvelles galeries. Peut-être Lumi – si elle avait bien entendu la conversation entre l’humaine et la trousse – serait-elle aussi d’humeur à poursuivre leur tournée culturelle ? Mais pour l’heure, un large gâteau appelait leur attention, et Kaname emboita le pas de sa nouvelle amie avec un enthousiasme débordant.

- Flatteuse, mais non, je n’suis pas une œuvre d’ici, gloussa Apolline en grimpant de gravats en présentoirs pour mieux prendre son élan afin d’atterrir sur l’épaule poussiéreuse de Violette. J’demanderai à Cal-bute de te passer mes ouvrages – je sais qu’il n’se balade jamais sans un exemplaire de chaque – tu verras que le ton n’est pas tout à fait le même.

Plus loin, l’immense gâteau claquait des crocs pour tenter de repousser l’assaut des deux familiers, mais il semblait que son sort était scellé ; la détermination du laïum pour en venir à bout paraissait particulièrement vaillante. Il y avait là, sans doute, la marque d’un amour exalté à sens unique.

- Aaaah en voilà des questions intéressantes ! Mais faut garder un peu de mystère pour entretenir la flamme de l’imagination, nan ? J’te passerai les coordonnées de Shushu s’tu veux, il a certainement et la flamme et l’imagination pour te répondre de ce côté-là à mon sujet, rit la trousse. Quant à Lumi et Kana’mour, tu penses qu’elles sont à poil ? Ceci dit, techniquement Kana’mour a déjà un Cal-bute !

Rien n’était certain de ce côté-ci, si ça n’était que les deux familiers venaient de réussir à édenter l’énorme gâteau, faisant voler des miettes grosses comme le poing sous leurs crocs enthousiastes. La loutre, qui avait été éduquée pour ne pas consommer ce que Calixte n’avait préalablement approuvé, ne se rassasiait guère, mais prenait tout de même un plaisir immense à imiter le laïum en déchiquetant consciencieusement la pâtisserie. Ne relevant son museau que lorsqu’un esprit connu effleura le sien.

Cal ?
Kana ! Où êtes-vous ? Tout va bien ? C’est la folie ici.
Apo et Kana avec copains ! Allez très bien. Près gros gâteau, armée et serpent écrasés, glooby métallique parti avec tableau jaune, vieux monsieur attrapé pour aller plus loin.
… quoi ?
- Et voilà Cal-bute ! s’exclama joyeusement la trousse de cuir en appréhendant la silhouette de l’espion-ne qui avançait prudemment à travers la galerie. En avant, Fleur d’été ! Tu remarqueras qu’il n’est effectivement pas à poil, mais ça peut s’arranger.

Un peu perdu-e, évitant de justesse les lianes tortueuses d’une construction végétale cherchant visiblement à embrasser un peu trop fortement quiconque passait à sa portée, Calixte rejoignit le petit groupe. Son regard ambré rebondissant de protagoniste en protagoniste, à la recherche d’une information sensée sur le chaos ambiant, en vain.

- Cal ! Voici Fleur d’été et Lumi.
- Lumi ? répéta bêtement l’espion-ne pensant qu’il s’agissait là du prénom de la jeune femme, et Fleur d’été celui du laïum.
- Non, Violette. Mais Fleur d’été c’est mignon aussi.
- Je… quoi ?
- Il faut que tu lui donnes mes romans pour qu’elle se fasse une idée des trésors qu’elle pourrait être amenée à protéger et dont elle sera la fière représentante de part les contrées d’Aryon. Abou ! File-moi Le Cercle de l’Ombre.
- Attends… quoi ?
- C’était déjà pas une lumière, mais il est un peu ralenti depuis la grossesse, faut l’excuser, fit tranquillement la trousse à l’adresse de l’aventurière pendant que les sangles du sac-à-dos s’activaient pour fouiller les profondeurs du sac-sans-fond à la rechercher des romans de celle-ci.
- Qu’importe, soupira Calixte en se massant les tempes. Il parait que ce sont les difficultés de l’équipe de travaux qui, lors d’hasardeuses manipulations, font disjoncter le système… et les galeries avec, visiblement. Je ne pense pas qu’elle se rende compte à quel point ; les employés du musée ont l’air de n’avoir aucune idée de ce qu’il se passe réellement ici pendant ce temps-là. Ce qui est assez remarquable vu le désastre que ça doit laisser après coup…
- Fleur d’été a retamé un Fenrir et toute une armée de bonhommes en papier mâché, acquiesça solennellement Apolline. Ils s’en remettront pas de sitôt. Et elle a habilement orchestré la rencontre romantique entre un prince sur glooby et un tableau d’un jaune magnifique ; assurément se sont-ils déjà envolés vers leur lune de miel. C’était hyper cool ton truc de disparition-réapparition, nota plus légèrement l’âme artificielle pour Violette en se souvenant dudit moment et de sa propre exclamation ébahie. C’est ton pouvoir ? Cal-bute t’es rentré avec le tien ?
- Heu oui. Les issues sont bloquées. Il faut qu’on monte à l’étage pour demander à l’équipe de rétablir la situation. Ou le faire nous-même, en fonction de leur état d’ébriété…
Pourquoi es-tu en armure, Kana ?
Pour attaquer gâteau ! Kana peut manger ce que Lumi laisser ?

Il ne restait déjà plus grand-chose de l’énorme pâtisserie, mais Calixte n’avait aucune idée de son potentiel impacte sur le métabolisme de la loutre aussi choisit-iel de trancher :

Tu peux lécher les miettes sur ton museau. Si tu as faim je te donnerai des biscuits à la sardine après tout ça.
- J’espère qu’elles – enfin surtout Apolline – ne vous ont pas trop ennuyée, fit l’espion-ne quelque peu soucieux-se alors que tout le petit monde se remettait en mouvement pour tenter d’atteindre la salle de contrôle et l’équipe de travaux incompétente.
- Je lui ai proposé un contrat pour protéger mes rondeurs !
- … les protéger de quoi ?
- Toutes les célébrités ont pas des gardes du corps ? Ça te ferait des cristaux quand j’suis de passage sur la Capitale pour dédicacer mes romans, poursuivit la trousse qui squattait toujours l’épaule de Violette. Mes fans sont parfois très enthousiastes, et un peu trop pressés de mettre en pratique les aventures dépeintes dans mes scénarios. J’aime être proche de mon public, mais y a des intimités plus appréciables que d’autres, éclata-t-elle de rire. Hé Fleur d’été, t’as quelqu’un avec qui t’es intime ?

Lumi s’était en allée avec sa nouvelle amie pour aller à l’assaut du terrible gâteau vivant. Bon, il semblait heureusement comestible, même s’il n’avait pas l’air spécialement bon. Après tout, il n’avait sûrement pas été fait à la base pour être mangé. Mais bon, Lumi avait l’air de s’en contenter sans trop exagérer sur la quantité qu’elle engloutissait. Même si elle exagérait clairement sur le niveau de destruction de la pauvre œuvre d’art. Il fallait dire que ça l’amusait beaucoup et qu’en plus le fait que les oeuvres se défendent un minimum lui donnait la bonne excuse comme quoi c’était elle qui avait commencé.

En attendant, la fameuse trousse qui parlait avait trouvé refuge sur l’épaule de l’aventurière, alors que le chaos autour d’elles était finalement un peu retombé - il fallait dire que les œuvres des environs n’avaient pas été bien chanceuses, vu ce à quoi elles s’étaient attaquées. L’aventurière resta légèrement dubitative face à ce style d’ouvrage un peu différent. Mais là en l’état, tant que le livre n’essayait pas de la bouffer comme le reste de la galerie, c’était déjà un plus.

« D’un autre côté, Lumi avec des habits aurait sûrement bien trop chaud. Même si elle aura droit à son armure un jour. »

Violette haussa les épaules, faisant monter Apolline de quelques centimètres en regardant Lumi qui semblait bien s’amuser. Et puis, les animaux étaient souvent mieux sans trop de vêtements souvent bien plus gênants qu’autre chose. Néanmoins, leur discussion fut interrompue par l’arrivée de ce fameux Cal-Bute. Enfin, Violette était un peu surprise de se retrouver face à une dame visiblement enceinte. Mais elle en déduisit que c’était sûrement la personne en charge de la loutre, de la trousse, et du sac qui bouge à la recherche de romans…

En tout cas, elle arriva avec de nombreuses informations sur la raison de l’animation qui régnait dans la galerie en ce moment. C’est vrai que Violette aurait pu enquêter plutôt que de laisser Lumi détruire la moitié de l’endroit tout en discutant avec une trousse qui parle, mais, bon, les priorités ce n’était pas son fort. Fleur d’Ete, en tout cas, ça sonnait bizarre, mais elle ne s’en formalisa pas vraiment, plus occupée à écouter les interactions entre les deux partis tout en se frottant l’arrière de la tête.

« Oh, elle est plutôt amusante à vrai dire, même si j’ai parfois un peu du mal à suivre toutes ces histoires et les nombreux noms dedans. Et… Ses propositions un peu étranges parfois. Moi c’est Violette d’ailleurs! »

Même si la trousse l’avait déjà dit, elle n’était pas certaine que Calbute, ou Cal, ou un autre prénom qu’elle ne connaissait pas encore, ait bien saisi ça. En tout cas, le plan était décidé, et il fallait se rendre à la salle de contrôle pour remettre la situation en l’état. Visiblement, les gens là bas n’étaient plus très frais mentalement à entendre la nouvelle arrivante.

« Mais je pense que ce n’est pas trop le moment de lire, mieux vaut arrêter ce carnage avant qu’un accident n’arrive vraiment... Ou que les gens ne soient vraiment énervés des dégâts de Lumi... »

Mais bon, elle n’y pouvait rien, elle avait été attaqué après tout, ce n’avait été que de la défense tout à fait honnête! Même si elle n’était pas certaine que tout ça ne soit vraiment une excuse recevable auprès des responsables de l’exposition. Elle était aussi à moitié passé à côté des sous-entendus de la trousse sur son épaule. A vrai dire, vu la teneur de la discussion, elle aurait certainement dû s'en douter plus tôt.

« Euh, c’est des romans d’aventures, c’est ça? Je me suis jamais trop intéressée à la littérature mais y a vraiment un auteur connu avec des fans qui est une trousse? »

Le regard de Violette passa sur un mannequin enchaîné qui était en train de demander à ce qu’on le libère de ses chaînes, encore une œuvre un peu bizarre… Mais celle-là, elle ne comptait pas la détruire. Lumi d’ailleurs, qui était revenue avec le groupe en gambadant, l’ignora copieusement. Heureusement d’ailleurs. Le reste était heureusement assez inoffensif et alors qu’ils approchaient de leur destination, les oeuvres semblaient plus dociles et moins vindicatives heureusement. Au loin, le glooby de métal et son tableau s’éloignaient cadre dessous cadre dessous.

« Et, euh… Drôle de question. J’suis pas célèbre donc j’ai pas de fans, mais c’est pas plus mal! Après je voyage beaucoup donc je revois très rarement les mêmes gens! Ca aide pas à avoir des fans. »

Se retournant brièvement vers Cal, toujours avec la trousse sur les épaules alors qu’elle slalomait entre les oeuvres bruyantes mais moins dangereuses, elle était tout de même toujours curieuse. Ils étaient sortis de l’exposition en passant par une porte avec un accès privé et en montant des marches. Niveau trucs à moitié illégal, elle n’était plus vraiment à ça près. C’était même plutôt calme d’entendre juste l’agitation en bas, et de s’en être éloigné.

« Tu as l’air bien entourée en tout cas, c’est toujours aussi mouvementé? Oh, je crois qu’on arrive! »

L’aventurière venait de trouver la porte avec le petit label indiquant le lieu qu’ils cherchaient, et elle toqua donc à la porte, demandant si quelqu’un était là. Elle n’entendit comme réponse qu’un ronflement sonore, suivi d’une autre voix…

« Nooon, ché fermé et… et ché la pauuuuse là. La pause déjeuuuner. C’est le déjeuner? Fait soif! »

Violette haussa un sourcil, à moitié étonné - même si ce n’était pas plus bizarre qu’une galerie d’art qui prenait vie - et à moitié dépitée. C’était quoi le plan dans ce genre de cas?

« Vous voulez pas… Remettre le système en marche? Que tout redevienne normal? »
« Eh, vous voulez pas d’abord nous ramener à boare? C’est qu’y fait soif! »

Violette se retourna à nouveau vers la blanche à la recherche d’un potentiel coup de main. Enfin, peut-être d’une idée moins brutale que de juste ouvrir ou défoncer la porte. Ou peut-être de leur mentir? Violette n’avait que de l’eau ou du thé sur elle, mais pas de boisson alcoolisée. Ils s’en rendraient sûrement assez vite compte...

- Elle n’est pas facile à suivre, accorda Calixte comme iels se remettaient en mouvement. Enchanté, Violette, moi c’est Calixte, ajouta-t-iel, bienheureux-se d’avoir eu une réponse un chouilla plus claire sur le nom de sa camarade.
- Je suis une lumière, c’est pour ça, commenta humblement Apolline avant d’enchainer sur l’histoire du contrat et d’écouter les réponses de l’aventurière.

En riant doucement. Elle qui avait pensé trouver en Jin, le Soleil de sa vie, une certaine innocence tout à fait rafraîchissante, découvrait en Fleur d’été une délicieuse candeur faisant miroiter son statut d’héroïne – pour l’âme artificielle – d’un nouvel éclat particulièrement attachant. Pour toute la perversité de son esprit, Apolline n’aimait rien de plus qu’appréhender la naïveté de son vis-à-vis. Pas par malveillance, mais par curiosité et, comme une grande part de ses agissements, amusement.

- Abou, ça sera plutôt le Guide des croisières en eaux troubles, que le Cercle de l’Ombre, rectifia-t-elle.
- J’te prépare ça, sœur, répondit le sac-à-dos d’une voix affairée. J’crois qu’y a mes derniers Garde Actuelle qui s’sont emmêlés autour. J’veux pas les déchirer, s’sont trop précieux, s’sont ceux avec les recettes véganes pour sportif et tout.
- C’est de l’aventure d’un certain genre, reprit Apolline pour Violette. Tu m’en diras des nouvelles, j’te laisserai l’exemplaire avec l’adresse de la Volière pour que tu m’écrives ce que tu en penses ! Hé ! J’suis sûre que si tu demandes au Beau Jack de monter un club de lecture au sein de la Guilde il sera pas contre y diffuser mes œuvres !
- Je ne suis pas certain que ça vaille grand-chose pour la réputation de la Guilde, interjeta Calixte.
- Plein de monde aime mes romans !
- Vrai, adelphe. J’l’ai vue passer dans un classement de lecture chez Marie Lucy ; et ça c’est d’la revue sérieuse.
- Mes séances d’autographes ne désemplissent pas, a contrario des bourses de mes fans, rit la trousse avant de se taire temporairement comme iels arrivaient devant la porte du local qu’iels cherchaient.

Où, visiblement, l’équipe de travaux avait eu le temps de descendre l’entièreté de son stock matinal de thermos de mojito, et n’était pas très disposée à accéder à leur demande pourtant des plus raisonnables, quand on savait dans quel état étaient actuellement les galeries du musée. Dans une grimace, l’espion-ne avança sa main pour tenter d’ouvrir la porte, mais celle-ci était résolument close. Non pas en raison d’un tour de clef qui aurait pu être donné à la serrure, mais de la lourde masse appuyée de l’autre côté du battant et empêchant celui-ci de bouger d’un iota.

- Ch’fermé n’a diiit.
- On a à boire, cria-t-iel en espérant que sa réponse entrainerait un peu de mouvement.
- Héééé bé entrez ; keskécé qu’vous attendez ?
- … la porte est bloquée.

Une série de bruits, laborieux, leur parvint depuis le local, mais lorsque Calixte retenta sa chance auprès de la porte, elle était toujours coincée sous le poids de, très certainement, un employé ivre mort.

- A boaaaare d’abord, bouger après.
- Mais on ne peut pas entrer si vous ne bougez pas.
- Nan nan nan, vous n… nm… m’aurez pas : boiiire d’abord.
- Ce monsieur sait ce qu’il veut, apprécia Apolline.
- Kana, tu restes avec Lumi ici ? On vous ouvrira une fois qu’on aura bougé… ce qui bloque la porte.
- T’es sûr que les efforts c’est bon pour ton terme ? Ça a l’air d’être un sacré pachyderme évanoui contre la porte. Mais Fleur d’été te fera ça en deux deux, avec ses muscles saillants. Musclor, on l’appelle dans le milieu. Musc’fleur. Musc’leur. Hé, c’est pas mal aussi, nan ?
- Excuse-moi, je t’emprunte, fit l’espion-ne à Violette, en lui présentant sa main avant d’attraper la sienne.

Et en une fraction de seconde, iels fusionnèrent et défusionnèrent avec la porte, pour réapparaitre dans le local où – iels faillirent se croûter en enjambant l’homme échoué contre le battant – la petite équipe des travaux gisait entourée de cadavres de thermos vidés. Contre les murs, des étagères débordaient de documents sans dessus dessous, et des panneaux de contrôle clignotaient follement de tous leurs cristaux imbriqués. Mais aucun des quatre employés ne paraissait plus inquiet de l’état désastreux de la pièce que du manque évident d’alcool restant. D’ailleurs, seuls deux étaient encore à peu près éveillés, leurs camarades roupillant du sommeil du juste. Ou, plutôt, de l’éthylique. Le temps de quelques secondes, lo soldat-e parcourut d’un œil critique les environs, avant que les forts relents ne lui provoquassent des haut-le-cœur de mauvais augure.

- Bougeons-le, indiqua-t-iel en désignant de la tête l’homme endormi contre la porte. Il faut aérer les lieux avant qu’on finisse alcoolisés rien que par l’odeur.
- Hééé oh ! Z’avez dit qu’y avait à boire.
- Deux secondes.
- Z’avez ram’né du manger aussi ? C’l’heure d’saucissssson…
- Deux secondes !
- Faut pas vous énervez là oooh. C’pas pask’vous êtes grosse qu’faut mal l’prendre.
- … quoi ? Ah mais il pèse un grognours mort celui-ci, souffla Calixte comme iels luttaient pour déplacer le corps inanimé de l’employé. Tant pis, grommela-t-iel finalement en faisant fusionner ce dernier dans une bille et ouvrant brutalement la porte.
- Non ! Patrick ! Kek’vous avez fait à Pat ?! Z’êtes méchaaaante ! Grosse et méchante.
- Kana, manta pist’-le moi, s’il-te-plait. Fais attention aux panneaux, il ne faudrait pas qu’on ajoute de la casse à l’incompétence.

Tout heureuse de pouvoir utiliser son jouet, toujours parée de son armure car elle se trouvait très élégante dedans et que la fraicheur de l’intérieur de la bâtisse ne rendait pas son port gênant, la loutre géante se fit une joie de lancer une rasade d’eau sur l’homme qui se lamentait. Augmentant, de fait, ses glapissements.

- Mais v’z’êtes vraiment méchante méchante ! S’chuffit oh ! Laiss-moi tranquille !

Attrapant le col trempé de l’employé tout en gardant une distance prudente de son haleine chargée, Calixte riva son regard de moins en moins patient dans celui dérouté de sa cible.

- Vous préférez régler le problème du panneau de contrôle avant ou après avoir été re-manta pisté ?
- Méééé hééééé… ch’pas faire moi. C’tait Georges, mais Georges fait l’sieste. Y a l’manuel là, ajouta-t-il précipitamment comme Kaname s’apprêtait à nouveau à l’arroser.
- Il semble avoir presqu’autant bu que le reste de l’équipe, mais au moins les pages sont encore lisibles. A peu près, nota Apolline depuis l’épaule de Violette comme elles avisaient le fameux manuel.
- Parfait. Je… reviens, pâlit l’espion-ne avant de piquer un sprint pour chercher les sanitaires – ou poubelles – les plus proches et vider ses entrailles indisposées.
- Et l’mojito ? tenta l’homme qui essorait maladroitement sa tunique.
- Je crois, mon brave, que vous pouvez vous assoir dessus. Il parait plus probable que la caisse qui vous était destinée revienne à l’envoyeur intouchée. Et qu’un petit rapport un peu salé ne parvienne ce soir aux bureaux de la Garde.
- Méméméméééé…
- C’est pas d’chance, je vous l’accorde ! Mais fallait pas antagoniser une soldate de la Garde, enceinte qui plus est ; ils n’ont pas beaucoup d’humour dans cette institution. Très terre à terre. Et procéduriers. Voyez plutôt Fleur d’été, vous auriez certainement été plus tranquille avec elle, si vous aviez négocié vos mojitos contre l’immunité de destruction des œuvres de la galerie. Je sais qu’on dirait pas comme ça, mais elle a le pied vraiment redoutable ; un fenrir en a tâté l’éloquence.
- Un fenrir ? gémit l’employé.
- Un fenrir. Tu t’en sors Fleur d’été ? S’il faut réimbriquer les cristaux à la bonne place, laisse-moi te dire que je suis experte en tetris. Toutes sortes de tetris, rit à nouveau la trousse par-dessus les lamentations de l’homme.

Violette avait été une grande amatrice de littérature à l’époque, uniquement des fictions, surtout des romans d’aventure, à vrai dire. Mais elle avait abandonné cette activité depuis sa fugue il y a déjà cinq ans de ça pour se concentrer sur la vie d’aventurière. Il lui arrivait de temps en temps de lire un livre au coin du feu mais c’était une activité relativement rare. Elle ne savait pas particulièrement en quoi les romans de la trousse seraient si spéciaux - même si elle avait un peu peur de connaître la réponse. Mais si ce n’était pas fait pour elle, elle n’était pas obligée de le lire, après tout.

Elle avait au moins appris le véritable prénom de “Calbute”, Calixte, ce qui était tant mieux puisque l’aventurière se voyait assez mal appeler quelqu’un qu’elle venait de rencontrer par son petit surnom.

« Je suis pas certaine que les aventuriers sont des grands férus de lecture en général. Mais je te dirais ce que j’en pense, déjà, avant d’essayer de convaincre le conseiller de ce genre de choses. »

Un petit sourire, et Violette se reconcentra rapidement sur la tâche suivante : Entrer dans le repaire des alcooliques et remettre en état la galerie. Elle fut légèrement surprise par la demande de Calixte, mais accepta néanmoins avant de d’un coup se retrouver de l’autre côté de la porte et de trébucher sur un corps inerte qu’on aurait pu croire mort si ce n’était pour ses ronflements sonores. Bien plus pratique que de devoir défoncer la porte avec ses muscles pas vraiment proéminents.

La sensation avait été étrange, un peu comme quand elle utilisait son pouvoir à vrai dire, et elle mis bien quelques courtes secondes à comprendre et se mettre à analyser son entourage. Clairement, c’était l’apocalypse dans cette pièce. Violette suivi donc la première instruction de Calixte, et essaya de son mieux de bouger le gros sac avachi contre la porte. Sans grand succès.

« J’avoue, c’est pire que dans une taverne de routiers... » souffla-t-elle à son acolyte, un peu dépitée. Tant par leur état que leur impolitesse.

Néanmoins, la blanche n’était pas à la fin de ses surprises et ce point mort disparut directement dans une petite bille. Un problème en moins! Une fois la porte ouverte, Kana se chargea de commencer un petit ménage tandis que Lumi, de son côté, recula d’un pas avec un petit air dégoûté, ayant sûrement senti une vague d’air chaud et alcoolisé sortir de la salle, pas vraiment motivée pour suivre son amie à fourrure dans la pièce.

Violette s’empara alors du manuel, assistée par Apolline dans son déchiffrage. Même si elle regarda les pages et les instructions avec un regard aussi vide que sa compétence dans ce genre de machines. A vrai dire la plupart de son esprit s’inquiétait même pour Calixte qui ne se sentait pas très bien - dans son état, ces abrutis lui en avaient demandé beaucoup trop. L’occasion aussi d’apprendre qu’elle était Garde? Ou bien c’était peut-être un bluff. Mais si c’était vrai, cela l’empêcherait peut-être d’avoir des soucis pour sa destruction d'œuvres.

« Zêtes sûres je peux pas avoir une p’tit lichette de Mojito? »
« Non. »
« Roh, mais allez, j’vous ai donné l’manuel et tout! »


Un soupir de la brune, qui peinait à resister à l’envie de lui faire tâter de son coup de pied tueur de Fenrir. Il semblait au moins un peu plus calmé et un peu plus poli, mais ce n’était pas une raison pour lui apprendre une nouvelle leçon! Elle n’eut même pas besoin de dire grand chose, simplement de regarder la loutre et son Manta Pist avec un air qui voulait tout dire pour qu’une nouvelle giclée d’eau ne vienne accueillir sa demande sous ses protestations. Un petit message télépathique d’encouragement, et Lumi s’approcha pour rajouter de son souffle sur l’alcoolique trempé, qui se mit à légèrement grelotter.

« Ehhhh! C’est froid! »
« Oui, c’est froid, mais si tu la fermes pas pendant que j’essaye de comprendre cette connerie de machine, c’est l’éloquence de mon pied dans ta gueule, c’est clair? »

C’était assez rare que l’aventurière en arrive à ce stade, mais elle jugeait qu’il n’y avait clairement rien à tirer de constructif dans une discussion normale avec cette outre à vinasse. Et elle n’avait clairement aucune estime ni la moindre once de respect pour cette personne. Surtout alors qu’elle se grattait le crâne à essayer de voir ce qui ne fonctionnait pas. Parce-que à part des bip et des flashs qui ne voulaient pas dire grand chose pour elle, elle était assez désemparée.

Tournant les pages à la recherche d’une information utile, lisant en diagonale en essayant de trouver ce qui n’allait pas, elle n’arrivait même pas à en voir ce qui déconnait dans tout ce merdier. Enfin, peut-être en appuyant sur ce bouton, là…? Et en bougeant ce cristal vers la droite?

Les lumières de l’endroit se coupèrent, alors que d’un coup le système anti-incendie se mit en marche et arrosa tous les convives de la pièce. Si elle avait pu deviner que cette expédition dans une galerie d’art se terminerait dans un tas d’explosions aquatiques… Au moins, avec la lumière du jour à travers des volets à moitié fermés, elle voyait encore à peu près ce qu’elle faisait.

« Euh… Je crois que c’était pas ça... T’as une idée, brave compagnonne? »
« Bah non c’était pas ça! T’es conne ou qu... »

Interrompu par l’éloquence de son pied dans sa face, le concerné finit par se tenir le nez en geignant comme une petite fille alors que Lumi s’était préparée à lui refaire le portrait s’il daignait montrer le moindre signe agressif.

« Eh, je t’avais prévenu, maintenant ferme là si c’est pas pour dire quelque chose de constructif! Du genre remettre les lumières et arrêter le système anti-incendie? »

Trop occupé à se rouler au sol, et avec un peu plus de temps, Violette réussi à remettre en marche les lumières, alors que le système anti-incendie lui continuait de fonctionner.

« E... »

Violette haussa un sourcil en se retournant vers lui, ce qui eut pour effet de le faire se taire rapidement. Il commençait à comprendre, c’était bien. Néanmoins, elle était prête à l’écouter.

« Essayes le cristal là, vers le haut.»

Violette s’exécuta, et le système s’arrêta alors, puisque visiblement se faire asperger, il en avait eu assez ou cela avait suffit pour le dégriser assez. Un petit soupir de soulagement s’échappa des lèvres de l’aventurière, dont les épaules s’affaissèrent légèrement.

« Ah bah voilà, tu vois quand tu veux? C’était pas si compliqué! »
« Ca avait l’air compliqué pour t.... »

Interrompu par l’éloquence de son pied, il roula sur un petit mètre en se remettant à gémir, mais, en même temps, il l’avait bien cherché. Même si ses trois collègues semblaient réveillés, ils étaient plus en train de gesticuler pour tenter de se protéger d’une eau qui ne tombait plus du plafond que de vraiment suivre ce qui se passait. La brune tourna rapidement la tête vers la trousse.

« On est d’accord, c’était légal et de la légitime défense, hein? »

Pas sûr que ça le soit. Mais il l’avait bien cherché.

D'ailleurs, il n'y avait plus beaucoup d'agitation en bas... Le problème était-il réglé?

Calixte était en train de remplir allègrement le bac d’une corbeille à papier trouvée salutairement dans un bureau déserté lorsque les lumières s’éteignirent abruptement et qu’il commença à pleuvoir dans le bâtiment. Dans une exclamation surprise, hoquetant péniblement les derniers renvois de diabolo dont son estomac ne semblait tolérer la présence, iel passa une main hagarde dans ses mèches blondes humides rabattues contre son visage comme des lianes sauvages tentant de l’étouffer, et chassa d’un mouvement qui aurait trempé le mur adjacent d’eau si les cristaux contre-incendie ne s’en n’étaient pas déjà chargés la masse alourdie de ses blonds cheveux sur sa nuque. Si la sensation du ruissèlement s’infiltrant contre chaque parcelle de sa peau jusque sous le moindre recoin de ses vêtements n’avait pas été aussi désagréable, iel aurait savouré cet interlude rafraichissant. A tâtons, iel chercha le chemin par lequel iel était arrivé-e jusque-là.

La lumière revint alors qu’iel revenait au couloir principal, bien qu’à certains endroits il sembla que l’action des cristaux anti-incendie gênât celle de ceux de lumière, offrant un paysage de chaos presqu’inquiétant à lo soldat-e s’aventurant seule – ou presque, Abdallah ne manquant guère de commenter leur évolution au diapason des romans apocalyptiques qu’il avait pu lire jusque-là – et iel gagna avec un certain soulagement la salle de contrôle où iel avait laissé Kaname et ses camarades de péripétie, juste au moment où il cessa de pleuvoir.

- J’suis sûre qu’il voulait surtout tâter en avant-première ton furieux coup de pied, il avait le regard de ceux qui kiffent ce genre de féti… hé Cal ! Ouh c’est pas dégueu t-shirt mouillé chez les femmes enceintes, t’avais déjà ce bonnet-ci ?
- Vous avez trouvé comment calmer la galerie ?
Kana et Lumi aider Fleur d’été faire parler monsieur baba au rhum. Eau, bim ! Froid, bim ! Pied, bim ! annonça fièrement la loutre en bombant le buste à côté de sa nouvelle amie.

Les sourcils de Calixte s’arquèrent sur son front comme iel parcourait la petite pièce désolée et les ouvriers, au sol, pas en meilleure condition.

- Fleur d’été a trouvé comment faire pleuvoir, et ça c’est extraordinaire par cette chaleur, répondit joyeusement Apolline. Surtout qu’y avait des profils pas dégueu dans le musée. T’as vu le jeune hybride aux abdos de rêve près du tableau jaune de tout à l’heure, Fleur d’été ? J’y passerai bien ma languette !
- Ah bah ui chest cha, grommela une voix pataude. Tirez la languette !
- C’pas l’chevillette normalement ?
- Oh ! Une revisite des contes d’Aryon. « Le Petit chaperon violet », y a un truc à faire.
- C’parait presqu’mignon dit comme ça, sœur, t’vas tenter un nouveau registre ?
- Quelle languette ?
- Z’êtes bête comme l’autre-l… PAS L’PIED ! Pitié pas l’pied ! Pardon !
- Heu… la languette ?
- Celle qui réinitialise tout. Heureum… heuseur… heureusement. On fait qu’ça depuis une s’maine.

Le regard louchant sur la large languette rouge dépassant du panneau de contrôle, Calixte hésita tout de même à tirer dessus. Un haussement des épaules de Violette lui apprit que le manuel ne leur apporterait pas plus d’information à ce sujet, et iel tenta l’action tout en grimaçant. En service ou non, enceinte ou non, iel se ferait un plaisir de déposer un rapport quelque peu salé sur l’entreprise de travaux lorsqu’iel regagnerait le giron de la Caserne.

Sous ses doigts iel sentit un déclic, et les cristaux du panneau clignotèrent de manière saccadée avant de se stabiliser. Un doux ronronnement diffusa de la machine, mais en dehors de cela, rien ne leur indiqua l’échec ou la réussite de la manœuvre.

- Retournons voir en galerie, proposa Calixte après quelques secondes indécises meublées par les commentaires salaces d’Apolline.

Iels abandonnèrent là l’équipe enivrée, et regagnèrent le cœur du musée. Où un fenrir trempé semblait avoir déjoué le pied vaillant de Violette pour défoncer œuvres et parois. Les murs éventrés luisaient de sombres balafres humides et le sol n’était plus qu’un amalgame de débris d’art, de pierres et de petits ruisseaux. Ici et là, se remettant plus ou moins calmement de leurs émotions, les visiteurs pris au piège jusqu’à présent émergeaient de leur cachette provisoire, ou de leurs démêlés avec des œuvres un peu trop virulentes. Les battants menant à l’issue du bâtiment s’ouvrirent soudain à la volée, dévoilant un homme imposant par l’abdomen comme par la moustache, sur paysage d’une petite foule de curieux. Dans un silence surpris, uniquement interrompu par le crissement des objets à l’équilibre précaire, l’homme balaya le chaos d’un regard perçant. Avant de s’écrier :

- Ma-gni-fique ! Bravo ! Quel talent ! Du plus bel effet !

Son émoi fut aussitôt repris par la petite foule l’accompagnant, et celle-ci se déversa avec émerveillement dans la salle complètement ravagée pendant que les visiteurs, tous saisis d’une variation d’incrédulité, colère et soulagement, étaient évacués sans plus de considération. De là où iels étaient, observant avec circonspection ces hommes et ces femmes s’extasier devant la galerie saccagée, Calixte se demanda s’il était encore la peine qu’iel rapportât la conduite toute limite de l’équipe de travaux.

- Allons-nous en, soupira-t-iel en essayant d’éviter de glisser dans les flaques comme de trébucher sur les débris.
- C’était génial ! s’écria Apolline. Faut refaire ça ; y a une autre exposition dans les quartiers nord-ouest sur « le melon de chance dans tous ses états », allons-y !
- L’melon c’bon en plus, adelphe. Dans Marie Lucy t’as toute une liste sur ses propriétés, et elles sont graves dingues.
- Alors : non. Plus de musée pour aujourd’hui, grommela l’espion-ne en attrapant sa gourde fontaine comme iels ressortaient dans les rues chaudement ensoleillées de la Capitale.
- Mais j’veux rester encore avec Fleur d’été !
Kana veut rester aussi avec copine Lumi et arroser des choses !

La senestre de Calixte trouva instinctivement le sommet du crâne du familier loutre qu’iel caressa doucement mais fermement, pendant que sa dextre mettait à contribution Abdallah pour récupérer la scribouilleuse d’Apolline. Ainsi qu’un exemplaire du Guide des croisières en eaux troubles, sur l’insistance de cette dernière. Sur la première page, iel indiqua l’adresse de la Volière aux dragons, que la trousse agrémenta d’un dessin tendancieux de dragons entremêlés – par un moyen que lo soldat-e avait du mal à comprendre, son âme artificielle arrivait à faire tracer autre chose que des mots à l’objet enchanté – et offrit le livre à Violette.

- Si tu as le temps pour un thé ou un verre, tu es la bienvenue. Sinon, n’hésite pas à passer à cette adresse pour nous saluer à l’occasion.
- Voire plus si affinité !
- Et toi, ajouta Calixte à l’adresse d’Apolline en plissant les yeux. Que fais-tu ? Dans tous les cas, Kana et moi rentrons.

Un gloussement répondit à son interrogation, et la trousse resta résolument campée sur l’épaule de la jeune aventurière. Elle avait l’habitude de se promener selon ses envies, et si les pas des deux humains devaient se séparer là, elle suivrait encore un temps ceux de Violette.

Violette soupira, alors que les derniers problèmes finissaient par être réglés sur ce tableau de cristaux magiques incompréhensible - surtout parce-que ce n’était clairement pas le fort de l’aventurière, en fait. Le phénomène restait assez étrange, il y avait clairement un enchantement derrière celui-ci, mais avait-elle vraiment la détermination pour suivre une enquête approfondie sur ce thème? Clairement pas. A vrai dire, elle n’en voulait même pas vraiment au responsable de ces événements, parce-qu’elle ne pouvait pas nier s’être bien amusée. Certainement bien plus que bien des gens ici. Mais dans tous les cas, même si pour d’autres le souvenir avait pu être désagréable, il restait assez inoubliable et une histoire amusante à raconter au coin du feu, ou bien à ses petits enfants.

Bon, ce qui était plus douteux était que certaines personnes n’auraient sûrement pas dû être impliquées dans tout ça, comme des personnes âgées, ou des femmes enceintes. Mais ça, elle ne pouvait pas y changer grand-chose malheureusement. Alors qu’elle était redescendue à la galerie, ignorant en bonne partie ces histoires de languettes bizarres.

« J’avoue qu’il m’a un peu échappé. Ou bien ma mémoire me joue des tours. Mais c’est normal que je l’ai manqué avec une trousse si éblouissante à mes côtés. »

Bien entendu, l’aventurière avait un chouilla d’ironie dans son ton. C’était que cette trousse bavarde captait assez fortement l’attention. Non pas qu’elle l’avait spécialement éblouie, mais au moins, elle l’avait bien amusée. La galerie dans laquelle Violette venait de mettre les pieds, par contre, était un joyeux bordel. Les gens émergeaient de leur cachette ou laissaient encore faire apparaître une certaine colère ici ou là. Alors qu’un nouveau personnage - clairement l'instigateur de ce petit évènement qui était certainement une œuvre d’art en soi - venait de faire son apparition avec ses suivants.

Partir, oui, c’était encore la meilleure chose à faire. Assez d’oeuvres bizarres pour aujourd’hui - et même assez pour une vie entière à vrai dire. Et entendre le dit artiste se congratuler lui-même pour cette œuvre qui avait été faite par les gens présents, et pas du tout par lui… Non, clairement, elle n’en avait pas envie. Elle avait cette impression que même si elle voudrait lui poser des questions pour en savoir plus, il répondra sûrement complètement à côté de la plaque. Lumi, de son côté, suivait le petit groupe docilement, s’étant tout de même bien dépensée, elle marchait pas bien loin de Kaname, mais restait plutôt calme pour une fois.

« Plus de musée pour moi non plus, et Lumi, ne pense pas y trouver un gâteau à chaque fois… En général c’est plus… normal. »

Ce qui ne voulait pas dire grand chose pour une laïum n’ayant jamais fait l’expérience d’aucun autre musée. Une sacré découverte, qui risquait de donner à son familier une mauvaise impression de ce genre d’endroit. Manquerait plus que la dragonne ne se mette à vandaliser la prochaine exposition qu’elle croiserait, et Violette allait avoir de sacrés problèmes…

Acceptant un minimum intriguée ce cadeau d’Apolline, alors que Calixte de son côté lui proposait un petit verre. La perspective était assez tentante à vrai dire, et même si ses voyages se devaient de reprendre, Violette était rarement contre ce genre de propositions. Dans tous les cas, selon les paroles de Calixte, il semblerait que la trousse était partie pour rester auprès de l’aventurière dans tous les cas. Et la brune voyait assez mal une trousse rouler sur la moitié du pays pour rentrer chez elle. Enfin, ce n’était pas à elle de juger de ça, après tout.

« Juste un petit dans ce cas, je dois quand même aller retrouver un peu de travail à la guilde, et je voudrais pas déranger plus que ça, après cet épisode mouvementé... »

Enfin, juste un petit verre, et puis, Lumi était visiblement toute contente de pouvoir rester avec son amie la loutre. L’aventurière l’avait bien entendu insister télépathiquement à ce sujet d’ailleurs. Peut-être gâtait-elle trop la laïum...