Y a des jours comme ça ou le sort s'acharne contre vous. Aujourd'hui était l'un d'eux.

Aucune idée de si c'était juste à son tour de s'en charger, comme membre d'une rotation de malchanceux devant s'acquitter de sales tâches, ou si c'est une farce, une punition à peine cachée. Toujours est il qu'il se retrouve là, dans cette grande salle pleine de ce qu'il redoute le plus dans sa vie de simple garde ; une montagne de paperasses diverses. Des pages à trier, ratifier, ranger. Encore s'il avait été un des supérieurs, il trouverait ça normal, les rapports et autres documents faisant partie intégrale de l'activité de ces personnes. Seulement, il en était pas un, actuellement, juste envie de mettre à bas la hiérarchie. Oui, c'est pas son genre. Appréciait-il la critiquer comme ça ? Non. Il a toujours été un bon petit soldat. Mais là, c'est trop.

Assit sur une chaise qui semble trop petite pour lui, dans ses vêtements d'entraînement de garde royal, papiers étalés sur une table incapable d'accueillir sa charge de travail, il soupira. C'est à partir de là que tout s'empile. Car dans son dos, pour le surveiller, personne d'autre qu'Amaryllis Tylwaen. Comme si la pièce n'était pas assez pesante comme ça, rajoutons une couche harcèlement moral, d'ambiance carcérale. Loin de la part de l'hippogriffe d'assumer qu'elle allait lui compliquer la vie ; après tout, elle devait juste ''analyser, voir ce que ça donne, comment ça fonctionne'' que d'être son maton.

Peu appréciable, la tâche avait au moins le mérite de ne pas se retrouver compliquée outres mesures. Répondant à quelques interrogations de l'adjointe, la machine était bien huilée au bout d'un moment, et tout se passait très bien. Jusqu'à ce qu'on toque à la porte. Regard interrogateur vers sa collègue, qui sans transparaître la surprise, n'attendant visiblement personne. Une sorte d'armoire à glace contrastait avec l'adorable enfant qui l'accompagnait. Une petite fille à couettes, les joues roses, presque autant que sa potite robe. Assit, Hryfin avait cet air de ne pas être à sa place, son allure n'était rien d'un gratte papier, tout comme celle de l'imposant homme dans l'encadrement de la porte. Une sorte de lieutenant de la garde, ou affilié du moins. Ca reste un supérieur, ce qui fit que ce qu'il prononça n'en était que des plus douloureux.

'' Ryf. Rends service, tu veux ? Ma femme donne naissance à mon deuxième enfant, et j'ai grave pas le temps de m'occuper de ma fille. Tu peux bien me la garde un peu, elle et ses bébés, hein ? Allez, merci ! ''

'' Non mais pas l'temps d'garder votre marmot, j'ai du taff et -''

Complètement ignoré, la porte se referma aussi vite qu'elle s'ouvrit. Il soupira et se frotta les tempes. Le garde royal avait déjà assez la flemme de son assignation actuelle, si en plus c'est pour se retrouver à faire la babysitter, non merci ! Relevant la tête, il fixa la gamine. On peut pas dire qu'il ait une mauvaise vibe avec les enfants, tout au contraire. De là à en avoir de lui même ? L'adage ''On aime que ses propres gosses, pas ceux des autres'' ne s'appliquait pas à lui, l'exception qui confirme la règle.

Dans ses petits bras, elle tenait une sorte de boite. Sans doutes ses jouets, de quoi s'occuper, se poser dans un coin et n'embêter personne, l'intention est louable de la part du père pour le coup, sans doutes connaît-il la situation dans laquelle l'hippogriffe se trouve, et n'a vraiment pas d'autres choix que de laisser sa progéniture dans un endroit sur, avec des personnes responsables. Tout de suite un peu plus détendu, il pense que sa surveillante ne verra aucun inconvénient à ce qu'il fasse une petite pause dans son travail. Posant sa plume, écartant les piles de dossiers, repoussant l'encrier, il adressa son meilleur sourire à la petite.

'' Bonjour, gamine ! C'est quoi ton ptit blase ? T'as quoi dans ta boiboite ? De quoi faire joujou ? ''

'' Zé pas mes zouets ! Zest mes bébés ! ''

'' Tes...Bébés ? T'es pas un peu jeune pour déjà te trimballer avec tes lardons ? ''

Quelle erreur monumentale. Un grand sourire barrant son visage, elle se laisse tomber sur les genoux, pose délicatement ce qu'elle tenait dans les mains, puis la tourne légèrement. Quelle horreur. Enfin non, ils sont adorables, mais non, pas ici, pas maintenant, pas comme ça, pas après tout ce qu'il a fait. Sur une petit nuage, l'enfant lâcha son meilleur ''Petits chaaaaaaaats !''. Quelques temps, oh, une poignée de secondes après avoir libéré les fauves, ces boules de poils se mirent à sauter sur les genoux de Ryf, puis sur la table, renversant papiers, encre, bref, tout ce qui est susceptible de tomber tombera, respectant la fameuse loi de Meurfy ; ce célèbre politicien d'Aryon qui déclara que si quelque chose peut se passer mal, dans ce pays, ça se passera mal.

Se levant, constatant les dégâts qui ne faisaient que s'accumuler, la pièce qui, outre les paroles des deux gardes et le bruit de la plume qui gratte, était silencieuse, se retrouvait dorénavant polluée de rire d'enfants, miaulement de chatons trop mignons mais destructeurs, et de bruits divers de papiers qui se déchirent, tombent, volent. D'un geste brusque, en espérant après coup n'avoir blessé aucun animal, le garde royal se leva, consterné, admirant ce désastre avec stupeur.

'' Oh mais je vais câbler ! Si ce bordel continue, jvais finir par me retrouver au chômedu ! Amaryllis, j't'en supplie, c'est grave la dèche, faut qu'on les choppe avant qu'j'en fasse du méchouis ! ''

Tâche ardue, à chaque fois qu'il en choppe un, les autres font plus de dégâts. Il le refout dans sa boite, il trouve le moyen d'en sortir, parfois avec l'aide de la gamine résultant l'envie de Ryf de lui mettre une châtaigne. A tout moment, ça dégénère, à tout moment, les rires de la petite seront accompagnés de ceux de de la superviseuse.

La garde royale était un joyeux bordel.

Non pas que les personnes qui s’y trouvaient n’était pas compétentes individuellement, au contraire. Même le Capitaine avait l’air de savoir ce qu’il faisait. Mais le fait de se retrouver au Palais entouré d’un gouvernement et d’une noblesse qui ne comprenaient rien au domaine militaire avait été plutôt catastrophique pour l’unité. Du moins aux yeux d’Amaryllis. On lui avait raconté des choses qu’elle avait eu du mal à croire. Au point où une unité d’élite censée protéger le Palais et les personnalités éminentes du gouvernement en déplacement n’était plus tellement des élites.

Garde Royale? Plutôt Garderie Royale.

On l’avait d’ailleurs collée aux basques de Hryfin Danvil, un garde royal présent depuis pas si longtemps que ça si le dossier était exact. Un ancien de la civile. Donc un type plutôt expérimenté, mais pas forcément dans la protection. Même si à priori, il n’avait pas été mis à ce poste sans raisons. Il semblait avoir les compétences martiales pour.

Même si, clairement, ce n’était pas tellement ce qui allait servir ici.

Amaryllis s’était installée adossée à une armoire dans les archives, son petit carnet et sa scribouilleuse entre les doigts, prenant quelques notes de temps en temps sur ce qu’elle pouvait observer et comprendre. D’une tenue stricte et distinguée, presque masculine, elle n’était pas là pour le brusquer ni remettre en cause ce qu’il faisait. Simplement observer, analyser, ou peut-être proposer ou reprendre si des choses lui semblaient vraiment stupides.

Et à vrai dire, mettre un garde royal à un poste de paperasse était stupide en soi. Passé les rapports, tout ce boulot devrait être placé entre les mains de la Commission au niveau de l’organisation et de la centralisation des informations. Là, c’était juste un garde, et jamais le même, qui s’en occupait. Ce qui était assez affligeant, et certainement le résultat d’un type de la Comission décédé il y a des décennies qui avait eu la flemme de faire son boulot et qui l’avait délégué à la garde royale. Même si ça ne faisait pas le moindre sens.

Néanmoins, même si elle posait quelques questions et notait exactement comment l’organisation actuelle était faite, et que c’était un travail certainement tout aussi peu passionnant que celui du garde, c’était un travail nécessaire. Pour qu’elle montre qu’elle était efficace, et peut-être aussi pour que les gardes en question fassent plus efficacement ce pour quoi ils sont payés, au lieu de faire de la paperasse.

Néanmoins, c’était sans compter sur le destin qui avait décidé que le premier bobby leur lâcha un monstre sur les bras. Enfin, pleins de monstres, plus exactement. Sérieusement, si c’était pour pondre des gamins pareil, il aurait mieux fait de pas en faire. Surtout qu’il ne laissa même pas le choix à Hryfin. Le plaisir que d’être supérieur hiérarchique… Mais il n’arrangeait pas l’image de la Garderie Royale aux yeux de la consultante.

Elle resta passive dans un premier temps, bien plus dépitée que vraiment amusée par cette scène. Un léger soupir passa les lèvres de la rousse, la gamine semblait bien s’amuser, elle. Comme toutes ces bestioles qui avaient été lâchées dans un lieu pourtant un minimum sérieux et fermé. Hryfin, lui, de son côté, semblait plutôt mal vivre les événements avec son plus beau langage de forain. Pas trop digne de son poste, mais, clairement, c’était bien le dernier des problèmes en ce moment. Un chaton d’ailleurs eu la magnifique idée de tenter de s’accrocher son pantalon, avec ses petites griffes. Attrapant l’animal par l’arrière du cou, elle le souleva pour le regarder un instant.

« C’était quoi, son nom à celui qui vient de passer? »

Parce-qu’il risquait d’entendre parler d’elle pour ce qu’il venait de faire. Et si elle était consultante en éducation des chiards, elle lui aurait bien conseillé de recommencer de zéro. Et de lui acheter moins de chatons qui seront sûrement tous abandonnés par cette gamine capricieuse dès qu’ils seront devenus adultes et seront moins mignons. Peut-être cela serait une meilleure idée de les tuer maintenant pour leur épargner de l’existence de chat de gouttière qui les attendait sûrement tous.

Remettant le chat dans la boîte, même si ce ne serait certainement que temporaire, Amaryllis décida tout de même d’essayer de sauver ce qui pouvait l’être - et ils renverraient la gamine et ses monstres à sa place plus tard. Mais clairement, babysitter, ce n’était clairement pas dans ses attributions.

« Essayons de sauver le plus de choses possible. »

La priorité, sauver ce qui est important de cette tornade de poils, et elle n’attendait pas à ce que Hryfin continue son travail dans ces conditions, il y avait plus urgent à gérer. Amaryllis s’avança pour essayer de placer certaines piles hors d’atteinte de ces monstres, et les empêcher de renverser des encriers ou d’autres choses potentiellement dangereuses pour le papier et ce qu’il y avait marqué dessus.

« Petite, tes chats, range-les dans leur boîte. »

Sèche, autoritaire, une demande simple appuyé par un regard effrayant. Elle n’était pas là pour faire copine-copine avec des gamines mal élevées. Et tant pis si elle parlait mal d’elle à son père. Il n’était même pas Capitaine, et était déjà bien trop con pour élever un gosse. Alors assez intelligent pour donner son avis sur le fonctionnement de la garde? Certainement pas.

« M...Mais pourquoi? Ze peux plus! Il faut qu’ils fassent la sieste! »

Nouveau soupir, s’il fallait attendre que ces machins-là s’épuisent, ils risquaient d’attendre longtemps. Peut-être que les massacrer serait un moindre mal. Mais mieux valait éviter tout de même de faire une hécatombe de chatons dans les archives. Ça serait tout autant salissant que de les laisser faire. Ou bien trouver de quoi les enfermer définitivement une fois attrapés.

Il aurait pu mal prendre la passivité d'Amaryllis, qu'elle eut dans un premier temps. Si elle est là pour surveiller, elle est aussi là pour juger son travail, impossible à faire dans de telles conditions, n'est ce pas ? Un instant, il l'imagina comme une sorte de monstre à la peau rouge, aux pieds fourchus, queue en pointe, cornes torsadées, dans un brasero de flammes, rire machiavélique provenant de sa gorge alors qu'elle écrit des notes comme ''ZERO'', ''NUL'' ou ''RECALE'' sur son calepin noir.

Elle mit juste du temps à réagir, probablement sous le choc de ce qu'il venait de se passer ? Il y a de quoi, ne mentons pas. Occupé à déplacer des papiers, ranger tant bien que mal, séparer les inutilisables car imbibés d'encre, à chaque endroit où il se rendait, les chatons se dispersaient pour mieux répandre le chaos dans son dos et celui de la superviseuse, laquelle demanda le nom de l'homme qui venait de déchaîner indirectement la tempête de poils dans le bureau. Honnêtement, il l'avait sur le bout de la langue, il avait été établi assez longuement à la capitale pour se rappeler de tout le monde. Après, il a l'attention et le multitasking d'un moineau, lui demander de se rappeler du nom, sauver la paperasse, ne pas écraser les petits trucs fragiles sous ses bottes, c'est trop demander.

'' Jsais plus. Jay quelquechose, un truc du genre. Y s'croit supérieur car c'est mon supérieur, s't'espèce de chien jvais lui botter l'postérieur ! ''

Pas la meilleure des choses à dire dans ce genre de situation, ni à ce genre de personne, on peut tous s'accorder là dessus, mais Hryfin est de base honnête et parle de but en blanc, les détours, sous entendus, c'est pas son fort, ça peut servir, remarquez, mais plus souvent, l'inverse se produit. ''Ecoute, essaye d'être plus...Fin ? Diplomate ? '', c'est souvent ce genre de truc qu'il entend de la part de ses adjudants, de son capitaine, même. C'était pas prêt de s'arrêter, puisque la rouge conseilla de sauver le plus de choses possibles.

'' Nan, sans dec ? Jpensais laisser tout se faire détruire, moi, merci pour les conseils ! ''

Plutôt salé, le garde royal, alors qu'il se retrouvait à quatre pattes sous le bureau pour ramasser des papiers, ou plutôt les lambeaux qu'il en restait. Bien sur, qu'il allait devoir faire du sup' pour réécrire tout ça, ce qui est encore lisible du moins. Espérons qu'il bénéficie de la clémence des autres supérieurs, quand ils verront la situation inextricable dans laquelle il se retrouve.

Dans la pièce, à travers les miaulements, il distinguait quand même la voix d'Amaryllis. Prions pour qu'elle n'ait jamais à lui parler ainsi, si elle employait ce ton sur une pauvre petite enfant, il n'ose imaginer comment elle peut s'adresser à un grand garde royal solide sur ses appuis. L'effrontée ne flanchait même pas une seconde, preuve que ce n'est qu'une fille à papa à qui personne ne dit jamais non, surtout les géniteurs. Aucunement le temps d'attendre que ces petits se calment.

'' Nan mais pas l'temps d'attendre que les matous se mettent à ronpicheEEER ! ''

Un haussement de voix anormal alors que, toujours à le recherche de papiers importants sous le bureau, des petites griffes se plantèrent dans ses jambes. Plus un cri de surprise que de douleur, en somme, alors que, se redressant d'un coup, son crâne et ses épaules cognèrent le bureau. Même pas besoin de lever la tête, le bruit monotone des feuilles qui tombent, l'encre qui coule de nouveau, étaient assez pour montrer à l'hippogriffe son erreur.

Un silence. Silence vocal, du moins, les piaillements étaient pas prêts de s'estomper. Un rire, aigu, sincère, ça pouvait pas être la consultante. En plus, la petiote se moquait de lui ? C'en était vraiment trop. Sortant tant bien que mal de sous le bureau, silencieux, il choppa deux chatons par la peau du cou, se releva, dominant intégralement toute âme qui vive dans la pièce, puis lâcha les deux félins dans la boite, planta son regard dans celui de l'enfant.

'' Ils. Restent. La. Dedans. Sinon sur la tête de Lucy, c'est au pieu direct sans dessert, sans rien, avec en prime une giroflée à cinq feuilles en travers de la tronche. Chuis clair ? ''

'' Mais z'y peux plus rien ! Faut attendre qu'ils zoient fatigués ! ''

'' Moffou. ''

Il procéda alors à commencer à ranger les chatons, un regard noir à chaque félidé déposé. La gamine se foutait bien de lui, depuis le début, si elle peut ''rien y faire'', BAH LES RESSORS PAS DE LA BOITE LA STUPIDE DE TA MATRIARCHE ! Déjà que ranger tous les chatons ne serais pas tâche aisée, ranger et réparer toutes ces bêtises ne sera pas une partie de plaisir pour autant. Il évitait au maximum de croiser le regard de l'adjointe, plus par honte que par peur, car évidemment, c'est ce jour qu'il a été décidé qu'elle serait affectée avec lui, que tout tourne mal. Bien évidemment. La fameuse loi universelle de la malchance.

Il fallait dire qu’elle ne s’était jamais attendue à énormément de discipline de la part de la Garde, comme son père le lui avait toujours raconté. Comme quoi même la fête à la saucisse de Saint-Brieuc-Les-Roupettes était mieux organisée. Même si cette dernière affirmation était certainement exagérée, ce n’était effectivement pas chez les Tylwaen qu’on aurait eu affaire à une telle scène.

Finalement, même si elle n’aurait rien eu contre le fait d’observer, la situation avait dégénéré au point où c’était même dangereux pour les archives et où le garde royal, aussi fort qu’il était, ne pouvait pas vraiment gérer seul une telle situation. Même si cela ne l’amusait guère de devoir gérer une telle situation, surtout avec une gamine indisciplinée pas capable de garder ses chatons dans sa boîte. De là à ce qu’elle se moquait d’eux et faisait exprès de les laisser sortir parce-que ça l’amusait plus ainsi, cela ne faisait pas vraiment de doutes pour la consultante. Cette peste faisait exprès de les tourmenter.

Amaryllis roula des yeux, le brun avait vraiment l’air d’un garde de campagne, à perdre à moitié son calme et à parler ainsi. Pas très rassurant pour ce qu’il devait protéger s’ils étaient réellement en train de se faire attaquer. Heureusement pour lui, la paperasse n’avait pas besoin d’être rassurée et elle ne se plaindrait pas du manque de professionnalisme de l’individu. Ce qui ne serait pas toujours le cas d’ailleurs.

La rouge, qui en avait visiblement assez de cette situation au point où ça se lisait clairement sur son visage se redirigea vers un chaton. Elle se fit griffer au niveau de la main et du poignet, et de petites traînées rouges firent leur apparition. Elle ne cria pas, ne flancha pas, gardant la même expression sombre, se délectant déjà de la vengeance qu’elle allait infliger à ce pauvre petit animal innocent.

« Hey! Qu’est-ce-que tu fais? »
« Tu ranges tes bestioles, ou bien je les sors de la pièce moi-même? »

Amaryllis tenait le petit animal au-dessus du vide, par la fenêtre. Son ton était presque monocorde, la petite se serait déjà prise une sacré tarte et une sacré remontrance si ça ne tenait qu’à elle. Néanmoins, si déjà elle menaçait un chaton de cruauté animale, elle n’allait pas ajouter à cela une aggression contre une enfant.

« De tout de façon t’osera pas le lâcher! L’est bien trop mignon! »

Amaryllis haussa un sourcil face à la confidence de cette sale gosse, juste avant d’ouvrir les doigts comme seule réponse. Ils n’étaient qu’au premier étage, et, en-dessous de la fenêtre, se trouvait une haie assez touffue. Ces animaux retombaient toujours sur leurs pattes de tout de façon. Le chaton n’aurait rien. Enfin… Rien de grave. La rousse se prépara à réitérer sa menace, mais la gamine en décida autrement.

« Oh non mon bébé! »

Et la voilà qui partit à toute vitesse dans le couloir pour retrouver son chaton disparu dans une haie de la caserne. D’un côté, bon débarras. D’un autre, il leur restait une petite dizaine de chatons en train de semer l’apocalypse dans l’endroit et de mener la vie dure au garde royal.

« Bon, ramène moi ces sales bêtes, je vais les ranger dans la boîte et les empêcher d’en ressortir! »

Elle s’était emparé de la boîte dont ils étaient tous sortis, et sans la gamine pour les laisser volontairement ressortir, peut-être arriveraient-ils à les garder dedans et à mettre un bon gros ruban de scotch double face pour les empêcher d’en ressortir. Avant que la gamine ne revienne avec son chaton disparu.

Un garde royale contre neuf chatons destructeurs. Que le combat commence.

'' 'peux pas dire que je sois bien d'accord avec tes méthodes, mais la, jpenses que tu l'a bien bâchée la gosse. ''

Phrase qu'il prononça juste après que la cruelle Amaryllis, dans une malencontreuse glissade, fit tomber un des chatons. C'est en tout cas la version qui sera décrite si jamais il devait avoir à expliquer ce que la gosse foutait seule en bas du bâtiment, après avoir dévalé deux par deux les marches de la caserne. Pas besoin d'attendre bien longtemps pour que le garde royal obéisse, puisque se débarrasser de ces petites horreurs était également devenu son souhait le plus cher. Sous le regard inquisiteur de l'inspectrice, bon an mal an, Hryfin récupéra tous ces fauteurs de trouble, non sans parjurer dans sa barbe ou renverser d'autres documents sensibles, ce qui ne manquait pas de faire souffler et rouler les yeux de la rouge. Oh, ça va, facile de faire sa grande quand on tient juste la boite.

Cela prit plus de temps qu'il n'aimerait et oserait l'admettre -le grand gaillard, le colosse, que personne n'ose vexer de peur de se faire décalquer, mit à l'amende par des potites trognes trop mignonnes-, les griffures s'amoncelaient sur ses mains, poignets et avant-bras alors qu'il portait parfois trois à quatre félins en même temps ; ces genres de chats qui aiment pas être portés, franchement, si on a un animal et qu'on peut même pas en profiter pour les faire des petits câlins sans finir scarifié de partout, quel est l'intérêt ? Il en était que voilà, les neufs individus étaient à présent de retour dans leur enclos, les miaulements plaintifs étant la seule chose brisant le silence de la pièce.

'' Moi qui rêvait que de la quille, finir ma journée de mort et me poser peinard chez moi...Bah je suis bien parti pour du supp' tient, payé à la régulière ! M'enfin, tu sais s'que c'est jpenses. Tu peux partir hein. Y'aura plus grand chose d’intéressant à voir. ''

Aucune volonté de virer la jeune femme d'ici, mais vraiment, il ne lui restait rien de bien passionnant à faire, si tant est que depuis le début, ça l'éclate de regarder un benêt raturer des feuilles en se plaignant de sa situation. Lentement, il se dirigea vers la fenêtre qui fut tantôt la complice d'un acte ignoble. En contrebas, la gamine pleurnichait en cherchant son chat dans les buissons.

'' BEBOUUU ! T'ES OUUUU BEBOUUUU ? ''

Une vision qui ne put qu'arracher un sourire au garde royal, lui qui d'habitude n'a rien contre les gosses ; les orphelins et parias de son quartiers ; autant les petites pourries gâtées, filles de, c'est insupportable. Faites des gosses, qu'ils disaient. Tout l'inverse pour le coup, c'est une campagne contre les enfants, et pro-chiens, qui est en train de se dérouler ici. Protégez vous, et à bas les chats.

'' Pis là, ça sera surtout du babysitting quoi. ''

Elle allait bien finir par la retrouver, sa peluche, et remonter avec. Impossible de pas se plaindre de cette situation, ou de ne pas la tourner au ridicule, mais après tout, une tâche lui avait été confiée, il devait veiller sur cette gamine. Pardon, imposée. La tâche a été imposée. C'est pas pour autant qu'il ne compte pas s'en acquitter, et laisser n'importe quel bandit des grands chemins s'enfuir avec une fille de lieutenant sous le bras.

En se mettant en observation du travail de la garde royale, elle ne pensait pas vraiment tomber sur ce genre d’incident. Pourtant, c’était parfois en observant la routine des gardes qu’on pouvait y voir les comportements les plus anormaux. Même si ce n’était pas forcément ceux auxquels on s’attendait. Enfin, le langage du garde royal était déjà une chose, mais volontairement amener une apocalypse féline dans les archives, c’était presque un acte de sabotage qui nécessitait une intervention des espions. C’était même complètement un acte de sabotage, en fait.

Heureusement, le saboteur en question était en train de chercher son chaton dans les haies de la caserne, et, fort heureusement pour eux, semblait avoir un peu de mal à s’emparer de l’animal qui profitait de l’espace en plein air. Le temps pour eux de balancer toutes ces boules de poils dans la caisse, avant de la refermer fermement avec un peu de ruban adhésif en plus. Enfin, en laissant tout de même une petite ouverture pour que de l’air passe un peu. Mais le but était bien de les empêcher de ressortir facilement. Amaryllis plaça la boîte à une hauteur suffisante pour que la petite, si elle revenait, ne puisse pas s’en emparer.

« Ne pense pas te débarrasser de moi si facilement non plus. C’est pas parce-que j’ai pas constaté plus grave que je ne vais pas continuer à relever le reste. »

Et en effet, c’était bien joué, mais une fois la menace contrôlée, et qu’ils s’en seraient définitivement débarassés, elle comptait terminer ce pour quoi elle était venue. Même si elle allait sûrement autoriser une petite absence mutuelle le temps de trouver un endroit et une personne à qui refourguer la petite et ses monstres. Elle n’avait aucune idée de s’il y avait une crèche pas loin ou pas, ni des démarches à faire pour ça, mais peu importe, elle y mettrait le prix, et mettrait la note de frais sur le compte de ce connard de garde qui avait osé leur infliger ça. Il se démerdera avec toute la paperasse que ça impliquera après. Et elle était bien curieuse de voir s’il oserait s’en plaindre.

« Justement, on va tenter de s’éviter le babysitting parce-que tu as un boulot à faire, et ton boulot, c’est pas de garder une gamine. Tu sais si y a une crèche dans le coin ou quelqu’un qui peut s’en occuper à ta place? »

Peut-être bien que lui s’y connaissait mieux, mais en réalité, il n’avait pas vraiment l’air d’être le genre de type à avoir des gamins ni trop à savoir s’en occuper. Après, peut-être connaissait-il des collègues à lui qui étaient mieux renseignés sur ce sujet là.

« On va prendre une pause, on va donner le problème à une personne qualifiée pour le gérer, et on reprendra. Peut-être que tu as quelques collègues qui s’y connaissent mieux ? L’idée, c’est pas de la refiler à un autre garde qui a du travail non plus. »

Sinon, ça ne ferait que déporter le problème ailleurs et paralyser une autre branche de la garde. Ce qui n’était pas quelque chose de souhaitable non plus. Amaryllis prit le temps de prendre quelques notes dans son petit carnet, sans que Hryfin ne puisse vraiment voir de quoi il s’agissait.

« Maintenant, faudrait déjà commencer aussi par récupérer le colis et son “Bébou”... »

'' Hey, pourra pas dire qu'j'ai pas tenté, hein. ''

Toujours devant cette même fenêtre, l'envie de continuer sa charge était encore plus petite qu'à l'accoutumée, et oui, visiblement, c'était bel et bien possible. Observant la gamine du haut du bâtiment, il gardait un œil sur Amaryllis depuis sa vision périphérique. Le garde royal n'aurait peut-être pas laissé de petite ouverture pour permettre aux animaux de respirer...Non, c'est pas bien de dire ça, ces chatons ne sont nullement fautifs du manque de sérieux de leur maîtresse, menant à des lacunes éducatives plus que certaines. Au moins étaient-il complètement en sécurité pour la journée, espérait-il.

Impossible pour Hryfin de déterminer précisément l'âge de la consultante. Beaucoup trop de gens ne font pas leur âge dans Aryon ; avec son sale caractère, son je-m'en-foutisme et sa carrure, on donne souvent plus de la trentaine à l'hippogriffe qui n'a pourtant pas encore entamé la troisième décade de son existence, alors que toute cette facette sérieuse un peu hautaine de la rouge contrastait avec un visage et un physique plus jeune. Dans tous les cas, que ce soit une option ou l'autre, elle n'a clairement pas la dégaine d'une jeune mère de famille. C'est donc pour ça qu'elle n'a aucune idée d'a quel point avoir des moutards en tant que garde, c'est la pire des plaies, garderie est un mot des plus inconnus et obscurs ici, limite le prononcer est dangereux, y a des sorcière qu'on a brûlé pour moins que ça. Un rire nerveux le gagna alors.

'' Une garde-quoi ? Genre, sérieusement la ? Tu penses qu'on vient me casser les glaouis par pur plaisir ? Y'a pas vraiment d'autres choix, fallait une bonne poire, c'est tombé sur la mienne, bah cheh hein. Et crois moi, t'as pas envie de confier un petit monstre à un péquenaud d'ici, s'rait du genre a le secouer jusqu'à en faire de la pulpe. Jreste un des plus patients avec les marmots, faut l'savoir. ''

Vrai que d'habitude, ils l'adore. Pourquoi est-ce différent ici ? Probablement car d'habitude, c'est de bonne grâce qu'il s'amuse avec les enfants des rues, on lui pousse pas le bambin dans les pattes en disant '' Allez démerde toi, et merci bien hein tarplu ''. Donc non, il ne comptait pas la refourguer. Et puis, il se plaint, il se plaint, ça reste une ''mission'' donnée par un supérieur, en bonne petite victime recrue qu'il est, il mènera bon an mal an à bien sa tâche. Alors qu'il aurait bien voulut reprendre sa place tranquille au bureau, elle souleva un bon point : faudrait ptet déjà qu'elle soit là pour la surveiller, non ? Amaryllis n'avait pas trop l'air de vouloir se bouger. Ses épaules s'affaissèrent, surtout que le contenu de ce petit carnet pouvait être synonyme de félicitations ou remontrance selon l'humeur de l'autrice.

'' Ouais, ouais. J'y vais. ''

Marche lente, pas bruyants dans les escaliers, pour finir dehors près d'une gamine en train de chialer, un spectacle incroyable, la respiration difficile à force de geindre, les yeux rouges et éclatés, la morve au nez, faites des gosses surtout, c'est super génial. Il leva les yeux ; à la fenêtre, une touffe rousse. Le pire enquêteur pourrait deviner de qui il s'agit. Dorénavant posté à côté de la petite, il fouilla également les buissons, avec plus d'efficacité, puisque lui trouva l'animal, qu'il prit fermement dans la main.

'' Donne ! Rend ! Passe ! Amwa ! Amwa ! ''

'' Tu msuis gentiment, et tu l'auras, ta canaille. ''

''Non. Tu redonne bébou TOUT DE SUIIIIIIIIITE ! ''

'' Oh ok que la c'est trop, vient là que jte choppe le colback, tu m'épuises la ! ''

Chaton main gauche ; enfant soulevé par le col ne touchant pas le sol main droite ; c'est ainsi qu'il se représenta à l'adjointe dans l'étude. Lâchant la gosse, elle partit se réfugier derrière la femme. Bon, comme les petits chiens apeurés qui se cachent derrière leur maîtresse car le maître lui est ferme et dur. Remplacer par papa et maman, et vous avez le topo. Se plantant devant elle, la toisant, il lui lâcha la boule de poils dans les mains.

'' Et maintenant que t'as gaffé la boite, comment tu vas le refoutre dedans ? ''

La réponse ne l'intéresse pas vraiment, un calme bienvenu était retombé, dont profita Hryfin pour se rasseoir calmement, et recommencer tout depuis le début. Coup d’œil sur la pendule. Non, il aurait pas le temps de prendre une pause. A tout moment, on vient récupérer la gosse ou vérifier son travail, et ce sera bien sa veine.

Désespérant.

La garde comprenait certains bons éléments, elle ne pouvait pas le nier maintenant qu’elle avait appris à en connaître. Mais pour chaque bon élément ou chaque bonne idée, le double était catastrophique. On était même pas dans une journée officielle “amène ton gamin au travail” ou une autre connerie gouvernementale du genre, et l’autre se permettait de libérer ce genre de problèmes dans les archives. Alors qu’il aurait mieux fait de balancer sa chiarde chez sa tatie ou sa mamie ou n’importe où d’autre, en fait.

Et à vrai dire, Amaryllis ne parlerait pas spécialement d’une garderie spécialisée pour la garde. Simplement une crèche aléatoire dans les environs aurait fait l’affaire, en fait. Mais visiblement même ça c’était trop compliqué et elle n’avait clairement pas le courage d’errer dans les rues de la capitale à la recherche d’un tel endroit - et des négociations que ça impliquait pour y accueillir une gamine à l’improviste. D’un autre côté, secouer cette sale gosse lui ferait peut-être du bien, et ça ferait peut-être réfléchir l’autre imbécile deux fois avant de refaire le coup. Parce-que ça avait l’air habituel pour lui.

« Je ne pensais pas spécialement la remettre à un garde, c’est pas votre boulot que de changer des couches. Mais bon, même si dans les environs civils y a rien... »

Amaryllis nota rapidement ses observations et son ressenti de la situation sur son carnet pendant que le garde repartait s’évertuer à retrouver la gamine et son chaton qui était parti par la fenêtre. Les problèmes de discipline du genre étaient du genre à la mettre dans un état… Peut-être à mi-chemin entre la colère et le désespoir, accompagné d’une bonne dose de jugement envers les “Gardes”. Plutôt des clowns, oui… Ils laissaient vraiment entrer n’importe qui dans leurs rangs.

Le soldat était revenu avec la gamine et son chaton, ce qui éviterait déjà une certaine crise de nerf de cette dernière à l’idée de sa peluche gambadant dans la nature. Même si la pauvre bête allait sûrement se retrouver à gambader dans la nature, abandonnée une fois qu’elle aura grandi et ne sera plus si mignonne que ça. Pour la boîte scellée, elle avait de quoi la desceller et les réflexes nécessaires pour ne pas causer une nouvelle apocalypse féline dans la salle des archives. Par contre, elle n’avait aucunement envie de faire la babysitter, ni d’effectuer ce stupide travail des archives. Autant dire qu’elle ignora totalement et copieusement la gamine.

« Bon, Soldat Danvil. Je vais vous laisser gérer la petite du coup, le travail des archives attendra, je ferai en sorte que ça ne vous pénalise pas qu’il ne soit pas fait. De mon côté, je crois bien que j’ai quelques rapports à écrire et quelques questions à aller poser sur les évènements de la journée... »

Une phrase se terminant par un petit soupir blasé. Elle ne s’attendait pas à trouver une Garde très reluisante avec ce boulot, c’était certain. Mais si elle avait su à quel point c’était un cirque…

La rouge se retourna brièvement après avoir passé le pas de la porte.

« Ah, et, surtout, bon courage. »

Pas trop dans son genre, mais elle devinait qu’il en aurait sûrement besoin pour ce qui l’attendait. Et elle pouvait bien faire ce geste un minimum sympathique pour lui. Déjà qu’elle l’abandonnait avec une tornade chaotique et indisciplinée...