Des coups se répercutent en écho sur la porte de son bureau. Cassandra s'écrie aussitôt :
- Oui, entrez !
Yves entre dans la pièce, portant dans ses mains le rapport demandé. L'homme de 55 ans connaît ses dossiers et est considéré comme l'une des mémoires du cabinet. Ceci non seulement à cause de son âge, mais aussi du fait de son expérience conséquente au poste de secrétaire au Ministère de la Justice. Il travaillait auparavant pour un autre collaborateur, avant de postuler pour devenir secrétaire officiel de la nouvelle garde des sceaux. Il arbore des cheveux blancs mi-longs qui retombent sur le haut de ses épaules. Pas une mèche ne dépasse. Son regard plus sombre et ses rides au coin des yeux trahissent une austérité d'ermite, dévouée à son travail. Avec ses vêtements d'un classicisme démodé, il ressemble à un ancien membre de la cour Royale. Il a tendance à s'exprimer plutôt franchement, parfois avec une note de cynisme. Toutefois, Cassandra est certaine qu'à l'intérieur sommeille un fin connaisseur de la gente féminine.
- Madame la Ministre, voici le rapport commandé sur la secte des gloots.
En disant cela, il dépose le dossier sur le bureau face à elle. Immédiatement, Cassandra repère un gloot doré imprimé sur la page de couverture.
Gustave ajoute :
- La vraie Bible de cette pensée basée sur... un gloot et... beaucoup de gloots... et rien que des gloots. Intrigant.
Gustave soulève son sourcil droit en prononçant ce dernier terme.
Cassandra feuillette avec Yves le contenu de cet écrit. Il lui apprend les informations recueillies sur la secte, l'impact que ce mouvement a eu sur des villages, les enquêtes de la garde préalablement réalisées, et les opérations menées à leur terme pour porter un coup définitif à leurs intentions. L'objectif central est de réduire l'obsession de la population locale pour des bestioles ingénues considérées comme sacrées, des sortes de dieux vivants montés de toute pièce. Cassandra a une vision très dure de toutes les croyances païennes, qu'elle voit comme des moqueries adressées à la foi véritable. Pour une raison sans queue ni tête, le sacrement du Gloot a des effets sur une partie des villageois.
Ensuite, Yves évoque un nouveau problème qui avait échappé aux enquêteurs jusqu'à présent, mais fait actuellement beaucoup de bruits. Il décrit la prolifération des messages de la secte des gloots et l'expansion de leur main mise sur les populations fragiles - veuves, orphelins, vieillards, sans dents, fous, martyrs de la guerre - par la délivrance de doléances comme recherche de pénitence, par les membres de la congrégation. Un nouveau procédé d'atteinte des plus faibles par un discours simple mais efficace, profitant de la vulnérabilité des concitoyens aveuglés par l'ensorcellement des mots inscrits sur les billets. A la lecture, les messages écrits apparaissent en surbrillance dans le noir pour entrer instantanément dans l'esprit du lecteur. Une sorte de magie d'envoûtement ancienne, non complexe, mais rarement employée du fait du coût qu'elle implique : perdre conscience de soi par l'investissement mental qu'elle implique.
Après avoir écouté son associé lui expliquer tous les pourquoi et comment de ce dossier, Cassandra en arrive à la conclusion suivante :
- Notre Garde a une expérience du terrain de ce phénomène et nous ne pouvons élaborer de nouvelles lois sans prendre en compte leur expertise. Pour ma part, je considère que nous avons plusieurs angles d'attaque qui se définissent ainsi. Numéro 1 : prévenir la capacité d'influence de cette idéologie sur les mentalités par des campagnes de prévention et d'éducation ciblées sur les sectes (Gloot ou pas Gloot). Numéro 2 : augmenter la surveillance des agissements de ces sectes et interdire leurs rassemblements aux mobiles non approuvés par la Royauté. Appendice : interroger le dernier prisonnier mis en cause par les remarquables enquêtrices de la garde, la lieutenante Bridget Alnilnam, et la guérisseuse Xylia Mavrocordato. Numéro 3 : réorganiser une opération de terrain avec l'aide de la garde et des spécialistes de la magie d'envoûtement. Objectif : trouver l'enchanteur responsable de la création des doléances et détruire l'ensemble de ses productions. Méthode : que pensez du projet d'infiltration ?
Yves confirme d'une mouvement de la tête son accord avec ses réflexions.
- Souhaitez-vous regarder un exemple de ces doléances ?, interroge-t-il.
- Oui, montrez-moi Yves, répond-t-elle impatiente.
Les yeux de Cassandra sont attirés par un billet blanc, simple, composé de deux parties. Sur le dessus, repose le dessin d'un gloot bleu en relief qui brille et semble s'échapper de la page. En fermant les paupières, Cassandra constate que l'image lui reste en tête. Puis, elle déplie le papier pour découvrir à l'intérieur un message court et direct :
" Aime les gloots...
Respecte les gloots...
Prie les gloots...
Souviens-toi !
Chaque gloot est libre et sacré !"
Le temps était plus clément sur la Capitale. Ça fait déjà plus d’une saison que j’ai été affecté à mon régiment de cœur, celui du Blizzard. Depuis 997, j’étais affectée ici, à la Capitale, à contre-coeur suite à cette fameuse bataille des Wedingos. Le Blizzard n’a pas survécu à toutes ses pertes et les hommes du régiment se sont emportés. L'État-Major n’avait plus que la solution de dissoudre nos différentes unités. J’aurai pu finir à Grand-Port, moi, une femme des montagnes, je n’aurai certainement pas survécu. J’aurai fini dans l’estuaire après un énième jour de déprime.
Mais non, c’était le cœur léger que je foulais les pavés bruyants de notre Capitale. Même si je suis convoquée pour parler avec la Ministre de la Justice au sujet de l’affaire de la secte des Gloots sacrés, je passerai faire un petit coucou à ma mère qui ne m’a pas vu depuis que je suis partie dans le Grand Nord. J’avais annoncé mon arrivée dans un courrier qu’elle a dû recevoir il y a quelques jours et je doute qu’elle doit guetter mon arrivée à sa porte. Hélas, j’avais une réunion de travail à honorer. J’étais sur le dos d’Hamlet, mon cheval de guerre qui m’accompagne partout ainsi que mes trois familiers. Une vraie ménagerie ambulante mais être avec moi était leur entraînement. Lucy ma catosorus adolescente, Loki, mon Kitsune adulte de combat ainsi que Lancelot, mon Laïum tout récent. D’ailleurs c’était la première fois que l’être volant venait ici dans cette grande ville. Il est un brin anxieux mais je le rassure par télépathie. Lucy s’amusait devant nous à chercher les mains des passants pour avoir toutes les attentions de chacun. Certains enfants avaient peur mais beaucoup se souvenaient de ce “ gros “ chat qui déambulait dans les rues quand nous étions du Myrmidon.
Souhaitant avoir plus de libertés pour discuter et surtout éviter de défaire toutes mes affaires, on avait rendez-vous à la Commission. Je salue d’anciennes connaissances et me dirige vers la salle dans une aile bien gardée du bâtiment. La protection était la même qu’au Palais, le dôme magique en moins. Il n’était pas déroutante de voir la ministre de la Justice par ici, a ce qui paraît, d’autres venaient s’échouer dans les environs. Mes familiers étaient restés à l’écurie, chouchoutés par un jeune palefrenier. Lucy était déjà aux anges et Lancelot c’était déjà caché dans un coin sur un perchoir, tenant fermant son talisman glacial contre lui. Loki, était calme, comme toujours, jetant un œil aux autres montures. Ils étaient en sécurité et c’était tout ce qu’il comptait à mes yeux.
J’avais sur moi mes couleurs du corps de Grognours, mon armure légère pour éviter de m’encombrer, ma grande épée dans le dos, la plus petite à la ceinture ainsi que mes protège avant-bras magiques. Une sacoche était pendue à mon épaule avec les diverses notes de mon affaire. J’avais demandé à Swan Lagertha, mon ex-collègue du Myrmidon, de me transmettre mon dossier à Forteresse pour que je puisse compiler toutes les informations. Avec la Garde Mavrocordato, nous avions débusqué une grande partie de la Secte mais nous n’avions aucune confirmation que toute l’organisation était dissoute. J’avais bien peur que cette convocation est une preuve que nous n'ayons pas réussi.
Je toque à la porte, prenant une respiration, gonflant la poitrine ainsi que de mettre le masque qu’un membre du Gouvernement attendait de voir quand il s’agit d’un Lieutenant de la Garde. Je devais me montrer professionnelle, sûre de moi et prête à écouter les ordres même si elle n’avait en réalité aucune possibilité de le faire.
Une fois rentrée dans la pièce, j’observe les lieux. Je savais que la ministre de la Justice était une femme. Dame Heydell qui a remplacé Dame Nyx. Je ferme la porte et fait une salutation d’usage simple.
- Dame Heydell, Lieutenant Alnilnam du Blizzard.
Levant doucement la tête, je me déplace légèrement pour me placer dans un coin. J’ai cru comprendre qu’une autre personne était présente et le conseiller de la ministre continuait de me foudroyer du regard. Est-ce que je le mettais mal à l’aise, je ne sais pas mais ne pouvant rester plus longtemps dans le silence, je sors les notes de ma sacoche. On pouvait entendre le bruit de mon armure et de mes armes mais j’avais l’habitude de cette douce mélodie, peut-être que c’était différent pour eux.
- Ma Dame, voici mes recherches. Veuillez m’excuser si c’est un peu brouillon.
Il y avait diverses sortes de parchemins dans la pile, je faisais avec ce que j’avais dans la main et ma plume était plus moins délicate. Je ne me promène pas tous les jours avec ma scribouilleuse malheureusement.
- Peut-être que vous déjà lu tous les rapports d’assignation. Pourrais-je savoir l’objet de cette convocation ou nous attendons peut-être une autre personne ?
La réponse fut plus rapide que prévu quand je vois une tête inconnue arrivée à la porte. Je ne connaissais pas cette femme mais je savais qu’elle était de la Garde. Pas du Myrmidon, ni de la Royale. Peut-être à la Commission ou au centre de formation. Il y avait beaucoup de mouvements dans la Caserne Centrale de la Capitale. Il fallait bien former ses jeunes recrues… La jeune femme n’était pas une débutante, ça se voyait, peut-être la trentaine et ses cornes sur la tête étaient surprenantes. Je finis par arrêter de les observer et lui fit un signe de tête pour la saluer.
- Lieutenant Bridget Alnilanm du Blizzard. J’étais affectée au Myrmidon pour cette affaire de Gloot Sacré.
Autant faire un rapide résumé de la situation pour éviter de s’éterniser. Je laissais donc au soin de la nouvelle venue de se présenter et laisser faire la Ministre pour ce qu’elle attendait de nous.
Mais plutôt que de relire encore et encore des procédures pas forcément très claires, le moyen le plus efficace était encore de prendre un exemple d’opération d’envergure, et de s’en servir comme terrain d’expérimentation. Amaryllis avait passé un certain temps à parcourir certains dossiers, mais un en particulier avait retenu son intérêt. Celui sur la secte des gloots, et, même si c’était un crime organisé assez différent de celui de d’habitude, les charges contre chaque individu d’un groupe aussi grand représentaient un véritable casse-tête pour la Garde comme pour la Justice.
Enfin, le choix n’était pas si anodin puisque la ministre de la Justice semblait justement s’être penchée à nouveau sur le dossier. Si la secte était dormante et n’attirait plus l’attention, elle avait tout le loisir de se refaire une santé et de se réorganiser dans les ombres. Un moment parfait pour l’achever, si on arrivait à la trouver. Ou bien peut-être que la ministre disposait d’éléments inédits. Toujours était-il qu’elle avait profité de l’occasion, surtout que la lieutenant Alnilnam serait présente.
Et qui de mieux que la principale concernée du côté de la Garde pour leur apporter des éléments précieux, et tout son savoir sur ces détraqués qui avait pu ne jamais arriver dans des rapports officiels. Et donc hors de vue des échelons supérieurs.
Vêtue de son apparât habituel, un veston militaire raffiné décoré de quelques broches proche de celui que pourrait avoir un noble commandant et un pantalon uni de couleur sombre, elle se présenta au bureau de la Commission qui lui avait été indiqué. Une tenue professionnelle mais sobre, agrémenté d’un ceinturon portant une épée bâtarde reposant calmement dans son fourreau. Ses cheveux longs étaient attachés dans une queue de cheval basse et lisse au niveau du bas de sa nuque. A l’heure, elle semblait tout de même être la dernière arrivée. Elle n’eut pas vraiment de mal à reconnaître les différentes personnes présentes. Si ce n’était l’homme qui se trouvait un peu en retrait de la ministre, certainement un assistant vu sa tenue et son air.
« Amaryllis Tylwaen, consultante aux affaires de la Garde et de la Commission. »
Une présentation sèche et militaire, comme souvent, une légère courbette, avant d’avancer dans la pièce et de refermer la porte derrière elle. Il n’y avait peut-être pas de Capitaine, ni le Commandant de la garde ou même un royal, mais une ministre n’était pas rien. Et les lieutenants n’étaient pas des gardes anodins mais disposaient d’un poids certain auprès de leur capitaine, surtout dans certains régiments.
« J’ai pris connaissance du rapport officiel que vous m’avez fait parvenir, Dame Heydell. »
Elle-même ne savait pas la raison exacte de cette entrevue, mais elle pouvait facilement deviner que c’était ou bien pour tirer le plus d’expérience possible de l’affaire et développer de nouvelles méthodes, ou bien pour demander conseil pour éviter une éventuelle résurgence de cette secte. Ou bien peut-être pour exposer une nouvelle piste à suivre suite à un aveu tardif d’un condamné.
« Il va de soi que les actions d’une telle organisation mériteraient à ses membres de rester derrière des barreaux, le temps de réfléchir à leurs choix. Je suis bien entendu prête à vous aider, notamment afin que la Justice puisse avec la collaboration de la Garde mettre définitivement ces individus hors d’état de nuit. »
Notamment aussi le passage de preuves et autres éléments permettant de ne pas laisser filer d’adorateurs prêts à tenter de reconstruire ce qui avait été déjà détruit par la Garde. Ce combat, sinon, serait sans fin. Et pour éviter que la mauvaise herbe ne repousse, il y avait parfois besoin d’un peu plus de pesticide.
Quand la porte s'ouvre enfin pour faire entrer la première invité, Cassandra commençait à tracer un plan du village principal concerné, un crayon dans la main. Avec l'aide de son assistant, ils dessinent des flèches pour indiquer les cachettes des coupables, les interventions passées, et les noms des responsables arrêtés. Il a semblé à Cassandra que cela serait plus facile d'échanger sur ce sujet et de réfléchir à des solutions, en ayant sous les yeux un recueil miniature du dossier. Les bras croisés, elle se tourne vers le nouvel individu se présentant dans la pièce, parfaite dans sa position de manager des temps médiévaux.
- Je suis enchantée d'enfin vous rencontrer Lieutenante, répond simplement Cassandra en faisant une révérence identique.
Yves n'a pas de réaction particulière mais baisse légèrement la tête pour saluer la lieutenante Alnilman. Voyant la garde hautement gradée tendre vers la garde des sceaux des notes rédigées à l'avance pour cette réunion urgente, il se déplace pour les récupérer et les porter à leur attention en ajout de leur propre dossier, riche en contenus et notes gribouillées dans les marges des textes.
- Je vous en prie, asseyez-vous Lieutenante Alnilnam, nous attendons une seconde personne, mais elle devrait arriver d'ici peu de temps. Je vous expliquerai à ce moment-là la raison de cette convocation inopportune.
La parole de Cassandra est coupée par une nouvelle présence dans la pièce. La troisième femme de cette réunion, dont Cassandra avait insisté pour obtenir la présence, vient de franchir le seuil de la porte. Au milieu d'une compagnie de gardes aux armures uniformes, son allure est unique, toutes les couleurs de l'arc-en-ciel composant son apparence. Lilas, roses et violettes sont fades à côté de la chevelure et des prunelles de la consultante aux forces armées et adjointe instructrice.
Les membres du ministère de la Justice ainsi que les officiels de la garde présentent réciproquement leurs titres, se rencontrant pour la première fois officiellement en raison de la nomination récente de Cassandra. Cette dernière prend son rôle à cœur, tentant de prendre connaissance avec les responsables importants de tous les ministères, régiments, élus politiques, religieux, mais le travail reste incommensurable.
Ceux-ci ont un tempérament distant et laconique, de par la nature de leurs fonctions, la charge de leur position et étant issus d'univers similaires. L'émotion n'est pas absente de leurs discussions, quand ils font le point sur les ravages passés de la secte des Gloots dans des villages entiers de la Région. Néanmoins, ils savent respecter cette distance professionnelle face aux événements, qui les protègent d'un impact sensible sur leur vie privée et leur permet de garder toujours un esprit clair et concis dans la prise de décisions, qui sont essentielles et urgentes, sans retour, sur la population globale.
- Dame Alnilnam, au sein du gouvernement, nous sommes tout à fait en accord avec votre point de vue, nous considérons qu'il faut parfois agir avant que de terribles phénomènes ne se produisent. Et nous pensons aujourd'hui que les effets de la secte des Gloots sacrés, et leurs nouveaux enchantements novateurs dans leurs objectifs, bien que peu puissants et anciens dans leurs origines, ne sauraient tarder. Cassandra avale sa salive pour reprendre un débit de voix rapide. Je pense qu'en entrant dans cette salle, vous avez dû remarquer immédiatement le tableau noir installé derrière moi. Nous avons pris l'initiative, avec Yves, d'imaginer les pistes à explorer dans ce dossier.
Cassandra s'adresse de nouveau à son associé :
- Yves, pouvez-vous résumer les angles d'attaque que j'ai définis lors de notre réunion au cabinet ?
Cassandra a conscience de pouvoir apparaitre autoritaire dans sa manière de s'exprimer sans interruption, ce qui est dans sa nature instinctive, et les circonstances ne lui ont pas permis de prévoir des distractions habituelles, boissons et nourriture. Elle espère que les deux gardes lui pardonneront l'austérité de cette première rencontre.
S'étant entraîner à discuter les termes de ce dossier imminemment ardu, Yves récite les formules raccourcies élaborées par la garde des sceaux. Le volume de sa voix s'inclinant, Cassandra reprend son tour de parole :
- Je comprends que votre oreille attentive a dû s'arrêter tout d'abord sur le devenir du prisonnier croupissant à l'heure actuelle dans les geôles de notre donjon. Les deux premiers angles d'attaque relevant prioritairement de la compétence des ministères de l'éducation, de la magie et de la justice. Mesdames Alnilnam et Tylwaen, avez-vous pu obtenir de nouvelles informations utiles de la part de ce gourou ? J'aimerais avoir votre ressenti personnel sur ce personnage, qui d'apparence semble ordinaire mais qui a été capable de rassembler des individus lambdas dans une grotte...
Dame Alnilnam, m'appelez ainsi me fait sourire. Je n'ai rien d'une dame, loin de là. Je viens d'une famille modeste, un père saphir et une mère qui restait au foyer. J'ai été élevé dans l'amour et les préceptes de Lucy. Je suis passée de peu de devenir une sœur mais Lucy a choisi l’épée pour moi. Drôle de façon de la servir mais je fais le nécessaire pour accomplir mon devoir. Comme aujourd’hui, je suis revenue pour poursuivre l’affaire de cette secte. Le chef présumé était un homme sans cœur et sans aucune morale. Il avait ses fidèles bras droits et tous les autres. Ils manipulaient les plus faibles pour obtenir ce qu’il voulait. Des enfants, des cristaux, du pouvoir. Le petit groupe s’est développé au fur et à mesure. Tout début, c’était insignifiant. Il n’était pas rare que des enfants disparaissent dans la forêt, dans la Capitale. Les orphelins ont toujours existé comme les guildes ou autres groupuscules qui profitent de ses enfants pour les embaucher pour des tâches plus ou moins ingrates. Certains deviennent voleurs, appats ou pire encore. D’autres tombent sur de bons samaritains puis d’autres sur la secte du Gloot sacré. La statégie de l’homme était simple. Promettre aux enfants qu’ils seront secourus de la famine et leur propose un toit. Pour les familles dans le besoin, ils racontaient qu’ils allaient quelque chose de plus grand et que leur don pourrait sauver le monde, rien que cela. Les parents, dans le besoin, acceptent de donner leur enfant pour quelques cristaux pour ne jamais revoir leur progéniture. C’était triste mais ça a toujours existé mais lui, ce chef, ratissait tout le nord du royaume. Choisissant dans divers endroits du royaume pour ne pas éveiller des soupçons, la garde avait fini par trouver cela louche. C’est ainsi qu’avec les Belluaires, nous avons réussi à trouver ce groupe. J’avoue que garder notre calme face à des bourreaux d’enfants était difficile. Bien heureusement, la plupart était encore vivants mais combien en avaient-ils enlevés ? Quand j’entends la Ministre, j’ai l’impression que le tableau est plus sombre qu’il paraît. Que finalement, d’autres ont repris le relais et ont décidé que ça serait pire que tout. Je déglutis, retenant ma colère. Cet homme va le payer…
- On pourra retenir surtout son caractère narcissique de cet homme. Il pensait avoir raison et qu’on lui avait demandé de le faire. Un fanatique qui n’avait pas les idées claires.
Mais il n’était pas le seul. Nous avons arrêté les autres têtes pensantes et avions porté assistance aux victimes. Je sais qu’ils ont été accompagnés d’un cursus et savoir si ce n’était pas de futurs fanatiques au compte de cette secte. Peut-être que certains ont échappé au système.
- Il cherchait l’enfant unique, celui qui pourra invoquer leur dieu, ce maître. Il était prêt à la sacrifier pour avoir son don. Je ne sais pas si c’était encore une énième théorie sur l’immortalité mais cet homme est dangereux. Beau parleur, il pourra vendre le royaume à n’importe qui pour un prix astronomique.
Je garde le dos droit à ma chaise et jette un coup d’oeil à l’autre garde. Nous étions des soldats, on n’était pas là pour faire justice soi même mais j’avoue que de nombreuses fois, je l’ai voulu.
- Cet homme mérite son châtiment et je trouve qu’il respire beaucoup trop.
Mon point de vue était assez clair et ça même devant la ministre.
- Donc si vous nous demandez de traquer de nouveau ce groupe, je me ferai un plaisir d’attraper ces voleurs d’enfants. Lucy est bienveillante mais il y a des choses qu’on ne doit pas toucher. L'innocence est importante dans notre Royaume. C’est notre devoir en tant que Garde de protéger le plus faible.
Le poing sur le coeur, je récite ce sermon de nombreuses fois prononcé à voix haute dans ma carrière.
- Peut-être un enchantement l’a aidé mais il est si sournois avec sa langue acerbe qu’il n’avait pas besoin de ça. Je vous le répète quand nous avons des gens en grande détresse, une main tendue, bonne ou mauvaise est un signe. Il a abusé de la situation et n’importe qui pourrait faire ça si celui-ci n’a pas de sens moral.
D’ailleurs ça me fait penser pourquoi cette Amaryllis était dans le coup aussi ? C’était quoi son statut en tant que consultante ? Avait-elle un certain pouvoir dans les affaires ministérielles ? Comme pour Undril Valpierre, elle pouvait intervenir dans les affaires de la garde en tant que soutien ? J’étais curieuse et je pense que c’était le bon moment pour demander ce qu’elle pouvait bien apporter à tout ceci ?
- Madame Tylwaen, avez-vous interrogé cet homme ? Avez-vous d’autres informations à nous partager et nous allons prochainement enquêter sur d’autres affaires similaires à la Capitale ?
Peut-être que les kidnappings ne sont pas arrêtés et que cette secte officie encore. La Commission veut sûrement essayer un autre angle d’attaque. Je ne comprenais jamais leur décision, je n’étais qu’une simple exécutante pour ma part. Je regardais tour à tour la ministre et l’autre garde. Les réunions autour d’une table n’étaient vraiment pas ma tasse de thé. Le terrain était tellement plus agréable finalement…
L’exposé de la ministre et de son assistant était assez clair, et resituait bien le problème. Entre les méthodes de cette secte mêlant magie et conditionnement dès un jeune âge, avec une rhétorique parfaitement efficace contre les esprits les plus faibles… Elle avait tout pour avoir réussi à attirer quelques fanatiques et tenter ses viles actions. Même si la verrue qu’était cette organisation n’avait pas une portée sur tout le pays, elle avait assez de ramifications pour faire parfois encore un peu parler d’elle, même avec sa tête appréhendée. Il y avait encore quelques rapports indiquant certains lieux de vénération de gloots dans des lieux abandonnés. Souvent trouvés par des curieux. Ils étaient rares, mais bien présents, ce qui laissait dire que quelques uns étaient encore dans la nature dispersés. Même si rien d’autre d’alarmant n’était relevé.
La consultante laissa la garde s’exprimer en première et en personne. Après tout elle avait certainement un peu plus d’éléments qu’elle sur ce sujet là. Et, de ce que la rousse avait pu lire dans les dossiers, c’était effectivement le genre de personne qu’il était. Amaryllis prit une petite seconde pour rassembler tous les éléments dans son esprit.
« Je ne l’ai pas interrogé personnellement, mais j’ai parcouru attentivement tout le rapport d’interrogatoire, et son profil semble en effet être celui du fanatique. Mais celui qui a gardé assez de son esprit pour réussir à convaincre les plus vulnérables, et qui ne recule devant rien pour approcher de son objectif. Il est mentalement dérangé, mais a aussi un côté pervers et retors qui l’a mené aussi loin avant d’être arrêté. »
Laissant un court silence s’installer, la consultante reporta son attention sur la lieutenant. Elle avait fait un grand travail pour réussir à démanteler leurs activités.
« Je pense surtout que cette secte en général est un cas d’école. Même si les méthodes d'endoctrinement magiques sont assez originales, c’est courant pour beaucoup d’organisations illégales, sectes ou non, de profiter des plus faibles et désespérés pour en faire les membres les plus loyaux de leur organisation. Et également sur la façon dont ils étaient structurés et opéraient, je pense que cela peut être appliqué à beaucoup d’autres enquêtes. »
Que cela soit des sectes, ou des mafias ou autres regroupements de criminels, les méthodes étaient souvent similaires. Même si certains étaient peut-être plus motivés par l’appât d’un gain rapide et important sous la menace du couperet de la justice, la plupart restaient désespérés. Que ce soit misère ou par indoctrination. Amaryllis se retourna un peu plus vers le duo du ministère, principalement la ministre Heydell elle-même.
« Même si l’on a de nombreux témoignages contre le gourou de la Secte de Gloot, reste la question des preuves matérielles. Il va de soi que ce genre d’individu ne doit pas retrouver la liberté, et serait d’ailleurs parfaitement capable de se conduire de façon exemplaire pour tenter de réduire sa peine avant de recommencer. Dans ce genre de cas, quel est le meilleur moyen pour que les troupes ramènent les éléments permettant de garder ces têtes pensantes bien enfermées? »
Certains gardes, même si elle n’accusait aucunement la Lieutenant Alnilnam ici, étaient bien trop concentrés sur le fait d’attraper l’individu et pas forcément dans la collecte de preuves et d’éléments permettant à la Justice de faire son meilleur travail ensuite. La situation n’était pas catastrophique non plus, loin de là, mais certains pouvaient être un peu sensibilisés aux bonnes pratiques pour être certain que leur prise ne se glisse pas entre les pattes de la Justice ensuite.
Une fois que ces points là seront bien définis, il n’y avait plus qu’un pas pour trouver une méthode d’enquête, d’assaut, et enfin de jugement, pour réussir à mettre efficacement hors d’état de nuire ces nuisances. De ce qu’elle avait compris, cette méthode était beaucoup laissé à l’appréciation des zones des gardes et des spécificités des régions, mais le crime organisé était au final assez uniforme et certaines méthodes pouvaient parfois passer à côté de certains indices cruciaux. Ou alors certains pouvaient être trop enclins à lancer un assaut sur une simple succursale, au lieu de chercher et trouver la tête des opérations. Sur cela, Bridget avait réalisé un excellent travail.
Cassandra écarquille les yeux quand Bridget Alnilnam prononce les termes "enfant unique".
- J'ai beaucoup lu et relu certains passages de la courte encyclopédie de la secte des Gloots Sacrés archivée au ministère. On y parle rapidement d'une prophétie qui insufflerait entre les lignes une quête mystérieuse. On n'en sait pas beaucoup à ce sujet en réalité. Je suis curieuse d'en savoir plus.
Alors que Cassandra se concentre sur les explications de la lieutenante, son assistant continue de prendre des notes, ajoutant parfois des flèches et entourant le concept "immortalité" plusieurs fois. Celui-ci fonde l'objet philosophique suprême de cette secte, dont la création reste assez récente dans l'histoire contemporaine du Royaume d'Aryon.
- Vous vous exprimez en faveur d'un châtiment immédiat. Vous pensez donc qu'on ne peut rien retirer de plus de ce personnage ? Aucune information concrète ?, demande Cassandra attentive et intéressée par son point de vue.
La ministre regarde pensive le tableau résumant les connaissances engrangées actuellement, laissant s'installer un instant de silence propice à la réflexion. Elle réalise suite aux propos de la garde, qu'en effet, pourquoi cet homme et ses sbires ont besoin d'investir tant de sortilèges couteux pour soumettre le peuple, quand la manipulation par les mots et les rites produit déjà tant d'effets, hélas, sur les esprits qu'ils monopolisent ? Cassandra pense qu'il n'y a jamais de limites à la quête de pouvoir et d'argent lorsqu'on a goûté au frisson que procure la position de grand maître d'une idéologie. Cela devient une addiction, de percevoir ces regards tournés vers soi, en attente du moindre son qu’émettra notre langue venimeuse. Cette disparition relative du culte signifie que la lutte acharnée du gouvernement et de la garde a été amplement efficace. Déjouant tour à tour les plans de ses commanditaires, il s'éteint progressivement sur la carte de la région, laissant quelques tâches rouges à l'horizon, dans certains coins reculés ou mieux dissimulés. Les antennes locales de la secte diffusent-elles comme message de rester discret pour garder une implantation presque invisible sous les yeux des soldats ? Cela parait très étonnant pour Cassandra, qui écoute le deuxième avis expert de Amaryllis.
- Très bien, premièrement au vu de vos deux analyses, qui sont primordiales pour moi, notre prisonnier correspond à un profil de psychopathe, voire sociopathe, à voir avec les spécialistes de l'esprit humain. Il va être donc difficile, voire impossible, d'en tirer des informations fiables. Il pourrait même utiliser les interrogatoires pour nous faire perdre notre précieux temps et permettre à ses équipes de gagner du terrain pendant cette période. Nous ne pouvons avoir aucune confiance en pareil individu, qu'on peut qualifier d'atroce, parce qu'il ne fera que ralentir notre investigation en faisant tourner notre esprit en rond, pendant des heures, pour finalement aboutir à un résultat vide de sens, médiocre... zéro pointé !
Cassandra s’assoit, adoptant une posture sérieuse, pour donner du poids à sa prochaine déclaration. En tant que politicienne, elle connait certaines astuces oratoires utilisées par le criminel. Cependant, on peut tout à fait faire appel à des facultés d'expression orale, sans avoir pour dessin de corrompre, tromper, manipuler afin d'obtenir le pire, le vice ou la fortune d'une personne victime, selon l'objectif de départ.
- Mesdames Alnilnam et Amaryllis, pensez-vous que le chef de la secte croupissant dans notre cachot, serait en capacité de piloter et donner des ordres à distance à des malfrats sans foi ni loi, travaillant pour lui en échange de cristaux ou de services illégaux ?
Cassandra fait une brève pause, pour se servir un peu d'eau, un serviteur venant d'entrer pour mettre à disposition un plateau avec une cruche et des verres. Elle propose du regard à ses collaboratrices, nous avons en effet à faire avec une équipe de choc féminine, de leur verser de l'eau fraîche pour les désaltérer. Leurs discussions s'enchaînent à bâtons rompus, tant l'enquête qui les occupe est complexe. Malgré sa complexité, elle a été savamment gérée par ses prédécesseurs. Cassandra reprend la suite d'un dossier qu'elle appelle "propre" car géré de mains de maîtres sans fioritures, avec peu d'erreurs, d'échecs, les opérations ayant été parfaitement orchestrées.
Après avoir avalé à petites gorgées le contenu de son verre, il y avait en réalité un sirop léger de camomille instillé dans le pichet, Cassandra transmet certains nouveaux éléments aux deux femmes, des éléments qu'elle a pus recueillir avec l'aide d'Yves. Ce dernier prend la parole pour poser une question.
- Avez-vous entendu parler d'un enchanteur invoquant de la magie ancienne, de l'envoûtement vaudou a priori, qui pourrait travailler pour cette secte ? Un profil apparait-il dans vos souvenirs du terrain ? Devons-nous fouiller dans nos fichiers ?
- J'ai peur qu'avec son concours, l'influence de la secte croisse de nouveau en sous-terrain, sans que l'on ne s'en aperçoive encore. Il nous faut un moyen de trouver et piéger cet homme ou cette femme,... peut-être sont-ils plusieurs, acquiesce Cassandra.
- Avons-nous une personne infiltrée qui pourrait nous informer et recueillir des preuves ? Je sais qu'un projet d'infiltration avait été amorcé, nous pourrions repartir de là, et poursuivre, si une candidature se présente.
- Hum, les enchanteurs visionnaires, auteurs des doléances, que nous vous avons apportées en exemple, ont l'air d'être étonnamment timides pour le moment...
Cassandra sourit, en croisant ses mains devant elle, attendant des réactions.
- Malheureusement ses chefs d’inculpations ne vont pas donner à une peine de prison importante. C’est ma parole contre la sienne. On peut retenir abus de confiance auprès de personnes faibles, réunion à dérives sectaires mais je ne pourrai jamais prouver les enlèvements des enfants ou le marchandage avec des familles. Il n’y a eu aucune menace de sa part, il a su trouver les bons mots pour obtenir ce qu’il voulait. Ca ne mérite malheureusement pas l’exil et il est bien conscient qu’il va croupir que quelques années en prision...
Il nous fallait plus de preuves, plus d’aveux mais les familles étaient encore déboussolées, préférant ne rien dire. Avouer et ils seraient aussi coupables d’avoir vendu leur enfant à autrui. Le marché d'esclaves est interdit sur nos terres et toute autre transaction avec des êtres humains. Je pourrai jamais avoir des preuves pour ce fait mais cet homme mérite tellement son sort.
- Comme le dit ma camarade, cet homme est très intelligent. Il pourra faire ce qu’il faut pour réduire sa peine ou autre. Cet homme est dangereux, il faut une mesure préventive contre lui mais il nous faut les moyens de le prouver. On doit faire d’autres recherches mais ils avancent dans l’ombre cependant. Il faut qu’ils commettent une autre faute pour les attraper de nouveau.
Une série d’enlèvement, de nouvelles réunions, un meurtre, un cadavre, le moindre signe car pour l’instant nous étions au point zéro.
- On ne peut plus rien obtenir de lui, il faut l’isoler et je ne pense pas qu’il dirige quoi que ce soit de la prison. Il a des fanatiques, on l’idolâtre, quelqu’un a tout simplement pris le flambeau à mon grand désespoir.
Cette affaire ne s'arrêtera jamais et l’homme qui vient d’entrer nous permet de faire une petite pause. L’eau était bienvenue et je profite pour me caser au fond de ma chaise. Les réunions parlottes, c’était compliqué. Parler, parler, parler pour ne rien décider dans certains cas. Est-ce ça le travail de l'État-Major ou du Gouvernement. Jouer sur les mots et envoyer les sbires faire le sale boulot ? Est-ce qu’elle compte vraiment m’envoyer en infiltration alors que je n’y connais rien. Mon portrait-robot doit être dans les têtes de tout le monde maintenant. Je ne pourrai jamais passer inaperçu…
- Ne nous rajouter pas du travail Madame la Ministre.
Pour répondre à sa plaisanterie sur les enchanteurs. Nous avons bien à faire déjà dans les environs.
- Je suis basée à Forteresse maintenant mais nous avons toujours eu notre lot de magiciens un peu fous dans les montagnes. Des milliers d’hectares où on peut se cacher, très difficile d’accès. La Capitale n’est pas l’endroit idéal pour ce genre d’actions. On peut obtenir des noms, des cristaux, des marchandises mais les personnes louches ne s’approchent pas autant du Palais. La Garde Royale traîne dans les environs, certains peuvent être des détecteurs de magie.
On ne connaît pas tous les pouvoirs de certains gardes mais je ne doute pas une seule seconde que le Capitaine Hekmatyar a plusieurs flèches à son arc. Ils ne sont pas tous des combattants hors normes, certains sont d’excellents enchanteurs ou mages. Puis ils disposent certainement de certaines magies secrètes et je ne préfère pas y penser.
- Alors si on veut piéger cette secte, il faut faire des patrouilles discrètes, s’associer avec les villageois, recenser rapidement les disparitions d’enfants. Pour la Garde Forestière, ça sera un travail de terrain long et demandant beaucoup d’efforts. Il faut la confiance des citoyens et surtout ne pas se dévoiler aux yeux des autres.
Mais ça c’était la technique de la Garde Civile, est-ce que ma camarade faisait autrement ? Oui, je le pense, elle avait une autre façon de travailler, elle n’a pas été formaté comme les autres soldats et moi. Alors je préférais tenter.
- Enfin, ce n’est que ma vision des choses. Peut-être que Madame Amaryliss a une autre proposition.
« Continuer à manigancer depuis un cachot nécessiterait la coopération d’un de ses geôliers, ou un pouvoir le permettant. Je ne pense pas que même sa langue de vipère n’arrive à influencer ses gardes, qui savent sûrement ce qu’il a fait. A moins d’user d'envoûtement sur eux, mais les pouvoirs identifiés comme dangereux sont souvent coupés par l’usage de menottes anti-magies ou d’autres outils avec le même effet. Je ne pense pas que ses geôliers soient corrompus. »
Pour Amaryllis, si l’organisation continuait de tourner, il y avait logiquement deux possibilités. Une hiérarchisation forte et un bras droit - ou successeur désigné - capable de reprendre le flambeau et de continuer à coordonner les opérations des survivants. Ou bien un système justement très décentralisé et local dispersé dans le royaume, attendant le retour de leur maître pour se synchroniser entre eux à nouveau.
« Je pense que la secte possède une multitude de petites branches locales qui, une fois que le contact avec la tête pensante a été coupé, se sont faites discrètes. Elles travaillent sûrement actuellement à préparer le retour de leur gourou, sans qu’aucun des membres de la secte ne puisse prétendre à prendre sa place dans son dos. Je pense que la tête a été attrapée, mais qu’il y a encore quelques pattes qui se baladent dans la nature, et qui attendent. Peut-être qu’un successeur coordonne faiblement les différentes branches, mais il n’a pas le rayonnement de son prédécesseur. »
Aurait-il eu un bras droit ou un successeur que l’organisation aurait peut-être tourné en guerre civile et en diverses sous-sectes avec des dirigeants prêts à tout pour récupérer le trône désormais vacant. Une sorte de guerre civile interne. Mais les rapports n’avaient pas indiqués ce genre d’activité de leur part. Mais plutôt une organisation exemplaire. Était-ce là son lavage de cerveau qui était particulièrement efficace, ou la façon dont la secte fonctionnait qui était ainsi? Après, elle n’avait pas forcément raison. C’était simplement ce qu’elle pensait et pouvait en déduire. Elle n’était pas experte en sectes, mais elle était bonne en organisation et en commandement. Et l’activité de la secte des Gloot lui rappelait des détachements de soldats loyaux qu’on aurait privé de commandement central.
A moins que ce qui restait n’était qu’une toute partie de la secte qui s’était rassemblée et cachée. Ceux qui étaient en déplacement ou en mission au moment de l’assaut. Et que ce n’était que les derniers membres qui restaient. Et là, il suffisait de mettre la main dessus pour clore définitivement l’affaire. Mais Amaryllis préférait toujours considérer le pire des cas désormais. Elle révisera son jugement quand elle aura plus d’éléments, sûrement.
« C’est difficile à dire, il nous faudrait un agent. Un membre de la secte qu’on arriverait à convaincre de servir d’informateur contre une immunité et quelques cristaux, à ramener de notre côté, pour peu qu’on arrive à briser un potentiel enchantement. Un sur qui on aurait un moyen de pression qui l’empêcherait de nous trahir. Ou bien effectivement que les espions arrivent à organiser une infiltration de leur organisation. Ce qui m’inquiète, c’est qu’on arrivera peut-être pas à faire tomber toutes les pièces d’un coup, mais que cela prendra peut-être de nombreuses opérations. »
Une petite gorgée d’eau, quelques secondes de réflexion… Amaryllis croisa ses jambes, ses doigts sous son menton, essayant de trouver le meilleur moyen de régler la chose, quitte à sortir un peu de certains standards de la garde.
« Je dirai que l’idée de la lieutenant Alnilnam est bonne, cela permettra d’identifier les différentes zones d’action restantes et potentiellement de découvrir quelques planques, tout en faisant croire que nous partons sur une recherche classique. Mais il ne faudra pas trop étendre les investigations - une rumeur est vite arrivée et si les membres de la secte savent que des gardes sont vraiment trop prêts de les déloger, ils seront naturellement plus prudents et risquent de se relocaliser. La première étape serait d’identifier la menace avec cette première enquête, de l’infiltrer, puis une fois les informations nécessaires recueillies, de frapper, et chaque descente a une chance de nous offrir de nouveaux agents pour la suite des opérations. »
Des agents trop faibles mentalement pour les doubler eux, des traitres à la secte qu’ils auront peut-être réussis à désendoctriner. Après tout, qui voudrait refonder une organisation illégale avec des gens qui avaient déjà trahi par le passé? Pas grand monde. Elle ne se faisait pas trop d’inquiétude. Cela n’arrangeait pas vraiment le problème des preuves, par contre. Comme la Lieutenant en avait parlé, c’était difficile, et principalement des témoignages oraux.
« L’intérêt de l’infiltration est aussi de savoir exactement tous les méfaits, et de pouvoir cumuler les preuves, et de savoir également exactement où trouver lesdites preuves. Je pense que c’est la meilleure méthode. Les patrouilles feront trop de bruits et trop de ragots pour rester discrètes bien longtemps je pense. »
Amaryllis n’avait pas placé de ressources particulière sur une telle tâche. Bridget serait certainement connue de la plupart des membres de la secte - donc la placer en infiltration serait certainement une mauvaise idée. Néanmoins, elle avait l’autorité d’une lieutenante et la connaissance sur la secte pour peut-être mener ce plan à bien. Pas vraiment une tâche au cœur du combat pour la plupart du temps… Même si quelques patrouilles discrètes ou un assaut ne serait pas contre bénéficier de son aide. La rousse avait d’autres idées. Restait à voir ce que les dames pensaient de cela avant de continuer, ou si elles avaient détecté de potentielles failles dans son discours. Ce qui n’était pas impossible - personne n’était infaillible après tout. L’important était d’avoir moins de failles que les autres.
- Capitaine Alnilnam et Inspectrice Tylwaen, j'ai porté intérêt à chacune de vos interventions et je suis satisfaite d'avoir fait appel à votre expertise individuelle qui éclaire ma prise de décision. J'espère que cette réunion vous confère aussi une liberté d'expression et un soutien technique. Mon but n'est pas de vous limiter ou de remettre en question vos compétences et savoirs acquis. Capitaine Alnilnam, je pense que tout le monde est d'accord pour reconnaître votre rôle essentiel à valoriser dans le commandement d'une nouvelle opération de terrain. Les explications de Dame Tylwaen, confirment une implantation diffuse et des souches infectées multiples. Nous n'avons pas à combattre un autre État-Nation, fort et puissant, doté d'une armée. Notre gouvernement ne craint pas non plus un soulèvement général, mais la dangerosité de cette secte n'est pas à sous-estimer. Nous comptabilisons des disparitions, des actes malveillants, des enlèvements d'enfants et des comportements ostentatoires... Il faut rétablir le respect des institutions du Royaume, notamment envers la Garde Royale. Je souhaiterai Capitaine, vous mettre à la tête d'une escouade aidée de la connaissance du terrain de la garde forestière. Le travail de cette troupe serait de recenser les villageois disparus, les enfants enlevés, et de dénombrer les prédicateurs "un peu fous" qui pourraient s'exprimer sur les places publiques. Vous auriez aussi à votre charge le pilotage d'une seconde escouade composée de gardes royaux dont l'objectif serait de détecter les traces magiques dans les villages à l'orée des montagnes. Le capitaine Hekmatyar pourrait vous soutenir dans cette tâche. Je sais que mes demandes sont ardues à mettre en place et que cela sera un travail de longue haleine.
Cassandra s'adresse ensuite davantage à Amaryllis, parlant d'un ton tranchant et direct, bien que sans aucune forme d'agression. Elle n'a pas changé d'un pouce depuis qu'elle est haute comme trois pommes, elle a un penchant naturel à commander et donner des ordres. Une femme au caractère de fer mise à une place de pouvoir, ne peut que développer des qualités de direction. Toutefois, son timbre de voix conciliant et son calme olympien arrondissent les angles. Elle sait aussi mettre en valeur les personnes de confiance et revenir sur des décisions trop hâtives. Sa fierté abyssale en prendrait un coup mais elle trouverait un moyen de présenter le problème de telle manière à paraître persévérante dans l'effort et non soupe au lait.
- Pour débusquer les enchanteurs traîtres et mettre fin aux agissements de la secte, nous allons devoir faire appel à une Inspectrice, Amaryllis Tylwaen, votre enquête semble amorcée, nous ne voulons pas dévouer toutes vos missions à la secte des gloots, mais temporairement, dans cette période de nouvelle crise, j'aimerais pouvoir compter sur la poursuite de votre investigation, pour comprendre le fonctionnement et les pratiques de ces criminels. Le groupe connaît-il une mise à mort de son commandement central faisant proliférer des divisions souterraines ? Ou bien une personne dans l'ombre reprend-t-elle les rênes discrètement, en dehors du regard veilleur des gardes ? Quel serait son dessein ? Dans cette enquête, nous sommes en quête de preuves. Je ne souhaite pas de nouveaux cadavres, mais s'il y en a, il faut les déterrer ! Nous avons besoin d'une personne invisible, c'est-à-dire sans insigne, sans uniforme, qui pourrait relever des preuves en discutant avec des agents sur place. Il faudrait des contacts à former, voire soudoyer, sans être dans l'illégalité bien sûr, qui ont été impliqués mais dont on est certains de l'allégeance à la Royauté, et libérés à jamais de l'influence de la secte... Peut-être parce que leur enfant est introuvable... Certains généraux appelleraient ce projet une mission d'infiltration, mais il est compliqué à concrétiser, à tenter ! Faisons sortir les abeilles de leur ruche ! Vous avez carte blanche... Dans les prémices de cette enquête.... Vous pourriez travailler en collaboration avec un "desenvoûteur" pour déjouer leurs pièges et vous protéger de leur magie hypnotique.
Après avoir tant parlé, elle enchaîne la logique de son propos donnant l'impression de ne pas s'arrêter pour respirer. Elle se tient debout à la fin de son discours, emportée par l'énergie vibrante de l'assemblée. Exigeante dans cette entreprise qui lui tient à cœur, garde des sceaux, elle s'engage à écrire des nouveaux textes de loi à légiférer par la Royauté, pour prévenir l'apparition de groupuscules et sectes sur le territoire. Les propositions politiques d'application immédiate sont l'interdiction de la lecture et de la vente de doléances. La seconde se veut instauratrice d'un dialogue avec les protecteurs de l'environnement et des espèces animales d'Aryon, en ayant une vision globale du vivant local. En effet, les adorateurs des gloots pourraient trouver des appuis auprès des défenseurs de Dame Nature, si une campagne visant l'extinction remplaçait l'adoration, ce qui arrive souvent lorsqu'on détruit des idoles qui nous ont asservies, dans l'esprit torturé humain. Cassandra émet l'idée de réserver des espaces naturels protégés aux gloots, si le sort de ces êtres préoccupent tant la population.
En abordant ce dernier point crucial, Yves indique des plaines disponibles dans les environs des villages les plus concernés. Elles pourraient accueillir au moins des milliers de gloots, qui seraient à la fois protégés d'autres espèces animales, de revanchards opposés à la secte, et des obsédés de la secte elle-même. Un paradis de gloots verts et bleus, sans distinction de couleur ou d'opinion...
Ma collègue n’avait pas tort. Si cet homme arrivait à ses fins depuis son cachot, c’est que nous avons des traîtres parmis nous. Je ne voulais pas partir dans une chasse aux sorcières. Son raisonnement était intéressant et c’est ainsi que je comprends il existe de nombreuses organisations différentes. Le travail de la commission est de réunir toutes ses informations, comparées celle-ci par rapport aux affaires d’autres régiments. Le but d’un régiment était de protéger sa zone mais ce qui se passait à côté, c’était un autre ressort. Il arrivait souvent qu’on fasse des missions inter-régiments pour faciliter la cohésion mais il faut avouer que nous avons chacun notre manière de faire. Je le vois déjà avec la Garde Forestières, un mélange des Grognours et des Belluaires. Même si nos hommes ont l’habitude de travailler ensemble, nous n’avons pas le même type de hiérarchie.
- Je confirme. L’homme que nous avons arrêté avait un certain charisme. Trouver un énergumène de la sorte va être difficile pour eux. Lors de notre arrestation, j’ai plutôt rencontré des gens sous son influence, peut-être qu’une autre branche était localisée ailleurs. Quoi qu’il en soit, il faut couper les dernières pattes avant que le corps se fasse si je reprends l’expression de ma collègue.
Un léger sourire dans sa direction pour détendre l’atmosphère. La ministre accumule toutes les informations et avec son assistant, ils cherchent la meilleure solution. Je suivais l’avis de ma camarade. Des patrouilles dans les environs et une partie plus secrète, dirons-nous, avec l’infiltration par des personnes compétentes. Ce n’était pas mon cas, j’étais la face visible de la justice de notre Royaume. Il faut qu’on montre à nos concitoyens que nous sommes là pour les protéger contre le fléau. Puis par Lucy, je ne peux laisser des enfants innocents souffrir, qu’est-ce qu’il se passerait s' ils se mettaient à les torturer pire encore, à les tuer !
La ministre finit par donner ses directives. Des patrouilles pour ma part, une enquête pour Amaryllis. Les propos de Dame Heydell sur la partie cachée me perturbent légèrement. Je n’avais pas l’habitude de passer du côté espion même si la garde Tylwaen n’en était pas une. J’avais l’impression de plus du tout jouer dans la même cour. Pas la même règle et bafouer certaines morales ou lois était possible. J’avais du mal avec ce concept et O grand jamais, je ne pourrai jamais travailler ainsi. Ma conscience était la seule chose qui me permettait d’être comme je suis. J’ai déjà refusé quelques ordres car ils étaient à l’encontre de mon code moral et depuis, mon dossier est entaché mais j’avais raison de mon point de vue.
Les deux bureaucrates étaient dans le feu de l’action mais moi, en tant qu’officier, je me devais faire quelques rappels. Suivant le protocole qui était dû à la femme à la tête du ministère de la justice, je pris plus douce, évitant que mes propos ne soient mal pris.
- Avec tout le respect que je vous dois, Ma Dame. Il faudrait l’accord du Commandant pour une telle entreprise ou par le conseil de la Commission. Cette affaire touche de nombreuses unités différentes et il faudrait que quelqu’un supervise toute cette affaire. Nous ne sommes que de simples gardes et aucune de nos deux peut prendre de telle décision.
Je prends une légère pause, consciente que ça ne va pas lui plaire mais l’armée n’était pas sous les ordres des ministères. Malgré toutes les bonnes intentions de Cassandra, je ne pouvais déroger à cette règle. Ici, nous avons bien conscience que c’était quelqu’un de bien mais il est déjà arrivé qu’un ministre abuse de sa position pour nous faire accomplir des missions hors cadre.
- Je sais que l’affaire est urgente, je suis la première à vouloir arrêter tout cela mais donnez moi un ordre de mission signé et je pars sur le champ.
Un ordre de mission ne pouvait être signé que par un capitaine, commandant ou un autre haut responsable de la commission. Bien entendu, un ordre royal prédomine au-dessus de tous.
- Je ne doute pas que ses Majestés pourront signer ce document.
C’était même la solution la plus rapide si on devait attendre que les autres se bougent. Une réunion avec la Reine et sa Première Ministre, et l’ordre royal était dans mes mains avant la fin de la journée.
- Mais sachez que je prépare déjà mes hommes à partir dès demain, je n’attendrais que l’accord officiel pour commencer mes patrouilles. Nous ferons tout ce qui est possible pour vous aider dans cette quête juste, Ma Dame.
Le souci était que l’entrevue se passait peut-être trop bien. La voilà avec une enquête et une infiltration sur le dos - ce qui n’était pas forcément son plus grand point fort. L’analyse, et l’action, deux domaines bien différents mais qui ne la dérangeaient pas. L’infiltration en elle-même était moins dans son giron même si mentir n’était clairement pas son point faible. Prendre l’apparence de quelqu’un sans importance était toujours un peu plus difficile pour elle, habituée de se tenir droit, de s’exprimer avec force et des mots impactants. Pas vraiment la carrure d’un grouillot serviable et influençable, donc. Enfin, rien ne la forçait à prendre part à l’infiltration en personne, elle pourrait toujours trouver un homme de main pour ça. Et se concentrer sur les parties qui lui seront intéressantes pour sa mission finale - ou pour ses activités subsidiaires.
« Il y a sinon toujours moyen de passer par le ministère des armes, avec qui vous devez sûrement travailler en étroite collaboration. Même si certains dossiers ont tendance à s’y perdre… Un ordre royal serait plus extrême, mais plus efficace et rapide. A voir si la gravité de la situation nécessite d’être portée jusqu’à eux. »
Après tout, s’ils voulaient une réponse rapide, mieux valait passer par la reine ou par le prince. Même si c’était le roi qui gérait d’habitude les questions militaires, il n’était pas plus performant que le ministère des armes et la commission qui se trouvait sous son contrôle. Au contraire, même. Néanmoins, avec le prince Aeron qui s’intéressait à l’organisation militaire dernièrement, ils auraient peut-être une oreille attentive chez lui.
« Sa Majesté le Prince s’intéresse dernièrement à la partie militaire habituellement gérée par son Père, nul doute que vous trouverez une oreille attentive chez celui-ci, s’il n’est pas trop occupé. »
Amaryllis serait néanmoins sûrement plus discrète qu’un garde de base, certainement moins qu’une personne spécialement formée à ce genre de missions. Après tout, c’était surtout et avant tout une enquête. Elle n’aurait pas recours à de la corruption ou d’autres pratiques douteuses - du moins pas officiellement. Mais s’il fallait négocier avec des prisonniers pour essayer d’en faire des doubles agents contre rémunération et immunité, c’était parfaitement possible. Une pratique assez courante de la Justice, même, pour faire tomber certaines organisations. Après, la carte blanche restait terme vaste, et souvent aussi synonyme d’abus possibles. Après tout, il fallait se donner les moyens de réussir. Si en plus elle se mettait dans la poche ces agents retournés à la solde du Royaume, elle avait de quoi amorcer son propre petit réseau d’informateurs, et ce tout à fait légalement, et avec la bénédiction de la ministre de la Justice. Une belle opportunité. En tant que coordinatrice de l’enquête et personne chargée de centraliser et remonter les informations, elle pouvait s’en charger.
« Je pense que je peux déjà obtenir les autorisations pour étudier les dossiers de tous les prisonniers et faire une liste des doubles agents potentiels, et un potentiel plan de réintroductions de leur part dans la secte avec des protections contre les enchantements - et un moyen fiable de les retrouver s’ils essayent de jouer aux plus malins. »
Après, il ne suffisait plus qu’à trouver les bons, les faire parler, et réussir à les faire infiltrer les potentielles planques qu’ils auront révélé ou que Bridget aura débusqué. Plutôt un bon plan, jugeait-elle. A voir ce qu’il donnait sur le long terme, en tout cas, si ça lui permettait d’obtenir la confiance d’une ministre, ce serait une alliée de poids. Et puis, elle avait l’air d’avoir été battue du même fer qu’elle, ça se voyait dans son comportement et ses paroles. C’était une femme d’action, et de discipline.
Elle n'accuse pas les personnes impliquées d'innocence ou de béatitude, mais doit-on se questionner sur l'évolution des valeurs spirituelles et morales de notre société ? Désargentés, affaiblis dans la solitude, sont-ils à la recherche d'un sens à leur vie et de repères simples et apaisants dans un quotidien devenant morne et désenchanté ?
Des minuscules lucioles tourbillonnent dans la tête de Cassandra éclairant ses pensées immatérielles de leurs fils synaptiques. Les connexions s'établissent et se rompent, les certitudes se transforment parfois en doutes. Un nœud se crée, des réflexions rejoignent celles de la garde Alnilnam. Elle l'imite par empathie humaine et baisse le ton de sa voix pour calmer son esprit foisonnant.
- En effet, nous ne pouvons avancer nos pions sur l'échiquier sans officialiser nos démarches auprès de l'ensemble de nos hiérarchies. L'ordre de mission leur appartient. Vous faîtes bien de le rappeler, j'interviens sous le couvert de la première ministre. Mon rôle dans cette affaire, et celui de mon cabinet, est de faire lien entre vos services, les miens et la Royauté, afin d'accélérer la procédure. Toutefois, ses majestés doivent encore être chamboulés par l'attentat terroriste qui a été porté à l''encontre de la Reine. Nous sommes dans l'attente d'une entrevue.
La garde des sceaux ajoute pour mettre en valeur les maîtres-mots de la couronne :
- Chaque citoyen fait partie de la cour du roi et de la reine, ne négligez surtout pas votre pouvoir d'action à votre échelle.
Par ces mots, elle intime l'idée que l'ordre pourrait venir directement de la Royauté tout au fait des actualités et des faits divers en cours dans le Royaume. Elle ne confirme pas cette option, n'étant pas certaine de leur réponse et accessibilité actuelle. Elle avance donc à pas couverts. Bridget Alnilnam semble être une femme construite dans la poigne et la toute lignée du corps de la garde. Elle apparait à Cassandra comme une enfant issue de la droiture morale et de l'ordre établi. La ministre a cru apercevoir le début de belles cicatrices incarnées dans sa peau. La charismatique soldat attend le nouvel ordre de mission qui guidera la suite de son existence. Elles ont au moins un point commun, celui de vouloir concrétiser leurs débats rapidement.
- Hélas, je ne peux promettre l'arrivée d'un ordre de mission, qui plus est royal, dans mes mains pour la fin de journée. Comme je vous l'expliquais, notre Royauté reste secouée et préoccupée par les derniers événements, mais leur intérêt demeure vif pour le sujet. Gardons une patience alerte. Votre dévouement à la cause du Royaume d'Aryon nous honore tous, Lieutenante Alnilnam et Consultante Tylwaen.
La garde Amaryllis très attentive aux événements clés qui se jouent dans cette pièce, émet l'idée de s'adresser directement à sa Majesté le Prince Aeron, peut-être plus à même de s'occuper de rédiger un ordre express officiel en ces jours angoissants pour la couronne. Cassandra approuve d'un signe de la tête.
- L'étude des profils psychosociologiques des criminels étaient l'un de mes domaines de prédilection pendant mon cursus de droit... disons une option au programme choisie. Mon instructeur m'avait proposé d'en faire un annexe à ma thèse afin de compléter mon profil de juriste. Je sais que cela représente un travail minutieux, d'orfèvre, pour vous et votre équipe face à tous les délinquants qui croupissent dans nos geôles. De bons potentiels existent parmi nos agents, cela j'en suis certaine. Je resterai joignable, vous trouverez les coordonnées de mon bureau, jointes dans l'enveloppe remise, si une aide ou une expérience extérieure supplémentaire vous manque. Nous devons continuer à relancer les recherches sur les magies de désenvoutement et autres sorts d'enchantements, et techniques d'hypnotisme. Pour cela, cela ne relève plus de mes fonctions mais le cabinet du ministère de la magie en est alerté.
Cassandra essaie de mettre en avant son ancienneté de femme de terrain, qui ne connait pas que le bruit des pages des livres et le toucher de l'encre sur la feuille. Elle s'exprime devant des gardes qui lui accorderont peut-être davantage de crédit si elle se montre active et disciplinée dans son travail.
- Marquons ce jour d'une pierre ! Nous entamons la première étape de notre plan dès chaque signature apposée sur le contrat royal. Bonne chance Mesdames, que Lucy veille sur chacune de vos destinés.
La voix de Cassandra s'éteint et l'encyclopédie se referme.
L’assistant de la ministre avait gardé tout son sérieux pendant l’entrevue. Hochant la tête pour approuver certains propos de sa patronne, il finit par nous tendre le fameux ouvrage. Je n’avais eu que des copies ou des extraits de cette fameuse encyclopédie. Je n’avais guère eu le temps d’étudier l’ouvrage dans sa totalité, peut-être cela me permettra de comprendre l’ensemble des tenants et des aboutissants. C’est avec délicatesse que je prends l’ouvrage et le mets dans ma sacoche. Il va échouer sur mon bureau pendant quelques jours encore, j’avais promis des patrouilles sur le champ.
- Oui, nous sommes tous des citoyens de ce royaume. En tant que garde, nous avons le devoir de protéger la population. On fera tout notre possible, soyez en sûr. J’ai le pouvoir de mobiliser des hommes. Je trouverai des volontaires, des soldats qui souhaitent mettre fin à ce cercle sans fin. Protéger ses enfants, ses familles et tous Aryonnais.
Chacun ses compétences. Dame Heydell était la tête pour penser à ses choses là, ses profils. Tout comme Amaryllis pour d’autres méthodes d’enquête. Nous avons chacun nos points forts mais je ne pouvais pas rester dans l’inaction ou derrière un bureau. C’était sur la selle de mon cheval que je ferai avancer les choses.
- Si j’ai la moindre information, je ferai mon possible pour la transmettre rapidement.
Un peu de coordination ne fera pas de mal et la Garde des Sceaux semble prendre cette affaire à cœur. Son cabinet se chargera peut-être de ce point avec ses collaborateurs. J’attrape son enveloppe. Ce n’était pas une missive de la Garde, loin de là. On pouvait reconnaître le raffinement du gouvernement. Ce papier doux, ce sceau et une belle écriture. Pas les gribouillis de certains responsables. J’avoue ne pas avoir la grâce de certains nobles mais je m’en sors plutôt bien. Je peux remercier ma mère d’avoir insisté ses heures d’écriture pour être une femme élégante et non pas une chiffonière.
- Alors je crois que nous avons tout non ? je serai vos yeux et vos jambes. Je vous laisse faire le reste Ma Dame.
J’esquisse un petit sourire. Mon interlocutrice avait l’air plus motivée que jamais. Peut-être sa plus grosse affaire depuis qu’elle a pris le poste. Trop d’engouement pouvait être bénéfique dans l’histoire. Plus de moyens, plus de possibilités. De toute façon, on verra bien.
Je me redresse de ma chaise, vérifie que toutes mes affaires soient bien là. Je jette un dernier coup d’oeil à ma collègue. Il faudrait qu’on se reparle sur cette affaire ou qu’on part ensemble sur le terrain mais je sais que nos emplois du temps sont souvent incompatibles.
- En espérant que Lucy est avec nous sur cette affaire, il faut qu’on réussisse à démanteler ce groupe. Alors, je vais vous laisser et rejoindre rapidement mon régiment pour faire le nécessaire.
Une dernière révérence à la Ministre, une poignée de mains aux autres. Je quitte la Caserne déterminée !
Elle allait avoir son lot de documents à parcourir, et cette doctrine ainsi que cette enveloppe en feront bien évidemment partie. Surtout pour elle-même qui allait devoir se charger du côté le plus informel de cette histoire. Même si rien n’était encore officialisé dans cette histoire elle n’était pas inquiète. Avec quelqu’un d’aussi motivée qu’une ministre pour porter cette affaire, les autorisations ne devraient pas mettre trop longtemps à arriver. Pour peu que Dame Heydell leur fasse prendre quelques raccourcis.
« Du point de vue magique, je pense que nous aurions certainement le budget pour quelques talismans d’indépendance. Mais ces objets ne sont pas miraculeux, et une protection sur la magie spécifique de la secte ne serait pas de refus pour nos futurs agents. »
Après tout, si la ministre se chargerait sûrement de solliciter ses collègues de la branche de la Magie, Amaryllis aurait peut-être de quoi leur fournir un peu plus d’éléments pour leurs recherches. Sachant qu’au final, le temps leur était compté. Sinon, les talismans d’indépendance seront le minimum requis. Et une fois les opérations lancées, elle allait devoir collaborer avec la Lieutenante. Non pas que c’était quelque chose qui la dérangeait - C’était certainement une des meilleures de la Garde. Avec d’autres, cela aurait peut-être été un peu plus problématique, tant leurs profils faisaient grand bruit.
« Les jours de cette secte sont désormais comptés. Bon courage à vous, et que Lucy vous guide. »
Amaryllis hocha légèrement la tête suite au regard de Bridget. La rousse, si elle avait un emploi du temps chargé, n’était pas si difficile que ça, et était en général assez rapide pour ses réponses. Et sûrement encore plus sur une affaire telle que celle-ci. Elle ne doutait pas qu’elle trouverait un moment pour échanger avec elle et s’organiser une fois qu’elles auraient toutes deux de nouveaux éléments. Une fois celle-ci partie, Amaryllis se retourna rapidement vers la ministre.
« Nous serons sûrement amenées à nous revoir, sur cette affaire, et sur d’autres sujets divers. La Justice et la Garde sont après tout deux parties d’une même entité. »
Et avec quelqu’un de si dynamique et efficace d’un côté, elle avait l’impression que certains de ses avis et arguments ne tomberaient pas dans l’oreille d’une sourde sur certains points. Et si elle pouvait se faire reconnaître par la ministre comme quelqu’un de compétent et d’efficace, elle avait tout à y gagner. Après tout, une carrière ne progressait pas sans de bons contacts.