1re lune de la saison chaude de l'an 1001
Sans un bruit, désirant laisser Sofia se reposer, Evelyn s’extirpa du lit et quitta la pièce, emportant avec elle un savon et des vêtements propres. Elle était la première réveillée; ou si elle ne l’était pas, du moins ne croisa-t-elle personne. Elle prit la direction des sources chaudes, qu’elle monopolisa une petite demi-heure. À la suite de quoi Evelyn sortit de l’eau, se sécha à l’aide d’une serviette trouvée dans une petite cabane non loin et s’habilla d’un pantalon de tissus noir et d’un débardeur bleu acier. La voilà donc fraîche comme une rose, prête à attaquer cette nouvelle journée.
Et parlant d’attaquer, Evelyn avait l’intention de s’enfoncer dans les bois environnant pour trouver son repas. Oui, le garde-manger du forgeron était bien remplit, mais Evelyn n’avait pas l’intention de vivre aux frais de l’homme et elle n’aimait pas dépendre des autres. Avec un peu de chance, sa grande expérience de la chasse, son talent à l’arc et son aisance dans une cuisine, la chasseuse allait pouvoir préparer un bon repas ce midi.
Elle essora ses cheveux comme elle put - elle laissait au soleil le soin de terminer le travail -, puis les démêla avec soin. Elle retourna à la demeure déposer ses choses dans sa chambre temporaire, où dormait toujours sa compagne d’un sommeil profond et son crasmo d’un sommeil égal. Elle récupéra ses armes et son sac, et ressortit rapidement à pas de loup. À l’extérieur de la demeure, elle s’immobilisa sur le porche. Elle mit ses gants, fixa sa protection en cuir à son avant-bras gauche et qui contenait également ses couteaux de lancer, accrocha son carquois à sa ceinture, côté droit, accrocha le fourreau contenant sa dague à sa ceinture, côté gauche.
Une fleur se manifesta alors, qu’Evelyn salua brièvement : - Bon matin. Elle n’avait pas encore eu l’occasion d’apprendre à connaître Sia; elle n’avait pas pris le temps, en réalité. Elle reporta son attention sur son arc, qu'elle examina - Ce sera une belle journée, commenta-t-elle sans lever le regard de son arc; la corde commençait à user mais n’était pas en mauvais état. Ayant terminé ses préparatifs, Evelyn hocha la tête en direction de la forgeronne, en guise de salutation, et se mit en marche.
Quand les étagères sont bien organisées et que le tout est propre, je m'en vais me préparer pour la suite de ma routine. L'entrainement physique. Il s'agit souvent d'entrainement à l'épée ou d'aller chasser dans la forêt pour remplir le garde-manger. Malgré l'arrivée de Sofia et Evelyn, ce dernier est plutôt bien rempli. Et je crois que l'on peut dire que je mange bien plus qu'elles même si j'essaye de me freiner pour ne pas vider nos stocks. Je vais donc partir sur l'entrainement à l'épée. Je sors de la boutique par l'arrière-boutique et profite des rayons de soleil qui viennent caresser mon visage et alimenter ma fleur. Je vais profiter d'un peu de lumière bienfaisante avant de me mettre au travail. Je reste donc ainsi plusieurs minutes, l'œil fermé et le visage tourné vers le soleil levant.
Quand j'estime avoir assez profité, je me dirige vers la maison. Je dois aller chercher mon arme. Toutefois, en arrivant devant l'entrée, une personne me barre le passage. Evelyn. Elle me salue, et je lui rends sa salutation.
« Bonjour. »
Bien que Sofia m'est énormément parlé de sa compagne - un peu trop peut-être - je ne la connais presque pas personnellement. Je connais certaines choses qu'elles ont vécues en couple, ou encore certains détails de leur relation fusionnelle ou encore d'à quel point mon ainée aime sa compagne. Mais je ne sais presque rien d'Evelyn elle-même. Mon regard est le sien vers son arc. Sofia m'a parlé du fait qu'Evelyn est une chasseuse, la meilleure selon elle. Elle me salue brièvement et part, prenant la direction de la forêt. Une chasseuse. Arc à la main. Il me faut quelques secondes pour faire le rapprochement. Il faut que j'apprenne à connaître cette femme, au moins pour me faire mon jugement autrement que par les histoires de sa compagne. Je pousse un soupir et rattrape la brune.
« Evelyn ! Tu peux m'attendre ? Je vais t'accompagner et te montrer les meilleurs coins. » J'hésite un peu. « Et j'aimerais bien que tu m'apprennes quelques trucs... »
C'était honnête. Je suis loin d'être une bonne archère ou chasseuse. Je loupe la majorité de mes proies et la plupart des animaux que je tue ont été attrapés par des pièges. Je sais que Lyle n'aime pas le fait que j'utilise des pièges, mais c'est ainsi que je compense le fait d'être une mauvaise archère. Il faut dire que le fait d'être borgne est un gros handicap pour viser. Toujours est-il que je souhaite apprendre. Quand j'ai l'accord de la chasseuse, je file vers la maison à toute vitesse. Je change mes vêtements pour ceux que je mets pour chasser, bien plus couvrants et foncés. Je prends aussi l'arc que Lyle me prête et adapté à ma vue ainsi qu'un carquois avec des flèches. À ma ceinture, j’accroche une petite dague pouvant servir aussi bien à achever un animal qu'à le vider. Je prends aussi une corde si j'ai besoin de remplacer certains pièges.
Maintenant prête et équipée, je ressors et rejoins la chasseuse qui a eu la gentillesse de m'attendre à l'orée de la forêt. Je lui adresse un petit sourire et je tente d'être amicale comme j'ai appris à le faire. Je n'ai aucune idée de comment faire pour sympathiser avec quelqu'un ou d'essayer d'apprendre à connaître une personne, alors je vais juste engager avec les discussions de chasse. Nous nous mettons en marche doucement et je passe devant pour montrer le chemin des différents coins où mon maître et moi chassons. Premier coin : la rivière en contrebas.
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- D’accord, fit-elle simplement en hochant la tête. Ce n’était pas la grande expression d’enthousiasme, mais ce n’était pas un refus. Et puis, Evelyn n’était pas du genre à s’exclamer pour un oui ou pour un non. À la suite de quoi, Sia fila à toute vitesse vers la maison. Craignait-elle qu’Evelyn change d’avis ou la joie lui donnait-elle des ailes?
À l’orée de la forêt, Evelyn patienta. Elle creusa un trou avec l’extrémité de ses bottes; examina quelques fleurs sauvages; se perdit dans la contemplation d’un arbre. Finalement, la jeune apprentie revint. Le regard d’Evelyn quitta l’écorce de l’arbre pour se poser sur Sia, vêtue différemment et équipée, notamment d’un arc et de flèches. Sans attendre, elles entrèrent dans la forêt, Sia passant devant pour remplir sa part du marché : montrer à Evelyn les meilleurs coins.
- Tu veux apprendre quoi exactement?, ne tarda pas à demander Evelyn. Une bonne question, et Evelyn espérait que la réponse à cette question ne soit pas 'tout'.
Les deux femmes descendirent une faible pente. Entre deux arbres, Evelyn aperçut une rivière, où les animaux s’arrêtaient assurément pour boire. Il n’y avait aucune créature près de la rivière lorsque les deux femmes l’atteignirent, mais Evelyn rechercha des empreintes le long des berges. Elle en repéra, des moins fraîches et des plus fraîches, principalement les empreintes de très petits animaux.
Toujours est-il que je n'ai pas répondu à Evelyn. Nous avançons silencieusement dans les bois alors que je réfléchis à ma réponse. Un silence s'est installé entre nous et seuls les bruits de la nature viennent le perturber. Nous descendons doucement vers le lieu où se trouve la rivière. Je dégage à plusieurs reprises des branches et autres ronces en faisant attention que l'aventurière derrière moi ne se les prenne pas dans la figure. Nous arrivons assez rapidement au lieu concerné. Un lieu où de nombreux animaux viennent s'abreuver. Un lieu où nous avons aussi passé un petit pique nique avec la nonne qui nous a rendu visite il y a quelque temps.
La chasseuse est toujours aussi silencieuse. Je ne suis déjà pas du genre à beaucoup parler, mais Evelyn est bien pire que moi là-dessus. C'est vrai que depuis son arrivée, c'est surtout Sofia que l'on entend. Elle est clairement la calme du couple. Celle qui tempère sa compagne. Quoiqu'elle doit bien cacher son jeu... Elle ne doit simplement pas aimer parler plus que nécessaire. Je l'observe alors qu'elle semble chercher des traces au sol.
« Pister. » Il semble que j'ai un peu attiré l'attention de la chasseuse. « J'aimerais apprendre à pister le gibier. »
Oui, c'est une des choses que je ne sais pas faire. Je sais repérer quelques traces, mais rien de plus. Je ne suis vraiment pas très douée pour tout ce qui concerne la chasse. Poser des pièges dans les passages les plus fréquentés et guetter le gibier dans les lieux de repos les plus utilisés, voici mes limites en tant que chasseuse. Je suis donc plutôt limitée. J'espère seulement que la brune acceptera de m'enseigner son savoir.
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- Pister. À ce seul mot, Evelyn leva la tête dans sa direction. La jeune femme continua alors : - J'aimerais apprendre à pister le gibier.
Evelyn ne répondit pas immédiatement. Elle reporta son attention sur les traces – l’animal pourrait faire un bon ragout, mais n’était pas vraiment une proie intéressante. Elle réfléchit brièvement à la demande de Sia; ce n’était pas une demande très extravagante.
- N’es-tu pas déjà apprentie forgeronne? Tu désires aussi devenir apprentie chasseuse? Ça ne s’apprend pas en une heure, ni en une journée. Ça s’apprend patiemment à travers la pratique.
Ce n’était toutefois pas des paroles de refus. Elle fit signe à Sia de s’approcher et lui désigna les empreintes partielles tracées, peu profonde dans la terre: un groupe d'empreinte, les pattes de devant l’une devant l’autre, les pattes antérieurs, peu visible, chaque côtés du corps.
- Il faut apprendre à identifier les animaux – dans le cas présent, un lièvre -, repérer les signes que les animaux laissent derrière eux, déterminer si les traces sont récentes, suivre les traces.
Evelyn se redressa, décida de s’éloigner, de marcher le long de la rivière. Elle aurait pu pister cet animal-là, découvrir son terrier, mais cela ne l’intéressait pas; elle voulait un gibier plus gros et elle voulait s’amuser un peu, passer le temps. Et puis, Sia lui avait promis quelques beaux paysages.
- Je n’ai pas envie de chasser le lièvre. Trouvons quelque chose de plus intéressant.
Evelyn me fait alors signe d'approcher et je m'exécute sans un mot. Au sol, elle désigne des empreintes que je n'avais pas repérées. Les traces sont peu profondes et je n'ai absolument aucune idée de l'animal auquel elles appartiennent. Un petit animal au vu de sa taille. La chasseuse vient alors éclairer ma lanterne. Un lièvre. Elle m'explique alors qu'il faut commencer par savoir identifier l'animal, si les traces sont récentes ou non, puis la direction qu'il a pris. Des choses plutôt logiques. Mais comment je devine cela ? Quels sont les indices pour ce genre d'informations ? Je suppose que cela s'apprend avec l'expérience et les nombreuses observations.
La brune finit par se redresser et me dire que le lièvre ne l'intéresse pas. Elle souhaite quelque chose de plus intéressant. Je penche la tête un peu sur le côté tout en la regardant chercher d'autres traces. Je hausse un peu des épaules et la suit. On peut dire qu'elle n'est pas du genre loquasse. Et je suis du même genre, pas vraiment à aimer faire la conversation. Avec Lyle cela passe, nous avons souvent des choses à nous raconter. Après tout, la forge est un sujet de discussion plutôt intarissable. Mais avec une chasseuse et aventurière que je ne connais pas... Enfin si, à travers Sofia je connais quelques détails de la vie de sa compagne, mais rien de plus.
Je ne cherche donc pas spécialement un sujet de conversation et finit par moi aussi chercher des traces ou indices du passage d'un animal. Nous remontons doucement le cours de la rivière où le paysage se fait de plus en plus féérique. La forêt devient plus dense, les arbres plus gros et par endroit on peut apercevoir des fleurs et buissons couverts de baies en tout genre. Un endroit parfait où de nombreux herbivores viennent à la fois se repose, manger et boire. Un terrain parfait pour trouver les traces de passage d'animaux. J'évite de venir chasser ici, laissant plutôt cet endroit de paix et de repos. Mais il n'est pas rare de croiser du gros gibier dans les environs, je viens donc régulièrement jusqu'ici lorsque mes pièges ne font pas mouche.
J'observe un peu les lieux. Pas l'ombre d'un animal. Les oiseaux chantent joyeusement dans les branchages, signe que le lieu est plutôt tranquille. Je vois des petites souris se faufiler dans les buissons et y disparaitre lorsque nous arrivons près d'elles. En silence, la chasseuse et moi nous séparons et cherchons chacune d'un côté les traces d'un gibier plus impressionnant qu'un lièvre. Je repère de nombreuses coulées créées par les passages réguliers des animaux. Je choisis donc l'une d'entre elles pour mes recherches. J'observe le sol minutieusement. Et puis des traces attirent mon regard.
« Evelyn. »
Je tente d'attirer l'attention de la chasseuse sur les traces que j'ai trouvées. Un animal à sabot, peut être un sanglier ou un daim, je ne sais pas. Les traces sont plutôt bien formées dans la terre meuble et aucune autre ne les recouvre.
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Remontant le long de la rivière, Evelyn était certes attentive aux possibles indices de la nature, mais elle n’oubliait pas également de profiter de la tranquillité des lieux. La forêt se fit plus dense; le changement de décor plut à la chasseuse. Les deux femmes se séparèrent. De son côté, Evelyn trouva rapidement son bonheur sous la forme d’un arbuste. De son sac à dos, elle sortit un contenant qu’elle remplit de baies sauvages comestibles, puis le rangea de nouveau dans son sac. Elle cueillit également quelques baies qu’elle mangea sans attendre.
Elle entendit son nom, ce qui la ramena à la réalité de la chasse. Elle revint vers Sia, une poignée de baies bleues dans une main, et lui demanda en lui montrant le contenu de sa main : - Tu en veux? Elles sont très bonnes. C’était une proposition à ne pas manquer; sauf si, pour une raison obscure, l’on détestait les baies.
La chasseuse concentra ensuite son attention sur l’empreinte bien tracée, profonde dans la terre, et la détailla à voix haute pour Sia : empreinte de sabot, deux doigts, moins de six centimètres, bords externes arrondit; un cervidé, possiblement un chevreuil. Elle indiqua à Sia une seconde trace de sabot, puis une troisième, et les deux femmes remontèrent la piste; traces au sol, branches brisées d’un arbrisseau, d’autres traces, jusqu’à s’immobiliser. Elle leva la main et s’accroupit. Elle pointa silencieusement en direction d’un chevreuil situé à trente mètres, lequel mangeait de l’herbe, et fit signe à Sia d’utiliser son arc; ce tir était pour elle.
Alors que je profite de cette petite pause satisfaisante, la voix d'Evelyn me ramène à la réalité. Elle décrit les empreintes que j'ai trouvées et l'écoute plus attentivement. Elle arrive à détailler avec précision les empreintes et à en déduire l'espèce possible en un rien de temps. J’avoue être plutôt impressionnée par son expertise et légèrement envieuse. Je me questionne un peu sur la vie de la chasseuse et son passé. Comment a-t-elle acquis une telle expérience ? Est-ce qu'elle vient d'une famille de chasseurs ou elle a simplement une passion pour ce métier ? Tant que questions que je ne peux pas lui poser maintenant.
La traqueuse me montre ensuite plusieurs traces qui suivent celles que j'ai trouvé. Le pistage commence alors, en silence. Je suis la brune sans un mot et en essayant de faire attentions aux indices qu'elle trouve et me montre pour apprendre à les repérer à mon tour. Une activité assez simple sur le papier, mais qui demande un regard aiguisé et un grand sens de l'observation. Des points qui ne sont pas mon fort, mais où je souhaite m'améliorer. Cette petite chasse n'est qu'un moyen d'évaluer mes faiblesses et capacités améliorables tout en essayant de passer un peu de temps avec cette femme que je ne connais pas.
Cette dernière finit par s'immobiliser et me fait signe de m'arrêter. Quand elle s'accroupit je l'imite et suis ensuite ses indications. Elle me pointe un jeune chevreuil mâle qui broute tranquillement. Le vent semble être à notre avantage puisqu'il ne nous a ni entendu ou senti pour le moment. Il continue de paître de façon insouciante alors que la chasseuse me fait signe d'utiliser mon arc. Ce gibier est pour moi ? Je ne suis pas très confiante dans mes compétences de tir, surtout à cette distance. Elle me fait cet honneur et je ne tiens pas à le refuser. Si je me rate, nous n'aurons qu'à chercher un autre gibier.
Je récupère mon arc discrètement ainsi qu'une flèche que je viens encocher. Je m'installe de façon plus confortable pour tirer et attend que l'animal bouge légèrement pour que l'angle soit parfait en cas de tir réussi. Bien que je ne sois pas particulièrement sensible à la souffrance animale, je ne tiens pas non plus à infliger une blessure non mortelle pouvant handicaper cette pauvre bête. Et une bête paniquée et blessée demande une traque assidue et le risque d'obtenir une viande bien moins savoureuse. Je me concentre donc et attend le meilleur moment pour armer mon arc. Je détends mes épaules et fixe du regard le point que je cherche à atteindre. Quand je sens que le moment est parfait et que je suis concentrée, je lâche ma flèche.
Le trait file à toute vitesse, mais passe au-dessus de l'animal. Ce dernier relève rapidement la tête, effrayé par le bruit de l'empennage sifflant dans l'air. Son regard se tourne vers nous un instant avant qu'il ne file à toute vitesse en aboyant, signalant aux autres animaux alentours la présence d'un danger. Et zut. Je suis déçue de ce résultat, mais pas forcément surprise. Je préfère louper complètement mon tir que de devoir pister un animal blessé pendant de nombreuses heures en n'étant même pas sûre de le retrouver. J'attends plusieurs minutes après que le brocard se soit enfuit pour oser bouger et me redresser. Je vais récupérer ma flèche que je retrouve fichée dans la terre plusieurs mètres derrière l'emplacement de l'animal. Une fois cette dernière récupérée, je rejoins à nouveau Evelyn sans un mot. Il va falloir que l'on change d'endroit et recommençons.
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Sia s’en alla récupérer sa flèche, plantée dans le sol. Debout, les bras croisés, appuyée contre le tronc d’un arc, Evelyn attendait, pensive. Sofia désirait rester quelques jours ici; à moins de se faire chasser par le propriétaire des lieux pour mauvaise conduite, ce qui n’était pas impossible. Et la jeune Sia avait réellement besoin de quelques cours privé si elle désirait chasser de façon efficace.
La forgeronne revint vers elle, prête à continuer. Evelyn resta immobile, laissa un silence s’installer, silence qu’elle brisa ensuite par ses mots : - Je pourrais tout t’apprendre sur le pistage du gibier, mais si tu ne peux pas atteindre une proie avec ton arc, c’est inutile. Aucun jugement, aucune critique ni sévérité dans son ton, seulement une constatation des faits. - Je te dis pas le nombre d’heures que j’ai passé à m’entraîner sur des cibles immobiles avant de tirer sur de véritables cibles. Des heures, des jours entiers, des semaines, perfectionnant son tir, maîtrisant son arc, allongeant sa portée maximale, apprivoisant les éléments de la nature.
- Si jamais t’as besoin de conseil, j’accepte le paiement en bières, ajouta-t-elle avec un léger sourire. Puis, la chasseuse quitta l’appui de l’arbre et décroisa les bras, prête à reprendre la chasse. Elle décrocha son arc de son carquois et le tint dans sa main gauche; la prochaine cible serait à elle, chacun son tour après tout. Les deux femmes se remirent en mouvement, s’enfonçant toujours un peu plus loin dans la forêt.
Quand elle parle de paiement en bière, j'esquisse un sourire. Je pense savoir pourquoi elle et Sofia s'entendent si bien. L'aventurière est une grande amatrice d'alcool, et en particulier la bière, comme j'ai pu le constater à plusieurs reprises. Les aventuriers ont tendance à beaucoup boire de façon générale, il faut dire qu'il y a tout de même une taverne dans le hall de la guilde à la Capitale, mais la blanche se distingue tout de même du lot par son incroyable descente et tenue de route. Alors si Evelyn est du même genre, j'imagine un peu le couple qu'elles doivent faire.
« Je vais voir ce que je peux faire alors. »
Hors de question de lui offrir la bière dans la cave, c'est celle de Lyle et non la mienne. Je sais que mon maître chérit particulièrement certaines de ces bouteilles et qu'il aime les apprécier de temps à autre, alors je ne vais certainement pas piocher dedans pour me payer des cours de tir à l'arc. Je n'aurais qu'à envisager un petit voyage jusqu'à la Forteresse, avec quelques heures de marche pour l'aller-retour et mon sac sans fond, cela devrait être assez simple. Il faudrait sûrement que l'on fasse aussi des courses... Ou je pourrais inviter la chasseuse dans une taverne ? Mauvaise idée, si elle a le même genre de descente que Sofia, je vais me ruiner. Autant lui prendre de la bière à lui offrir et ainsi recevoir les cours correspondant à la quantité offerte. Au moins, je ne risque pas de voir toutes mes économies partir dans de l'alcool ainsi.
Alors que j'étais plongée dans mes pensées, nous avions repris la route. La brune était passée devant cette fois, semblant suivre une piste. En regardant autour de moi, je cherche des repères pour savoir où nous sommes. Après quelques secondes, je reconnais les lieux, nous approchons d'un réseau de grottes.
« Attends. »
Quand elle s'est arrêtée, je la rattrape et viens à sa hauteur. J'observe encore un peu les lieux, vérifiant qu'aucun prédateur ne peut nous surprendre. Je n'ai pas de doute sur les compétences de mon amie, mais je préfère être prudente. Je parle alors tout bas, l'invitant aussi à être prudente.
« On approche d'un réseau de grottes. Il y a plusieurs ruisseaux ici, mais c'est aussi un lieu où beaucoup de prédateurs viennent. Il y a une meute de wargs qui a sa tanière non loin, et j'ai aussi déjà croisé un grognours. »
Je ne pense pas avoir besoin de dire plus, je pense même que la brune avait peut-être déjà conscience des dangers ici, mais je préfère prévenir que guérir. Les montagnes peuvent se montrer plus dangereuses qu'elles n'en ont l'air.
1re lune de la saison chaude de l'an 1001
Plus loin, la chasseuse s’immobilisa pour montrer à l’apprentie des traces de sanglier au sol, dans la boue. Puis des traces à la base d’un tronc d’arbre, là où un ou plusieurs sangliers s’étaient frottés de manière répétitive. Une vingtaine de pas plus loin, ce fut le hasard qui mit sur leur route un sanglier. Silencieusement, Evelyn encocha une flèche, leva son arc et tira sur la corde, se préparant. Mais elle ne libéra pas sa flèche; elle abaissa plutôt son arc et détendit la corde. Derrière le sanglier, une femelle, suivait quatre marcassins. Elle se contenta de les observer en silence. – J’essaie de chasser de façon responsable, dit-elle à Sia une fois les animaux partit. – Si j’avais tué la mère, les petits n’auraient eu aucune chance de survie.
Trois cents mètres plus loin, Evelyn s’immobilisa à l’abri d’un bosquet en entendant un groupe de dindons sauvages gloussant joyeusement. À quarante mètres, sur la branche basse d’un arbre, se reposait l’un des dindons sauvages. La chasseuse évalua la distance, l’absence de vent, encocha une flèche, leva son arc, tendit la corde, visa rapidement et libéra sa flèche. Cette dernière siffla en direction de sa cible et la toucha à un point vital. Le dindon tomba raide mort, les autres disparurent rapidement. Evelyn alla récupérer sa flèche et son dindon, qu’elle souleva par les pattes. – On pourra en faire un repas digne du temps des fêtes, dit-elle avec bonne humeur.
Je ne dis rien et la laisse continuer sa traque. Cette fois, nous tombons sur des dindons. Cette fois, quand elle arme son arc, la flèche part et va se ficher dans le volatile alors que ses congénères s'envolent bruyamment, gloussant de panique. Nous attendons un petit instant avant que la chasseuse ne se dirige pour récupérer son trophée. Je souris à sa remarque, le dindon sauvage est aussi un plat de choix, je ne doute pas que l'on doit avoir ce qu'il faut pour le cuisiner dans le garde-manger, après tout mon maître est assez friand d'épices et aromates, nous devrions facilement trouver de quoi accompagner ce volatile.
Maintenant que nous avons notre plat de résistance, je peux assouvir ma curiosité. Je laisse Evelyn récupérer sa flèche, la ranger et surtout s'occuper du corps du volatile qu'elle a en main. Je m'approche, un éclat curieux non dissimulé dans le regard.
« Dis... Je comprends que tu n'ai pas tiré sur la laie plus tôt, mais pourquoi ne pas prendre la vie d'un des petits ? Cela reste respectueux et responsable, c'est aussi donner une bouche en moins à nourrir à la laie, donc plus de chances de survie pour les autres petits, non ? »
Je ne suis pas certaine de mon raisonnement. Bien que je sois sensible à l'amour qu'un animal ou tout autre créature peut donner, je suis assez neutre vis-à-vis du fait de prendre une vie. Ceci rentre dans l'ordre des choses, c'est normal de mourir et cela ne m'arrache aucun remord ou sentiment de tristesse. Peut-être n'est-ce pas le cas de tout le monde, peut-être que retirer la vie d'un jeune animal est plus difficile que retirer celle d'un adulte pour certaines personnes.
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Lorsqu’elle eut terminé de s’occuper du dindon, elle l’accrocha par les pattes à son sac à dos. Il était maintenant temps de rebrousser chemin. – J’espère que t’as aimé la partie de chasse, lui dit-elle à titre de formalité, car dans le cas contraire cela n’attristerait pas la chasseuse. Les deux femmes orientèrent leurs pas vers la maison du forgeron. - Il y a assez de viande pour nourrir tout le monde, on pourrait préparer le repas?, proposa Evelyn, qui était douée en cuisine et n’avait pas besoin d’aide, mais qui ne détesterait pas la présence de Sia à ses côtés pour réaliser l’idée qu’elle avait en tête et qu’elle énonça : - Je pensais le faire cuir entier avec quelques assaisonnements, farcie, avec légumes en accompagnement, si y’a les ingrédients pour ça; t’en pense quoi?
La brune semble maintenant avoir terminé de s'occuper de sa proie et se questionne légèrement de savoir si j'ai apprécié cette partie de chasse. Un sourire vient légèrement étirer mes lèvres alors que je hoche doucement de la tête. Je n'ai clairement ni l'expérience ni l'habileté d'Evelyn ni même sa logique, mais j'ai bien appris quelques trucs utiles. Maintenant, il me manque surtout beaucoup d'entrainement pour devenir une meilleure chasseuse.
« Oui, j'ai bien apprécié ce moment, et je te remercie de m'avoir laissé t'accompagner. »
Elle semble ensuite s'intéresser au repas que l'on peut préparer. À ses questions, je réfléchis un moment, faisant l'inventaire mental de ce qu'il reste dans le garde-manger. Être quatre au lieu de deux a bien fait baisser nos stocks qui n'étaient déjà pas les plus hauts puisque l'on n'a pas fait de courses à la Forteresse depuis quelque temps. Il me semble tout de même que l'on peut avoir ce que la chasseuse me liste.
« Ça me semble parfait ! On doit avoir ce qu'il faut dans le garde-manger. Sinon, on doit aussi pouvoir trouver quelques légumes sauvages sur le chemin du retour. Et si tu veux, je peux t'aider en cuisine, au moins pour éplucher ou découper les légumes en tout cas. »
Je souffle doucement de manière amusée, je ne suis pas de la plus grande aide avec un couteau en main, bien plus adroite avec une épée ou un marteau à la place. Toutefois, je ne suis jamais contre une occasion de m'améliorer et d'apprendre, je ne vais pas refuser une telle occasion de m'entrainer.
Nous faisons tranquillement le chemin retour, plutôt silencieusement. Sur notre chemin nous arrivons à trouver plusieurs ingrédients : les quelques baies qu'Evelyn avait repérées plus tôt et dont nous récupérons une quantité suffisante pour préparer un petit dessert, de l'ail sauvage et plusieurs herbes et tubercules comestibles, ainsi que quelques champignons poussant à cette saison. Nous rentrons avec de quoi préparer un véritable festin et finalement nous tirons assez peu sur les réserves du garde-manger. Nous entreprenons ensuite de préparer ensemble le repas dès que nous arrivons et rapidement de douces odeurs de nourriture viennent attirer une Sofia encore légèrement endormie et un forgeron qui sort légèrement la tête de son atelier pour voir ce que l'on prépare encore.