Klarion avait beau être seule dans la pièce, il avait le regard baissé vers une gerbe orangée de capucines qu’il avait fait pousser sur un pot vide, à la terre si aride qu’il avait dû l’arroser abondamment pendant plusieurs minutes. Posant la plante sous un rayon de soleil devant une fenêtre, le jeune homme partit s’asseoir sur un lit si moelleux qu’il crut s’enfoncer à l’intérieur, le forçant à se repositionner juste au bord pour ne pas basculer en arrière. Le cadre du lit était plus haut que le matelas, lui bien renfoncé à l’intérieur et sans doute rembourré de plumes et de paille. La garçonnière qu’avait choisi Aord pour leur rencontre ne payait pas de mine. Le parquet avait été nettoyé, mais de petites toiles d’araignées sans propriétaires jonchaient quelque recoins du plafond et derrière les meubles. Les rideaux de dentelle avaient jauni et le tapis de sol semblait avoir été battu, même s’il faisait grise mine et avait l’air plus dur que de la pierre.
Klarion comprenait qu’Aord ne l’invite pas dans sa propre maison suite à leurs deux précédentes rencontres, mais il ne s’attendait pas vraiment à être reçu dans un endroit pareil. Une chaumière en bordure de la ville aurait été sans doute plus douillette et moins impersonnelle que cet endroit qui donnait l’impression d’une chambre miteuse d’un hôtel où maîtresse et amant se donnaient secrètement rendez-vous. Les deux hommes se revoyaient pour apprendre à se connaître davantage. Klarion avait besoin d’Aord pour propager ses idées. Quant au prêtre, l’éco-terroriste avait encore du mal à bien le cerner et comprendre ses motivations. La dernière fois qu’ils s’étaient vus, ils avaient échangé une série de souvenirs dans laquelle Klarion avait pu ressentir d’anciens états d’âme du religieux. Se mêlaient regrets, peine et solitude, ainsi qu’un rapport à la mort qui avait l’air d’avoir compté comme eu de l’impact sur Aord.
- Non, il ne vit pas ici, continua Klarion à la plante. Aucun livre, aucun effet personnel… à croire que ce trou est abandonné depuis des lustres !
Il n’était pas loin de la vérité, la chambre n’était qu’une location adressée via agence touristique à un propriétaire vivant de ses rentes à l’autre bout du royaume. Klarion avait ouvert une armoire, vide à l’exception d’un peu de linge de maison entassé dans un coin. Dans un placard, il trouva une bouteille de liqueur de framboise à moitié entamée et du whisky. Klarion avait le whisky en horreur et était plutôt satisfait d’avoir chapardé deux bonnes cuvées de vin avant de se mettre en route. Il n’aurait pas à toucher à ces bouteilles oubliées depuis longtemps, à risquer de rendre son déjeuner. Attrapant un seau vide, il entreprit de le remplir d’eau avant d’y plonger un linge brun à l’intérieur. Trempant sa main dans l’eau pour atteindre le linge, Klarion fit ensuite pousser un nénuphar, le laissant grandir jusqu’à maturité, laissant une magnifique fleur rose et crème flotter sur son socle végétal.
- Et dire que je ne peux pas tapisser les murs… On saurait que je suis passé ici ! Aord aussi je suppose s’il a réservé à son nom… J’espère que non, ça serait dommage de ne pas transformer cet endroit en petit nid de bonheur, et de vous donner d’autres amies.
Intrigué par quelque chose émergeant de sous l’armoire vide, Klarion en ressortir un prospectus poussiéreux sur des points d'intérêts à visiter dans la Capitale. Des galeries marchandes aux musées en passant par les jardins botaniques, le livret avait bien un an de retard sur les événements dont il faisait la publicité. Entre les pages, le jeune homme en sortit un poème érotique et un bon de commande pour une bague contre-moufflet. Les anciens propriétaires de ce livre avaient dû s’amuser avant d’oublier leur guide de vacances, ils avaient sans doute bien mieux à faire. L’intuition du jeune homme avait été la bonne, c’était bien un lieu de rencontre pour les couples. Il y avait une certaine ironie à ce qu’Aord ait choisi cet endroit, amusant Klarion un peu plus. Sur cette pensée, il sortit de sa poche une fiole de parfum avant de s’en appliquer autour du cou, s'imprégnant de notes de jasmin, de muscade, de menthe et de baies roses. Ce parfum ci n’était pas entêtant, ni hallucinogène comme son rouge à lèvres, juste une fragrance esthétique, pour plaire et pour soi.
- Bien mieux ainsi… soupira-t-il.
Il entendit du bruit de derrière la porte, la poignée commençant à se tourner. Était-ce enfin Aord qui arrivait ? Il l’espérait, il n’avait pas du tout envie de trouver un invité inattendu ou d’avoir été compromis…
- Je ne me rappelle pas avoir appelé un valet de chambre, plaisanta-t-il. Mais puisque vous êtes là, peut-être pourriez-vous me remplir un bain et un massage ?
Le frère soupira en s’étalant sur son siège. Il allait bientôt être l’heure de rentrer et d’affronter ses choix plus que douteux en matière d’invitation. Aord était … terrifié par le souverain de la flore. Lui et ses poisons, ses regards de prédateurs … cela lui donnait des sueurs froides. Il n’avait pas envie d’y aller. Pourquoi ne lui poserait-il pas un lapin ? Ah oui, il lui avait donné son adresse, comme le dernier des idiots …
Aord caressa la couverture du livre qui reposait sur son bureau. Depuis 10 jours, il avait visionné et revisionné les souvenirs du jeune homme encore et encore. Plus il le faisait et plus il se sentait … proche de lui ? Non, c’était différent, le frère n’arrivait pas vraiment à le décrire … La peur s’était atténuée, leur dernière rencontre c’était plutôt bien passée et Aord avait retrouvé un peu de la curiosité qu’il avait éprouvé au début. Peut-être était-ce parce que Klarion lui apportait un but ? Il devait être le plus pathétique des hommes pour avoir besoin de se consoler auprès d’un criminel. Aord leva les yeux aux ciels, ce n’était pas en restant assit à son bureau qu’il trouverait la paix. Il avait fait un choix à lui d’assumer.
Aller vient Naya, rentrons.
~~~
La porte s’ouvrit sur Aord qui sursauta en voyant Klarion dans sa chambre, mais par où était-il entré par la sainte déesse ? Le frère fronça les sourcils et posa son doigt sur ses lèvres.
Chut, les voisins vont t’entendre.
Il se retourna pour scruter le couloir et vérifier que personne n’avait entendu le criminel. Aord s’empressa d’entrer et ferma la porte à double tour. Il allait avoir sa peau.
J’imagine que c’est de bonne guerre que tu entres chez moi sans permission, dit-il sur un ton cinglant.
Il posa son sac dans un coin du taudis sans dire un mot. Naya sauta d’une des poches et se mis à sautiller gaiement sur le parquet. Toutefois, quand elle avisa l’intru elle se déplaça come une flèche derrière le pied de son maitre, terrifiée. Il se pencha pour la ramasser et la caresser doucement. Elle sembla s’apaiser un peu.
Calme-toi Naya, il ne va pas te faire de mal … j’espère.
Aord leva les yeux vers Klarion comme pour chercher une confirmation et posa la petite slime sur le sol. Rassurée, elle commença à explorer l’endroit en gardant une bonne distance avec Klarion. La confiance ne régnait pas encore on dirait. Le frère s’approcha de son invité, mais s’arrêta en chemin pour renifler l’air.
T’as parfumé l’endroit où je rêve ?
Il hésita un instant, son ton toujours aussi sec et méfiant.
C’est … agréable.
Il détourna le regard et tomba sur le prospectus que Klarion avait trouvé sous l’armoire. De plus en plus bizarre, est-ce que Klarion essayait de lui envoyer un message oh combien subtil ?
Désolé pour tout ça …
Il fit un signe de la main qui englobait toute la pièce.
En tant que frère je ne possède pas grand-chose et comme j’ai quitté le temple à la va vite et bien, j’ai pas encore eu le temps de me trouver quelque chose de mieux …
A vrai dire, il avait l’habitude de vivre dans une cellule au temple, alors à côté, ce taudis avait l’air spacieux. Aord sembla chercher quelque chose autour de lui et finit par ramasser les deux bouteilles. Qu’est-ce qu’on faisait quand on invitait un criminel national chez soi ? On lui offrait du thé ? Le frère soupira et un nuage bleuté sortie de sa bouche.
Je sais même pas ce qu’il y a dedans, mais si tu n’as pas peur de l’intoxication on peut essayer de se boire ces trucs qu’est-ce que t’en dis ?
Le religieux ne savait pas trop quoi dire en réalité, il aurait préféré que Klarion rentre dans le vif du sujet au lieu de jouer les aguicheuses avec ses prospectus douteux. Un plouf sonore et des petits cris de paniques interrompirent ce moment gênant. Naya venait de tomber dans le fond du saut après un effort désespéré pour atteindre l’énorme bonbon rose qui flottait au milieu. Aord ramassa la petite boule trempée et la posa sur la table.
Reste sage Naya.
Puis il regarda Klarion.
Alors qu’est-ce qu’on fait ?
Il restait toujours méfiant de la première réaction qu’aurait le terroriste. Malgré tout ce qu’il avait vu, il se sentait encore en danger en sa présence.
Klarion sortit les deux bouteilles qu’il avait pris avant de partir. Jolies bouteilles de pinot noir au bouchon cacheté de cire, elles provenaient d’un restaurant bourgeois d’une galerie marchande située près de la place commerçante. Sur l’étiquette était inscrite le nom du domaine viticole, ainsi la date de mise en bouteille et un assortiment de plats se mariant bien avec la boisson. Malheureusement, le phytomancien n’avait pas prévu d’agneau braisé ou de magret de canard pour s’assurer un petit dîner aux chandelles. Peut-être plus tard ? Klarion pensa qu’Aord irait chercher des verres, mais ce dernier accourut vers sa boule gluante de compagnie alors que cette dernière avait plongé par inadvertance dans le seau au nénuphar. Klarion pinça ses lèvres en guise de désapprobation. Il savait que ces créatures translucides dévoraient tout ce qu’elles pouvaient gober, et les plantes ne faisaient pas exception.
- Cette… petite créature reste toujours avec toi ?
Klarion s’était vite corrigé, s’apprêtant à qualifier l’animal de « chose », et non de créature. Le prêtre l’aurait sans doute mal pris si l’éco-criminel se mettait à mal considérer son familier. Il préférait donc soigner son langage, même s’il n’appréciait guère cette viscosité vivante. Il continuait de la toiser de son regard aussi perçant que celui d’un rapace, la petite bestiole sursautant en croisant son regard. Elle manqua même de retomber dans l’eau avant que son maître ne la dépose doucement sur la table.
- Il vaudrait mieux éviter qu’elle ne mange les plantes. En plus, vu sa taille, le nymphéa risque de la tuer à cause de ses fluides. C’est toxique, et mortel pour la plupart des petites bêtes.
Il balaya la pièce d’un regard pour voir s’il ne s’y trouvait pas quelque chose que l’animal pouvait ingurgiter ou mâchouiller pour se tenir tranquille. Mais il n’y avait rien, à part les bouteilles d’alcool et le guide touristique poussiéreux qu’il avait trouvé. Klarion ne pensait pas qu’Aord allait lui donner une goutte de liqueur ni des pages d’un livre moisi. Peut-être y avait-il des restes d’insectes sous une armoire ? Ou même un vieux morceau de pain rassis ? N’importe quoi pour que ce petit être puisse mastiquer dans un coin et piquer un somme… Ses piaillements irritants et ses gesticulations incessantes risquaient d’interrompre les deux hommes durant leur entrevue. Et dire que Klarion pensait avoir Aord tout à lui !
- Enfin, quoi qu’il en soit, nous sommes là pour nous connaître un peu plus. Et aussi nous comprendre un peu plus.
Toujours assis sur le lit, Klarion croisa les jambes et dégrafa sa cape avant avant de l’envoyer derrière lui. Il pointa du doigt la gerbe de capucines, oranges, brunes et jaunes, qui était toujours devant la fenêtre. Les fleurs frétillèrent légèrement quand Klarion les pointa du doigt, ce dernier les animant un bref instant pour porter l’attention du prêtre vers les fleurs au soleil. Le terroriste s’était efforcé de ne pas trop les faire bouger afin de ne pas effrayer le religieux. Il était normal que ce dernier soit toujours sur la défensive après leur dernière rencontre durant laquelle Klarion avait attaqué Aord à l’aide d'immenses racines. Le phytomancien avait choisi de rester simple, pour l’instant. Klarion voulait montrer un peu plus de sa philosophie au religieux, et il était grand temps de se lancer dans le vif du sujet.
- Les capucines ont des vertus incroyables. Elles peuvent aider à lutter contre le rhume, la grippe, les maux de gorge et tout un tas d'applications respiratoires. Elles sont également très utiles contre la calvitie, ou pour les reins. Et on les appelle aussi les fleurs d’amour, elles peuvent servir d’aphrodisiaque, au cas où ça t’intéresserait… !
Klarion joignit sa tirade à une œillade malicieuse, parfaitement conscient qu’elle risquait de déstabiliser son interlocuteur. Passant une main délicate dans sa tignasse, il reprit le plus calmement du monde :
- Grâce à notre échange de souvenirs via ton grimoire, j’ai bien vu que tu avais appris auprès d’un druide. Comment est-ce que tu t’occuperais de cette plante ?
Oui, elle me suit partout.
Autant dire qu’il serait amené à la revoir en de nombreuses occasions, c’était une certitude.
Merci du conseil Klarion, mais je crois que les poisons n’arrêtent pas vraiment les slimes vu qu’ils sont fait de … gelée. Mais ne t’en fais pas je ne la laisserai pas manger tes amies. Faut juste que je sois moins distrait.
Il indiqua du menton le prospectus étrange qu’il pensait avoir été amené par Klarion. Il inspecta ensuite ses deux bouteilles et les compara à celles que Klarion lui proposait. Clairement, les siennes semblait bien plus ingérable, même si le frère n’avait aucune idée de ce qu’elles contenaient. Du vin, très clairement, mais il n’y connaissait absolument rien en œnologie. Alors il allait lui faire confiance sur ce point. Jamais il n’avait eu les moyens de se payer de telles bouteilles si on admettait que Klarion les avait effectivement payées.
T’as surement raison, on n’a pas l’estomac de Naya, on va prendre le vin.
Il se dirige vers ce qui lui servait de « coin cuisine » et en sortit deux verres propres et un tire-bouchon qu’il tendit à son invité.
A toi l’honneur !
Il lui donna l’objet et se retourna vers la petite boule qui cherchait comment descendre de la table pour continuer ses bêtises. Il la rattrapa alors qu’elle avait enfin trouvé le courage de se jeter du bord, se souvenant qu’elle n’avait pas d’os à se casser. Son maitre la déposa délicatement sur la table et sortit un petit caillou de sa poche. Les pierres étaient la seule chose qu’elle mettait du temps à digérer, avec un morceau pareil, elle serait occupée pendant un moment. Il déposa le caillou devant l’animal qui émit un petit cri de contentement avant de s’attaquer à son goûter.
Et voilà, maintenant on peut avoir un peu plus d’intimité …
Il croisa le regard plein de sous-entendu de Klarion.
Enfin, je veux dire qu’elle va nous laisser tranquille pour un moment, dit-il en détournant les yeux et en rougissant légèrement quand il mentionna les propriétés surprenantes de ses fleurs.
Aord ne savait pas s’il le préférait quand il essayait de le tuer ou quand il le draguait, entre les deux sont cœur balançait. Il s’approcha du bouquet pour l’observer même s’il gardait une certaine appréhension. Le simple fait de voir les plantes bouger l’avait fait tiquer. Il vivait dans un monde om les végétaux restaient immobiles, mais Klarion avait décidé de la faire sursauter à la vue de la moindre pâquerette pour les années à venir.
Malheureusement, contrairement à ce que Klarion croyait, Aord n’avait pas appris grand-chose auprès du druide. Principalement par ce que durant toute sa rencontre avec le jeune homme, Aord avait joué de malchance. Quand il n’ingérait pas des champignons hallucinogènes, il manquait de se noyer, se faisait poursuivre par des grognours sur lesquels il était tombé par hasard. Il avait même failli chuter d’une falaise à cause d’un glissement de terrain. L’expérience qu’il avait partagée à Klarion n’était qu’un petit exemple de tout ce qu’il avait vécu avec Valravn, mais elle n’était certainement pas représentative. Il avança ses doigts pour caresser les tiges de manière hésitante.
Alors pour ce qui est de ce passage là comment dire … je n’ai pas appris grand-chose avec lui. Il m’a montré quelques petites choses, mais je ne suis pas devenu botaniste pour autant alors … je dois bien t’avouer que je ne saurais pas comment faire …
Sa bouche se contorsionnait sous l’effet du malaise qui le prenait de court. Toutefois, il fit un effort pour se rappeler les enseignements de Valravn. Il lui avait montré comment récolter une fleur sans tuer la plante pour autant. Les mains tremblantes d’Aord commencèrent à saisir la tige de la bonne manière et il mima le geste dont il se rappelait. Il n’étai pas très bon et s’il n’avait pas fait semblant, la fleur aurait été arrachée comme celle que Klarion avait vu dans le grimoire. Cependant, on pouvait voir qu’à l’origine son geste était mesuré pour épargner la plante.
Je crois qu’il faisait quelque chose comme ça, mais je n’ai pas vraiment eu l’occasion de le pratiquer. Le fameux druide m’en empêchait, il ne pouvait pas supporter de me voir arracher les fleurs sans le faire exprès. Comment il disait déjà ?
Aord se replongea dans ses souvenirs.
Il disait que j’étais le pire fléau que la flore n’ait jamais affronté. Je suis sûr qu’il exagérait … un peu. Tu pouvais pas plus mal tombé en matière de jardinage. Haha.
Peut-être que s’il jouait l’incapable, Klarion irait se choisir un autre prêtre à tourmenter. Aord recousait les chairs comme personne, mais s’occuper des plantes n’étaient pas vraiment dans ses attributions.
- Les plantes sont des êtres vivants, au même titre que nous, au même titre que les animaux. Je doute que ça ne te ferait pas plaisir si quelqu’un malmenait la petite Naya. C’est ce que je voudrais que tout le monde comprenne avec les plantes. Chaque fois qu’on les piétine, chaque fois qu’on les arrache ou qu’on les taillade, elles souffrent. Je suis bien placé pour le savoir, je peux aisément communiquer avec elles, littéralement.
En effet, Klarion pouvait converser avec les plantes, sentir leur présence, échanger avec elles. Il les aidait souvent à se rassembler, les entendant chanter des mélodies qui différaient en fonction des espèces qu’il rencontrait. C’était un sentiment bien complexe à expliquer à quelqu’un qui ne pouvait vraiment le ressentir. Klarion ne pouvait vraiment exposer clairement ce qu’il éprouvait quand il dialoguait avec des plantes, ce sentiment de parfaite symbiose, d’appartenance à un grand tout, quelque chose de plus grand que n’importe quoi d’autre. Klarion se baignait dans cette infinité avec aisance, avec envie, épanoui et ne voulant plus en revenir. Il voulait faire comprendre tout cela au plus de monde possible, il avait essayé avec la reine en personne, il avait voulu qu’Aord le comprenne aussi lors de leurs précédentes rencontres. Peut-être que celle-ci serait la bonne ?
- Je sais que c’est bien plus difficile à appréhender pour tous ceux qui ne peuvent pas parler aux plantes. Un peu comme les humains, on peut leur couper une fleur, ou des feuilles, sans que cela ne leur fasse de mal. Après tout, on se coupe bien les ongles ou les cheveux, c’est la même chose pour les plantes en un sens. Il faut apprendre comment leur prélever ce dont on pourrait avoir besoin sans les mutiler, ni leur faire mal. Mais surtout leur rendre quelque chose en retour. On leur donne un environnement adapté où elles ne craindront rien, on leur donne de la compagnie, de l’amour, un vrai cocon dans lequel rien ne pourra leur arriver. On le fait bien avec les familiers, ou les enfants, alors pourquoi pas les plantes ?
Klarion avait terminé son verre de vin. Il bascula nonchalamment en arrière pour s’allonger sur le lit, posant son verre sur une table de chevet en un ample mouvement. Quelques gouttes de vin tombèrent sur le bois, mais il n’y porta aucune attention. Glissant doucement ses doigts le long du verre, il toucha la table et fit apparaître une rose éclatante, les pétales de la fleur explosant en une magnifique gerbe écarlate. Bon nombre de gentes dames vendraient père et mère pour qu’on leur offre une rose aussi sublime. Des poètes tueraient pour être inspirés par pareille beauté. Toute une œuvre d’art qui jamais ne devrait être perturbée ; au contraire, vénérée, pour le jeune homme.
- J’avoue que, même avant d’avoir acquis ma capacité à leur parler, j’éprouvais déjà ce besoin de les protéger. J’ai grandi avec, comme tu as pu le voir dans mes souvenirs. Je ne sais pas vraiment quoi ressentir à ce sujet à vrai dire, je n’ai partagé ces choses avec personne auparavant…
L’air mélancolique, Klarion continuait de regarder la rose. Il était vrai qu’il ne se révélait à personne. Il était également vrai qu’il n’avait que très peu de proches humains, encore moins de confidents. Aord était dans une position on ne pouvait plus exceptionnelle. Leur échange de souvenirs mettait le phytomancien dans une situation assez inédite. S’il était parfait en ce qui concernait la flore, il était moins versé dans les interactions humaines. Mais leur récent épisode avait contraint Klarion à être sincère, et il continuait de l’être. Son cœur chavirait sans qu’il ne sache trop pourquoi, mais il se laissait porter.
- Je pense que personne n’avait été aussi proche de moi auparavant, dit-il doucement en tournant son regard vers Aord, toujours étendu sur le lit.
Aord ne voulait pas juger Klarion, plus maintenant. Il avait fait la même chose que lui pour protéger Nemue. Il n’avait plus le droit de le regarder. Le frère le regarda s’affaler sur le lit, s’attardant un instant sur son visage. Il attrapa la bouteille de vin et s’en servit un verre. Lui aussi apprécia les notes fruitées et épicées du breuvage que lui offrait Klarion. C’était bien meilleur que tout ce qu’il avait goûté jusqu’à maintenant. Et il lui en était reconnaissant, même s’il doutait qu’il les ait obtenues de manière légale.
Je … je ne sais pas quoi dire …
Le frère s’assit sur le sol au bord du lit, son visage au niveau de celui de Klarion, mais en gardant une certaine distance. Il fixa le mur, pensif.
C’est assez inédit que tu ais cette capacité, je ne pense pas qu’on puisse considérer les plantes ainsi sans ça. Même si je te comprends, même si je te crois, même si nous sommes … proches.
Il regarda la rose et la toucha du bout du doigt.
Je n’arrive pas à l’imaginer, à en faire ma réalité. Malgré tous mes efforts, quand je touche cette rose, je me dis que je pourrai la briser entre mes doigts et rien ne se passerait. Elle ne réagirait pas, comme toutes les roses. Je pourrai arracher ses pétales sans rien entendre de sa souffrance, comme cela a toujours été. Je n’y arrive tout simplement pas. Une part de moi reste immuable, je crois … je crois que c’est impossible.
Le regard d’Aord se teinta d’une tristesse non feinte.
Je pourrais tout apprendre des plantes, être sans cesse aux petits soins, mais il y aura forcément un moment ou je fauterais, car je suis incapable de les écouter. Et c’est valable pour tout le monde je pense. Pour que je puisse te comprendre, il faudrait que je les entende aussi. Rien qu’une fois, une simple écoute qui me donnerait alors de la matière pour réimaginer mon monde, pour étendre ma vision …
Aord baissa les yeux, honteux de ne pouvoir tenir sa promesse. Pourquoi se sentait-il coupable ? Était-ce par ce que Klarion l’avait touché ? Il ne pouvait pas le nier, il avait de l’empathie pour l’écoterroriste. Sinon, il ne serait pas assis là, à le regarder avec tant de tristesse. Soudain son regard s’illumina et il croisa celu ide Klarion. Un sourire s’afficha sur son visage, avant de se muer en une expression d’inquiétude.
Tu sais …
Il hésita.
Je sais que tu n’as pas aimé ça, mais peut-être … peut-être qu’avec un de te souvenirs je pourrais voir. Tu pourrais me montrer ce que tu entends, me faire écouter leur voix. Me faire comprendre !
Aord se releva et ramassa son livre maudit avant de le poser sur le lit à côté de Kalrion. Il attrapa délicatement sa main et la guida sur les pages anciennes. Son regard était insistant, empli de la curiosité qu’il l’avait embrasé lors de leur première rencontre avant que Klarion ne souffle la flamme avec sa colère.
Tu pourrais faire ça pour moi ? Pour m’aider à te comprendre ?
Pris de court, Klarion s’était redressé sur le lit et, assis en tailleur, laissait Aord guider sa main au-dessus des pages du grimoire ancestral. Cet artefact avait réellement autant de pouvoir ? Le phytomancien pouvait-il réellement partager autant via ces étranges pages ? Les bulles de souvenirs faisaient pâle figure à côté de ce livre si bien que, entre deux battements de cils confus, le jeune homme se demanda qui pouvait bien l’avoir conçu. Entre les doigts du religieux, il sentait que le papier était à quelques centimètres à peine de sa main, ainsi que la chaleur des doigts du religieux. Ce dernier marquait d’ailleurs un point. Personne ne pouvait pleinement comprendre Klarion sans avoir interagi au moins une fois avec les plantes comme il le faisait quotidiennement. Il réalisait qu’il pouvait les alerter, les faire se sentir concernés. Mais entièrement comprendre, il y avait toujours une part qui serait inatteignable.
- Je… Oui. Répondit-il avec une légère appréhension. Je ne savais pas que ton livre pouvait faire ça. Attends, je dois réfléchir un peu à quel souvenir te montrer.
Fermant quelques doigts dans la paume d’Aord, certains s’agrippèrent à son pouce. Comment Klarion pouvait-il lui montrer correctement ce qu’il aimait tant chez les plantes tout en exposant clairement les raisons de ses motivations ? Le vin lui avait très légèrement empourpré les joues et il n’osait pas vraiment relever les yeux vers son interlocuteur, préférant fixer timidement sa main sur la sienne et au-dessus des pages. Il savait qu’il allait devoir lui montrer plusieurs souvenirs, il ne pourrait pas lui montrer tout en un seul. Klarion fit le vide dans son esprit pour essayer de se concentrer sur lui-même, bien penser à ce qu’il allait montrer à Aord. Il voulait lui montrer leurs belles mélodies, mais aussi leur détresse quand les humains se mettaient à les bafouer, ce pourquoi elles étaient les plus importantes à ses yeux…
Et si… ?
- Je crois que je suis prêt.
Sa main toujours dans celle d’Aord, Klarion détendit ses doigts et les pencha pour entrer en contact avec le papier. Le même charme opéra que lorsqu’ils s’étaient vu dans la morgue, la dernière fois, et l’éco-terroriste put insuffler une part de ses souvenirs pour que le prêtre puisse ensuite les consulter. Klarion prit un grand souffle, le partage pouvait débuter.
~ ~ ~
Tu es dans l’une de tes cachettes, envahie par la végétation. Les murs sont tous recouverts de fleurs éclatantes, de lierre ou d’arbustes bourgeonnant de toutes parts. Les couleurs explosent, de même que les senteurs.
Tu arrives à percevoir un léger murmure. Levant la tête, tu aperçois une jeune pousse d’orchidées qui chantonne de petites notes, comme une enfant qui essaye d’imiter son barde favori.
Tu remarques qu’elle n’est pas la seule à chanter. En étendant ta perception, tu écoutes peu à peu les autres plantes chanter, les plus matures avec plus d’assurance, plus de discernement, et de plus belles harmonies. Certaines s’expriment à l’unisson, d’autres en canon, et toutes forment un magnifique orchestre sylvestre qui t’emplie d’une joie sans faille.
Elles sont heureuses, elles sont ensemble, tu n’arrives pas à te passer de leur musique, de l’expression de leur bonheur. Et pour rien au monde tu ne leur demanderais de s’arrêter.
~ ~ ~
Tu reconnais les jardins botaniques, tu marches avec détermination entre les allées bordées de haies.
Soudain, quelque chose t’interpelle, tu entends appeler à l’aide. Tu reconnais la voix d’un oranger que tu avais toi même planté avant d’avoir été chassé hors des jardins. Tu t’apprêtes à aller à sa rescousse lorsqu’un deuxième appel retentit, à l’opposé de l’oranger. Tu te retournes, surpris, et d’autres cris se font entendre au même instant.
L’effroi t’envahit peu à peu alors qu’autour de toi des hurlements des pauvres plantes appellent sans que personne à part toi ne puisse les entendre. Ne sachant plus où donner de la tête, tu n’arrives même pas à savoir à laquelle porter secours en premier.
L’oranger, tu sais que c’est lui le plus proche. Tu continues dans sa direction, courant à toute allure de manière effrénée. Tu ne croises personne dans le parc, aucun visiteur ni personnel, et les pleurs des plantes se font de plus en plus fort.
En arrivant, tu n’arrives même pas à le croire.
Un garde est en train de saccager l’oranger.
~ ~ ~
Klarion retira ses doigts de sur les pages, c’était au tour du prêtre de regarder ce qu’il venait d’infuser via le grimoire. Le jeune homme ne retira pourtant pas sa main de la paume d’Aord. Se remémorer cette dernière épreuve l’avait secoué, ce moment avait été déjà suffisamment éprouvant à vivre une première fois, il avait été difficile de le revivre à nouveau. Klarion attendait que ce dernier soit témoin, prenant un air à la fois triste et mélancolique. Fermant les yeux, le jeune homme soupira, appuyé contre l’épaule d’Aord.
Ce n’est pas le vin qui fit rougir le frère et il serra les doigts de Klarion à son tour, sentant subrepticement qu’il était tendu.
Si tu ne veux pas …
Mais il voulait le faire. Il se détacha un instant de la main d’Aord pour toucher les pages et y déposer un nouveau souvenir. Aord le laissa faire, contemplant son visage tandis qu’il ne regardait plus, trop occupé à se concentrer. Quand Klarion rouvrit les yeux, le religieux regardait son familier qui avait réussi à creuser une bonne moitié du caillou pendant leurs échanges. Un vrai puits sans fond. Il ne regarda pas Klarion au moment où il toucha le livre, principalement pour ne pas se retrouver avec une paire d’yeux blancs devant lui. Ce n’était pas un spectacle très agréable. Il ferma les yeux et se laissa porter dans le passé.
~~~
Leur chant était magnifique. Les mélodies qu’il entendait le transportait encore plus loin que les champs religieux qu’il avait l’habitude d’entendre. Elle le berçait, le calmait et faisait même naître en Klarion un sentiment positif. Aord contemplait tous ces souvenirs comme les siens et les vivait avec lui. C’est à ce moment qu’il comprit ce que Klarion endurait. Il avait compris, mais la vision ne s’arrêtait pas là.
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Ses entrailles étaient nouées, la panique le gagnait. Aord entendit les appels au secours et reconnu immédiatement se sentiment si lâche qui s’emparait du botaniste : l’impuissance. Leurs cris étaient déchirants et Aord lui-même ressentit tout l’horreur de la scène. Qui que l’on soit, un homme bon ne peut rester de marbre face à la souffrance. Il était révolté, en colère, mais aussi, il avait de nombreux regrets.
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Aord ouvrit les yeux encore en proie aux émotions qui l’avaient submergé pendant sa transe. Elles n’étaient pas parties et gagnait du terrain. Le regret s’afficha dans son regard tandis qu’il tournait la tête vers Klarion. Une certaine horreur apparaissait dans ses pupilles. Ces gardes qui attaquaient les plantes … Aord savait de quoi il retournait. L’idée qu’il avait soufflé à Ahlan lors de leur rencontre, il l’avait mise en œuvre.
Tout d’un coup, Aord sentit un poids énorme écraser ses épaules et il en eut le souffle coupé. Il se releva, laissant Klarion dans l’incompréhension. Il fit quelques pas avant de trébucher et se rattraper à la table. Tous ces êtres qui avaient souffert à cause de lui et de sa naïveté. Il se tourna vers Klarion et le regarda fixement. Ce jour-là, il le détestait de tout son être et s’est pour cela qu’il avait parlé de son point faible au garde, mais maintenant qu’il avait appris à le connaître, il se rendait compte qu’il avait participé, même innocemment à un jeu de torture particulièrement atroce.
Oh Klarion …
Une larme coula sur sa joue et une nausée lui broya les entrailles.
Je .. je savais pas … par Lucy …
Le frère semblait confus et titubait aléatoirement dans la pièce. Naya protesta vivement quand il manqua de l’écraser en se rattrapant une nouvelle fois à la table. La petite slime poussa son caillou à peu plus loin en grognant d’indignation, mais son maître ne semblait pas l’entendre.
Je suis qu’un idiot …
Un parfait idiot qui finissait immanquablement par faire souffrir ceux qui ne le méritait pas par ses choix naïfs.
C’était Ahlan n’est-ce pas ? Celui qui a organisé ça ? Oh Klarion, je savais pas … je savais pas …
Il secoua la tête, faisant sortir quelques larmes de plus.
C’était mon idée … mais … mais je ne savais pas …
Si, il aurait du savoir, peut-être bien qu’il le savait au moment où il l’avait proposé. Peut-être bien qu’il était le monstre qu’il croyait être …
Elles ont toutes souffert par ma faute ...
- Non, pas par ta faute, articula Klarion en se levant à son tour.
Aord était en pleine détresse. Klarion réalisait qu’il venait de changer toute la vision qu’il avait du monde en lui faisant entendre les véritables voix et états d’âme de la flore. Le criminel se devait de calmer son ami, après tout c’était son souvenir qui l’avait mis dans cet état. Le prêtre était chamboulé, Klarion sentait bien que quelque chose en lui s’était brisé, ou risquait fortement de l’être s’il n’arrivait pas à l’apaiser. Le jeune homme fit quelques pas vers la table avant de se mettre à genoux face à Aord. Il écarta une chaise afin de se retrouver près de lui, bloquant la vue du gluant pour ne pas l’inquiéter davantage.
- Il n’y a qu’une seule personne responsable de ce qu’il s’est passé, et je m’en suis chargé. Les gardes n’ont pas eu l’occasion de trop s’acharner également, je les ai aussi mis au tapis.
Klarion se voulait rassurant, articulant d’une voix calme mais néanmoins fébrile. Il posa sa main sur l’épaule d’Aord avant de remonter vers son visage. Le jeune homme ignorait s’il pouvait vraiment se comporter de la sorte, mais il voulait vraiment arranger les choses. Sa main avait atteint la joue du religieux, si bien qu’il sentait les larmes perler sur son index et sous sa paume.
- Tu n’avais aucun moyen de deviner ce qu’Ahlan allait faire. Ce n’est pas de ton fait, il aurait pu en décider autrement, c’est lui qui a donné les ordres. Ne t’inquiète pas, les plantes du jardin ont été sauvées, et grâce à mes nouveaux pouvoirs plus personne ne les touchera.
Il ne savait pas si c’était la chose à dire. Il était vrai que Klarion avait acquis le pouvoir de contrôler les plantes et pourrait s’en servir pour déchaîner la fureur de la nature sur quiconque osait leur faire du mal. Aord n’avait pas l’air d’aimer quand il usait de cette capacité, mais c’était la seule chose qu’il avait trouvé à dire pour lui prouver qu’elles ne risquaient plus rien.
- Tu as vu, tu les as entendu. Tu sais pourquoi je fais tout cela à présent, pourquoi je suis la bête noire que tout le monde veut enfermer, pourquoi je veux convaincre les gens de m’entendre, pourquoi j’ai enlevé la reine, pourquoi j’ai porté atteinte à ces notables, pourquoi je veux changer le royaume.
Les yeux de Klarion devenaient également humides mais, pour le moment, les larmes ne coulaient pas. L’émotion le gagnait également et il se pencha pour enlacer brièvement Aord avant de s’appuyer à nouveau contre lui. Ensuite, Klarion passa un coup de doigt contre ses yeux, se les frottant légèrement avant d’inspirer profondément, comme pour renvoyer ces larmes d’où elles venaient. Il expira, la bouffée d’émotion lui ayant donné une sacrée claque. Sa main n’avait toujours pas quitté la joue d’Aord, et il reprit :
- Ce respect, cette considération qu’elles méritent, tu vois que je veux dire à présent. C’est pour ça qu’il faut les aider, qu’elles ont besoin de nous. Et, moi aussi… j’ai besoin de toi.
Klarion savait qu’il n’était jamais seul, que toutes les plantes étaient ses alliées. Mais pour la première fois il avait réussi à exposer concrètement et pleinement toute l’étendue de ses motivations. Le prêtre y était sensible, et le phytomancien se doutait que cela pouvait faire toute une différence. Qui plus est, le fait qu’Aord ait fait tant d’efforts pour lui comptait pour Klarion et éveillait une certaine chaleur au sein de son cœur. Il réalisait qu’il avait mal agi en s’en prenant à lui par le passé. Il n’était pas insensible au prêtre et voulait se racheter, d’une quelconque façon. Pour l’instant, la seule chose qu’il pouvait faire, c’était continuer à ouvrir son cœur et être sincère…
Aord restait sans voix malgré la tentative de Klarion pour lui montrer qu’il n’avait rien fait de mal. Le frère ne l’écoutait pas, ne le croyait pas. Il savait que le phytomancien était en colère, il ne pouvait en être autrement. Il l’avait vendu à la garde sur un accès de colère. À ce moment, il n’avait pas réfléchi, il n’avait pas pensé aux conséquences, comme toujours …
…
Aord leva les yeux vers lui quand il sentit le contact de sa main sur sa joue. Allait-elle glisser jusqu’à son cou ? Ses yeux s’ouvrirent en grand lorsqu’il écouta Klarion lui expliquer qu’au contraire il n’était coupable de rien. Comment pouvait-il dire ça ? Leurs cris de souffrances, leurs appels à l’aide, il les avait entendus lui aussi ! Tout ça parce qu’il avait parlé … Aord frissonna, mais n’essaya pas de dégager son visage. La main chaude de Klarion lui offrait une ancre à laquelle s’accrocher pour ne pas retomber dans l’autoflagellation qu’il s’infligeait depuis des semaines. Au plus profond de lui, il ressentait cette sensation de pardon qu’il avait ressenti lors de son rêve avec Nemue. Il avait envie d’y croire cette fois.
…
Il venait de lui dire qu’il avait besoin de lui, mais cette fois c’était différent. Il n’avait pas seulement besoin qu’il l’aide, il y avait autre chose. Était-ce ses yeux humides qui lui faisaient penser ça ? Klarion Brando semblait avoir bien changé. Aord ferma les yeux et se laissa étreindre sans un mot. Il prit une grande bouffée de ce parfum si entêtant qui flottait autour de lui réchauffant légèrement son cœur. Cœur qui d’ailleurs, avait commencé à battre un peu plus vite. Le frère n’aurait jamais imaginé qu’il puisse autant se rapprocher de ce pauvre type qu’il avait rencontré par hasard en poussant la porte d’une maison en ruine.
Il sourit.
…
*SCOUIIIIC*
Un long couinement plaintif retentit dans le studio, mais celui-ci se déplaçait … à toute vitesse. La petite Naya venait d’utiliser sa magie de déplacement pour venir au secours de son maître, mais n’étant qu’un bébé, elle n’avait réussi qu’à s’écraser sur le visage de Klarion. Elle coula comme une goutte d’eau avant de tomber entre les deux hommes, totalement indemnes. Aord se mordit la lèvre pour ne pas rire, imaginant à quel point Klarion devait être en colère. Spontanément, le frère porta lui aussi sa main jusqu’à sa joue et effaça la petite trace humide que la slime avait laissée avec son pouce. Il n’avait même pas jeté un regard à son familier qui allait sûrement très bien, toute son attention était portée sur Klarion.
L’émotion était retombée et cela se voyait dans ses yeux. Le frère se sentait incroyablement fatigué après ce déferlement de peine, mais étrangement, il l’avait surmonté grâce à Klarion. Il avait longuement prié pour que la déesse l’aide, était-ce là sa réponse ? Cette rencontre totalement impromptue qui prenait aujourd’hui une forme bien différente. De sa main libre, Aord fit taire son familier en la caressant sur le dos et de l’autre il fit glisser sa main le long du visage de Klarion. Son regard sembla hésiter un instant comme s’il se retenait de faire quelque chose. Le conflit semblant durer une éternité qu’il passa à contempler le visage d’ange qu’il avait devant lui. Par Lucy, pourquoi avait-il partagé ses souvenirs avec lui, il se sentait si … dénudé maintenant.
Le frère recula sa main et s’écarta de Klarion, visiblement remis de sa crise. Il se leva, un peu chancelant tout en prenant Naya avec lui pour la redéposer sur la table avec son caillou. Il se tourna vers Klarion visiblement confus par ce qu’il venait de se passer.
Ton parfum … ce n’est pas l’un de tes parfums hypnotiques, hein … J’avais dit que nous ne ferions que discuter et je …
Il détourna les yeux …
Je … je ne comprends pas ce qu’il vient de se passer là … quelque chose a changé … quand j’ai vu tes souvenirs …
Aord ne voulait pas croire qu’il puisse éprouver ce genre de chose envers un criminel qui avait cherché à le tuer par le passé.
Oui, si c’est pas un de tes parfums ç-ç-ç-a doit être un effet du livre. J-j-j-je ne sais pas comment il fonctionne, peut-être qu’il trouble notre esprit.
Il cherchait toutes les explications possibles pour se sortir de là, mais quand il regarda Klarion et son cœur se serra soudainement.
J’avais dit que je ne ferais qu’écouter, mais maintenant je veux aussi agir à tes côtés. Après avoir vu ça … si tu savais comme je m’en veux …
L’émotion remonta, mais il la chassa aussitôt.
Q-q-q-qu’est-ce que tu voulais dire quand tu disais avoir besoin de moi ? Tu as bien vu que je n'arrivais qu'à faire souffire les plantes ...
La réponse était évidente, il ne savait pas comment capter l’attention du peuple et il voulait l’aide du prêtre pour y arriver, n’est-ce pas ? Mais Aord se surprenait à vouloir que cette simple phrase veuille dire autre chose pour le phytomancien.
La surprise de la petite boule gesticulante et visqueuse lui ayant frappé la joue avait bien surpris Klarion et lui avait remis les idées en place. Les larmes qui s’apprêtaient à couler quelques secondes plus tôt avaient été ravalées. Et il n’était pas le seul à avoir complètement basculé et changé de ton. Aord avait aussi été victime de l’excès de panique de son familier et au désespoir faisait place à l’incompréhension. Il était réceptif, il voulait aider, mais ne semblait pas savoir comment procéder, ni même s’il en avait la force. Le prêtre se relevait, incitant le phytomancien à faire de même. Néanmoins, Klarion ne bouge pas de l’endroit où il se trouvait dans la pièce. Il lança un petit regard en coin à Naya, de retour sur sa table, de nouveau calmée alors qu’elle mastiquait vigoureusement sa pierre. La créature avait coupé court à leur rapprochement, faisant tordre la bouche au jeune homme. Ce dernier préféra se reporter sur le religieux tandis que la gluante avait les idées ailleurs.
- Tu peux œuvrer pour les plantes à présent. Il n’y a plus d’Ahlan pour te demander comment me vaincre, tu as vu ce pourquoi je me battais. Tu peux raconter ce que tu as vu et entendu, partager mon souvenir, si c’est possible. Je ne voudrais pas que tu sois ennuyé parce que les autorités sont à mes trousses. Mais je suppose que n’importe qui aurait pu être l’auteur de ce souvenir, hm ?
L’éco-terroriste ne comprenait toujours pas vraiment comment marchait le grimoire d’Aord. Mais s’il pouvait montrer le fragment de souvenir qu’il avait partagé avec lui, alors il pourrait aider comme jamais personne n’avait épaulé Klarion. Il pourrait propager ses idées, sans pour autant être relié à lui, personne ne pourrait prouver que c’était bien le sien ! Personne à part Arban bien sûr, et Klarion se doutait que le Commandant ne voudrait guère se révéler aussi bêtement. Tandis que les gardes présents, ils devaient avoir gardé de sacrées séquelles mémorielles après que Klarion les ait envoyé au tapis… Et si Aord ne pouvait le partager, alors il pouvait toujours prêcher, raconter, transmettre de lui-même.
- Ton témoignage a conduit la Garde à mutiler des plantes, mais ça ne veut pas dire que tu ne feras que les faire souffrir à chaque fois que tu les évoqueras. Les choses ne marchent pas comme ça. Je t’en ai voulu, mais je suis revenu. Tu m’en as voulu, et tu es revenu. Rien n'est immuable. Cela vaut pour toi et les plantes, cela vaut pour Aryon également.
Klarion espérait convaincre Aord, il faisait du mieux qu’il pouvait pour lui redonner confiance. Le reste ne dépendrait que du prêtre, le jeune homme ne pouvait vraiment le forcer à agir. Néanmoins le phytomancien réfléchissait à d’autres options pour le religieux, il voulait qu’il puisse se sentir mieux, sans doute bien plus qu’il ne l’aide vraiment dans son ouvrage.
- J’ai besoin de toi, je ne sais pas vraiment comment l’exprimer… J’ai besoin que tu m’aides, j’ai besoin que tu sois là.
Klarion était très peu doué concernant les rapports humains, il avait toujours privilégié la flore à ces derniers. Comment pouvait-il l’exprimer autrement ? Il avait besoin de lui dans sa quête pour le royaume, il avait besoin de lui pour aider les plantes, il avait besoin de lui pour propager sa parole, il avait besoin de lui émotionnellement. Dans tous les sens possibles du terme, c’était le cas. Mais le jeune homme n’arrivait pas à le dire autrement, les rapports humains étaient si différents pour Klarion. Attendait-il du prêtre plus qu’il ne le réalisait ? Ce dernier avait-il d’autres ressentis et prédispositions ? Le criminel l’ignorait, il voulait bien savoir ce qu’il en pensait, mais ne pouvait que l’ignorer pour l’instant.
- Et… Si j’avais utilisé mes produits sur toi, tu l’aurais su je pense, dit Klarion en esquissant un sourire. Mon parfum entêtant provoque de grosses migraines, quant à mon rouge à lèvres…
Klarion s’aligna pour embrasser Aord en un battement de cil, ses fossettes creusant ses joues, lui donnant l’air d’un chat.
- Tu n’as pas d’hallucinations ? Alors ça veut dire que je n’en ai pas mis ! Je peux ré-essayer pour te prouver, qu’on soit absolument sûrs…
Klarion essayait de détendre l’atmosphère, et s’exprimer autrement…
Aord avait levé les yeux vers Klarion. Au début, il avait cru que le criminel cherchait quelqu’un pour le guider auprès du peuple d’Aryon, quelqu’un qui avait l’habitude de parler aux foules. Mais il se demandait s’il n’y avait pas autre chose en tête. Il le laissa approcher sans se méfier, sa peur était partie.
J’aurais préféré que ce soit le cas, ça aurait expliqué beau … hmpff
Il papillonna des paupières quand Klarion le pris par surprise, mais il ne se déroba pas. Il avait sa réponse maintenant. Il resta un peu interdit quand le criminel s’écarta de lui, mais un sourire idiot restait collé à son visage.
J’aurais aimé que ce soit une hallucination, mais pour être sûr …
Le frère se rapprocha de Klarion et attrapa son col pour déposer un baiser bien plus long sur ses lèvres. Maintenant qu’il avait fait le premier pas, il se rendait compte qu’il en avait envie depuis un moment déjà, depuis qu’il avait accepté qu’il n’était pas un monstre. Et si Klarion le voulait aussi … Aord glissa sa main derrière sa nuque, maintenant le contact entre leurs lèvres et commença à la tirer lentement vers lui. Lui aussi avait besoin de soutient et Klarion avait été celui qui lui en avait donné le plus ces derniers temps, aussi étrange que cela puisse paraître. Peut-être devait-il remercier la déesse de l’avoir mis sur sa route. Il le tira lentement vers le lit et …
*TOC TOC TOC*
Le frère grommela en s’écartant de Klarion soudain vigilant. Quelqu’un venait de frapper à la porte d’entrée, mais il n’attendait personne à cette heure. Il regarda son amant, paniqué à l’idée qu’on les trouve.
Oui ? hurla-t-il en direction de la porte.
C’est Emilien Aord, je passais voir comment vous vous en sortiez avec votre nouvel emploi.
Meeeeerde, chuchota le frère en jetant sa tête en arrière de dépit.
Il embrassa brièvement Klarion pour marquer la fin de leur échange et le poussa vers l’armoire.
Cache-toi, chuchota-t-il.
Tout va bien Aord ? demanda le prêtre depuis le couloir.
Oui, oui une seconde, j’arrive !
Il attrapa la veste du terroriste et la lui jeta dans les bras en fermant les portes sur lui, un doigt sur la bouche.
Il courut jusqu’à la porte pour la déverrouiller. Le prêtre se tenait dans le couloir un sourire aux lèvres. Aord dut se calmer un petit peu avant de lui adresser son plus beau sourire. Même s’il tombait mal, il était heureux de le revoir. Depuis qu’il avait quitté le temple, il ne s’était pas vraiment revu.
Vous allez bien ? La maladie n’a pas progressé ?
Non tout va bien frère Svenn, ce n’est qu’une visite de courtoisie.
Il se tordit le cou pour essayer de voir à l’intérieur.
Alors puis-je voir votre nouvelle demeure ?
Euh oui, bien sûr entrez, dit Aord en lui ouvrant la porte.
Le prêtre entra sans attendre admirant la sobriété de l’endroit d’un œil circonspect.
Eh bien Aord, voilà qui est spacieux pour un frère de Lucy, plaisanta-t-il. Oh, je ne vous savais pas amateur de vin …
Il prit la bouteille pour inspecter l’étiquette.
Je … c’est un cadeau … d’une amie pour fêter mon entrée dans l’Astre.
Le frère paniquait légèrement et ne pouvait s’empêcher de se gratter l’arrière du crâne à mesure qu’il mentait à son ami et mentor. Le frère l’invita à s’asseoir à la table et lui tendit un verre pour qu’il se serve avec le vin de Klarion.
Vous avez reçu une lettre au temple, d’une certaine dame Lynella. N’était-ce pas le nom de votre ami de Manillam.
Les sourcils du frère se froncèrent. Qu’est-ce que Nemue lui voulait ? Elle lui avait bien fait comprendre qu’elle ne voulait plus lui parler. Cela avait-il un rapport avec l’enquête ? Aord prit la lettre que lui tendait le père Albenet, mais ne l’ouvrit pas. Il préférait s’occupe du prêtre avant qu’il découvre Klarion dans son armoire et aussi s’en débrasser. Il s’assit avec lui toujours souriant.
Alors comment ça se passe à l’Astre, vous vous y plaisez ?
Ça allait durer longtemps. Aord commença à lui expliquer son arrivée à l’Astre de l’Aube en étant le plus concis possible. Il se serait surement épanché en détails s’il n’avait pas eu besoin de couper court à la discussion. Aord eut l’idée de bailler à plusieurs reprises pour essayer de faire comprendre à son invité indésirable qu’il était temps de partir, mais Emilien l’écoutait sans rien remarquer, jouant même avec la petite Naya qui couinait d’amusement.
Je suis heureux de voir que vous reprenez du poil de la bête Aord. Lorsque vous étiez venu me voir, vous n’alliez vraiment pas bien. A ce propos … je suis désolé de n’avoir rien pu faire pour vous aider, je ne n’avais pas vu que les autres …
Vous n’avez pas à vous excusez mon père. C’était à moi de venir vous voir …
Il y eut un silence gêné entre les deux hommes qu’Emilien brisa finallement.
Et votre étude du grimoire, ça avance ?
Aord releva la tête. Merde, il n’avait pas envie de parler de ça avec Klarion qui écoutait tout ce qu’il disait.
Euh … je n’ai pas découvert grand cho …
Aord, l’interrompit le prêtre, vous m’avez demandé de veiller à ce que ça n’aille pas trop loin, alors ne commencez pas à jouer le mystérieux.
Le frère se tut, il était grillé. Emilien faisait pour son bien, mais il ne pouvait pas non plus lui expliquer qu’il cachait l’ennemi publique numéro 1 dans son armoire.
Je suis remonté jusqu’à la création du grimoire, mais les souvenirs sont flous. Il y avait des réunions en souterrain, mais les souvenirs n’étaient pas très clairs. Je pense qu’ils sont antérieurs à la création de l’ouvrage. Le culte que j’ai vu … ce qu’il faisait … ce n’était pas ….
Ethique ? compléta le prêtre.
Oui voilà, je les ai vu réaliser des sacrifices, je crois qu’il tentait d’absorber une sorte d’énergie à la mort des gens, mais ils échouaient systématiquement …
Le frère s’interrompit, visiblement bouleversé parce qu’il avait vu dans le passé.
Pour le moment je n’ai rien trouvé de plus sur les créateurs de l’ouvrage. Il y a tant de vies qui y sont stockées …
Le visage du frère se ferma et Emilien comprit qu’il n’était plus temps de parler des horreurs faites par des cultistes en des temps révolus. Il se leva pour poser sa main sur l’épaule du frère.
Vous savez que je suis là si jamais ce que vous découvrez devient insupportable.
Il lui jeta un regard plein de bienveillance à son subalterne en serrant sa main.
Aller je crois que je vous ai assez bouleversé pour ce soir. On m’attend au temple. Passez me voir à l’occasion !
Aord le remercia pour sa visite et le raccompagna à la porte. Ils se quittèrent après près d’une demi-heure de discussion. Aord soupira profondément en fermant la porte à clé. Pourquoi avait-il décidé de venir maintenant !
Il se tourna vers l’armoire.
C’est bon tu peux sortir.
Klarion fut soulagé de sortir de son armoire, ses muscles ankylosés par le petit espace commençaient à lui faire mal. Il avait assailli Aord de diverses questions avec un ton légèrement agacé. Il se doutait bien qu’on ne devait pas le surprendre avec le religieux, dans sa chambre. Mais le phytomancien ne s’attendait pas pour autant à devoir rester une demi-heure enfermé dans une penderie poussiéreuse. L’intérieur de l’armoire sentait le renfermé et son séjour à l’intérieur avait été tout sauf agréable. Il avait néanmoins suivi la conversation se jouant à l’extérieur, surtout pour ne pas piquer du nez et s’écrouler au dehors, mettant Aord dans l’embarras. Klarion s’était donc tenu tranquille, prostré à l’intérieur du meuble. Frustré, également, il l’avait été. Aord s’était montré tendre envers lui et ce visiteur incongru avait gâché leur élan !
Le jeune homme tomba sur le lit, retirant ses chaussures et chaussettes avant de se masser les chevilles. Il passa également ses mains sur son cou et ses clavicules afin de se sentir plus à l’aise, massant chaque nœuds qui s’étaient formés sur ses épaules à force de rester prostré dans l’armoire. Il fit une moue bizarre, tordant la bouche à chaque fois qu’il malaxait sa peau endolorie. Klarion passa ensuite des chevilles aux mollets, remontant légèrement le bas de son pantalon de coton. Il repensait à ce qu’Aord disait au sujet de son grimoire, « tant de vies sont stockées à l'intérieur ». Qu’est-ce que ça pouvait bien dire ? Le livre avait-il servi de réceptacle à des centaines de souvenirs au point d’avoir compilé des vies entières entre ses pages ? Qu’était ce culte dont il avait parlé ? Et en quoi consistaient ces rituels sordides qu’il avait évoqués ? Il avait été question de sacrifices… Ces cultistes devaient faire partie de ces nécromants ou spiritualistes qui ternissaient la réputation des gens possédant des pouvoir y étant apparentés, comme Aord par exemple.
- Certains secrets devraient le rester, j’espère que tu ne trouveras rien qui ne soit… suffisamment atroce pour te faire perdre la tête.
Klarion en avait vu, des chercheurs téméraires qui allaient jusqu’à devenir des habitués du marché noir pour desceller les secrets et arcanes d’artefacts qu’ils sortent dont ne sait quelle ruine enfouie. Ils finissaient souvent fous ou victimes de leurs propres sujets de recherche. Ces pauvres hères, on les retrouvait systématiquement pendus chez eux, ou noyés dans la rivière, après qu’ils aient bredouillé des paroles incompréhensibles au sujet de ce qu’ils avaient pu desceller. Le criminel ne voulait pas que le prêtre finisse comme cela, et en ce sens préférait le prévenir. Klarion se doutait cependant que le religieux savait ce qu’il faisait. Mais il savait également qu’il était difficile d’avoir plein discernement quand la passion nous anime.
- Fais juste attention à ne pas finir entre les pages de ton grimoire.
Klarion se faisait du souci en pensant à ce grimoire. Il n’aimait pas les échanges de souvenir, mais pour Aord il avait accepté d’accomplir cet effort. Il se leva hors du lit sans même remettre ses chausses ou son pantalon pour partir s’asseoir sur les genoux d’Aord, toujours sur sa chaise, et se lover contre lui. Le jeune homme passa ses bras autour du bassin du prêtre, l’embrassant à nouveau au passage. Écouter le récit au sujet du livre ancestral l’avait rendu autant mélancolique que inquiet. Il avait envie de tendresse et de retrouver Aord pour lui, maudissant intérieurement cette visite à l’improviste. Au moins, là, il était tout à lui, et près de lui.
- Je n’ai pas envie de partir, ni de te quitter.
Klarion ignorait si c’était une forte affection ou s’il tombait vraiment amoureux, il n’avait jamais été bien fort pour comprendre les sentiments humains, même les siens. Mais il se laissait porter par ses émotions, il avait envie de laisser la passion le guider. C’était le genre d’émotion qu’il n’avait jamais éprouvé par le passé. Ça le rendait anxieux, mais également curieux. Qui ne serait pas curieux d’éprouver une quelconque forme d’amour ? Klarion était également peu doué pour la romance, du moins sincère. Mais, à l’image des échanges de mémoires, pour Aord, il était prêt à sortir de sa bulle. Pour l’instant, Klarion appréciait sa proximité avec le prêtre. Il fermait les yeux, les rouvrait, posait sa tête contre lui. Il sentait son odeur, caressait sa peau de ses doigts, et peut-être encore un baiser ensuite… ?
C’était le prêtre de la capitale, il m’a beaucoup aidé quand j’allais mal … Et maintenant, il m’aide dans la lecture du grimoire pour … J’ai pas vraiment envie d’en parler.
Aord ne répondit pas à la dernière question, se contentant d’attraper la lettre encore cacheté qu’il avait laissé sur la table. Que lui voulait-elle ? Le religieux ne savait pas si ce message était une nouvelle lame qui se planterait dans son ventre ou au contraire la libération qu’il attendait. Troublé par cette nouvelle, il n’osait pas vraiment l’ouvrir de peur de gâcher l’instant qu’il avait eu avec Klarion, même s’il avait été déjà gâché par l’arrivée d’Emilien. Aord jeta la lettre sur la table et regarda Klarion.
Et dame Lynella c’est une amie, enfin plus maintenant … c’est … compliqué.
Aord se ferma sur sa chaise, les questions de Klarion faisaient remonter des souvenirs qu’il aurait voulu garder loin de son esprit pour le moment. Ce n’était pas grand-chose que de demander un instant de répit ? D’autant que ce qu’il commençait à ressentir lui faisait beaucoup de bien et il ne voulait pas que sa s’arrête. Il fixa le maître des plantes avec un regard amusé.
Tu t’inquiètes pour moi ? dit-il en souriant.
Il se tut un instant en entourant Klarion se son bras et accueillant ses lèvres avec envie. Il approcha sa main de sa joue le laissant y reposer son visage. Le regard du frère s’était bien adoucit depuis le début de cette soirée et cela montrait qu’il avait surmonté sa peur.
Je me souviens que tu m’avais dit que j’étais le plus malchanceux des serviteurs de Lucy quand j’étais débarqué chez toi par hasard …
Il s’approcha pour déposer un baiser sur ses lèvres et ne put s’empêcher de sourire se faisant. La chaleur du phytomancien avait le don d’apaiser son esprit et d’écarter ses pensées troubles.
Et pourtant j’ai pas non plus envie que tu partes …
Aord cessa de parler et glissa ses mains dans le dos du criminel, se levant doucement avant de le pousser vers le lit. Cette fois, personne n’allait les déranger. Ils tombèrent tous les deux sur le matelas sans rompre leur étreinte. Aord n’avait plus envie de le lâcher et il n’avait pas non plus envie de parler.
Naya protesta vivement lorsqu’une chemise volante vint atterrir sur la table.
~~~
Aord se réveilla le lendemain matin, bien plus reposé qu’il ne l’avait jamais été depuis des lustres. Il vit le visage de Klarion endormi à coté de lui et cela fit apparaître un sourire idiot sur ses lèvres. Il approcha ses doigts pour replacer une mèche qui lui tombait sur le front. Il prit un instant pour se blottir contre lui avant de se lever en s’étirant. Il n’arrivait toujours pas à croire que Klarion Brando était là, endormi, dans son propre lit et qu’ils …
Naya vint danser aux pieds de son maître ravie de le voir réveillé. Aord sourit en la voyant et se pencha pour l’attraper et la déposer sur son épaule. Alors qu’il passait à côté de la table pour chercher de quoi faire un petit déjeuner, il remarqua la lettre de Nemue qu’il n’avait toujours pas lu. Un regard vers son amant lui indiqua qu’il dormait toujours, alors le frère décidé de s’asseoir et de décacheter la lettre.
Ses yeux parcoururent les lignes et son visage passa par bien des expressions. D’abord la stupeur d’apprendre que son rêve n’en était pas un, puis la honte de s’être comporté ainsi avec elle et enfin le soulagement de savoir qu’elle souhaitait le revoir. Lucy le bénissait aujourd’hui et il lui adressa une prière silencieuse. Il abandonna la lettre sur la tbale, se sentant soudain plus léger. Lentement, il s’approcha du lit, s’assit sur le bord et se pencha pour embrasser Klarion su le front.
Réveille-toi.
- Hmm…
Ouvrant doucement les yeux, Klarion ne se trouvait plus dans le champ fleuri, le rêve était terminé. Les traits d’Aord se dessinaient doucement alors qu’il émergeait de son sommeil, entendant sa voix lui parler. La fragrance qu’il humait dans le champ était toujours là, il la reconnaissait, et réalisait qu’il s’agissait pendant tout ce temps de celle du prêtre. Les yeux à demi fermés, le premier réflexe de Klarion fut d’approcher sa tête de celle du prêtre pour s’y frotter doucement comme le ferait un chat. Il passa deux doigts sur la joue du barbu avant de plonger son regard dans le sien. Il lui rendit son sourire avant de se redresser légèrement, passant la main dans ses cheveux alors qu’il s’asseyait sur le lit aux côtés d’Aord. Sa couverture tomba, révélant son torse nu alors que Klarion embrassa son compagnon. Quittant ses lèvres, le jeune homme passa sa main dans la sienne, voulant le garder près de lui.
- Bonjour, j’ai bien dormi.
Klarion lui rendit le sourire qu’il lui esquissait, tout content de se réveiller toujours avec lui. Il n’était pas parti en laissant une note, ça devait sans doute compter, être positif ? Le phytomancien essayait toujours de réaliser quel genre de lien ils étaient en train de tisser, tout ceci était bien difficile à appréhender pour lui, même s’il aimait ce qu’il se passait. Il jeta un rapide coup d’œil vers la fenêtre, la lumière du matin était douce et agréable. Les capucines avaient l’air encore plus belles sous ce soleil matinal, l’orange de leurs pétales aussi doux qu’un feu de cheminée presque éteint. En voyant ces fleurs, Klarion se disait qu’à présent il n’était plus seul dans sa lutte. Aord savait, il comprenait, il pourrait l’aider à sa façon. Il était encore un peu tôt pour crier victoire, mais le jeune homme s’en fichait, au moins il avait quelqu’un maintenant, quelqu’un qui avait vu la plus sincère vérité quant à ses motivations. Il avait posé la première pierre de son mur, un mur sylvestre que personne ne pourrait détruire.
- Je suppose que tu dois bientôt partir pour la morgue. J’aurais bien aimé qu’on reste un peu, mais je ne voudrais pas te mettre en retard. On peut se retrouver plus tard, si tu veux. Chez moi peut-être ?
Klarion ignorait si c’était possible mais proposait tout de même. Tendant le bras vers la table de chevet, il fit pousser un petit brin de menthe aux côtés de la rose avant d’en prélever délicatement une petite feuille pour la mastiquer, rafraîchissant son palais et se réveillant davantage. Il frotta ensuite ses yeux, battant des cils quelques instants et secouant sa tête, remettant en place sa tignasse avant de s’étirer un peu. Il ne s’était pas encore levé du lit, restant assis là à tenir la main d’Aord. Un léger frisson remontant son échine, Klarion remonta un peu la couverture, mettant ses jambes en tailleur avant de reprendre :
- Avant que l’on parte, j’aimerais bien savoir… Qu’est-ce qu’on est exactement ? Je ne suis pas au fait des liens et interactions humaines, c’est complexe pour moi. Je sais que c’est un nouveau lien que j’aimerais bien cultiver, mais je sais aussi que ça ne dépend pas que de moi. Tu es sans doute la première et la seule personne à m’avoir compris et être aussi proche de moi, et je ne veux pas perdre ça non plus. J’ai besoin de savoir : est-ce qu’on continue ensemble vers quelque chose de plus fort ? Ou… non ?
Klarion était dans l’expectative, fixant Aord avec ses yeux à peine éveillés. Avec la lumière du matin perçant à travers la fenêtre, sa peau pâle lui donnait l’aspect d’un ange…
On a encore du temps … tous les deux, dit-il en frottant son nez dans le cou du phytomancien. J’ai pas envie de partir. Et ou on pourra se voir chez toi, si ça ne te met pas en danger de m'ouvrir ta porte.
Un frisson parcourut Klarion et Aord l’entoura presque immédiatement de ses bras pour les réchauffer, tirant la couverture sur eux. Il se glissa dans son dos tout en l’étreignant et posa son menton sur son épaule. Klarion lui demanda alors ce qu’ils étaient exactement et Aord n’en avait aucune idée. Pour dire la vérité, il n’en était pas à sa première fois avec un homme, mais tout était arrivé si vite avec Klarion. D’abord ils se détestaient et tout d’un coup ils se sentaient si proches l’un de l’autre. Jamais Aord n’avait connu quelque chose comme ça, alors de là à l’expliquer à ce néophyte des relations humaines …
Eh bien, je ne sais pas ce que nous sommes … Tout est allé tellement vite, je … ce matin j’avais encore l’impression de rêver quand je t’ai vu à côté de moi. J’ai déjà ressenti ça, mais jamais aussi vite … Je … tu me faisais peur, mais maintenant …
Aord serra son étreinte, fermant les yeux pour s’abandonner aux sensations du corps de son amant contre le sien.
Maintenant moi aussi j’ai l’impression de ne plus rien comprendre. Je … je ne veux pas m’immiscer dans ton combat ou être une faiblesse pour toi, mais si tu le veux bien … je voudrais … que sa devienne plus fort.
Leurs lèvres se rencontrèrent à nouveau et ils glissèrent lentement en arrière.
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Ce matin-là, le directeur de la morgue arriva extrêmement en retard et pourtant personne ne lui dit rien. Lui qui était généralement aussi froid et solitaire que ses « patients » rayonnait aujourd’hui d’une quiétude providentielle. Les employés purent alors connaître davantage ce frère de Lucy repêché il y a un peu plus d’un ou deux mois par la fondatrice de l’Astre et qui n’avait pour l’instant pas vraiment sympathisé avec ses collègues.