[PV @Emerald Aubeclair]
Sa dextre dut remonter inconsciemment jusqu’à son corset, car la baguette de métal qu’elle avait appris à détester en l’espace de dix minutes d’existence seulement s’abattit immédiatement sur ses doigts, arrêtant net toute velléité de libération.
« Je vais vous en foutre des ju… Aïe ! Bordel de… Aïe ! »
Elle secoua ses doigts rougis par la douleur, s’attira les foudres de sa camériste lorsque son mouvement de recul empêcha sa domestique de refermer les lacets finaux de sa robe.
« Je ne fais que ça, inspirer ! »
Si ce maudit bout de bacon vivant voulait bien cesser de la houspiller et de la harceler cinq minutes, peut-être serait-elle en mesure de faire front dignement. En attendant et faute de mieux, elle se contenta de fusiller l’horrible dragon racornie du regard, retenant avec peine un commentaire sur ce qu’elle pensait de l’engeance de sa génitrice tandis que sa prison de tissu se refermait définitivement sur sa peau. Portait-on encore pareille tenue en l’an 1001 ?!
« Pas de juron j’ai dit ! Et une Dame ne montre pas sa mauvaise humeur ! »
Cette fois, Luz fut plus prompte à ôter sa main, esquivant de justesse le trait sifflant de la baguette en fer. Madame Piedoddu, son bourreau et entremetteuse du jour, haussa un sourcil incrédule en retour mais n’insista heureusement pas davantage. Aucun doute qu’elle se vengerait plus tard, probablement dans le sucrage des effroyables gâteaux étouffe grand-mère qu’elle avait préparés ou encore dans l’un de ses terrifiants stratagèmes !
Luz leva spontanément les yeux vers le ruban d’émeraude qui enserrait sa crinière, méticuleusement incorporé à ses cheveux tressés et surligné de perles marines. Fort divertissant, assurément, si elle n’avait pas eu à en supporter le poids tout l’après-midi durant pour les beaux yeux d’un illustre inconnu qu’elle n’avait aucune intention de satisfaire ! Quelle sale journée, vraiment… Elle n’en revenait toujours pas d’avoir accepté la proposition de Basile, davantage pour le faire taire et obtenir une once de paix face à ses tentatives régulières de la caser, que par envie de se marier. Le fourbe savait pertinemment que son grand-père rêvait de porter ses arrières petits-enfants sur ses genoux avant de passer l’arme à gauche, plan que ne semblait pas du tout partager son unique héritière officielle. Ah, s’il savait que celle-ci ouvrait les cuisses quand bon lui semblait… Maigre vengeance psychologique à laquelle elle se raccrochait désespérément pour l’heure, supportant vaillamment les réprimandes incessantes de son entremetteuse. Allez. Tout ceci ne serait l’affaire que de quelques heures. Bonjour, vous êtes charmant, mais pas du tout intéressée, merci, je suis bizarre je vous assure, regardez à quel point je suis peu désirable et odieuse, oh zut alors, le potentiel fiancé s’est fait la malle… Un plan infaillible. Et une année entière de tranquillité à gagner ! Après avoir affronté la Cité enfouie, des goules en furie, un scolopendre des mers, des immortels de cristal, un foutu solstice et tout autant de situations dangereuses, ce n’était pas un jeune noble maigrelet qui allait la chambouler. Accroche-toi, ma fille !
Rien ne l’avait néanmoins préparée au spectacle qui s’offrit à elle lorsque l’entremetteuse la poussa hors de ses quartiers privés. Bien sûr, la structure elle-même de la verrière était splendide. En pleine saison chaude, le soleil se reflétait à merveille dans ce jeu de miroir et projetait alentours une multitude de nuances cristallines. Le jardin visible par-delà les grandes portes de verre laissait entrevoir un labyrinthe soigneusement taillé par le personnel de la propriétaire… Propriétaire qui avait malheureusement des goûts indéfinissables en matière de décoration. Et c’était bien là où le bât blessait ! Car la pièce était entièrement tapissée de rose. De dorures. De paillettes. De sculpture de chatons aux yeux enchâssés de pierreries, de guirlandes de fleurs en marbre, ou encore de cigognes recouvertes de velours fluorescent agrémentées de figurines douteuses aux attributs hé bien… Présents. Pour ne pas dire omniprésents.
Et puis…
Par Lucy et la totalité du panthéon, elle en était déjà épuisée. La table qui croulait sous un monticule de décorations absurdes et luminescentes lui renvoya son regard furibond. Elle aussi, faisait preuve d’une remarquable vaillance tant son pied principal semblait près de céder à tout instant. Le repas promettait d’être particulièrement chiche… Luz n’oubliait pas non plus les cartes stylisées par les bons soins de Madame Piedoddu. Des souffleuses, comme cette dernière aimait les appeler. Obligation d’en lire deux à son partenaire, avait-elle dit… Luz put lire sur la première carte visible sur la table quelque chose comme « J'aimerais être une feuille morte devant ta porte pour que tu m'écrases par ta beauté à chaque fois que tu sors de chez toi », ou encore « Embrasse-moi si j’ai tort ! On s’est déjà rencontrés, non ? ».
Oui, autant mourir. Voilà qui serait bien moins douloureux.
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Luz & Emerald
”Emerald, j’espère que tu feras quelques efforts pour discuter avec la jeune femme que Madame Piedoddu te présentera. Elle a tout ce qu’il faut pour devenir ta femme et faire une superbe parfaite madame Aubeclair.” Déclara ta mère d’une voix autoritaire et qui ne laissait place à aucune protestation. Il fallait dire, qu’Ysée Aubeclair avait l’habitude de diriger ta famille d’une main de fer. A croire que c’était elle le chef de famille et non ton père. D’un geste gracieux, elle posa ses mains sur tes épaules, venant lisser le tissu au toucher de satin. Les lèvres pincées, elle ne semblait pas très satisfaite de ta tenue. Devais-tu espérer qu’elle te fasse perdre du temps à te faire changer pour la énième fois de vêtements ou prier pour ton salut, et qu’elle te laisse enfin partir pour affronter la bête... Euh, tu voulais dire la charmante demoiselle que les deux avaient trouvé parfaite pour toi.
Comment avais-tu pu te laisser faire encore une fois ? Tu t’étais pourtant inscrit à la guilde des aventuriers pour éviter ces ennuyeux rendez-vous et cela avait bien marché jusque-là. Malheureusement pour toi, elle avait profité de ton passage à la Capitale pour t’envoyer rencontrer une nouvelle demoiselle de noble famille. A croire qu’elle ne pouvait pas te laisser tranquille et qu’elle refusait d’entendre raison sur ta sexualité. En fait, tu savais exactement ce qu’elle en pensait, puisque tu avais fini par lui lancer au visage ta préférence pour la gent masculine. ”Et bien, je ne vois pas en quoi cela t’empêcherait d’épouser une femme pour produire un ou deux héritiers. Tu pourras toujours avoir des amants à côté, en plus cela diminue largement les risques d’apparition d’un éventuel bâtard.” Charmant, n’est-ce pas ?
Ce jour-là, tu t’étais véritablement énervé contre elle, mais ta génitrice était bien trop entêtée pour entendre tes arguments ou changer d’avis sur le sujet de tes épousailles. Vous étiez restés longtemps fâchés, et si tu étais parfaitement honnête tu l’étais toujours un peu. Tu poussas un léger soupir, et ton regard croisa celui d’Ysée dans le reflet du miroir. ”Bon, tu n’es pas trop mal.” Tu haussas un sourcil parfaitement dessiné, en voilà un beau compliment de sa part ! Allait-il neiger en pleine saison chaude ? ”Il est temps d’y aller, la demoiselle doit déjà t’attendre.” Déclara-t-elle après avoir jeté un regard rapide au pendule. Tu te levas, tu n’avais pas le force de lutter ou même de protester. Entre affronter ton dragon de mère et faire fuir une jeune femme, tu préférais largement la seconde solution.
”Je ne vais pas pouvoir rester pour chaperonner ta rencontre avec cette nouvelle prétendante, mais madame Piedoddu veillera au grain. Je lui ai laissé tes consignes strictes Emerald, et je sais qu’elle ne te laissera pas tout gâcher. Ce n’est pas rien si elle est considérée comme l’une des meilleures entremetteuses de la Capitale.” Ajouta-t-elle du bas de la porte, tout en replaçant l’une de tes boucles ébènes correctement. Pendant une fraction de seconde, elle t’accorda un petit sourire avant de te saluer froidement et de se diriger vers la sortie pour vaquer à ses occupations. Tu n’eus pas le temps de profiter de cet instant de solitude, que la vieille harpie était déjà sur tes talons. “Ah, Sir Aubeclair vous êtes fin prêt ! Un peu plus et vous alliez faire attendre la jeune lady.” S’exclama l’alliée de ta génitrice pour cette triste journée. Elle te guida jusqu’à la table om t’attendait une jolie rousse qui ne manqua pas de t’appeler la chevelure de la petite Kim. Mais pourquoi porte-elle cet affreux nœud ? Sans oublier ce corset, ce n’était pas bon pour la santé de porter ce genre de choses. Certes, c’était beau à regarder, mais malgré ton amour pour les vêtements tu n’aimais pas l’idée qu’on puisse porter un tel instrument de torture.
”Ma Dame, voici Sir Emerald Aubeclair, Messire voici Dame Luz Weiss, je vous invite fortement à faire connaissance en attendant l’entrée.” Déclara-t-elle avec sévérité, son regard impérieux se posant sur toi le temps que tu t’installes en face de ta prétendante. Elle vous laissa rapidement en tête à tête, et si tu tendais un peu l’oreille, tu pouvais percevoir sa voix criarde donner des ordres à ses employés. Maintenant, que vous étiez seuls, tu t’appuyas un peu plus contre le dossier de la chaise et croisas tes longues jambes. C’est qu’avec ta taille, tu prenais pas mal de place. Tu pris ensuite quelques secondes pour regarder de haut en bas ta partenaire d’infortune. Elle avait assurément quelque chose de charmant, bien qu’à tes yeux ta petite fée restait la plus belle. Tu savais qu’il n’était pas très poli de l’observer ainsi, surtout sans la saluer, mais tu n’étais pas là pour la courtiser. Tu te fichais donc comme d’une guigne de ne pas lui laisser une bonne impression.
Un coucou se fit alors entendre, attirant ton attention sur l’horrible décoration de cette pièce. ”Comment peut-elle avoir si mauvais goût.” Soufflas-tu en observant l’immonde petit chat en porcelaine posé sur le napperon en dentelle aux motifs plus que vieillots. Tu ne comprenais même pas comment ta mère pouvait t’avoir laissé entre les griffes d’une telle personne. Le visage grimaçant, tu repoussas les petites cartes qui étaient sensées vous permettre de discuter. Comme si tu avais besoin de ça pour faire la conversation. Tu avais la désagréable sensation d’oublier la concernant. Son nom de famille te disait quelque chose, mais quoi ?
En découvrant son visage, Luz ressentit une once de culpabilité. Oh, il était plutôt bel homme, assurément bien proportionné dans son costume choisi avec soin, parfait représentant de la lignée noble… Elle ne manqua pas néanmoins de percevoir le long regard qu’il lui jeta, réveillant chez elle une familiarité toute personnelle. Aiguillonnée par l’instinct qui lui chuchotait qu’il n’avait pas l’air plus ravi qu’elle de se trouver là, il lui parut aussitôt difficile de se montrer gratuitement outrecuidante avec son infortuné partenaire. Elle ne put en revanche retenir le fin sourire ironique qui étira ses lèvres, sa précédente morosité sensiblement écornée. Ne relevait-il pas de son initiative d’engager la conversation et de se présenter personnellement ? Non, à la place, il préféra lâcher un commentaire à peine murmuré sur la décoration des lieux. Cette fois, Luz dut produire un effort surhumain pour ne pas rire ouvertement, une étincelle pétillante dans les prunelles : le vieux citron se tenait à peine à six mètres d’eux, les yeux plongés dans une lecture inintéressante et toutes oreilles ouvertes.
Elle ne sut trop quelle émotion ressentir en priorité à la contemplation de ces œuvres d’art réalisées dans le cristal le plus pur. L’horreur ? L’hystérie ? Elle dut renoncer à les détailler du regard afin de s’épargner de justesse un fou rire. Ce très bref échange eut au moins le mérite d’alléger un tantinet le poids de cet après-midi sur ses épaules, ne résistant guère à l’envie de voir tout cela comme une vaste blague théâtrale.
Heh, ce n’était pas une si mauvaise stratégie ! Soit il s’effarouchait de son franc-parler, admettait qu’il n’était par conséquent aucunement intéressé par le fait de perdre son temps dans cette satanée pièce, soit il était comme elle pieds et poings liés et serait soulagé de cet aveu. Un choix 100% gagnant non ? Après tout, si son « promis » s’enfuyait à toute jambe par la fenêtre entrouverte, Basile et Jeschen pourraient-ils vraiment l’accuser d’avoir tout gâché… ? A contrario, jouer un parfait jeu d’acteur ne devrait pas trop leur coûter !
Les yeux plissés, fouillant avec effort le souvenir poussiéreux qui peinait à remonter à la surface de sa mémoire, Luz mit un temps infini à être touchée par la lumière sacrée de l’intelligence. Sa bouche s’ouvrit en un « O » ahuri, juste avant que ses neurones n'assimilent enfin les différents wagons :
Comment ne pas vouer une adoration sans fin à cette tranche de femme décidée et extrêmement directive lorsque l’on s’appelait Jeschen Weiss ! Avec quelques années en moins, Luz était persuadée que son grand-père aurait volontiers tenté de détourner l’épouse Aubeclair de son mari… Elle se souvenait du moins de lointaines soirées cossues passées à s’ennuyer au milieu des adultes du haut de ses jeunes années, car rares étaient les enfants présents dans ces réceptions. Quant aux détails, impossible de s’en souvenir aussi longtemps après… Et puis, Luz n’avait jamais prêté une attention particulièrement intensive à ces fêtes dont elle se foutait royalement. Ce point-là n’avait d’ailleurs toujours pas évolué, vingt ans plus tard.
Un euphémisme. Et un soulagement pour la carte Embrasse-moi si j’ai tort ! On s’est déjà rencontrés, non ?.
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Luz & Emerald
« Avez-vous seulement vu le pichet de vin en tête de cochon et la fourrure rose autour des verres ? » Un petit rire t’échappa, et ton regard vint rencontrer à nouveau le sien où brillait un éclat amusé.
”C’est là son terrible secret. Elle unit ces pauvres jeunes gens grâce à des sentiments communs : le dégoût, l’effroi, l’incompréhension avec l'aide de … ces choses. Une technique vicieuse qui a démontré son succès vu le nombre de mariage qui en a découlé.”
Du bout des doigts tu retournas le vase vers le mur pour éviter de faire face à la tête du chérubin avec ses petites joues roses, ses grands yeux rappelant le ciel ou encore son petit bidon qui cachait pile ce qu’il fallait. Bon, peut-être que l’arrière n’était pas mieux. Pourquoi ces fesses étaient-elles encore plus rougies que le visage du poupon ?
”Je crains que ne plus jamais réussir à dormir paisiblement, maintenant que cette vision d’horreur s’est inscrite dans ma rétine.”
Qui était donc la personne à l’origine de ces œuvres ? Il fallait absolument l’arrêter et le mettre en prison. Ça relevait de la sauvegarde de l’humanité à ce niveau-là.
Heureusement pour toi, l’autre misérable victime de ce guet-apens capta ton attention avec sa déclaration. Tu jouas un instant avec ta moustache en l’écoutant avec un sourire malicieux.
”C’est une proposition tout à fait honnête que je ne peux qu’accepter... Et si elle tarde à nous délivrer nous n’aurons qu’à jouer le jeu ou nous en tenir à votre premier plan. Peut-être qu’avec ce dernier elle refusera de nous reprendre et nous n’aurons plus à mettre un pied dans cet enfer rose et duveteux.” Soufflas-tu d’une voix douce, espérant que tout cela échappe aux oreilles de la vieille harpie qui avait relevé son nez de son bouquin, et dont les petits yeux vicieux vous fixaient comme si vous étiez sur le point de faire une grosse bêtise. ”Il est donc inutile de s’excuser, mon petit oiseau, vous n’y êtes pour rien et il serait injuste de ma part de vous le reprocher alors que je suis là pour des raisons semblables aux vôtres. D’autant plus que vous m’évitez la rencontre avec une énième midinette dont le seul but est de trouver un parti plus riche ou plus noble que ses amies.” Tu te souvenais encore de cette Georgia qui n’avait même pas tenté de le cacher et qui s’était offusquée quand tu lui avais ri au nez.
Perdu dans ces désagréables souvenirs, tu ne fis pas attention au cheminement des pensées de ton vis-à-vis jusqu’à sa réalisation qui te fit presque sursauter. Tu l’avais donc déjà rencontré ? Ca expliquait cette étrange sensation de “déjà-vu”. Tu regardas la jeune femme avec un peu plus d’attention. Elle aussi devait avoir bien changé. Comme elle, tu mis quelques secondes à te rappeler de ces lointaines soirées plus qu’ennuyeuses pour des enfants. Maintenant, tout cela te paraissait terriblement évident et tu te sentais même légèrement idiot. C’était pourtant une évidence avec ce nom de famille. Tu allais mettre ça sur le rose, ça parasitait tes pensées et t’empêchait de réfléchir correctement.
"Luz Weiss, la petite fille de Jeschen Weiss? Vous aussi vous avez … terriblement grandi. ”
Déclaras-tu avec amusement, et en veillant à réutiliser le même terme qu’elle.
”Elle se porte comme un charme, et vous lui avez échappé de peu. Sans cette invitation pour un thé chez l’un de nos plus grands partenaires, elle serait présente pour nous chaperonner. Quant à mon père il se terre toujours au fond de son laboratoire au grand damne de de ma mère. Il travaille actuellement sur une idée commune qui pourrait m’aider avec mon don.”
Et là, il aurait été impossible de fuir ou de discuter ainsi. Ysée ne vous aurait pas laissé gâcher cette merveilleuse chance d’unir vos deux familles. Ta mère avait toujours apprécié l’ancien médecin de la famille royale et c’était bien grâce à elle que ton père avait pu vendre ses remèdes au vieil homme. En même temps, c’était elle qui gérait tout ce qui touchait aux relations sociales, ton père ayant toujours été un solitaire.
”Et votre grand-père ? Cela fait quelques temps que je n’ai pas eu l’occasion de le rencontrer.
Cela faisait quoi... cinq ? Six ans ? Peut-être même plus maintenant que tu y réfléchissais. Tu tapotas la nappe en dentelle de ton indexe.
”Je suis certain, que ma mère serait ravie de le recevoir pour un thé ou un dîner.
Et elle profiterait sûrement pour parler mariage et tout finirait par une dispute entre vous deux... Et encore une fois, tu irais te réfugier au Grand-Port ou tu irais chercher une quête qui t’emmènerait loin de ta génitrice.
Tu allais continuer la conversation quand un léger toussotement se fit entendre juste à vos côtés. Mme Piedoddu était là, accompagnée de deux serveurs dont l’uniforme était assorti au lieu. Pauvre chose... Pensas-tu en regardant l’horrible nœud papillon. Celui-ci posa vos entrées, pendant que l’autre vous servit un verre d’alcool.
”Voici votre tartare de veau aux huîtres et aux agrumes.”
Annonça le serveur d’une voix qui te semblait morte, qu’avait donc fait la vieille à ce pauvre malheureux ? Le second s’approcha et vous servit un verre de vin blanc sans même vous laisser le choix de refuser. Est-ce qu’ils espéraient que l’alcool aiderait ? Ou encore que les multiples épices qui venaient chatouiller ton nez vous rendraient plus ouverts ? Pourtant ce n’était pas ces pseudos aphrodisiaques qui changerait ton orientation sexuelle.
”... Et n’oubliez pas d’utiliser les cartes !”
Tu n’avais pas tout écouté, n’entendant que des bribes de conseils et autres reproches... De quoi casser l’ambiance si tu avais été intéressé par la belle. Tu échangeas un regard avec Luz quand l’entremetteuse s’éloigna pour reprendre sa place sur son fauteuil de velours.
Tu clignas des yeux, regardas la bonne femme, puis l’assiette et à nouveau Luz.
”Hum... j’en ai perdu le fil de mes pensées. Nous parlions de nos familles, n’est-ce pas ?
Tu creusas tes méninges, de quoi voulais-tu parler déjà ? C’était en lien … AH ! Bon ce n’était pas la question que tu avais eu en tête, mais c’était finalement bien plus intéressant.
”N’êtes-vous pas la fondatrice de l’astre de l’aube ?”
Demandas-tu le regard brillant d’intérêt et de curiosité. Si une certaine personne ne t’avait pas poussé vers la guilde des aventuriers, tu aurais certains postulé à l’Astre.
Mon… Petit oiseau ? Un instant prise de cours, Luz ne put que le dévisager l’air de se demander à quelle sauce il s’apprêtait à la manger. Cela se produisait rarement, mais ce n’était guère la première fois qu’on lui prêtait de tels surnoms saugrenus. Cependant… Si dans la bouche de certains fleurons des bas quartiers ces termes étaient régulièrement complétés d’une tirade sur les rondeurs de son fessier ou d’une invitation à obtenir son numéro de cristal, elle n’y vit rien de cet acabit dans le regard et le comportement de son vis-à-vis. Il avait prononcé ces mots avec une normalité confondante, une étincelle de grâce et la spontanéité d’une âme généreuse. Ce ne pouvait être une marque d’affection –ce n’était pas pour autant de l’hostilité. Juste une manière d’être, de s’exprimer. Cette constatation lui arracha un sourire et ses pensées s’égarèrent dans ses souvenirs récents. Warren se plaisait également à donner des surnoms aux êtres qui l’entouraient. Etonnamment, elle s’était surprise à s’attacher à ces appellations décomplexées et familières… Derechef et par association d’idées, il ne lui en fallut pas plus pour se fondre à merveille dans le phrasé d’Emerald et accepter sans commune mesure ses bizarreries.
Elle… Gloussa. Bien malgré elle. Un rire difficilement contenu qui ne manqua pas d’éveiller immédiatement l’attention de l’autre vieille chouette. Les faux airs énamourés de Luz durent la contenter, puisqu’elle revint rapidement à la contemplation de son propre travail. Qu’il ne devait pas être aisé d’être le fils des Aubeclair ! Des parents doués dans leurs activités respectives, complémentaires au demeurant. Une belle famille noble comme le royaume les appréciait tant, et un monceau d’histoires à porter sur les épaules. Car si Ysée était réputée pour ses compétences sociales, Luz n’avait pas oublié le contentement de son grand-père à l’égard de Léandre. Plus discret que sa femme, mais non moins compétent. Il avait longtemps fourni Jeschen en remèdes pointus et délicats, un exercice qui devait passer pour une distraction primaire pour un alchimiste de sa trempe… Emerald avait-il hérité du même travail que ses parents et toutes les générations qui les avaient précédées ? Comment portait-on un tel bagage lorsque l’on était fils unique et l’incarnation de tant d’espérances ?
Une ombre brève longea néanmoins ses prunelles, comme une infime bruine grise par un jour de soleil. Elle dut papillonner des cils un peu trop vite, parvint à composer une réponse plutôt généraliste :
Elle fut soulagée de l’arrivée impromptue des serveurs et de l’autre Pied’ogre, émotion presque ironique tant cela devait être la première fois que quelqu’un appréciait la proximité de la vieille bourrique ! Restait que cela lui épargnait une explication dérangeante et douloureuse sur la maladie qui gangrenait vraisemblablement la mémoire de son parent.
Elle commençait sérieusement à envisager de boire pour oublier. Elle tâta distraitement le tartare dans son assiette lorsque le claquement réprobateur de Piedoddu claqua à quelques mètres de là. Par réflexe, Luz se tendit comme un arc, à nouveau plus droite qu’un i et un air parfaitement affable sur le visage.
Elle soupira, revint à leurs moutons. Ou plutôt leurs huîtres et leurs agrumes.
Elle rit, nuance d’autodérision extrêmement proche de la réalité.
Une réelle admiration avait percé dans sa voix, ayant pour sa part une préférence singulière pour Léandre plutôt que pour Ysée, bien trop effrayante. Luz reconnaissait ainsi davantage le génie scientifique que les désirs de mariage ! Ce qui lui rappela l’aiguillon désagréablement planté dans sa curiosité depuis plusieurs minutes…
Elle avait ancré son regard ancien, une authentique curiosité dévorante dans les prunelles.
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Luz & Emerald
« Il va… Bien. L’âge ne l’épargne pas, mais il serait ravi de revoir votre mère. »
Tu n’avais rien raté des réactions de la jolie rousse. Y avait-il un souci avec Jeschen Weiss ? Peut-être était-il souffrant ? Cela ne serait pas si étonnant, après tout elle le disait elle-même : l’homme était assez âgé. Sa santé ne devait donc pas aller en s’améliorant et il ne te restait plus qu’à espérer que ça ne soit pas grave... mais ça concorderait avec quelques rumeurs assez vagues qui t’étaient parvenus. Tu retins une légère grimace, tu t’en voulais d’avoir abordé un sujet sensible pour la rouquine. Heureusement pour vous deux, l’intervention des serveurs et de Mme Piedoddu, vous permirent de changer de sujet en reprenant une discussion plus légère.
”Un geste maladroit est si vite arrivé, surtout avec ces … bougies.” Lâchas-tu sur le même ton de confidence, tout en regardant ces fameuses chandelles en forme de glooby. Ce n’était pas que tu n’aimais pas ces créatures, mais ces cierges ne leur rendaient définitivement pas justice. Au contraire. Tu attrapas ensuite le verre de vin, appréciant son odeur avant d’en boire une petite gorgée. En effet, il était assez agréable en bouche, bien que loin d’être aussi bon que certaines bouteilles que tu avais pu goûter lors de soirées mondaines.
” Mon petit oiseau, je ne pense pas que vous devriez déprécier votre rôle dans la création de l’Astre de l’aube. Il faut avoir de nombreuses qualités pour parvenir à recruter ces différentes organisations et les faire collaborer et travailler vers un même objectif. ” Déclaras-tu en reposant ton verre. Il fallait rendre à Lucy ce qui était à Lucy, la demoiselle Weiss avait dû en voir des vertes et des pas mûres pour répondre aux exigences de chacun. Tu étais bien placé pour t’en rendre compte maintenant que tu devais faire face à des problèmes similaires avec ton propre projet. ” Entre l’académie des sciences et votre groupe, je pense que le royaume profitera dans les années à venir d’une véritable avancée au niveau de la médecine ou de la recherche en générale.” Et c’était sans oublier les travailleurs indépendants ou même les ingénieurs du “Génie” du Blizzard, même si ce n’était pas forcément les mêmes domaines de prédilections. Tu espérais d’ailleurs y ajouter ta propre pierre et pas seulement au nom de ta famille. Puis, tu ajoutas avec doux rire : ”Cela fait bien longtemps que je n’utilise plus les potions de mon père, puisque j’utilise les miennes.” Ton regard se fait pétillant alors que tu regardes Luz dans les yeux. ”Mais je serai ravi de visiter vos locaux, et cela même si je ne suis pas blessé.”
Du bout des doigts tu viens jouer avec le couteau sans toucher à l’assiette devant-toi alors qu’elle t’interroge. Tu ne réponds pas de suite. Ce n’est pas vraiment de l’hésitation, mais tu prends tout de même une petite seconde pour évaluer la demoiselle du regard avant de te lancer dans des explications.
”Contrairement à mon père qui excelle dans les deux disciplines, je me suis spécialisé dans l’alchimie. C’est pour cela qu’il m’aide sur mon projet, c’est lui qui en réalisera l’enchantement. Nous cherchons un moyen de contrôler plus efficacement mon don car il peut être dangereux pour les autres et pour moi.” Tu inspires doucement, alors que des souvenirs lointains te reviennent en mémoire. ”J’ai la capacité de faire apparaître des papillons empoisonnés à partir de mon sang. Le poison n’est pas mortel pour un adulte ou pour les créatures, mais il peut l’être pour un enfant... Et la première fois que j’ai fait apparaître les papillons, une grande partie de la nuée s’est posée sur moi.“Sans l’intervention de ma mère et mon père je ne serai certainement plus là.” Tu reposas la lame, avant de regarder la jeune femme et de lui sourire. “Je travaille sur un moyen de les contrôler, ainsi je pourrai éviter de tragiques accidents quand je suis contraint d’user de mon pouvoir.”
Un toussotement se fit à nouveau entendre non loin de vous, madame Piedoddu vous fixe de ses petits yeux perçants. Son regard passe de Luz à toi, puis à vos assiettes, son expression semblant dire “vous avez intérêt à manger”.
”Je vais finir par croire qu’elle a mis un philtre d’amour dans nos assiettes, en plus de ces soi-disant ingrédients aphrodisiaques.” Du bout de la fourchette, tu attrapas un minuscule morceau de viande que tu portas à tes lèvres. Tu pris une seconde pour en inspirer les senteurs avant de te décider à croquer dedans. Tu fermas les yeux, avant de les rouvrir et de battre des cils en direction de Luz. ”Et bien... ils n’ont pas lésiné sur le gingembre mais aucun risque de vous tomber soudainement follement amoureux.”
Rien d’étonnant à cette carrière toute tracée dans une famille qui véhiculait dès le plus jeune âge cet amour passionné envers l’alchimie et la magie. Sous ses abords d’excentricité, elle savait également l’homme attablé avec elle brillant, hormis que sa jeunesse réfrénait autrefois bien souvent ses ardeurs… Plutôt que de travailler, le jeune Emerald se faisait davantage remarquer pour ses extravagances. Elle retint un sourire, masqué par le coin d’une serviette. La réalité était plutôt qu’entre huit et seize ans, rares étaient les enfants enclins à suivre les propos rébarbatifs des adultes… Elle-même n’avait pas particulièrement été un parangon d’obéissance à cette lointaine époque, préférant souvent aux salles lumineuses les sous-sols empoussiérés d’une bibliothèque ou la terre meuble de la pleine forêt. Ce n’était pas sa faute si les précepteurs vaillamment recrutés par son grand-père s’échinaient à lui faire part de mathématiques lorsqu’elle voulait découvrir l’anatomie des dragons ou la manière de créer des runes capables d’embraser la Capitale toute entière !
Piquant distraitement la nourriture dans son assiette - par les dieux, ce n’était plus une lourde dose de gingembre, mais un monticule entier -, Luz s’était presque absorbée dans la contemplation passionnée de son interlocuteur. Un regard que Madame Piedoddu dut interpréter comme l’incarnation de ses fantasmes les plus absolus, enfin, et qu’elle accueillit avec un drôle de bruit de bouche satisfait à mi-chemin entre le claquement de langue et le baiser d’un crapaureau. Le bruit spongieux représentant assez fidèlement une immondice innommable, Luz se raidit et rompit immédiatement la fixité de ses prunelles. Elle réalisa avec horreur qu’une Madame Piedoddu comblée était infiniment pire que le contraire. Dommage qu’elle ne puisse comprendre la véritable nature de ses attentions, bien plus mue par une profonde curiosité scientifique et amicale à l’égard du pouvoir décrit par Emerald, que par la naissance d’un amour éternel… Le bruit de bouche, cependant, n’en resta pas tout à fait là. Madame Piedoddu, comblée par l’enthousiasme de ses jeunes protégés, se laissa aller contre le dossier de sa chaise et fit danser dans les airs deux doigts agités d’une étincelle magique : l’étrangeté qui s’ensuivit fut à la hauteur du lieu. De subtiles flocons se mirent à tomber délicatement du plafond, évitant chaque fois adroitement de s’approcher de la table des deux promis. Cette neige d’intérieur aurait pu être jolie, si ce n’était son abominable couleur jaune criarde et lumineuse que Luz prit grand soin d’ignorer royalement.
Elle se figurait assez aisément la scène, une kyrielle de papillons voguant en tous sens, effleurant par mégarde les alliés et sa propre peau puisqu’il n’y était pas immunisé. Luz se souvenait encore de ses premiers apprentissages magiques, sa volonté de discipliner cette énergie fourmillante sur sa peau qui lui mordait par instant les doigts. Une seule fois seulement son pouvoir s’était réellement retourné contre elle et elle n’était certainement pas prête d’en oublier la souffrance ni les conséquences : l’énergie avait définitivement brisé sa chair en lui ôtant sa faculté d’avoir un jour des héritiers. Elle n’osait par conséquent envisager pleinement ce que cela devait être de craindre continuellement sa propre aptitude.
Elle posa sa fourchette dans son assiette, dévorée par la fièvre créatrice, ses doigts manipulant dans les airs d’invisibles fioles.
Elle s’aperçut que son souffle s’était emballé et que sa voix s’était mue d’un ton supplémentaire, plus guère acceptable dans un espace de mondanité contrôlée. Riant discrètement de sa stupidité, Luz se fendit d’un large sourire.
Et puis, elle sentit la sensation familière d’une idée fourmillant à la lisière de sa conscience, prenant place sur sa langue avant de passer le filtre de la bienséance :
Etait-ce réellement une bonne idée de proposer à un homme qu’elle n’avait plus vu depuis des années de se transformer à la fois en cobaye et en chercheur ? Ah, Luz, probablement venait-elle encore de fauter par maladresse, trop accaparée par la kyrielle de possibilités scientifiques qui lui traversaient l’esprit pour songer à la politesse… Restait que son instinct l’aiguillait en ce sens et qu’elle n’avait jamais été capable d’en ignorer la pointe brûlante.
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