Donc, ouais, on va dire chez eux. Elle a les clés, après tout. Après son duel avec Tara, il était exténué, et s'était demandé sur tout le chemin ; pourquoi n'avait-elle pas porté ce coup final pourtant si évident et facile à placer ? Pas besoin de s'éterniser. Il a gagné, il a gagné ; comme prévu. Il ne se voyait pas perdre, aussi fort et honorable que fût son adversaire du jour. L'ambiance était...Particulière, depuis qu'une femme habitait la maisons. Attention, on ne parle pas d'une femme dans le sens noble du terme, celle qui passe trois ans à se préparer dans la salle d'eau, porte des vêtements haut de gamme, une princesse quoi. Non, la c'est...Lyriss. Tous deux semblent faire plus attention et faire des efforts pour une vie commune harmonieuse.
A l'entrée de la demeure, rien à signaler, tout est comme à l'accoutumée. Une fois la porte passée...Ouais, c'est là que le bat blesse. Une sorte de bordel organisé, admettons le, principalement, bon, que de la faute de Ryf. Eh, tant que la nouvelle ne s'en plaignait pas ! De là des poids qui traînent, de l'autre des vêtements, assurément que devoir déplacer une partie du débarras ne fut pas de tout repos. Enfin, ça reste propre et entretenu, ce n'est pas non plus un terrain vague. Mais vous voyez l'idée d'une colloc entre deux personnes qui se lancent pas l'un sur l'autre.
L'odeur était alléchante, un ragoût plutôt délicieux mijotait toujours sur son feu, la cuillère énergétique de Hryfin dépassant toujours de la casserole. Rien de bien transcendant, cela ne vous permettra pas de courir trois fois autour de la capitale sans même le ressentir, c'est toujours un petit plus tonique sympathique. De la vaisselle pour deux trônait dans l'évier, aucun des deux n'est fan de la vaisselle. Faut bien la faire pourtant...Dans le jardin, à l'arrière de la maison, que l'on pouvait voir depuis la fenêtre, il y a du linge étendu sur la terrasse, et c'est joli, on dirait le Sud.
En rentrant, il se servit un bol de cette fameuse mixture, qu'il mangea pensivement sur le fauteuil. Elle avait encore laissé mourir le feu. Si la garde royale ne ressent pas le froid ou le chaud, fort bien pour elle. Quand même, penser aux autres, ça coûte rien, non ? Enfin, heureusement pour lui et son propre bien être, le soleil continuait à tonner à l'extérieur, juste assez pour ne pas cuire sur place. Vint ensuite l'heure d'une douche bien méritée. Oui, il avait été malhonnête tantôt ; elle l'avait bien fait suer, pas uniquement du à sa prestation physique, mais aussi de peur ; la peur de perdre, à la fois la face devant tant de spectateurs, mais aussi tout court, finir au tapis, se prendre une bête blessure et perdre un titre d'imbattable imaginaire qu'il s'était lui même donné.
Habillé à la va vite, il ne prit pas le temps de mettre de haut, car suer, il en avait pas finit. Continuant à s'exercer dans le salon, il ne pouvait se permettre de se laisser aller, alors que le départ pour le Désert Volant était si imminent. Son capitaine lui avait fait entièrement confiance en lui proposant de l'accompagner, il ne pouvait le déshonorer, déshonorer la garde royale, et son propre nom. Renforcement musculaire, mouvements à l'épée, tout y passait. Son habitation n'était pas bien immense, assez pour qu'il puisse s'y mouvoir avec aise, procéder tranquillement et également y héberger quelqu'un.
Son entraînement fut interrompu alors qu'il arrivait presque à son terme. Quelqu'un avait toqué à la porte. A travers la fenêtre, il n'avait vu personne se glisser devant chez lui, bien trop occupé par ce qu'il était en train de faire. Par contre, l'inverse n'était pas vrai, quiconque passait pas là aurait pu l'observer. Impensable de faire le mort ou le sourd dans de telles conditions, si bien que de son flegme légendaire et son je-m'en-foutisme reconnu, il ne s'embêta pas à s'habiller plus que ça alors que pour la troisième fois de la journée, sa main foula cette poignée. Qui ? Lyriss ? Non, elle a les clés et ne serait donc pas aussi procédurière. Un voisin dérangeant ? Plus personne ne lui cherche de noises depuis fort longtemps.
Non, juste une petite femme. Aux longs cheveux noirs. Au nez encore un peu rouge. Difficile de ne pas la reconnaître, il était avec elle il n'y a pas plus d'une demie journée.
'' Tara ? Qu'est ce que tu fais là ? Pas de revanche tout de suite, jte préviens ! '' Il sourit bêtement et s'écarta de l'encadrement de la porte. '' Tu veux rentrer ? ''
Bien sur que les chances qu'elle veuille rentrer sont hautes, banane ! Déjà qu'il est pas doué pour lire les expressions faciales, là, c'est pire, tout semble se mélanger. La tristesse, la fatigue, l'énervement, et un certain calme, un déferlement qu'il est impossible pour l'hippogriffe de suivre, lui qui affichait toujours ce même visage bienveillant.
Deuxième lune de la saison froide de l'an 1001
- Oui. Merci.
J'essaye de parler le plus calmement et sereinement possible, mais je n'arrive pas à le regarder dans les yeux. Quelle idée d'ouvrir la porte torse nu, quand une femme vient pour faire une déclaration ? Je sens mes joues commencer à rougir lentement. Je l'ai déjà vu, plusieurs fois, dans ce genre de tenue, mais c'est bien la première fois qu'elle me fait de l'effet...
Je suis déjà venue chez Hryfin à maintes reprises, notamment pour venir le sortir par l'oreille. Je connais son penchant pour le ménage et la propreté. C'est pour cela que je m'étonne de voir son salon aussi peur organisé. Ses vêtements sont posés sur une chaise, à attendre d'être lavés, et ses objets de musculation traînent dans le passage.
- Je suis venue de te dire quelque chose. Ce n'est pas simple.
Non, Tara, tu n'es pas entrain de lui annoncer la mort d'un membre de sa famille. Mon ton est beaucoup trop froid et calme pour une déclaration d'amour. Je me voulais plus chaleureuse, plus tendre, mais mon caractère reprend trop le contrôle. Mes pas me mène jusqu'à la moitié du salon. De cette position, je peux voir un coin de sa cuisine, notamment l'évier. Comme d'habitude, de la vaisselle en dépasse. Mais comparé aux autres fois où je suis venu, il y en a plus. Fainéantise d'une semaine ou invité d'hier soir, je ne préfère pas poser la question, il a sa vie privé.
Je me retourne vers lui, mes joues ayant repris une couleur bien plus naturelle.
- Écoute, je t'...
Mes yeux se posent sur son jardin, et notamment sur les fils de fer servant d'étendoir. Je reconnais quelques affaires à lui, ces pantalons, ces t-shirts. Mais mon regard se fixe pendant très longtemps sur un soutien-gorge. Celui-ci vole gaiement au vent, bien content d'être en liberté dans le jardin d'Hryfin.
Ma phrase en cours reste en suspend, plus aucun mot ne peut ou ne veut sortir de ma bouche. Un vêtement féminin dans la maison d'Hryfin. Je sais qu'il a une grande sœur, mais ce n'est pas le genre de personne à venir lui rendre visite, même à l'improviste. Alors, à qui pouvait-il appartenir ?
Se sont les paroles d'Hryfin qui me tirer de ma rêverie.
- Je...heu...
A court de mot, je me frotte mécaniquement l'arrière de la nuque. Gêne, jalousie, les émotions se bousculaient et je n'arrivais pas à en faire le tri.
Donc, c'était juste pour causer ? Ça devait être grave, si elle se pointait si vite après sa défaite, qu'il imagine avoir encore un arrière goût amer collé au palais de celle aux yeux vairons, ces derniers parcouraient l'intérieur de chez Hryfin comme s'il s'y était déroulé un crime, analyser chaque détail, comprendre pourquoi, par Lucy, ce sentiment de bordel organisé règne. Ouais, c'était toujours niquel, à chaque fois qu'elle venait, mais ça, c'était avant les affres de la colocation avec la blanche, parlons plutôt de retombées, dans les casernes, c'est souvent comme ça, il faudra temps et patience avant que ce tandem réussisse à rouler correctement. La petite se coupa brusquement, ne faisant que faire monter la tension dans l'estomac du soldat. Comme à sa mauvaise habitude, impossible de déchiffrer les volontés, les émotions d'une femme qui semblait elle même ne rien comprendre à ce qui lui arrive. Se penchant légèrement, son visage faisait maintenant face à celui de sa collègue, violant sans doutes un espace vital et personnel qu'elle s'était créé.
'' Tu me ? Ca va, Tara ? T'as pas l'air bien, jsuis presque inquiet ! '' Il se redressa de toute sa hauteur, vissant ses épaisses mains sur ses hanches. '' Accouche, c'est pas ton genre de tourner autour du pot comme ça. Rien de grave, j'espère ? Ça concerne le capitaine ? La garde ? '' Plus nerveusement qu'autre chose, il imita le même geste qu'elle effectua tantôt, se raclant la nuque dans un bruit de muscles et de cheveux froissés. '' Un verre d'eau ? Ouais. Prends un truc. ''
Rhétorique, sa question ne cachait qu'une affirmation bête et méchant. Il se dirigea vers son espace cuisine, peinant à trouver un verre utilisable, dont les bords glissants n'auraient connus les lèvres de Lyriss ou les siennes. Faudra vraiment instaurer des tours de corvées, mais la nouvelle recrue, fallait réussir à la chopper. Fidèle à sa réputation, elle avait sans surprise rejoint les Voltigeurs, la voilà de nouveau partie sillonner le royaume, limité maintenant à la capitale et ses alentours pour la plupart du temps, il peut même pas lui en vouloir de rentrer, se reposer, se restaurer et manquer de temps et de motivation pour s'occuper de tout ça derrière elle, et il n'est pas non plus étranger à tout ça. Hryfin se reposta derechef face à sa collègue, et lui tendit le verre.
'' Ouais, excuse, c'est un peu le bordel, on a encore un peu de mal à bien se capter, avec Lyriss. Après, ça fait pas très longtemps qu'on est ensemble, le temps qu'on trouve notre rythme tous les deux quoi. ''
Oh bordel, Ryf, si tu savais pourquoi la potite Tara était venue...Il aurait dit la même chose, en vrai. Les pieds dans le plat, le tact, la subtilité incarnée, tout ça, à la longue, on connaît. Et ce n'est malheureusement pas en voie de changement, à la place, il la laissa là, dans sa gène, alors que lui se dirigeait paisiblement vers le canapé, procéda à s'y asseoir, avant d'enfin penser à Tara.
'' Vient t'asseoir, tu s'ras mieux. Prends ton temps, ça a l'air assez important. ''
Deuxième lune de la saison froide de l'an 1001
Trop prêt. Terriblement beaucoup trop prêt.
J'essaye de ni tourner la tête, ni rougir, ni bouger, enfaite. Faire la morte. Voilà. Je fais la morte, il ne m'attaquera pas, ne me verrai pas, je pourrais ressortir vivante de cette confrontation.
Heureusement pour moi, Hryfin me propose un verre d'eau sans pour autant poser plus de question que cela.
- Non, ça n'a rien à voir avec le travail. C'est..Aller, je peux le faire, les mots peuvent sortir.C'est personnel.
Je le remercie d'un signe de tête pour le verre tendue, et me précipite sur le liquide froid qui fait un bien fou à ma gorge. L'eau descend péniblement, trouvant son chemin à travers les mots que je n'arrive pas encore à prononcer.
- Ouais, excuse, c'est un peu le bordel, on a encore un peu de mal à bien se capter, avec Lyriss. Après, ça fait pas très longtemps qu'on est ensemble, le temps qu'on trouve notre rythme tous les deux quoi.
Je recrache tout.
Les mots bloqués sortent à toute vitesse, mais ils sont complètement incompréhensible, transformés en quinte de toux sans fin. C'est qui cette Lyriss, par Lucy ? Elle s'installe comme ça, sans se présenter ? Ca fait combien de temps qu'ils sont ensemble ? Pas longtemps, sinon je l'aurai vite su. Et ils sont déjà installés ensemble ? Hryfin n'aurait jamais fait ça, je le connais. Elle a dû le forcer. Je n'aime décidemment pas cette Lyriss...
Je reprends peu à peu mes esprits en même temps que ma toux s'estompe. Je ne préfère pas m'asseoir à côté de mon collègue, préférant m'assoir sur les genoux en face. Jambes serrées et mains bien posées à plat dessus, je garde quelques secondes le regard vissé sur le sol.
Tout ce que je voulais lui dire tombe décidément à l'eau. A m'en être rendu compte trop tard, quelqu'un est déjà passé avant moi. Stupide fille...
- Donc...cette Lyriss. Comment est-elle ?
Oui, voilà, faisons l'intéressée, ne montrons rien, cachons tout.
- Elle a l'air bien....gentille, cette LYRISS.
Ho, et puis merde.
Je me lève précipitamment, et fais les cents pas devant lui. J'ai l'air de plus en plus folle...Mais je n'aime pas cacher mes émotions, et là, il faut que ça sorte. Et ça va sortir, hein ! Mais je ne garantie pas le résultat final.
- Ca fait combien de temps qu'elle est là ? Elle fait partie de la royale ? Non, bien sûr, je l'aurai vu. Tu la connais d'où ? D'une de tes expéditions dans le Royaume ? Bah oui, à coup sûr. Elle compte déjà autant pour toi ? Non, me répond pas, j'ai même pas envie de savoir.
Les mots se succèdent les uns après les autres dans un ordre un peu moins certain. Il n'a dû comprendre qu'un bout de phrase sur trois, à coup sûr. Je continue de marcher tel un familier enfermé depuis bien trop longtemps, ne sachant pas me calmer. Habituellement, j'aurai tapé dans un sac, ou gagné un combat contre une recrue un peu trop sûr de lui. Là, à part m'enflammer seule, je ne sais pas quoi faire d'autre.
- Y'a qu'une seule question : Pourquoi ?
Pourquoi quoi ? Pourquoi est-ce qu'elle habite chez lui et pourquoi pas à la caserne, pourquoi tout ce bazar, pourquoi du linge à elle étendue dehors ?
Je préfère commençait par un pourquoi, beaucoup trop tendue pour entendre la réponse d'un où.
Non, pas trop. Si cela est le cas, elle le cache bien, et devint tout de suite très insistante sur Lyriss, alors que le grand ignora pour l'instant l'eau au sol, délicatesse de celle aux yeux vairons ; ''toujours mieux au sol quand dans ses poumons'', pensait-il avoir le temps de penser, alors qu'il eut un intervalle de parole si ridicule entre ses deux premières phrases qu'à peine la bouche ouverte, il dût la refermer, condamné à tourner sept fois sa langue avant de l'ouvrir.
'' Ouais, elle est cool Lyriss, et elle - ''
Pas le temps de finir qu'immédiatement, la femme partie en freestyle, agitée au possible, déchaînée comme un chapardeur qui sauterait d'arbres en arbres, cherchant la meilleure chose à offrir ou échanger à un membre de son espèce. Vocale, volubile, inarrêtable, elle assaillait le garde royal de question qui ne resteraient sans réponse, encore faudrait-il attendre que sa voix n'ai pas à se hausser démesurément la voix pour qu'on l'entende, se déchirer les cordes vocales à l'extérieur, oui, au sein de sa demeure, moins. Et surtout...Il ne voit même pas pourquoi il devrait le faire en premier lieu en fait ? Quelle mouche l'a piquée, qui ou quoi peut bien la torturer ainsi ?
Les yeux ronds, la tête inclinée, Hryfin assistait à tout ce spectacle d'une curiosité presque malsaine, au fond de lui, il arrivait à comprendre : elle est irritée, en colère ; vexée ? Comme usuellement, n'arrivant qu'à gratter en surface les sentiments et expressions profondes des gens, le déclic de la jalousie ne lui parvint pas, et ne lui parviendrait jamais.
'' Alors, déjà. Elle a emménagé y a pas si longtemps, comme son intégration dans la royale, c'est, houla, récent ? Jlui en avait parlé un soir, que ce serait bien qu'elle nous rejoigne, ça f'sais longtemps que je l'avais pas vue, depuis qu'on était tous les deux gardes à la capitale, ça se passait déjà bien, autant pousser le truc. Et...Pourquoi quoi ? Pourquoi elle est là ? J'allais pas la laisser à la caserne, la pauvre, elle déteste ça, jle sais. ''
Allez, d'un point de vue extérieur, on peut avoir envie de recadrer cette tête à claque, qui ne comprends strictement rien à ce qui est en train de lui arriver, aveugle au possible, complètement hermétique à toutes ces notions de sentiments ou d'empathie.
'' De toutes façons, je l'avais déjà invitée à loger ici quand elle m'a parlé qu'elle rejoindrait ptet la royale, au final. Ça s'est juste avéré plus rapide que prévu, j'ai tout bien aménagé pour elle, et on est content du résultat. 'fin, je crois ? Je parle que pour moi là, jsuis chez les cuirassiers comme tu le sais, elle chez les voltigeurs, c'est pas quelqu'un de casanière de base, donc m'étonne pas qu'elle soit plus absente que présente. ''
Recette pour un incendie ; un quiproquo, une Tara chaude bouillante, et un Hryfin interrogatif qui met de l'huile sur le feu en regardant de l'autre côté. Description assez fidèle de ce qui est en train de prendre forme actuellement. Se levant et se dirigeant vers sa collègue encore, hm, ''sous le choc'', elle eut tout de même une forme visible de recul quand il vient se poster près d'elle, si bien qu'il dut la retenir par l'avant bras, assez fermement, et la tirer vers lui, sans non plus la plaquer contre son corps, de quoi la secouer, la réveiller.
'' M'enfin Tara, qu'est ce qui va pas ? De quoi tu dois me parler, à la fin ? Eh, promis hein, j'en parlerais pas à Lyriss si c'est aussi sensible que ça. ''
Sourire. Grand sourire, même. Lui qui comptait détendre l'ambiance, permettre à ce brin de femme de relâcher ses épaules, souffler un peu, réaliser l'embarras dans lequel elle se met -toute seule hein, Hryfin trop à côté de la plaque pour s'en intéresser, de l'embarras- et reprendre ses esprits. Vriller comme ça, c'est pas dans son habitude, elle est généralement si calme, les moments tranquilles où ils conversent de tout et de rien ne ressemblent en rien à cette explosion, et encore, préventive ! Elle se comportait comme une bombe à retardement qu'il ne pourrait désamorcer. Par contre, au vu de la suite qui se dessine, même un inadapté social comme lui comprendra qu'à tous actes, il y a des retombées.
Deuxième lune de la saison froide de l'an 1001
Mes yeux ne clignent pas pendant plusieurs secondes. Tellement ronds de surprises, aucun de leurs muscles ne réagissent. Mon cerveau n'est plus irrigué, un singe s'amusait à tourner en rond avec une paire de timbale dans les mains. Le cliquetis se faisait entendre dans tout mon corps. Celui-ci se mit en grève d'un coup. D'un coup ? Non, plus précisément au "J'en parlerais pas à Lyriss". Manquerait plus qu'il dise "promis" avec son magnifique sourire, tiens !
Toujours sans cligner des yeux, je me défais de la main d'Hryfin. La bouche entrouverte, j'essaye de parler, mais aucun mot sensé n'arrive à sortir. Qu'est-ce que je pourrais lui dire ? Avec lui, il faut y aller cash, et c'est ce que je fais, d'habitude. Oui mais d'habitude, je n'exprime pas mes sentiments amoureux, puisque c'est la première fois. C'est plus facile d'expliquer qu'une personne nous saoule plutôt que de dire qu'on la toujours aimé.
Je me tourne pour lui faire dos, afin de mettre un peu d'ordre dans mes pensées et faire fuir ce monstre de singe.
- Je...! commençais-je en me retournant vers lui.
Non, ça va pas le faire. Je lui refais dos. Mes idées sont encore trop confuse. Comment le lui faire comprendre ?
- Imagine que...! de nouveau face à lui...
...et de nouveau de dos. Essayer avec des images ne fonctionnera pas, c'est clair. Laissons cette solution de côté. Je mets mes deux paumes de mains contre mes lèvres, c'est ma position de réflexion. Je gonfle mes joues, essayant tant bien que mal de me donner un peu d'espoir et de courage.
- Tu...!
Mais pas le temps de me remettre de dos. Il faut que ça sorte, que je balance tout. Mais comment ? COMMENT ? Lui faire parler de ces parents ? De comment ils ont su qu'ils s'aiment ? Ouais, non, on va laisser tomber cette idée, hein. Parler de Lyriss ? Cela ne fera qu'aggraver la situation, c'est clair.
- Je reviens.
La seule solution que j'ai trouvé, c'est de fuir.
Dans sa salle de bain.
Oui, on aurait pu trouver meilleure fuite, genre comme sortir de la maison et ne jamais revenir. Mais ce n'est pas le genre de personne que je suis. Fermant la porte de la salle de bain, je me passe rapidement de l'eau sur le visage, et regarde mon reflet dans le miroir. Rouge d'honte, comment Hryfin fait pour ne pas s'en rendre compte ? Il arrive à sentir les dangers, mais les femmes amoureuses, non ? Il m'étonnera toujours...
Quelques minutes plus tard, je m'apprête à sortir sous les paroles du garde, jusqu'à ce que mon corps s'arrête. De l'autre côté de la porte, quand celle-ci s'ouvre enfin, Hryfin ne peut voir que le haut de ma tête. Le visage penché vers le bas, je lève lentement ma main pour révéler ma trouvaille.
Du bout des doigts, je fais remonter le soutien-gorge trouvé, entremêlé avec un des t-shirt de l'homme. Je le reconnais assez rapidement, l'ayant déjà vu plusieurs fois le porter. Mais de là à le voir avec un vêtement féminin, comme-ci....comme-ci les deux ont été enlevé en même temps...dans une salle de bain...
-...explications ?
'' Putain les femmes... ''
On serait rien sans elles, mais pas tous les Dieux, actuels ou anciens, qu'elles sont compliquées à vivre ! Au final, c'est pas plus mal que Lyriss soit chez les voltigeuses, rien que l'idée que chaque journée se passe ainsi, uuuurgh, son poil s'hérisse. Impensable cependant, Lyriss et Tara sont deux bouts de femme bien différents, quoique...Eh, non normalement ? Il se gratta le menton en quittant le confort de son canapé, se dirigeant vers la porte de sa salle de bain. Vrai que les deux sont plutôt directes, discrètes, avec un bon tempérament, bien qu'elles ne soient pas des copies conformes, qu'on l'en préserve. Quelques minutes, quand même, où il n'entendit que l'eau couler de brefs instants.
'' Ca va ? T'as besoin de quelque cho- ''
Sa question inachevée fut répondue par le bruit de la porte s'ouvrant de nouveau, une Tara presque en plein désespoir, regard fixé au sol, visage vers le bas, ses longs cheveux de jais tombant devant ses yeux, cascadant depuis ses épaules. A bout de bras, elle lui tendit un vêtement. Oui, c'est un de ses t-shirt, merci, il le sait très bien, tu veux faire quoi, l'emporter ? Un simple truc. Le genre de vêtements qu'il met pour traîner, ou en civil. Ah, fallait-il y voir un message subliminal, demandant à l'hippogriffe de faire preuve d'un peu plus de décence, et d'arrêter d'exposer ainsi son torse. AAAAH, ENFIN, C'EST PEUT-ÊTRE CA QUI LA PERTURBAIT DEPUIS LE DEBUT ? Oh, quelle prudasse, rien à envier à Lyriss de ce côté ! Manquant de s'en saisir, seule la sortie inopinée du soutien-gorge du haut froissé le fit retirer sa main. Des explications ? Pourquoi en fournir ? Elle a du lui piquer un t-shirt, comme elle fait parfois quand elle a rien à se mettre sous la main ou qu'elle paume ses affaires dans une énième intervention, rapatriement express délaissant les charges non nécessaires derrière.
'' Oh, ça ? Oui, les deux sont à moi, j'adore en porter, je trouve ça super seyant ! ''
Il voulut rire. Vraiment, une petit blague comme ça, pour détendre le truc. Seulement, ses joues se gonflèrent sans laisser sortir le moindre son. La prétorienne n'avait pas réagit à sa superbe boutade, gardait une mine déconfite, le bras ne tenant pas le vêtement ballant, les épaules basses. Le simple fait d'expirer briserait ce silence d'une manière si peu polie et respectable qu'il préféra encore péniblement ravaler l'air sans un bruit, ce qui ne l'empêcha pas de toussoter, prions Lucy que Tara ne voit pas ça comme un signe de gêne. Surtout qu'il ne l'était pas. Au contraire, il était...En colère ? Après tout, elle débarque, inopinée sans être non désirée, parle difficile, n'aligne pas deux mots, les lui brise avec Lyriss...Pas à se demander pour qui elle se prends, mais pour qui elle se prends ? Arrachant le tout des mains de Tara, le mettant sur son bras, les croisant de nouveau, plantant son regard sévère dans le sien.
'' Ecoute, jsais pas ce qui te prends, mais un moment, faut arrêter de tourner comme ça. '' Il a oublié le ''en rond'', mais elle doit avoir l'habitude de son langage bien claqué, bien des profondeurs du Sud. '' Tu débarques, tu bégayes, tu fais n'importe quoi, et jte trouve bien curieuse par rapport à toute ma situation. '' Comme preuve, il suréleva de quelques centimètres son bras gauche sur lequel reposait l'objet coupable de la discorde. '' Puis quoi, je devrais avoir ton aval pour loger une amie qui vient de débarquer ? Je-Merde, Tara, si y en avait bien une que je pensais qui me soutiendrais, c'est bien toi. Donc, crache ce que t'as à dire. Et rentre chez toi. Repose toi, t'as l'air tout secouée. ''
Deuxième lune de la saison froide de l'an 1001
- Je t'aime !
Les mots sont sortis tout seul, sous le coup de pression d'Hryfin. Les yeux ronds, je pose deux doigts tremblants sur mes lèvres. Comment j'ai bu balancé ça, comme ça ? J'ai hésité à tourner en rond, à ne pas être moi, pour finir par....par ça ?!
Je bouscule légèrement le garde pour ne plus être bloquée entre lui et le sans issu de la salle de bain.
- Oui, je t'aime, voilà. Depuis toujours enfaite. J'ai toujours apprécié tes boutades, ton esprit léger. Mais je m'en suis aperçu que tout à l'heure.
Je passe mes mains dans les cheveux en les mettant tous en arrière, dégageant ainsi mon visage. Je laisse mes doigts masser ma nuque pendant quelques secondes, avant de reprendre la parole.
- Je pense que tu es assez clairvoyant pour comprendre que je vis très mal cette situation. Tu aurais pu me le dire, non, que tu sors avec quelqu'un !
Je me sens tellement bête...mais je suis également très énervée. Contre lui, contre moi, contre tout et n'importe qui ! Mon coeur ne veut pas arrêter de battre aussi fort, et je sens qu'une sueur froide commence à apparaître dans mon dos. Je me sens mal, il faut que je partes.
- Tu sais quoi ? J'suis très contente pour vous deux ! Félicitations !
Je me précipite sur la porte avec que le garde n'est le temps de dire quoique ce soit. Il ne bouge pas. L'aurais-je dégoûté ? Oui, qui serait content d'être aimée par quelqu'un aussi dure et froide. Et puis, le frisson dans le dos se fait de plus en plus puissant. Mon esprit divague et me fait remonter plusieurs années en arrière. Je me retrouve de nouveau en face de Layra, ma jumelle, la première personne à m'avoir dit de tels mots. Ma colère se fait de plus en plus grandissante.
Une fois la porte de la maison ouverte, je me retourne vers le propriétaire, et lui cris ces derniers mots :
- J'espère que tu crèveras dans l'exploration royale, tiens !
Franchement, je ne les penses pas, pas du tout même. Mais la colère de sa relation cachée, les mots de Layra, la fatigue de la journée, une migraine pas possible...Tout ça a fait déborder mon petite verre de patience.
Je finis par claquer la porte, et ne me retourne même pas pour savoir s'il me suit. Venir était une très mauvaise idée. J'aurais dû continuer à faire semblant, à ne rien dire. Mais ça fait terriblement mal...
Jamais de sa vie il n'a été autant prit de cours, même en réfléchissant bien, les événements passés n'étaient pas aussi tremblants. Le moment où il quitta son foyer, au nez et à la barbe de son petit frère, le reste de la famille ne l'apprenant qu'au petit matin ? Anecdotique, puisque décision découlant directement de ses décisions personnelles, en aucun cas impactant sur un tier. Sur plusieurs, en fait, toute sa famille, mais ça, il avait décidé de l’éclipser, note mentale poussée si loin dans les méandres de ses souvenirs que l'éclat de ce passé terni de jours en jours.
Alors, son intégration à la garde royale ? Quand, de nul part, il reçut cette convocation, cet entretien avec le capitaine, tout s'était fait dans une précipitation des moins naturelles ; il avait été certes encensé pour son professionnalisme et l'ardeur qu'il met dans son travail, ne comptant pas les heures, aucune hésitation à aider son prochain, et bien entendu, de surcroît, des capacités physiques hors normes. Entretien ; tatouage ; premier jour ; première patrouille avec Lunarya, un simple exercice de rodage. Non, du coup, ça ne pouvait être ça, outre la rapidité de la paperasse, des manœuvres et des mains qui s'agitaient dans l'ombre, sûres que tout se déroule sans accroc.
De la même manière que tantôt, c'était la prétorienne qui butait sur ses mots, ceux de l'hippogriffe n'arrivaient même pas à dépasser la frontière serrée de sa gorge. Pas l'occasion d'émettre une seule onomatopée, ni même de protestation, incroyable de passer de ce grand homme, irrité, assuré, rassurant à ce petit enfant, incapable de réagir à deux petits mots, aussi légers à prononcer que leurs sens sont lourds. Avait-il jamais ressenti ces sentiments envers Tara ; envers une quelconque femme ? Il avait bien eut des petites relations, du batifolage. Jamais rien de...Sérieux ? En ses termes du moins. Pas du genre à s'attacher, ni à épiloguer, pas démonstratif pour un sous, les relations charnelles d'une nuit, complètement cuit, après une bonne soirée, c'est ce qu'il obtint le plus souvent. Jusque...Là.
Il aimerait lui dire, qu'elle se fourvoie depuis le début. Lyriss, c'est une amie. Une collègue. Une coloc. En aucun cas une amante. Que malgré toutes ses tares presque impossibles à combler, lui aussi, apprécie les mimiques de Tara, ne serais-ce que celle là, quand elle a ses yeux tout ronds de surprise, qu'elle dévoile son fin visage en tirant ses cheveux des deux mains, que ce soit par exaspération ou simplement se faire un catogan, fait assez rare qu'il avait déjà observé. Il aimerait agir. Toutes ces fois où elle vient le tirer de son sommeil ou son apparente flemme, pour venir faire des tours de terrain, des passes d'armes. A vrai dire, ils se voyaient peu, en dehors du cadre protocolaire du travail. Encore eurent-ils le temps de s'apprendre et se découvrir lors de cette assignation, dans la cité aquatique, laissés à deux par le capitaine pour continuer sur leur mouvement.
'' Tara, je- ''
Et là. La remarque cinglante. Qu'il crève dans cette exploration ? Ce putain de désert ? Ah, vraiment, merci, t'imagines pas à quel point ça lui rends la tâche facile, de momentanément balayer d'un revers de main toutes ces déclarations, les bases de leur relation s'écroulant magistralement comme un château de cartes. Ne t'inquiètes pas, il ne manquera pas de tomber dans le premier piège qu'il croise, tient, si ça peut le tenir éloigné de tout ce bordel. Sans discuter, il la laissa partir. Il ne la suivra pas. Pour quoi faire ? Aucun des deux n'est actuellement dans un état propice à ne pas se remettre sur la gueule, et puis, lui même avait des choses à remettre en état dans sa tête. Il se laissa tomber lourdement sur son fauteuil, qui émit un crack sonore. Soupir. Voilà que son mobilier allait le lâcher, bientôt.
'' Non mais celle là, vraiment, jvous jure... ''
Tête basculée en arrière, reposant sur ses bras qu'il avait préalablement croisés sous sa nuque, le reste de la journée allait être longue, la nuit difficile. Pour peu que Lyriss rentre ce soir, il aurait au moins une histoire à raconter. Le fallait-il ? N'aurait-il pas l'impression de se moquer de la pauvre prétorienne, en proie à des sentiments contraire de par ses découvertes toutefois anodines si vue d'un œil extérieur à celui d'une jalouse amoureuse ? Et lui même, qu'en pensait-il ? Il existait un monde où entre les deux...Ca pourrait fonctionner. Les efforts que Ryf aurait à fournir seraient colossaux, la prétorienne devra s'armer de patience. Mais quitte à choisir entre les sentiments et l'idée de ne plus se faire asticoter par une Tara qui aurait élevé de véritables remparts entre eux...
Bon. Il a encore une expédition à préparer. Tout ça...On verra après. Sauf s'il respecte les espérances de la brune.