Il y a comme un goût de simplicité et de facilité pour ce qui est de l'entretien donc. Pourtant gisant au milieu des lieux, se dresse avec fière allure la demeure des Danvill. Pour un étranger d'une autre contrée, ce lieu peut s'apparenter à un château tant il dénote avec le reste du hameau.
L'entrée est faite d'une belle barrière blanche, parsemée d'arrangements floraux aux senteurs enchanteresses, une véritable explosion de parfums et de couleurs qui apaisent les lieux. Le tout est entouré de copeaux pour donner un habillage élégant et rustique. Des canulas, des ericas, quelques géraniums çà et là tout comme des azalées blanches. Si le tout n'est pas fleuri à cause de la saison, l'arrangement reste d'un goût et d'une beauté exquise.
Le petit chemin en pavé blanc vient diviser le gazon en deux segments différents. Il est d'ailleurs parfait, aucune trace de trèfle, de mauvaises herbes ou autre pissenlit ou pâquerettes. Après un court moment sur ce sentier artificiel, après avoir observé l'ombre des arbres fruitiers, le chemin se scinde en deux, l'un vers la résidence Danvill. Les lieux ne sont pas restés comme dans l'enfance de Béryl. Lorsqu'elle a atteint la noblesse, elle avait à refaire l'ensemble des lieux pour profiter de créer une maison à son image : extravagante. Si d'extérieur tout semble normal, il faut partir à l'intérieur et au jardin à l'arrière de la maison pour comprendre à quel point chaque élément est pensé pour impressionner et séduire.
La forge est restée intacte. Si son historique reste flou, son savoir-faire est lui connu. Elle aurait tout d'abord appartenu il y a deux cents ans à un maréchal forgeron. Mais la maladie le frappe de plein fouet lorsqu'il vend le tout à un l'un des ancêtres des Danvill. La forge se lègue de génération en génération lorsque le père de Béryl, apprend à ses enfants l'art de la forge. Bien que ce qui y soit créé soit d'une grande qualité, Béryl y voit un classicisme de mauvais goût et remanie bien des pièces pour donner des notes artistiques. Ainsi, vous pouvez voir au Grand Port des pièces de métal qui renforce des navires tout en ayant de véritables fresques décoratives. Vous pouvez trouver une épée d'une solidité et d'un tranchant parfait, orné de pierres et de gravures aux contours si nets et si réussis que vous auriez l'impression de lire un véritable livre fantastique. Donvan, le cadet de la fratrie, n'était autre que le chef de l'atelier lui-même. Par le passé, il avait été formé par son père, puis par sa sœur ; Béryl. Son génie créatif et son savoir-faire font de lui un artisan hors-pair, il a un goût prononcé, mais tout aussi excentrique et pimpant que sa sœur qui a, quant à elle, préférée se tourner vers les affaires plutôt que le travail manuel.
C'est donc en cette belle journée d'été que le destin choisi de jouer un tour à Béryl et son frère. Les clients ont pour habitude d'affluer de jour en jour, mais un client bien particulier risque d'entrer sous peu dans l'atelier, car aucune échoppe n'a été construite à côté de la forge. C'est la seule condition du père de Béryl, garder un lieu authentique. Si la décision n'a pas toujours plu, elle sait conquérir le cœur des clients qui apprécient la rusticité de l'endroit.
"As-tu vérifié les commandes du jour Dovan ?"
Cessant de frapper comme un burineur sur son enclume, Dovan s'essuie machinalement les mains sur son vieux tablier de cuir rapiécé avant de lever un pouce en l'air. Il a toujours été très discret et il l'est tout autant avec sa sœur. Elle avait simplement hoché du chef à son tour pour confirmer qu'elle a bien compris. Les autres employés, trier sur le volet, sont eux aussi en plein travail. Si les Danvill ont atteint la noblesse grâce à leur forge, c'est avant tout grâce à leur perfectionnisme et leur goût du travail bien réalisé. Certains employés avaient été engagés par les parents de Béryls et travaillent encore ici, bien que la fille, patronne auto-proclamée, soit bien plus exigeante. Mais voilà, Béryl sait traiter ses employés et accède à leurs besoins.
C'est donc une journée normale qui s'annonce dans les forges Danvill. Ou presque.
Pas là ? demanda avec curiosité Kaname, sa loutre géante, contre son esprit. Pourtant Kana bien faire attention à consignes et carte.
Si, si, ce doit être là, la rassura-t-il en longeant de son regard ambré les courbes de l’élégant chemin pavé s’élançant à travers le jardin d’émeraude comme un rayon de soleil à travers l’obscurité. Tu as bien travaillé. Je vais te laisser ici avec Ka’tea et Vreneli, appelle-moi via le grelot s’il y a un souci, d’accord ?
Pas venir avec Cal ?
Je ne suis pas certain que les Danvil voient d’un bon œil que des familiers se baladent sur leur domaine si propre.
Kana imposante, acquiesça sagement la loutre. Et Tea et Eli pas très polis.
Flattant une dernière fois l’encolure de celle-ci, le soldat rajusta les bretelles de son sac-à-dos militaire – qu’il utilisait même sur ses heures de repos – et s’aventura vers la forge Danvil. Entre les bosquets principalement verts en cette saison chaude, savamment ajustés pour embellir la demeure et presque faire oublier la modestie du paysage paysan alentours, le vent estival, lourd d’une chaleur promettant quelques touches orageuses quelques part dans les jours à venir, se rafraichissait à l’ombre de la végétation et enveloppait le coursier d’une caresse presqu’agréable. Profitant une dernière poignée de secondes de cette courte promenade aux reflets bucoliques, appréhendant l’atmosphère certainement plus chargée de l’intérieur de l’atelier, il finit par en pousser la porte dans un soupir résigné. Et peut-être, reliquat de qu’il avait été, curieux.
Ce qui l’intrigua d’emblée, à la lumière du détail d’informations qu’Enora lui avait données dans un claquement de langue agacé, fut la rusticité de l’endroit. Sa sœur lui avait parlé d’extravagance sertie de bon goût, d’avant-gardisme doré d’une solide expérience, et d’une finesse entrelacée d’une grandeur dont même la Couronne avait reconnu l’extraordinaire potentiel. Dans la simplicité des installations présentes, ou tout du moins visibles depuis l’entrée, la forge paraissait ainsi presque grossière en comparaison à sa renommée. Sa renommée récente, avait insisté Enora. Non pas parce qu’elle dénigrait cette jeune ascension, mais parque c’était toujours plus stimulant de parier sur l’avenir – les succès et les échecs – d’une puissance montante. Leur propre famille, les Alkhaia de Eliëir, fondateurs de la Prévoyance au Grand Port, était après tout elle-même noble depuis quelques générations seulement. S’avançant encore entre les murs de la bâtisse, refermant doucement la porte derrière lui, laissant sa curiosité guider son regard au contact d’un travail qui lui était presque totalement inconnu, Calixte arrêta cependant rapidement celui-ci sur la silhouette d’une femme. Telle une fleur – ou un brin de blé, vu sa stature tout en hauteur et en minceur – au milieu d’un champ rocailleux, elle coupait avec le reste de l’équipe – et peut-être même de la rudesse du lieu – de par la courbe de ses vêtements – assurément inadéquate pour s’affairer aux divers ateliers de la forge – et la prestance de son maintien. Immédiatement, le soldat fut convaincu qu’il s’agissait là de Béryl Danvil. Celle-ci même qui avait offert à son nom, ses lettres de noblesse.
Son « bonjour » se perdit contre la musique des outils chantant contre le métal, et Calixte s’avança encore un peu plus dans l’atmosphère fervente de l’endroit. En dépit de l’heure plutôt matinale à laquelle il s’était présenté, une vieille dame – cliente, aux quelques bribes de paroles que ses oreilles habituées à trainer glanèrent – accaparait l’attention d’un employé, et il attendit patiemment son tour tout en poursuivant sa silencieuse étude du lieu. Bien que son regard fût presque totalement novice dans pareil environnement, il distingua correctement, malgré la prudente et respectueuse distance, les courbes diverses des matériaux entre les mains des artisans et devina sans peine la plupart de leur devenir. Enora devait avoir raison sur ce point-ci : varié était l’art des forgerons Danvil, mais sa qualité semblait absolument constante. Entre les doigts de fée des employés, armes, ustensiles, équipements et bijoux se paraient de leurs plus beaux atours. Envoûté par le ballet d’une grâce rustaude des objets prenant vie dans la chaleur de l’atelier, Calixte laissa l’idée naissante, de plus en plus séduisante, de passer commande pour lui aussi, développer sa corole jusqu’à le convaincre tout à fait. Ce qui tombait bien, car les maigres minutes que cela lui demanda permirent à la vieille dame de finir ses affaires et lui laisser champ libre.
- Bonjour, répéta-t-il à l’attention de quiconque s’occuperait donc de lui. J’aurais souhaité passer commande ; plusieurs commandes. Et m’entretenir avec la personne adéquate concernant la possibilité d’un service, voire d’un partenariat, professionnel.
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