Ce jour là, Morgane n'était pas venue à la taverne dont elle était propriétaire. Laissant l'établissement au bon soin du jeune garçon qui l'aidait au service: Leith. Âgé de tout juste dix neuf ans, il se révélait être d'une aide précieuse pour Morgane qui, non content d'en avoir parfois un peu sa claque des histoires de pillier de comptoir avait en plus de ça beaucoup à faire. Beaucoup à faire. Oui. Mais pourquoi? En réalité, elle n'avait rien à faire de plus que de tenir sa taverne. Après tout, c'était bien là le rôle d'une tenancière de taverne non? Mais alors pourquoi diable se trouvait elle ici? D'ailleurs, maintenant qu'on en parle: Ici, c'est où?

La brune venait de se redresser. Voilà qu'elle était allongée dans l'herbe. Quelque part. Comme si elle avait...Dormi? C'était de fait une chose impossible puisque son pouvoir résidait justement dans le fait qu'elle ne soit pas capable de dormir. La soirée de la veille avait-elle été si désastreuse qu'elle ne s'en souvienne même pas? Elle glissa une main sur son front, comme si cela suffirait à faire disparaitre sa migraine. Quelle heure était-il au juste? Elle tenta de regarder le soleil, mais ce dernier n'était pas présent. Il faisait nuit. Bien. Voilà qui ne l'aiderai pas à se repérer. Par chance, Morgane n'était ni froussarde, ni défaitiste. C'est donc avec un aplomb étonnant qu'elle se remis sur ses deux jambes. "Bon, je dois pas être bien loin de la maison". Se murmura t-elle à elle même un peu songeuse.

La "maison" c'était en fait également la taverne dont elle était la gérante. Lorsqu'elle avait fait l'acquisition de la bâtisse, elle avait également acheté l'appartement se trouvant au dessus. Au départ, elle avait voulu y faire une auberge. Mais avait finalement décidé d'en faire son chez elle.

Alors que la lueur de la lune éclairait faiblement les rues encore animé - elle percevait des rires et des chants - Morgane compris qu'elle était encore en ville. Sans doute avait elle perdu connaissance dans un jardin, ou un parc. Mais quand? Dans l'après-midi? Qu'avait-elle fait cet après-midi là? Ce trou de mémoire ne semblait pas l'affecter plus que cela. C'est avec un sang froid étonnant qu'elle s'extirpa du petit carré d'herbe, sans trop savoir comment, pour attérir - parce qu'elle venait de passer un mur - dans la rue juste en face de son établissement.

Un large sourire satisfait s'étala sur son visage alors qu'elle ajustait ses cheveux et époussetait ses vêtements. Bon. "Ah, ce n'était pas bien loin". Prononça t-elle pour elle même d'une voix guillerette alors qu'un groupe d'hommes qui passait par là la dévisageait comme s'ils avaient à faire à une cinglée. Elle n'y préta pas la moindre attention et se contenta de s'étirer. La voilà quasiment sobre, et prête à reprendre du service. C'est d'un geste assuré et non chalant qu'elle ouvrit la porte de la taverne dans laquelle se trouvait encore quatre ou cinq individus, pas plus. Il devait être tard. Ordinairement, le lieu était bien plus animé.

"Leith, mon garçon, dis moi quelle heure il est." Lança t-il au serveur qui s'affairait à nettoyer des tables. Ce dernier sembla soulagé de la revoir. "Madame je vous ai cherché partout, quel soulagement". Morgane maugréa, elle n'aimait pas qu'il lui fasse la leçon, même indirectement. "L'heure mon garçon, je n'ai pas besoin d'entendre le reste." Leith avait amorcé un flot de parole qu'il ravala avant de s’exécuter. "Il doit être trois heures du matin Madame". Précisa t-il avec incertitude, il n'était pas équipé de quoi que ce soit lui permettant d'en être sûr. "Au nom de la déesse, déjà?! Bon rentre chez toi. Je m'occupe du service de nuit, comme toujours". Précisa t-elle alors qu'il acquiesçait avant de quitter les lieux. Techniquement, le dit service était déjà bien entamé. Morgane pouvait sans doute s'estimer heureuse d'avoir à son service un garçon aussi consciencieux. En principe il aurait du quitter son poste à minuit. "Et ne m'appelle pas Madame". Lança t-elle d'un air renfrogné alors que la porte se fermait sur Leith qui venait de quitter le lieu.

Elle soupira, reprenant place à son comptoir pour se servir un verre de rhum. Le mal par le mal dit on. Elle ne savait pas si c'était vraiment la meilleure chose à faire. Mais en fait, elle faisait assez rarement ce qui était la meilleure chose à faire.

Il en sortait de partout, deux sur la droite, une à l’avant et à l’arrière.  

“Askr ! Sur la droite ! J’m’en charge !” Beugla Eskel en se ruant vers les deux goules sur leur droite.  

Notre aventurier était pris en tenaille par les deux derniers charognards.  

“Merde, fait chier !” Jura-t-il alors que les deux bestioles se rapprochaient dangereusement de lui. 
 
 
La guilde avait reçu un signalement concernant un cimetière en proie à de nombreuses profanations, mission qu’Eskel et Askr prirent le matin même. Ils s’étaient rendus en journée dans ledit cimetière afin d’enquêter. Tous les indices s’accordaient à dire qu’une goule devait venir régulièrement retourner les tombes afin de se mettre quelque chose sous la dent. N’opérant pas en journée, le binôme d’aventurier revint en début de soirée afin de préparer le terrain pour accueillir le charognard. 
 
La nuit c’était installé, Eskel avait la main sur le pommeau de son arme tandis qu’Askr restait accroupie, à l’affût du moindre bruit suspect.  

Un crissement de feuille dans leur dos se fit entendre :  

“Tu as enten...” Commença Eskel avant de taire ses paroles à la vue de la main levée d’Askr dans sa direction. 
 
Sans se retourner, notre épéiste continuait d’écouter. Eskel se retourna vers la source du bruit. La silhouette d’une goule d’un mètre et demi environ se dessinait dans la pénombre. D’un geste vif, il dégaina son arme, ce qui attira l’attention du nécrophage sur eux.  

La suite s’enchaîna bien rapidement. Des bruits sur la droite, ainsi que dans leur dos. Askr imita son compagnon et dégaina l’une de ses lames en se mettant dos à son compagnon.  

Il en sortait de partout, deux sur la droite, une à l’avant et à l’arrière. 
 
“Askr ! Sur la droite ! J’m’en charge !” Beugla Eskel en se ruant vers les deux goules.  

Notre aventurier était pris en tenaille par les deux derniers charognards. 
 
“Merde, fait chier !” Jura-t-il alors que les deux bestioles se rapprochaient dangereusement de lui.  

Instinctivement, il rengaina son arme et planta solidement ses pieds dans le sol puis tendit l’un de ses bras vers chacun des nécrophages. Les monstres n’étaient alors qu’à deux mètres de lui, tout au plus. Les yeux de l’aventurier se mirent à luire d’un orange vif et deux impressionnantes ondes de choc se déferlèrent sur chacune des goules, les envoyant rouler quelques mètres plus loin comme de vulgaires ballots de paille.  

La situation était revenue temporairement sous contrôle. D’un geste vif, Askr s’élança vers l’une de ses cibles et lui décolla un grand coup de savate dans la mâchoire. Il dégaina son arme et transperça la bestiole avec détermination. Pas d’état d'âmes pour ce genre de monstre. Le dernier nécrophage se releva et voulu remettre ça en s’élançant vers Askr. 
 
“Crèèèèèves ordure !!!” Cria Eskel, avant de bondir vers le dernier charognard. D’un grand geste, il lui décolla la tête des épaules.  

Le calme retomba sur le cimetière. La menace ayant été éliminée, les deux aventuriers prirent la route du chemin du retour vers la capitale.  


“Quelle histoire, je ne m’attendais pas à ce qu’on tombe sur quatre saloperies de goules !” S’exclama Eskel avant de poursuivre sur le même ton : “Ça te dit qu’on aille faire un tour dans la taverne-là ? Ce petit combat m’a bien donné soif !”  

“Je suis bien d’accord, mais je ne resterai pas trop longtemps, la nuit est déjà bien avancée.” Répondit Askr légèrement épuisé par sa journée. 
 
Tous deux entrèrent dans l’établissement. Il n'y avait qu’une poignée de buveurs et l’ambiance était plutôt calme. 
 
“J’vais me mettre à une table là-bas ! J’te laisse aller chercher des consos au bar ! Tu m’prends comme d’hab !” Demanda Eskel en prenant la direction d’une table à proximité de deux autres clients qui jouaient aux cartes.  

Askr s’approcha du comptoir. La femme de l’autre côté semblait noyer quelque chose dans un verre de rhume, mais quoi ? Peut-être une dure journée, ou un début de soirée mouvementé pour ce qui semblait être la tenancière de l’établissement. Peu importe, ce n’était pas ses affaires. L’aventurier voulait juste prendre une chopine, pourquoi pas jouer un peu aux cartes et s’en aller quérir une couche confortable.  

“Deux chopes de brune s’il vous plaît.” Dit-il tout simplement à l’attention de la brave dame.  

Les habits d’Askr étaient encore imprégnés de sang de goule. Il refoulait la vieille charogne et n’était pas vraiment présentable. Son visage était également taché par quelques projections de sang. L’aventurier se saisit d’un morceau de tissu afin de s’essuyer sommairement le visage attendant ses consommations.  
 
 
 
 

A peine avait elle débuté son traitement de choc que deux hommes entrèrent dans sa taverne. L'un était plus petit que l'autre. Mais tous deux semblaient avoir passée une soirée mémorable. A n'en pas douter. C'est sans un mot qu'elle les suivi du regard. Leur adressant un sourire de bienvenue à peine esquissé. Elle se montrait d'ordinaire plus joviale, mais ne les connaissait pas. Qui sait sur qui on peu tomber dans une taverne à cette heure de la nuit. Elle n'était pas dupe au point de croire qu'une femme ne risquait rien, seule dans ce genre de lieu. Fort heureusement, elle n'était pas une femme ordinaire. Du moins, c'est ce qu'elle se plaisait à croire.

Mais son passé chez les walkyries laissait des traces. A commencer par une aptitude hors norme au combat. Et bien qu'elle soit probablement un peu rouillée, elle était tout à fait apte à se défendre. Elle avait d'ailleurs eu à le montrer plusieurs fois depuis son retrait de la garde. Mais soit. Elle chassa ces pensées de son esprit alors qu'elle portait son verre de rhum à ses lèvres. Songeuse. Heureusement qu'elle ne se demandait pas sérieusement si chaque client qui passait la porte du Sillage - parce que c'était là le nom de son établissement - était un potentiel danger.

Elle laissa venir le plus grand. Assez séduisant si on oubli le sang et l'odeur. Elle tiqua un peu d'ailleurs à ce second constat. Le sang ne lui faisait pas peur. Elle en avait suffisamment versé. Alors qu'il approchait, elle arborait un sourire en coin quasi moqueur. Se redressant, elle posa son verre sur le comptoir sans aucune honte alors qu'il passait commande. "Une seule brune ici mon brave." Répondit-elle du tac au tac en ricanant avant de se tourner pour prendre deux chopes dans l'étagère située derrière elle.

Il n'était pas du coin, ou du moins pas un habitué. Sans doute ne comprendrait-il même pas la blague douteuse de la tenancière qui n'en avait que faire. Elle se contenta de remplir les deux chopes de sa meilleure bière brune. Elle n'avait pas pour habitude de servir des boissons de second rang, même si elle n'avait pas vocation à faire de son établissement, une taverne de luxe. Le lieu était accueillant, et elle avait bonne réputation. C'était un fait. Sans compter qu'elle était l'un des rares établissements à ne jamais fermer en ville.

Elle n'avait pas quitté l'homme des yeux. Le détaillant sans la moindre gène, comme elle avait l'habitude de le faire avec tout le monde. "Dure journée?" Reprit-elle de façon tout à fait rhétorique. C'était évident qu'il avait probablement connu mieux. Ce n'était effectivement pas ses affaires, mais là aussi, elle s'en moquait. Après tout, elle ne lui mettait pas le couteau sous la gorge, il était libre de l'envoyer balader. Morgane n'est pas une femme timide, elle se fichait bien de savoir si sa question lui déplairait.

D'ailleurs, plutôt que de lui donner les deux chopes, elle les pris en main, et contourna le comptoir pour les poser sur la table où se trouvait son compagnon de route. Elle lui adressa un signe de tête de bienvenue avant de retourner au comptoir prendre son propre verre. Elle pris alors place à table, s'incrustant sans la moindre honte à leur table. "Figurez vous que moi aussi. Partageons un verre, ça nous fera du bien". Il leva son verre avant de le porter de nouveau à ses lèvres. "Vous voulez manger quelque chose?". Ce n'était pas de la charité. Mais bel et bien purement commerçant. Les affaires sont les affaires.

Son regard se tourna vers l'homme aux cheveux gris. Elle fronça les sourcils. "Toi, je te connais. Tu me dis quelque chose". Assura t-elle alors en glissant ses deux mains autour de son verre, songeuse. Elle tentait de se remémorer où elle aurait bien pu le croiser.

L'homme aux cheveux gris n'était pas bien bavard. Ce qui ne rebutait pas Morgane le moins du monde. Elle parlerai pour deux. Cela n'avait jamais été un problème pour elle, aucune raison que cela change aujourd'hui. Toujours est-il que son compagnon de route, lui, semblait plus enclin à l'accueillir à sa table. Ce qui arracha un sourire franc à la jeune femme qui porta son verre à ses lèvres de nouveau. Elle était habituée à sa taverne. A la franche camaraderie qui y régnait le plus souvent. C'est donc sans gène qu'elle accueillies les remarque du second en riant de son trait. "Crois moi Eskel, il n'a jamais été simple d'attraper un oiseau. Ne te fatigue pas à essayer". Plaisanta t-elle à la fois narquois et amusée. Elle ne se formalisait plus de ce genre de remarque.

Son regard se porta de nouveau sur le gris. Plus elle le regardait, plus elle était certaine de l'avoir déjà vu. Si son visage à elle s'oublie rarement, que dire de celui de ce gars là? Elle haussa un sourcil, songeuse. Tapotant ses ongles sur le bord de son verre, elle se satisfaisait de sa mélodie le temps de sa réflexion. Elle n'était pas forcément très clean. Donc se remémorer tous les gens qu'elle avait pu croiser n'était sans doute pas une mince affaire.

Elle ne pipa mot pour le moment. Posant son verre sur la table, elle se redressa d'un bon. "Bien, il dois me rester de la poularde et des pommes de terre". Lança t-elle bien trop enjouée pour la tâche à réaliser. Le plat était en fait déjà prêt, elle n'avais qu'à rallumer le feu sous la marmite pour le réchauffer. Ce qu'elle se hâta de faire. Revenant rapidement auprès de ses deux clients du soir. "Il y en a pour quelques minutes, je t'apportes ça mon gars". Lança t-elle à l'attention d'Eskel avant de se rasseoir.

"J'ai pas mal baroudé. Les Archipels, les Walkyries, en mer...Je ne suis pas sûre de me rappeler de tous les endroits visités". Lança t-elle en haussant les épaules. Non. Ça ne lui revenait pas vraiment. Peut-être se faisait-elle des idées.

Elle avait ramené de quoi manger au compagnon de route de l'homme aux cheveux gris. Elle ne fixa pas le prix pour le moment, ayant pour habitude de faire régler les notes à la sortie. Et autant dire que personne ne quittait son établissement sans s'en acquitter. Certains avaient eu le culot d'essayer. Ça ne s'était jamais bien terminé. Ceux qui la connaissent savent qu'il ne s'agit pas de jouer avec elle sur son propre terrain. Ces deux là ne la connaissaient à priori pas. Allez savoir les les surprises qu'ils pourraient lui réserver.

Quoi qu'il en soit, elle était persuadée d'avoir déjà vu l'un de ces hommes quelque part. Et bien qu'elle n'ai qu'un seul œil, Morgane était bien plus observatrice qu'on ne peut le croire. Elle fronça les sourcils. En creusant bien, elle arriverait bien à se souvenir. Sa mémoire n'était sans doute plus ce qu'elle était. Un peu entamée par l'alcool. Mais elle se défendait bien malgré tout. C'est dans un soupire qu'elle porta de nouveau son verre à ses lèvres. Ces deux lurons n'étaient pas bien drôle.

Néanmoins, Eskel prononça quelques mots qui la mirent un peu plus sur la voie. La Garde? Oui, probable qu'ils se soient croisés là. Elle ne manqua d'ailleurs pas de remarquer qu'à priori, le gris ne semblait pas vouloir révéler cette information. Un sourire amusé se dessina sur les lèvres de la brune. Dont la curiosité était désormais piquée au vif. Elle ricana brièvement avant de planter son regard dans celui de l'intéressé.

"La garde hein? De mauvais souvenir? Pourquoi ne voudrais tu pas que je le sache sachant que j'en faisais moi même partie..?" Reprit-elle alors pour le titiller un peu. En réalité, elle ne voulait pas vraiment savoir. Morgane était bien placée pour comprendre que l'on ne veuille pas parler de certaines choses. Mais elle était d'humeur joueuse. Et il restait de toute façon libre de révéler ses raisons. Ou pas. Personne ne le forcerait ici, de toute évidence. "Nous nous sommes peut-être rencontré à la caserne. Ou lors d'une mission peut-être?" Si c'était bien lors d'une mission, ils avaient du souci à se faire pour retrouver où. Après tout, lui comme elle en avait sûrement fait tellement qu'il leur était impossible de se souvenir de la totalité d’entre elles.

Son regard se reporta sur son verre, qu'elle tenait fermement entre ses mains, posées sur la table. Elle ne pu s'empêcher de se demander pourquoi la plupart du temps, ses discussions tournaient autour de son passé dans la garde. Comme si ce dernier voulait constamment se rappeler à elle comme une ombre.