Je posai le pied dans l’herbe verte qui se répandait à perte de vue devant moi. Les alentours de Manillam exhalaient un parfum de campagne et de ferme qui tranchait nettement des senteurs de la ville que je venais de quitter. Bien que vivant à l’écart de la capitale, j’y passais tellement de temps que je n’avais que peu de moments de répit pour apprécier la verdure de ma demeure. Je n’avais pas vu la couleur des rosiers de mon jardin depuis de nombreuses lunes. Il faut dire que j’avais accumulé une masse de travail absolument faramineuse. Entre mon nouveau partenariat avec Althaïr, la croissance exponentielle d’Avalon et mes tâches de trésorier pour le Trône, je commençai sérieusement à ne vivre qu’au travail. N’allez pas croire que cela me dérange ou que je me plaigne de ma situation, elle est très confortable. Mes finances n’avaient jamais été aussi prolifiques et mon esprit était désormais à l’abri de l’ennui. Non, je dirais que je vis pleinement ma vie ces jours-ci.

Je m’avançai à l’extérieur, laissant l’air frais balayer mon visage. Le voyage avait été long, mais j’étais content d’enfin pouvoir marcher hors de la cabine. Mon cochet fit s’avancer la voiture pour la garer à notre auberge. Je n’étais pas là en vacances, mais pour le travail évidemment. Après m’être assuré que mes serviteurs avaient bien réglé les modalités de mon séjour, je passai le personnel de l’hôtel à l’inspection de mon monocle. Aucun d’entre eux ne me prêtait une apparence trop extravagante pour mon plus grand soulagement. J’avais déjà dû passer la nuit dans une auberge ou absolument tous les serveurs me voyaient comme une magnifique danseuse aux formes généreuses et mes repas s’étaient transformés en séance de drague lourde. Un vrai cauchemar.

Le soleil brillait au-dessus de nous, dardant ses rayons dévastateurs de début d’après-midi, quand je sortis enfin de l’auberge. Il allait être temps de régler ce pour quoi j’étais venu. Accompagné de deux de mes hommes, j’empruntai une allée à l’écart pour rejoindre ce cher faussaire qui ne donnait plus signe de vie depuis quelques jours. Il était un élément central du trafic d’art que j’essayais de mettre sur pied depuis des semaines. J’avais mon expert, mon transport, il ne me manquait qu’une personne capable de produire des contrefaçons convaincantes pour les plus grands spécialistes. Mais il semblerait que mon récent candidat ait préféré faire la sourde oreille après avoir encaissé mon argent.

Nous arrivâmes à sa boutique miteuse. De l’extérieur l’établissement ressemblait à une baraque pourrie, mangée par les termites et je savais que l’intérieur s’accordait parfaitement à cette apparence. Un faussaire n’exerçait bien entendu pas dans un palace magnifique, bien que son activité lui rapporte des sommes conséquentes. Il devait sûrement avoir un petit pied à terre quelque part dans les environs, probablement dans un endroit plus riche et moins mal famé. J’entrepris de toquer à la porte d’un geste vif et précis, tout en enfilant ma bague. Je sentis le voile magique me recouvrir, dissimulant ma fausse apparence au profit de mon véritable visage. Ce n’était pas aussi puissant que le collier d’Ovide que je convoitai, mais cela me permettait de donner un visage reconnaissable à John Doe. C’était toujours mieux que les masques que j’utilisais par le passé.

Personne ne répondit et mon regard s’agaça. Il savait que je viendrais, mais je ne lui avais pas laissé le temps de prendre le large. J’étais donc sûr qu’il était à l’intérieur. Un frottement se fit entendre derrière le bâtiment et je soupirai bruyamment. Pourquoi faisaient-ils toujours ça ?

« Choppez-le, ordonnai-je à mes deux hommes. »

Ils se précipitèrent à sa poursuite et je n’eus pas longtemps à attendre avant qu’il me le ramène avec une jolie ecchymose pour décorer son visage. J’apposai délicatement la pointe de ma botte sur son visage en plongeant mon regard dans le sien. Une sueur froide dut lui couler dans le dos, car il pâlît immédiatement.

« John je …, commença-t-il à expliquer.

- Chuuuut ne dit rien, Gaspard, le coupais-je en posant un doigt sur ses lèvres pour l’empêcher de me sortir l’habituel baratin que me servaient mes collaborateurs trop vénaux pour être fiables. Je ne suis pas la pour écouter ce que tu as à dire. »

Il déglutit bruyamment.

« Et je ne suis pas non plus venu pour te tuer … enfin pas encore. »

Je caressai doucement son menton.

« Tu sais, j’avais beaucoup de projets qui reposaient sur toi, mais ils ont pris tellement de retard que je me suis inquiété pour ta santé …

- …

- Et quand je m’inquiète, c’est que l’argent ne coule plus …

- …

- Et quand l’argent ne coule plus, je peux passablement m’énerver … »

Je me relevai pour écrase son visage sous mon pied.

« Alors, explique-moi où sont mes tableaux. J’ai déjà 4 acheteurs qui viennent me demander où sont leur commande et une vente qui va bientôt foirer à cause du retard. (Je m’accroupis pour lui saisir les cheveux et relever son visage). Tu sais à quel point c’est difficile de se lancer sur un nouveau marché ? Tu veux que je commence mon commerce par une succession d’échecs cuisants ? Tout ça parce que tu as cru qu’un contrat avec Avalon pouvait être pris à la légère ? (Je lui écrasai le visage dans la boue). Tu te foutrais pas un peu de ma gueule là ? »

Il ne répondit que par un gémissement qui signifiait qu’il comprenait. De toute façon, il n’avait pas vraiment d’autre choix.

« Alors, retourne peindre tes copies à l’intérieur au lieu de courir les prostitués ! »

Je lui décochai un dernier coup de pied au ventre avant de laisser mes hommes le traîner dans son atelier. Je réajustai mon manteau. Mon ton était un peu monté vers la fin, sûrement la colère qui m’avait gagné. Un regard autour de moi m’indiqua que j’étais seul, parfait.

Je retirai mon anneau laissant mon pouvoir me recouvrir. Le voile blanc disparut sans un bruit et mon brouillard, enfin libéré, se mit à virevolter autour de moi. Ce petit jouet était bien pratique. J’enfilais mon monocle et me dirigeai vers la place centrale du village. Cependant, au moment où j’arrivais au coin de la rue j’entendis un bruit. Mécaniquement je tournai la tête pour voir deux enfants, cachés derrière un tonneau. Mon sang ne fit qu’un tour, avaient-ils entendu quelque chose ? S’ils venaient à parler de quoi que ce soit, j’allais être obligé de déplacer tout l’atelier ce qui me ferait encore accumuler du retard. Et merde …

Je m’approchais d’eux, d’après mon monocle, ils me voyaient comme un enfant de leur âge.

« Eh faut pas rester là, z’avez vu les méchants, c’est danzereux ! Maman me dit touzours qu’il faut pas ze promener izi, dis-je en zozotant à la perfection. »

C’était vraiment étrange à voir. Mon pouvoir pouvait parfois créer des absurdités vraiment hilarantes à observer de l’extérieur. Les deux gamins étaient convaincus que j’étais moi-même un enfant et donc, ils croyaient que j’avais leur taille. Difficile donc de regarder correctement leur visage alors qu’ils fixaient mon nombril avec insistance. J’étais obligé de baisser la tête, mais eux ne me regardaient pas, car pour eux, au niveau de ma tête, il n’y avait strictement rien.

Il semblerait que j’ai interrompu une petite dispute. Visiblement, ils ne se connaissaient pas puisque la petite fille avait senti le besoin de donner son nom. À première vue, je dirais que j’assistais à une embrouille de bac à sable autour d’un ballon, mais il semblerait que la situation était bien plus complexe. D’ailleurs, seule la fille plus âgée avait relevé mon avertissement, qu’elle avait totalement ignoré. Je disais ça pour lui sauver la vie, bien qu’elle ne le sache pas. Si jamais elle mettait son nez où il ne fallait pas et bien … n’y pensons pas voulez-vous ?

Je posai mes mains sur les hanches comme pour signifier que j’étais outré des accusations qui pesaient contre moi. Le jardin d’enfants était loin derrière moi et mon jeu d’acteur allait être assez limité. J’étais bien plus doué pour brûler les orphelinats que pour m’occuper de leurs habitants. Mes contacts avec les enfants sont donc assez … limités.

« Ze zuis pas complice je la connais même pas zette Chloe moi. Et puis t’es qui toi ? Elle a raizon t’as l’air zuper louche ! Ze zuis zur que t’es avec les méchants ! »

Je le montrai du doigt pour l’accuser comme l’insupportable gamine que j’étais. Autant me ranger du côté de Chloe, c’était elle qui était là en premier. Me ranger de son côté était le meilleur moyen de savoir si elle avait vu ou entendu quelque chose tout à l’heure. Et pour l’autre gamin et bien, on allait lui faire un peu peur.

« Ouai ma maman, elle m’a dit qu’ils ont retrouvé un type zigouillé dans zette rue l’autre zour. Zétais pas beau qu’elle dizait à la voizine. Mais moi z’ai pas peur alors ze zuis venu voir. Mais y a plus rien ! »

Je fis semblant de réfléchir à quelque chose avant de reprendre la parole.

« Enfin zi z’ai trouvé une tâche de zang entre les pavés. Ze zuis sûr que z’est là que le crime a été commit ! »

Je tournai mon regard froid et plein de sous-entendus vers le mioche qui avait levé ses poings. Il avait l’air d’avoir confiance en lui. Quoique … ses petits poings tremblants avaient l’air de dire le contraire.

« Z’ai pas trouvé d’indice, mais ze trouverai les mézants et ze les battrai ! Et toi comme t’es avec eux ze vais te battre auzzi. Z’est moi l’plus fort ! »

J’avais mangé la fin de ma phrase pour que l’accord de l’adjectif soit inaudible. C’était vraiment compliqué quand mes deux interlocuteurs ne me prêtaient pas le même sexe. Il fallait faire attention à chaque mot sinon cela créait un paradoxe. Je lui fis signe de venir se battre avec ma main.

« Va z’y j’tattends. J’fais t’faire dire où zont tes complices fripouille ! »

« Za zapelle un monocle et ze l’utilise pour voir plus gros et zerzer des indices parze que zai pas de loupe. Ze l’ai pris à mon papa. »

Voilà qui suffirait sûrement à expliquer la présence d’un tel objet sur mon visage. Il allait être temps de le ranger d’ailleurs, car cela nuisait grandement à mon déguisement. Je retirai le monocle que je rangeai dans ma poche ventrale. Pendant ce temps, la moutarde semblait monter au nez des deux gamins. Qu’il était facile de semer la discorde entre eux, s’en était presque ennuyeux tellement c’était facile. La petite aventurière semblait très intéressée par mon histoire de méchants qui tuaient des gens. Elle avait clairement un problème cette gamine, normalement un cadavre faisait fuir pas l'inverse ! Alors que dans son regard, je lisais une espèce d’excitation malsaine.

L’autre gamin braillait encore déclarant que j’étais un menteur et ses cris commençaient à attire un peu trop l’attention. Il allait me griller cet abruti.

« Moi ? Mentir ? Z’est parce que t’es qu’un gamin. Les zadultes ils raccontent pas za au gamin. Maintenant va zouer au ballon zinon ze te tappe. »

Je serrai mon poing devant son nez sans trop le menacer non plus, car on pourrait me voir et venir me demander pourquoi j’allais agresser un enfant. Heureusement pour moi, la petite fille essaya de nous en débarrasser en envoyant son super ballon se perdre sur les toits. Bien joué gamine ! Si tu étais ma famille je t’aurais bien acheté quelque chose pour te récompenser. Je croisais les bras sur ma poitrine et défiait le petit d’essayer une nouvelle fois de nous accuser de menteur.

« T’as vu on est plus grand on zai mieux que toi. Alors rentre chez toi zinon za va mal finir. »

J’attrapai le bras du gamin et le soulevai de quelques centimètres au-dessus du sol avec ma force d’adulte. Je ne le soulevai pas trop haut sinon mon pouvoir ne suffirait pas à leur faire croire que tout était normal. Je plantai mon regard dans le sien pour l’intimider.

« Eh mais attends ! Moi ze trouve za bizarre que tu dizes qu’il y a pas eu de meurtre. Ze zuis zur que z’est parce que t’es avec les mézants. Ma maman elle dit que le coupable revient touzours sur les lieux du crime. »

Je tournai mon visage vers la petite fille alors que l’autre gamin gigotait dans ma main sans pouvoir se défaire de mon étreinte d’adulte.

« T’en penses quoi Chloe, tu crois qu’il zait des chozes ? Moi ze dis qu’on devrait aller l’interozer dans la ruelle. Parce que tous les zadultes nous regarde. Il va zurement appeler zes complices et ils vont nous zigouiller aussi. »

Plus vite on partirait et moins j’avais de risque de me faire démasquer par un passant qui m’appellerait Monsieur ou Madame devant tout le monde. Je souris à la petite fille.

« Ze m’appelle Camille au faite »

Je finis par lâcher l’autre gosse qui s’agitait beaucoup trop pour être discret. Je ne voulais pas qu’il se mette à hurler à la mort ou à pleurer en pleine rue.

Oh misère, voilà qu’ils commençaient à chialer. Je me massai l’arrête du nez d’un air totalement désemparé. Mais qu’est-ce que les gens pouvaient trouver aux enfants ? Comment Ashley faisait-il pour supporter Mielle à longueur de journée. Regardez comme ils sont inconstants et stupides. J’aurais été presque fier de la gamine, si elle ne s’était pas mise à chouiner de regret après avoir remis ce morveux à sa place. C’était une bonne expérience pour lui au contraire, il fallait lui apprendre à quel point il n’était rien d’autre qu’un gueux bon à servir. Ne t’abaisse pas son niveaux Chloé ou tu vas perdre mon estime …

Je la regarde courir vers la maison en levant les yeux au ciel. Pauvre gamine, tu ne deviendras rien à avoir de la pitié pour les gens de basse extraction … Je me surpris à prier silencieusement Lucy pour qu’elle glisse sur une tuile et se rompt le cou. Je serais alors débarrassé de la plus gênante et je pourrai retourner à mes affaires. Malheureusement, elle n’avait pas menti et se débrouillait plutôt bien pour l’escalade, c’était bien ma veine …

L’autre gosse se mettait à hurler de plus en plus fort, et même si la rue était déserte, elle serait bientôt pleine de curieux attirés par ses cris. Un regard en coin m’indiqua que Chloé nous tournait le dos, essayant de trouver son équilibre pour rattraper sa connerie. Parfait.

Ma main glissa autour de son coup et je serrai doucement, plongeant un regard bien plus prédateur dans le sien. Faire tomber le masque l’espace d’un instant était libérateur je dois dire.

« Ecoute moi bien sale gosse, tu vas me faire le plaisir de fermer ta grande gueule, sinon je vais serrer jusqu’à ce que tu deviennes bl … »

Un nuage de fumée s’échappa du corps de l’enfant et je le lâchai de surprise. Un pouvoir ? Merde, pourquoi n’y avait-je pas pensé ? Une quinte de toux me pris m’empêchant de mettre la main sur lui. S’il s’enfuyait je n’aurais pas de choix que de disparaître et renoncer à mon interrogatoire de Chloé. De toute façon, je doutais qu’elle ait vu grand-chose.

J’arquais un sourcil lorsque la fumée se dissipa, dévoilant une sorte de modèle adulte du mioche. Ma main glissa machinalement à ma poche pour y récupérer mon monocle et confirmer cette hypothèse. Oui, il me voyait bien de la même façon que le gosse de tout à l’heure. Ce qui voudrait dire qu’ils étaient la même personne ? En voilà un pouvoir pas banal. Je fis un pas en arrière. S’il était un adulte déguisé en enfant, j’allais avoir de gros problème. Mon autre main glissa dans ma manche décrochant le poignard qui y était caché. Cela pourrait me faire gagner un peu de temps, s’il se mettait à m’accuser d’agression.

Mais il n’en fit rien au contraire, il semblait totalement perdu. Bordel, ça voulait dire quoi ? Ils étaient une seule et même personne oui ou non ? Je me détendis légèrement sans pour autant baisser ma garde, cachant mon arme dans ma manche.

« Te laisse pas avoir Chloé, c’est lui le gozze, dis-je en pointant l’adulte du doigt. Il z’est tranzformé en adulte devant moi. Regarde, ils zont les mêmes zhabits. Depuis le début z’était pas un enfant, mais un mézant déguizé, crais-je pour que toute la rue l’entende. Il voulait nous zoutirer des informations, mais il z’est démazqué. Il faut qu’on z’batte Chloé, arrête de pleurer, il nous za tous trompé. »

Je fis mine de serrer les poings et de me mettre en position pour me battre. Un peu gauche, mais avec de bons appuis. J’espérai attirer la gamine dans mon jeu. Si c’était le cas, il serait facile de provoquer un esclandre ou un adulte s’en prend à une enfant et de me débarrasser de cet espion. Je pourrai alors disparaitre sans un mot.

Je ne sais pas trop ce que j’espérais. Au début, j’avais pensé monter Chloé contre cet homme qui pouvait rajeunir et vieillir de la plus étrange des manières, mais j’avais oublié un détail crucial : les enfants sont stupides. Par la déesse, qu’ils sont stupides. Je regardais Chloé s’émerveiller pour un rien notant chacune des phrases idiotes qui sortaient de sa bouche. Elle était surement allée au désert volant dans ses rêves, personne de sensé ne laisserait une gamine de 10 ans prendre un ballon pour explorer une terre dangereuse et inconnue. Mais je ne voulais pas briser ses rêves de grandeur et d’exploration, sinon elle allait surement pleurer.

L’homme qui était apparut comme par magie ne semblait se souvenir de rien. Tant mieux pour moi, si l’autre gamin lui avait expliqué que j’avais essayé de l’étrangler j’aurais été dans de beaux draps. Si au départ je voulais m’assurer que les deux n’avaient rien vu de mes activités, j’étais maintenant certains qu’ils n’avaient absolument rien vu du tout et que perdais donc un temps précieux à jouer le gamin zozotant. Il allait être temps de m’éclipser d’une manière ou d’une autre. Mais comment faire ?

« Mon pouzoir ? Mou z’ai une zuper forze, dis-je d’une voix calme. »

Innocemment, je glissais mes mains sous les aisselles de la petite Chloé et je la soulevais sans grand effort de quelques centimètres au-dessus du sol. Cette action n’avait rien de bien impressionnant pour un adulte, mais pour un enfant c’était plutôt inhabituel. Comme ça elle finirait par me lâcher un peu avec mon pouvoir et s’intéresserait plutôt à celui de Nikolas. D’ailleurs elle recommençait déjà à lui poser des questions. Je rangeai mes poings, voyant bien que je n’arriverai à rien avec cette méthode.

« Nous on allait zerzer les mézants pour les défonzer. Mais y Nikolas qui est venu nous dire que z’était nous les méchant, mais z’est faux. Il arrêtait pas de pleurer parze que z’est qu’un gamin et que za maman elle lui dit rien du tout. Mais moi ze zait qu’il y a eu un meurtre izi. Et on va trouver le coupable ! dis-je fièrement à l’adulte. »

Si avec ce que je venais de dire il n’essayait pas de nous en empêcher, je pense qu’on pourrait lui décerner la palme de l’indignité avant la fin de la journée. On ne laissait pas les enfants se promener dans les rues à la recherche des criminels n’est-ce pas ? Ils pourraient faire de mauvaises rencontres. Si j’avais de la chance, ce type finirait par faire comprendre à Chloé qu’elle ne devait pas me suivre et je pourrais en profiter pour m’éclipser discrètement.

« Oui on ira zoué avec lui, mais moi ze veux trouver les mézants d’abord. Z’est pour za que ze zuis venu au début. On fait rien que dizcuter et pleurer depuis tout à l’heure. On perd notre temps, les mézants ils z’ont dézà parti là. Viens Chloe, il faut qu’on se dépèze si on veut trouver des zindices ! »

Je désignai la ruelle derrière moi tout en sortant mon monocle tel un détective. Il y avait encore un peu de sang sur les pavés, de quoi inquiéter cet homme qui n’en était peut-être pas un.

Ils n’allaient pas me lâcher. Impossible, de m’en défaire. La gamine me fixait comme si j’étais un dieu vivant et l’homme me regardait comme un orphelin perdu. Aucun d’eux n’allait me laisser partir. Et voilà la rue qui se remplissait de plus en plus. Si Nikolas commençait à poser des questions autour de lui, je pouvais être certain que mon réel pouvoir allait être révélé. Il était très improbable que tout ce village me voie comme un enfant. Il y aurait bien un péquenaud pour voir une belle femme ou un vieux monsieur.

Il allait falloir que je trouve un moyen de m’extirper de cette situation. Il fallait commencer par se débarrasser de l’un d’eux. Peut-être devrais-je commencer par la gamine ? Hum, non, impossible de s’en défaire sans attirer l’attention. J’allais donc commencer par le faux enfant. Si j’arrivais à lui échapper, je pourrais toujours semer la gamine avec ma vitesse d’adulte. En une enjambée, je faisais bien trois des siennes, rien ne serait plus facile. Parfait …

« Ma maman z’est la zolie dame là, dis-je en pointant derrière son dos. »

Dès qu’il eut tourné la tête, je joignis mes doigts et frappai de toute mes forces avec mon poing dans son entre-jambes. Si avec ça il arrivait encore à courir … Sans même regarder sa réaction, ou apprécier sa déveine, je pris mes jambes à mon cou, m’enfuyant dans la ruelle d’où je venais. J’essayais de mettre le plus de distance entre moi et ces deux boulets qui me tenaient la jambe depuis une heure déjà. Je tournai à l’angle de la rue et commençait à décrire un chemin des plus erratique pour semer la gamine qui n’avait pas dû manquer de me suivre. Il n’y avait aucune chance qu’elle me rattrape maintenant.

Je fis une pause entre deux caisses posées à l’arrière d’une taverne, mains sur les genoux. Un regard aux alentours m’indiqua que j’avais réussi à fuir. Cette journée était décidément une vraie farce. Je me redressai, réajustai mes vêtements et repris la direction de l’atelier où j’avais laissé mes hommes et mon faussaire. J’avais encore bien du travail à finir.

J’étais presque arrivé à l’atelier quand ma manche se prit dans une planche de bois laissée à l’abandon et se déchira sur la moitié de sa longueur. Je tirais dessus pour me dégager, mais je ne réussis qu’à écharper davantage mon vêtement.

« Par la déesse, vais-je enfin pouvoir retourner à mes affaires, pestai-je contre le destin qui faisait tout pour me retarder. »

Ma manche se dégagea enfin, mais un morceau resta accroché à la planche. Je levai mon bras pour observer l’état lamentable de mon habit et dans un soupir je repris la direction de mon repaire. La tache de sang était encore bien visible dans le sable et je l’effaçai d’un geste rapide du pied. Elle était encore un peu visible, mais personne ne ferait attention à quelques gouttes carmin dans un l’océan sablonneux de la ruelle. J’atteignis enfin la porte de l’atelier que j’ouvris prestement, poussant un soupir de soulagement quand la porte se referma sur moi. Ma main glissa dans ma poche et j’y récupérai ma bague que j’enfilai dans la foulée pour couvrir la fumée magique qui formait mon pouvoir, désactivant son effet.

« Bien, dis-je, j’espère qu’il s’est mis au travail … »

En poussant la porte de la salle de travail, je pus en effet constater que les fausses peintures avaient repris. Un sourire satisfait se dessina sur mon visage. Bien, au moins quelque chose tournait rond aujourd’hui. Mes deux hommes et le faussaire m’adressèrent un regard interrogateur, mais je le leur rendis d’une telle façon qu’ils ne posèrent aucune question. Je m’assis pour contempler la copie que l’artiste était en train de réaliser. Machinalement, j’attrapai mon monocle et … Attendez, où est-il passé ? Je l’ai perdu dans ma course ?

« Put … »