Après tout, son ami, le grand Herlock Sholmes, avait perdu. »
Soupirant bruyamment, Klarion froissa le journal qu’il tenait entre ses doigts avant de le jeter dans une poubelle. Complètement congelé et couvert de givre, le tas de détritus laissa rebondir la boulette de papier journal que le phytomancien avait lancée, la laissant mourir sur la neige brune et boueuse de la route pavée. De nouveau agacé, le jeune homme ramassa le journal pour, cette fois, se diriger vers un brasero entouré de plusieurs badauds. Leurs visages inexpressifs, endoloris et fatigués par le froid, traduisaient de longues heures passées sous la neige bien avant que le soleil ne perce l’horizon et un travail acharné qui, pour un jour, leur aura brisé les épaules. Les pauvres restaient là, à tenter de réchauffer leurs doigts frigorifiés, tremblotant, trop faibles pour faire ne serait-ce qu’un pas et rentrer dans leur bicoque branlante. Le journal tomba dans le brasero et s’enflamma, ne leur apportant pas plus de chaleur ni de réconfort…
Klarion non plus n’avait pas plus de réconfort pour oublier la caresse mordante du froid sur ses joues. Le journal dans lequel il avait lu son feuilleton datait de la semaine dernière et il fallait donc qu’il se procure la parution actuelle pour avoir la suite. Les Aventures du grand détective Sholmes faisaient fureur ces temps-ci, dernière grande mode de l’intelligentsia de la Capitale, et il fallait avouer qu’elles étaient de l’ordre du bon passe-temps. Klarion s’était laissé prendre au jeu, malgré le fait qu’il trouve ces histoires un peu trop fantasques. Néanmoins, il avait grande peine à attendre et les aventures de Sholmes n’arrangeaient rien son impatience. Il n’avait pas eu le temps de chaparder quoi que ce soit en arrivant à la Forteresse, ni sur le chemin depuis la Capitale. Partir en catastrophe n’avait pas arrangé les choses, mais il n’avait pas vraiment eu le choix. Depuis qu’il avait assassiné le parrain mafieux Don Marcel, avec le concours de l’horrible Cour des Griffons, secte sordide et terrifiante, l’éco-terroriste avait décidé de passer quelque temps loin de la grande ville afin que les choses se tassent. Tout le monde là-bas savait qu’il était responsable de la chute de Marcel, et ses anciens sbires qui avaient entendu Klarion se vanter d’avoir la Cour dans la poche faisaient déjà courir le bruit qu’il était leur allié. Il fallait qu’il s’en aille une grappe de semaines pour avoir la paix et laisser aux Griffons le soin de faire le grand nettoyage pour faire taire les importunés. Klarion savait que, de toute façon, ces oiseaux de malheur reviendraient tôt ou tard.
Il avait trouvé une caravane et, sous les suggestions d’Aord, il était parti vers la Forteresse où son bien-aimé était supposé le retrouver aujourd’hui. Faisant les cent pas sur l’esplanade des portails de téléportation, il attendait le thanatopracteur qui avait insisté pour qu’ils se rendent dans cette cité glacée et non une destination qui l'attirait davantage, comme le Village Perché. Qu’est-ce qu’Aord avait derrière la tête pour lui faire traverser le pays ainsi dans une contrée aussi hostile ? Ici, les plantes raisonnaient différemment. Elles chantaient moins, parlaient de façon plus concise, économisaient leurs forces pour résister au froid. Elles le faisaient d’ailleurs bien mieux que les humains. Ici aussi, ces derniers auraient beaucoup à apprendre de la flore. Mais la neige et la glace les aveuglaient, c’est à peine s’ils les voyaient…
Non loin de l’esplanade, Klarion remarquait un petit attroupement autour d’un marchand ambulant distribuant du vin chaud aux épices et du cacao des îles au lait chauffé, pour réchauffer le cœur et l’esprit. Emmitouflé dans une grande cape doublée de fourrure, le beau zyeutait de loin l’inventaire de son stand, mais il ne remarquait pas de journaux. Il devrait encore attendre pour avoir la suite de son feuilleton… En attendant, Klarion observait la fine pluie de flocons tombant devant ses yeux. Il devait en avoir plein la tignasse, de petites paillettes venues des nuages se mêlant à ses mèches d’encre. De la buée sortait de sa bouche à chaque expiration et, même s’il pouvait rabattre sa capuche pour se protéger de la pluie cristalline, il n’en avait pas plus envie que cela. Il demeurait là, seul dans ce monde hivernal, à attendre la seule personne capable de lui procurer un peu de chaleur.
Un portail finit par s’ouvrir sur l’esplanade, plusieurs personnes en sortant à la suite à intervalles réguliers. Portant son attention sur le flot humain sortant de de l’ondulation magique, Klarion scrutait chaque visage, espérant à chaque sortie de pouvoir enfin le retrouver.
Aord, es-tu là… ?
Aord sortit de sa contemplation des grandes arches des portails de téléportation pour regarder l’homme qui s’était adressé à lui. Comme tout le monde, il faisait la queue pour embarquer vers la forteresse. Le frère ne comprit d’abord pas pourquoi on lui faisait cette proposition.
« Pourquoi j’aurais besoin … demanda-t-il incrédule.
- Pour porter votre bagage. Ça ne doit pas être facile avec votre bras. »
Aord regarda son impressionnante valise qui trônait à ses pieds attendant que son propriétaire daigne se baisser pour la ramasser. Voilà dix bonnes minutes qu’il ne la tenait plus en main tellement son poids pesait sur son épaule blessée. Il était sorti de l’hôpital la veille, après deux bonnes semaines de convalescence. Les compétences des médecins de l’Astre n’étaient plus à prouver, mais sa blessure était tellement grave à l’arrivée qu’il n’avait pas pu quitter son lit durant toute sa convalescence.
Naya sauta sur son épaule en piaillant, faisant sursauter le bon samaritain. Elle ne l’avait pas quitté durant tout le temps qu’il avait passé à l’Astre. Des fois, il se réveillait la nuit pour la voir endormie sur les couvertures et sa présence lui réchauffait un peu le cœur. Il ne se souvenait pas vraiment de ce qu’il s’était passé lors de l’attaque contre Don Marcel. On lui avait dit que le parrain avait été retrouvé mort ainsi que plusieurs de ses sbires, mais Aord ne savait pas ce qui les avait tués.
Il était inquiet pour Klarion. Depuis cette horrible soirée, il n’avait pas pu le voir. En se réveillant le lendemain, il n’avait laissé qu’un mot alors que tout le monde lui courrait après dans la capitale. Il devait se faire oublier, car tout le monde le croyait responsable de ce massacre. Aord ne voulait pas le croire même si, en son for intérieur, le doute subsistait. Avait-il vraiment massacré tous ces hommes ? Avant de fuir la cellule, il lui avait dit qu’il s’était allié à quelqu’un, mais qu’il ne pouvait pas lui en dire plus.
Le citoyen sembla s’impatienter face à lui et Aord se rendit compte qu’il était encore parti dans ses pensées.
« Euh, oui du coup je veux bien de votre aide. »
Il était temps car le portail s’ouvrit et la file de voyageurs se mit en mouvement. Il n’y avait pas trop de monde puisque la Forteresse n’était pas une destination de rêve pour les habitants de la capitale, mais pour Aord, c’était la cité qui l’avait vu grandir. Son cœur battait la chamade quand il s’approcha du voile magique qui allait le transporter à des lieux de là. Avant, il n’aurait pas eu les moyens de se payer pareil moyen de locomotion, mais il devait avouer que la vie au sein de l’Astre payait bien plus que la vie de prêtre.
Le frère fit un pas en avant en fermant les yeux, rassemblant tout son courage pour traverser le portail. Etrangement, il ne sentit rien du tout, pas de sensation de chute ou de nausée. Seule la température chuta drastiquement. Il sentit le froid du Nord avant même d’ouvrir les yeux pour contempler les rues de pierre de sa ville natale. Cela faisait si longtemps qu’il n’était pas revenu et pourtant elle n’avait pas changé. Le grand Nord n’était pas fait pour tout le monde et la plupart des voyageur grelotait déjà dans leurs habits trop chauds, contrairement au frère qui connaissait ce climat par cœur.
« Vous logez où ? »
Aord s’extirpa une nouvelle fois à sa contemplation pour regarder le voyageur qui tenait encore sa valise.
« Oh vous pouvez la laisser-là. Merci pour votre aide, quelqu’un est supposé venir me chercher. »
Il lui adressa son plus beau sourire en lui donnant un petit cristal pour le dédommager. L’homme déposa sa valise et s’en alla rejoindre son auberge. Aord se retrouva seul avec la petite Naya qui glissa dans son cou pour se protéger du froid, arrachant un sourire à son maître.
« Eh oui Naya, c’est ici que je suis né ! »
Il parcourut la place du regard à la recherche d’un visage familier. Il ne l’entendit pas arriver, mais il sentit son parfum fleuri flotter dans son dos et ses mains se glissèrent autour de lui. Instantanément, Aord se relaxa, se laissant aller contre lui, épuisé sans trop savoir pourquoi. Il se rendait seulement compte à quel point il lui avait manqué.
« Bonjour toi, souffla-t-il avant de se retourner pour embrasser son amant. »
Aord s’écarta pour le contempler. Il avait l’air sur les nerfs ou alors ce n’était que son imagination ? Il caressa sa joue et Naya en profita pour glisser sur sa main afin d’aller faire un bisou gluant au phytomancien. Aord rit doucement.
« Eh bien, vous êtes devenu les meilleurs amis du monde, on dirait ! s’exclama-t-il tout joyeux. Alors, tu la trouves comment ma ville natale ? Pas très fleuries n’est-ce pas ? Et pas très accueillante non plus ? T’en fais pas, je connais les bons endroits pour se réchauffer. »
Il lui adressa un clin d’œil plein de sous-entendus avant de désigner sa valise du bout du nez.
« Tu peux m’aider, ma plaie vient juste de cicatriser. »
Il laissa Klarion prendre sa valise d’une main et lui prit la main de l’autre. Doucement, ils marchèrent vers un café qu’Aord connaissait bien. Spécialisé en pâtisseries en tout genre, il était renommé dans tout le grand nord. Aord avait du mal à marcher, deux semaines de lit et il n’arrivait pas vraiment à se remettre. Il s’appuyait donc sur son compagnon autant que possible.
« Désolé, je suis pas encore très bien remis de mes blessures. Les médecins m’ont fichus à la porte pour que je prenne du repos quand je leur ai dit que je voulais reprendre le travail … »
Il adorait passer du temps avec Klarion, mais il avait trop de soucis dans la tête pour faire comme si rien ne s’était passé. Ils n’avaient communiqué que par correspondance depuis un moment et Aord avait attendu qu’ils soient tous les deux réunis pour évoquer le sujet.
« Dis Klarion, à propos de ce qu’il s’est passé … la garde m’a expliqué qu’ils les avaient retrouvés … est-ce que c’est … toi qui les a … »
Il n’arriva pas à finir sa phrase, ayant trop peur de poser la question.
- Je ne les ai pas tués. Le cadavre que tu as ranimé les a envoyé valser mais… s’est vite désagrégé, tu étais dans les vapes. J’ai pu atteindre Marcel, et je l’ai tué. C’est le seul à qui j’ai pris la vie. Le reste… Hé bien, tu as promis de ne jamais me demander au sujet de ceux qui m’ont donné le cristal. Tout ce que je peux te dire, c’est qu’ils m’ont repris le cristal, qu’ils ont fait le ménage, et qu’ils le font encore. Mais je ne veux plus en parler, tu… tu as promis… !
Un soubresaut se fit entendre dans la voix de Klarion, comme un violon qui manque son accord et se met à trembloter. Ses yeux se couvraient d’un voile humide, lui faisant remémorer la frayeur qu’il avait eu cette nuit de perdre Aord. Il ré-entendait les rires stridents et insupportables du Chambellan et de l’Ingénieur de la Cour, il revoyait leurs regards emplis de flammes infernales. Le souvenir à nouveau bien net en tête, Klarion savait pertinemment que les Griffons se tourneraient à nouveau vers lui un jour. En attendant, il voulait à tout prix épargner Aord et l’éloigner de ces démons. Il ferma les yeux avant d’inspirer profondément, renvoyant ces images fugaces vers le néant, prenant une intense bouffée de froid dans les narines pour le ramener sur terre. Il ouvrit à nouveau les yeux. La silhouette de celui qu’il aimait se dessinait devant lui avant de devenir, peu à peu, de plus en plus nette.
- À l’hôpital, un ami à toi n’a pas cessé de me faire des remontrances. Il toussait sans arrêt, parfois du sang, et faisait de moi la cause de tes malheurs. Il m’a blâmé pour ta condition, tes blessures, ne voulait plus que l’on soit ensemble… Je ne lui ai rien fait, mais je n’aime pas que l’on me manque de respect.
Klarion soupira à nouveau. N’ayant aucune idée vers où Aord comptait le mener, le pauvre garçon ne pouvait pas ouvrir la marche. Contrarié et attristé, il fit quelques pas vers un banc couvert de glace et de neige avant de s’asseoir sur l’une de ses extrémités, où le bois était juste givré et non enseveli sous un lourd manteau blanc.
- Je ne connais pas son prénom, il a refusé de se présenter, mais il n’apprécie pas que l’on soit ensemble, je suppose que vous avez dû en parler durant ta convalescence. Je suis navré pour lui, surtout si c’est un proche de toi, mais je ne compte pas lui donner gain de cause. Mais je ne me laisserai pas non plus insulter éternellement par quelqu’un qui ne me connaît pas, et refuse d’apprendre à le faire ni voir la vérité.
Deux enfants passèrent près d’eux en gazouillant gaiement, des petites chopes de chocolat chaud entre leurs moufles. L’un des deux, sans doute le plus jeune vue sa taille, culbutait parfois de côté et ôtait régulièrement ses lunettes afin de vérifier si elles ne se couvraient pas de givre, ses lèvres couvertes d’une fine pellicule de boisson brune. L’autre petit, une fillette aux nattes sortant de sous sa toque, finit par lui prendre la main pour le guider sur les pavés. Tous deux retournaient vers leur mère, en grande discussion avec une vieille dame dans un long manteau de vison. Une fois les enfants passés, Klarion se releva doucement, secouant sa cape pour faire tomber la neige qui s’était collée dessus. Ses cheveux étaient de plus en plus parsemés par de petites paillettes blanches, scintillant parmi ses mèches de jais. Se rapprochant d’Aord, il laissa tomber sa tête contre son cou, inspirant un peu de son odeur pour faire passer sa peine.
- J’ai juste envie d’être avec toi. J’ai envie de construire des choses avec toi, de commencer à vivre avec toi… Je veux oublier ce qu’il s’est passé, et… ceux de la promesse.
Il releva la tête sans s’éloigner du prêtre, voulant garder une certaine proximité avec lui. Klarion faisait, en plus de cela, attention à ne pas bousculer son bras, pas complètement soigné, qui pouvait le faire souffrir au moindre choc. Il lui prit sa main libre, remarquant que Naya essayait d’attraper chaque flocon passant à sa portée. La petite gluante était comme fascinée par la neige qui tombait, comme un chat captivé par un nouvel élément de jeu à peine découvert. Il releva les yeux vers ceux de son amour, plongeant son regard dans le sien :
- Je ne sais pas où tu veux aller, mais je commence à avoir un peu froid. Si on se mettait en route ?
Non loin d'eux, les enfants avaient terminé leur tasse de chocolat, tous content. Du chocolat chaud, Klarion n'en avait jamais bu...
« Pardon Klarion, je … je n’aurais pas dû. Je … comme j’étais cloué au lit, j’ai passé mon temps à réfléchir à ce qu’il s’était passé, je ne voulais pas … »
Il serra sa tête contre lui.
« C’est fini maintenant, on n’en reparlera plus, dit-il en déposant un baiser sur ses cheveux. »
Il était un peu rassuré. Il savait que Klarion s’était sali les mains, mais il avait eu peur qu’il fût à l’origine du massacre, mais il n’en était rien. Il serait très mal venu pour Aord de lui faire la morale, alors qu’il avait déjà tué pour protéger une personne qui comptait pour lui. Ce n’était pas juste de s’en prendre à Klarion, mais il y avait eu tellement de morts …
Les yeux d’Aord se perdirent dans le vide, ne voyant même pas les enfants jouer et boire leur chocolat. Il y avait autre chose que Klarion avait dit. Il avait dit qu’Émilien lui avait demandé de le quitter. Aord ne connaissait qu’une personne qui pouvait tenir à lui et tousser du sang à chaque phrase. Comment le prêtre avait appris pour lui et Klarion ? Jamais, au rand jamais il n’en avait parlé à qui que ce soit. Ce n’était pas quelque chose dont il pouvait parler librement à son entourage. Ce constat ne fit que renforcer l’inquiétude du religieux qui n’en pipa pas un seul mot à son compagnon. Ils avaient assez souffert ces derniers jours. Le frère gardait cependant à l’esprit qu’il devait aller interroger son mentor, car quelque chose clochait.
Il frotta le bras de Klarion pour le réchauffer.
« Bienvenue chez moi, dans le Grand Nord, dit-il en souriant. On n’ira t’acheter quelque chose d’encore plus chaud après qu’on ait visité l’endroit que je veux te montrer. Si tu dois rester ici, je ne veux pas que tu gèles sur place ! »
Il se penche pour l’embrasser provocant l’hilarité des enfants.
« Oh les zamoureux ! »
Aord sourit et se leva du banc, tirant son amant par la main pour lui intimer de le suivre. Il était temps de prendre un peu de bon temps en sa compagnie, d’oublier le passé, leurs problèmes … Aord voulait lui faire visiter le foyer de son enfance en esquivant soigneusement ses parents, si possible. Son père étant dans la garde, il craignait qu’il reconnaisse Klarion au premier coup d’œil.
Aord guida son aimé dans les rues pavées de la forteresse. Rien n’avait changé ici, tout était figé dans la glace et la pierre, constant et immuable. Aord passa devant une boulangerie où il adorait venir, étant plus jeune, pour se gaver de viennoiseries et autres sucreries qu’on offrait aux enfants pour ne plus les entendre râler. Il y allait souvent avec sa sœur … Un voile de nostalgie se glissa dans les yeux d’Aord quand ils arrivèrent au fameux café qu’Aord voulait monter à Klarion.
« Et voilà la meilleure adresse de la forteresse pour se détendre autour d’un bon chocolat chaud. Allez viens on va s’asseoir à l’intérieur. »
Aord poussa la porte de l’établissement et un vent chaud et réconfortant lui balaya le visage. La salle n’avait rien à voir avec un café de la capitale. Les tables étaient agencées autour d’un âtre central qui réchauffait la pièce très efficacement. Le mobilier était rustique et on avait bien plus l’impression d’être dans une taverne que dans un salon de thé. C’était le charme du Nord, tous les intérieurs se ressemblaient. Sauf bien sûr les établissements les plus huppés qui se mettaient en quatre pour accueillir une clientèle de sudiste qui de toute façon ne viendrait pas.
Aord choisit une table près du feu et s’assit en déposant Naya sur la table. La petite slime s’étira, ce qui, il faut le dire, était vraiment très amusant à regarder. Aord attrapa une carte et l’ouvrit pour voir ce qu’ils proposaient. Cela faisait bien longtemps qu’il n’était pas revenu ici.
« Ça ne paye pas de mine , mais je t’assure que c’est ici qu’on sert les meilleures pâtisseries de toute la forteresse. Inutile d’aller dans les salons huppés des quartiers du cercle intérieur pour se faire plaisir. Je venais souvent avec ma sœur avant de partir pour le temple … »
Encore une fois, une vague de mélancolie habita son regard jusqu’à ce qu’il se ressaisisse et repousse les vieux souvenirs au fond de son être.
« Je te conseille leur chocolat avec une touche de crème fouettée, il est excellent. »
Aord leva les yeux de la carte et planta son regard dans celui de Klarion. Doucement, il fit glisser sa main sur la table pour prendre la sienne.
« Tu sais Klarion … je suis vraiment heureux d’être ici avec toi. Ça me touche que tu sois venu jusqu’à la forteresse. »
- Du chocolat chaud… Je n’en ai jamais bu, je ne sais même pas quel goût ça a.
Il repensait aux enfants devant le portail de téléportation, ils avaient l’air de bien apprécier leur boisson. Du chocolat, Klarion en avait déjà mangé après quelques séances de chapardage. Mais ces carrés noirs avaient été d’une amertume extrême, bien loin de ce qu’on avait pu lui vanter. Il fixait la carte du restaurant d’un air totalement désintéressé, passant des thés aux herbes aux chaussons crémeux, des tourtes de viande jusqu’aux fruits pochés. Le salon proposait, curieusement, quelques spécialités salées, mais elles étaient bien minoritaires comparée à la liste de plats sucrés qui s’étalait sur toute la carte. Le phytomancien choisit de suivre son amour et de commander un chocolat à la crème, curieux de goûter enfin cette spécialité du nord. Il n’arrivait pas à sortir de sa tête ce qui s’était produit à la Capitale et l’avait forcé à temporairement s’en éloigner. Klarion se devait de penser à autre chose. Il écarta la carte avant de reporter son regard vers Aord. Ce dernier fit pareil, au même instant, avant de glisser sa main dans la sienne.
Les yeux de topaze d’Aord brillaient d’une subtile étincelle. Pour Klarion, le sourire du prêtre devint subitement bien plus chaleureux que l’âtre à leur côté, lui procurant une intense bouffée rassurante depuis son cœur. Sa main était toute douce et le contact avec ses doigts et sa peau était si agréable. Klarion aussi était heureux d’être là. La situation semblait si irréelle pour être vraie, le garçon ne réalisait pas encore qu’il était là, loin des problèmes de la Capitale, avec l’homme dont il était amoureux. Il n’appréciait pas spécialement le climat glacial de la Forteresse, et tout ici semblait plus bourru ou barbare que dans le sud. Mais tout ce qui lui importait pour l’instant, était la présence d’Aord et le fait qu’ils soient enfin tous les deux, en paix.
- Moi aussi je suis heureux d’être avec toi. Je serais allé où tu voulais de toute façon, mais je suppose que tu n’as pas choisi la Forteresse au hasard.
Aord avait mentionné sa sœur en arrivant dans le salon de thé. Klarion réalisait que son compagnon était en plein retour aux sources, revivant d’anciens souvenirs avant son départ au temple. De plus, le phytomancien vint à penser que le prêtre ne lui avait parlé qu’assez peu de sa famille. Il avait vu des souvenirs d’Aord en leur compagnie via son étrange grimoire ancestral, notamment certains où il usait de son pouvoir de nécromancie sur des victuailles organiques. Mais, hormis cela, il ignorait tout de la situation de la famille d’Aord, où étaient-ils, s’ils étaient encore en vie, s’ils avaient connaissance des activités ou de la situation d’Aord… Klarion était curieux, mais il n’avait pas non plus envie de faire une erreur en demandant après eux. Peut-être qu’il allait en apprendre plus durant la suite de leur séjour ?
- Et… Où allais-tu avec tes parents ? S’enquit Klarion.
Avant même qu’Aord n’ait l’occasion de répondre, une serveuse potelée arriva avec leurs commande. La dame posa devant Klarion une grande tasse coiffée d’une gerbe de crème blanche saupoudrée d’une fine couche de cannelle. Ne sachant trop comment appréhender la chose, le jeune homme attrapa la cuillère qu’on lui avait servi avec la tasse et entreprit de manger un peu de la crème fouettée avant de boire. La crème sucrée chatouilla le palais de Klarion, légère et aérienne. Il fit bien attention de ne pas s’en maculer les lèvres pour ne pas avoir l’air d’un gamin. La crème légèrement écartée du chemin, il put prendre sa tasse pour, enfin, goûter au chocolat. La boisson chaude entrant en contact avec ses papilles, Klarion ne ressentit pas la même amertume qu’auparavant. Le chocolat avait la douceur du miel et la même volupté que sa crème. Et, bien qu’elle fut bien moins agréable que le sourire de son amour, la chaleur du mélange lui déglaça les os. Profitant de sa gorgée, Klarion rabaissa sa tasse avant de fixer le chocolat brun, laissant échapper une fine fumée entre les trous de crème.
- Quel étrange endroit… Pourquoi les humains, si faibles, vivraient ici, là où les plantes, si fortes, demeurent dormantes ?
Il essayait, à nouveau, de penser à autre chose. Cette fois, l’esprit de Klarion n’était pas embrumé par la Cour des Griffons, mais par la famille d’Aord. S’il le menait jusqu’à eux, comment les proches du prêtre réagiraient-ils en voyant un des plus grands ennemis de la Couronne à son bras ? Son ami cracheur de sang avait été suffisamment clair, à l’hôpital. Mais qu’adviendrait-il de sa famille ? Il ne pouvait décemment pas intimider le père ou la mère d’Aord comme il pouvait le faire face à un religieux trop intrusif. Il ne voulait pas que la famille d’Aord réagisse mal, quoi qu’il se passe. Tentant de se rassurer, il reporta à nouveau son regard vers son aimé, espérant que tout ceci n’arrive pas.
- Ce que j’ai dit, je le pensais. J’ai envie de construire des choses avec toi, même si… même si je suis un hors-la-loi, même si je suis en guerre contre le monde. Je t’aime, et j’ai envie de rester avec toi.
« Je … je sais que ça fait une sacrée route pour toi d’être venu jusqu’ici. C’est juste … qu’après tout ce qui m’est arrivé … nous est arrivé, je voulais revenir ici parce que … quand j’étais ici, tout allait bien. Je n’avais aucun souci avant que … »
Il s’arrêta, incapable d’en dire plus. Après toutes ces années, après tous ces efforts, la mort de sa sœur restait un point délicat. Mais il n’était plus un ado perdu qui se saoulait entre les prières pour oublier.
« Depuis la mort de ma sœur. Je ne suis revenu que quelques fois, tu as vu comme le voyage est long sans les portails ? J’avais rarement l’occasion de revenir. »
Ses parents lui envoyaient souvent des lettres, mais elles ne portaient jamais assez de la chaleur humaine qu’une embrassade en face à face pouvait apporter.
« Quand j’étais plus jeune, mon père m’emmenait souvent avec lui à son travail. Je regardais les gardes du Blizzard s’entraîner sur le terrain d’entraînement. Quand j’ai fini par devenir un adolescent, il me laissait même porter une épée trois fois trop grande pour essayer de les imiter. »
Aord rit doucement en se remémorant des souvenirs heureux. Cet instant de repos et la présence de Klarion lui permettaient d’accéder aux moments de bonheur passés qu’il avait oublié au milieu de ses problèmes.
« Sinon j’allais au quartier des ingénieurs avec ma mère quand elle allait chercher de nouveaux outils ou des innovations qui pourraient lui servir pour son travail. J’aimais bien la suivre quand je n’étais pas à l’école et l’observer quand elle travaillait une pierre précieuse. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour ce qu’elle faisait bien que ce soit Elana qui était la plus passionnée par son travail. »
Mentionner le nom de sa sœur n’eut aucun effet sur l’attitude d’Aord qui continuait de parler de manière calme et posée. Il semblerait qu’il ait enfin réussi à passer à autre chose.
« Tu sais Klarion la force n’est pas toujours une bonne chose. Face à l’implacable froid du Nord, même le plus fort de tous ne peut rien faire s’il n’est pas préparé. C’est en s’adaptant qu’on survit. Ici les plantes ont décidé d’être moins nombreuses, plus lentes, de s’effacer, de se taire parfois, tout ça pour survivre. Tout comme les hommes ont changé, sont devenus plus dru, mais aussi plus chaleureux … »
Aord se figea soudain et un sourire malicieux se dessina sur ses lèvres.
« Quand je disserte comme ça, ça me rappelle notre rencontre dans cette vieille maison que tu avais transformée en jardin. »
Et il avait eu la peur de sa vie quand Klarion avait tenté de le poignarder. Seule Lucy savait à quel moment il était passé d’une peur panique en la présence du phytomancien à un amour si profond qu’il en oubliait le reste du monde.
« Je t’emmènerai voir les grandes étendues de pins derrière la forteresse. Tu verras qu’il y a des plantes qui restent fortes malgré le climat, dit-il en lui caressant la main. »
Aord n’avait pas du tout pensé à ce qu’il ferait de leur séjour à la forteresse. Ils avaient l’habitude de se voir à la capitale, mais il fallait systématiquement se cacher pour ne pas qu’il croise la garde et se fasse reconnaître. Difficile de sortir boire un verre sur une terrasse avec l’ennemi public numéro un. Parfois, Aord se surprenait à maudire la couronne de les empêcher de vivre sereinement, et ce, bien qu’il sache qu’elle avait des raisons légitimes de lui en vouloir. Le religieux trouvait cette situation particulièrement injuste, mais n’avait aucune solution à proposer.
« Moi aussi j’ai envie d’être avec toi Klarion. De sortir au grand jour, de vivre avec toi sans se cacher, malgré … »
Malgré ta vie criminelle allait-il dire, mais il n’en avait pas le droit.
« Est-ce que ton visage est aussi connu à la forteresse ? Aussi loin de la capitale là où personne ne t’attend ? Tu as pu te renseigner ? Parce que si c’est le cas, j’aimerais tellement te présenter mes parents ! Leur dire que j’ai trouvé quelqu’un d’incroyable et qu’on partage des moments ensemble et … »
Aord se coupa encore dans son élan. Tout cela n’était qu’un rêve n’est-ce pas ? Une vie de famille, des gens sur qui compter. La vie n’était plus aussi simple et il ne retrouverait jamais l’insouciance d’une époque révolue où il s’amusait à réanimer le poulet rôti servi au dîner.
- La Garde ne m’a pas attrapé mais ils ne sont pas idiots, ils ont dû transmettre les informations qu’ils avaient sur moi à toutes leurs garnisons. Quant aux gens d’ici, je n’en sais rien, s’ils suivent les journaux, peut-être. Ma figure n’est pas autant placardée ici qu’à la Capitale. Mais si ton père est un soldat de la Garde depuis tout ce temps, je doute qu’il soit passé à côté de l’information…
La crème fouettée au-dessus de sa boisson chaude était presque fondue, quasi toute diluée dans le chocolat, lui conférant une teinte plus châtain que bistre. Klarion était contrarié, surtout parce qu’il faisait face à une énième fatalité contre laquelle il ne pouvait rien. Tout cela le frustrait. D’autant plus que, dans la présente situation, il ne pouvait envoyer valser la famille d’Aord comme il l’avait fait avec son collègue qui l’avait invectivé à l’hôpital où le prêtre passait sa convalescence. Son père, sa mère, le souvenir de sa sœur, tout ceci faisait partie intégrante d’Aord, tout son passé, ses joies comme ses peines. Klarion ne pouvait pas tout recouvrir de plantes et de spores comme il avait l’habitude de le faire pour régler ses problèmes. Le jeune homme soupira, las. Il était dos au mur, et n’avait pas le choix.
- Cependant, tu as tort sur un point. Les plantes ont choisi de s’effacer, dans cette ville, non pas à cause du froid, mais à cause des hommes. Des fruits peuvent pousser au beau milieu d’un blizzard. Et si cela est possible, alors je suppose qu’il y a encore de l’espoir par rapport à notre… situation.
Klarion attrapa sa tasse de chocolat pour la vider d’un trait, ses sens brutalement titillés par la vive invasion de boisson sirupeuse dans son palais, ainsi que son goût fort sucré. Sa chope vide, le jeune homme passa rapidement sa serviette sur ses lèvres pour effacer toute trace de cacao avant de se lever et se diriger vers le comptoir pour régler les commandes, sans attendre que la question du paiement ne se pose. Arrivant à la caisse, la dame dodue qui les avait servi fit le compte mais s’arrêta pour dévisager Klarion, battant légèrement des cils.
- Il y a un problème ? Demanda-t-il.
- Non, pas du tout ! Répondit la dame d’un air désolé. C’est juste que j’ai l’impression de vous avoir déjà vu quelque part…
- Tout dépend, vous êtes déjà allée à la Capitale ?
- Malheureusement non, mais j’adorerais ! S’écria-t-elle, toute enjouée. Pourquoi donc ? Vous êtes une célébrité ?
- On peut dire ça, oui…
- Ooh, quel honneur ! Gazouilla la femme d’un ton jovial. Vous fréquentez souvent l’opéra ? Vous connaissez Lady Belmont ?
- Non.
Visiblement déçue, la tenancière s’en retourna vers sa vaisselle tandis que Klarion retournait vers Aord, toujours attablé. Naya la petite gluante léchouillait le fond de tasse du phytomancien, appréciant les restes de crème qu’elle pouvait grappiller. L’éco-terroriste ne se rassit pas, trop pressé de sortir du salon, et se posta droit devant Aord. La suite, il ignorait comment elle allait se dérouler, tout ce qu’il pouvait faire c'était de se contenir et essayer tant bien que mal de faire bonne figure le temps que la tempête ne passe. Il était prêt, il attendait juste que son amour ne se lève, lui prenne la main et l’emmène.
- Si je dois subir un torrent de reproches et de culpabilité, je préfère que cela se passe avant que la nuit ne tombe et que je sois obligé de chercher un endroit où me terrer pour échapper à toute la Citadelle.
Klarion était pessimiste, il en avait conscience. Intérieurement, il espérait que tout se passe bien. Mais il savait mieux que quiconque que rien n'était simple et que l’on n’avait pas toujours ce que l’on souhaitait, ou méritait. Il passa tendrement un doigt sur la joue d’Aord, son regard adoptant soudainement une allure mélancolique.
- Tu sais, Elana signifie « chaleur » ou « rayon de soleil ». J’aurais bien aimé la rencontrer…
Il soupira à nouveau, passant cette fois sa paume sur la joue du prêtre.
- Je suis prêt, je n’attends plus que toi.
Il n’avait même pas vu que Klarion s’était levé quand celui-ci revint à la table, mu par une énergie bien étrange. Aord fini sa tasse et manqua de s’étrangler quand son compagnon le pressa d’aller voir sa famille. Ses yeux s’écarquillèrent devant cette proposition.
« T-t-tu veux faire quoi ? »
Aord restait bouche bée, ne comprenant pas la demande de Klarion, ou plutôt, ne voulant pas la comprendre. Il voulait sérieusement rencontrer ses parents ? Son père, qui était garde et qui l’attacherait dès qu’il le verrait ? Il avait perdu la tête ? Le frère restait sidéré sur sa chaise, incapable de dire un mot.
« N-n-non, on peut pas faire ça … c’est. »
Ce n’est que quand Klarion évoqua sa sœur qu’Aord sembla sortir de sa stupeur. Se rappeler sa perte, lui rappelait à quel point il avait besoin de sa famille autour de lui et à quel point il ne voulait s’éloigner de celle-ci par ce que son amour ne collait pas à leurs attentes. Une terrible douleur se fit alors sentir dans son ventre. Il avait l’impression que ses entrailles se tordaient tellement le stress montait en lui. C’était une peur panique, une peur imaginée. Il ne s’était encore rien passé, mais la simple idée que ses parents réagissent mal à la présence de Klarion le terrifiait. Face à la réalité, on perdait souvent son courage.
« Klarion, on ne peut pas. Si on fait ça, mon père va t’arrêter. Je le connais, il n’écoutera personne. C’est hors de question ! »
Aord avait parlé d’une voix ferme et pourtant tremblante s’attirant le regard des autres clients intrigués par cette animation soudaine. Il jeta des regards à droite et à gauche avant d’attraper le bras de Klarion et de le tirer vers la sortie.
« Viens, on va finir cette discussion à l’extérieur. »
Il éjecta la petite Naya de sa super tasse qu’elle avait récurée jusqu’au fond. La petite slime protesta vivement, mais son mettre l’attrapa pour la fourrée dans sa poche sans y prêter attention. Il ne se sentait pas vraiment dans son assiette et voulait quitter les lieux le plus vite possible. Troublé par ses paroles, Aord ne se rendit même pas compte de la force avec laquelle il traînait Klarion derrière lui. Ses phalanges avaient blanchi tellement il s’accrochait à son poignet avec vigueur. Ce n’est que lorsque le froid revint balayer sa peau, qu’il réalisa qu’il devait probablement lui faire mal.
« Désolé, dit-il en le lâchant. »
Le frère regarda autour de lui comme s’il s’attendait à voir surgir une troupe de gardes pour les arrêter. Avant de glisser sa main dans celle de Klarion.
« Qu’est-ce qu’il te prend, Klarion pourquoi tu veux rencontrer ma famille d’un coup comme ça. Tu viens d’admettre que mon père te sauterait probablement à la gorge s’il te voyait. C’est hors de question on n’ira pas les v …
- Aord ? demanda une voix féminine dans son dos. »
Le frère se raidit instantanément et son teint devint instantanément plus pâle. Il pivota comme un automate pour découvrir une grande femme brune d’une cinquantaine d’années qui le fixait avec un grand sourire et des yeux pleins de surprise qui vira à l’inquiétude lorsqu’il dévoila son bras blessé.
« Oh mon dieu Aord, mais qu’est-ce qu’il t’est arrivé ! s’inquiéta l’inconnue.
- Maman ?! parvint à articuler son fils alors qu’elle s’approchait de lui pour le serrer dans ses bras.
- Tu ne nous avais pas dit que tu venais à la forteresse petit cachottier ! Sinon, on t’aurait ouvert notre porte ton père et moi.
- J’ai … j’ai eu un congé de dernière minute, à cause de … de … de ma blessure.
- Mais comment t’es-tu fait ça par la sainte déesse.
- J’ai … je me suis retrouvé dans un … règlement de compte … entre … des criminels, avoua-t-il à demi-mot. »
Sa mère écarquilla les yeux en l’entendant dire ça. Elle se pencha sur lui pour inspecter un peu le bandage qui heureusement semblait propre et soigné. Si ce n’avait pas été le cas, il savait qu’elle l’aurait capturé pour le soigner comme elle l’avait l’habitude de le faire quand il était petit.
« Toujours à te fourrer dans de sales histoires, gronda-t-elle. Tu dois être le seul prêtre de ce royaume à finir autant amocher à la fin de la journée !
-C’est pas faux, murmura-t-il pour lui-même. »
Ce n’est qu’à ce moment qu’Ymir Svenn laissa ses yeux descendre et remarqua la main que tenait son fils. Ses yeux remontèrent le long de ce nouveau bras et se plantèrent dans ceux de Klarion. Avisant son regard, Aord lâcha frénétiquement sa main comme un enfant coupable et détourna les yeux. Bordel de merde, était-ce une blague de la déesse ? Certainement … Lui qui voulait éviter cette situation à tout prix se retrouvait piégé par un coup du sort. Et avec Klarion qui semblait avoir oublié qu’il avait enlevé la reine, le religieux ne savait plus quoi faire pour empêcher la catastrophe qui profilait à l’horizon.
« Et qui est donc ce beau jeune homme que je ne connais pas ? »
Le ton de la femme était à la fois curieux et glacial. Comme si la réponse à cette question pouvait donner lieu à deux réactions totalement opposées de sa part. Le cerveau d’Aord se décomposa et il eut l’impression de le sentir couler par ses oreilles.
« Lui c’est eux … comment dire, bafouilla-t-il sans arriver à trouver un mensonge convaincant. »
Klarion fixait la grande femme en la dévisageant ; non pas qu’il la fixait de manière arrogante, mais avec une sincère curiosité. C’était une grande femme aux cheveux bruns qui, bien que son visage fut marqué par l’âge, conservait une élégante beauté. Emmitouflée dans un manteau doublé de fourrure, elle posait ses yeux sur Klarion et lui rendait un regard tout aussi instigateur, celui-ci plus dur et froid. Le jeune homme reconnaissait bien là l’attitude des gens du nord, tous pétris dans l’acier et la glace. Il fut néanmoins amusé de constater que la mère de son bien-aimé possédait les mêmes yeux clairs que lui, avec un éclat d’ambre tout aussi prononcé. Klarion ne put réprimer un sourire, devinant enfin de qui Aord tenait ses prunelles. Elle possédait des cheveux plus clairs que ceux de son fils, peut-être que ce dernier tenait de son père là-dessus ? Klarion attendait de voir comment elle allait se comporter vis-à-vis de lui. Il fut soulagé de constater qu’elle ne l’avait pas reconnu, et demandait même à ce qu’il lui soit présenté.
Aord hésitait et ne savait quoi répondre. Le prêtre cherchait ses mots et Klarion fronça les sourcils, manifestement agacé. Il avait fait la route jusqu’au grand nord depuis la Capitale spécialement parce qu’Aord avait choisi cette cité. Il l’avait attendu dans le froid, plein d’angoisses et de pensées troubles. Il l’avait écouté lui raconter ses souvenirs avec sa famille et sa mélancolie, comprenant son envie de les revoir. Tout ça pour, finalement, ne plus savoir que faire quand il était question de passer au fait accompli. Si Aord ne l’avait pas conduit dans ce pays de neige pour rencontrer ses parents, alors pourquoi l’avait-il emmené ici ? Comptait-il mentir à sa mère sur leur relation ? Il savait qu’il ne devait pas crier sur les toits qui il était, mais la situation le tendait et il risquait de rapidement s’énerver. Il préféra désamorcer la situation lui-même.
- Je vais vous laisser un moment. Vous avez l’air d’avoir besoin de vous retrouver.
Klarion passa sa main sur l’épaule d’Aord suffisamment tendrement pour que sa mère comprenne qu’il ne s’agissait pas d’un geste anodin. Naya glissa dans la paume de Klarion et les deux marchèrent un peu plus loin vers des étales de marché dressés en plein air. Ici, il n’y avait pas besoin de mettre les denrées alimentaires dans des bacs à glace tellement l’air ambiant était froid. Si bien que les poissonniers et bouchers installaient leurs marchandises comme ils l’entendaient, se permettant parfois des petites fantaisies en montrant fièrement un espadon ou une tête de bœuf à longues cornes. Passant devant les maraîchers sans leur accorder d’attention, il s’arrêta brièvement face au stand d’un antiquaire pour regarder les breloques qu’il proposait. Une géode d’améthyste luisait aux côtés d’un encensoir en étain et cuivre qui commençait à prendre le givre, non loin d’un monceau de vieux livres et d’instruments anciens.
Klarion soupira nerveusement alors que Naya, à présent perchée sur son épaule, scrutait d’un œil envieux plusieurs brochettes de viande au caramel à l’odeur alléchante. Le phytomancien tentait tant bien que mal de calmer ses nerfs. Il avait traversé le royaume pour aller se geler les os dans une ville fortifiée, bastion le plus ancien de la Garde, tout ça pour faire plaisir à Aord, pour que ce dernier soit finalement réticent à lui partager ce pourquoi il avait décidé de revenir ici. Quitte à choisir, il aurait préféré partir à la rencontre des jungles tropicales de l’Archipel, remplies de plantes et de vie, s’isoler au Village Perché où la nature était maîtresse, ou découvrir les splendeurs sous-marines de la Cité Aquatique. Partout aurait été plus séduisant qu’ici. Pourtant, il était venu expressément parce qu’Aord lui avait demandé, ici, dans la citadelle la plus militarisée d’Aryon. Se détournant de l’antiquaire, Klarion eut un autre soupir rageur.
- Peut-être que je devrais retourner à la Capitale et accélérer le ménage de la Cour des Griffons… Chuchota-t-il à Naya, la seule à qui il pouvait parler pour l’instant.
La petite gluante ne comprit pas tout de suite, trop absorbée par l’odeur de nourriture graisseuse flottant dans l’air. Elle s’en retourna vers Klarion en répondant d’un petit couinement inquiet. Elle seule avait été présente lors de la rencontre entre l’éco-terroriste et la Cour. Elle savait ce qu’il s’était passé, elle savait qui ils étaient. Et même dans son petit esprit de familier, Naya devait se rendre compte à quel point la situation était grave. Il en venait à repenser aux Griffons plutôt que de réfléchir à ce qui embrumait ses pensées. Aord ne voulait pas qu’il rencontre ses parents, semblait préférer leur mentir plutôt que de leur dire la vérité… Klarion n’aimait pas ça, pas du tout. Il arriva soudain devant le stand d’une diseuse de bonne aventure. La femme avait l’air du même âge que la mère d’Aord et portait un épais manteau de fourrure bordeau. Entre ses doigts couverts par des mitaines de laine, elle mélangeait des cartes de tarot divinatoire en attendant des clients. Pour passer le temps et se changer les idées, Klarion s’apprêtait à aller à sa rencontre mais se ravisa.
- Les médiums de rue sont de bons escrocs, j’en sais quelque chose… Confia-t-il à Naya.
Il s’en retourna vers la rue quand, tout à coup, tombant sur une jardinière, il vit plusieurs brins de tiges vertes debout au-dessus de la neige. Au sommet, plusieurs boutons blancs bourgeonnaient, comme de petites gouttes prêtes à tomber tôt ou tard. Klarion sourit, il reconnut de petites perce-neige. S’avançant tranquillement vers les fleurs, il se mit à éprouver un étrange soulagement à force qu’il s’approchait d’elles. La présence des végétaux dans cette ville bruyante au climat hostile lui ravissait le cœur et fut, depuis tout à l’heure, l’unique chose qui lui permettait de ne pas éclater de colère. Klarion restait là à admirer les fleurs, comme si plus rien n’existait autour de lui.
- Je n’ai aucune honte à être qui je suis, et je n’accepterais pas qu’Aord mente sur notre relation ou ne me grime en quelconque parvenu. Son père ne m’arrêtera jamais, et il le sait. Je n’aurais jamais dû venir ici, j’avais un mauvais pressentiment… Je devrais peut-être repartir…
Naya roucoula à nouveau, toute penaude sur l’épaule de Klarion, regardant à présent, comme lui, les perce-neige prête à éclore.
Ymir regarda l’homme partir en haussant un sourcil, remarquant immédiatement la relation qu’il existait entre son fils et cet homme, mais aussi le sentiment qui parcourait son enfant en le voyant partir. Elle resta silencieuse, attendant qu’Aord daigne se retourner vers elle pour l’interroger, ce qu’il fit quand Klarion disparu au coin de la rue. C’est alors qu’un échange pour le moins étrange s’installa entre eux. Ymir inclina la tête sur le côté et Aord répondit en serrant le point, avant de regarder le coin d’un pavé avec insistance. Elle s’approcha de lui et déposa sa main sur son épaule d’un mouvement maternelle sans un mot. Aord restait silencieux. Pendant de longues minutes, il regarda ses pieds avec insistance. Aucun d’eux ne pipait mot et ce manège silencieux dura jusqu’au retour de Klarion.
Quant le criminel s’approcha d’eux, il fut accueilli par un Aord bien moins énervé, mais pas non plus rassuré par la situation. Sa mère quant à elle, souriait jusqu’au oreille en voyant l’amant de son fils revenir.
« Eh bien, vous voilà revenu de votre petite promenade ? Merci de nous avoir laissé seuls, je crois qu’Aord avait beaucoup, beaucoup de choses à me dire. Mais ne restons pas dehors, venez à la maison, il fera un peu plus chaud. »
Aord adressa un regard sans vie à Klarion et suivit sa mère sans rien dire. Tout le long du trajet Aord ne parla pas à Klarion et ne le regardait pas. Il était de nouveau retombé dans son état de stress permanant qui l’avait empêché de parler au début de cette rencontre. Il n’y avait que sa mère qui faisait la conversation. Jetant des regards à son fils, qu’il esquivait en tournant ses yeux vers les flocons qui s’accrochaient aux toitures des masures devant lesquels ils passaient.
« Booooooon, puisque mon fils a perdu sa voix, c’est moi qui vais faire les présentations, souffla la vieille femme.
- Pff, ça fais une heure que j’essaye de t’expliquer …, se plaint Aord.
- Une heure oui, et je n’ai strictement rien compris à cette histoire. Alors dites-moi donc Klarion, où vous vous êtes rencontré avec Aord ? »
Le regard de la joaillière était teinté de curiosité, bienveillant, comme celui de son fils lorsqu’il ne se sentait pas aussi mal. D’ailleurs ce dernier fixait Klarion et sa mère par intermittence comme si un simple mot de l’un d’eux allait réduire son monde en cendre.
« Maman je t’ai déjà dit que j’étais rentré chez lui sans faire exprès en croyant que la maison était abandonnée, coupa Aord, paniqué par ce que Klarion aurait pu dire.
- Tiens tout d’un coup mon fils retrouve sa langue, quel miracle ! Je voulais simplement l‘entendre de sa bouche. Parce que si je me souviens bien du rapport que Jorunn m’avait donné, il avait essayé de te tuer non ? »
Aord devint blanc comme un linge et tourna la tête vers Klarion. Soudain sa mère s’arrêta devant une boutique de bijoux. Le nom des Svenn était gravé en lettre majuscule sur l’enseigne. Ymir s’approcha de la porte et la déverrouilla. Elle poussa la poignée et fit un signe de main pour les inviter à entrer. Son regard était devenu aussi froid que le climat du Nord. Sans remuer les lèvres une seule fois, sa voix retentit dans l’esprit de Klarion.
« Entrez monsieur Brando, nous avons beaucoup de chose à nous dire. J'ai hâte de comprendre pourquoi je ne dois pas appeler toute la garde sur le champs pour vous arrêter comme me l'a supplié Aord. »
Aord surprit son regard et attrapa le bras de Klarion, inquiet.
« Qu’est-ce qu’elle t’a dit ? »
- Juste qu’elle aimait les bouquets de fougères, marguerites et rhododendrons.
Klarion espérait qu’Aord comprenne le message. Cependant, quand bien même ce ne fut pas le cas, le pauvre n’avait pas vraiment le choix.
- Reste ici un moment.
Le jeune homme entra dans la bijouterie, faisant tinter une petite clochette au-dessus de la porte. À l’intérieur, Ymir s’était débarrassée de son manteau. Elle était drapée d’un grand châle de laine, à franges, qui avait l’air d’avoir été tricoté à la main par une main savante. Sa toque retirée, elle avait laissé ses cheveux cascader par-dessus son épaule pour tomber sur un côté de sa poitrine. Elle était vêtue d’une longue robe d’un beau rouge coquelicot et fixait le garçon en souriant, comme une lionne observant du haut de son trône. Le phytomancien lui rendit son sourire, rabaissant sa capuche en arrière, faisant tomber quelques flocons sur le sol au passage.
- Télépathe, hm ? Vous pratiquez ?
- Pas autant que je le voudrais, admit-elle. On a rarement l’occasion de s’adresser aux gens via la pensée.
- Pour ce que ça sert, de toute façon…
Inspectant l’intérieur de la bijouterie, Klarion admirait les dispositions de parures que la maîtresse des lieux avait agencé. Derrière la vitrine, sur la devanture, luisaient plusieurs onyx et pierres de lune montées en colliers ou bracelets. D’autres bijoux, plus abordables, avaient été fabriqués en pierres semi-précieuses, moins nobles, sans doute pour qu’une clientèle plus modeste puisse également profiter de la beauté de ses créations. Une douce odeur de noisette flottait dans l’air alors que Klarion zyeutait à droite comme à gauche, tombant tantôt sur une bague d’améthyste, tantôt sur une spinelle solitaire sur une chaîne d’or tressé.
- Vous aimez les pierres ? Je pensais que les plantes étaient votre affaire.
- Je n’ai aucun attachement pour les gemmes, mais à force de vivre dans la rue j’ai appris à les reconnaître.
- Je suppose que quand on est Klarion Brando, le vol à la tire est de loin une broutille.
- J’ai de plus beaux faits d’armes, je vous l’accorde.
- Vous comptez répondre à ma question ?
Ymir Svenn se faisait plus insistante, sa voix prenant un ton plus autoritaire. Néanmoins, sa posture et sa figure ne changeait pas. Elle demeurait de glace, arborant un sourire de façade et des yeux aussi inquisiteurs qu’ils ne pouvaient l’être. Une pensée amusante survint dans l’esprit de Klarion, lui faisant imaginer que si Aord tenait son côté aimant et chaleureux d’Ymir, alors son père devait être un véritable Fenrir. Klarion cessa de regarder les créations d’Ymir pour reporter son attention sur son interlocutrice. Cette dernière triturait quelques franges de son châle, comme pour s’occuper les doigts.
- Pourquoi vous n’appelleriez pas la Garde ? Je pourrais vous donner de nombreuses raisons, mais je ne pense pas qu’elles fassent grande différence. Premièrement, parce que votre fils vous l’a demandé. Ensuite, parce que ça ne servirait à rien, que ça aggraverait la situation plus qu’autre chose. Parce que j’ai sauvé la vie de votre fils, au sens propre comme au figuré d’ailleurs. Mais quelle importance ? Je suis Klarion Brando, je suis l’horrible criminel sanguinaire qui ne mérite que des menottes et la corde au cou. N’est-ce pas ? Si vous voulez appeler la Garde, faites-le. Je n’ai pas peur. C’est plutôt à Aord que vous devriez poser la question de toute façon ; savoir ce qui l’a rendu amoureux.
Klarion restait là, flegmatique, face à la bijoutière qui ne répondait toujours pas. Seuls les mouvements mécaniques d’une vieille pendule à coucou qui tintait, cliquetant au-dessus du comptoir, sur une poutre, entre plusieurs guirlandes de houx piquetées de pommes de pin. Ne supportant pas plus ce silence inutilement pensant, Klarion lâcha un soupir avant de se diriger vers la porte d’entrée, l’ouvrit et, laissant entrer une flopée de neige à la volée, fixa le prêtre toujours dehors.
- Tu peux entrer.
La porte s’ouvrit derrière lui, empêchant ses larmes de couler. Aord leva la tête et le regard qu’il jeta à Klarion était plein de détresse. Son amant était froid comme la glace. Il réagissait toujours comme ça quand les autres lui rappelaient qu’il était un criminel. Il s’offusquait montait sur ses grands chevaux et regardait tout le monde de haut en criant qu’il savait mieux que les autres ce qu’ils pensaient de lui. Il avait exactement ce visage en cet instant. Le visage qu’il arborait lors de leur rencontre. Aord en avait marre de tout ça, il voulait juste être heureux et profiter de ce bonheur. Aord se leva et se précipita sur Klarion, le prenant par surprise. La portée claqua derrière lui. Il serra la phytomancien dans ses bras comme s’il allait soudain disparaître. Il voulait être avec lui, il le savait, il le ressentait. Il voulait le dire, mais il ne savait pas comment. Il avait peur, peur de tout le monde, de leur réaction, de leurs jugements.
Aord s’écarta du jeune homme et le regarda dans les yeux un instant, un sourire timide sur les lèvres. Sa main caressa sa joue et il s’égara sur les traits de l’homme qu’il aimait. Sa mère regardait tout ce manège d’un œil curieux, mais désapprobateur. Aord croisa son regard et il se plaça entre elle et Klarion.
« Écoute maman … »
Aord tremblait et il attrapa machinalement la main de son aimé pour se donner un peu de courage.
« Ces derniers mois ont été absolument horribles. Je me suis fait enlever, DEUX fois. J’ai dû … j’ai dû tuer des gens pour m’en sortir. J’ai fini en cellule, j’en suis sorti et une amie chère ne veut plus m‘adresser la parole à cause de ça. Je suis retourné au temple et tout le monde me haïssait. On crachait le mot assassin à chaque fois que je passais dans les couloirs. Personne ne voulait m’adresser la parole. PERSONNE tu m’entends. Déjà que je n’arrivais plus à vivre avec ce que j’avais fait, tout le monde me tournait le dos. S’il y n’y avait pas eu Émilien, Luz et … et … Klarion, je ne sais pas ce que j’aurais fait. »
Aord se rapprocha de Klarion, recherchant un peu de réconfort, alors que ses émotions montaient jusqu’à ses yeux pour couler en un fin filet de larmes.
« Je t’en pris maman, je supporterai pas que toi aussi tu … tu … »
Le flot de larmes devint plus fort et Aord en perdit sa voix. Il cacha son visage sur l’épaule de Klarion, s’accrochant à son vêtement pour tenir debout. Une présence vint toucher son esprit. Ymir Svenn regarda son fils avec hésitation. Elle s’était tue tout du long, mais son visage n’était pas resté de marbre. Beaucoup trop sensible malgré son air froid, elle avait exprimé une inquiétude sincère pour son fils.
« Aord … souffla-t-elle en tendant la main dans sa direction. »
Le frère lui tournait le dos et n’arrivait qu’à pleurer.
« S’il vous plaît je vous aime tous les deux ne m’obligez pas à faire ça … »
Il ne voulait pas choisir, il n’en était pas capable. Il préférait encore se foutre en l’air plutôt que de perdre quelqu’un d’autre. La main de sa mère se posa sur son épaule. Elle jeta un regard à Klarion, avant de se concentrer sur son dernier enfant encore en vie.
« Ecoute Aord … il ne faut pas te mettre dans des états pareils … je …, bégaya-t-elle totalement dépassée par la situation. Je suis ta mère et … et je t’aimerai toujours. »
Aord tourna la tête se décrochant un peu de Klarion.
« Je crois … qu’on n’est allé un peu vite. On va s’asseoir à table et discuter calmement … »
Son regard glissa vers Klarion comme pour voir sa réaction. Si Aord tenait tellement à lui, elle espérait qu’il accepte cette invitation, sans quoi Aord risquait de devenir fou.
- Qu’est-ce que vous lui avez dit avant d’entrer pour le mettre dans un état pareil ? Demanda Ymir en alpaguant Klarion. Je vous ai vu lui glisser un mot.
- Un message codé que je pensais qu’il déchiffrerait, répondit nonchalamment Klarion. Visiblement des révisions sont de rigueur…
Ymir leva les yeux au ciel, faisant mine de ne rien entendre avant de passer ses mains sur les épaules de son fils, lui adressant un air toujours inquiet.
- Je vais faire du thé, calme toi un peu, mon fils. Je reviens dans quelques minutes. Quant à vous, adressa-t-elle à Klarion avec un regard noir, gardez vos mains dans vos poches.
- Je suis éco-terroriste, pas amateur de colliers de pâtes, répondit l’intéressé d’un ton tout aussi acide.
La grande femme partit sans même lui répondre pour revenir, mesquinement, avec seulement deux tasses pour son fils et elle-même. Elle prit de nouveau congé vers l’arrière de la boutique pour préparer le thé qu’elle avait promis. Les deux hommes restaient assis dans un silence presque gênant, Klarion laissant Aord se remettre de ses émotions et se calmer. Naya, inquiète elle aussi, restait près des mains de son maître sans gigoter dans tous les sens. Ymir revint bien vite avec une théière en fonte et servit dans les tasses avant de s’installer à son tour. Détournant la tête pour regarder dans le vide, Klarion laissait Aord tout expliquer à sa mère sans vraiment écouter. Quand il eut terminé, le jeune homme s’en retourna vers les deux autres :
- Et maintenant, que fait-on ? Je suppose qu’on ne va pas gaiement aller festoyer au coin du feu et me présenter au reste de la famille. Et ça n’est pas comme si je pouvais vous empêcher de voir votre fils. Et, de la même façon, je ne compte pas me faire avoir par les loups de la Citadelle. Alors, Aord, que fait-on ?
« Oh on pourrait vous présenter à Jorunn, il vous passerait les menottes et le problème serait réglé, pas besoin de faire le tour de la famille. »
Aord leva les yeux au ciel et resta silencieux sous le regard de Klarion. Qu’est-ce qu’il pouvait faire ? Il n’y avait pas de solution, il était coincé et les deux idiots qu’il aimait avaient décidé de bien l’enfoncer.
« Je suis curieuse moi aussi Aord, qu’est-ce qu’on fait ? Je l’ai fait entrer chez moi, mais il est hors de question qu’il reste et ne me demande pas de le cacher à ton père ! »
Aord ferma les yeux et prit une grande inspiration. Les deux s’étaient tournés vers lui, pointant leur regard acéré dans sa direction. Il avait envie de hurler, de pleurer, de fracasser sa tasse contre un mur et de s’enfuir en courant. Il avait frôlé la mort, mais il se demandait bien s’il n’avait pas été mieux qu’il rende l’âme ce soir-là. Son cerveau n’était qu’un ouragan de pensées et d’émotions qui lui donnait envie de frapper tout le monde. Il se cacha le visage dans sa main, alors qu’une migraine lancinante pointait le bout de son nez. Il entendit sa mère dire quelque chose à l’intention de Klarion et ce dernier lui répondit sur un ton acide et prétentieux comme à son habitude. Et ils continuèrent, sans qu’il ne dise rien, car il n’y avait rien qu’il ne puisse dire.
Soudainement, Aord sentit la main de Klarion se glisser dans la sienne. Il sursauta et fixa le phytomancien dans les yeux. Le frère était tellement plein de colère contre lui, contre sa mère, contre le monde entier et il la laissa sortir. Pour la première fois depuis qu’il était tombé amoureux, il arracha sa main de celle de Klarion et son visage se contracta en un masque de rage.
« Ne me touche pas, marmonna-t-il sans articuler. »
La voix du frère était sèche et cassante. Sa mère se mit à sourire comme si elle avait gagné la bataille. Elle fut donc aussi surprise que Klarion quand son fils lui adressa le même regard dégoûté.
« Vous voulez que je vous dise quoi ? Que je prenne un parti ? Que je me coupe deux pour que vous puissiez chacun me voir sans avoir à subir la présence de l’autre ? Et bah NON, CE N’EST PAS POSSIBLE ! Je vous aime tous les deux et je n‘ai aucune solution miracle pour que tout se passe pour le mieux. »
Le visage d’Aord avait viré au rouge, personne ne s’était soucié de la rassurer, de le consoler, de lui montrer un peu d’empathie depuis cette rencontre malencontreuse dans la rue. Et bien maintenant, il évacuait tout le trop-plein d’émotions qui lui pesait sur le cœur. Il avait affronté des meurtriers, des mafieux. Il avait même survécu à l’apocalypse, mais là c’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase de la patience.
« Pourquoi vous me posez cette question ?Vous voulez que je fasse quoi bordel, hurla-t-il pour les deux autres. Est-ce que l’un d’entre vous a seulement pensé à ce que je ressentais en vous voyant vous sauter à la gorge comme ça ? Depuis le début, vous n’en avez rien à foutre de moi. »
Il pointa sa mère du doigt.
« Toi maman, depuis le début tu me juges, malgré tes mots. Tu sais ta télépathie ça marche dans les deux sens. Je les entends aussi tes idées. Alors je te le dis de vive voix, j’aime qui je veux ! »
Il se tourna alors vers Klarion.
« Et toi Klarion, merci. Vraiment merci de tout faire pour que ça empire. Tu vois, depuis le début tu as passé ton temps à prendre tout le monde de haut. Et te connaissant je suis sûr que tu penses à te réfugier dans ton jardin comme tu le fais à chaque fois. Sauf qu’on n’est pas tous Klarion Brando et qu’on ne peut pas juste disparaître dans la nature quand on a des problèmes ! s’emporta le frère. T’as décidé d’être avec moi et bien acceptes que mes problèmes soient aussi les tiens et soutiens-moi par Lucy.»
Il se leva, déséquilibrant Naya qui tomba sur le fauteuil, avant de courir se réfugier derrière le pied de Klarion, terrifié par le saut d’humeur de son maître.
« Vous savez quoi ? Je ne veux plus vous voir ni l’un ni l’autre. »
Aord marcha d’un pas décidé vers la porte, mais sa mère essaya de l’arrêter, visiblement très affectée par ce qu’il venait de dire. Il la bouscula sans s’en rendre compte. Il claqua la porte en hurlant un dernier juron.
L’air extérieur était toujours aussi glacé et Aord sentait ses larmes geler à même ses joues. Il venait de regretter instantanément tout ce qu’il avait pu dire, mais il n’avait pas non plus la force de faire demi-tour. Il partit dans une rue au hasard, il avait besoin de marcher, de s’enfuir. De se réfugier dans un endroit qui le rassurait, au temple. En bref, il avait besoin de faire son Klarion lui aussi.
- Regardez ce que vous avez fait !
- Ce que j’ai fait ? Répondit Klarion, arquant un sourcil. Fermez un peu la boîte à purin qui vous sert de clapet. Je partais avec l’intention de faire la connaissance de la famille d’Aord. C’est vous qui avez décidé que je n’étais pas le bienvenue ? Qu’est-ce que j’étais censé faire ? Sourire et faire comme si de rien était ?
- Vous êtes un monstre. Sortez de ma boutique. Je vais retrouver mon fils.
- Le monstre a sauvé votre fils d’une mort certaine en le sortant des geôles d’un des plus grands mafieux de la Capitale. Faites très attention quand vous haussez la voix, ou votre boutique finira par être envahie de ronces.
- Aord ne vous pardonnerait jamais si…
- Vous ne connaissez plus votre fils. Vous ne savez plus rien de qui il est, ni ce qu’il a pu endurer. Vous vous êtes jeté sur moi parce qu’il vous faut un bouc émissaire pour vous dédouaner de votre négligence.
- Comment osez-vous…?!
- Comment ? C’est simple, je suis Klarion Brando.
L’éco-terroriste se leva avant de réajuster sa cape pour se diriger à grands pas vers la porte de la bijouterie, Naya toujours sur son épaule. Ymir jeta son châle pour reprendre son manteau à la hâte, alpaguant à nouveau Klarion alors qu’il allait sortir dans la rue.
- Vous comptez le poursuivre vous aussi ? Aggraver encore plus la situation et…
- Non.
- Non ? Qu’allez-vous…?
- Je pense surtout qu’Aord a besoin d’un peu de temps seul, mais surtout d’une bonne discussion avec sa mère. Ma présence ne permettra en rien un échange sincère entre vous, vu comment vous me détestez… Vous n’aurez qu’à me retrouver ensuite.
- Et comment est-ce qu’on est supposés vous retrouver ?
- Vous verrez… répondit Klarion malicieusement.
Le jeune homme rabattit son capuchon alors qu’il se prenait une intense bouffée de fraîcheur en marchant sur le pavé de la rue. Les flocons se remettaient à pleuvoir en profusion et le tapis de neige semblait bien plus épais que lorsqu’il était entré dans la bijouterie Svenn. Sur son épaule, Naya gazouillait allègrement en regardant à droite à gauche. Il était évident qu’elle cherchait Aord parmi la foule, mais sans succès. La gluante ne faisait même plus attention aux victuailles chaudes que vendaient les commerçants aux passants, sur le pouce. Klarion lui intima de se calmer pour ne pas attirer les regards.
- Doucement. On ira voir Aord plus tard.
Naya, intriguée, roucoula à voix basse avant de se blottir contre la doublure de fourrure de la capuche. Klarion commença à remonter la rue commerçante, sur dirigeant vers les quartiers plus résidentiels du bourg.
- On va s’amuser un peu en attendant que la vieille bique parle avec Aord. Il est grand temps de laisser ma petite griffe sur la Forteresse… !
Tout était allé de travers. C’était prévisible en même temps, Aord le savait. Sortir avec un criminel recherché dans tout le royaume ne pouvait que mal finir. Il l’avait su dès qu’il l’avait embrassé pour la première fois. Ça finirait mal … Et il se demandait si ce mal n’était pas en train d’arriver. En y regardant de plus près, tout allait déjà mal. Émilien, sa mère et sûrement son père quand il aurait terminé son service. Il regarda son bras en écharpe, se rappelant ce qu’il avait subit chez Don Marcel. Pourtant, malgré tout, il ne parvenait pas à se sortir Klarion de la tête. À oublier tout ce qu’ils avaient partagé ensemble. Ils se connaissaient depuis peu à l’échelle de leur vie et pourtant ils avaient partagé bien plus que du temps. Tout ça à cause du livre … Le frère savait que son pouvoir n’avait pas d’effets sur ses sentiments. Non, c’était le fait de partager des souvenirs, de ressentir les émotions de l’autre, d’être dans sa peau l’espace d’un instant qui les avait rapprochés au-delà de ce qu’on pouvait comprendre en se fréquentant pendant des années.
Aord leva les yeux vers la déesse.
« Lucy … qu’est-ce que je peux faire … »
Il avait toujours cru que la vie était faite de mille possibilités. C’était sa conviction la plus forte il n’y a pas si longtemps. Mais la vie aime vous prouver que vous avez tort et maintenant il se sentait totalement coincé. Peu importe le chemin, il y avait un mur qui l’attendait à la fin. Il pourrait continuer avec Klarion et se détacher tous les autres. C’est sûrement ce que le phytomancien voudrait. Tant qu’il avait les plantes, les autres pouvaient disparaître … Il pourrait aussi l’abandonner, revenir vers ceux qui étaient là avant lui, mais alors il se sentirait tellement vide. Sans lui, il ne savait plus comment vivre …
Il pourrait rester des heures assis sur les bancs du temple à prier la déesse. Il pourrait lui poser mille questions et obtenir son silence en retour. Il l’avait déjà fait … pour Elana et il savait que ça ne menait à rien …
Le temple était silencieux, maintenant. Un frère et une sœur s’occupaient d’allumer les cierges qui jetaient une ombre dansante sur la statue. Le religieux regardait cet homme qui ne bougeait pas depuis des heures d’un œil inquiet. Que pouvait-il bien lui arriver pour qu’il se comporte ainsi ? Il n’avait pas l’air sans le sou au point de se réfugier dans le temple pour trouver un toit et un peu de chaleur … LE frère s’approcha, mais s’arrêta à mi-chemin quand une silhouette vint poser sa main sur l’épaule de l’inconnu. L’homme se retourna.
« Qu’est-ce que tu veux maman ? »
Ces simples firent comprendre au frère que ce n’était plus son problème. Ymir se tenait droite, enveloppé de fourrure comme à son habitude. Elle ne pipa mot et se contenta de regarder son fils qui fit la grimace.
« Arrête avec ta télépathie, j’en ai aucune envie là maintenant. »
Aord fit un mouvement d’épaule pour dégager la main de sa mère qui fit une mine attristée.
« Ecoute Aord … je … je, essaya-t-elle d’articuler.
- Tu quoi ? Tu désapprouves mes choix ? JE SAIS MAMAN ! Mais je les fais quand même … »
Un long silence s’installa pendant lequel Ymir resta silencieuse, ne sachant pas où poser son regard. On pouvait bien voir qu’elle cherchait ses mots, mais son esprit semblait bloquer dans un cercle infernal qui la ramenait systématiquement à la même : « Mais c’est Klarion Brando. » Elle n’en était pas à sa première dispute avec son fils, la première ayant été au moment où il était parti de la maison pour rejoindre les ordres. À ce moment-là, elle avait cru tout perdre. Un an après la mort de son deuxième enfant, son premier était parti, seul, à l’autre bout du pays. Elle aurait voulu le garder pour toujours, ne plus connaître la douleur de perdre sa chair et son sang. Quand elle avait vu Klarion, elle avait eu peur. Peur de le voir assassiner son fils, ce qu’il avait déjà fait par le passer. Tout le monde était au courant.
« Explique-moi Aord, pourquoi lui … pourquoi ce m ...
- Monstre ? »
Aord releva la tête en la défiant de dire ce mot. Il savait très bien ce qu’elle pensait de Klarion, nul besoin de télépathie.
« Il a essayé de te tuer Aord ! se défendit-elle. Tu comprends que je m’inquiète ? Après Elana je ne pourrais pas supporter de te perdre. Regarde-toi ! Tu es tout brisé et ce n’est pas la première fois, le prêtre de la capitale me l’a confirmé par lettre. Depuis quelques mois tu finis à l’hôpital plus souvent que de raison. Aord, je t’en supplie … »
L’intéressé la regardait d’un regard mauvais, ce qui l’attristait encore plus.
« Ne me regarde pas comme ça s’étrangla-t-elle. »
Les émotions se mélangeaient, le fils et la mère. Ensemble, incompris. Leurs sentiments étaient incompatibles, hétérogènes. L’inquiétude combattait l’amour, l’amour combattait la colère. Aucune ne gagnait, et ni les mots ni les actes n’arrivaient à faire une différence. Aord soupira. Il pensait savoir, ou au moins essayait d’imaginer ce qu’elle pouvait penser. Elle avait raison, Klarion était un danger. Il ne pouvait pas dire le contraire. Toute l’histoire de Don Marcel était arrivée parce qu’il l’aimait, c’était indéniable, mais Aord ne lui en voulait pas. Même au fond de sa cellule, le voir avait été un tel soulagement.
« Maman … quand est-ce que tu vas comprendre que je peux choisir moi-même si je veux me mettre en danger ? »
Aord se leva et regarda sa mère assise sur le banc.
« Tu ne le connais pas comme je le connais. Si tu avais pu voir ne serait-ce qu’un fragment de tout ce qu’on a partagé … Il est … incroyable et tout ce qu’on a tous les deux vaut mille fois les risques que je prends …
- Mais tu vas te faire tuer ! protesta-t-elle.
- Et bien tant pis ! Maman je l’aime, c’est tout. Quand il n’est pas là, je me sens vide, vide comme après la mort d’Elana. Sans lui … sans lui je ne sais plus pourquoi je me lève le matin pour aller rapiécer des cadavres et enfourner des corps au crématorium. Il n’est pas ce que tu crois … un homme sanguinaire. Il ne prend pas plaisir à torturer et tuer. Il … il veut seulement protéger ce qui l’aime comme tout le monde et … et … »
Aord se laissait gagner par l’émotion. C’était la première fois qu’il exposait aussi clairement ce qu’il ressentait pour Klarion. C’était spontané, maladroit, difficile, mais il avait besoin de le dire, de le faire sortir. Elle ne comprenait pas, cela se voyait dans son regard. Comment le pouvait-elle ? L’image qu’elle avait de son amant était si sombre qu’aucune lumière ne pourrait jamais l’éclaircir. Mais Aord voulait quand même le dire.
« Et sans lui je serais mort maman. Pas mort physiquement, mais mort de l’intérieur. Alors oui il est maladroit, égoïste, puéril. Oui, il est impulsif et même parfois idiot. Évidemment qu’il est dangereux ! Mais c’est lui que j’ai choisi par Lucy ! »
Le visage d’Aord s’était éclairé en prononçant ses mots. Oui Klarion était plein de défauts, mais il ne les voyait pas. Tout ce qu’il voyait, c’était la sincérité de ses sentiments. Rien d'autre.
Sa mère se cacha le visage dans ses mains.
« Lucy aide-nous. »
Aord frappa le dossier du banc en voyant sa réaction.
« Pourquoi tu ne comprends pas par Lucy. Je l’aime et je t’aime. Pourquoi je ne peux pas simplement être heureux avec ça ? Dis-moi maman, je t’en supplie. »
Mais sa mère se lamentait dans ses mains.
« S’il te plaît maman … »
Mais c’était impossible. L’esprit d’Ymir Svenn était trop préoccupé pour voir ce qu’il se passait entre lui et Klarion. Il n’y avait qu’une peur panique qui subsistait. La peur de perdre un deuxième enfant. Une peur si profonde qu’elle lui cachait qu’elle le perdait déjà en se lamentant. Aord parut déçu par son manque de réaction. Il aurait aimé … il ne savait pas vraiment quoi. Qu’elle ouvre les yeux ? Qu’elle s’excuse ?
« J’aurais jamais dû revenir ici … »
Aord ramassa son manteau et se dirigea vers la porte essayant de ne pas entendre les sanglots de sa mère qui lui brisaient le cœur. Il ouvrit la porte, mais juste avant de sortir il s’arrêta pour lui adresser une dernière parole.
« Je suis désolé d’être un mauvais fils. »
Et il s’engouffra dans la rue enneigée pour rejoindre Klarion. Ils ne restèrent pas longtemps à la forteresse de peur qu’elle ne les dénonce. Ce qu’elle ne fit étrangement pas.