Que… Quoi ? ENCORE TOI ?!
Ça t’a pas suffit la dernière fois, Devon ? Il faut qu’en plus tu impliques une innocente dans ce manège ? Et, encore une fois, pas un bonjour ni un merci pour moi. Vous n’apprendrez donc jamais.
Tant pis, je n’ai pas de temps à vous accorder, j’ai un rendez-vous avec le Corbeau du Désert Volant. Et, puisque vous êtes là, vous allez nous servir de valets. C’est la moindre des choses. Vous nous ferez à manger, nous divertirez…
J’espère pour vous que vous êtes suffisamment compétents ou, croyez-moi, vous allez le regretter.
Participants : @Devon Haragin & @Merry Beauregard
Challenge RP :
Oh ça va, tais-toi un peu.
Oui, c’est le principe. Vous êtes tous à la merci de mes moindres humeurs !
"Et bien vous deux, les plats ne vont pas se servir tout seuls! Exécution!"
C'est la femme qui parle, du moins je le crois, sa voix semble obstruée, tantôt caverneuse, tantôt cristalline, à l'image de son visage, elle change en permanence, j'ai presque l'impression qu'elle raisonne directement dans mon esprit plus qu'elle ne se glisse jusqu'à mes oreilles, comme si ses paroles se faisaient entendre sans avoir besoin du support qu'est le son. Mais une minute : elle a dit vous deux? Est-ce que Saryna est avec moi? Je regarde finalement autours de moi, peut-être mon épouse et moi avons-nous atterris ici en même temps? Non, aucune trace de ma belle sauvageonne, l'hybride qui partage ma vie doit encore être confortablement installée dans nos draps, à la place je vois une jeune femme qui m'est parfaitement inconnue, jamais vu, jamais croisé, pas une connaissance ni même une cliente de ma taverne. Cela me conforte un peu plus dans l'idée que ce n'est guère un rêve! Je vois parfois le visage de mes amis dans mes songes, parfois des choses sans nom que je n'ose exprimer à haute voix, souvenir d'un événement que je me force à oublier, mais jamais encore je n'ai rêvé aussi distinctement d'une parfaite inconnue. Un pas vers elle, est-elle aussi perdue que moi? J'ignore ce qu'il se passe ici, est-ce également son cas.
"Bonjour, est-ce que tout va bien?"
"Si vous avez le temps de parler, faites donc le service!"
À nouveau cette voix, à la fois claire et indistincte qui semble venir de la femme, sans que je ne sache pourquoi, me voici qui me déplace, comme si je n'avais pas le choix, portant un plateau avec deux verres et une bouteille de vin. Je sers la femme et son compagnon à plume, étrange d'ailleurs d'utiliser une bouteille de vin, normalement je ne le fais que rarement puisque j'ai mon pouvoir pour cela. Je me tourne ensuite vers la jeune femme, je veux lui demander ce qu'il se passe, si elle comprend où nous nous trouvons mais à la place, c'est une toute autre phrase qui se fait entendre : "Les entrées sont-elles prêtes? Peux-tu vérifier?"
L'exclamation de l'hôtesse l'arracha à sa contemplation et ce n'est qu'à cet instant qu'elle percuta. C'est à elle que s'adressait l'hôtesse ? Non, elle avait dit "Vous deux". Merry se tourna, découvrant à son côté un homme vêtu d'une tenue de valet sobre, mais qui lui seyait bien. Un regard dans un grand miroir mural lui apprit qu'il en allait de même pour elle. Une longue robe noire aux manches bouffantes surmontée d'un tablier immaculé avait pris la place de sa tenue de prière. Il y avait erreur... Comment ceci avait-il bien pu arriver ? La blanche ne se souvenait ni d'être entrée dans cette pièce, ni d'avoir enfilé une telle tenue. Son pendentif ! Ouf, il était encore là... C'était à n'y rien comprendre. Le parquet lustré grinça quand l'inconnu s'approcha pour s'adresser à elle, Merry lui renvoya un regard effrayé et inquiet, mais fut coupée par une nouvelle exclamation d'impatience.
Et voilà l'homme qui s'embarquait dans un ballet servile pour apporter le vin à table. La jeune femme haussa un sourcil, mais lorsqu'il lui demanda de vérifier les entrées, elle fut stupéfaite de sentir son corps se raidir, sa conscience chassée, son contrôle sur elle-même perdu. Ses pas la menèrent à une double porte qu'elle n'avait pas repérée jusque-là et elle demanda d'une voix claire et pressée :
- Ces entrées, ça vient ?
On lui posa deux assiettes brûlantes dans les mains. Le contenu, masqué par une cloche parfaitement réfléchissante, sans nulle trace de doigts ou tâche quelconque, l'empêchait d'en voir le contenu. Merry les déposa en face de leur destinataire puis recula dans une révérence pour retourner se placer aux côtés de l'homme. Mais enfin, que se passait-il ? Est-ce qu'il en savait plus ?
- Je vais bien, merci... Enfin, je crois... Où sommes-nous ? Je ne me souviens de rien !
L'inquiétude rendait sa voix plus aiguë qu'habituellement et les larmes menaçaient de gagner ses yeux. Avait-elle été enlevée ? Était-ce déjà la fin de son aventure ? Impossible... Lucy n'aurait pas laissé faire cela ! Prenant une grande inspiration, la blanche entreprit de se calmer. Elle se pencha discrètement vers l'individu pour chuchoter, le moins fort possible, craignant des réprimandes si elle se faisait prendre :
- Je m'appelle Merry, la dernière chose dont je me souviens, c'est d'avoir passé la nuit au village dans les arbres, et vous ? Peut-être qu'en mettant nos souvenirs en communs, nous trouverons une réponse à cette mascarade...
Elle apporte les plats sous cloches et, après une double révérence - la sienne et la mienne - nous nous écartons pour laisser cet étrange couple à son repas en tête à tête. Peut-être aurons-nous le temps d'en apprendre plus l'un sur l'autre ainsi que sur ce qu'il se passe ici? C'est la jeune femme qui, la première, brise le silence. Ayant l'intelligence de se pencher afin de se faire discrète, elle commence par répondre à ma question précédente. Au mois elle va bien, je suis déjà heureux de savoir qu'elle n'a pas été violenté en étant mené ici, certes je ne souffre d'aucune blessure mais, je suis du genre massif et solide! J'ignore comment ils m'ont déplacés mais je ne pouvais affirmer que la demoiselle n'eut pas subit un traitement brutal. Malheureusement, il semble que sa mémoire soit aussi défaillante que la mienne, elle ignore où nous sommes et il va donc nous falloir éclaircir ce mystère dans un premier temps.
"Malheureusement, j'ignore également quel est ce lieu. Je m'appel Devon, la dernière chose dont je me souviens c'est que j'étais chez moi, à la capital. Je me rappel d'avoir couché mon fils et rejoint mon épouse dans notre lit. Ensuite je me suis réveillé ici. Je crains que je ne puisse en dire plus..." Pas grande information donc. Un bruit de langue, claquement désapprobateur, me fait tourner la tête vers les deux étranges "personnages" alors que cette voix se fait entendre.
"Cessez donc ces bavardages inutiles! C'est moi qui vous ai mené ici! Depuis le début de l'été je me plie en quatre pour vous et vos demandes, maintenant c'est votre tour! Divertissez-nous!" Qu'on les divertisse? J'avoue ne pas comprendre mais j'ai bien peur d'avoir une idée de ce qu'elle attend lorsque je me tourne de nouveau vers la jeune femme : sa tenue à changé, elle n'a plus réellement l'air d'une gouvernante et un regard vers le bas m'indique que c'est pareil pour moi : une tenue toute blanche, des gants aussi blancs et un regard vers le miroir m'indique que même mon visage est maquillé de blanc et de noir.
"Vous parliez trop, mon compagnon et moi ne nous entendions même plus! Moins de paroles et plus de mimes, j'ai toujours aimé les spectacles muets..."
- Et bien, qu'y a-t-il ? Ne voyez-vous pas que vous dérangez ?! Parlez ! Vite !
D'un claquement de doigts, elle fit disparaître le masque de la blanche qui prit une grande inspiration, comme délivrée, avant de demander doucement en effectuant une profonde révérence :
- Je n'ai pas l'honneur de vous connaître, madame, et je crains, si vous avez accompli quelque chose pour ma personne, de ne pas en avoir été informée. Par ailleurs, j'aurais plus de chance de vous divertir efficacement si je sais à quel publique je fais face.
Le cerveau de la jeune femme fonctionnait à plein régime. Elle ne voulait pas offenser la dame, de crainte que sa vie ne s'achève trop tôt, mais en même temps, il fallait bien essayer quelque chose ! Et puis cela laissait du temps à son comparse... Temps qu'elle espérait qu'il mettrait à profit pour... Observer les potentielles issues de la pièce par exemple ? Ou les choses étranges et autres indices pouvant les faire avancer dans la compréhension du tableau ? Les billes de jais du corbeau la fixaient si intensément que la blanche s'en sentait mal. Il y avait quelque chose avec cet oiseau, d'à la fois inquiétant et hypnotisant.
Je ne perds pas un instant, n'écoutant que partiellement les paroles de la pauvre demoiselle, il faut que je trouve un moyen de m'échapper, de nous échapper même! Pendant que le volatile sombre la fixe avec attention et que la dame aux milles visages l'écoute, je peux tenter de trouver une échappatoire. Malheureusement, je ne vois rien! Nul fenêtre, pas de porte, nous semblons entouré par le néant! Il y a bien de la lumière, je suis capable de voir tout autours de moi mais pourtant, je remarque qu'il n'y a aucun cristaux lumineux! Juste ce décors riche, cet étalage de fortune qui pourrait faire pâlir de jalousie les nobles les plus fortunés du royaume. Comme si ce lieu était hors du temps et de l'espace, pièce modulable des envie de sa maîtresse. Y a-t-il dans ce lieu quelque chose qui ne réponde pas à sa volonté?
"Parce qu'il faut que je vous aide en plus?" Cette voix, tantôt rauque, tantôt douce comme la plus belle des mélodies me pousse à tourner la tête alors qu'elle répond à la demoiselle. "Ai-je été aidé par vos incessantes demandes? Ils ne se connaissent pas! C'est une première rencontre! Jamais vu auparavant... Je devais me débrouiller avec cela, pourquoi en serait-il autrement? Même vous deux! Une première rencontre, encore une! Et bien faites donc connaissance en nous servant!"
J'avoue ne pas trop comprendre, de quoi parle-t-elle exactement? Cela me semble incohérent. Il est vrai que je n'ai jamais rencontré la dénommée Merry, je n'ai pas souvenir l'avoir croisé mais je n'ai demandé à personne cette rencontre! Pourquoi aurais-je demandé à rencontrer une inconnue? Je fais cela tous les jours dans ma taverne... Soudain, le corbeau m'observe, je sens son regard lourd posé sur moi alors que la femme reprend la parole. "Et cesser de chercher, il n'y a pas de sortie! Vous pourrez partir quand je serai satisfaite de vos services et, toute cette histoire, n'aura plus l'air que d'un mauvais rêve!" "Donc, si l'on vous sert durant ce dîner, nous pourrons ensuite partir? C'est ce que vous dites?" Un léger rire raisonne dans mon esprit, plutôt un croassement en fait! Nul doute, c'est l'oiseau qui se joue de moi, comment est-ce possible? La voix, de nouveau, se fait entendre.
"Sans doute, c'est votre défi après tout! Allons, nos verres ne vont pas se remplir seuls!" Et par automatisme, je me redirige vers la table, portant de nouveau une bouteille, je regarde la jeune femme au passage, incertain, hésitant, soupirant finalement. "Je n'ai vu aucune sortie... Peut-être qu'il suffit de finir cette soirée?"
- Je comprends, vous avez bien mérité du repos et de la distraction. Nous tâcherons de faire en sorte que vous passiez une douce soirée.
Son sourire était sincère. La jeune femme avait beau ne pas comprendre ce qu'il se passait, la créature avait vraisemblablement besoin de se détendre. Comme pour confirmer ses craintes, la dame évoqua un défi en réponse à la question de son compagnon de mésaventure. La lèvre supérieure de Merry frémit et elle s'en alla sans véritablement le vouloir vers les cuisines. Une fois devant la double porte, plutôt que de tendre les bras pour recevoir des plats tout fait, elle résista et s'introduisit dans les cuisines. Nouvelle pièce fermée et visages masqués outrés de sa présence. Loin de s'en inquiéter, la prêtresse alla observer ce qui mijotait dans les marmites et poêles avant de soupirer :
- Rien ne va ! Ces plats sont d'un ennui !
Se frappant le front, elle laissa les souvenirs de la cantine du temple remonter à sa mémoire. Elle avait aidé les sœurs à préparer de nombreux repas, notamment pour les plus jeunes, et souvent en punition pour ne pas avoir respecté le couvre-feu. Rouvrant les yeux après s'être massée l'arête du nez, Merry donna des directives à la drôle de brigade qui remuait en faisant des signes d'agacement. Ils n'avaient pas l'air décidés à l'aider alors elle se permit d'insister :
- Et bien, vous voulez contrarier la maîtresse de maison ?
Tous s'immobilisèrent, se mirent à trembler puis, enfin, exécutèrent les consignes qu'elle leur avait données. Souriant doucement, la blanche quitta la pièce en frappant dans ses mains après avoir récupéré une grande nappe immaculée, des pics à brochette et des menus dont elle comptait découper les pages. Si la dame aux mille visages n'était pas satisfaite de cela, Merry n'aurait plus qu'à prier ! Mais en attendant que la préparation avance, il fallait occuper les hôtes. Le corbeau plissa les yeux à son intention dès qu'elle fut revenue dans la salle à manger. On ne pouvait pas dire qu'elle se sentait plus à l'aise, mais à défaut, elle avait l'impression d'avoir récupéré un semblant de contrôle. Contrôle qui s'envolerait sûrement à la seconde où elle décevrait cette femme. Autant éviter, donc. Désireuse de rassurer son comparse, elle lui offrit un sourire avant de lui demander doucement, amusée, puis de prendre à témoin la maîtresse de maison :
- Avez-vous déjà joué des spectacles d'ombres pour votre fils ? Avec ceci, nous pouvons créer une toile parfaite, et si madame veut bien diriger la lumière dans notre direction, cela devrait nous permettre de vous régaler d'une histoire improvisée. Vous qui aimez les spectacles muets, cela devrait vous ravir !
Un moment, voyant son regard, je me demande si elle va hurler, s'énerver contre le sort, contre cette situation surréaliste qui nous est tombé dessus. Cela ne serait pas incroyable, je pense même que je le comprendrai parfaitement mais non... Elle sourit, sincèrement - du moins je le pense - en affirmant qu'elle comprend. Et bien, cette demoiselle a peut-être plus de ressources que je ne le pensais au départ? Comme quoi, il ne faut jamais juger un livre sur sa couverture, cela pourrait bien nous surprendre. Elle se retire, se dirigeant vers la cuisine et, durant un instant, il me semble qu'elle retrouve une partie du contrôle qu'elle est supposé avoir sur son propre corps. Après tout, nous n'avons pas reçu de demande orale concernant un déplacement cette fois. Et moi? Vais-je simplement rester passif et attendre bien gentiment que cette situation se résolve d'elle-même? Ne serait-ce pas pitoyable de n'être que spectateur de ma propre existence et de cet événement dans lequel je suis pris? Je dépose la bouteille de vin sur la table et me détourne sous le regard du volatile, je suis sûr que je peux leur trouver mieux que cela, après tout, Merry a affirmé que nous allions faire en sorte qu'ils passent une douce soirée non? Je ne peux décemment pas la faire mentir.
Je me dirige également vers la cuisine mais n'ait pas besoin de m'y rendre. Sur le comptoir se trouve mon bonheur : une carafe d'eau, la seule chose dont j'ai besoin présentement. Qu'importe que cela soit un rêve, une illusion ou la réalité, je sais que mon pouvoir ne m'a jamais fais faux bond et, s'il y a bien un domaine dans lequel j'ai confiance en mon talent, c'est mon travail de tavernier! Je sais ce que les gens veulent, je sais quoi offrir, à qui et pourquoi! Il me suffit de regarder un homme, voir sa manière de tenir son verre, entendre sa première commande pour savoir vers quoi l'orienter ensuite. Appelons cela l'instinct ou l'habitude mais qu'importe? Me saisissant de deux verre bien différent : un petit pour les alcools sec pour l'un, un verre à vin pour l'autre, je me rapproche de la table. La "maîtresse" de maison me regarde, entre le surpris et l'agacé en voyant la carafe que j'ai en main et je souris doucement pour toute réponse.
Merry reviens à cet instant, des spectacles d'ombre? Elle a de la suite dans les idées cette petite, j'aime bien ça je dois bien l'avouer! J'hoche doucement la tête en riant doucement. "Je fais un magnifique loup!" Dis-je, sans aucun doute la chose la plus simple à faire à l'aide de ses mains lorsqu'il est question d'ombre mais après tout, mieux vaut cela que rien n'est-ce pas? Je me tourne vers le couple attablé et m'incline doucement. "Nous allons installés la toile pour le spectacle, en attendant profitez donc de ces breuvages!" J'entreprend alors de remplir les verres avec la carafe sous le regard toujours incertain de la dame mais, alors qu'il coule, le liquide transparent commence à changer de teinte, devenant ambré dans le plus petite verre, un rhum des plus pur pour l'oiseau que j'imagine intransigeant et sévère. La femme par contre a clairement exprimé son amour du vin alors, je verse de cette même carafe une breuvage rouge aux arômes fruité et délicat. "Un vin du domaine Arakne, l'un de mes bons amis... Vous m'en direz des nouvelles." Dis-je avec ce même sourire avant de déposer le récipient et de me tourner vers la jeune femme. "Installons cette nappe et vous me direz ce que vous attendez de moi pour le spectacle très chère." Je me saisis du drap qui nous servira de support improvisé, vu ma taille il me sera aisé de le faire tenir en hauteur une fois que j'aurais trouvé comment l'attacher.
- Je vous promets qu'il reprendra sa forme lorsqu'en j'en aurais fini. Pour l'heure, j'ai besoin qu'il se transforme !
L'enfermant dans ses mains, elle souffla dans le creux entre ses pouces, pure mise en scène, et les rouvrit. À la place du petit animal de fer décoratif, se trouvait une paire de ciseaux, simple, mais fonctionnelle. Passant son index dans l'un des trous, Merry le fit tournoyer en prenant les menus dans son autre main et lança, les yeux plein d'étoiles :
- Opération découpage !
Pendant que Devon faisait montre d'un étrange pouvoir transformant l'eau en alcools divers, la prêtresse entrepris de couper des formes bien définies. Puis elle l'aida à mettre en place la toile en nouant le tissu autour des coins d'impressionnants cadres dorés en motifs alambiqués qui ne lui plaisaient pas du tout du tout. Lorsque ce fut fait, la jeune femme acheva ses créations et les présenta en éventail devant elle. On trouvait huit pics de bois sur lesquels étaient plantés une femme, une couronne, un grand oiseau, une bague, une étoile, un livre, une cage et enfin, un enfant. Les formes n'étaient pas très précises, mais elles se devinaient tout de même aisément. Il ne restait que l'histoire, et la romantique qu'elle était avait déjà son idée !
S'approchant de la table, elle y posa le ciseau qui, d'une pression de l'index, repris se forme originelle. Une légère migraine s'éveilla qu'elle choisit d'ignorer. Merry prit ensuite la direction de la toile et passa derrière avec ses nouveaux jouets en pliant et dépliant son index vers son compagnon de mésaventure pour lui faire comprendre qu'elle souhaitait sa venue.
Dès qu'il fut à ses côtés elle lui chuchota à l'oreille l'histoire d'un corbeau éperdument amoureux d'une femme aussi belle qu'intelligente. Après avoir affronté le seigneur loup qui la gardait en cage et l'avoir transpercé de son bec acéré, il sauva la belle, et, devenue le nouveau souverain du royaume, lui demanda de devenir sa reine. Celle-ci accepta, charmée par l'esprit et la bravoure du volatile, ils vécurent heureux, et eurent même un fils ! Un enfant en pleine forme, béni de Lucy, à qui tout réussirait ! Après avoir achevé son histoire, elle lui tendit la baguettes corbeau et acheva dans un clin d'œil malicieux :
- Je n'ai pas fait de loup, je compte sur l'interprétation que vous avez vantée ! Mettons-nous au travail ! Je me suis dit qu'un conte serait plus sympa, je vous laisse broder les détails de l'histoire, il parait que c'est une qualité qu'on acquiert en devenant parent et Lucy n'a pas encore mis sur ma route l'homme qu'il me faut. Je me contenterais de faire jouer les autres personnages à mesure que vous déroulerez le récit !
M'excusant d'une courbette polie envers nos "hôte" ou ravisseurs selon le point de vue, je rejoins la jeune femme qui ne perd pas un seul instant pour m'expliquer le synopsis de l'histoire qu'elle a imaginé en créant ses personnages. Vu notre situation et cette étrange relation entre la femme sans visage et son compagnon volatile, je suppose que cela peut-être une bonne idée? Il faut surtout que l'histoire soit assez significative et inventive pour mettre leur relation en valeur sans les moquer. Visiblement une tâche qui me revient! Qui eut cru que modifier mes histoires, celles de mon ancienne vie d'aventurier, pour qu'elles soient racontables à Cid me soit un jour utile pour me sortir d'une situation aussi anormale que problématique? Un léger regard vers la demoiselle alors qu'elle m'affirme que Lucy ne lui a pas encore fait rencontrer "le bon" - pour peu que cette notion existe réellement - et je souris doucement.
"Ce sera le cas un jour, lorsque vous ne vous y attendrez pas! On ne peut pas dire que ma rencontre avec ma femme fut spécialement prévisible ou attendue..." Dis-je un sourire en coin, nostalgique, amoureux... Il faut que je parte d'ici pour la rejoindre! Je me saisis d'un personnage, soupire un moment et hoche la tête, signe pour la belle que nous allons pouvoir commencer notre numéro.
"Il y a bien longtemps, dans un royaume lointain, vivait un majestueux corbeau. Le noble oiseau avait tout pour être heureux, un nid magnifique, un plumage à l'élégance rare, on le disait même posséder un trésor à nul autre pareil! Cependant, tous les trésor ne sont pas d'or et le superbe volatile n'avait d'yeux que pour un trésor en particulier : la magnifique princesse du royaume, aussi belle qu'intelligente, la douce faisait battre son coeur comme nulle autre avant elle. Chaque soir, sous le ciel étoilé, le corbeau venait se poser sur une branche, proche du balcon de la chambre de la belle et sur laquelle elle venait s'installer des heures durant. Il l'observait de son regard brillant alors qu'elle lui parlait, ignorante des sentiments de ce noble oiseau.
Cependant, une nuit comme toutes les autres, alors que le corbeau revint pour voir sa belle, celle-ci ne se montra pas et notre héro resta jusqu'au petit matin, espérant voir sa belle qui jamais ne vint. Ce n'est que le lendemain matin qu'il apprit la triste nouvelle : sa belle dame avait été enlevée! Le responsable n'était autre que le roi loup, triste sir, coquin, qui convoitait également la belle princesse! Mais, si l'amour du corbeau était pur, celui du roi loup n'était qu'intéressé et égoïste. Hélas, nul homme, nul chevalier dans le royaume n'était de taille à lutter face à cette massive créature. La princesse était-elle perdue?
N'écoutant que son courage et son coeur, l'héroïque corbeau décida de sauver son aimée! S'élançant avec rien d'autre que son coeur dans la bataille, il rejoint la tanière du roi loup, ce monstre sans coeur, qu'avait-il fait à sa douce princesse? Enfermée dans une cage, incapable de s'en libérer, elle ne pouvait compter que sur l'aide d'un preux chevalier... Ce ne fut pourtant pas un homme qui vient à son aide mais du chevalier, il avait le courage et le coeur! Affrontant son terrible Némésis, le combat fut des plus compliqué, souvent les crocs du monstres passèrent proche de se refermer sur lui mais finalement, dans une attaque aussi courageuse qu'héroïque, notre héros terrassa le roi loup de son bec et pu enfin libérer la belle princesse... Il s'apprêta ensuite à partir, ayant accompli son devoir mais la princesse le retient en lui disant ces quelques mots :
"Mon doux ami, vous êtes venu à mon secours!
Je me languissais de nos discussions jusqu'au petit jour.
Alors que nul chevalier n'est venu pour me sauver,
Avec courage vous vîntes me libérer.
Pourquoi alors désirez-vous ainsi partir?
De votre absence je ne saurai souffrir..."
Et c'est ainsi que le noble oiseau et la douce dame rentrèrent ensemble au royaume. Le corbeau fut accueilli en véritable héro et bientôt, l'amour de ce-dernier et de sa douce fut officialisé! D'abord un mariage auquel tout le royaume fut convié, puis Dame Lucy elle-même accorda sa bénédiction au couple, leur offrant un enfant magnifique... Aujourd'hui encore, dans ce royaume lointain, on dit que la reine et le roi corbeau veille sur les leurs, les protégeant du retour de l'infâme roi loup.
- Composer un spectacle avec une histoire crédible en si peu de temps, c'était peine perdue !
Le visage de la jeune femme se décomposa et elle tourna vers Devon un regard aussi désolé que terrifié. Qu'allaient ils bien pouvoir faire maintenant ? Si sa femme et son fils allaient remarquer son absence au matin, il n'était pas dit que quelqu'un se soucie de la sienne... Une boule lui obstrua la gorge alors qu'elle peinait à souffler, prête à éclater en sanglots :
- Je suis dé... Désolée... Je pensais... Vraiment que...
- Et pourtant ! L'interrompit la voix éthérée, plus douce désormais, et pourtant vous me prouvez encore une fois que l'Humain est capable de se dépasser lorsqu'il est mis en difficulté ! Je n'en espérais pas tant !
Le cœur de Merry manqua un battement et elle se tourna vers la table, ou du moins, ce qu'elle en distinguait à travers la nappe. Que venait-elle de dire ?
- Allons, servez moi donc à nouveau de ce délicieux vin et allez voir ce qu'il se passe en cuisine. Pourquoi ces incapables sont ils aussi longs ? Je ne leur demande pourtant rien de bien compliqué !
La lumière reprit sa place, au plafond, nimbant la pièce d'une lueur tamisée. Après un hochement de tête et un grand sourire accompagné d'un pouce vers le haut à son partenaire, Merry se hâta de rejoindre la double porte donnant sur les cuisines. Elle était loin d'en avoir fini avec cette soirée ! Au passage, elle jeta un coup d'œil à la femme, mais son visage changeait si souvent et demeurait si flou qu'il était impossible d'en saisir l'émotion. Dommage ! Elle aurait bien aimé savoir si ce petit conte lui avait plu...
Dans la cuisine, les êtres masqués s'activaient toujours, respectant la recette indiquée plus tôt par la prêtresse. Quand ils la virent, deux d'entre eux allèrent saisir ses manches pour la tirer vers un four et lui montrer ce qui s'y trouvait. Le regard de la jeune femme s'illumina davantage encore, si tant est que ce soit possible, et elle s'exclama, radieuse :
- Je savais que vous pouviez le faire ! Et la deuxième partie ?
Un autre cuisinier lui fit signe et Merry sautilla vers lui pour découvrir qu'il avait parfaitement maîtrisé ce qui lui avait été demandé.
- Vous êtes des chefs ! Il est l'heure de monter cette œuvre d'art pour la présenter à vos maîtres !
Les masqués poussèrent des cris de joie et amenèrent à Merry toutes les pièces dont elle avait besoin. Ils s'activèrent pendant une quinzaine de minutes, et la blanche espéra que Devon saurait les occuper pendant ce temps. Lorsqu'ils eurent fini, la blanche prit une grande inspiration. Quand avait-elle arrêté de respirer ? Peu importait, le gâteau magique était prêt ! L'un des employés, le chef de la brigade, tira sa manche et lui tendit l'ultime accessoire, une carafe remplie d'un coulis au chocolat bien chaud, avant de la pousser vers la porte. Elle pressentit que c'était sa façon de lui souhaiter bon courage et lorsque deux autres masqués lui ouvrirent la porte en lui tirant une révérence, le cœur de la demoiselle se gonfla de joie alors qu'elle leur soufflé un merci chargé d'émotions.
Elle portait entre ses mains un plateau ou reposait en apparence un plat couvert d'une cloche. S'approchant de la table du couple, elle déposa ce dernier entre eux en expliquant fièrement, tout sourire :
- Madame, monsieur, voici pour vous ce soir, en exclusivité, un dessert magique qui, nous espérons, vous apportera le sourire !
Elle versa alors le chocolat liquide sur le dôme qui se mit à fondre, révélant une cage de caramel doré, et, au-dessous, un magnifique fraisier sur lequel trônait deux statuettes en chocolat particulièrement réalistes représentant leurs hôtes qui volaient ensemble côte à côte. D'un coup du manche de son couteau, elle brisa les barreaux translucides et leur servit à chacun une belle part, sans oser rompre le lien entre les statuettes qui demeurèrent donc sur le gâteau. Il ne restait qu'à attendre leurs impressions...
Pourtant, la voix de la femme si changeante se fait tel son visage : changeante justement! Une pointe de douceur, peut-être même un peu de respect? Coupant les excuses de ma jeune amie, voici qu'elle nous offre ses compliments les plus sincère pour ce récit à deux voix. Je souris doucement, peut-être plus heureux que je ne l'aurais pensé de cette réaction. Peut-être parce que je perçois une issue possiblement positive à cette affaire ou bien, peut-être simplement parce que maintenant que je suis un jeune père, savoir mes histoires appréciées me gonfle d'un orgueil que je m'ignorais jusque là? Dans tous les cas, il est temps de repasser au service plutôt que de rester sur cette bonne note, la soirée devrait sans doute approcher de son terme, tentons d'en finir en apothéose pour le plaisir de nos hôtes et espérons ensuite qu'ils tiendront parole. Ce n'est pas que je n'apprécie pas la compagnie, la jeune femme est bien agréable et, en réalité, même le corbeau et cette étonnante femme sont plus sympathique que je ne l'aurais cru aux premiers abords mais, il me tarde de rejoindre ma propre famille... Et puis, comment cela va-t-il se passer le lendemain? Est-ce que le temps que je passe ici compte comme du sommeil ou bien est-ce que je risque d'être épuisé au réveil? Impossible de le dire, tout est trop réel pour n'être qu'un rêve.
Merry et moi nous séparons, alors qu'elle se dirige vers la cuisine pour prendre des nouvelles des chefs, je reprends la carafe d'eau posée précédemment pour m'approcher du duo. Avec un certain plaisir je remplis le verre de la dame, sans doute une déformation professionnelle mais j'apprécie toujours de voir un client apprécier mon travail. Après tout, plus que la convivialité, c'est la qualité des boissons qui fait la réputation du tavernier! La servant, je lui souris sympathiquement, me trouvant un peu plus confortable dans la situation, je me permets même de me comporter comme je pourrais le faire dans mon établissement : un petit clin d'oeil alors que l'eau devient vin, une aisance toute nouvelle et me voici en train de faire la conversation mais, uniquement sur ce que je connais mieux que quiconque bien-entendu.
"Si vous aimez ce vin je pourrais sans doute vous fournir quelques bouteilles vous savez? Ce serait même avec plaisir, moi si je peux abreuver quelqu'un qui a soif, je considère que mon travail est fait! Devise de tavernier." Un léger rire alors qu'il me semble même la voir sourire... Impossible d'être affirmatif vu ses traits impossibles à deviner mais, au moins, elle ne me houspille pas donc je vais me dire qu'elle ne m'en tiens pas rigueur pour me permettre de lui parler aussi librement.
Merry revient finalement avec sa "surprise" si je puis dire, je l'ai effectivement vu aller déjà une première fois dans la cuisine mais j'ignore encore tout de ses échanges avec les cuisiniers. Je dois dire que je suis quelque peu curieux, jusque là, la demoiselle a eut d'excellentes idées et je pense que c'est surtout grâce à elle que les choses se passent bien en ce moment. Lorsque le dessert magique est révélé, je retiens un sifflement d'approbation - et peut-être également de fascination - devant son oeuvre. Je sais que c'est les cuisiniers qui ont permis une si belle réalisation mais, une fois encore, c'est elle qui est à la tête du projet. C'est magnifique mais cela plaira-t-il réellement à notre hôte? Je me tourne vers elle, tentant de lire une réaction soit sur son visage flou, soit dans le regard du volatile qui est son compagnon mais non, rien de perceptible et soudain, sa voix se fait entendre.
"Et bien... Ce n'est pas ce que j'avais commandé!" Une légère frustration? Je ne saurai dire, comme souvent son timbre de voix me semble agacé ou courroucé, j'attends pourtant silencieux, retenant ma respiration, espérant sans doute que, comme précédemment, ce ne soit que les prémices d'une exclamation bien plus satisfaite... "Et c'est bien mieux en réalité! Vous avez encore une fois dépassé mes attentes, j'aime particulièrement les "statuettes" de chocolat. C'est magnifique... Devon, Merry, vous avez réussi votre défi : faire de cette soirée unique entre corbeau et moi une magnifique soirée... Nous allons finir notre dessert et après quoi, vous pourrez retourner chez vous."
- Vos compliments feront plaisir à vos cuisiniers, ce sont eux qui ont réalisé cette merveille sur mes directives. Je n'aurais été capable de rien sans eux. Je vous souhaite une bonne dégustation !
Reculant de quelques pas, la demoiselle se tourna vers Devon et lui offrit une pose de la victoire, mains sur les hanches et grand sourire menton levé en s'exclamant à voix basse pour ne pas faire changer d'avis leurs hôtes :
- On a réussi !
Puis elle réalisa que tout allait s'arrêter à présent. Finie, cette angoisse sourde de rester bloquer là, dans un nul part luxueux où mille idées lui venaient pour satisfaire l'exigeant couple extraordinaire qui les séquestraient. Allaient ils se retrouver au-dehors, devant une splendide villa à devoir rentrer par leurs propres moyens ? Probablement pas. Ils s'étaient retrouvés là après s'être endormi, le plus logique semblait donc qu'ils se réveillent dans leur lit respectif. Et comme cela n'allait pas tarder puisque les assiettes se vidaient rapidement, la blanche déclara peut-être trop solennellement :
- C'était une drôle de situation, mais nous nous en sommes sorti. Peut-être que nous nous recroiserons un jour, et que nous rirons de cette nuit bien étrange. Je l'espère en tout cas, au moins pour pouvoir vous observer utiliser la magie dont vous avez fait l'usage ici même dans un autre contexte. Je n'en avais jamais vu de semblable !
La dame vint les interrompre, majestueuse dans sa tenue de souveraine et portant sur son épaule le puissant Corbeau dont les yeux clignèrent plusieurs fois en les regardant, comme pour les remercier. Celui-ci tenait dans son bec la tige de bois au bout de laquelle était attaché l'oiseau de papier. Cela voulait-il dire que l'histoire l'avait touché ? Ils ne le sauraient sans doute jamais.
- Bien, si vous êtes prêts, il est temps. Nous n'oublierons pas de si tôt le délicieux moment que vous nous avez offert, même si cela avait bien mal commencé. Fermez donc les yeux à présent, que je tienne parole.
Merry s'exécuta en soufflant à l'intention de la dame :
- Je vous souhaite de ne plus jamais vous ennuyer et de vivre heureuse auprès de celui que vous chérissez, quels que soient son apparence et ce qu'en pensent les autres. Il faut parfois se montrer égoïste pour vivre pleinement son bonheur.
Toujours les yeux fermés, elle ajouta à l'intention de l'homme qui l'avait accompagné dans ce périlleux repas :
- Et bien, au revoir, Monsieur le Tavernier. Que la déesse nous offre la chance de nous rencontrer à nouveau.
Un battement d'ailes proche et lointain à la fois déstabilisa Merry. Quand elle rouvrit les yeux, elle était enroulée dans un drap fin, l'odeur de résine, si forte dans la demeure de la famille qui l'hébergeait, lui confirma qu'elle était revenue là où elle s'était endormie, à Village Perché. Dans un soupir, la blanche quitta son lit et alla s'asseoir au bord de la fenêtre, l'esprit engourdi. Fixant la lune, la jeune femme soupira, encore ensommeillée :
- Quel drôle de rêve !